Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
La faute à Disney ?
Plus que le changement d’époque, le vrai sujet serait celui du médium ? « L’adaptation par
un autre médium de l’image amène des changements, d’abord pour des raisons de langage.
On ne s’exprime pas pareil dans un film ou un livre », rappelle Jean-Paul Sermain. Et lire une
scène de viol n’a pas les mêmes implications que la voir. D’ailleurs, pour les plus petits, « il
est plus intéressant de leur lire les contes que de les envoyer au cinéma. Ils se font leur
propre représentation de l’histoire », avance Serge Larivée, professeur à l’Université de
Montréal et spécialiste du développement cognitif et métacognitif des enfants. Néanmoins,
Jean-Paul Sermain estime qu’« à l’écran, on a aussi de nombreux moyens de suggérer sans
montrer l’acte violent, avec des ellipses ». Mais c’est rarement le choix des réalisateurs, qui
préfèrent changer l’histoire, si bien qu'on peut se demander si cela ne relève pas d'un choix
idéologique de Disney.
« C’est une opinion commune dans les études sur Disney mais je remets un peu en cause ces
préjugés », commence Alexandre Bohas. Professeur en affaires internationales à l’ESSCA
d’Aix en Provence, il est l’auteur de l’essai Disney, Un capitalisme mondial du rêve (2010),
dans lequel il analyse la place (82,7 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2022) du
géant américain dans une civilisation mondiale des loisirs. Selon lui, les choix de Disney
s’expliquent par son adhésion à l’idéologie de Hollywood, « où on fait de l’entertainment. On
est dans un divertissement assumé. Donc altérer l’oeuvre pour augmenter les ventes est plus
facile puisque les producteurs assument qu’ils ne font pas de l’art ».
Quant aux liens entre le capitalisme et Disney, ils sont complexes. « Ce n’est pas tant le
capitalisme qui produit l’aseptisation des œuvres que ce que j’appelle les "affinités électives
entre Hollywood et le système capitaliste". Disons qu’il y a une capacité des œuvres
hollywoodiennes et de Disney à répondre au capitalisme consumériste. Le capitalisme est
prêt à financer plus vite des œuvres hollywodiennes, notamment avec des fins heureuses car il
est plus facile de vendre des imaginaires quand l’histoire finit bien », développe Alexandre
Bohas. Ces fins heureuses répondent toujours aux « attentes des parents ». Néanmoins, cette
logique peut entraîner la perte du « système immunitaire psychologique » des plus jeunes,
d’après Serge Larivée qui met en garde contre une « surprotection », laquelle serait
susceptible de priver complètement le conte de son « expression universelle qui traverse
l'espace et le temps, donc aussi les cultures », comme le définissait l’enseignant Jean-Claude
Denizot dans Structure des contes et pédagogie (1995).