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Solidarité numérique avec le Sud :

Une RSE qui ne perd pas le Nord

Géraldine GUÉRILLOT (Agence Nationale de la Recherche), Isabela PAES (LITEM et CPN) et Jean-Luc
MORICEAU (IMT-BS/LITEM)

Début 2010, Juliette est journaliste, elle travaille dans un grand journal économique français. Elle sort
du comité de rédaction. Deux points majeurs viennent d’être discutés : un prochain numéro spécial
sera dédié au développement durable et aux pratiques de Responsabilité Sociale des Entreprises ; il
faut des sujets qui génèrent de l’audience. Ce thème est stratégique pour le journal car il pourrait
améliorer les relations du journal avec les grands groupes. Juliette est contente du choix du thème. Elle
se met tout de suite en quête d’un sujet original, avec l’objectif que son article puisse sortir du lot. Il
lui faut un bel exemple d’action de RSE, qui sorte de l’ordinaire. Des recherches dans les archives du
journal lui font tomber sur ce communiqué de presse d’Axa, grande compagnie d’assurance du CAC
40 :

1. L’entreprise Axa France


Figure 1. Communiqué de presse d’Axa France1

Axa France participe à l’opération Besançon clic en donnant plusieurs milliers d’ordinateurs
Dans le cadre de ses engagements sociétaux et environnementaux de développement durable, AXA France
cherche à retraiter ses matériels informatiques dans l’esprit de solidarité qui sous-tend notre métier d’assureur.
Chaque année, AXA France renouvelle une partie de son parc informatique, ce qui représente environ 10.000
ordinateurs à remplacer par an.
Dans le cadre de ses engagements sociétaux et environnementaux de développement durable, AXA France
cherche à retraiter ses matériels informatiques dans l’esprit de solidarité qui sous-tend notre métier d’assureur.

1 Communiqué de presse d’Axa tiré du site http://www.espace-presse.axa.fr/AXA-FRANCE-PARTICIPE-A-L-OPERATION-BESANCON-CLICK-EN-DONNANT-PLUSIEURS-


MILLIERS-D-ORDINATEURS-Mai-06_a257.html?print=1
L’opération « Besançon Clic » correspond parfaitement à ces aspirations et c’est pourquoi AXA France
participe à cette opération dans la mesure où elle contribue à l’emploi de personnes handicapées et à
l’équipement d’enfants scolarisés ou hospitalisés.
Par ailleurs, AXA France est très sensible à la partie de l’opération concernant l’équipement d’écoles au
Sénégal, qui démarre ce jour avec le départ d’un premier container d’ordinateurs pour Dakar.
Cet engagement de solidarité Nord-Sud rejoint les actions déjà menées par notre association de mécénat social
AXA Atout Cœur en lien avec leurs collègues d’AXA Sénégal.
Pour marquer toute l’importance de cet engagement sur plusieurs années pour AXA, le Président d’AXA France
se rendra à Dakar au mois de juin prochain en compagnie du maire de Besançon afin d’inaugurer les premières
salles de classe sénégalaises équipées.
Cette année, AXA participera à l’opération Besançon Clic ainsi qu’à l’équipement des enfants hospitalisés à
l’Hôpital Saint Jacques en fournissant à la ville de Besançon 1000 ordinateurs de bureau et 150 portables.
Parallèlement, AXA Fournira 500 PCs destinés à l’installation de salles multimédias dans les écoles
Sénégalaise.
Cet effort continuera et s’amplifiera en fonction des besoins dans les années à venir.

Voilà un sujet enthousiasmant et excitant ! Avec un tel sujet, son article devrait passer au premier plan.
Elle, qui suit pourtant les actions de RSE des entreprises, n’avait jamais entendu parler de ce type de
dons de seconde main. Là, il y a un impact d’envergure : il s’agit tout de même d’équiper un nombre
important d’écoles au Sénégal. Le thème semble pertinent pour ce numéro spécial et résonne avec ses
propres convictions : réduire la fracture numérique en répondant au principe des 3R qui consiste à
réutiliser, réparer, puis recycler plutôt que de jeter un bien usé. Mieux diffusées, de telles pratiques de
RSE, sur le modèle “win-win”, pourraient peut-être inspirer d’autres entreprises. Quoi de plus
astucieux que de profiter du renouvellement de son parc informatique pour aider les pays du Sud à se
développer !
Ce type d’action mérite d’être étudié et cité en exemple, se dit-elle. Il rentre dans les Objectifs du
Millénaire pour le Développement (OMD) de l’ONU, et ses huit objectifs approuvés par toutes les
grandes institutions mondiales de développement. Le débat est alors fort concernant l’apport des
Technologies de l’Information et de la Communication (TIC). D’un côté, l'information est une
ressource essentielle pour le développement durable. L'Agenda 21 adopté au sommet de la Terre à Rio
en 1992, suivi par le plan d'action de Johannesburg (2002), affirment que chacun doit être un utilisateur
et un fournisseur d'informations. D’un autre côté, les TIC sont de plus en plus critiquées pour leur
contribution à la pollution et au réchauffement climatique.
Ce qui plaisait beaucoup à Juliette, c’est qu’il s’agissait d’un des géants économiques français : AXA.
L’un des plus grands groupes d’assurance au monde ! Elle consulte le rapport annuel de 2009 : AXA
est présent dans 50 pays, emploie 216 000 personnes et dessert 96 millions de clients particuliers et
entreprises, avec un chiffre d'affaires de 90 milliards d'euros et 3,6 milliards d'euros de bénéfice net.
AXA est la première marque d'assurance au monde, selon le classement du cabinet de conseil mondial
Interbrand.
Ce communiqué de presse date déjà de trois ans, mais Axa a bien affirmé sa volonté de continuer et
d’élargir son action. Juliette vérifie alors qu’aucun des journaux de la concurrence n’a publié d’articles
sur ce sujet. Apparemment rien de substantiel. Elle se dit qu’il faut commencer par Axa, puisque le
communiqué expliquait qu’Axa « donnait les ordinateurs ». La journaliste commence à rassembler
toutes les informations disponibles et notamment le rapport d’activité de la compagnie. Dans un article
du Monde Informatique, elle lit « Nous avons notamment un accord avec la ville de Besançon pour
équiper les écoles et les hôpitaux ou encore avec le Sénégal pour développer des salles multimédias
dans l’enseignement primaire ».

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Figure 2 : Extrait d’un article du Monde informatique

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4
Le rapport annuel 20062 précise : « 500 ordinateurs provenant du renouvellement informatique du
parc d’AXA France ont été installés dans 25 écoles. Le projet est d’équiper progressivement une
majorité d’écoles du Sénégal de salles informatiques multimédia. ». « Je veux en savoir le plus
possible sur cette opération », en conclut-elle.

Figure 3. Extraits du rapport d’activités et de développement durable 2006 d’AXA

Le rapport mentionne la présence de filiale de l'entreprise en Afrique subsaharienne3 :


« Présent au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Gabon et au Sénégal, le Groupe AXA compte 350
collaborateurs sur cette zone. Ces filiales exercent une activité en assurance-dommages pour une
clientèle composée d’entreprises, de professionnels et de particuliers. En 2006, elles ont enregistré un
chiffre d’affaires de 56 millions d’euros et appliquent depuis deux ans une politique de développement
ambitieuse, visant à accroître leur présence sur le territoire par la mise en œuvre de nouveaux circuits
de distribution, tout en modernisant et diversifiant leur offre. »
Sur la page “faits marquants” de l’année 20064 :

2
Rapport annuel 2006 d’Axa France « Bâtir la Confiance, « ACTIVITÉ ET DÉVELOPPEMENT DURABLE, Rapport
annuel » p 71
3
Rapport annuel 2006 d’Axa France « Bâtir la Confiance, « ACTIVITÉ ET DÉVELOPPEMENT DURABLE, Rapport
annuel » p. 38
4
Rapport d’activité 2006 d’Axa France « Bâtir la Confiance, L’ ACTIVITÉ D’AXA FRANCE EN 2006 » p. 5
5
Il est aussi mentionné dans le cahier des indicateurs :

“30 487 kg de matériel électronique et informatique est valorisé en accord avec les principes de
développement durable.”
En relisant le communiqué, elle constate qu’il évoquait bien lui aussi les actions de l’association Axa
Atout Cœur, acteur dedu mécénat social ainsi que la présence d’une filiale implantée au Sénégal : Axa
Sénégal.

2. La ville de Besançon et l’opération Besançon Clic


Ses recherches lui montrent que ce projet d’équipement des écoles sénégalaises en ordinateurs est un
partenariat tripartite public-privé entre la Société Axa Assurances France, la ville de Besançon et l’État
Sénégalais.
Axa participe à l’opération Besançon Clic qui vise à familiariser les élèves des écoles à l’usage des
TIC en fournissant gratuitement du matériel informatique de seconde main qu’elle reconditionne par
l’intermédiaire d’un centre de travailleurs handicapés (CHAT). Le matériel reconditionné est envoyé
aux écoles du Sénégal et aux enfants scolarisés et hospitalisés en France. C’est ainsi qu’Axa dit

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contribuer à l’emploi de personnes handicapées. Juliette se renseigne en allant voir le site de la ville
de Besançon qui semble être à l’origine de cette opération. Elle voit que c’est un projet de référence :
en 2007, Besançon reçoit le e-award de la Commission Européenne dans la catégorie des services
publics pour l’inclusion et plus de cohésion ; en 2009 le Trophée CIO 2009 « Entreprises et Société de
l'Information » dans la catégorie Responsabilité Sociétale pour son action de réduction de la fracture
numérique tout en sauvant la planète Sur le même site, elle découvre qu’en 2006, Sénéclic, « un
concept similaire à Besançon.clic » est mis en place en République du Sénégal. Il est précisé qu’à
travers la Sénéclic 1 500 écoles sont équipées de 30 000 ordinateurs.
Elle commence à retracer la filière. Les ordinateurs donnés par Axa sont acheminés vers la ville de
Besançon, qui dans le cadre de l’opération “Besançon Clic” les retraite par des travailleurs handicapés
du CHAT puis les envoie par containers au Sénégal afin d’équiper les écoles primaires de salles de
multimédia. Pourtant quelque chose ne semble pas clair : pourquoi cette organisation de la Sénéclic en
miroir ? Et en définitive qui fait quoi, que fait Axa, quel est le rôle des sénégalais dont on parle bien
peu ?
Il lui faut se rendre sur place pour en savoir plus. Elle parvient à convaincre son chef de l’envoyer en
reportage. Il partage l’idée qu’il faut relayer ce type d’actions, qu’il faut que cela se sache afin que
d’autres entreprises puissent s’inspirer de telles initiatives, qui font honneur à la France ! Elle prend
dès à présent un rendez-vous avec le Directeur de la Sénéclic.

3. Entretien à la Sénéclic
Arrivée à Dakar la veille, Juliette a rendez-vous avec M. G., chef de projet e-déchet à la Sénéclic.
Celui-ci lui explique que cette dernière est une agence nationale de lutte contre la fracture numérique
et qu’elle se préoccupe de plus en plus des déchets d'équipements électriques et électroniques (DEEE).
Elle a été créée par le Président Sénégalais, à l’initiative du Fonds mondial de Solidarité Numérique
(FSN), en partant du principe qu'il n'est pas possible d'équiper tout le Sénégal avec des ordinateurs
neufs. Ainsi la lutte contre la fracture numérique se fait essentiellement par du matériel de seconde
main. M. G. précise toutefois que la pression environnementale s'accélère car de plus en plus
d’ordinateurs entrent dans le pays sans qu’il soit possible d’estimer leur durée de vie, “les douanes du
pays ne faisant pas la différence entre matériel neuf et d’occasion.” Lors de l’entretien M. G. explique
en quoi consistent les activités de l’agence :
« Nous au niveau de Sénéclic ce que nous faisons : c’est l’équipement des écoles par du matériel de
seconde main, mais du matériel de seconde main qui est bon, qui est efficace, qui marche. Le matériel
nous vient de la ville de Besançon, parce que Sénéclic a une coopération entre la ville de Besançon et
la société Axa assurance France qui s’est engagée à nous donner des ordinateurs à hauteur de 10 000
par an pendant trois années. Corrélativement il y a d’autres sociétés européennes comme « eurenco »
qui nous envoient du matériel.”
Pour s’en assurer, Juliette demande s’il s’agit bien de dons. M. G. confirme : “Il s’agit de dons de
matériels, et nous à l’arrivée on paye le dédouanement, Sénéclic paye la douane sénégalaise. Mais il
faut qu’on ait la certification que c’est du matériel qui est bien, c’est pourquoi on voudrait que ce
matériel transite par la ville de Besançon parce qu’avec eux nous avons une coopération et ils savent
exactement ce que nous voulons et, eux, ils ont un centre d’handicapés au travail et nous avons un
centre d’handicapés au travail à l’image de celui de Besançon.
En fait quand le matériel de seconde main arrive au Sénégal, le matériel transite par notre centre
d’handicapés au travail, nous pourrons aller le voir. Les ordinateurs arrivent là-bas, il y a des
handicapés là-bas, ça c’est le volet social du projet. Il y a des handicapés qui sont là, ils font le

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nettoyage, le reconditionnement ensuite ils insèrent des logiciels éducatifs. L’équipe technique a trois
ingénieurs, trois techniciens en plus des dix handicapés qui sont au CHAT. En rapport avec des
ingénieurs ils insèrent des logiciels pédagogiques et ensuite ils les emmènent dans les écoles
élémentaires. Donc chaque école est pourvue de 20 ordinateurs plus un serveur, connectés à Internet
plus des logiciels pédagogiques.”
Juliette continue : “quand vous dites toutes les écoles, c’est à Dakar ? À Dakar et dans les régions ?”
M. G. précise qu’il y a 73 écoles à travers le Sénégal et explique comment ils choisissent d’équiper
telle ou telle école :
“Nous n’interférons pas dans l’apprentissage exact, dans ce qui se passe dans les classes. Vous savez
qu’au Sénégal il y a des classes doubles ou triples, y a des classes multigrades ou il y a des classes
simples, ça dépend de l’effectif dans les classes. Par exemple si nous venons dans un établissement de
12 classes, nous, nous ne voulons pas intervenir, par exemple vouloir mettre une salle multimédia et
demander au directeur ou bien à l’inspecteur de jumeler deux classes pour avoir une salle multimédia.
Nous ne faisons pas ça. Il faut que l’école dispose de 12 classes d’abord, ensuite d’une autre salle qui
est libre. […]
S’ils ont une salle libre nous on vient et on réhabilite la salle c'est-à-dire qu’on refait la peinture, on
fait les fenêtres, on sécurise les fenêtres, on enlève et on met tout en fer, on sécurise, fait les peintures,
on fait tout, on amène l’électricité, on fait l’aération, les ventilos et autres, on met tout, on fait le
câblage, on fait la menuiserie, on amène tout, les chaises, c’est nous qui aménageons la salle avec le
budget que nous avons et on amène les machines, on paye l’électricité et la connexion Internet et tout
ce qu’on leur demande c’est d’amener les élèves de temps à autres à utiliser l’outil informatique, pour
que ces enfants-là grandissent avec l’informatique.”
À la suite de cet entretien, Juliette part à la recherche d’informations supplémentaires et de photos pour
son article. Équipée d’un carnet dans lequel elle note toutes ses observations à chaud, d’un dictaphone
pour enregistrer ses entretiens et d’un appareil photo, elle décide de suivre l’itinéraire complet au
Sénégal des ordinateurs d’Axa.
Son voyage a commencé au port et s’est poursuivi d’étape en étape jusqu’à la décharge. Elle a
notamment eu l’occasion de faire une revue de la presse locale (Annexe 1), de visiter le CHAT, Centre
des Handicapés Au Travail du Sénégal (Annexe 2) et de se rendre dans une école équipée par la
Sénéclic (Annexe 3). Elle a aussi participé au Forum Social Mondial qui eut justement lieu à Dakar
cette année là, ce qui lui a permis de s’entretenir à nouveau avec M. L., un des travailleurs du CHAT
(Annexe 4). Elle a pris contact avec M. D, coordinateur de l’ONG ENDA Écopole Sénégal (Annexe
5), qui l’a accompagnée à “Bokk Diom”, centre de formation et de santé des récupérateurs de la
décharge (Annexe 6). Celui-ci a organisé pour elle une rencontre avec des récupérateurs
“électroniciens” dans la décharge de M’Beubeuss (Annexe 7). Certaines des photos qu’elle a prises
sont disponibles sur son blog https://solinum.wp.imt.fr/.
Son enquête fut à la fois humainement riche par les rencontres occasionnées et passionnante, la menant
de découvertes en découvertes. Au moment de commencer à rédiger son article sur ce cas exemplaire,
elle se mit à ressentir une gêne. Une étrange impression que quelque chose ne collait pas, d’un écart
entre le projet vu d’ici, dans son bureau parisien, ce qu’elle avait vécu là-bas. Elle se replongea dans
tous les documents et comptes-rendus afin de conserver des preuves pour ses articles.

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Questions
Avant de commencer à répondre aux questions suivantes, il est conseillé de lire toutes les annexes, de
réaliser un schéma pour reconstituer l’itinéraire des ordinateurs et de noter à la lecture de chaque
annexe ce qui diffère de ce à quoi vous vous attendiez. Demandez-vous si l’histoire de l’opération,
telle qu’elle est racontée et célébrée au Nord, n’omet par certains aspects.
1 – Tant que la journaliste est en France, que sait-elle de l’action d’Axa ? Cette action de RSE vous
paraît-elle “exemplaire” et originale ? Dans le récit qui en est fait au Nord, quel est le rôle attribué aux
différents protagonistes ? Qui est mis en valeur?
2 – Vous faites le point sur ce qu’elle apprend en se rendant au Sénégal. Le récit de la Sénéclic est-il
différent du précédent ? Quels thèmes et quelles questions naissent de la lecture des articles de presse
locaux ? Qu’est-ce que le travail de terrain de la journaliste au Sénégal, les visites de l’école, du centre
Bokk Diom et de la décharge, les rencontres avec M. L., le coordinateur de l’Enda Écopole, les
récupérateurs “électroniciens” de M’Beubeuss, apportent comme informations et perspectives
supplémentaires ?
3 – Vous confrontez les deux regards. À partir des éléments précédents, le récit d’Axa et des
partenaires du Nord vous semble-t-il complet ? À la place de Juliette quel récit raconteriez-vous ?
Quelles autres histoires seraient possibles ? En fin de compte, quelle est la part d’action et les limites
de la responsabilité d’Axa, quels sont ses avantages et ses coûts ?
4– Vous tentez de recadrer l’opération dans la longue durée des relations Nord-Sud. Cette action
vous semble-t-elle singulière ou significative de la relation entre Pays du Nord et Pays du Sud ? Si
vous prenez la perspective du Sud, quelles critiques pourriez-vous apporter à une telle action de
Responsabilité sociale ? Pensez-vous que l’action était exemplaire et méritait un prix ?

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Annexes du cas
Annexe A : Extraits de coupures de presse locale
Article n°1 : SÉNÉGAL - TICS - ENTRETIEN: « Sénéclic n’a jamais bénéficié des fonds du
Fonds de Solidarité numérique » selon M. Ababacar Diop. (Date : 17 Février 201 ; Source : La
dépêche diplomatique.com)
« L’appel lancé en 2007 au Black Caucus par le Président Wade pour avoir 500.000.000 (cinq cent
millions) d’ordinateurs traduit cette volonté politique. […] Avec 73 salles multimédia existantes, plus
de 2000 enseignants formés dans la manipulation de logiciels éducatifs, 50 000 élèves initiés, Sénéclic
participe considérablement à la réduction de la fracture numérique. […] Ababacar Diop : pour l’année
2010, Sénéclic compte faire une extension de salles multimédia en dotant le système scolaire et
élémentaire de 50 (cinquante) salles multimédia en collaboration avec le Ministère de l’Enseignement
du préscolaire et de l’élémentaire ».

Article n°2 : RÉDUCTION DE LA FRACTURE NUMÉRIQUE : 15 000 écoliers sénégalais ont


accès à Internet (Date : 28 Avril 2010 ; Source : Le soleil.sn)
« Le partenariat tripartite Gouvernement du Sénégal, ville de Besançon et la Société Axa Assurances
France a donné ses fruits avec l’implantation de 73 salles multimédia qui seront complétées à la fin de
cette année par 80 autres salles à l’intérieur du pays. […] Ce seront ainsi 15 000 enfants sénégalais qui
auront accès à internet grâce à ce riche partenariat qui lutte contre la fracture numérique, d’après
Ababacar Diop directeur de Sénéclic. […] Partenaire stratégique du Sénéclic dans ce projet, la Société
Axa Assurances France projette de collecter des milliers d’ordinateurs et de les acheminer, chaque
année, dans notre pays. »

Article n°3 : LES ÉCOLES PRIMAIRES À L’ÈRE DE L’INFORMATIQUE : Un bon départ


pour la solidarité numérique (Date : 23 Avril 2010 ; Source : le messagersn.info)
« De son côté, Ababacar Diop, le directeur de la cellule Sénéclic, a rappelé que ce projet d’installation
de salles multimédia qui a débuté en 2006 avec un dispositif pilote de trois écoles, s’est agrandi à 73
écoles des départements de Dakar, Pikine, Thiaroye, Rufisque, Thiès, Mbour, Bambey, Tivaouane et
Kébémer. Pour l’année 2010, Ababacar Diop précise qu’ « un programme d’installation de 50 salles
multimédias sera réalisé et couvrira toutes les capitales régionales, ainsi que les départements. […] Le
Chat (Centre des handicapés au travail) est opérationnel à cet effet. Ce centre dont le personnel
technique est entièrement composé de handicapés, travaille aujourd’hui au recyclage des milliers
d’ordinateurs obtenus dans le cadre du partenariat entre Sénéclic et Axa France. […] De l’avis de
l’analyste-programmeur, Mamadou Camara, employé du centre « c’est une vingtaine de machines que
nous parvenons à remettre en marche par jour. Et elles servent à équiper les salles multimédia des
établissements primaires du public ». En stock, il y a dans l’enceinte du centre un millier d’ordinateurs,
sur le point d’être techniquement révisés et recyclés dans les centres multimédia. »

Article n°4 : DÉCHETS ÉLECTRONIQUES : L’étude du projet de recyclage de Sénéclic lancée


hier (Date : 11 janvier 2008 ; Source : allafrica.com)
« L’entrée grandissante des ordinateurs impose de mettre en place un projet de recyclage des déchets
électroniques », a indiqué le secrétaire général de la Présidence de la République du Sénégal,
Abdoulaye Baldé, en procédant hier au lancement à Dakar de l’étude du projet « e-déchets ». […]
Cette initiative de la Cellule Sénéclic de la Présidence de la République vise à recycler tous les déchets
électroniques, les ordinateurs et tout appareil électronique en fin de vie. […] Selon M. Baldé, des
milliers de tonnes de déchets électroniques sont produits à mesure que des ordinateurs de seconde main
entrent au Sénégal dans le cadre de la solidarité informatique pour la lutte contre la fracture numérique
promue par le président Abdoulaye Wade. »
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Article n°5 : GESTION DES DÉCHETS ÉLECTRIQUES ET ÉLECTRONIQUES : Vers
l’installation d’une unité de recyclage (Date : 27 juillet 2009 ; Source : Le Soleil.sn)
« À l’arrivée, les résultats de cette étude sont sans appel : une filière désorganisée dominée par le
secteur informel, des méthodes artisanales d’extraction de matières valorisables, un impact négatif sur
l’environnement et la santé des opérateurs. D’où cette batterie de recommandations pour l’information,
la sensibilisation et l’éducation. L’idée est d’éviter que les Deee ne soient mélangés aux ordures
ménagères, et de s’assurer que les consommateurs utilisent la filière mise en place. Pour ce faire, il
s’agira d’élaborer des notes d’informations sur les possibilités de collecte et les opportunités de
récupération possibles au niveau des administrations publiques et privées. D’où ce besoin de suivre la
filière sur toute la chaîne, avec une traçabilité permanente des dons. Le tout accompagné d’une charte
pour les organismes caritatifs pour garantir le retour des équipements dans la filière Deee lorsqu’ils ne
servent plus. […] De l’avis du directeur de la structure Sénéclic, Ababacar Diop, par ailleurs Conseiller
spécial du président Wade chargé de la coopération décentralisée et du Fonds de solidarité numérique,
l’Afrique ne doit pas être la poubelle du monde. Dans cette dynamique, il faut « une gestion
écologiquement rationnelle des Deee », lance-t-il. […] Pour le directeur de Cabinet du ministre des
télécommunications et des TICS, Wagui Siby, après avoir interpellé les populations sur les dangers
des Deee, il urge de mettre en place une filière forte et bien organisée dans un cadre juridique et
environnemental adéquat. »

Article n°6 : MBEUBEUSS, L’EXEMPLE TYPE DU SOUS-DÉVELOPPEMENT DURABLE.


Un dépotoir géant dans la région de Dakar, au Sénégal (Date : 13 Octobre 2009 ; Source :
www.afrik.com L’autre Afrique)
« Outre les ordures ménagères locales, les humanitaires contribuent à la belle vie des M’beubeuss.
L’intention de réparer la "fracture numérique", les inégalités d’accès aux nouvelles technologies, est
noble. Mais, très souvent, les humanitaires déversent sur l’Afrique des ordinateurs ridés ou moribonds.
Se pose alors un problème environnemental que certaines ONG, dont ENDA au Sénégal, tentent de
résoudre. Hélas, ce ne sont pas les formations en maintenance informatique destinées aux
récupérateurs de M’beubeuss qui écarteront les dangers de ces e-déchets. La solution réside dans le
recyclage, comme au Burkina Faso où Emmaüs a entrepris un vaste projet. »

Annexes B : Extraits du carnet d’observation de la journaliste

Extrait n° 1 : Visite au CHAT


“Nous arrivons après avoir traversé un quartier résidentiel devant un bâtiment gardé avec à l’entrée un
grand portail. M. G. passe un coup de téléphone pour prévenir de son arrivée afin qu’on nous ouvre le
portail. 10 personnes sont installées là, chacun sur un siège. Aucun volet n’est ouvert et dès son entrée,
M. G. râle contre ces personnes en expliquant qu’il faut ouvrir les volets et qu’ils vont finir par avoir
des problèmes de santé s’ils n’ouvrent pas ces volets parce qu’il faut aérer et avoir de la lumière. Tout
le monde me regarde et me sourit, certains ordinateurs écrans semblent allumés et j’ai une drôle
d’impression. Pour casser la glace on me dit de faire un tour de la salle pour saluer tout le monde, ce
que je fais immédiatement. Je suis présentée comme journaliste qui vient pour écrire un article sur les
actions RSE d’AXA. Je demande à un homme ce qu’ils font le plus. Il me répond qu’ils font surtout
du nettoyage d’ordinateurs et des insertions de disque pour installer des logiciels éducatifs.
Je demande ensuite si je peux prendre des photos, à la seconde où je demande tout le monde se place
en position de travail prêt à poser pour ma photo. Dans le fond de la salle sur le mur est accroché un
grand poster et en lisant son contenu je vois que c’est un poster créé pour l’inauguration officielle du
CHAT par la ville de Besançon et Axa France, qui remonte à mars 2006. M. G. semble d’un coup très
pressé, il n’a plus beaucoup de temps à me consacrer il faut donc écourter la visite, mais il me propose
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de revenir quand je le désire, que je n’ai qu’à passer par lui ou par ENDA qui passera par lui afin qu’il
puisse prévenir le gardien qui me laissera entrer. Il demande à un des travailleurs de nous montrer la
salle où sont stockés les ordinateurs et le matériel informatique donné. Cette personne est handicapée
moteur. C’est là que je remarque, en sortant de la salle, qu’il y a une marche pour sortir et une autre
marche à passer pour atteindre la salle de stockage qui est contigüe et identique en volume à la salle
de reconditionnement dont je sors. Cette porte est elle-aussi fermée à clé. Je découvre donc un nombre
important de matériels informatiques stockés en pile selon le type de matériel. La plupart des piles de
matériel sont sous plastique avec un carton indiquant qu’il s’agit de matériel appartenant à AXA
France. Sous plastique à première vue car je ne suis pas spécialiste, ce matériel avait l’air en bon état,
uniforme. Sur une grande étagère comme dans les supermarchés sont entreposés et mélangés
anarchiquement plusieurs claviers, souris et imprimantes, sans plastique. Certaines piles de matériel
se sont défaites, plusieurs objets sont tombés, ont glissé de leur emplacement initial. M. G. est vraiment
très pressé, il faut qu’il parte et nous propose de nous raccompagner car ça ne nécessite pas de détour
avec son chauffeur.”

Extrait n°2 : Visite d’une salle “Sénéclic” de l’école HLM Patte d’Oie
“Une des écoles, l’école « HLM Patte d’oie », figure dans la liste des écoles équipées. Mon premier
interlocuteur est le gardien de l’école qui me dit que l’école a bel et bien été équipée par la Sénéclic
d’une salle informatique mais que ni directeur ni les instituteurs ne sont là, qu’il faudrait que je repasse
jeudi car le jeudi normalement ils sont là toute la journée et le mardi aussi, les autres jours ce n’est pas
la peine... J’en prends note et demande s’il pourrait quand même me faire visiter la salle informatique.
Il accepte mais je dois patienter.
Je m’approche de la salle informatique, fermée à double tour.et avec des barreaux aux fenêtres. Le
gardien revient et je lui demande depuis quand cette salle est équipée, il me dit que c’est depuis 2007.
20 ordinateurs recouverts de bâches sont disposés en U, le long des murs, il y a deux ou trois
ventilateurs au plafond et un ordinateur, à gauche, dans le coin de la salle, derrière d’autres grilles
supplémentaires. Je demande ensuite si la Sénéclic s’occupe bien de la maintenance, des réparations,
etc., il me dit que oui et soulève la bâche d’un poste informatique. L’écran semble très vieux mais
l’unité centrale plus récente. Tous les ordinateurs ne sont pas les mêmes car malgré les bâches, les
tailles et formes sont différentes. Le gardien me dit qu’il y a en ce moment une coupure et qu’il ne
peut donc pas en allumer un pour me montrer. J’apprends à l’occasion que l’école n’est pas munie
d’un groupe électrogène. Je demande si les enfants utilisent souvent cette salle, il ne me répond pas
clairement. Je précise alors ma question afin de savoir si tous les enfants l’utilisent ou si ce n’est que
pour les grands, « tous les enfants du CP au CM les utilisent » me dit-il, puis il m’explique qu’il y a
des problèmes de chaises et de tables pour le reste des cours, que les enfants les abîment, les cassent
et qu’il en manque dans toutes les salles. En effet, il n’y a que 5 chaises pour ces 20 ordinateurs. Un
ordinateur à part, derrière des grilles supplémentaires, attire mon attention, c’est ici que tout est
centralisé, m’explique le gardien, mais en ce moment cet ordinateur est en panne. Ils doivent dans ce
cas prévenir l’instituteur spécialisé qui est informaticien qui, lui, informe éventuellement le directeur
de l’école, qui contacte la Sénéclic. Ils doivent attendre la Sénéclic pour les réparations, mais c’est
depuis le début de l’année que ce poste est en panne, ils attendent…
Lorsque j’y retourne l’école n’a pas plus l’air en fonctionnement, pourtant il s’agit d’une des journées
où il y a classe. Il n’y a que très peu d’enfants qui jouent dans ce qui fait office de cour. Je me dirige
vers un homme pressé qui passe avec une mallette et me présente. Il m’emmène de suite vers la salle
d’ordinateurs grillagée et me fait entrer. Là, se trouvent sur une paillasse plusieurs femmes allongées
en train de discuter et de rire allègrement. L’homme m’indique une des femmes qui a un foulard sur
la tête et me dit que c’est elle la directrice. La femme me répond tout de suite qu’elle n’est pas
spécialiste mais qu’un des instituteurs a été formé à l’informatique, il sera mieux à même de répondre
à mes questions. Je dis qu’il s’agit simplement de savoir comment s’est passée l’installation de la salle
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et comment elle est utilisée. Je me rends compte qu’en effet elle ne connaît vraiment rien à
l’informatique. Par exemple, elle ne retrouvait pas le mot clavier, ni souris. Elle n’utilise pas cette salle
avec les élèves, et d’ailleurs elle est en panne. En discutant avec l’instituteur spécialisé, j’apprends
qu’il n’y a pas de véritable planning pour l’utilisation de cette salle et d’ailleurs il semblerait que les
élèves ne l’utilisent que très rarement. L’instituteur spécialisé m’explique que les classes étant
composées de beaucoup d’élèves, il faut faire des groupes en divisant au moins par deux la classe, ce
qui pose des problèmes de surveillance. « Qui s’occupe des élèves qui n’utilisent pas la salle ? »
demande-t-il, et je pense intérieurement que le groupe ainsi partagé est encore trop important pour
qu’un élève puisse disposer seul d’une machine. S’ajoute à cela, le problème qui semble tout bête mais
qui est présent : des chaises manquantes pour s’installer devant les écrans. Il n’y en a déjà pas une par
ordinateur alors sachant que les élèves sont par deux ou plus la plupart du temps…
En plus j’ai la confirmation que l’unité centrale est en panne, ce qui fait que la salle n’est pas
fonctionnelle depuis le début de l’année. Nous sommes tout de même fin février. Quand je demande
si la Sénéclic va venir pour le réparer, l’instituteur me répond qu’ils vont venir mais il n’y a pas encore
de date précise. Je demande alors ce qu’ils font des ordinateurs qui ne marchent plus, s’ils appellent
aussi la Sénéclic pour cela. À cette question l’instituteur me répond : « On les donne aux professeurs
qui n’ont pas d’ordinateurs ».

Extrait n°3 : Rencontre de M. L., travailleur du CHAT au Forum Social Mondial


“C’est lors de mon second jour au FSM, en faisant le tour des stands pour essayer de repérer d'autres
acteurs à rencontrer que j’ai remarqué une banderole Sénéclic. Je demande qui est l'interlocuteur qui
pourrait me renseigner sur l'activité de la Sénéclic et suis invitée à entrer à l’intérieur du stand pour
discuter avec M. L., employé au CHAT.
Il était déjà présent lors de ma visite au CHAT. Nous en venons à discuter des conditions de travail
des salariés du CHAT et des dons d’Axa. Après avoir parlé de son statut de fonctionnaire et du fait
que les TIC étaient de réelles opportunités pour les personnes handicapées qui, la plupart du temps
sans emploi, se retrouvent dans les rues à mendier, M. L. me fait part de ses revendications. En effet
tout se passe bien dans son travail, une seule chose pose véritablement problème, pour lui et pour
l’ensemble de ses collègues : le transport. Ils désireraient avoir une carte de transport pour aller et venir
au CHAT le matin et le soir. Actuellement, ces transports sont à leur frais mais surtout sont très
difficiles à prendre. Il me confie que les bus « Dakar-banlieue » sont tellement pleins, qu’il est
impossible d’y entrer en siège roulant et il se retrouve quotidiennement face aux plus grandes
difficultés vu son handicap : il prend le bus debout avec son siège roulant et c'est horrible. Compressé,
sans places assises, il me laisse imaginer l'entrée et la sortie du bus. Il m'explique que comme lui, la
plupart des personnes handicapées moteur sont contraintes pour se rendre à leur travail de prendre
plusieurs bus de banlieue, toujours bondés. Il insiste beaucoup sur ce point et évoque un autre problème
qui se pose pour les déjeuners. Le CHAT étant assez excentré de la ville, il faut sortir du centre pour
manger et, handicapé, tout déplacement devient compliqué. Je pose quelques questions sur les
infrastructures afin de savoir si d'après lui tout est adapté à leur handicap et j’apprends qu'un
manutentionnaire est spécialement employé pour transporter les ordinateurs d'un préfabriqué à l’autre.
Cependant lorsque l’on parle de l’état des arrivages, M. L. se plaint tout de suite de la qualité de ces
ordinateurs. Contrairement à ce que m’affirmait M. G, beaucoup de matériel très dépassé, ou
inutilisable, est envoyé. Il insiste : certains arrivages sont très mauvais ou dépassés. Parfois il s’agit
d’un problème lié à une incompatibilité d'alimentation électrique. Cela ne parait pas grand-chose, mais
cette incompatibilité suffit à faire disjoncter le centre entier et à abîmer les autres machines. Je
commence à me demander si au nom de la solidarité numérique, on ne se permettrait pas d’envoyer
des rebuts aux Pays du Sud.

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Extrait n°4 : Entretien avec M. D : coordinateur d’ENDA Écopole, antenne sénégalaise
“M. D. commence à me parler du Centre de Bokk Diom, composé d’un service médical à la décharge
de M’Beubeuss. Ils offrent des formations de six mois renforçant les capacités pratiques et théoriques
de jeunes électroniciens issus des milieux populaires. Il me parle ensuite du projet Clavier pour tous
porté par Enda qui a donné lieu à la création d’une bande dessinée, pour sensibiliser aux problèmes
liés à l’aide au développement qui donne lieu à l’arrivée en masse de déchets électroniques. « Cette
BD marche ici, elle a été testée, il n’y a plus que des ajustements à faire au niveau européen. »
Il confirme qu’au niveau du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), c’est
le Président de la République du Sénégal, M. Wade, qui s’occupe d’une part des infrastructures TIC
et des NTIC. M. Wade a pour volonté d’équiper autant que possible le pays pour réduire la fracture
numérique. Pour cela le Sénégal a créé plusieurs partenariats européens dont les principaux sont avec
AXA assurance qui a promis un don d’un million d’ordinateurs à moyen terme en Afrique et de vingt-
mille au Sénégal.
La Sénéclic a été mise en place et a créé le CHAT dont l’activité consiste au démantèlement et au
reconditionnement des ordinateurs qu’Axa envoie, pour ensuite équiper les écoles. Je suis étonnée du
terme « démantèlement ». Ces quatre dernières années il y a beaucoup de matériel informatique qui
arrive à Dakar et une question environnementale se pose aujourd’hui.
ENDA travaille depuis 1968 avec les travailleurs de la décharge où il y a de gros problèmes sanitaires.
Beaucoup de méthane s’échappe des détritus ce qui provoque de façon récurrente des incendies. Avec
nos connaissances sur l’effet de serre et du changement climatique le carbone a une valeur. L’idée est
de vendre ce méthane, de gagner de l’argent grâce à la taxe carbone pour qu’il revienne aux
récupérateurs, recycleurs…
Une autre manière de faire serait de récupérer l’écotaxe du matériel envoyé. Une piste qu’elle se
promet d’étudier plus tard.
Des études sur l’impact de la décharge de M’Beubeuss ont été effectuées, et ENDA s’est chargée de
l’impact socio-économique. Six partenaires ont collaboré et se sont intéressés aux questions de santé,
aux animaux dans la décharge, à l’agriculture dans la décharge. Sénéclic a fait une étude sur les
arrivages d’appareils électroniques de seconde main avec l’aide des douaniers. Il y a des arrivages
massifs car l’idée est que tout le monde a le droit d’être équipé en ordinateur et en téléphone portable,
au nom du droit d’accès à l’information, contrairement aux arrivages de voitures qui sont à présent
contrôlés (la limite est de 5 ans)..
Tous les jours des arrivages sont annoncés dans la presse quotidienne.

Extrait n°5 : Visite de l’association Bokk Diom dans la décharge5


M. D. me présente au docteur qui est aussi chargé de la communication. Il me fait entrer dans une
petite salle et me montre un, puis deux, puis trois tableaux manuscrits indiquant les chiffres recueillis
par l’association sur les maladies contractées par les gens qui vivent et travaillent sur la décharge et
qui sont venus consulter. Puis il me montre le cabinet de consultation : un lit une place tient tout juste
dans cette salle d’examen et la salle des malades plus grande, sans porte, où sont disposés six lits et
six malades présents. « Même quand tu n’as rien je te donne des médicaments, c’est un plaisir pour
moi. Moi je lutte contre la maladie » me dit le docteur. Il fait cela depuis 10 ans, et quand je demande
si l’État les aide à financer tout ça il me répond : « Qui ? L’État?, L’État n’a jamais rien fait pour nous
ici. » J’observe ensuite un tableau noir qui propose des formations, entre autres à l’informatique, aux
membres de l’association. « Il y a moins de problème depuis l’informatique, c’est un plus ! » ajoute le
docteur qui recense les maladies sur des tableaux papier. Je remarque que les renseignements pour

5 Des photos de cette visite et de la suivante sont disponibles sur son blog : https://solinum.wp.imt.fr/

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s’inscrire à ces formations qui s’adressent aux populations vivant sur la décharge peuvent s’obtenir
par téléphone et qu’elles sont payantes. Une contradiction de plus…

Extrait n°6 : La décharge de M’Beubeuss et rencontre des récupérateurs


Marchant prudemment, emmitouflée dans les vêtements les plus à l’épreuve des salissures, avec la
casquette de l’ONG Enda sur la tête, me voici à M’Beubeuss, la plus grosse décharge de la région.
M. A., mon guide qui ne parle que peu, m’avertit de ranger mon appareil photo. Nous passons par une
sorte de chemin couvert d’immondices en tous genres, qui semble permettre de longer les montagnes
de déchets, d’abord petites puis de plus en plus importantes. Ensuite, je découvre des constructions,
seulement partiellement recouvertes de déchets, sur lesquelles on peut voir des chèvres, des chiens,
quelques pousses de verdure et au loin, très loin, un étang avec la décharge en arrière-plan. Immense,
la décharge s’étend à perte de vue. Si l’on regarde bien à l’horizon on peut discerner une très longue
file de camions benne à l’arrêt. Leur avancée est bloquée par les inondations de la saison des pluies
qui a pris fin le mois dernier, m’explique-t-on. Depuis ces camions n’accèdent plus, ou que très
difficilement, à l’endroit où ils doivent déverser leur charge.
Une odeur de plastique se consumant, mélangée aux puanteurs des poubelles, devient de plus en plus
forte. Des cabanons de misère faits de bouts de tout, de tissus, de plastiques, de pneus sont disséminés
de-ci de-là pour abriter des petits groupements de récupérateurs qui boivent du thé à l’abri du soleil
mais dans les fumées et les déchets. L’anxiété apparente d’A. montre qu’il faut faire attention. Nous
arrivons à la rencontre des récupérateurs. Je vois des gens travaillant à proximité les uns des autres,
mais visiblement ils ne font pas la même activité. La plupart constituent des sortes de baluchons de
plastiques de plusieurs kilos. D’autres moins nombreux et plus espacés ramassent et trient les différents
déchets constitués de plastique : les emballages souples, les plastiques rigides, les bouchons semblent
être séparés. Ces hommes travaillent en plein soleil, dans les fumées des multiples petits incendies
dues au stockage de tous les types de déchets à ciel ouvert. Je suis toujours M. A. qui me dit que nous
allons à l’endroit où se regroupent des récupérateurs des déchets électroniques. Nous arpentons et
descendons des reliefs formés par les déchets en faisant attention où l’on met les pieds pour ne surtout
pas se blesser ou trébucher.
Nous arrivons face à une petite cabane en haut d’une butte, où se trouve un homme plus jeune que
ceux que j’avais vus auparavant. Il ne parle pas, ou à peine, le français. M. A. traduit. Une formation
par l’ONG Enda l’a crédité d’un rôle clé dans la décharge. Seul à connaître la valeur des différentes
pièces, il a pris un grand pouvoir qu’il est censé diffuser en échange de la formation qu’il a reçue. La
décharge est aussi un univers de bandes, de violence et de vols.
Nous poursuivons « la visite », et je manque de trébucher en descendant d’une sorte de butte d’environ
trois mètres de hauteur. Nous nous enfonçons un peu plus profondément dans la décharge. Une
charrette tirée par un âne passe, des animaux cherchent à manger. Je reconnais, mélangés dans les
détritus plastiques et organiques, de-ci, delà, des écrans cassés, des tours d’ordinateurs, et même des
machines à laver. Des fumées nous brûlent fortement les yeux sans que nous puissions les frotter. Des
mouches, des moustiques, tournent autour de nous, nous gênent et nous piquent. Un peu plus loin
j’aperçois un groupe d’enfants mêlés à quelques adultes. Ceux-là ne jouent pas, ils sont affairés à
ramasser des choses à même le sol d’une plaine où les feux sont nombreux… […] » Cette visite m’a
troublée, il y a tout de même une urgence à ce que le Nord se responsabilise de ses déchets, trop de
choses dysfonctionnent.

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