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Cancer du sein :
l’intelligence artificielle bientôt
meilleure que le radiologue ?
A
vec environ 54 000 nouveaux cas et 12 000 décès par
an, le cancer du sein se situe au 2e rang des cancers et
au 3e rang de la mortalité par cancer. C’est le cancer
le plus fréquent chez la femme en France1. Il y a deux ans, la
société Therapixel, fondée par Olivier Klatz et Pierre Fillard,
décide de se lancer dans la fabrication d’un logiciel d’intelli-
gence artificielle. « On s’est essayé sur ces nouvelles technolo-
gies, simplement avec l’idée de voir ce que l’on était capable de
faire, raconte Pierre Fillard. Nous avons d’abord travaillé sur
deux thématiques : la détection de nodules dans le poumon et
L’essentiel la détection de cancers dans les mammographies ». Plusieurs
C’est l’histoire d’une (r)évolution dans le monde du
challenges internationaux sont lancés à ce moment-là pour
diagnostic des cancers du sein. L’intervention de logi-
tester l’efficacité des logiciels d’IA de start-up du monde entier.
ciels d’intelligence artificielle (IA) va bouleverser le pay-
Le résultat est plus qu’encourageant pour la jeune société fran-
sage de la science diagnostique, au point d’éveiller des
çaise : cinquième place au challenge Kaggle2 sur la détection du
inquiétudes. Plongée dans cet univers aux frontières
cancer du poumon et première place (avec un million de dol-
mouvantes et aux enjeux gigantesques avec Thera-
lars à la clef) pour le Digital Mammography Dream Challenge,
pixel, une jeune start-up spécialisée dans la détection
des cancers du sein.
Mots clés : intelligence artificielle (IA), 1- Chiffres 2015 de l’Institut national de veille sanitaire : invs.santepubli-
quefrance.fr
mammographie, diagnostic, radiologie, taux de 2- Le site web Kaggle (www.kaggle.com) organise des challenges de data
sensibilité, taux de spécificité, algorithmes, FDA, science. Régulièrement, il propose à des communautés de travailler sur des
machine learning, tomosynthèse. données, avec des récompenses à la clef (1 000, 5 000 dollars, des bons pour
avoir des cours en ligne, etc.)
qui réunissait 1 200 participants. « Nous nous sommes alors machine a "vu" tellement de cas qu’elle arrive à construire elle-
dit qu’on avait une bonne combinaison de savoir-faire en ima- même un arbre de décision pour dire si le cas est bénin ou
gerie médicale et en connaissance sur le machine-learning », malin, avec des performances hautement supérieures ».
constate modestement Pierre Fillard. Aujourd’hui, la détection Pour le logiciel développé par Therapixel, l’ambition est double :
de cancers du sein est le seul et unique objectif de la start-up, à la fois, ne rater aucun cancer et ne pas « surpositiver » des
une spécificité dans le monde du diagnostic peuplé de boîtes femmes, c’est-à-dire les inquiéter inutilement pour une ano-
polyvalentes (Arterris aux États-Unis, l’Israëlien Zebra, Owkin malie dans l’image qui s’avère être bénigne après examen
en France, ScreenPoint Medical aux Pays-Bas…). complémentaire et biopsie. Ce « taux de spécificité » est en
moyenne de 89 % en France (11 cas sur 100 sont donc des faux
L’IA, une rupture technologique ? positifs) et le taux de sensibilité (le nombre de cancers détec-
Aujourd’hui, et depuis déjà de nombreuses années, les radio- tés) est d’environ 87 %. « C’est une très bonne performance,
logues disposent de logiciels (baptisés CAD pour Compu- constate Pierre Fillard, mais nous aimerions dépasser ce taux.
ter Aided Diagnosis) qui les aident dans leur processus de Avec notre algorithme, nous sommes actuellement à 84 % de
décision (cf. l’interview du Pr Isabelle Thomassin Naggara sensibilité et 89 % de spécificité, mais avec les partenariats que
en page 34). Ces genres de « Photoshop de la radiologie » nous créons actuellement avec les centres de soins pour récupé-
ont cependant leurs limites. « L’ancienne génération d’algo- rer des données et les avancées méthodologiques que l’on met en
rithme, explique Pierre Fillard, se basait surtout sur le feature place, nous avons bon espoir de dépasser ces taux pour égaler
engineering qui s’interroge sur les aspects que l’on recherche les taux de performance des meilleurs radiologues français ».
dans l’image : des zones un peu plus contrastées, un peu plus
rondes, des contours pas très nets, par exemple. Ce système
créait beaucoup de "faux positifs", c’est-à-dire que beaucoup Égaler les taux de performance
d’alertes ressortaient dans l’image et il fallait faire ensuite le des meilleurs radiologues français.
tri. Aujourd’hui, les algorithmes sont nourris de données. La
sommes actuellement en levée de fonds, ce qui nous permettra fait intellectuel, en montrant au radiologue que grâce à notre
de consolider notre équipe, de l’agrandir, pour poursuivre le algorithme, il va gagner en productivité et gagner au final plus
plan de développement qui va avec, révèle Pierre Fillard. C’est d’argent. Cela représente une vingtaine de dollars par rapport
une véritable course et la compétition est forte ! Embaucher à ce forfait intellectuel. Les mutuelles vont comprendre que
des data scientists coûte cher, ce sont des recrues qui valent de l’IA est là pour faire gagner en productivité et vont sans doute
l’or, et qui sont payées en conséquence. Chez Google, un data réduire le forfait intellectuel sur certaines pratiques. Il nous
scientist qui a une thèse et qui est capable de faire du machine faut donc anticiper un ajustement de marché. C’est un équi-
learning va débuter avec un salaire d’environ 150 000 euros/ libre délicat à trouver, pour que l’innovation soit rentable et
an. Nous proposons de bons salaires, mais nous ne sommes pour ne pas apparaître comme les grands méchants qui, par
pas capables de payer une telle somme. Aussi, nous avons leurs innovations, sont responsables de la réduction des forfaits.
d’autres moyens de rémunérer nos équipes, comme des incen- La problématique est sensiblement la même en France… ».
tives ou des stock-options, et nous avons la chance de tra- Même si certains radiologues pourraient la déplorer, la poten-
vailler avec des personnes qui veulent travailler sur des thé- tielle réduction prochaine des forfaits est un bon indicateur
matiques qui vont marquer leur temps et qui ont du sens, des progrès permis par les logiciels d’intelligence artificielle :
dans notre cas qui vont permettre à des femmes d’être moins un meilleur diagnostic, moins de biopsies inutiles, moins
malades ». d’examens complémentaires, moins d’affolement aussi pour
Parallèlement à la recherche de fonds, particulièrement chro- les patientes avec la diminution des faux positifs… Les pro-
nophage pour une entreprise de douze salariés, Therapixel messes de cette innovation en marche sont nombreuses. Dans
travaille sur la modalité de remboursement de son produit de la course actuelle à l’innovation, Pierre Fillard a déjà le regard
santé. « Pour lancer notre produit aux États-Unis, nous cali- tourné vers « le coup d’après. On pense aujourd’hui à la tomo-
brons le prix en fonction du remboursement du radiologue, synthèse. Cette technique d’imagerie médicale est en train de
confie Pierre Fillard. Aux États-Unis, il existe un forfait tech- devenir la norme aux États-Unis. Il nous faut donc arriver très
nique (qui regroupe le coût d’acquisition de la machine, sa vite avec notre produit, qui sera peut-être désuet dans 4 ou 5
maintenance, la manip radio) et un forfait intellectuel qui cor- ans. Pendant ce temps-là, nous travaillerons sur la tomosyn-
respond à ce que le radiologue touche dès qu’il fait une relec- thèse pour améliorer encore la performance du dépistage du
ture d’examen. L’idée est de prendre environ 20 % de ce for- cancer du sein ». ■