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Semestre automne 2021

Comportements
Politiques
Université de Lausanne

Ariana M.C
05/09/2021
Comportements politiques Robin Freymond

Comportements politiques

Partie I : Les comportements politiques : définitions,


transformations, significations.

Chapitre 1 : la participation politique revisitée


A. L’évolution de la définition de la participation politique

1. Comportements politiques conventionnels et non conventionnels

La notion de comportement se différencie de la notion de for intérieur. Il s’agit


d’actes manifestes d’un individu par opposition à son for intérieur (ses croyances,
ses attitudes, ses pensées). Exemple de participation politique : le vote, la
manifestation, l’émeute, le port du voile. Toute action humaine peut être politisé
par son auteur ou les observateurs. La définition du politique est un enjeu de lutte.
P. Favre, plutôt que de déterminer de quel objet doit traiter la science politique,
s’est penché sur ce qu’a étudié la science politique : Pourquoi la science politique
définit comme « politique » un objet à un moment donné ?

Avant les 50`s : uniquement le vote


50-70 : formes de participations conventionnelles : ajout de la participation à une
campagne électorale, à un meeting, contribution financière à un parti.
Voir pyramide de Milbrath.

Activités de gladiateurs Exercer une fonction politique


Porter sa candidature
Chercher des financements politiques
Devenir membre actif d’un parti
Consacrer du temps à un campagne
politique
Activités de transition Assister à un meeting politique
Faire une contribution financière à un
parti/candidat
Contacter un haut fonctionnaire/leader
politique
Activités de spectateur Badge, auto-collant sur une voiture
Essayer de convaincre quelqu’un de
voter d’une telle manière
Voter
Commencer une discussion politique

Apathiques Littéralement inconscient et passif de la


situation politique qui les entoure

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Environ 1/3 de la population américaine adulte seraient apathiques (Milbrath,


1965)

Environ 60% jouent un rôle de spectateur : ils regardent, assistent, votent mais ne
se battent pas.

Les formes d’actions non conventionnelles ne sont pas prises en compte (actions
violentes, manifestations). Milbrath par exemple, exclut les manifestations, jugées
illégitimes.
Dans les années 70 : les actions non conventionnelles sont incluses. Ces formes
d’actions protestataires gagnent en légitimité (en raison notamment)
Alors que les manifestations étaient considérées comme des comportements
irrationnels, les analystes commencent dans les années 70, grâce à la mobilisation
des ressources, à considérer les manifestations comme des comportements
rationnels. Normalisation de la manifestation.
Avancée des techniques de recherches :
-Arrivée des sondages
-Notion de potentiel protestataire : Approuve/désapprouve-t-on les
manifestations
-Le fait de l’avoir utilisé (la manifestation), de penser qu’on le ferait ou ferait peut-
être, ou ne le ferait jamais

La mobilisation des ressources : naissance dans les années 70, période phare de
nombreux mouvements sociaux.

Années 90 : arrivée de nouvelles méthodes : Individuals surveys in Rallies (INSURA)


Sondages dans les manifestations.

2. Des comportements dirigés vers les autorités ?

Définition plus récente. Comprend ceux qui ont des actions envers non seulement
l’Etat mais d’autres structures sociales (ex : la grève ou le boycott d’une
entreprise).
Définition de Tilly pour les mouvements sociaux.
« Série continue d’interactions entre les détenteurs du pouvoir et ceux qui les
défient (ceux pouvant prétendre s’exprimer au nom d’un groupe dépourvu de
représentations formelles) ».
Idée que dans les sociétés démocratiques, les mouvements sociaux permettent de
représenter ceux qui ne sont pas représentés (idée que les élites jouissent de la
démocratie).

Groupe d’intérêt : « organisation constituée qui cherche à influencer les pouvoirs


politiques dans un sens favorable à son intérêt ».
Affrontement entre certains groupes d’intérêts avant de s’adresser à l’Etat
(mouvements avortement/anti avortement), message au public (mobilisation pour
le climat)

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Quid des communautés, des mouvements mutualistes ?

Définitions plus larges

Sur les groupes d’intérêt : « Entité cherchant à représenter les intérêts d’une
section spécifique de la société dans l’espace public »

Sur les mouvements sociaux : « entreprises collectives pour établir un nouvel ordre
de vie » (actions pas seulement dirigé contre l’Etat, mais aussi l’opinion public,
contre d’autres groupes, pour d’autres groupes, pour soi)

Aberle : travail sur les Indiens Navaho (The Peyote Religion). Il propose une
typologie suivante : est-ce que le changement est limité (concerne seulement la
question des normes/règles) ou radical (valeurs du système social), vise l’individu
ou la structure sociale

Changement limité Changement radical


Individu Mouvements sociaux Mouvement sociaux
alternatifs (Alcooliques rédempteurs (Sectes,
anonymes) mouvements religieux)
Structure sociale Mouvements sociaux Mouvements sociaux
réformateurs (Syndicats) révolutionnaires
(Millénaristes,
Messianiques)

Historiquement : tendance des mouvements sociaux à une politisation (messages


adressés à l’Etat)

La participation politique doit-elle être dirigée contre l’Etat pour qu’il s’agisse d’un
comportement politique ?

3. Des comportements visibles ? La question des résistances


Albert Hirschmann : Exit, Voice, Loyalty. Basé sur le modèle des consommateurs
face au dysfonctionnement des firmes. Modèle appliqué au mécontentement
politique

La défection : silencieuse, non-renouvellement de l’adhésion, changement

La loyauté : acceptation de la situation

La prise de parole : expression d’un mécontentement

En règle générale : la loyauté et la prise de parole sont considérées comme des


formes d’actions politiques. Mais certains chercheurs ont montré que l’exit est
aussi une forme d’action politique (de résistance)

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James Scott : Zomia, ou l’art de ne pas être gouverné. Territoire de l’Asie du Sud-
Est. Ces zones montagneuses sont inaccessibles pour le contrôle de l’Etat. Fuite des
habitants. Contre l’idée que le nomadisme et la culture orale seraient primitifs.
Scott démontre que l’exit peut avoir un sens politique (fuite et résistance à
l’emprise étatique). On peut considérer que la migration est un comportement
politique (enjeu politique : réfugié politique ou migrant économique).

James Scott : derrière la loyauté apparente peut exister des formes de résistances
cachées (infra-politique), une dissidence silencieuse, la résistance par le bas.
L’étude des comportements politiques ne prend en compte que les formes de
comportements visibles et non soumis à la répression.
The weapons of the weaks. Travail sur un village malais, sous l’effet de la technique
(arrivée de la technologie), il y a un bouleversement du village.
Les romanciers ont valorisé 2 figures du paysans (le valeureux et le minable). Scott
montre que derrière la déférence des paysans se tisse une résistance (commérage
sur les puissants, valeur de solidarité pour arracher aux riches l’aumône, larcins qui
vise uniquement les privilégiés, chute du rendement quand ils sont embauchés par
un riche, sabotage, absentéisme).
Le mérite de Scott : rendre visible la protestation là où elle était inaperçue par
ethnocentrisme.

Conclusion de Scott

• Les pauvres n’ont souvent pas d’autres choix que de se courber et de ruser
• Même s’ils sont apparemment soumis, ce n’est pas pour autant qu’ils
considèrent la situation comme juste
• Résistance symbolique est à la base d’une forme de résistance matérielle
cachée mais aussi le préalable à des mobilisations collectives lorsque
l’étau se relâche

Critique de Scott comme vision populiste/misérabiliste

• Le misérabilisme : dérive du légitimisme, où l’on considère que la culture


des dominants s’impose aux dominés, par conséquent les catégories
populaires sont exclues et consentent à la domination. Idée que les cultures
populaires sont des cultures dominées. Culture dominée perçue qu’en
terme de manque par rapport à la culture dominante. Réduction du
populaire à une posture éternellement souffrante et dominée.
• Ex : Bourdieu dans la Distinction, fait preuve de misérabilisme de classe en
soulignant la privation (dans le choix de nourriture des classes populaires),
il nie la culture en soi des classes populaires.
• Le relativisme culturel : idée que chaque groupe social a son arbitraire
culturel.
Le populisme : dérive du relativisme culturel, inversion et sacralisation des
valeurs culturelles populaires, forme paradoxale de mépris de classe (on
proclame l’excellence du vulgaire), on nie les rapports de domination.
Populisme : célébration naïve et exagérée du génie populaire.

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• L’ethnocentrisme de classe : amène au racisme de classe.

Voir Grignon/Passeron : Le savant et le populaire.


2 critiques faites à Scott
1. La résistance populaire à la domination symbolique est marquée par la
domination. La culture populaire est bien plus riche dans les moments
d’oubli de la domination que dans la résistance à la domination. Magnifier
la résistance populaire fait passer à côté d’une compréhension de la culture
populaire en tant que telle.
2. La résistance symbolique est simplement une soupape qui permet la
perpétuation de la domination. La résistance symbolique ne prépare pas la
résistance politique contrairement à ce que pense Scott.

Cours du 25 septembre 2019

Auto-réductions (non-paiement du ticket de métro, du cinéma) dans l’Italie des


années 70’s : parallèle avec Scott.

Scott établit un lien entre le sens de la justice populaire et une foule de


pratiques (chapardage de bois dans les forêts). Les catégories dominées estiment
ces pratiques comme légitimes.

Thompson conceptualise l’économie morale de la foule (vol de grain sur les


marchés) explique que cela correspond à un sens moral d’une foule qui estime
légitime ce vol du grain devenu trop cher (il va contre l’idée que les dominés
estimeraient leur sort « juste »).

B. Le continuum de la participation politique

1. Partis, associations, groupes d’intérêt : des différences ?

Est-ce que ceux qui votent sont les mêmes que ceux qui manifestent ?
Est-ce que les ressources nécessaires pour participer sont les mêmes pour les
différents types de participations (quelles ressources pour manifester, voter, faire
du lobbyng) ?

Est-ce qu’il y a une évolution des participations au cours de sa vie ?

Analyse historique.

1901 : Parti radical en France, SFIO en 1905. C’est seulement en 1958 (VI) que les
partis sont institutionnalisés.

En Suisse, les partis nationaux apparaissent à la fin du XIX entre 1882 et 1892 sur
la base des sociétés du XIX. PS (1888) ne devient un véritable parti qu’en 1901
(Réunion avec la Sté du Grütli).

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2. Les définitions sociologiques

Les groupes d’intérêts vs Les mouvements sociaux : quelles différences ?


L’organisation (formelle pour les groupes d’intérêts, série d’actions)

Idée des mouvements sociaux comme groupes dominés.

Concernant l’organisation : degré d’organisation des groupes d’intérêts parfois


surestimés et degré des mouvements sociaux parfois sous-estimés (des
mouvements sociaux sont très organisés).

La question des groupes dominés : la définition de Tilly pose une opposition


irréaliste entre les mouvements sociaux et ceux qui les combattent. On peut être à
la fois dominant et dominé selon son réseau d’interdépendance. Des dominants
utilisent ce mode d’action (la manifestation des avocats).

La différence entre partis et groupes d’intérêts

Almond : « les groupes d’intérêts articulent les demandes politiques de la société,


les partis tendent à être exempts de rigidité idéologique et agrègent les intérêts
(recherche de la plus large coalition possible) »

Les groupes d’intérêts sont des intérêts spécifiques vs les partis sont des
représentations générales et transclassistes (recherche du pouvoir)

Ex : les Verts sont-ils un parti politique ou un groupe d’intérêt ?

Avant son institutionnalisation politicienne, les Verts étaient un mouvement social.

Le Labour : idem (parti politique ou mouvement d’ouvriers syndiqués ?)

La question des trajectoires des organisations : comment passe-t-on de groupe


d’intérêt à parti politique ?

Modèle de H.Kriesi

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Un mouvement social peut se convivialiser (cercles de sociabilité, mutuelles), se


commercialiser (services, librairie), s’institutionnaliser (parti politique, groupe
d’intérêt), se radicaliser (mobilisation politique).

- Services : ex : imprimeries, maisons d’édition

- Self-help : mutuelles, coopérative

- Représentation politique : ex : le Medef

- Mobilisation politique : coordination infirmière

Est-ce que ceux qui votent sont les mêmes que ceux qui manifestent ?

Idée d’un continuum, d’un lien entre les différentes formes. Plus une personne
s’engage en politique, plus elle élargit son répertoire des formes d’action politique.

A la fin des années 60, le recours aux modes d’action protestataire (manifestation,
grèves non autorisées, boycott) s’est développé.
Le mode le plus utilisé : la manifestation car c’est une continuité entre le mode
conventionnel/non conventionnel. Elle a acquis une légitimité (elle est encadrée)
et s’avère un mode charnière. On constate que les manifs ont été de plus en plus
accepté, et généralement plus accepté par les jeunes.

Plus on participe conventionnellement et plus on manifeste (ce qui invalide l’idée


que si l’on se désintéresse des pratiques conventionnelles on s’intéressera plus
facilement à des pratiques non conventionnelles).

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Est-ce que les ressources nécessaires pour participer sont les mêmes pour les
différents types de participations (quelles ressources pour manifester, voter, faire
du lobbyng) ?

3. Ressources et formes de participation politique

Les facteurs de participation politique : sexe, âge, niveau de diplôme, activité,


profession, revenu, patrimoine, nationalité du père, situation conjugale, religion,
proximité associative/syndicale, perception/intérêt pour la politique.

4. Le cycle de vie et formes de la participation politique

Anne Muxel parle d’une entrée différée en politique.


Le moratoire politique des années jeunesse « temps d’accumulation et de
concentration d’expérience ». Les jeunes entre 20 et 30 ans se cherchent
socialement et politiquement, ce qui expliquerait l’abstention.
A l’inverse, la participation politique dans le cadre d’actions concrètes et de
protestations sur des enjeux ciblés.
Sur la Suisse : les jeunes élisent moins, mais vont néanmoins voter sur certains
objets précis (enjeux concrets).

Lutz démontre une augmentation de la participation électorale en vieillissant (à


l’exception des femmes de + de 65 ans en Suisse, qui, en raison du droit de vote
introduit en 1971, n’ont jamais été socialisées au vote)

C. Les transformations historiques des modes d’action politique

1. La notion de répertoire d’action collective.

Charles Tilly passe en revue l’évolution de l’action collective au cours du temps


(action comparée de la France et des États-Unis). Tilly défend l’idée que les
individus choisissent au sein de leur répertoire d’action (variable selon les époques,
les lieux, les attitudes des autorités, les moyens). Ce répertoire est limité, + ou –
réglé, et contrôlé, réglé, facilité et/ou réprimé par l’Etat.

2. L’évolution des répertoires au cours des siècles

• Évolution des formes organisationnelles de l’action collective. Au XV siècle,


les formes de solidarités communautaires étaient à la base de l’action
collective. Leur destruction a conduit à la création d’associations.
• Évolution des modes d’action collective : charivaris (méthode consistant à
faire du bruit sous les fenêtres de qqun), émeutes du grain, révoltes contre
les taxes, invasion de champ, sabotage, sacs et destruction de maisons
privés, sabotages de machine. Tous ces modes d’actions prévalaient du XVI
au XVIII. La grève et la manifestation arrivèrent au XIX. Des facteurs macro-
historique ont joué : émergence de l’Etat nation, développement du
capitalisme et des formes de communication.

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1. L’ancien répertoire (jusqu’en 1848) : local, particulier (tactiques liées


au doléance, parasitage des rituels sociaux existants comme le carnaval,
parodies de procession, violence contre un mannequin représentant
l’Etat) et patronné (les contestataires recherchent le soutien et la
protection des notables).
2. Nouveau répertoire : national (revendications portées vers un pouvoir
central, l’Etat-nation), modulaire (même mode d’action pour porter
différentes demandes, formes + intellectualisés et abstraites, slogans,
programmes) et autonome (indépendance vis-à-vis du patronat et du
clergé, des organisations ad hoc prennent en charge ces actions)

Tilly néglige certaines formes d’action (il ne prend en compte que la contestation
ouverte, collective et discontinue)

Il néglige
• Formes individuelles de lutte et de résistance
• Opération routinière des partis politiques, des syndicats, etc (excepté
lorsqu’elles produisent une contestation visible dans les arènes publiques).

Le vote comme outil de forclusion (il devient impensable d’y penser/recourir) de la


violence et disciplinarisation de la société (voir Déloye et Ihl). « Le suffrage
universel a aboli le droit d’insurrection » (V.Hugo).
Cela entraine une pacification, une réduction des inégalités (dans la lignée de la fin
des privilèges) et un renforcement du monopole étatique de la violence physique.

Voir discours de Gambetta : il fait l’éloge de la démocratie comme moyen


d’empêcher la révolution, puisque le vote est un plébiscite de la nation et de l’Etat.

Cours du 2 octobre 2019

L’invention du squat comme mode d’action en France.

La délégitimation des formes de résistance (comme le squat) s’applique dans la


diachronie et la synchronie.

I. S’agissant d’abord de la publicisation des actions et du lien entre les


différentes formes d’action
A. Discret-ouvert et individuel-collectif ne varient pas toujours de
concert
B. Vers la publicisation des déménagements à la « cloche de bois »
C. Du déménagement

A la fin du XIX, les déménagements à la cloche de bois, qui étaient individuels et


silencieux, deviennent organisés et collectifs. La création d’une union des
locataires (syndicat) va transformer la non-clandestinité de ces actions. Lors d’un

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déménagement collectif à la cloche de bois s’opère une transformation (action en


plein jour et bruyante).
Continuité entre l’emménagement à la cloche de bois et le squat. Le
déménagement permettait d’échapper au paiement de son loyer (forme de
résistance au propriétaire).
Ce syndicat va particulièrement rechercher l’attention des médias.

L’idéologie des déménageurs à la cloche-de-bois (les pied-plat) : idée d’une


publicité sans revendication.

Quel contexte idéologique ?


3 théorisations anarchistes (qui sont marquées par la non-revendication) à la fin du
XIX. Idée qu’il faut « se servir soi-même ».

1. Action directe : la libération des travailleurs ne doit être que l’œuvre des
travailleurs. L’ouvrier arrache sa revendication au patron. Cela débouche
sur l’idée de la grève générale (pas d’intermédiaire parlementaire).
2. Propagande par le fait. Utilisation du fait insurrectionnel par la propagande.
Au départ, il s’agit d’une démonstration qui sera ensuite copiée par les
autres ouvriers.
3. Illégalisme (ou reprise individuelle). Le vol (la reprise individuelle) serait
légitime d’un point de vue collectif, et légitime d’un point de vue individuel
(dans certains cas). Gros débat chez les socialistes.

On ne présente pas de revendications mais on affirme dans les faits, le droit à un


logement gratuit. Ambivalence dans les méthodes des syndicats : certains prônent
l’action directe quand d’autres pensent au parlementarisme.

L’idéologie des déménageurs à la fin du XIX avance l’idée d’une publicité sans
revendication.
Cela infirme l’idée que des actions collectives et ouvertes coïncident forcément
avec des revendications. Selon les formes de légitimation du pouvoir en place, les
formes de contestation et de résistance varient.
Scission au sein du syndicat des locataires entre ceux qui souhaitent des
revendications et ceux qui les refusent.

4. Les transformations contemporaines des formes de participation politique

a. La participation se transforme

Diminution de la participation électorale dans la majorité des pays développés


(démocratiques). Sauf en Australie et en Belgique (vote obligatoire). Diminution de
la participation électorale ne traduit pas une diminution de la participation
politique mais une augmentation de la participation non-conventionnelle, en
particulier des formes individuelles et dés-institutionnalisées (boycott,
consommation engagée).

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b. Les principales explications de ces transformations

- La thèse d’une individualisation de la société


- La thèse d’un 3ème répertoire de l’action collective

La révolution silencieuse.

Inglehart se base sur la pyramide de Mazlow : une fois que ses besoins sont
satisfaits, l’homme va tourner ses besoins vers des besoins de natures non
matérielles (esthétiques par exemple).
Le post matérialisme. Ce changement est lié à la croissance économique, au dvt
de l’éducation, l’innovation et l’absence de guerre en Occident. Cela entraîne une
augmentation du niveau de compétence politique et une demande accrue de
participation au processus de décision. Ce passage à des valeurs post-matérialistes
implique une transformation des formes de participation (nouveaux mouvements
sociaux : mouvements féministes, écologistes, pour la légalisation des drogues).
Accentuation des besoins individuels de réalisation de soi, d’appartenance et
d’estime. Enjeux de style de vie et déclin des conflits de classe. Déclin de la
légitimité de l’Etat-nation (création d’entités supranationales).
Ces valeurs post-matérialistes favoriseraient de nouvelles formes de participation
politique. Des gens très éduqués (et compétents politiquement, critiques)
deviennent des abstentionnistes dans le jeu, par refus de délégation politique.

La thèse d’un 3ème répertoire de l’action collective (Tilly)

Thèse soutenue par 3 signes d’une transition


1. Modification des modes d’action, plus directe : guérilla urbaine, prise
d’otage, détournement d’avions, barrages de route,
2. Démocratisation des mouvements sociaux, innovation : comité de grève,
assemblées internes, graffitis
3. Recherche de la médiatisation des modes d’action

Caractéristiques du répertoire de 3ème génération

- Espace de référence des mobilisations : elles débordent les frontières


- Montée de l’expertise (comme poursuite du processus de pacification,
justification par des experts).
- Contrainte de symbolisation à destination des médias (ex : Act up)
- Répugnance des militants à la délégation durable du pouvoir de décider.
Revendication d’autonomie et de démocratie comme poursuite du passage
patronné à l’autonome.
- Individuation qui donne à des comportements privés une dimension
politique (consommation)

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La diminution de la participation malgré une hausse de l’éducation : le puzzle de la


participation (Brody)

1. Baisse de l’encadrement des électeurs, baisse des micro-pressions à l’égard


des électeurs.

Robert Putman et la notion de capital social : le bon fonctionnement des


institutions et la participation politique serait lié au réseau associatif (ce qui
explique l’adhésion de la Banque mondiale à cette théorie : il s’agit du réseau
d’association).

Cette baisse de l’encadrement des électeurs se retrouve dans le bouquin de


Braconnier et Dormagen, La démocratie de l’abstention. Ancienne cité rouge à très
forte participation électorale, le quartier de Saint Dennis a vu une abstention
incroyablement à la hausse. Cette abstention croissante s’explique par la désertion
du PC et de ses associations, qui mobilisaient et rappelaient aux citoyens de
s’inscrire sur les listes de vote, et de voter.
Cette déstructuration sociale de la cité prend d’autres formes : multiplication des
CDD, de la sous-traitance, transformation dans le travail et les familles.

2. Changement des dynamiques de compétition électorale

Exemple de la participation aux élections présidentielle de 2017. Du 1er au 2ème


tour : légère hausse de l’abstention, mais quatre fois plus de vote blanc/nul au 2ème
qu’au 1er. L’abstention politique est ici marginale.

Thèse de M.Franklin : selon lui, la baisse de la participation politique dépend de la


composition démographique de l’électorat et la structure de la compétition
politique. Son raisonnement est le suivant : il démontre que les 3 premiers votes
de la vie d’une personne sont décisifs. Ils créent des habitudes de vote et
immunisent contre l’abstention. Ces habitudes dépendent du contexte politique
(mobilisateur ou non ? si on sait d’avance qui va gagner ou non).
L’abaissement de l’âge de vote (de 21 à 18) coïncident pourtant avec une faible
participation politique. Par conséquent, cet abaissement créerait une abstention
dans le futur. De fait, ces gens votent moins, ce qui expliquent la baisse de
participation électorale.
La compétitivité des élections est par ailleurs en baisse.

Critique du 3ème répertoire d’action politique (Neveu)

• Son occidentalo-centrisme + centré sur les groupes à fort capital culturel.


Dans les pays du Sud, il n’existe pas vraiment un développement de la
consommation engagée par exemple.
• Son usage normatif (renvoie à l’archaïsme ceux qui emploient des
méthodes/revendications antérieures)
• Le risque de durcir les oppositions

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- Une surestimation des formes d’internationalisation (existantes au


XIX : internationale ouvrière, réseaux anti-esclavagistes)
- Rejet de la délégation n’est pas nouveau (ex : l’anarcho-
syndicalisme du XIX)
• Suppose de décrire des macro-tendances socio-historiques mais contraste
des répertoires selon les pays (que ce soit en Irak ou aux USA). Ex : disparité
de la consommation engagée selon les pays.

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Chapitre 2 : Comportements politiques = expressions


des opinions ?

A. Comportement politique et politisation

Dans le sens commun et dans la science, on a imposé l’idée que le vote équivalait
à l’expression des opinions et on a dénié le caractère politique des mobilisations.

Idée, liée à la psychologie des foules (le Bon), que le vote serait une succession de
choix rationnels en toute connaissance de cause, l’énonciation d’une opinion
politique/l’expression d’une préférence pour un candidat dont on reprendrait les
positions politiques. Cette idée est à l’origine de la transmutation des votes (les
électeurs qui votent socialistes deviennent des électeurs socialistes/ le pays bascule
à gauche/ cette mairie est rouge). Cela se retrouve dans le language journalistique :
(Ex : Les Suisses ont voté à droite)
La psychologie des foules : contagion mutuelle des opinions par les citoyens,
irrationalité des individus dans certaines circonstances.
Hippolyte Taine, Les origines de la France contemporaine : il affirme que l’homme
est toujours prêt à retomber à l’état de nature. Cette école (dont Taine et le Bon
sont les figures de proue) va analyser des mouvements sociaux (par exemple pour
expliquer la Commune) selon l’angle de leur irrationalité. Ces penseurs ont été très
marqués (apeurés) par ces mouvements révolutionnaires, y voyant la résurgence
d’une bestialité.
De l’autre côté, une école (mobilisation des ressources) va affirmer qu’il y a une
rationalité de l’action collective (bien que niant l’aspect politique des mobilisations
sociales).
Travail d’appropriation des voix des électeurs.

Cours du 9 octobre 2019

1. Le vote désinvesti

Daniel Gaxie, « Le vote désinvesti. Quelques éléments d’analyse des rapports au


vote ».

La non-réponse à la question « pour qui avez-vous voté ? », traduit davantage une


faiblesse dans l’intérêt qu’un refus. La plupart du temps, un taux de non-réponse
est très important (de nombreuses personnes ont oublié pour qui ils avaient voté
1 an plus tôt).
Le vote désinvesti contredit l’idée d’un vote éclairé et expression d’une opinion.
De plus, les électeurs portent une attention très inégale à la campagne électorale
(capacité à expliquer son intérêt pour la campagne est loin d’être évident).
- Tous les électeurs ne sont pas capables de parler de leur vote
- Ils ont des préférences inégalement établies

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- Ils portent une attention très inégale à la campagne électorale

2. Aller manifester pour exprimer une revendication ?

De la même manière que pour le vote, les manifestations sont composées de


personnes à la politisation inégalement répartie (Offerlé). On peut se rendre à des
manifs pour faire la fête, pour des amis, pour se distraire, etc. Les raisons ne sont
pas seulement politiques.
Fossé-Poliak et Mauger, la politique des bandes : enquête sur « les blousons
noirs ». Leur enquête sur les jeunes populaires qui participeront notamment à mai
68.
Ils démontrent que le sens déclarés des comportements se déclinent en 4
répertoires

- Les échauffourées ou la politique « à bras-le-corps »


- Les conquêtes (féminines)
- Le carnaval « ou la politique à cœur-joie
- L’indignation

Risque de misérabilisme (les pauvres aliénés qui se rendent dans les


manifestations sans aucune politisation) ou de populisme (célébration de leur
mode de vie subversif et rassembleur).
Dans l’enquête de Mauger, on retrouve une mise à distance de la violence
symbolique (l’enquêteur = intellectuel) : les jeunes opposent une conception
émotive et affective à l’intellectualisme qu’on pourrait retrouver dans le
militantisme (ils expliquent leur engagement par une attitude corporelle plutôt
qu’une réflexion).
Mode de production politique non-verbal : attitude corporel (se défouler, casser
du flic).

3. Les différents modes de production des opinions politiques

Pierre Bourdieu, La distinction, Critique sociale du jugement

La compétence politique : capacité objective (avoir un minimum de connaissances


politiques) et subjective (compétence statutaire et sentiment de légitimité).
Capacité technique (culture politique) varie comme la compétence au sens de
capacité socialement reconnue (compétence statutaire).
Bourdieu rappelle que certains n’obtiennent pas ce statut et vont s’auto-exclure
de la politique (Le cens caché de Gaxie).
L’indifférence politique traduit chez Bourdieu une impuissance sociale (incapacité
à s’occuper du politique). Bourdieu explique les ressorts sociaux de cette inégale
répartition de la compétence technique (qui dépend de la compétence sociale).
L’autonomisation du champ politique sépare professionnels et profanes.
Les facteurs qui influencent la compétence politique : le capital culturel, le sexe,
l’âge, la classe sociale.

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Comportements politiques Robin Freymond

La prise de parole sera plus facilement déléguée en fonction du capital scolaire


(plus il est faible, plus on délègue).
La capacité de production d’une opinion va varier en fonction des propriétés
sociales du répondant et des propriétés de la question (la façon dont elle est
formulée). Ainsi, une question davantage éthique (sur la fessée) trouvera plus de
réponses.
Chez les hommes, on retrouve une sommation à répondre nettement plus
importante que chez les femmes. Les sans-réponses des femmes sont moindre sur
les questions liées à la morale domestique, à l’éducation, à la sexualité.

« La compétence technique dépend fondamentalement de la compétence sociale


et du sentiment corrélatif d’être statutairement fondé et appelé à exercer cette
capacité spécifique ». Il s’agit autant d’un droit statutaire sur la politique (subjectif)
qu’une simple culture politique (objectif).
Pour le dire autrement : « La compétence technique est à la compétence sociale ce
que la capacité de parler est au droit à la parole, à la fois une condition d’exercice
et un effet. »

Les modes de production de l’opinion

1. L’ethos de classe (inconscient de classe) : réponses produites à partir d’un


rapport pratique au monde (préréflexivité). Il s’agit par exemple des
questions éthiques. Sur les questions d’éducation sexuelles, toutes les
catégories sociales (sauf les cadres) produisent des réponses commandées
par l’éthos de classe et indépendantes des opinions politiques déclarées.
Production d’une opinion politique à partir de son éthos de classe sans le
rapporter à une verbalisation politique. Ex : à partir de son corps
2. Le parti politique systématique : des principes explicites et spécifiquement
politiques (réflexivité). Renvoie à la structuration du champ politique et des
prises de position en son sein.
3. La délégation tacite ou explicite : choix à 2 degrés (réflexivité minimale).
Répétition de la ligne politique d’une organisation partisane sur certains
problèmes (la personne interrogée émet des réponses conformes à la ligne
d’un parti politique dont il se sent proche) et rappel de l’éthos de classe sur
d’autres problèmes.

Les 2 derniers modes de productions de opinions se distinguent du premier car les


principes politiques de production sont explicités (par l’institution à laquelle on
s’en remet, comme le parti ou l’agent politique isolé) et peuvent apporter des
réponses politiques systématiques à des problèmes hétérogènes (chômage,
pollution, éducation sexuelle). Le second mode se dilue dans le troisième dès lors
que des problèmes ne sont pas « constitués » par le parti. Dans ce cas, les agents
sont renvoyés à leur éthos de classe.
Cette tension s’illustre dans les réponses politiques des membres de professions
intellectuelles (artistes, chercheurs). Partisans d’actions révolutionnaires, hostiles
à l’autoritarisme, nostalgiques de Mai 68 et des Fronts populaires, davantage
favorables au socialisme qu’au libéralisme (on a ici la réflexivité explicitement

16
Comportements politiques Robin Freymond

politique), ils trahissent néanmoins un éthos de classe discordant dans d’autres


réponses. En effet, ils considèrent que la caractéristique la plus importante d’un
individu est la personnalité (contre « la classe » pour un ouvrier) et que le progrès
économique a profité à tous (un ouvrier considérant que cela profite à une
minorité).

La différence nette entre l’éthos (1) et le parti (2) renvoie aux conditions
matérielles d’existences (urgences vitales quand on fait partie des classes
populaires donc manque de temps) ainsi qu’à l’inégalité scolaire (pas les mêmes
instruments de conceptualisation et de verbalisation de l’expérience politique qui
permettent une maitrise de la pratique, c’est-à-dire une verbalisation de
l’expérience politique) et aux formes de dispositions politiques.
Bourdieu distingue 2 formes de dispositions politiques.
1. la cohérence intentionelle des pratiques/discours engendrés à partir d’un
principe « explicitement politique »
2. La systématicité objective des pratiques produites à partir d’un principe
implicite (donc au-delà du politique).

Risque de populisme à prêter aux classes populaires « une politique » spontanée.


Or, Bourdieu estime que la maitrise pratique qui s’exprime dans les choix politiques
trouve son fondement dans l’habitus de classe et non pas dans les principes
explicites d’une conscience vigilante et compétente (il le simplifie avec cette
phrase : les choix politiques sont à chercher dans l’inconscient de classe plus que
dans la conscience de classe).

Un même vote (pour le PC par exemple) n’est pas équivalent. Le vote intellectuel
communiste ou le vote ouvrier communiste n’ont pas la même production de
l’opinion, bien qu’ils aient le même poids électoral. A l’inverse, un même éthos
peut conduire à épouser des opinions politiques très différentes.
Cela renvoie à la difficulté d’analyser le vote des dominés. Plus les gens sont
dépossédés, culturellement surtout, plus ils sont contraints et enclins à s’en
remettre à des mandataires pour avoir une parole politique (se taire ou être parlés).

Stéphane Beaud et Michel Pialoux : Retour sur la condition ouvrière. Enquête aux
usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard.

Julian Mischi, « Les militants ouvriers de la chasse. Eléments sur le rapport à la


politique des classes populaires. »

Beaud et Pialoux documentent le passage d’une force ouvrière (forteresse


ouvrière) à des usines marquées par la dépolitisation et la désyndicalisation. Ils
affirment qu’il y a un sens pratique de la politique, qui ne passe pas par le verbal
mais par le rapport au corps (ouvriers façonnés par le taylorisme qui valorisent la
force physique et ont une honte de soi).
Ce rapport pratique au monde s’est délité (transformation des processus de
production, allongement des études pour les enfants d’ouvriers et échec scolaire
après une socialisation qui leur a inculqué une reconnaissance de la culture

17
Comportements politiques Robin Freymond

scolaire, acculturation, montée du chômage, aspirations autres que la condition


ouvrière, perte du rapport au corps).

Cette manière collective de vivre la politique a été souligné par J.Mischi dans ses
études sur les chasseurs. La prise de parole des chasseurs, musclée et collective,
souvent alcoolisée, ne va pas de soi, en raison du faible capital scolaire. (similaire
au témoignage de P.Poutou lors de sa prise de parole individuelle sur les plateaux
tv qui soulignait l’importance du rapport au groupe).

B. Comportements politiques et types de biens offerts

1. Types de biens offerts sur les marchés politiques

« Pour les Montagnards généralement pauvres, une élection est une aubaine et le
bulletin de vote vaut effet de commerce ». Le vote comme clientélisme. L’offre
n’est pas seulement constituée d’objets politiques, il y a aussi des biens privatifs,
divisibles ou étroitement matériels.
On peut être payé pour assister à des meetings politiques (figurants payés pour
applaudir).
Les biens offerts par les hommes politiques sont appropriés par des profanes qui
accordent en retour diverses formes d’appui nécessaires pour l’emporter dans
cette compétition (Gaxie).

Typologie des biens offerts (Offerlé)

Biens Divisibles Indivisibles


Privés Argent, emplois privés Faveurs collectives ou
menaces de sanctions
collectives
Publics Faveurs personnelles, Offre de discours
décoration, secours politiques, de politiques
publics, menaces de publiques
renvois

Type d’entreprise politique Types de biens offerts


Notables traditionnels dans Biens privés divisibles ou
des rapports de clientèle ou indivisibles
de patronage Biens publics divisibles
Entreprise politiques de Biens publics indivisibles
militants

Historiquement, sur la mise en place de l’isoloir rend plus difficile le clientélisme


(et fait disparaitre le statut de notables). Opposition entre le notable
professionnalisé qui lutte et les entreprises nationales, en raison de leurs différents
types de ressources pour obtenir des voix.
Garrigou, le secret de l’isoloir.

18
Comportements politiques Robin Freymond

Affrontement similaire entre partisans de la Landsgemeinde et la mise en place du


vote secret (enjeu de luttes).
Daniel Gaxie complexifie cette typologie de biens (La démocratie représentative).

Il établit que ce ne sont pas toujours des biens spécifiquement politiques, ce qui
induit le fait qu’un vote ne traduit pas nécessairement l’expression d’une opinion
politique, mais davantage un échange contre un bien.

2. Qu’est-ce que le clientélisme ?

Le clientélisme : « échange simultanée de différents types de ressources –


ressources instrumentales, économiques, politiques (soutien, loyauté, protection,
vote) », mais « des obligations interpersonnelles prévalent dans ces relations, qui
sont souvent formulées dans les termes de la loyauté́ personnelle, de la réciprocité́
et de l’attachement entre les patrons et les clients »

La dimension matérielle de l’échange n’est pas occultée car elle transparait


comme la conséquence de sentiments qui la dépasse et qui en sont la
conséquence.

Les « aspects clientélaires, personnalisés et non idéologisés des choix électoraux


(...) sont moins le signe d’une « incompétence » politique des électeurs que le
résultat de la manière dont ceux-ci s’accommodent des institutions de la
démocratie représentative, en fonction de valeurs et de motivations différentes de
celles qui sont proclamées dans les institutions officielles. Le vote est en effet
l’objet d’investissements d’abord pratiques.
Voir : le clientélisme en Corse.

Transformation du capital économique détenu par les patrons en capital


symbolique. Cela confère de l’autorité et du crédit au détenteur de ressources
économiques importantes : le patron offre des biens (clientélisme) mais ceci est

19
Comportements politiques Robin Freymond

occulté par la force du capital symbolique détenu. Cela s’exprime dans des formes
de fidélité.
Le pouvoir des notables découle de leur capacité à distribuer une partie de leurs
ressources en échange de la reconnaissance du statut auquel ils prétendent et
que le vote va venir ratifier.
Briquet ajoute que le clientélisme se développe avec le développement de l’Etat
providence (on peut fournir un logement, un emploi, une subvention). La politique
reproduit les modes de sociabilité qui sont constitué en dehors du politique
(l’apéro, les réseaux).
La notion de clientélisme est désormais intégrée dans l’analyse du fonctionnement
étatique. Ce rapport au politique n’est pas réservé à des contrées lointaines.
Ex : le clientélisme suisse. Affaire Varone.

C. Les comportements politiques comme affirmation d’identité


communautaire

1. Le vote comme affirmation d’un sentiment d’identité communautaire

Le vote comme occasion d’affirmer son appartenance à une identité collective, son
existence sociale (pour le 4ème âge), comme témoignage de la force et de
l’appartenance collective (renforcement des liens de solidarité au groupe, qu’il soit
religieux, familial plutôt que choix rationnel). Ces liens contribuent à faire exister
chacun.
Tocqueville aborde la dimension communautaire du vote, dont l’issue connue de
tous n’est pas le véritable enjeu : l’enjeu est l’appartenance communautaire. Ne
pas aller voter, cela signifie s’exclure de la communauté villageoise ; voter c’est
faire acte d’allégeance à son groupe (rattachement identitaire).
Hélène Thomas démontre que le vote demeure précieux pour le 4 ème âge (permet
de montrer son appartenance à une communauté, de se sentir encore vivant).
Montée de l’abstention dans les petites communes rurales lorsqu’il y a
relâchement du lien social.
Contre-univers normatif en Seine-St Denis (enquête de Braconnier et Dormagen) :
ne pas voter permet d’affirmer son sentiment d’identité communautaire.

2. Le vote comme rituel

Le rituel : manifestation du sacré et langage. Le vote fonctionne comme un rituel.

- Le vote comme acte sacralisé : idée d’un acte sacré et quasi religieux, un
acte attendu de la part des électeurs (contraintes comportementales : il
s’agit d’une activité cruciale, importance d’un choix impersonnel pour la
nation, dramatisation du choix). Le vote métamorphose l’individu en
citoyen éclairé, sage, apte à décider pour le bien commun.
- Le rituel électoral comme mise en scène de l’unité nationale

20
Comportements politiques Robin Freymond

- La création d’espaces et de temporalités qui sont propres au vote (isoloir :


endroit serein, sécurisé, comme préservation du secret lié à un vote
incorruptible et inviolable).

3. La manifestation comme affirmation identitaire

« La recherche d’une influence sur les autorités ou l’opinion publique n’est pas le
seul but d’une manifestation (...). Dans certaines circonstances, les participants
sont eux-mêmes leur propre cible. En d’autres termes, en plus des formes de
communication externes visant les autorités et l’opinion publique, les
manifestations sont aussi une forme interne de communication. En effet, dans la
mesure où ils donnent aux protestataires le sentiment d’être nombreux à se
mobiliser sur une cause commune et à partager les mêmes sentiments, les
rassemblements de masse fonctionnent comme des opportunités de cimenter un
groupe social donné. »

Il se peut que la manifestation soit autocentrée (opportunité de cimenter un


groupe social).

P.Champagne : « La lutte politique est sans doute plus proche dans son principe,
du jeu de poker que de la cérémonie religieuse. La mobilisation doit surprendre et
innover. »
Les manifestations ne doivent pas être perçues comme des rituels, mais comme
des stratégies.
Les manifestations de papier : manifestation à l’intention des médias.

Exemple du caractère autocentré des manifestations (Pierre Favre) : « L’action


manifestante est d’abord autocentrée, elle est en elle-même sa propre fin et est
largement indifférente à son écho l’espace public ».
• Le plaisir si souvent évident de faire quelque chose ensemble ; les retours
de manifestation (moments de joie, plaisir du devoir accompli, fatigue de la
marche, joie de sortir des routines quotidienne, débordements festifs)
• La communauté qui se forme et qui se ressemble.
• Edition de cartes commémoratives. Ex : manif des sidérurgistes de Longwy
en 1979.
• Cérémonie de deuils : exorciser le malheur qui arrive, collectivement plutôt
qu’individuellement (ex : suppression des postes de travail).
• Vertu thérapeutique (ex : Act-up)

21
Comportements politiques Robin Freymond

Partie 2 : Analyser le vote

Chapitre 3 : les modèles fondateurs de l’analyse du


vote

Le vote comme objet d’investissement pratique avant d’être un objet scientifique.


La production des verdicts : la sociologie électorale est aux prises avec l’espace
public (commentaires médiatiques et politiciens du vote), ce qui rend son analyse
scientifique difficile.

1. La science électorale comme savoir pratique

L’interprétation d’un bulletin n’a rien de gratuit et intéressé. Les premiers analystes
(non-scientifique) du vote ont bricolé des instruments d’analyse (cartes, sondages,
agrégation statistique). On n’a pas attendu la sociologie électorale pour percer le
mystère des urnes (rupture délicate avec le sens commun). Ensemble de
prénotions scientifiques sur le vote (les scientifiques doivent s’adosser à des
microtechniques élaborés par les professionnels de la politique).
Offerlé : les comptes nationaux du nombre de voix. Offerlé démontre que ces
comptes sont dus aux efforts d’homogénéisation et d’unification des socialistes (ils
décrètent : ces voix sont les nôtres) par la vertu de l’agrégation statistique. Après
la 1GM, on procède au décompte des voix (auparavant on annonçait uniquement
le décompte des élus sans mentionner le décompte des voix). Le décompte des
voix nécessite une technologie : codification et étiquetage des candidats (fabrique
administrative des opinions politiques). Arrivée de la nomenclature des partis
(auparavant on étiquetait les candidats sous des adjectifs : conservateur,
légitimiste, socialiste). Cela contribue à forger la notion d’électorat partisan : les
socialistes peuvent dire à leur concurrent qu’ils ont un électorat qui est tout sauf
un ensemble de votes aléatoires.

2. Sociologie électorale ou production des verdicts

Distinction pas souvent évidente : la sociologie électorale se retrouve enrôlée bien


souvent dans cette production des verdicts.
La controverse François Goguel : lors de l’élection de 1981 en France, victoire
socialiste à la présidentielle et aux législatives.
En dépit de ce résultat évident (double victoire socialiste), on retrouvera une
polémique entre Goguel (conservateur) et Jaffré (ancien élève du 1 er). La
polémique les oppose sur le résultat de la présidentielle ; Goguel soutenant que ce
score est davantage la défaite de Giscard que la victoire de Mitterand quand Jaffré
affirme que le succès socialiste tient plus à un vote d’adhésion qu’à un vote négatif.
Leur divergence s’étend également à l’analyse des votes : Goguel renvoie dos à dos
Giscard (lâché par sa base gaulliste) et Mitterand (qui a bénéficié non pas d’une
augmentation du nbre de voix de gauche mais d’une diminution des voix de droite).

22
Comportements politiques Robin Freymond

Se dégage derrière ces analyses la question de la légitimité de Mitterrand (a-t-il été


élu par défaut ?). De cette discorde ressort une lutte interne à la discipline. Goguel
est partisan de la géographie électorale (tradition locale qui fait fi des
caractéristiques socio-économiques), Jaffré se base sur le sondage d’opinion. La
querelle scientifique se poursuit. Jaffré dénonce l’illusion écologique des
agrégations écologiques quand Goguel dénonce les sondages et leur illusion
« subjective ».
Que retenir de cette confrontation ? Tous les verdicts sont potentiellement
dicibles selon les critères choisis (analyse en fonction des sièges, des suffrages, des
inscrits ou des exprimés, des écarts relatifs, des comparaisons avec les élections
antérieures)

Exemple de l’élection de Macron : son score est relativisé puisqu’il a été élu par
seulement 44 % des inscrits. De plus, 43% des gens ayant
Cette exégèse électorale relativise le succès de Macron et dit qu’il n’est pas
légitime pour mettre en œuvre sa politique.

La production collective électorale fait partie du jeu politique : analyse électorale


toujours politique quel que soit la neutralité axiologique.

Quelques règles à suivre selon Harrop et Miller.

1. « Il n’y a pas d’électorat, seulement des électeurs ». Le corps électoral est


étendu, dispersé, hétérogène.
Ex : Les Suisses voient l’avenir à droite.
2. Les détails ne comptent pas
Le contenu précis d’un programme, les fines tactiques partisanes, Ex : la
majorité des électeurs n’y prend pas garde.
3. « Les élections exceptionnelles sont l’exception »
Les élections critiques, du réalignement ou de conversion sont rares.
4. Gardez un œil sur le long terme
Il faut garder à l’esprit les transformations longues du corps électoral
(renouvellement générationnel, transformation des structures de classe)
qui finissent par modifier la signification même de l’acte de vote.
5. « Davantage de personnes qu’on ne le pense changent »
1% de point en plus pour 1 parti, cela peut vouloir dire perte de 15%
d’électeurs et gain de 16%
6. « Les nouveaux électeurs et les abstentionnistes comptent »
Entre 2 élections, le corps électoral n’est pas le même
7. « Surveillez les performances gouvernementales, spécialement en matière
économique »
Certains enjeux sont surévalués par les commentateurs, alors que des
enjeux moins tranchés mais portant sur l’emploi, la croissance, etc.
comptent beaucoup : élection comme referendum sur le bilan
économique
8. « Expliquer des comportements électoraux n’est pas expliquer un résultat
»

23
Comportements politiques Robin Freymond

L’analyse du déclin du vote de classe ne peut expliquer pourquoi lors de tel


scrutin particulier le Labour britannique l’emporte ou perd.

Exemple : enjeu lié à la prévoyance 2020.

La polémique est de savoir si la droite (opposée à l’augmentation des rentes AVS)


ou la gauche (gauche radicale et une fraction du PS opposés à la hausse de l’âge de
la retraite pour les femmes) a provoqué la victoire du NON. S’agit-il d’un non de
droite ou d’un non de gauche ?
Pour le socialiste Nordmann, la gauche alternative a aidé la droite dure à s’imposer
quand selon le directeur du Centre patronal VD impute la responsabilité à la droite
alémanique. Dans les colonnes du Courrier, ce Non est avant tout une victoire de la
gauche.
Idée que tout le monde aurait votée oui à la hausse de la TVA mais non à
Prévoyance 2020 (homogénéisation du résultat agrégé).

A. L’analyse écologique du vote : l’effet des contextes

1a. Siegfried et la démarche contextuelle

André Siegfried, issu de la haute bourgeoisie progressiste, fils d’un ministre sous la
IIIème République. Étude de la stabilité électorale du vote monarchiste dans la
région où il enquête à partir des rapports de préfecture. Son ouvrage, Eléments de
géographie électorale à travers l’exemple de la France de l’Ouest, est un classique.
L’analyse de Siegried procède à des regroupements partisans sur 40 ans et il
démontre l’existence d’une stabilité des tempéraments politiques, qu’il explique
en effectuant une comparaison entre la répartition de l’électorat et la géographie.
Au clivage géologique se superpose un clivage social (le granit vote à droite et le
calcaire vote à gauche).

2a. La critique de l’approche écologique

24
Comportements politiques Robin Freymond

Paul Blois : dans son ouvrage, Paysans de l’ouest, il considère impossible de


ramener l’étude des populations à celles de leurs cadres sociaux (prêtres ou
nobles) comme si les masses populaires étaient dépourvues d’idées ou de
traditions propres.
Il se concentre sur la Sarthe (territoire de la guerre de Vendée) : une partie de la
population soutien le camp monarchiste et une partie soutient le camp républicain.
La logique du clivage viendrait de ce traumatisme historique. Au moment de la RF,
deux structures sociales composaient la Sarthe : paysans riches à l’ouest,
propriétaires fonciers et ecclésiastiques, conservateurs après la RF (alors même
qu’ils semblaient plus acquis aux idéaux révolutionnaires) à l’est clergé, peuple de
paysans pauvres qui vont embrasser le camp des bleus (progressistes). Pourtant,
les paysanneries semblaient identiques au niveau de la taille des exploitations. Au
moment de la RF, la paysannerie de l’ouest lorgnait déjà de plus longtemps sur les
terres du clergé, attendant la nationalisation des biens cléricaux. La RF voit
cependant le rachat de ces terres par la bourgeoisie urbaine. Les paysans de l’ouest
se révèlent donc frustrés et optent pour le camp conservateur, attaquant la
Révolution qu’ils appelaient pourtant de leurs vœux, quand les paysans de l’est ne
se sentirent que peu concernés par la dépossession de leurs terres jugées arides.
Paul Blois adresse 2 critiques à Siegfried
Il y a-t-il réellement soumission des masses populaires vis-à-vis de leurs cadres
sociaux ? Dans l’exemple de Blois, ce sont les paysans eux-mêmes qui ont changé
de camp en raison de leur frustration.
Tautologie chez Siegfried : « Est-il juste du considérer le cléricalisme (ou le
catholicisme vigoureux) comme un facteur de l’opinion ? N’est-ce pas plutôt
l’opinion elle-même ? (...) Que la religion soit autre chose, ou davantage qu’un
facteur, n’est en pratique qu’une objection mineure. Ce qui est plus gênant, c’est
qu’une autre question se pose irrésistiblement : pourquoi, l’habitat ou le régime
foncier étant identiques, ou très analogues, une population est-elle anticléricale,
une autre ne l’est-elle pas ? »

Les limites de l’explication écologiques : corrélation ne veut pas dire causalité (voir
rapport vote FN et retombée de Tchernobyl, alphabétisation et proportion de
résidents noirs)

Paradoxe de Robinson : Les noirs américains ne sont pas plus illettrés que les
blancs, mais ils habitent plus souvent dans des zones où le taux d’alphabétisation
est plus faible (cette proportion est vraie au niveau agrégé mais faux au niveau
individuelle).

Autre exemple : la corrélation entre vote xénophobe et forte population


d’immigrés est fausse. Plus on s’éloigne du centre de Paris, plus la population
d’immigrée est faible et pourtant plus le vote xénophobe est important.

3a. La redécouverte des contextes résidentiels

Cours du 23 octobre 2019

25
Comportements politiques Robin Freymond

Retour sur les élections d’octobre 2019

La majorité de droite du Conseil National a vécu (or, on prend seulement en


compte l’UDC et le PLR).
L’implicite des commentaires électoraux : les électeurs seraient les mêmes d’une
élection à l’autre.

Initiative populaire : « Contre l’immigration de masse »

Dans le sens commun, la clef de l’acceptation serait à rechercher dans le


Röstigraben (les Suisses allemands auraient voté oui), le clivage ville/campagne
(ainsi que sur la corrélation entre importante proportion d’étranger et mobilisation
contre cette initiative). Ces 3 explications posent problème : le postulat serait
l’existence d’une homogénéité des cantons.
Homogénéité des « étrangers » impertinente : comme si les cadres nord-
européens des grandes firmes de Zurich étaient les mêmes étrangers que les
ouvriers d’ex-Yougoslavie.
Homogénéité des villes/campagnes est biaisée : niveau d’agrégation très élevée
dans les villes en raison de leur forte hétérogénéité.

Quelles représentations alternatives pour limiter les biais ?

Utiliser des cercles proportionnels plutôt que des coloris pour chaque zone.
Déformer les cartes en fonction du poids des votes.

Macron est [...] le candidat des métropoles mondialisées. Inversement, de la même


manière que l’Amérique périphérique a porté le vote Trump et l’Angleterre
périphérique le Brexit, la France périphérique, celle des petites villes, des villes
moyennes et des zones rurales, porte la contestation populiste. » (Christophe
Guilluy, Le Monde, 26 avril 2017)

Idée qu’il y aurait des perdants dans les zones périphériques qui auraient voté Le
Pen et des gagnants des zones urbaines qui auraient voté Macron.

Cette interprétation pose des problèmes de plusieurs types.

Ces théories postulent l’homogénéité interne des villes et l’homogénéité entre-


villes. Or, il existe une importante différence entre les Yvelines (département
périphérique huppé) et des départements périphériques plus populaires.
Cela néglige le vote urbain essentiel chez le Pen. Dans des petites et moyennes
villes on retrouve autant des votes Macron que le Pen. Macron a ainsi réalisé des
très bons scores dans des régions peu urbanisés (Cantal).
Dans le périurbain, les populations les plus aisés votent pour l’essentiel pour des
partis de gouvernement. Au sein même des agglomérations, il existe d’énormes
différences entre les centres et les périphéries (ex : Marseille).

26
Comportements politiques Robin Freymond

Comment contourner l’illusion écologique ?

▪ L’approche ethnoécologique : combiner enquête de terrain de type ethno


avec le recueil statistique
▪ Prendre les territoires à l’échelle où ils correspondent à des unités de vie :
prendre des territoires plus petits, des cités, des villages.
▪ Accroitre l’homogénéité interne des unités territoires avec la
« décilisation ». La décilisation est ce que fait par exemple Nonna Mayer.
Travailler sur ceux qui votent le plus FN en opposition avec ceux qui votent
le moins FN (pour obtenir un territoire unidimensionnel).
▪ Abandonner l’inférence pour l’approche multi-niveaux. Croisement de
données recueillies à l’échelle individuelle et à celle des collectifs.

3. La redécouverte des contextes résidentiels


L’effet du contexte résidentiel peut venir contrarier l’effet de l’appartenance à un
groupe social. On retrouvera plus facilement un vote de classe chez un ouvrier
résidant dans un quartier ouvrier que chez un ouvrier résidant dans un quartier
bourgeois.

Klatzmann (1957) : « Comportement électoral et classe sociale ». Le vote


communiste était plus important dans les quartiers ouvriers de l’Est que dans les
quartiers ouvriers de l’Ouest.

Butler et Stokes : le vote conservateur et le vote travailliste dans des sites miniers
et des stations balnéaires : ils démontrent que le vote des classes moyennes pour
les conservateurs est plus important dans les stations balnéaires (moins d’ouvriers)
que dans les sites miniers (plus d’ouvriers). Idem pour la classe ouvrière (sur-vote
travailliste dans des contextes de forte population ouvrière). Conscience de classe
collective. Conversion par la socialisation et la sociabilité militante. Structures
syndicales plus développées.

La France périphérique : idée de Guilly. France coupée en deux : France


métropolitaine bénéficiant de la mondialisation vs France périphérique perdante
de la mondialisation et prête à la révolte.

Les ouvriers pavillonnaires (Violaine Girard) qui travaillent pour des PME,
voteraient plus à droite en raison d’une mobilité résidentielle. Ils s’inscrivent dans
un pôle qui valorisent le capital économique plutôt que le capital culturel.

27
Comportements politiques Robin Freymond

Axe
de X :

composition sociale de la circonscription : %âge de classe moyennes / % d’ouvriers


Axe des Y : variations de la préférence partisane (choix des conservateurs plutôt
que des travaillistes
Ligne hachurée : préférence partisane de l’électorat ouvrier
Ligne continue : préférence partisane des classes moyennes
Les effets de l’environnement social sur la préférence partisane

Effet consensuel : plus il y a de classes moyennes, plus les ouvriers présents en


minorité vont voter conservateur. A l’inverse, les classes moyennes en minorité
dans un quartier ouvrier vont davantage voter travailliste.

Effet réactif : être minoritaire renforce la minorité dans un choix politique


contraire à celui de la majorité. Plus les classes moyennes sont nombreuses, plus
les ouvriers préfèrent les travaillistes (et vice versa : plus les classes populaires sont
nombreuses et les classes moyennes en minorités, plus celles-ci votent
conservatrice)

Effet croisé : effet consensuel pour les ouvriers et effet réactif pour les classes
moyennes.

Ex en France (Mayer) : les petits patrons, minoritaires et précarisés, votent


davantage à droite quand ils sont en milieu fortement ouvrier. A l’inverse, ils votent
davantage PS dans des milieux à faible concentration ouvrière.

Les variables qui vont filtrer l’effet consensuel du contexte

▪ La sensibilité au voisinage proche : + d’effets pour les agents sociaux les +


plus démunis du capital social (liens avec le voisinage comme capital
alternatif)

28
Comportements politiques Robin Freymond

▪ + d’effets pour ceux dont l’identité est d’abord territoriale (faible


intégration d’autres groupes)
▪ + d’effet quand ce voisinage constitue un groupe primaire effectif :
intensité de la vie sociale, réseaux de sociabilité.

Texte de Yassin Bougaba : enquête sur Renens

Travail sur des données réelles de participation (ce qui a un énorme avantage sur
l’enquête par sondage, qui sous-représente les abstentionnistes).
Il constate 33% d’abstentionnistes constants et 9% d’électeurs constants
(intermittence du vote). Il décompose la question des étrangers : les immigrés, les
réfugiés et les personnes nées et scolarisées en Suisse.
Forte mobilisation lors des élections communales (notamment forte mobilisation
de la communauté turque) et faible mobilisation lors des votations. Bougaba
prouve l’effet contextuel ainsi : l’effet résidentiel. Pour les électeurs nés en
Turquie : plus ils habitent dans une rue habitée par une forte proportion de Turcs,
plus ces électeurs vont voter.
La participation va être fonction du nombre de compatriotes habitant dans la rue
pour les Turcs.

B. Le paradigme de Columbia et la formation communautaire des


préférences électorales

1. Le contexte de production du paradigme

a) Le sondage, instrument nouveau

La fabrique de l’opinion, Loic Blondiaux.

Comment les sondages se sont imposés comme manière de mesurer l’opinion ?

1936 : instrument de sondage gagne sa légitimité (avec l’élection de Roosevelt). Un


vote de paille fut organisé lors de cette élection (prédisant la victoire de Lindon).
Un institut va travailler sur un échantillon de qqes personnes (choix rigoureux) et
prédire la victoire de Roosevelt.
Avant les sondages, la prédiction électorale se faisait par « les votes de pailles ».
Sondages non scientifiques : simulation de votes organisés par les journaux en
interrogeant leurs lecteurs.
Blondiaux montre qu’au-delà de la prédiction exacte par les sondages, des
conditions sociales ont favorisé l’imposition des sondages comme méthodes. Aux
USA, les instituts de sondages ont mobilisé plusieurs acteurs (journalistes,
politiciens), tout en ayant une expérience des études de marché.
Les sondages arriveront plus tard en France.
Lazarsfeld va utiliser le panel et le sondage.

Cours du 29 octobre 2019

29
Comportements politiques Robin Freymond

b) Contexte d’émergence : l’idée de toute puissance des médias

L’accession d’Hitler au pouvoir est analysée comme le résultat d’une


instrumentalisation des outils médiatiques. Tchackothine écrit « Le viol des foules
par la propagande politique ».

Le paradigme de Columbia va venir démentir cette idée extrêmement dominante.

c) Lazarsfeld et les chômeurs de Marienthal

Lazarsfeld va explorer les conséquences politiques de la crise des années 30. Il va


collecter un nombre d’informations. Ils démontrent, contre l’idée que le chômage
serait favorable à la révolte, que les individus sont d’abord résistants, puis résignés
et enfin brisés par le chômage. Le chômage n’est pas propice à une quelconque
révolte. Le chômage amène une dépolitisation massive et un retrait du monde
(cela remet en cause l’idée de « société de masse » comme facteur du nazisme).
Dans ces enquêtes, l’on retrouve le souci ethnographique (analyse localisée,
questionnaires passés à domicile). Terrain : Ohio
Contexte : 1940, durant l’élection (Roosevelt se présente pour son 3 ème mandat).
Comté typique de l’Amérique traditionnelle, industriel et agricole. Échantillon
aléatoire stratifié représentatif du comté.

3 conclusions principales

1. Influence déterminante des caractéristiques sociales


2. Effet limité de la campagne électorale. La conversion (suite à cette
campagne) est rare.
3. Rôle crucial des relations interpersonnelles. Importance du groupe primaire
dans la formation de l’opinion politique.

2. Des électeurs peu concernés par la politique

Contre les théories démocratiques qui idéalisent le citoyen éclairé et curieux,


l’électeur américain du panel de Columbia est modérément intéressé par le jeu
électoral. Même ceux qui déclarent un fort intérêt pour la politique ne participent
pas réellement à la campagne. Ces dimensions sont fortement corrélées avec le
statut social (et plus encore avec le niveau d’éducation).

3. La préorientation sociale des votes

Lazarsfeld construit un indice de prédisposition politique (IPP) à partir de 3


variables : lieu de résidence (clivage rurale/urbain), affiliation religieuse et statut
socio-économique (rang sur l’échelle socio-économique).
Le statut socio-économique a plus d’importance que le métier en tant que tel. L’IPP
est aussi calculé avec la filiation religieuse.

4. Les effets de la campagne

30
Comportements politiques Robin Freymond

L’école de Columbia, grâce à l’usage du panel, établit une typologie des électeurs
selon qu’ils changent d’opinion ou non durant la campagne. Près de la moitié des
électeurs savent pour qui ils voteront et ne changeront pas (may voters)
Typologie des électeurs changeants
1. Cristallisers (28%) : n’ont pas de préférence en mai, mais cristallisent assez
vite à un choix en juillet.
2. Waverers (15%, dont 11% qui passent par une étape de « don’t know », 4%
passent par un autre parti) : varient pendant la campagne
3. Party changers (8 %) : ont changé d’intention de vote. Dans 2/3 des cas, ils
ne font que s’aligner sur les dispositions de leur groupe primaire.

88% des électeurs ont limité leur choix à seul parti, seul 12%

On peut distinguer plusieurs types d’effets de la campagne

1. Effet d’activation
• Les électeurs, initialement indécis, sont conduits à voter de manière
conforme à leurs prédispositions politiques (IPP). La campagne va
activer des prédispositions latentes
2. Effet de renforcement
• Campagne conforte les électeurs dans leur choix, consolide leurs
préférences, empêches les défections
• Effet caché
3. Effet de conversion (très rare)
Cas de figure rare : campagne inverse le cours naturel de la formation des
préférences.
Exposition sélective : la campagne atteint surtout les votants les moins
susceptibles de changer – et n’atteint pas les votants les plus susceptibles
de changer !
Les pressions croisées montrent (riches catholiques, ouvriers protestants)
que les personnes qui les subissent sont les plus susceptibles de se
désintéresser de la politique

Une confirmation : Voting

Élection présidentielle américaine de 1948 (Truman vs Dewey). Enquête par panel


de Juin à novembre dans une ville moyenne (Elmira) du comté de NY, pro-
républicaine avec une minorité afro-américaine.
Résultats : stabilité du vote, peu de conversions, changements d’opinion plutôt en
faveur de Truman. Confirmation de la stratification du vote.

5. L’influence des contacts interpersonnels

Le vote comme « expérience de groupe » : les gens votent avec et pour le groupe.
Vote comme expression d’appartenance au groupe. Plus une famille est

31
Comportements politiques Robin Freymond

homogène, plus la décision individuelle est verrouillée. S’il est un héros dans
l’histoire, ce n’est ni le journal ni la radio. Le groupe primaire joue un rôle de
contrôle social. Le vote témoigne de la fidélité au groupe.
Two steps flow of communication : les médias ne toucheraient que des individus
particuliers, qui servent de médiateurs sélectifs, qui vulgarisent l’information, pour
ensuite la transmettre.
Les discussions interpersonnelles sont mentionnées.
Les discussions atteignent les indécis et les personnes les plus susceptibles de
changer d’avis.
Selon les auteurs, qqes caractéristiques des contacts interpersonnels.
• Rétributions immédiates : gratification, symbolique, solidarité au groupe
• Flexibilité, adaptabilité
• Initiative, informelle et fortuite, pas d’intentionnalité
• Crédibilité des sources

L’ouvrage « Personnal influence » va se pencher sur la question des leaders


d’opinion. Enquête auprès de 800 femmes dans l’Illinois. Les individus influents
proviennent de la famille, à l’exception de certains « experts ». Les individus
influents vont varier selon la thématique (dans la mode ou le cinéma selon l’âge,
dans la politique selon le revenu ou l’éducation).

Le modèle révisé : schéma aussi horizontal (pas seulement l’aspect vertical de Two
steps flow of communication).

6. La postérité des enseignements de l’école de Columbia

La pertinence de cette école.

Le pouvoir prédictif des variables lourdes continue à discriminer fortement le corps


électoral (l’ethnicité compte aussi). Voir graphiques

Les thèses de Columbia sont amendées

- Effets de priming et mise sur agenda : les médias suggèrent ce à quoi il faut
penser. Ex : élection de Sarkozy, les médias ont favorisés la saillance de certains
enjeux (l’insécurité).
- Effets de cadrage : les médias suggèrent la manière dont il faut penser un
phénomène
« Cadrer c’est sélectionner certains aspects d’une réalité́ perçue et les rendre plus
saillants dans un message pour promouvoir une définition particulière d’un
problème, une interprétation causale, une évaluation morale et/ou une
recommandation concernant le traitement de l’objet en question »
Ex : présenter la situation d’un SDF sous un angle économique ou psychologique

Les capacités de résistance, de lecture oblique et de recodage des agents sociaux


les plus démunis (R.Hoggart).

32
Comportements politiques Robin Freymond

Attention oblique : attention sélective, avec distance, y compris chez les classes
populaires

c. Le degré de consistance des groupes primaires

• La variété des groupes : plus grande variété de groupes (avec qui les
électeurs sont-ils susceptibles de voter ?) qu’à l’époque de Columbia
• La décomposition des groupes primaires (les cités rouges, Braconnier,
Dormaggen). Groupes familiaux, de voisinage.

Résumé Ecole de Columbia : Première école de la sociologie électorale

• The People’s Choice (1944), Voting (1948)


1. Les déterminants sociaux orientent fortement le vote
2. La campagne n’a qu’un effet limité
3. Les relations interpersonnelles jouent un rôle crucial
• Personal Influence (1955)
1. Leaders d’opinion dans toutes les couches sociales
2. validation de la théorie du “two-step flow”

C. Le paradigme de Michigan et la question de la stabilité́ des


votes

1. Le contexte

• Première incursion de la psychologie sociale dans la recherche électorale


• Insatisfaction vis-à-vis du modèle de Columbia incapable d’expliquer les
aléas du vote (et notamment la succession de Truman par Eisenhower
quand bien même les variables lourdes, à savoir les structures sociales,
restent inchangés).
• Déplacement de l’intérêt des variables sociologiques vers les variables
psychologiques (attachement partisan, enjeux actuels, image des
candidats). Études de l’entonnoir de causalité (Variables
sociodémographiques – Identification partisane – Enjeux – Candidats) .
Intérêts portés aux effets de court terme.

33
Comportements politiques Robin Freymond

2. Principes et aspects méthodologiques

• Échantillon représentatif de l’électorat américain : aléatoire stratifié


• Utilisation des questions ouvertes

Vote et attitudes partisanes (définition étendue) : l’attitude face à Eisenhower


permet de prédire correctement le vote de 75% des électeurs.

3. Votes et aptitudes partisanes

Conflits entre attitudes


• Équivalents psychologiques des « pressions croisées ».
• Conséquences : imprévisibilité du vote, report de la décision, panachage
(split ticket), abstention.
• 3 conditions pour que les enjeux comptent (que les votes soient émis en
fonction des enjeux débattus). La familiarité, l’intensité, l’alternative
partisane.
L’identification partisane : elle est mesurée directement par « auto-
classification »

4. L’identification partisane

• Orientation et identification affective durable à l’égard d’un parti


• Elle est mesurée directement par « auto-classification » (Comment vous-
vous pensez ? Démocrate/Républicain/Indépendant ? 2ème question :
Fortement républicain/peu fortement républicain ?)
• Échelle à 7 positions : Fortement démocrate, démocrate, peu fortement
démocrate, indépendant, peu fortement républicain, républicain,
fortement républicain
• Identification partisane commande et prédit le vote
• Le facteur « identification partisane » se substitue à celui de « classe
sociale ».
• Les facteurs de stabilité
1. Transmission intergénérationnelle : socialisation primaire
2. Influence du milieu social : une faible mobilité sociale stabilise son IP
3. Sélectivité : L’identification partisane « filtre » les nouvelles
informations : les informations qui remettraient en cause
l’identification partisane que l’on a.
• Les facteurs de changements
1. « Re-socialisation » : socialisation secondaire, ruptures biographiques,
influence interpersonnelle.
2. Poids des événements historiques

Renforcement au cours du cycle de vie

34
Comportements politiques Robin Freymond

Conséquences de l’identification partisane

• Facilitation et « scellement » de la décision de vote


1. Faible volatilité électorale
• « Vote normal »
1. Vote attendu si l’IP est la cause exclusive du vote
2. Insignifiance des facteurs de court terme liés au contexte politique (ex :
personnalité des candidats).
• Sélectivité : filtrage de l’information entrante

Filtrage de l’information entrante

Ex : Armes de destruction massive en Irak. Les électeurs républicains ont filtré


l’information relatant le mensonge d’Etat de Bush et consorts.

5. Typologie des élections

1. Maintien (prépondérance du vote normal)


2. Déviation (influence des facteurs à court terme)
3. Rétablissement (retour au vote normal)
4. Réalignement
• Changements structurels dans la composition partisane de l’électorat
• Occasions rares : guerres, crises économiques, etc.

Années 1932-1964 :
• Règle : élections de maintien (IP en majorité pro-Démocrates).
Historiquement, les Démocrates ont soutenu les ouvriers immigrés
catholiques, ce qui leur a permis d’acquérir un électorat sudiste blanc. Les
luttes pour les droits civiques, soutenus par les Démocrates, provoquent un
changement d’électorat (les ouvriers blancs du Sud quittent les démocrates
pour rejoindre l’électorat républicain).
• Exception : élections de déviations (1952/1956). La personnalité
rassembleuse de Eisenhower lui permet d’arracher une partie de l’électorat
démocrate, malgré leur identification partisane majoritairement
démocrate.

6. Les niveaux de conceptualisation politique

La compétence est mesurée quant au


• Niveau de connaissance de l’univers politique
• Niveau de cohérence des opinions politiques
• Niveau de stabilité des opinions dans le temps

Le résultat :
• 37% ne peuvent donner aucune signification à la dimension « Libéralisme –
Conservatisme »
• Les opinions sur 7 grands sujets sont contradictoires

35
Comportements politiques Robin Freymond

• En l’espace de 2 ans, les réponses varient radicalement

Niveau A : idéologues (11.5%) : système de croyance cohérent, fréquentes


montées en généralité
Niveau B : les groups benefits (42%) : enquêtés qui expliquent leur
préférence/détestation politique par référence à un parti ou un candidat. Ex : « Ce
candidat représente les bourgeois/les ouvriers »
Niveau C : les natures of times (24%) : jugement relativement haché et ponctuel,
ils se déterminent sans référence à des intérêts collectifs. Position qui se base sur
« un narrow issue » affectant leur situation personnelle (Je ne vote pas pour lui car
il va m’affecter avec sa politique fiscale).
Niveau D : no issue content (17%) : incohérence, notations moralisantes. (ex :
Gapany est sympa)

7. Critiques
1. Focalisation sur l’idéologie et une vision légitimiste de la politique. Si les
électeurs n’arrivent pas à articuler leurs opinions, ça ne signifie pas
forcément qu’ils n’en ont pas, ils peuvent être compétents sur d’autres
dimension que la politique.
2. « Issues don’t matter » : une sous-évaluation de l’effet des enjeux sur le
vote (« issueless 50’s »)
3. Un effacement de l’effet des caractéristiques sociales : Michigan comme
« contre-révolution ? ». Idée que Michigan effacerait l’effet des
caractéristiques sociales. Attitude tautologique.
4. La critique de l’instrument du sondage. Contrairement au panel que
promeut Columbia, le sondage utilisé par Michigan possède les biais
inhérents à cet instrument : il décontextualise et atomise les individus, ce
qui tend à négliger le poids des structures collectives dans lesquelles il est
inséré.

8. Une réfutation de Michigan ?

• Importance du vote rétrospectif (VR) : sanction en cas de « mauvaise


performance »
• Électeurs se basent sur ce qu’ils connaissent, et non sur les promesses électorales
(enjeux nouveaux)
• VR plus important que la loyauté́ partisane

The Changing American Voter : critique de Michigan se fondant sur la baisse des IP

a. La saillance des enjeux et émergence de nouveaux enjeux

Dans les années 60 « issues doesnt matter » : faible saillance des enjeux, enjeux de
valence (consensus sur l’anticommunisme)
Dans les années 70 : « issues matters » : forte saillance des enjeux (drogues,
Vietnam, question raciale)
Hausse des « pure issues voters » au détriment des « pure party voters »

36
Comportements politiques Robin Freymond

b. Déclin de l’identification partisane


Hausse d’électeurs infidèles et indépendants, baisse des « strong
partisans »

c. Augmentation de la cohérence du système d’attitudes

L’électeur serait plus compétent. Les idéologues seraient multipliés par deux voire
par quatre. Il y a un phénomène de polarisation en détriment du centre. Ce nouvel
électeur apparait plus imprévisible, plus politisé et affranchi. L’arrivée de nouveaux
électeurs – femmes, noirs, moins de 21 ans - y contribue.

D. Les analyses économiques du vote : le vote comme choix


rationnel

1. Principes de base et contexte général de l’engouement pour la théorie du


choix rationnel

5 postulats de base
• toute question qui pose un problème d’allocation de ressources et de choix dans
le cadre d’une situation de rareté́ relève de l’économie et peut être traité par
l’analyse économique
• atome de base : l’individu, être socialement asexué́
• les préférences de cet individu abstrait sont supposée constantes et données
• censé́ être parfaitement informé, l’homo oeconomicus se caractérise par sa
rationalité,́
• les marchés électoraux fonctionnent comme des marchés comme les autres
(offreurs : conquérir des positions de pouvoir ; électeurs : augmenter leur fonction
de bien-être économique).

Les raisons
•Retournement du cycle idéologique à la fin des 70’s
•Simplicité́ du raisonnement
•Usage de modèles économétriques mathématiques qui « font » science

2. L’analyse d’Anthony Downs

Downs propose une « théorie unifiée » du comportement des agents. Autrement


dit, chaque acteur du jeu politique cherche à maximiser ses chances/son utilité. Les
partis cherchent à maximiser les chances d’accéder au pouvoir et satisfaire les
ambitions privées de leurs membres (revenu, prestige, pouvoir). Le gouvernement
cherche à maximiser ses chances de réélection quand les électeurs cherchent à
maximiser l’utilité́ individuelle du vote.

L’analyse économique du vote n’est pas seulement un modèle du vote : elle


s’applique aussi à l’analyse du fonctionnement général des démocraties (coalitions,

37
Comportements politiques Robin Freymond

processus budgétaire, naissance des partis, etc.). Par ailleurs, rejet des explications
« symboliques » du politique.

Cette conception étendue du choix rationnel envisage l’intérêt personnel comme


moteur de l’action, excluant par là-même d’autres motifs de l’action politique (la
personnalité, les motifs éthiques, la loyauté partisane). C’est une vision
instrumentale des compétitions électorales. Les partis proposent des
« politiques » pour gagner les élections plutôt que de gagner les élections pour
proposer des « politiques ». La finalité de l’élection est de sélectionner le
gouvernement rapportant le plus d’utilité aux citoyens et non pas l’expression des
préférences.

Downs propose une analogie spatiale avec la rue commerçante. Si deux boutiques
se positionnent de façon optimale dans une rue, ce sera au milieu (au centre) pour
attirer chacune la moitié des consommateurs. Son modèle remplace les boutiques
par des partis, les consommateurs par des votants qui font face à l’enjeu suivant ;
le degré d’intervention étatique dans l’économie (gradué de 0 à 100 : 0 signifie la
position la plus interventionniste et 100 la plus libérale.) Sur 100 électeurs, très peu
se situeront aux extrémités, il y aura donc une forte concentration d’électeurs aux
alentours de l’indice 50.

El famoso calcul

V= p l(UINCt –UCHAt)l –C(+D) V = l’arbitrage final de l’électeur


U = l’utilité directe que retire un électeur de l’élection de INC (Incimbent aka le
favori) vs. CHA (challenger). UINCt – UCHAt = B. Si B>0 : vote pour le sortant, si B
=0 : abstention, si B<0 : vote pour l’opposition
P = la probabilité́ anticipée par chaque électeur pour que son vote singulier
détermine l’issue du scrutin
C = les coûts du vote (notamment le temps)
D = les rétributions qu’un électeur peut retirer du vote indépendamment des
résultats de celui-ci

3. Les critiques au modèle du choix rationnel

• Irréalisme des axiomes de rationalité

Axiomes de rationalité́ régulièrement violés : axiomes irréalistes du point de vue


des capacités cognitives des individus
• Couts et bénéfices sont incommensurables
• En somme, théorie essentiellement normative ...

Une cécité́ théorique aux dimensions non- utilitaristes du comportement politique


• Dimension symbolique du vote : rituel, allégeance au groupe
• Comportement altruiste, choix sociotropiques

38
Comportements politiques Robin Freymond

• La théorie universalise une seule orientation de l’action : rationnelle par rapport


à un but, qui plus est économique. Or l’action peut aussi être rationnelle par
rapport à une valeur, traditionnelle ou affective/émotionnelle.
• Faible valeur prédictible

4. Les modèles économiques du vote : le vote du porte-monnaie

• Utilité monétaire que les individus vont retirer du vote


Modèles économétriques du vote : mise en variation de variables macro-
économiques (ex : le PIB, l’inflation, le taux de chômage) avec des variables
politiques (côte de popularité du Président, résultats électoraux du parti
majoritaire). Analyses de corrélation (Est-ce que la côte de popularité augmente
lorsque l’inflation diminue ?). Cela suppose que corrélation égale causalité.

L’analyse la plus célèbre est celle de Kramer qui montre une forte influence de
l’évolution du revenu disponible par habitant sur les scores du parti présidentiel.
Modèles très sophistiqués.

Le paradoxe du vote : Downs admet que les citoyens, comme chez Lazarsfeld, ne
sont pas tous parfaitement informés. Il reconnait que l’incertitude prévaut, mais
inverse la perspective en faisant de l’ignorance, voire de l’abstention, un acte
rationnel. En effet, le coût pour un électeur de voter (se déplacer, se renseigner)
dépasse largement le résultat, aléatoire et ne dépendant probablement pas d’un
bulletin unique.

La résolution du paradoxe se retrouvera dans une abondante littérature : parmi les


raisons qui poussent les individus à voter sont soulignées des « satisfactions
psychiques » (sens du devoir accompli), des normes civiques (ex : la relance postale
qui incite à voter augmente la participation) et de la pression sociale.

Les 2 débats principaux

• Qu’est-ce qu’il faut prendre en compte ? Rétrospective vs prospective


(promesses électorales) voting
• Est-ce que les individus prennent en compte leur bien-être personnel
(egocentric vote) ou le bien-être général (sociotropic voting) ?
Le sociotropic voting dénature le modèle rationnel (puisque ce modèle se
base sur la maximisation des intérêts des individus)

E. La redécouverte des institutions et des campagnes électorales

1. Nature de la consultation
• Élections/votations : le comportement est moins structuré par les
identifications partisanes lors des votations. Ex : référendum de
2005 (LCR et FN pour le non, PS et UMP pour le oui). Les jeunes

39
Comportements politiques Robin Freymond

Suisses votent davantage sur des enjeux précis (ex : abolition de


l’Armée) qu’ils n’élisent.
• Élections nationales/locales : liens plus étroits entre
représentants/représentés dans les élections locales (municipales),
cela va au-delà des identifications partisanes.
En Suisse : nationalisation de la vie politique, les identifications
partisanes plus importantes pour les élections au CN que pour les
élections communales
• Rang des élections : élections intermédiaires (élections
européennes ou régionales) : possible recul de la coalition
gouvernementale (après l’état de grâce)
2. Influence du mode de scrutin
• Les 3 lois de Duverger : scrutin majoritaire à 1 tour, à 2 tours,
proportionnel
Critique de Rokkan (voir IPDC)
Selon Duverger, le mode de scrutin proportionnel favorise le
multipartisme, le scrutin majoritaire à un tour, le bipartisme, le
scrutin majoritaire à deux tours, la bipolarisation. Duverger a été
critiqué par Rokkan et Georges Laveau qui disent que le système
partisan doit moins au système de scrutin qu'aux pressions sociales.
Rokkan pense que les fonctionnements des partis dépendent plutôt
des clivages sociaux (centraliste/ régionaliste, catholiques /
protestants ...) qui donnent lieu à des familles de partis. Il s'agit de
rapporter les systèmes de partis moins aux règles du jeu qu'à des
facteurs sociaux, historiques. Entre Duverger et Rokkan/Laveau, la
causalité est renversée.
Le scrutin majoritaire favorise le vote utile
• Leur aspect déterministe
• Les mécanismes à leur origine

3. La notion de vote stratégique


• A. Définition classique : Le vote pour un parti ou pour un candidat
qui n’est pas le préféré de l’électeur dans l’absolu (la perception des
chances de l’emporter pour le candidat que l’on préfère).
• Les différents types de vote stratégiques

Types de votes But recherché


Vote classique (vote utile) Faire barrage au parti le moins
apprécié, choisir le moindre mal

Vote prêté “Threshold insurance” : en cas de


quorum, permettre à un partenaire de
coalition présumé d’être représenté
au Parlement

Stratégic sequencing Choisir P2 pour lui donner la priorité


dans la formation d’une coalition

40
Comportements politiques Robin Freymond

(coal. P2-P1 préférée à coal. P3-P1 et à


d’autres coalitions)

“Strategic balancing” (Cox, 1997) Équilibrage des pouvoirs (ex : exécutif


vs. législatif ; national vs. Local)

Vote compensatoire Choisir un parti plus extrémiste que


son favori dans l’espoir de faire
converger une coalition vers sa propre
position
Ex : des socialistes votant PC pour faire
pencher le PS à gauche

France, présidentielle 2002 : quand le vote utile n’a pas lieu, vote utile inversé

21 avril 2002 : expression des préférences de chacun (éclatement de la gauche


plurielle) avec la certitude de Jospin au second tour. Réflexe du vote utile n’a pas
fonctionné au premier tour en 2002. Non-remise en question des résultats du
deuxième tour prédit, aucun autre scénario envisagé (tous les sondages se
trompaient : difficulté à identifier le vote FN, mécanismes de désirabilité sociale,
on ne dit pas au sondeur qu’on va voter FN). Abstention record et démobilisation
importante.

4. L’influence de l’offre politique sur le comportement électoral

• Le nombre de partis : choix restreint en cas de bipartisme, en cas de


multipartisme le choix peut se restreindre en raison des alliances (exemple :
alliance PS-PC où l’on présente un candidat PS Ou PS) ou des désistements
au profit d’un candidat au second tour
Ex : élection au Conseil d’Etat vaudois. La droite a présenté au second tour
un ticket Chevalley-Nicollet. Démobilisation électorale de la droite au
second tour. Vote compact rose-vert. Une partie de l’électorat Verts-Libéral
biffa Nicollet au profit de la candidate verte Mettraux.
• Les stratégies partisanes : les partis décident des stratégies de « cordon
sanitaire » pour empêcher un parti de gouverner (exemple : Front
républicain pour barrer la route au FN).

41
Comportements politiques Robin Freymond

Chapitre 4 : Problèmes et controverses autour du vote


A. La compétence politique
B. Le vote de classe

A. La compétence politique

1. Interpréter l’incompétence politique

a. La compétence en France et aux États-Unis : similitude et différences

Similitudes

• Indifférence du plus grand nombre : nombreuses personnes incompétentes


• Diversité sociale des modes d’appréhension (ex : certains sont capables de
mesurer les différences entre candidats trotskistes quand certains sont
incapables de savoir qui est à gauche/droite)
• Différents modes de production des opinions

• Modèle américain plus basé sur l’individu (donc sur le niveau de


compétence plus que sur les inégalités sociales de politisation)
• France : compétence technique mais aussi statutaire
• Une moindre focalisation sur la mesure d’un niveau moyen de
sophistication (pour parler de la compétence aux USA : cohérence des
opinions) : une attention aux inégalités sociales de politisation
• Relative discrétion du débat français sur la compétence dans l’espace public
(débat sur la compétence assez courant dans l’espace médiatique)

b. Les éléments internes de mise en question de la vision bourdieusienne

Liens entre les différents aspects de la compétence et déterminants de la


compétence

1. La compétence technique et la compétence sociale : confusion entre


capacité sociale et compétence politique. Selon Bourdieu, la capacité
sociale empêcherait la capacité technique. Or, dans « Questions de
sociologie », il évoque la compétence politique des ouvriers (dans la
description des rapports entre directions et ouvriers) mais incapables et
désarmés quand il s’agissait d’évoquer des questions de type d’enquêtes
d’opinion.

Comment expliquer les mouvements de chômeurs ? Le schéma bourdieusien ne


résout pas cette incohérence (incompétence sociale mais compétence politique).

42
Comportements politiques Robin Freymond

Il peut y avoir à l’inverse de l’autorité (capacité sociale) sans compétence


(politique). Des individus peuvent se sentir autorisés à parler de politique sans pour
autant avoir de compétence politique.

Chez Bourdieu, la compétence technique est essentiellement est régie par la


compétence sociale (instruction). Or, ce n’est pas certain.

Bourdieu : la compétence technique


- Possession de « connaissances savantes et pratiques pour produire des
actions et des jugements proprement politiques »
- « Maitrise du langage proprement politique »

Ces 2 capacités, « tout permet de supposer qu’elles varient comme le capital


scolaire »

Federini et Lahire : travaux sur l’engagement résistant des intellectuels

Michel et Simon : « les sans-réponses aux questions politiques : rôles imposés et


compensation des handicaps »

Faire varier la compétence politique avec le niveau d’instruction empêche de


penser la socialisation en dehors du système scolaire. L’acquisition d’une
compétence politique demande des acquisitions pratiques dans la famille
(socialisation politique : premier bulletin de vote). Dans la famille : transmission
d’une mémoire politique, ce qui est interdit/permis
Socialisation davantage par imprégnation.

Federini : l’acquisition tardive de compétence politique (à la suite d’un


déclassement, d’une rupture pro) diffère de l’acquisition précoce d’une culture
politique. Toutes les dispositions politiques ne sont pas équivalentes, du point de
vue de la manière dont elles ont été incorporées. L’acquisition d’une compétence
politique passe par une socialisation spécifique, mais bien davantage une
imprégnation (parler des votations en famille, regarder les informations et
commenter) que par une inculcation méthodique.

L’école peut-elle palier des lacunes dans la compétence politique, et si oui,


comment ?

Bourdieu n’a tendance à ne penser la socialisation politique par le biais de l’école.

Michelat et Simon démontrent que l’appartenance aux syndicats, aux PC peut offrir
une compétence politique aux ouvriers n’ayant pas de diplômes.

c. Sens pratique et enfermement des dominés dans la pensée pratique

43
Comportements politiques Robin Freymond

Connaissance et maitrise pratique par les corps de l’espace qui nous enveloppe.
L’ordre social s’inscrit dans les corps. Compréhension pratique qui s’oppose à une
compréhension savante et consciente. Le language n’intervient pas
(compréhension non conceptuelle).
Sartre et le garçon de café : Sartre projette une conscience d’intellectuel dans le
garçon de café, or Bourdieu souligne qu’il n’a pas de distance à son poste et qui a
un rapport pratique à sa pratique.

« C’est par l’incorporation de structures sociales sous la forme de structures


dispositionnelles que j’acquière une connaissance et une maitrise pratique de
l’espace englobant », Bourdieu dans Méditations pascaliennes. Difficulté de
démontrer ce qui relève de l’habitus ou de la conscience.
La connaissance pratique est une cécité à sa propre vérité.
Bourdieu : on peut s’abandonner +/- au sens pratique (+ dans le sport). Pour les
positions en porte-à-faux dans l’espace social (les parvenus, les déclassés) contrôle
et conscience plus importante, donc ils s’abandonnent moins au sens pratique que
les autres. Surveillance et correction. Ceux qui sont en position dominée
s’abandonnent plus au sens pratique. Les dominants peuvent produire une
explicitation de leur expérience (connaissance consciente et savante, acquisition
de la culture légitime), contrairement aux dominés incapables d’avoir une
« distance au monde ». Discontinuité radicale entre la maitrise pratique et la
maitrise verbale, c’est pourquoi les dominés s’en remettent à des porte-paroles.
Pris dans les urgences matérielles, les dominés n’accèdent pas à la « logique
logique », mais restent cantonnés à la logique pratique.
Voir Bourdieu/Rancière, Charlotte Nordmann

Critiques (Nordmann)

- Distinction anthropologique entre les hommes du loisir et les hommes de


la nécessité
Chez Bourdieu, il y a une discontinuité entre la maitrise pratique et la
maitrise verbale.
1. Pourquoi associer l’urgence à la pratique ? Il peut y avoir au sein même
de la pratique de la réflexivité. Bourdieu compare les dominés aux
sportifs, pris dans l’action (la pratique) et donc incapables de réfléxivité.
Nordmann lui oppose le fait que l’urgence peut être neutralisée, que les
gestes du sportifs comme ceux des dominés sont composés de
« répétitions », fruits de calculs, de réfléxion, de corrections.
De plus, comment expliquer à l’aide du schéma bourdieusien, que des
catégories sociales détachés des nécessités économiques
(commerçants, patrons d’industries) mais dépourvus de diplôme (de
capital culturel) possèdent des goûts, des pratiques culturelles et des
jugements similaires aux classes les plus dominés.
- Les dominants ont accès au logos (propos articulé, language rationnel) et
au phonés (voix inarticulée qui dit la douleur, cri). La pratique a aussi un
language, la discontinuité n’est peut-être pas aussi radicale.

44
Comportements politiques Robin Freymond

Les dominés peuvent-ils parler ? La réponse est non selon Bourdieu. Le


passage de l’éthos au logos, de la pratique à la réflexivité constitue selon lui
un saut. Il estime que pour accéder à la logique, il faut suspendre « la
nécessité ».

« J’ai été frappé de me heurter au fait que les mêmes interlocuteurs qui, en situation
de bavardage, faisaient des analyses politiques très compliquées des rapports entre
la direction, les ouvriers et les syndicats et leurs sections locales, étaient
complètement désarmés, n’avaient pratiquement plus rien à dire que des banalités
dès que je leur posais des questions du type de celles que l’on pose dans les
enquêtes d’opinion – et aussi dans les dissertations. C’est-à-dire des questions qui
demandent qu’on adopte un style qui consiste à parler sur un mode tel que la
question du vrai ou du faux ne se pose pas » (Bourdieu, Questions de sociologie,
Paris, Minuit, 1980, p. 11 »

Nordmann se fonde sur cet extrait de Bourdieu pour souligner les limites de sa
distinction anthropologique entre dominants et dominés, entre le logos et le
phoné. Chez Bourdieu, les dominants sont en mesure de maitriser le logos, et par
conséquent de traduire le phoné, ce dont les dominés sont incapables. Or, cet
exemple démontre les lacunes de la théorie de Bourdieu sur ce sujet. Les dominés,
ici, sont capables de développer des analyses politiques complexes. Ils accèdent à
la parole politique : le problème n’est pas celui du logos, mais davantage
l’appropriation d’une langue particulière, « le code politique ». Cela peut renvoyer
à la compétence statutaire.

- Problème de l’universalisation (les dominés sont incapables d’universaliser


chez Bourdieu). Pour Bourdieu, les jugements politiques sont pris dans la
singularité de leur expérience individuelle. Or, la montée en généralité est
la forme d’universalisation.
La langue populaire est opposée à la langue bourgeoise sur 3 principes
1. Enfermée dans l’immédiateté propre à la pensée pratique
2. Langue concrète, opposée à une langue légitime cultivant l’abstraction
3. Enfermé dans la particularité et la subjectivité
- Tension permanente entre 2 modes d’expressions : formules toutes faites
(petites phrases préfabriquées) et références concrètes à l’expérience
immédiate qui interdit l’universalisation.
Nordmann reproche à Bourdieu d’être dans une appréhension
misérabiliste des catégories populaires.

Bourdieu va contre la doxa démocratique (tous les hommes sont égaux


politiquement puisque tous les hommes peuvent voter). L’exclusion des
dominés de la participation politique est une auto-exclusion (il parle
d’aristocratie technocratique). Pour Bourdieu, la compétence politique est
un attribut statutaire, par conséquent la compétence technique dépend de
la compétence sociale.

45
Comportements politiques Robin Freymond

« L’imaginaire dominant ne laisse guère de choix au dominé : il faut que ce


soit un sous-homme ou un sur- homme. (...). Je pense qu’on ne peut espérer
rendre compte des pratiques politiques des classes populaires que si l’on
s’oblige à une double lecture : il faut montrer qu’il existe des formes
particulières, propres aux classes populaires, de pensée et d’action
politique, tout en faisant voir en même temps que la pratique et la culture
politiques des classes populaires demeurent, jusque dans leurs formes les
plus autonomes, marquées par la domination dont celles-ci sont l’objet. Le
politique est sans doute l’un des domaines où l’ambivalence des pratiques
populaires est la plus forte ; par exemple, pour les paysans ou pour les
lycéens provinciaux, venir manifester à Paris est à la fois un hommage et
une menace, c’est à la fois reconnaitre la position dominante de ‘la capitale’
et venir y ‘foutre le bordel’ » Grignon.

d. Richard Hoggart et l’interprétation de l’indifférence à la politique

Hoggart : école de Birmingham. La culture du pauvre. Hoggart étudie l’influence de


la culture diffusée dans la classe ouvrière par les nouveaux moyens de
communication. Il décrit finement le paysage quotidien de la vie populaire. L’idée
centrale développée est qu’on surestime l’influence des produits de l’industrie
culturelle dans les classes populaires. Analyse à partir d’enquêtes, de sa propre vie
et de littératures. Son interprétation diffère de celle de Bourdieu. Il va montrer que
ces comportements d’indifférences à la politique peuvent être interprétés comme
une forme positive de contrôle culturel de ce qui est incontrôlable. Cette
indifférence à la politique peut être considéré comme une marque d’autonomie
des cultures dominées. La division entre « eux » et « nous » est le cynisme des
ouvriers. Le monde de « eux » apparait comme un monde inconnu et souvent
hostile, « eux » est un groupe occulte, mais néanmoins nombreux et puissant.
Hoggart sur l’ambivalence de la culture populaire : l’autonomie de la culture
dominée va rendre service à la domination en « auto-éliminant » les classes
populaires, il y a une « acceptation sans reconnaissance » de l’état de fait.
Description idéologique qui met l’accent sur les processus de domination et une
analyse culturelle qui met l’accent sur l’unité de la classe populaire.

Grignon et Passeron

« Il ne s’agit pas, par exemple, de renvoyer dos à dos une description culturaliste
des comportements populaires « d’indifférence à la politique » comme forme
positive du contrôle culturel de l’incontrôlable et une description idéologique des
mêmes comportements comme effet fonctionnel de la domination subie : «
résignation », acceptation, démobilisation. Il faut en venir à décrire les services
propres que l’autonomie des cultures dominées rend à l’exercice de la domination,
et qu’elle ne peut lui rendre, à son corps défendant, qu’en tant que cohérence
culturelle dont la positivité́ vécue ne se réduit jamais au sens idéologique. Mais il
faut en même temps décrire les conditions imposées par la domination à l’exercice
de la cohérence culturelle pour comprendre complètement celle- ci »

46
Comportements politiques Robin Freymond

Analyse idéologique et analyse culturelle chez Grignon et Passeron

• Analyse idéologique : montrer ce que les structures du système culturel ont


comme fonction dans la domination
« (au sens strict d’analyse fonctionnaliste) la description sociologique qui s’opère
en interprétant les formations symboliques (verbales ou pratiques) par référence
aux fonctions qu’elles assument dans les rapports de domination ». (p.71)
« décrire ce que le sens des pratiques symboliques doit aux fonctions qu’elles
assument par rapport à la domination » (p.29)

• Analyse culturelle : montrer la cohérence culturelle du système culturel


« La description qui, opérant à partir du concept de « système », interprète les
éléments (les « traits culturels) par référence à la cohérence interne et autonome
du système » (p.71)
« Les descriptions qui mettent en rapport une culture de classe avec la condition
sociale de ceux qui la pratiquent » (p.29)

e. Le ou la politique ?

« On peut distinguer (...) deux définitions de la politisation des individus : l’une,


restrictive, qui s’attache aux rapports que les individus entretiennent avec la
sphère institutionnelle spécialisée ; l’autre, extensive, qui dépasse cette définition
conventionnelle de la politique pour considérer comme « politisés » des intérêts,
des attitudes et des pratiques sans lien avec cet espace institutionnel »

La politisation comme remises en cause de la différenciation des espaces


politiques. (Tout est politique dans les groupes d’extrême-gauche)

La conception restrictive : conception institutionnelle. Les travaux vont diverger


sur la question du seuil de politisation (non selon Gaxie et le « vote désinvesti »).
Dénier le caractère politique (comme si la politisation était une forme
d’acculturation). La conception élargie de la politisation.
Le deuxième axe et la conception extensive : la notion de compétence politique
chez Bourdieu est une conception restrictive.
2 réponses distinctes apportées par la littérature.

a. Le politique comme l’existence de clivages

Conception de la politisation de la parole comme le passage vers une situation de


communication caractérisée par le fait qu’un au moins des interlocuteurs prend
position sur un clivage, c’est-à-dire sur une opposition qui les dépasse au sens où
elle ne se limite pas à ce qu’ils sont personnellement. (Duchesne, Haegel). Selon
ces auteurs, la conflictualisation est au cœur du processus de politisation. Bien que
le conflit reste le plus souvent latent, la discussion ne mène pas forcément au
consensus (comme le pense l’idéal délibératif), menant à l’émergence de
désaccords et clivages. En outre, les logiques de compétence (spécialisation) et
d’implication (conflictualité) ne se recoupent pas nécessairement : avoir des

47
Comportements politiques Robin Freymond

compétences politiques et des diplômes ne poussent pas forcément à prendre


position.

Camille Hamidi : critique les visions « légitimistes » qui vont uniquement prendre
en compte ce qui se passe dans la sphère institutionnalisée. Or, on légitime les
dominants qui disent que « le politique » est uniquement ce qui se passe dans le
champ institutionnalisé, on se fait juge des frontières du politique. En réaction à ce
risque, il faut repérer le politique par sa fonction de résolution des conflits, par la
référence aux principes généraux, la montée en généralité et l’existence de clivage.

Gamson et les 3 composantes des cadres de l’action collective


• Définition des cadres : « des ensembles de croyances et de significations
orientées vers l'action » qui « inspirent et légitiment les activités et les campagnes
» des segments organisationnels d'un mouvement social (SMO)

• 3 composantes des cadres de l’action collective :


• l’« injustice » (le sentiment indigné de l’existence d’une injustice). Dénaturaliser
la situation (ex : la situation du chômeur).
• l’ « agency » (le sentiment qu’il est possible de modifier cet état de fait par l’action
collective). Désingulariser la cause (tu n’es pas tout seul dans ta situation)
• l’« identity » (la constitution d’un « nous », en opposition au groupe des « eux »
qui sont perçus comme ayant des valeurs et des intérêts différents). Vision
conflictuelle du monde (opposition du chômeur et du patron).

Duschesnes et Haegel avancent 3 hypothèses

• Le degré de politisation est en partie indépendant de la connaissance


spécialisée du politique. Ex : un étudiant compétent mais qui ne prend pas
position sur chaque clivage, une personne incompétente mais qui met
l’accent sur un clivage de genre. Les ressources mobilisées sont aussi les
affects, l’estime de soi et pas seulement la connaissance politique.
• La politisation varie au cours d’un même entretien et le processus permet
d’observer les ressources des acteurs. Ex : une femme chômeuse qui a un
discours individualisé et fataliste suivi d’un discours de dénonciations des
puissants suivant l’évocation des différentes périodes de sa vie (quand elle
évoque la période de sa vie actuelle : discours individualiste, quand elle
évoque des périodes antérieures plus glorieuses : discours de
dénonciation).
• Différentes configurations de densification politique de la parole, qui
varient selon les structures idéologiques. 2 matrices observées.
• « reconnaissance d’un responsable » – identification au groupe – foi dans
la capacité́ d’action collective ». Plutôt de gauche
• « naturalisation des clivages » « appel à un arbitre » « action individuelle
». Plutôt de droite

b. Les résistances comme compétence des faibles

48
Comportements politiques Robin Freymond

Michel de Certeau (auteur à l’origine des travaux de Scott)

Compétence politique qui s’exprime dans l’infra-politique (aux antipodes de la


compétence technique bourdieusienne). De Certeau reprend et critique à la fois
Bourdieu et Foucault.

Les tactiques comme dernier recours du faible. Distinction entre tactique (pour les
dominés) et stratégie (pour les dominants).
Les tactiques : absence d’un propre, aucune possibilité de se donner un projet
global et une autonomie, habile utilisation du temps et des occasions qu’il
présente, résistances, coup par coup et ruses.
Les stratégies : possibilité d’un lieu susceptible d’être circonscrit comme un propre
(maitrise du lieu et du temps, partition de l’espace), calcul des rapports de force,
type spécifique de savoir.

De Certeau dit que sous le monothéisme de la domination survivrait un


polythéisme de pratiques disséminés, singulières et plurielles. Résistance par le
bas.

De Certeau sera fortement critiqué par Grignon et Passeron et accusé de


« populisme ». M. de Certeau désigne ce qu’il faut regarder (les tactiques) et ignore
les stratégies (il ignore les tentatives des dominés d’avoir un propre). Cela tend à
considérer les actions des dominés comme subordonnés aux groupes dominants.
Illustration du populisme qu’on retrouve chez des intellectuels (expression d’un
ethnocentrisme de classe). Refus de l’autonomie symbolique des cultures
populaires, qui sont considérés par des intellectuels comme de Certeau comme
unique contre-point de la domination.

Contradiction chez Bourdieu : domination symbolique omniprésente


(méconnaissance de l’arbitraire) et dimension politique dans tout l’ordre social, ET
en même temps la compétence politique est définie uniquement par le champ
politique traditionnel (institutionnel). Socialisation à l’obéissance de multiples
manières et dans le même temps compétence politique univoque.

f. Shortcuts et heuristiques

Comment expliquer la production d’opinion chez des individus faiblement


informés ?
Des recherches issues pour certaines de :
- La théorie du choix rationnel
- La psychologie politique

Convergence pour produire une vision des citoyens : individu faiblement informé
mais qui se sert de son expérience personnelle ou de raccourci (shortcuts) à partir
d’indices, de schémas ou de signaux (à faible contenu informationnel mais forte
composante émotionnelle) pour produire des opinions à moindres frais (et par
conséquent voter).

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Comportements politiques Robin Freymond

Heuristiques de jugement

• Heuristiques de disponibilité́ (se contenter des informations les plus


accessibles pour produire des évaluations)
• Heuristiques de représentativité́ (déduire à partir de la connaissance d’un
élément isolé une évaluation du tout)
• Heuristiques d’actualisation (incorporation de nouveaux éléments,
notamment émotionnels)

Ces auteurs estiment que peu importe si les gens manquent d’infos, pourvu qu’ils
en aient juste assez pour défendre leurs intérêts et leurs opinions (car cela leur
couterait trop cher d’en savoir plus)

D’autres auteurs contestent cette analyse : les électeurs n’en savent pas assez pour
défendre leur intérêt. Ils relativisent par la même occasion les travaux qui
distinguent la compétence politique institutionnelle et la connaissance du
« politique »

g. Pourquoi ce que savent les électeurs a-t-il de l’importance ?

2 faits majeurs

• Une corrélation entre niveau de compétence politique et participation au jeu


politique (le fameux cens caché)
• Les citoyens les plus informés sont les plus aptes à discerner leurs intérêts

B. Le vote de classe

Qu’est-ce qu’une classe sociale ?

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Comportements politiques Robin Freymond

a. La notion de classe sociale chez Marx

1. La possession des propriétés des moyens de productions


(capitalistes/prolétaires ou salariés + propriétaires fonciers) / Conditions
matérielles d’existence identiques
2. La classe en soi et la classe pour soi
3. La lutte des classes

b. La notion de classe sociale chez Weber

3 types de stratifications sociales


1. Situation de classe (dans l’ordre économique)
2. Hiérarchie sociale fondée sur le prestige et l’honneur (dans l’ordre social) :
groupes de statuts (Stand), lié à la naissance (nobiliaire), à la profession
(statut, ex : médecin) au niveau d’instruction
3. La hiérarchie politique qui renvoie à la compétition pour la conquête du
pouvoir (dans l’ordre politique)

c. La notion de classe sociale chez Bourdieu

1. Un espace social structuré par


1.1 Le capital global
1.2 La structure de ce capital
2. Les types de capitaux chez Bourdieu :
2.1 Le capital économique
2.2 Le capital culturel (incorporé, objectivé, institutionnalisé)
2.3 Le capital social
2.4 Le capital symbolique (reconnaissance que confère à l’individu la possession
d’autres types de capitaux)

Bourdieu reprend à Marx

• L’importance de la lutte des classes


• L’approche relationnelle de ces dernières

Différences d’avec Marx

• Le capital économique n’est pas le seul qui compte


• Il se démarque des interprétations marxistes qui tendent à substantialiser
les classes
• Importance de la position relative et de la trajectoire sociale
• Importance du processus socio-historique de la construction des classes et
des catégories sociales : la question du politique

51
Comportements politiques Robin Freymond

2. La thèse du déclin du vote de classe

a. La thèse et sa fragilité

La thèse du déclin du vote de classe renvoie aux alignements collectifs. Ceux qui
défendent le déclin du vote de classe s’appuie sur un argument pauvre (le degré
avec lequel la classe ouvrière vote à gauche). Cette analyse tend à considérer le
vote de classe uniquement à travers le vote d’une classe en soi (et non pour soi).
Cette conceptualisation occulte le travail de construction politique par les
professionnels de la représentation.
L’indice d’Alford : pourcentage d’ouvrier qui votent pour le Labour moins le
pourcentage de classes moyennes qui votent pour le Labour. Ce calcul pose
problème (que faire des professions intermédiaires, des paysans dans l’analyse ?)
car il effectue une distinction grossière entre travailleurs manuels et travailleurs
non manuels. De plus, l’indice confond soutien absolu et relatif. Quand il y a une
baisse du vote de gauche (baisse de l’indice d’Alford), il n’y a pourtant pas une
baisse du soutien relatif des travailleurs manuels.
Cet indice fige les clivages à un état passé (ex : employés vs cadres aujourd’hui). De
plus, cet indice est conçu pour le bipartisme et occulte l’abstentionnisme.

2 thèses pour expliquer l’évolution de l’indice d’Alford

1. Embourgeoisement de la classe ouvrière (désalignement de classe). Théorie


largement discréditée par la crise de 2008.
2. Passage d’un vote de classe à un vote culturel (théorie de Inglehart). Le
clivage matérialiste serait dépassé par un clivage post-matérialiste
progressisme culturel (chez les + diplômés) /conservatisme culturel (chez
les – diplômés).

b. Des clivages sociaux multidimensionnels

Affiner la question de l’appartenance de classe


• Le nombre d’attaches ouvrières
• Le sentiment subjectif d’appartenance de classe
L’indicateur du « sentiment d’appartenir (ou non) à une classe sociale » est
construit à partir de 2 questions :
• Avez-vous le sentiment d’appartenir à une classe sociale
• Si oui, laquelle ?
La désouvriérisation subjective : Sentiment d’appartenance de classe (fort
dans les 60/70) s’est affaibli
La notion d’attributs ouvriers : l’appartenance ouvrière est graduée : on
peut être ouvrier et fils d’ouvrier, ouvrier et en déclassement social.
• L’effet patrimoine (enquête de Capdevielle et Dupoirier). L’indicateur est le
nombre d’éléments de patrimoine (ex : livrets d’épargne, bons du Trésor,
placement d’épargne logement) croisé avec le revenu mensuel brut du
foyer. Le patrimoine détenu (qui est un facteur de sécurité dans une
conjoncture incertaine) a une influence décisive sur les votes.

52
Comportements politiques Robin Freymond

La gauche l’emporte chez les non-possédants et la droite chez ceux qui ont
au moins 2 éléments de patrimoine. Les pauvres « possédants » (petits
indépendants) qui valorisent la promotion individuelle et l’effort votent
davantage à droite tandis que les riches « non-possédants » (salariés
moyens à haut niveau de diplôme) qui s’en remettent à l’Etat-providence
ont plutôt tendance à voter à gauche.
• Une autre manière de mesurer : l’index Kappa. 6 catégories d’occupation :
prise en compte de l’ensemble des choix
• Nomenclature professionnelle : permettent de prendre en compte la multi
dimensionnalité des clivages sociaux.

La volatilité électorale a été interprété comme la fin des appartenances sociales,


alors qu’en réalité elle s’explique par les trajectoires et les changements
d’appartenance, ainsi que les petites nuances au sein des catégories (ex :
l’hétérogamie sociale peut bouleverser un vote).

Les effets politiques du déclassement social : 2 thèses


1. Crée de la frustration et provoquerait du conservatisme et la xénophobie
des votes d’extrêmes droites
2. Modèle additif : processus d’acculturation qui accompagne la mobilité. Les
traces des socialisations antérieures restent tenaces. 2 mécanismes pour
les liens entre mobilité sociale et mobilité politique : la conversion et la
rémanence.
2.1 Conversion : au cours de la socialisation secondaire, des mécanismes
provoquent des conversions (ex : les études, les autrui significatifs).
2.2 Rémanence : la socialisation politique primaire ne sera jamais
totalement supprimée et peut revenir quand bien même on change
d’opinion politique (accommodation). Ex : éducation religieuse
rigoriste qui peut amener à peser l’intégrité morale d’un candidat (de
gauche ou de droite).
Les mobilités politiques expriment des glissements identitaires : la
campagne électorale est une injonction à révéler les identités.

3. Gaucho-lepénisme, ouvriéro-lepénisme et thèse des perdants de la


mondialisation

a. A quoi correspondent ces thèses ?

La thèse du gaucho-lepénisme (Pascal Perrineau) : sur la base de coefficients de


corrélations écologiques, il pose l’hypothèse d’un virage du rouge au brun. Idée
qu’en 1995, la famille des gaucho-lepéniste votent Le Pen au 1er tour puis Jospin
au second (idée que le vote ouvrier vire FN).

La thèse des perdants de la mondialisation : relativisation du rôle des Etats,


globalisation économique qui augmenterait la compétition (gagnants et perdants).
L’explication (Kitschelt) : la progression de la droite radicale est à chercher dans la
« winning formula », capable d’agréger des gagnants et des perdants de la

53
Comportements politiques Robin Freymond

mondialisation. Kitschelt structure la paysage politique à travers 2 axes


(libertaire/autoritaire vs libéral/interventionniste). Idée que les perdants de la
mondialisation seraient tentés par l’autoritarisme et les vainqueurs sensibles aux
valeurs libertaires.

Stein Rokkan : il établit que plusieurs clivages structurent le paysage politique


(clivage possédants/travailleurs, clivage laïc/religieux, clivage centre/périphérie).

Kriesi argumente en faveur de cette thèse, Renwald également (idée chez elle que
le PS a perdu ses ouvriers au profit de l’UDC).

b. L’intérêt de ces thèses

Intérêt empirique : Constat empirique indéniable d’une capacité des partis


populistes à mobiliser des personnes issues des catégories populaires

Intérêt théorique : Importance accordée par cette explication à la situation socio-


économique des acteurs.

c. Les problèmes qu’elles posent

• Le problème de l’indicateur du libéralisme culturel.

Ce raisonnement se fait à partir de sondages. Exemple le travail de Oesch et


Rendwald, dont l’axe culturel possède 2 questions (une question sur l’intégration
européenne et une question sur les étrangers). Les enquêtés pouvant répondre par
(favorable, plutôt favorable, plutôt pas favorable, pas favorable). Le problème est
l’abstention à une ou plusieurs questions. Le second problème est la signification
du « plutôt » ou du « plutôt pas » (s’agit d’une non-opinion, réponse pour « faire
plaisir à l’enquêteur »).
Ce problème s’applique à l’axe économique également.
De plus, il y a une confusion entre le culturel et l’économique (est-ce que la
question sur l’Europe est culturelle ?).

• Le problème de la mesure du vote « populiste »

On le sait, il y a une sous-représentation différentielle des classes sociales. La


question de la représentativité des échantillons : tous les chiffres présentés font
l’objet de redressement. Or, on retrouve une distorsion entre les déclarations et le
vote de certains partis « populistes » (FN, UDC). Selon la région et selon la classe
sociale, il est + ou – avouable de révéler son vote FN.
Pourquoi les sondages ne sont pas représentatifs ? Sondages par téléphone.
Ex : pourcentage de réponse des sondés de l’échantillon aléatoire
En 2011 : 18% de l’échantillon aléatoire répond effectivement au questionnaire
Selects.

54
Comportements politiques Robin Freymond

En 2015 : 44% de l’échantillon aléatoire répond effectivement au questionnaire


Selects, dont 82% en ligne.

L’effet des redressements sur la structure sociale de l’échantillon

• L’exit électoral comme 1er parti ouvrier : part des ouvriers étrangers n’ayant
pas le droit de vote.
Mobilité électorale de l’électorat du FN

Est-ce que les électeurs viennent de la gauche ? Il est probable qu’il s’agit des
fractions conservatrices (personnes + âgés), transfert de voix des ouvriers de
droite.

Sur le vote au second tour pour le Pen : nombreux votants dont les parents étaient
de gauche, mais le contexte n’est pas pareil : place prépondérante du FN, absence
d’un « mai 68 » et de larges mouvements sociaux

Un monde des ouvriers hétérogène


• des générations différentes : les nouvelles générations votent davantage au FN.

• des ouvriers sans sentiment d’appartenance de classe : ceux qui se disent


subjectivement appartenir à la classe ouvrière votent davantage à gauche, quand
ceux qui votent FN parmi les ouvriers n’ont pas ce sentiment d’appartenance de
classe.
• Des ouvriers de secteurs spécifiques : ouvriers de l’agriculture, du bâtiment
et des services aux entreprises (nettoyeurs, chauffeurs,
manutentionnaires). On retrouve également des employés de commerce
(vendeurs, caissiers), des employés de secteurs liés aux PME (industries
agro-alimentaires). Le rapport aux milieux syndiqués, au patronat diffère et
donc au politique et à l’intérêt de classe diffère selon l’entreprise.
« Les ouvriers et les employés travaillent dans des entreprises plus petites
et sont exposés plus directement encore à la logique du marché́ qu’il y a
vingt ans. Isolés dans de petites structures, ces nouveaux ouvriers partagent
à bien des égards les mêmes craintes et objectifs qu’un petit patronat lui-
même fragilisé »
• des ouvriers non-précaires : en 2012, les ouvriers précaires ont d’abord voté
Hollande. Ce sont les ouvriers non-précaires (ceux qui ont peur de tomber) qui
votent FN : ils veulent se distinguer de ceux qui sont en-dessous d’eux (les assistés,
les immigrés). Cela renvoie à la partition des classes sociales de Hoggart : Olivier
Schwarz reprend et amende l’analyse de la vision binaire hoggartienne des classes
populaires (le eux vs le nous) en développant une vision tripartite (les classes
populaires se distinguent des fragiles pour affirmer leur supériorité). Cela renvoie
aussi à ce que V.Girard analyse des ouvriers périurbains.
Olivier Masclet : les ouvriers spécialisés, résidents en banlieue et les vieux ouvriers
spécialisés, incapables d’accéder au pavillon. Ces ouvriers développent une
xénophobie qui leur permet de se distinguer des sous-prolétaires. Masclet explique
aussi ce vote par une incapacité d’accéder à une carrière professionnelle. Face à

55
Comportements politiques Robin Freymond

ces échecs (spoliation des bénéfices symboliques), l’identité française demeure


souvent l’élément inaliénable de son honneur.
Cette thèse « Haut-Bas-Fragile » ne s’avère pas nouvelle. Il y a toujours eux chez
les classes populaires cette distinction. Cette thèse peut être remise en cause par
rapport à la question de la précarité (hausse du vote FN chez précaires).
Beaumont et Challier : La prédominance du capital économique sur le capital
culturel (policiers, militaires, indépendants, certains employés et ouvriers,
paysans, petits patrons). Ils identifient ces personnes comme ayant eu un contact
court et conflictuel avec l’école, ils sont peu membres d’association, ils n’ont pas
de pratiques culturelles légitimes, bref ils n’ont pas un rapport intellectualisé à la
politique, s’avèrent dans un rapport de consentement et de loyauté à la
domination.
Leur rapport à la condition sociale et à celle des autres est un rapport mobilisé
(volonté de monter et de progresser socialement). Selon ces 2 auteurs, c’est moins
la distinction de ceux du bas que l’identification à ceux du haut qui expliquent leur
vision du monde. Ils ont davantage une conscience sociale légitimiste qu’une vision
triangulaire. Pour les classes moyennes en ascension sociale la distinction
s’effectue par rapport au capital culturel du haut (les bobos, les professions
intellectuelles), pour les déclassés c’est ceux du bas qui permet la distinction.
Il y a différentes formes de conservatisme, la droitisation n’est pas homogène.
• la fin de l’effet femme : les femmes, qui, auparavant votaient moins FN, s’est
estompé (auparavant : les viellies cathos et les jeunes diplomées actives et
féministes ne votaient pas).

Le poids des différentes dispositions :

• Les spécificités des parcours de vie : ex : les Anciens d’Algérie ; la sous-


culture biker.
• La spécificité des groupes primaires : la socialisation politique familiale. Ex :
avoir des parents de droite radicale encourage à voter UDC.

Didier Eribon dans son texte met en évidence la situation familiale de sa famille :
vote ouvrier et forte conscience de classe de ses parents
Ses frères : abandon précoce de l’école, un frère commerçant et un frère
gendarme (caractéristique des ouvriers « en bas à droite » ascension sociale par le
capital économique), vote FN, non socialisation au politique, désillusion de 81,
disparition des ouvriers du discours politique, idée d’une gauche passée du col mao
au col rotary.
Eribon met en doute le vote FN de ses parents à un moment (sa mère a voté une
fois FN). Passage d’un vote d’adhésion fidèle de gauche à un vote intermittent avec
une adhésion absente au FN. Eribon estime que c’est une seule partie de l’électorat
communiste qui va voter FN. Globalement, ce sont les nouvelles générations
d’ouvriers (ses frères) qui votent FN. La division raciste supplante la division de
classe lors des faibles mobilisations.

La désobjectivation de la classe ouvrière et sa disqualification sociale

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Comportements politiques Robin Freymond

Triple disqualification (Gérard Mauger)

• Économique : ruine des bastions ouvriers traditionnels (industrie du textile,


sidérurgie)
Nouvelle forme de domination (management des ressources humaines,
réduction du nombre d’ouvrier, dévalorisation des métiers ouvriers)
Sous-traitances pour éviter la concentration ouvrière
Insécurité sociale (chômage, précarité, disqualification de la force physique
et des valeurs de virilité)
• Politique
Utopie communiste à la baisse
Dévaluation du syndicalisme, de la représentation politique et des porte-
paroles
Détérioration des capacités de mobilisation et de résistance (chantage à
l’emploi, multiplications des jobs intérimaires). Baisse de l’identité
collective.
Désobjectivation politique du groupe ouvrier (Robert Hue, Marie-Georges
Buffet)
• Symbolique : ouvriers assimilés à la figure du beauf frontiste, disparition
des mots (la grève devient un mouvement social, le patron devient un
entrepreneur, les licenciements deviennent un plan social, le contremaitre
devient un moniteur).
L’importance de l’école : désagrégation du monde ouvrier par la volonté du salut
social via l’école. Dévalorisation de l’échec scolaire (invalidation) : la
disqualification scolaire. Les enfants d’ouvriers intériorisent désormais
l’invalidation de l’échec scolaire, ainsi que la dévaluation du travail manuel et de la
condition ouvrière (en rupture avec le rejet scolaire par les ouvriers traditionnels).

L’abandon des classes populaires par la gauche

1983 : le tournant de la rigueur, Jospin en 2001 (l’Etat ne peut pas tout face aux
fermetures d’usine), la gauche ne parle plus des ouvriers et ne parle plus aux
ouvriers (rapport Terra Nova).
L’offre politique peut modifier les préférences partisanes : la gauche peut
récupérer certains électeurs traditionnels de la droite (les taxis, les ouvriers
d’hôtels de luxe) en les défendant. Des visions du monde, selon l’offre politique,
peuvent varier.

d. La question du racisme en milieu ouvrier

Beaud et Pialoux : l’identité raciale va venir compenser la forte dévalorisation que


connait l’identité ouvrière. Volonté de maintenir la distance avec les ouvriers
spécialisés les conduit à exprimer du racisme (davantage du mépris de classe que
du racisme).

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Comportements politiques Robin Freymond

Ainsi, lors d’un entretien avec un chercheur, le racisme peut être utilisé pour
résister à la violence symbolique et montrer son hostilité au chercheur.

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