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Les sanctions des Nations unies et leurs effets
secondaires | Djacoba Liva Tehindrazanarivelo
Introduction
p. 1-12
Texte intégral
1 En 1945, l’adoption de la Charte des Nations Unies
faisait naître l’espoir d’un monde meilleur, où la
sécurité de tous les pays, grands et petits, puissants et
faibles, serait assurée collectivement au sein d’une
organisation internationale à vocation universelle, ayant
pour objectif principal le maintien de la paix et de la
sécurité internationales, œuvrant pour l’intérêt général.
Pour la première fois dans l’histoire, un organe collectif
international s’était vu octroyer le pouvoir de prendre
une « sanction » contre les Etats pour maintenir ou
rétablir la paix et la sécurité entre ceux-ci et, d’une
manière plus large, pour défendre leurs droits et
intérêts communs.
2 Jusqu’à l’apparition de la Société des Nations en 1919
(SDN) en effet, la devancière de l’Organisation des
Nations Unies (ONU), les seules réactions à l’illicite
connues en droit international étaient essentiellement
étatiques et décentralisées, c’est-à-dire des réactions
strictement individuelles tant dans leurs motivations
que dans leur application. Ces réactions non
institutionnalisées étaient représentées dans la société
internationale traditionnelle par la guerre et les
représailles, qualifiées par certains auteurs comme les
sanctions du droit international classique1. Si la guerre2
comme sanction du droit international était assez
controversée3, la qualification des représailles en tant
que telle était plus acceptée. Ces représailles – qui
pouvaient être armées ou seulement de nature
économique ou diplomatique – réagissaient à des actes
illicites initiaux et avaient pour objectif ultime le retour
à la légalité4. Elles étaient toutefois déclenchées
individuellement par un Etat5.
3 Les réactions collectives institutionnalisées ne sont
apparues qu’avec l’avènement des organisations
internationales, et notamment la création de la SDN. On
faisait justement remarquer que « [c]es organisations
internationales posent enfin les conditions
fondamentales pour que des normes internationales
soient sanctionnées d’une autre façon que par le recours
unilatéral à la guerre ou aux représailles, ou le recours
aléatoire aux règles de la responsabilité
internationale »6.
4 Toutefois, s’il y avait bien eu dans le cadre de la SDN
une habilitation sociale de recours aux « sanctions »,
tout le processus de la mise en œuvre de ces
« sanctions » restait encore individuel, à savoir
l’appréciation des faits puis la constatation de la
violation de l’obligation juridique, le choix des mesures
à prendre, et l’application de ces mesures. Les réactions
face aux violations des dispositions du Pacte de la SDN
n’étaient pas collectives car les organes de la Société des
Nations n’étaient pas habilités à constater la rupture du
Pacte ni à décider des mesures de réactions et du
moment adéquat pour ce faire.
5 La collectivisation des réactions à l’illicite n’a été
atteinte qu’avec l’adoption de la Charte des Nations
Unies en 1945, où un organe restreint – le Conseil de
sécurité – a été chargé de constater l’existence d’une
situation qui l’habilite à prendre une sanction, soit parce
que cette situation met en danger la paix et la sécurité
internationales, soit parce qu’elle porte atteinte à des
droits et intérêts essentiels des Nations Unies. Le choix
des mesures nécessaires pour faire face à cette situation
a été encore dévolu au Conseil de sécurité, et des
obligations précises ont été mises à la charge des Etats
pour appliquer les-dites mesures. Cette collectivisation
de la réaction internationale, organisée au chapitre vii
de la Charte des Nations Unies, était jugée préférable
aux réactions individuelles avec leur lot de subjectivité
et d’injustice.
4. Plan de l’étude
38 Ainsi, la recherche de solutions d’ensemble aux deux
types d’effets secondaires qui viennent d’être présentés,
qui est notre propos, passe préalablement par
l’appréhension de ces effets dans tous leurs éléments.
Cela nous amènera à voir à la fois les sources des effets
secondaires constatés dans la pratique des sanctions des
Nations Unies, les règles prévues dans la Charte pour y
faire face et les solutions qui y ont été effectivement
apportées (Première partie).
39 Les conclusions tirées de l’analyse de ces solutions en
aval, prévues par la Charte ou développées par la
pratique, et des problèmes rencontrés dans la mise en
œuvre de celles-ci serviront de base à nos réflexions
pour des solutions en amont, à savoir la recherche de
voies juridiques qui permettent d’avoir des sanctions
des Nations Unies ne produisant pas – ou produisant
peu – d’effets secondaires, en s’appuyant à la fois sur le
droit et la pratique de l’Organisation et sur le droit
international général (Deuxième partie). Il s’agira,
comme l’indique le sous-titre de notre étude, de passer
de l’assistance aux victimes des effets secondaires à la
recherche de voies juridiques de prévention de tels
effets.
Notes
1. P. ex., H. Kelsen, The Law of the United Nations. A Critical Analysis
of its Fundamental Problems, London, 1950, pp. 707 et s.; J. L. Kunz,
“Sanctions in International Law”, AJIL, vol. 54 (2), 1960, p. 325.
2. Sur la notion juridique de la guerre, voir notamment L. Cavaré,
« L’idée de sanction et sa mise en œuvre en droit international
public », RGDIP, t. 44, 1937, pp. 395-400 ; L. Delbez, « La notion
juridique de la guerre », RGDIP, t. 67 , 1953, pp. 177-209 ; P.
Haggenmacher, Grotius et la doctrine de la guerre juste, PUF,
Publications de l’IUHEI Genève, 1983, pp. 11 et s. ; J. L. Kunz,
“Bellum justum and bellum legale”, AJIL, vol. 45 (3), 1951, pp. 528-
534.
3. Voir p. ex. Ch. Leben, Les sanctions privatives de droits ou de
qualité dans les organisations internationales spécialisées, Bruylant,
1979, pp. 41 et s. ; E. Giraud, « Le droit international public et la
politique », RCADI, t. 110, 1963-111, pp. 665 et s. Ce dernier relève
trois inconvénients de la guerre comme sanction du droit
international. « En premier lieu, la guerre est une sanction qui n’est
à la portée que du plus fort des Etats en opposition... En second lieu,
la violation du droit peut être un prétexte pour recourir à la
guerre si une autorité impartiale, c’est-à-dire un juge, n’a pas au
préalable constaté la réalité de la violation du droit. En troisième
lieu, la guerre représente souvent une sanction disproportionnée à
la violation du droit qui a été commise. Par ailleurs outre les grands
maux qu’elle occasionne, elle peut donner lieu, de la part du
vainqueur, à des abus plus graves que la violation du droit dont il
avait à se plaindre » (p. 665). Ces remarques, émises en 1963,
peuvent très bien s’appliquer autant à certaines sanctions des
Nations Unies, militaires ou non, qu’à des récentes actions
militaires unilatérales des Etats.
4. Cf. la Résolution de 1934 de l’Institut de droit international (AIDI,
vol. 38, 1934, pp. 708-711), selon laquelle les représailles sont « des
mesures de contrainte, dérogatoires aux règles ordinaires des
droits des gens, décidées et prises par un Etat, à la suite des actes
illicites commis à son préjudice, par un autre Etat, et ayant pour
but d’imposer à celui-ci, par pression exercée au moyen de
dommage, le retour à la légalité ».
5. Pour plus de développements sur le régime juridique des
représailles, voir, entre autres, Y. De La Brière, « Evolution de la
doctrine et de la pratique en matière de représailles », RCADI, t. 22,
1928-II, pp. 237-294 ; K.J. Partsch, “Reprisals”, EPIL, vol. 9, pp. 331-
335 ; J.-C. Venezia, « La notion de représailles en droit international
public », RGDIP, t. 64, 1960-III, pp. 465-498 ; et L.-A. Sicilianos, Les
réactions décentralisées à l’illicite : des contre-mesures à la légitime
défense, LGDJ, 1990, 532 p.
6. Ch. Leben, Les sanctions privatives de droits, p. 104.
7. La qualification des mesures prises en vertu du chapitre vii de la
Charte comme étant des sanctions est controversée. La discussion
de cette question sera faite dans le premier chapitre du présent
ouvrage, lors de la présentation du système coercitif de la Charte.
Pour le moment, assumons que ces mesures peuvent être des
sanctions de violations d’obligations internationales.
8. D. Cortright, G. Lopez, The Sanctions Decade: Assessing UN
Strategies in the 1990’s, Lynne Rienner, 2000, 274 p. Voir également
les interventions des délégués de la France et de la Tunisie lors de
la 4 128e séance du Conseil de sécurité, consacrée à l’examen des
questions générales relatives aux sanctions (S/PV.4128, 17 avril
2000, respectivement pp. 8 et 19).
9. Pour une récente vue générale des mesures non militaires
imposées par les Nations Unies, voir V. Gowlland-Debbas,
“Sanctions Regimes under Article 41 of the UN Charter”, in V.
Gowlland-Debbas (éd.), National Implementation of United Nations
Sanctions: A Comparative Study, Martinus Nijhoff, 2004, pp. 3-31.
10. M. del L. Flores, “The Development of the United Nations
Charter and Implementation of Article 50”, in Prospects for Reform
of the United Nations System, International Symposium, Roma: 15-
17 May 1992, Italian Society for International Organization, Cedam-
Padova, 1993, pp. 159-176; G. L. Burci, “The Indirect Effects of
United Nations Sanctions on Third States: the Role of Article 50 of
the UN Charter”, AfYIL, vol. 2, 1994, pp. 157-171.
11. J. Carver & J. Hulsmann, “The Role of Article 50 of the UN
Charter in the Search for International Peace and Security”, ICLQ,
vol. 49 (3), 2000, pp. 528-577; B. H. Al-Khasawneh, “Consultation
under Article 50 of the United Nations Charter – the Experience of
the Middle East”, in V. Gowlland-Debbas (ed.), United Nations
Sanctions and International Law, Kluwer Law, 2001, pp. 325-333; W.
Czaplinski, “The Position of States Specially Affected by Sanctions in
the Meaning of Article 50 of the United Nations Charter – the
Experience of Eastern Europe”, in V. Gowlland-Debbas (ed.), ibid.,
pp. 335-347.
12. B. R Campbell & D. Newcomb (eds), The Impact of the Freeze of
Kuwaiti and Iraqi Assets on Financial Institutions and Financial
Transactions, Graham & Trotman, 1990, 353 p. ; B. Grêlon & C.
Gudin, “Contrats et crise du Golfe”, JDI, 1991, pp. 643-677 ; G.
Burdeau, « Les conséquences de la crise du Golfe sur les relations
économiques privées », in B. Stern (dir.), Les aspects juridiques de la
crise et de la guerre du Golfe, Cahiers de CEDIN, Montchréstien,
1991, pp. 415-472 ; G. Burdeau, « Les effets juridiques des
résolutions du Conseil de sécurité sur les contrats privés », in V.
Gowlland-Debbas (éd.), United Nations Sanctions, pp. 267-288 ;
A. Cissé, « Les effets des sanctions économiques de l’Organisation
des Nations Unies sur les contrats », in L. Forlati Picchio et L.-A.
Sicilianos (eds.), Les sanctions économiques en droit international,
Martinus Nijhoff, 2004, pp. 683-715.
13. Sur cette problématique, voir, entre autres, A. Novosseloff, Le
Conseil de sécurité des Nations Unies et la maîtrise de la force armée.
Dialectique du politique et du militaire en matière de paix et de
sécurité internationales, Bruylant, 2003, 660 p. ; L.-A. Sicilianos,
« L’autorisation par le Conseil de sécurité de recourir à la force :
une tentative d’évaluation », RGDIP, 2002 (1), pp. 5-50.
14. G. Scelle, « Règles générales du droit de la paix », RCADI, t. 46,
1933-IV, p. 692. L’italique est de l’auteur.
15. Dans les études en anglais, on rencontre souvent les termes
“collateral damages”, “unintended effects”, “secondary effects”, “side
effects”, etc.
16. Nous allons adopter la terminologie « effets secondaires » dans
cette étude. Elle nous paraît bien refléter l’idée d’effets qui n’ont
pas été voulus mais restent néanmoins inévitables, à l’instar par
exemple des effets secondaires des médicaments, qui sont toujours
présents mais doivent être réduits au minimum pour que le
médicament soit homologué.
17. Rapport du Secrétaire général, A/48/573 - S/36705, 8 nov. 1993.
18. P. ex., les communications de la Bulgarie et de l’Ukraine
(respectivement A/51/226-S/1996/595 et A/51/330-S/1996/7221) ainsi
que presque toutes les communications des Etats adressées au
Conseil de sécurité en vertu de l’article 50 de la Charte. La liste de
ces communications est donnée infra, Annexe 1.
19. Nous pourrons constater cela au gré des citations de ces
documents au chapitre ii de notre étude.
20. J. Delbrück, “International Economic Sanctions and Third
States”, AVR, 1992, vol. 30 (1), p. 94. Selon cet auteur, les seuls vrais
Etats tiers dans le cas des sanctions des organisations
internationales sont les Etats non-membres qui n’ont pas pris part
à l’application des sanctions, suite à l’invitation de l’Organisation.
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