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Les États-Unis et l'Extrême-Orient, par Paul-Émile Naggiar (Le Monde d... https://www.monde-diplomatique.

fr/1954/05/NAGGIAR/21154

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Les États-Unis et
l’Extrême-Orient
Nous donnons ci-dessous de larges extraits de la communication faite à l’Académie
diplomatique par un des plus éminents spécialistes occidentaux des questions d’Extrême-
Orient. Ce document constitue une introduction magistrale aux questions discutées
actuellement à la conférence asiatique de Genève. Faute de place nous avons dû renoncer à
publier la première partie de l’exposé où l’auteur examine les aspects historiques et militaires du
problème.

��� P���-���� N������

P
��� étudier le problème d’Extrême-Orient au point de vue diplomatique, il faut d’abord se
référer aux textes. Car il y a des textes : textes de traités, les uns indiscutables et publics
pour ce qui est de ceux qui portent la signature des États-Unis et de leurs associés, les
autres plus difficiles à connaître quand il s’agit des rapports entre États du bloc
communiste. On ne peut donc rien dire de pertinent au sujet de ces derniers, sinon que le
mordant des armées communistes, la valeur du commandement et la qualité du matériel démontrent
pour le moins la réalité et le caractère concret des liens contractuels qui les unissent.

Les principaux engagements contractuels des États-Unis en Extrême-Orient sont à ce jour inscrits
dans les traités suivants, tous ratifiés :

1° Traité de défense mutuelle avec les Philippines, signé le 30 août 1951 ;

2° Traité triparti de sécurité mutuelle entre les États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande en date
du 1er septembre 1951 ;

3° Traité de sécurité mutuelle entre le Japon et les États-Unis du 8 septembre 1951, complété par des
accords techniques d’aide militaire signés le 8 mars 1954 et en cours de ratification ;

4° Traité de sécurité mutuelle entre les États-Unis et la Corée du Sud, signé de 8 août 1953, à Séoul.

Ces quatre traités ont en commun, entre autres dispositions, les termes particuliers dans lesquels sont
libellés les engagements mutuels d’assistance.

On sait que dans le traité de l’Atlantique nord, il est prévu qu’une agression contre un des signataires
équivaut à une agression contre tous. Cela veut dire – au moins en droit – que si la France par
exemple était victime d’une agression, les États-Unis ne l’étant pas, ceux-ci se considéreraient
néanmoins eux-mêmes attaqués et devraient fournir l’assistance armée prévue au traité, exerçant ainsi

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en quelque sorte leur droit de légitime défense.

Rien de pareil n’existe dans les quatre traités d’assistance relatifs à l’Extrême-Orient. Il est seulement
stipulé qu’une agression contre l’un des signataires constitue un danger pour l’autre, et que ce dernier
devra, pour y faire face, agir, quant à l’assistance, en conformité de ses propres procédures
constitutionnelles.

Le projet Bricker
Quelles que soient les raisons de doctrine constitutionnelle américaine qui aient motivé cette réserve,
on doit reconnaître que, dans les termes tout au moins, les traités conclus par les États-Unis pour la
sécurité mutuelle dans le Pacifique et en Extrême-Orient, sont moins catégoriques que ceux du pacte
de l’Atlantique nord.

La question se pose dans ces conditions de savoir si, en cas d’agression aux termes de ces quatre
traités, le président des États-Unis pourra ou voudra, comme l’a fait le président Truman le 25 juin
1950, engager d’autorité les forces américaines, ou s’il ne devra pas, au préalable, faire jouer toutes les
procédures constitutionnelles, c’est-à-dire obtenir avant toute action le vote approbatif du Congrès.

Le problème prend un intérêt actuel d’autant plus grand qu’un sénateur, M. Bricker, a déposé un
projet d’amendement à la Constitution, dont l’effet serait de subordonner au vote non plus seulement
du Congrès, mais des Assemblées des quarante-huit États de l’Union, la ratification des traités
internationaux. Toute action diplomatique américaine deviendrait de ce fait tellement aléatoire qu’elle
en serait pratiquement impossible.

Le projet Bricker a été, il est vrai, repoussé. L’état d’esprit qu’il révèle ne saurait cependant être
méconnu. Il montre la crainte qu’a le peuple américain d’être de nouveau mobilisé pour des opérations
extérieures à pleins effectifs. Le président Eisenhower tient le plus grand compte de ce sentiment et
ne manque pas une occasion de déclarer que les États-Unis ne se laisseront pas entraîner dans une
nouvelle guerre sans le vote du Congrès.

La question est donc de la plus haute importance. Elle dépasse au surplus le cadre constitutionnel
américain. Il s’agit du problème général de l’application des traités, plus spécialement de ceux que
l’ancienne diplomatie appelait traités d’alliance défensive, ceux que la nouvelle intitule traités
d’assistance mutuelle, et qui, sous des mots différents, sont les mêmes.

Leur but fondamental est de décourager l’agresseur, de lui faire entendre raison, de lui faire peur, de
façon que l’agression ne soit pas commise, et que, de ce fait, l’assistance promise n’ait pas à être
donnée.

On pourrait donc dire – et ce ne serait pas un paradoxe – qu’une alliance défensive est d’autant plus
efficace qu’elle n’a pas besoin d’être appliquée, montrant, suivant le précepte de Lyautey, la force pour
éviter de l’employer.

Mais, pour atteindre ce grand résultat pacifique, il est indispensable que l’agresseur potentiel soit
convaincu qu’à la moindre agression de sa part l’assistance armée à la victime sera donnée
automatiquement.

Or, précisément, c’est ce genre d’engagement automatique textuel que les traités d’alliance défensive
ou de sécurité mutuelle, anciens et modernes, s’efforcent tous d’éviter. La bonne foi n’est pas en cause.
Le traité est une déclaration ferme et honnête d’intention.

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Cependant, entre le moment où le traité est signé et le moment peut-être lointain où l’agression sera
commise, les moyens matériels, l’état d’esprit, peuvent changer, les circonstances de l’agression se faire
équivoques. Aucun peuple ne désire être entraîné dans une guerre qui ne le touche pas directement.

C’est la raison pour laquelle, dans les anciens traités d’alliance défensive (prototype des traités actuels
de sécurité), tant de précautions étaient prises pour éviter l’engagement automatique. La formule
généralement admise était qu’en cas d’agression non provoquée contre un des signataires les deux
parties contractantes se concerteraient pour y faire face.

Plus qu’une clause de style, c’est, à la lettre, la prévision d’un concert à établir avant d’agir, c’est-à-dire
d’un nouvel entretien entre victime d’un côté, assistant de l’autre. Entretien, c’est-à-dire négociation ;
négociation, c’est-à-dire délai, incertitude.

La clause du concert préalable à l’action donne au traité ce qu’on appelle de l’élasticité, alors que pour
décourager l’agresseur, il faudrait de la rigidité.

Un doute ainsi vient à naître, une contradiction s’établit entre la fermeté de la promesse d’assistance et
les conditions concrètes dans lesquelles cette promesse pourra être tenue.

Cette contradiction est inéluctable, semble-t-il. Les obligations d’assistance prévues au pacte de
l’ancienne Société des nations ne lui échappaient pas, de même que ne lui échappaient pas non plus
les obligations de la charte des Nations unies.

Il n’en peut être autrement quand il s’agit d’engagements souscrits au nom de peuples indépendants et
libres, ceux dont l’opinion publique fluctuante détermine le vote d’Assemblées nationales, souveraines
sans doute, mais également fluctuantes, cas de tous les peuples occidentaux, cas typique du peuple
américain.

Les quatre traités d’assistance mutuelle relatifs au Pacifique et à l’Extrême-Orient, analysés ci-dessus,
ont donc en eux-mêmes cette contradiction classique entre rigidité et élasticité, contradiction
congénitale à toute alliance défensive.

Cependant ils n’en contiennent pas moins le maximum d’engagements fermes d’avenir que puisse
souscrire le peuple américain, lui dont le mot d’ordre en matière internationale a été dès l’origine : no
commitment, pas d’engagement à l’étranger, et qui garde la nostalgie de son ancien isolationnisme.

Un peuple profondément engagé partout


Et pourtant ce peuple qui ne voulait pas s’engager n’est-il pas aujourd’hui profondément engagé
partout ?

Depuis Pearl-Harbour en 1941, surtout depuis 1949, n’a-t-il pas procédé à une prodigieuse extension
de ses forces et de ses engagements militaires, financiers, industriels et commerciaux ?

Outre les traités formels d’assistance mutuelle militaire de l’Atlantique et du Pacifique, n’a-t-il pas
assumé par des arrangements généraux ou particuliers des obligations qu’aucun peuple avant lui
n’avait porté à ce degré dans les cinq continents ?

Si prestigieuse que soit cette situation, si avantageuse qu’elle puisse être, elle n’en crée pas moins pour
les Américains, outre des risques dramatiques de guerre à la mesure universelle de leurs dispositifs
militaires, une lourde charge, et, de toutes la plus pénible pour une nation qui n’a jamais subi la

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guerre étrangère chez elle, une charge en contingents – un fardeau douloureux en pertes cruelles sur
les champs de bataille à 10 000 ou 15 000 kilomètres du territoire de la patrie.

On conçoit que ce peuple souhaite alléger cette charge de quelque manière, surtout ne pas en assumer
de supplémentaire, continuer sans doute à fournir aux peuples amis des techniciens et du matériel,
mais, si possible, ramener les « boys » à leurs familles.

C’est là sans doute que se trouve la signification profonde de l’élection triomphale du général
Eisenhower : la confiance qu’on lui fait de trouver au problème de la sécurité générale des États-Unis
et de leurs alliés une solution de rechange, une autre formule que celle qui consiste à tenir
profondément engagés partout où il y a danger de forts contingents de troupes américaines. C’est la
raison pour laquelle ils donnent tant d’importance aux armes nucléaires téléguidées, celles dont on
pourrait se servir pour anéantir l’adversaire sans mobiliser la masse de la population américaine et
l’expédier hors des frontières.

La difficulté – et elle est immense – est précisément de trouver cette solution de rechange, et, l’ayant
trouvée, de procéder à ce qu’on pourrait appeler la relève du fardeau américain, sans aggraver la
tension internationale, sans rien abandonner de l’essentiel, en principe ni en intérêt, de ce que l’on a
voulu fonder et défendre.

À ce point de vue, engagé comme ils le sont encore au-delà de leurs deux océans protecteurs, les États-
Unis ont trouvé une tâche moins décevante en Europe qu’en Extrême-Orient.

En Europe, depuis 1945, s’il y a eu de graves incidents sur la ligne de démarcation à travers
l’Allemagne, si les négociations de paix pour l’Allemagne et l’Autriche n’ont pas abouti, il n’y a pas eu
du moins d’agression caractérisée ni de catastrophe.

En Extrême-Orient, il y en a eu. La Chine continentale a échappé à l’influence américaine, la Corée a


été le théâtre d’une guerre de trois ans, suspendue plutôt qu’éteinte ; l’Indochine entre à ce jour dans
la huitième année d’une guerre dévastatrice.

Alors qu’en Corée l’armistice signé permet aux Américains d’opérer dès à présent en partie cette
relève de leurs effectifs promise par le président Eisenhower, en Indochine, ce qui est en cause, c’est
une relève toute différente. C’est la relève du fardeau qui pèse sur la France depuis sept ans et la
passation de tout ou partie de ce fardeau aux Américains.

Un dilemme tragique
La politique américaine se trouve ainsi placée devant un dilemme immédiat, grave et tragique pour
eux et leurs amis. S’engager en Indochine quand on se désengage de Corée, s’engager en Indochine
tout de suite à fond, armes, bagages et hommes, ou s’engager par petits paquets ? Ou bien, ne pas
s’engager, laisser aller les choses, mais jusqu’à quel épuisement des forces françaises ?

Ou bien négocier, et avec qui ? Dans quelles conditions ? Dans quel but ?

Voilà le problème du jour, à vrai dire le problème de l’heure et même de la minute. C’est celui de la
conférence de Genève.

Il va falloir se décider, et c’est à cette décision qu’on pourra voir la direction vers laquelle va, en même
temps que celle de la France, la politique des États-Unis en Extrême-Orient, et, par-delà l’Extrême-
Orient, dans le monde.

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Le problème dépasse en effet le cadre de l’Extrême-Orient. Washington et Moscou, le Vietminh et le


Vietnam et les deux Corées, la Chine et le Japon, mais aussi Paris et Londres, auront à faire le choix
capital : durcir et compléter leurs dispositifs militaires et diplomatiques ou bien les détendre en
Extrême-Orient comme ailleurs.

Si sincèrement qu’on se défende de le vouloir, le premier choix, le plus facile, faisant uniquement
appel à la force, mènera tôt ou tard à une guerre universelle, plus dévastatrice à la fois pour le
vainqueur et le vaincu que ne le furent les deux précédentes.

Le second, sans résoudre tous les problèmes – il y en aura toujours -fournira aux hommes d’État
harassés et aux peuples angoissés un répit, leur accordera pour le moins cette trêve, dont ils ont le
plus urgent besoin autant pour leur moral que pour leurs intérêts.

Dans la préparation de ce deuxième choix, le seul qui ne condamne pas l’avenir, la France a un rôle
éminent à jouer, celui qui convient à ses traditions, le rôle que lui destine son sens inné du réel non
seulement politique, mais tout bonnement humain inséparable en effet de cet humanisme classique
français qui fit à notre pays sa vraie, sa grande place, sa place incontestée dans le monde.

P���-���� N������
Ambassadeur de France

Mot clés: OTAN Armée Défense Relations Est-Ouest Asie Chine Corée du Sud Corée du Nord
Indochine française États-Unis (affaires extérieures)

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