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Benoît DIRAT : 40010784

Roman LUKAS : 41008447


Exposé 7 novembre 2023

Toujours pas de Chrysanthèmes pour les variables lourdes de la participation électorale

I. L’ Étude des données statistiques de l’Insee, une base de travail solide pour
expliquer l’abstention

A. Remise en cause des déterminants sociologiques pour expliquer la hausse de l’abstention

B. Méthode pour déterminer le poids des déterminants sociaux sur la participation électorale

C. Les Enquêtes participation électorale de l’Insee et la mesure des écarts de participation

II. Les analyse de régression pour déterminer le risque de l’abstention

A. Les facteurs les plus prédictifs de l’abstention

B. Le poids des variables lourdes augmente avec la hausse de l’abstention

C. Progression de l’abstention et augmentation des inégalités sociales de participation électorale


entre 2007 et 2017

Benoît Dirat, Roman Lukas


INTRODUCTION
L’acception commune considère le « vote » en France comme un acte libre et indépendant.
À quoi est-elle dû ? Certainement aux modalités de son exécution. Un jour d’élection, un citoyen se
rend à son bureau de vote et formule un choix à l’aide d’un bulletin de vote. Rien n’oblige cet acte
supposé démocratique : chaque citoyen est libre de se rendre ou non aux urnes et une fois dans
l’isoloir, l’apparence de liberté est renforcée par la dimension secrète du vote. Ce dernier paraît alors
être un acte libre, du moins dans sa forme. Car cette acception commune tient pour partie au fait
que l’on considère en premier lieu le vote comme un acte d’expression démocratique librement

exécuté et non comme l’aboutissement d’un processus antérieur à l’acte en lui-même que l’on

nomme « socialisation ». En effet, comme nous l’avons étudié à la séance 5, le vote doit être

replacé historiquement comme le fruit d’une construction sociale qui en fait un acte avant tout
collectif1. Ainsi, les auteurs de notre article mettent en avant l’influence des déterminants sociaux
quant au choix de l’abstention des individus. Ils se demandent également si cette influence peut être
remise en cause par la hausse marquante de l’abstention aux élections présidentielles et législatives
de 2017. Existe-t-il donc de nouvelles causes à l’abstention? Le modèle sociologique de
l’abstention est-il toujours aussi pertinent pour l’expliquer ?
Afin de mieux saisir la portée sociologique de ce texte, il convient d’en présenter ses auteurs.
Jean-Yves Dormagen, professeur de science politique à l'Université de Montpellier et à l’ENS, est

président fondateur du laboratoire d’étude de l’opinion, Cluster17 et ses recherches portent


principalement sur les questions de participations électorales. Baptiste Coulmont est professeur de
sociologie à l'École normale supérieure Paris-Saclay et maître de conférences à l’Université Paris
VIII où il enseigne les méthodes de la sociologie, la sociologie des religions et la sociologie des
sexualités. Céline Braconnier est professeure de science politique et directrice à l’Institut d’études
politique de Saint-Germain-en-Laye. Ses travaux sont orientés vers la sociologie des
comportements électoraux et a collaboré à plusieurs reprises avec Jean-Yves Dormagen sur ce sujet.
Dans cet article, les auteurs fondent leur recherche sur des tests empiriques, basés sur des études
statistiques issues des enquêtes INSEE. Par ailleurs, en utilisant l’analyse de régression, les auteurs
peuvent déterminer différentes variables et donc déterminer le risque d’abstention de différents
profils. En s’appuyant pour partie sur les travaux de Daniel Gaxie et de Alan Zuckerman, ils mettent
en avant le contexte social des individus. Nous remarquons ainsi que nos auteurs sont de l’école

1 Nicolas Tardits cours de travaux dirigés en Science Politique à Paris X


Benoît Dirat, Roman Lukas
déterministe puisqu’ils conçoivent les modalités de l’abstention uniquement selon la nature de la
socialisation des individus.
Nous proposons la problématique suivante. Est-ce que le vote est une acte libre après la prise en
compte des déterminants sociaux des individus ?
Pour répondre à cette interrogation, nous procéderons en deux temps. Nous verrons dans une
première partie en quoi l’étude des données statistique de l’Insee peut constituer une base de travail
solide pour expliquer l’abstention. Puis dans une seconde partie nous nous intéresserons aux
analyses de régressions produites par les auteurs et permettant de déterminer les risques
d’abstention.

A. Remise en cause des déterminants sociologiques pour expliquer la hausse de


l’abstention

Tout d’abord, il faut poser le constat de « la séquence électorale du printemps 2017 » qui se
caractérise par des taux élevés d’abstention. En effet, pour la première fois depuis 1969, le taux
d’abstention au second tour de l’élection présidentielle égalise les 25,4% de l’affrontement Poher-
Pompidou. Pour la première fois aussi à des élections législatives, le camp des abstentionnistes est
également plus nombreux que celui des votants avec 51,3% d’abstention dès le premier tour. Même
constat pour les législatives 2022 avec 52,5% d’abstention. Si l’on compare ces données sur la
décennie 2007-2017, cette augmentation est encore plus flagrante car ce taux grimpe de presque 10
points pour les présidentielles et de 17 points pour les législatives.
Dès lors, la pertinence du modèle « sociologique » et des déterminants sociaux qui l’accompagne
pour expliquer les comportements électoraux est questionnée. On distingue trois types de
comportements électoraux : l'abstention systématique ; les électeurs intermittents et les électeurs
systématiques. La séquence électorale de 2017 crée ainsi un précédent en raison du vote intermittent
devenu majoritaire avec 50,8%.
Comment expliquer cette hausse de l’abstention autrement que par l’affaiblissement des
déterminants sociaux relatifs à la participation électorale ?

B. Méthode pour déterminer le poids des déterminants sociaux sur la participation


électorale

Pour répondre à cette interrogation, les auteurs prônent la réalisation d’un test empirique à partir de
l’enquête de participation de l’Insee qui permet de suivre le « comportement des inscrits sur les

Benoît Dirat, Roman Lukas


listes électorales » ; « d'étudier la participation selon différents critères sociodémographiques, mais
aussi d'observer l'intermittence du vote. Il s’agit dans un premier temps de « vérifier si les facteurs
traditionnels de l’abstention conservent, ou non, un fort pouvoir explicatif ». Puis de « contrôler
[…] si la progression de l’abstention est porteuse, ou non, d’un affaiblissement des déterminants
sociologiques de la participation ».

C. Les Enquêtes participation électorale de l’Insee et la mesure des écarts de


participation

L’enquête objective de participation de l’Insee présente cinq avantages. Le premier est la « garantie
de la représentativité de la population électorale par le fait que les individus sont directement
sélectionnés par tirage au sort » depuis L’Échantillon démographique permanent (EDP) qui est un
panel socio-démographique constitué de cinq sources dont celle du recensement.
Le second avantage de cette enquête est la « grande taille des échantillons » qui permet « une bonne
puissance statistique ». Le troisième est la richesse des informations disponibles sur chacun des
individus composant échantillon. Le quatrième avantage réside dans le fait que les données
recueillies reposent exclusivement sur des bases administratives et non déclaratives comme pour les
sondages, ce qui peut fausser l’enquête. Enfin, le cinquième avantage est le fait que cette méthode
permet une « approche longitudinale » c’est-à-dire l’étude d’un phénomène électoral dans le temps.
Néanmoins l’EDP peut perdre en fiabilité car les données du recensement issues de l’Enquête
annuelle de recensement (EAR) ne sont en réalité disponibles que tous les cinq ans depuis 2004.
Ainsi, l’enquête électorale de 2007 se trouve en partie faussée par ses données issues du
recensement de 1999. La prochaine EAR, disponible en 2025 devrait être suffisamment récente
pour permettre une Enquête participation de l’Insee précise pour la séquence 2026.
Même si l’enquête de participation reste dans l’ensemble une analyse fiable des comportements
électoraux, les déterminants électoraux peuvent perdre de leur poids pour expliquer l’abstention en
raison du décalage entre le moment du recueil de certaines données et la réalisation de l’enquête.
Lorsqu’il s’agit d’étudier les inégalités sociales de la participation électorale pour la séquence 2017,
d’importantes différences de participation apparaissent en fonction de l’âge ; du diplôme ; de la
PCS et du niveau de vie. C’est ce que l’on nomme l’étude des écarts de participation. Concernant
l’âge, les plus abstentionnistes sont les plus de 85 ans avec 42,7% tandis que les 40-69 ans se
situent aux alentours des 14%. De la même manière, le niveau d’étude semble jouer un rôle
déterminant avec 11,4% d’abstention pour les détenteurs d’un BAC+5 contre 37,6% pour les non-

Benoît Dirat, Roman Lukas


diplômés. On retrouve cette même logique dans les différentes catégories socio-professionnelles
avec près de 24% d’abstention chez les ouvriers contre 11% chez les cadres. Face à ces résultats,
l’enquête de 2017 démontre une nouvelle fois que les classes populaires ont plus de risques de
s’abstenir que les classes supérieures ce qui laisse supposer que le vote n’est pas nécessairement un
acte libre pour tous.
« Les propriétés de l’entourage immédiat des électeurs » joue également un rôle crucial dans le
déterminisme électoral car les « les conjoints sont les principaux partenaires de discussion politique
[…] et possèdent également des profils de participation modérément similaires. »2
La participation des électeurs dépend ainsi pour partie de leur situation matrimoniale. On retrouve
alors par ordre décroissant de participation : les pacsés ; les mariés ; les divorcés et enfin les veufs.
Le « mode de cohabitation » doit aussi être pris en compte. Par exemple, les individus vivants
« hors ménage » sont les plus abstentionnistes avec 53,7% d’abstention au premier tour de la
présidentielle. À l’inverse, les couples vivant avec enfant ont des taux proches de 13%.

II. Les analyse de régression pour déterminer le risque de l’abstention

A. Les facteurs les plus prédictifs de l’abstention

Ainsi, la mesure des écarts ne suffit pas à prouver qu'il existe des variables mesurant la
participation électorale. Les personnes fréquemment abstentionnistes peuvent être, comme nous
l’avons évoqué, surreprésentées dans les enquêtes. Les auteurs proposent donc un modèle de
régression qui cherche à établir une variable binaire à deux codes pour identifier : la personne qui a
voté et celle qui ou la personne n'a pas voté. La régression logistique est utilisée dans les statistiques
pour effectuer des prédictions ou pour des classifications3, comme c’est ici le cas. Ce modèle
permet d'identifier les effets des facteurs étudiés sur l'abstention et de dessiner les profils-types des
votants et des non-votants. La variable binaire repose sur six variables « lourdes » : le genre, l'âge,
la PCS, le niveau d'études, le statut matrimonial, le mode de cohabitation et deux autres variables
dites « explicatives »: la qualité d'immigré et celle permettant de distinguer les bien inscrits des
mal-inscrits. Huit variables permettent donc d'identifier la variable binaire. Pour pouvoir visualiser
ce modèle par un tableau, les auteurs ont choisi un profil type : être un homme, être cadre, avoir
entre 60 et 64 ans, avoir un niveau d'études bac + 5, être marié, être en couple avec des enfants,

2Laura Stoker, Kent Jennings, « Life-Cycle Transitions and Political Participation: The Case of Marriage »,
American Political Science Review, 89 (2), 1995, p. 421-433:

3 Manuel Insee 2016/01 Le modèle Logit, Théorie et application p. 7


Benoît Dirat, Roman Lukas
être bien-inscrit sur les listes électorales et ne pas être immigré4. Après analyse de régression, un tel
profil a 6,1 % de risque d'abstentionnisme au premier tour de l'élection présidentielle. Les auteurs
constatent que même si toutes les variables sont considérée égales, elles ont toutefois un impact très
inégal sur la participation électorale.
L'analyse de régression permet aussi de constater que le niveau d'étude et l'âge sont les plus grands
déterminants de l'abstention. Si la personne n'a aucun diplôme, son risque d'abstention s'élève à
presque 17 points. Tandis que le passage de cadre à ouvrier n'augmente que de 1,7 point les risques
de s'abstenir. Les auteurs constatent donc que les disparités dans la participation des différentes
classes sociales résultent principalement des inégalités en matière d'éducation et possiblement des
inégalités en matière d'engagement politique5 également. L'analyse de l'âge comme facteur de
l'abstention est, lui, plus complexe. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il y a plus
d'abstention chez les plus âgés que chez les plus jeunes. Les auteurs constatent qu’être jeune n'est
pas nécessairement un facteur d'abstention au premier tour des élections présidentielles. La raison
de l'abstention chez les jeunes est en réalité le plus souvent la mal-inscription, mais aussi le facteur
contextuel de la monoparentalité.
À la lumière de ces analyses, nous pouvons donc à nouveau affirmer que le vote n'est pas un acte
libre car l'analyse de régression confirme que les facteurs démographiques, sociaux et contextuels
exercent toujours une influence déterminante sur les chances de participation électorale6.

B. Le poids des variables lourdes augmente avec la hausse de l’abstention

Quand nous observons la hausse de l'abstention dans les autres élections, nous remarquons
également une progression des inégalités sociales de participation électorale et non leur disparition.
Il n'y a donc pas de nouvelles raisons pour expliquer l'abstention. Les analyses de régression le
démontrent par l'élargissement du modèle au deuxième tour de l’élection présidentielle et aux deux
tours des législatives en gardant le même modèle de référence. La modélisation démontre donc qu'il
y a une progression de l'abstention entre présidentielles et législatives avec différentes évolutions
des facteurs de l'abstention démontrées par les variables. L'âge n'est pas forcément un facteur

4 Céline Braconnier, Baptiste Coulmont, Jean-Yves Dormagen Toujours pas de Chrysanthèmes pour les variables
lourdes de la participation électorale dans Revue française de Science politique 2017/6 Vol. 67 p.1031

5 Daniel Gaxie Le cens caché. Inégalités culturelles et ségrégation politique. Paris, Seuil, 1978.

6 Céline Braconnier, Baptiste Coulmont, Jean-Yves Dormagen Toujours pas de Chrysanthèmes pour les variables
lourdes de la participation électorale dans Revue française de Science politique 2017/6 Vol. 67 p. 1035
Benoît Dirat, Roman Lukas
d'abstention dans les élections présidentielles, mais en devient un pour les législatives et s’impose
comme la variable la plus prédictive de l'abstention pour ce type d’élection.

C. Progression de l’abstention et augmentation des inégalités sociales de participation


électorale entre 2007 et 2017

Pour démontrer encore l'accroissement des inégalités sociales dans les élections, les auteurs
mesurent les évolutions des écarts de l'abstention entre la classe des gens les plus abstentionnistes
(24-29 ans) et les moins abstentionnistes (65-69 ans), les écarts entre les ouvriers et les cadres, et
finalement entre les bacheliers et les diplômés de l'enseignement supérieur. Après l'étude des écarts
qui peuvent aller jusqu'à 40 %, les auteurs constatent à nouveau que plus l'intensité du scrutin se
réduit et plus les propriétés sociales des électeurs deviennent déterminantes dans leur chance de
participation électorale7.

CONCLUSION
Si la hausse de l’abstention remettait en cause les déterminants sociologiques de celle-ci,
apparaitrait alors la question du développement de nouveaux comportements électoraux et de
raisons plus politiques à l’abstention. Or, en étudiant les données statistiques de l’Insee et en
utilisant le modèle de l’analyse de régression, les auteurs démontrent que la hausse de l’abstention
n’est pas la preuve d’une baisse des raisons sociologiques de l’abstention. C’est bien le contraire.
En effet, les déterminants sociaux conservent un fort pouvoir d’influence dans un contexte de faible
participation et même si ces derniers viennent à s’affaiblir dans un contexte de forte participation,
ceux-ci détiennent encore toutes leurs propriétés d’influence pour exprimer les inégalités sociales
de la participation électorale. Le vote n’étant pas un acte libre en raison de la soumission de
l’électorat à ses déterminants sociaux, un danger apparaît. Celui d’une manipulation possible du
corps électoral par un corps politique aux discours populistes.

7 Céline Braconnier, Baptiste Coulmont, Jean-Yves Dormagen Toujours pas de Chrysanthèmes pour les variables
lourdes de la participation électorale dans Revue française de Science politique 2017/6 Vol. 67 p.1038
Benoît Dirat, Roman Lukas

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