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Géraldine GUÉRILLOT (Agence Nationale de la Recherche), Isabela PAES (LITEM et CPN) et Jean-Luc
MORICEAU (IMT-BS/LITEM)
Début 2010, Juliette est journaliste, elle travaille dans un grand journal économique français. Elle sort
du comité de rédaction. Deux points majeurs viennent d’être discutés : un prochain numéro spécial
sera dédié au développement durable et aux pratiques de Responsabilité Sociale des Entreprises ; il
faut des sujets qui génèrent de l’audience. Ce thème est stratégique pour le journal car il pourrait
améliorer les relations du journal avec les grands groupes. Juliette est contente du choix du thème. Elle
se met tout de suite en quête d’un sujet original, avec l’objectif que son article puisse sortir du lot. Il
lui faut un bel exemple d’action de RSE, qui sorte de l’ordinaire. Des recherches dans les archives du
journal lui font tomber sur ce communiqué de presse d’Axa, grande compagnie d’assurance du CAC
40 :
Axa France participe à l’opération Besançon clic en donnant plusieurs milliers d’ordinateurs
Dans le cadre de ses engagements sociétaux et environnementaux de développement durable, AXA France
cherche à retraiter ses matériels informatiques dans l’esprit de solidarité qui sous-tend notre métier d’assureur.
Chaque année, AXA France renouvelle une partie de son parc informatique, ce qui représente environ 10.000
ordinateurs à remplacer par an.
Dans le cadre de ses engagements sociétaux et environnementaux de développement durable, AXA France
cherche à retraiter ses matériels informatiques dans l’esprit de solidarité qui sous-tend notre métier d’assureur.
Voilà un sujet enthousiasmant et excitant ! Avec un tel sujet, son article devrait passer au premier plan.
Elle, qui suit pourtant les actions de RSE des entreprises, n’avait jamais entendu parler de ce type de
dons de seconde main. Là, il y a un impact d’envergure : il s’agit tout de même d’équiper un nombre
important d’écoles au Sénégal. Le thème semble pertinent pour ce numéro spécial et résonne avec ses
propres convictions : réduire la fracture numérique en répondant au principe des 3R qui consiste à
réutiliser, réparer, puis recycler plutôt que de jeter un bien usé. Mieux diffusées, de telles pratiques de
RSE, sur le modèle “win-win”, pourraient peut-être inspirer d’autres entreprises. Quoi de plus
astucieux que de profiter du renouvellement de son parc informatique pour aider les pays du Sud à se
développer !
Ce type d’action mérite d’être étudié et cité en exemple, se dit-elle. Il rentre dans les Objectifs du
Millénaire pour le Développement (OMD) de l’ONU, et ses huit objectifs approuvés par toutes les
grandes institutions mondiales de développement. Le débat est alors fort concernant l’apport des
Technologies de l’Information et de la Communication (TIC). D’un côté, l'information est une
ressource essentielle pour le développement durable. L'Agenda 21 adopté au sommet de la Terre à Rio
en 1992, suivi par le plan d'action de Johannesburg (2002), affirment que chacun doit être un utilisateur
et un fournisseur d'informations. D’un autre côté, les TIC sont de plus en plus critiquées pour leur
contribution à la pollution et au réchauffement climatique.
Ce qui plaisait beaucoup à Juliette, c’est qu’il s’agissait d’un des géants économiques français : AXA.
L’un des plus grands groupes d’assurance au monde ! Elle consulte le rapport annuel de 2009 : AXA
est présent dans 50 pays, emploie 216 000 personnes et dessert 96 millions de clients particuliers et
entreprises, avec un chiffre d'affaires de 90 milliards d'euros et 3,6 milliards d'euros de bénéfice net.
AXA est la première marque d'assurance au monde, selon le classement du cabinet de conseil mondial
Interbrand.
Ce communiqué de presse date déjà de trois ans, mais Axa a bien affirmé sa volonté de continuer et
d’élargir son action. Juliette vérifie alors qu’aucun des journaux de la concurrence n’a publié d’articles
sur ce sujet. Apparemment rien de substantiel. Elle se dit qu’il faut commencer par Axa, puisque le
communiqué expliquait qu’Axa « donnait les ordinateurs ». La journaliste commence à rassembler
toutes les informations disponibles et notamment le rapport d’activité de la compagnie. Dans un article
du Monde Informatique, elle lit « Nous avons notamment un accord avec la ville de Besançon pour
équiper les écoles et les hôpitaux ou encore avec le Sénégal pour développer des salles multimédias
dans l’enseignement primaire ».
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Figure 2 : Extrait d’un article du Monde informatique
3
4
Le rapport annuel 20062 précise : « 500 ordinateurs provenant du renouvellement informatique du
parc d’AXA France ont été installés dans 25 écoles. Le projet est d’équiper progressivement une
majorité d’écoles du Sénégal de salles informatiques multimédia. ». « Je veux en savoir le plus
possible sur cette opération », en conclut-elle.
2
Rapport annuel 2006 d’Axa France « Bâtir la Confiance, « ACTIVITÉ ET DÉVELOPPEMENT DURABLE, Rapport
annuel » p 71
3
Rapport annuel 2006 d’Axa France « Bâtir la Confiance, « ACTIVITÉ ET DÉVELOPPEMENT DURABLE, Rapport
annuel » p. 38
4
Rapport d’activité 2006 d’Axa France « Bâtir la Confiance, L’ ACTIVITÉ D’AXA FRANCE EN 2006 » p. 5
5
Il est aussi mentionné dans le cahier des indicateurs :
“30 487 kg de matériel électronique et informatique est valorisé en accord avec les principes de
développement durable.”
En relisant le communiqué, elle constate qu’il évoquait bien lui aussi les actions de l’association Axa
Atout Cœur, acteur dedu mécénat social ainsi que la présence d’une filiale implantée au Sénégal : Axa
Sénégal.
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contribuer à l’emploi de personnes handicapées. Juliette se renseigne en allant voir le site de la ville
de Besançon qui semble être à l’origine de cette opération. Elle voit que c’est un projet de référence :
en 2007, Besançon reçoit le e-award de la Commission Européenne dans la catégorie des services
publics pour l’inclusion et plus de cohésion ; en 2009 le Trophée CIO 2009 « Entreprises et Société de
l'Information » dans la catégorie Responsabilité Sociétale pour son action de réduction de la fracture
numérique tout en sauvant la planète Sur le même site, elle découvre qu’en 2006, Sénéclic, « un
concept similaire à Besançon.clic » est mis en place en République du Sénégal. Il est précisé qu’à
travers la Sénéclic 1 500 écoles sont équipées de 30 000 ordinateurs.
Elle commence à retracer la filière. Les ordinateurs donnés par Axa sont acheminés vers la ville de
Besançon, qui dans le cadre de l’opération “Besançon Clic” les retraite par des travailleurs handicapés
du CHAT puis les envoie par containers au Sénégal afin d’équiper les écoles primaires de salles de
multimédia. Pourtant quelque chose ne semble pas clair : pourquoi cette organisation de la Sénéclic en
miroir ? Et en définitive qui fait quoi, que fait Axa, quel est le rôle des sénégalais dont on parle bien
peu ?
Il lui faut se rendre sur place pour en savoir plus. Elle parvient à convaincre son chef de l’envoyer en
reportage. Il partage l’idée qu’il faut relayer ce type d’actions, qu’il faut que cela se sache afin que
d’autres entreprises puissent s’inspirer de telles initiatives, qui font honneur à la France ! Elle prend
dès à présent un rendez-vous avec le Directeur de la Sénéclic.
3. Entretien à la Sénéclic
Arrivée à Dakar la veille, Juliette a rendez-vous avec M. G., chef de projet e-déchet à la Sénéclic.
Celui-ci lui explique que cette dernière est une agence nationale de lutte contre la fracture numérique
et qu’elle se préoccupe de plus en plus des déchets d'équipements électriques et électroniques (DEEE).
Elle a été créée par le Président Sénégalais, à l’initiative du Fonds mondial de Solidarité Numérique
(FSN), en partant du principe qu'il n'est pas possible d'équiper tout le Sénégal avec des ordinateurs
neufs. Ainsi la lutte contre la fracture numérique se fait essentiellement par du matériel de seconde
main. M. G. précise toutefois que la pression environnementale s'accélère car de plus en plus
d’ordinateurs entrent dans le pays sans qu’il soit possible d’estimer leur durée de vie, “les douanes du
pays ne faisant pas la différence entre matériel neuf et d’occasion.” Lors de l’entretien M. G. explique
en quoi consistent les activités de l’agence :
« Nous au niveau de Sénéclic ce que nous faisons : c’est l’équipement des écoles par du matériel de
seconde main, mais du matériel de seconde main qui est bon, qui est efficace, qui marche. Le matériel
nous vient de la ville de Besançon, parce que Sénéclic a une coopération entre la ville de Besançon et
la société Axa assurance France qui s’est engagée à nous donner des ordinateurs à hauteur de 10 000
par an pendant trois années. Corrélativement il y a d’autres sociétés européennes comme « eurenco »
qui nous envoient du matériel.”
Pour s’en assurer, Juliette demande s’il s’agit bien de dons. M. G. confirme : “Il s’agit de dons de
matériels, et nous à l’arrivée on paye le dédouanement, Sénéclic paye la douane sénégalaise. Mais il
faut qu’on ait la certification que c’est du matériel qui est bien, c’est pourquoi on voudrait que ce
matériel transite par la ville de Besançon parce qu’avec eux nous avons une coopération et ils savent
exactement ce que nous voulons et, eux, ils ont un centre d’handicapés au travail et nous avons un
centre d’handicapés au travail à l’image de celui de Besançon.
En fait quand le matériel de seconde main arrive au Sénégal, le matériel transite par notre centre
d’handicapés au travail, nous pourrons aller le voir. Les ordinateurs arrivent là-bas, il y a des
handicapés là-bas, ça c’est le volet social du projet. Il y a des handicapés qui sont là, ils font le
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nettoyage, le reconditionnement ensuite ils insèrent des logiciels éducatifs. L’équipe technique a trois
ingénieurs, trois techniciens en plus des dix handicapés qui sont au CHAT. En rapport avec des
ingénieurs ils insèrent des logiciels pédagogiques et ensuite ils les emmènent dans les écoles
élémentaires. Donc chaque école est pourvue de 20 ordinateurs plus un serveur, connectés à Internet
plus des logiciels pédagogiques.”
Juliette continue : “quand vous dites toutes les écoles, c’est à Dakar ? À Dakar et dans les régions ?”
M. G. précise qu’il y a 73 écoles à travers le Sénégal et explique comment ils choisissent d’équiper
telle ou telle école :
“Nous n’interférons pas dans l’apprentissage exact, dans ce qui se passe dans les classes. Vous savez
qu’au Sénégal il y a des classes doubles ou triples, y a des classes multigrades ou il y a des classes
simples, ça dépend de l’effectif dans les classes. Par exemple si nous venons dans un établissement de
12 classes, nous, nous ne voulons pas intervenir, par exemple vouloir mettre une salle multimédia et
demander au directeur ou bien à l’inspecteur de jumeler deux classes pour avoir une salle multimédia.
Nous ne faisons pas ça. Il faut que l’école dispose de 12 classes d’abord, ensuite d’une autre salle qui
est libre. […]
S’ils ont une salle libre nous on vient et on réhabilite la salle c'est-à-dire qu’on refait la peinture, on
fait les fenêtres, on sécurise les fenêtres, on enlève et on met tout en fer, on sécurise, fait les peintures,
on fait tout, on amène l’électricité, on fait l’aération, les ventilos et autres, on met tout, on fait le
câblage, on fait la menuiserie, on amène tout, les chaises, c’est nous qui aménageons la salle avec le
budget que nous avons et on amène les machines, on paye l’électricité et la connexion Internet et tout
ce qu’on leur demande c’est d’amener les élèves de temps à autres à utiliser l’outil informatique, pour
que ces enfants-là grandissent avec l’informatique.”
À la suite de cet entretien, Juliette part à la recherche d’informations supplémentaires et de photos pour
son article. Équipée d’un carnet dans lequel elle note toutes ses observations à chaud, d’un dictaphone
pour enregistrer ses entretiens et d’un appareil photo, elle décide de suivre l’itinéraire complet au
Sénégal des ordinateurs d’Axa.
Son voyage a commencé au port et s’est poursuivi d’étape en étape jusqu’à la décharge. Elle a
notamment eu l’occasion de faire une revue de la presse locale (Annexe 1), de visiter le CHAT, Centre
des Handicapés Au Travail du Sénégal (Annexe 2) et de se rendre dans une école équipée par la
Sénéclic (Annexe 3). Elle a aussi participé au Forum Social Mondial qui eut justement lieu à Dakar
cette année là, ce qui lui a permis de s’entretenir à nouveau avec M. L., un des travailleurs du CHAT
(Annexe 4). Elle a pris contact avec M. D, coordinateur de l’ONG ENDA Écopole Sénégal (Annexe
5), qui l’a accompagnée à “Bokk Diom”, centre de formation et de santé des récupérateurs de la
décharge (Annexe 6). Celui-ci a organisé pour elle une rencontre avec des récupérateurs
“électroniciens” dans la décharge de M’Beubeuss (Annexe 7). Certaines des photos qu’elle a prises
sont disponibles sur son blog https://solinum.wp.imt.fr/.
Son enquête fut à la fois humainement riche par les rencontres occasionnées et passionnante, la menant
de découvertes en découvertes. Au moment de commencer à rédiger son article sur ce cas exemplaire,
elle se mit à ressentir une gêne. Une étrange impression que quelque chose ne collait pas, d’un écart
entre le projet vu d’ici, dans son bureau parisien, ce qu’elle avait vécu là-bas. Elle se replongea dans
tous les documents et comptes-rendus afin de conserver des preuves pour ses articles.
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Questions
Avant de commencer à répondre aux questions suivantes, il est conseillé de lire toutes les annexes, de
réaliser un schéma pour reconstituer l’itinéraire des ordinateurs et de noter à la lecture de chaque
annexe ce qui diffère de ce à quoi vous vous attendiez. Demandez-vous si l’histoire de l’opération,
telle qu’elle est racontée et célébrée au Nord, n’omet par certains aspects.
1 – Tant que la journaliste est en France, que sait-elle de l’action d’Axa ? Cette action de RSE vous
paraît-elle “exemplaire” et originale ? Dans le récit qui en est fait au Nord, quel est le rôle attribué aux
différents protagonistes ? Qui est mis en valeur?
2 – Vous faites le point sur ce qu’elle apprend en se rendant au Sénégal. Le récit de la Sénéclic est-il
différent du précédent ? Quels thèmes et quelles questions naissent de la lecture des articles de presse
locaux ? Qu’est-ce que le travail de terrain de la journaliste au Sénégal, les visites de l’école, du centre
Bokk Diom et de la décharge, les rencontres avec M. L., le coordinateur de l’Enda Écopole, les
récupérateurs “électroniciens” de M’Beubeuss, apportent comme informations et perspectives
supplémentaires ?
3 – Vous confrontez les deux regards. À partir des éléments précédents, le récit d’Axa et des
partenaires du Nord vous semble-t-il complet ? À la place de Juliette quel récit raconteriez-vous ?
Quelles autres histoires seraient possibles ? En fin de compte, quelle est la part d’action et les limites
de la responsabilité d’Axa, quels sont ses avantages et ses coûts ?
4– Vous tentez de recadrer l’opération dans la longue durée des relations Nord-Sud. Cette action
vous semble-t-elle singulière ou significative de la relation entre Pays du Nord et Pays du Sud ? Si
vous prenez la perspective du Sud, quelles critiques pourriez-vous apporter à une telle action de
Responsabilité sociale ? Pensez-vous que l’action était exemplaire et méritait un prix ?
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Annexes du cas
Annexe A : Extraits de coupures de presse locale
Article n°1 : SÉNÉGAL - TICS - ENTRETIEN: « Sénéclic n’a jamais bénéficié des fonds du
Fonds de Solidarité numérique » selon M. Ababacar Diop. (Date : 17 Février 201 ; Source : La
dépêche diplomatique.com)
« L’appel lancé en 2007 au Black Caucus par le Président Wade pour avoir 500.000.000 (cinq cent
millions) d’ordinateurs traduit cette volonté politique. […] Avec 73 salles multimédia existantes, plus
de 2000 enseignants formés dans la manipulation de logiciels éducatifs, 50 000 élèves initiés, Sénéclic
participe considérablement à la réduction de la fracture numérique. […] Ababacar Diop : pour l’année
2010, Sénéclic compte faire une extension de salles multimédia en dotant le système scolaire et
élémentaire de 50 (cinquante) salles multimédia en collaboration avec le Ministère de l’Enseignement
du préscolaire et de l’élémentaire ».
Extrait n°2 : Visite d’une salle “Sénéclic” de l’école HLM Patte d’Oie
“Une des écoles, l’école « HLM Patte d’oie », figure dans la liste des écoles équipées. Mon premier
interlocuteur est le gardien de l’école qui me dit que l’école a bel et bien été équipée par la Sénéclic
d’une salle informatique mais que ni directeur ni les instituteurs ne sont là, qu’il faudrait que je repasse
jeudi car le jeudi normalement ils sont là toute la journée et le mardi aussi, les autres jours ce n’est pas
la peine... J’en prends note et demande s’il pourrait quand même me faire visiter la salle informatique.
Il accepte mais je dois patienter.
Je m’approche de la salle informatique, fermée à double tour.et avec des barreaux aux fenêtres. Le
gardien revient et je lui demande depuis quand cette salle est équipée, il me dit que c’est depuis 2007.
20 ordinateurs recouverts de bâches sont disposés en U, le long des murs, il y a deux ou trois
ventilateurs au plafond et un ordinateur, à gauche, dans le coin de la salle, derrière d’autres grilles
supplémentaires. Je demande ensuite si la Sénéclic s’occupe bien de la maintenance, des réparations,
etc., il me dit que oui et soulève la bâche d’un poste informatique. L’écran semble très vieux mais
l’unité centrale plus récente. Tous les ordinateurs ne sont pas les mêmes car malgré les bâches, les
tailles et formes sont différentes. Le gardien me dit qu’il y a en ce moment une coupure et qu’il ne
peut donc pas en allumer un pour me montrer. J’apprends à l’occasion que l’école n’est pas munie
d’un groupe électrogène. Je demande si les enfants utilisent souvent cette salle, il ne me répond pas
clairement. Je précise alors ma question afin de savoir si tous les enfants l’utilisent ou si ce n’est que
pour les grands, « tous les enfants du CP au CM les utilisent » me dit-il, puis il m’explique qu’il y a
des problèmes de chaises et de tables pour le reste des cours, que les enfants les abîment, les cassent
et qu’il en manque dans toutes les salles. En effet, il n’y a que 5 chaises pour ces 20 ordinateurs. Un
ordinateur à part, derrière des grilles supplémentaires, attire mon attention, c’est ici que tout est
centralisé, m’explique le gardien, mais en ce moment cet ordinateur est en panne. Ils doivent dans ce
cas prévenir l’instituteur spécialisé qui est informaticien qui, lui, informe éventuellement le directeur
de l’école, qui contacte la Sénéclic. Ils doivent attendre la Sénéclic pour les réparations, mais c’est
depuis le début de l’année que ce poste est en panne, ils attendent…
Lorsque j’y retourne l’école n’a pas plus l’air en fonctionnement, pourtant il s’agit d’une des journées
où il y a classe. Il n’y a que très peu d’enfants qui jouent dans ce qui fait office de cour. Je me dirige
vers un homme pressé qui passe avec une mallette et me présente. Il m’emmène de suite vers la salle
d’ordinateurs grillagée et me fait entrer. Là, se trouvent sur une paillasse plusieurs femmes allongées
en train de discuter et de rire allègrement. L’homme m’indique une des femmes qui a un foulard sur
la tête et me dit que c’est elle la directrice. La femme me répond tout de suite qu’elle n’est pas
spécialiste mais qu’un des instituteurs a été formé à l’informatique, il sera mieux à même de répondre
à mes questions. Je dis qu’il s’agit simplement de savoir comment s’est passée l’installation de la salle
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et comment elle est utilisée. Je me rends compte qu’en effet elle ne connaît vraiment rien à
l’informatique. Par exemple, elle ne retrouvait pas le mot clavier, ni souris. Elle n’utilise pas cette salle
avec les élèves, et d’ailleurs elle est en panne. En discutant avec l’instituteur spécialisé, j’apprends
qu’il n’y a pas de véritable planning pour l’utilisation de cette salle et d’ailleurs il semblerait que les
élèves ne l’utilisent que très rarement. L’instituteur spécialisé m’explique que les classes étant
composées de beaucoup d’élèves, il faut faire des groupes en divisant au moins par deux la classe, ce
qui pose des problèmes de surveillance. « Qui s’occupe des élèves qui n’utilisent pas la salle ? »
demande-t-il, et je pense intérieurement que le groupe ainsi partagé est encore trop important pour
qu’un élève puisse disposer seul d’une machine. S’ajoute à cela, le problème qui semble tout bête mais
qui est présent : des chaises manquantes pour s’installer devant les écrans. Il n’y en a déjà pas une par
ordinateur alors sachant que les élèves sont par deux ou plus la plupart du temps…
En plus j’ai la confirmation que l’unité centrale est en panne, ce qui fait que la salle n’est pas
fonctionnelle depuis le début de l’année. Nous sommes tout de même fin février. Quand je demande
si la Sénéclic va venir pour le réparer, l’instituteur me répond qu’ils vont venir mais il n’y a pas encore
de date précise. Je demande alors ce qu’ils font des ordinateurs qui ne marchent plus, s’ils appellent
aussi la Sénéclic pour cela. À cette question l’instituteur me répond : « On les donne aux professeurs
qui n’ont pas d’ordinateurs ».
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Extrait n°4 : Entretien avec M. D : coordinateur d’ENDA Écopole, antenne sénégalaise
“M. D. commence à me parler du Centre de Bokk Diom, composé d’un service médical à la décharge
de M’Beubeuss. Ils offrent des formations de six mois renforçant les capacités pratiques et théoriques
de jeunes électroniciens issus des milieux populaires. Il me parle ensuite du projet Clavier pour tous
porté par Enda qui a donné lieu à la création d’une bande dessinée, pour sensibiliser aux problèmes
liés à l’aide au développement qui donne lieu à l’arrivée en masse de déchets électroniques. « Cette
BD marche ici, elle a été testée, il n’y a plus que des ajustements à faire au niveau européen. »
Il confirme qu’au niveau du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), c’est
le Président de la République du Sénégal, M. Wade, qui s’occupe d’une part des infrastructures TIC
et des NTIC. M. Wade a pour volonté d’équiper autant que possible le pays pour réduire la fracture
numérique. Pour cela le Sénégal a créé plusieurs partenariats européens dont les principaux sont avec
AXA assurance qui a promis un don d’un million d’ordinateurs à moyen terme en Afrique et de vingt-
mille au Sénégal.
La Sénéclic a été mise en place et a créé le CHAT dont l’activité consiste au démantèlement et au
reconditionnement des ordinateurs qu’Axa envoie, pour ensuite équiper les écoles. Je suis étonnée du
terme « démantèlement ». Ces quatre dernières années il y a beaucoup de matériel informatique qui
arrive à Dakar et une question environnementale se pose aujourd’hui.
ENDA travaille depuis 1968 avec les travailleurs de la décharge où il y a de gros problèmes sanitaires.
Beaucoup de méthane s’échappe des détritus ce qui provoque de façon récurrente des incendies. Avec
nos connaissances sur l’effet de serre et du changement climatique le carbone a une valeur. L’idée est
de vendre ce méthane, de gagner de l’argent grâce à la taxe carbone pour qu’il revienne aux
récupérateurs, recycleurs…
Une autre manière de faire serait de récupérer l’écotaxe du matériel envoyé. Une piste qu’elle se
promet d’étudier plus tard.
Des études sur l’impact de la décharge de M’Beubeuss ont été effectuées, et ENDA s’est chargée de
l’impact socio-économique. Six partenaires ont collaboré et se sont intéressés aux questions de santé,
aux animaux dans la décharge, à l’agriculture dans la décharge. Sénéclic a fait une étude sur les
arrivages d’appareils électroniques de seconde main avec l’aide des douaniers. Il y a des arrivages
massifs car l’idée est que tout le monde a le droit d’être équipé en ordinateur et en téléphone portable,
au nom du droit d’accès à l’information, contrairement aux arrivages de voitures qui sont à présent
contrôlés (la limite est de 5 ans)..
Tous les jours des arrivages sont annoncés dans la presse quotidienne.
5 Des photos de cette visite et de la suivante sont disponibles sur son blog : https://solinum.wp.imt.fr/
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s’inscrire à ces formations qui s’adressent aux populations vivant sur la décharge peuvent s’obtenir
par téléphone et qu’elles sont payantes. Une contradiction de plus…
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