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BTS – Culture Générale et Expression

Proposition de progression sur le thème « Invitation au voyage… »


Madame Anne – Laure Cayre, Lycée Périer, Marseille

La classe de BTSMCO que j’ai en charge au lycée Périer de Marseille comporte 30 étudiants.
73% d’entre eux sont boursiers et appartiennent à une classe sociale nettement défavorisée.
16 étudiants de la classe vivent dans les quartiers prioritaires de la ville. Beaucoup ont une
double culture : ils sont très nombreux à avoir des origines capverdiennes, comoriennes ou
algériennes. Beaucoup ne quittent que très rarement leur quartier de Marseille. Ils ont pour
certains voyagé une ou deux fois pour connaître le pays d’origine de leurs familles.

Au regard de la mobilité quasi nulle de la plupart de ces étudiants, la présentation du thème


du programme que fournit le bulletin officiel du 17/02/2022 semble particulièrement décalée.
On peut y lire en effet : « Longtemps apanage d'une élite sociale, le voyage s'est désormais
démocratisé. La variété des moyens de transports, la baisse des coûts, la facilité de
l'organisation du voyage en ligne, clé en main, donnent au plus grand nombre l'opportunité
de se déplacer vers des destinations lointaines. » Aux yeux de ces étudiants, pourtant, le
voyage reste bien évidemment l’« apanage d’une élite sociale » et il serait absurde de le nier.
De quelle démocratisation des voyages parle-t-on quand on s’adresse à des personnes qui ne
quittent jamais ou presque leurs quartiers, quartiers parmi les plus pauvres de France et
d’Europe ?

Comment alors entrer dans le thème ? Il m’a paru important, pour permettre son
appropriation, de placer les étudiants sur un pied d’égalité en organisant un modeste voyage
d’une journée à Beaulieu-sur-Mer et à Roquebrune-Capmartin (voir présentation détaillée en
annexe). Pour beaucoup d’entre eux, cette sortie a revêtu un caractère tout à fait exceptionnel
et les visites de la villa Kerylos et de celle d’Eyleen Grey les ont plongés dans un univers très
éloigné du leur, y compris sur le plan social. Le voyage est devenu un véritable « voyage de
classes » pour reprendre le titre de l’essai du sociologue Nicolas Jounin.

Cette sortie a permis à chacun d’expérimenter le voyage avant de le théoriser à travers les
exercices de la discipline, que ce soit la synthèse de documents ou l’écriture personnelle. Les
étudiants ont réalisé des carnets de voyage à partir desquels nous sommes entrés dans l’étude
du thème. Ces carnets évoquaient les différents temps de la sortie : avant, pendant, après.
Ces différents temps coïncidaient en réalité avec les trois séquences d’étude choisies. La
première porterait en effet sur les rêves de voyage et ce qui se joue avant même de partir, sur
la possibilité de voyager sans même quitter sa maison. La deuxième interrogerait la figure du
touriste que chaque étudiant avait pu incarner le temps d’une journée. La troisième
aborderait ce qu’il reste du voyage quand il est achevé en se penchant sur le pouvoir de
transformation qui est le sien.

Deux partis-pris ont présidé à l’élaboration de cette progression.

• Essayer de renforcer au maximum l’appropriation du thème par les étudiants

- En ménageant un dialogue constant entre culture populaire et culture


patrimoniale dans les premières séquences de la progression pour faire entrer la
culture des étudiants dans la réflexion, y repérer des invariants, des idées reçues
que véhicule à son tour la culture qui se veut plus savante.
- En connectant au maximum les cours à l’expérience des étudiants afin qu’ils se
sentent concernés pas la réflexion et s’en emparent. Par exemple le choix des
lectures cursives est fait dans ce sens (un recueil de poèmes axé autour des rêves
que suscite une ville portuaire, l’essai d’un anthropologue qui analyse le mépris du
touriste comme un mépris de classe, un roman qui met en scène un jeune homme
proche en âge et en préoccupations des étudiants). La réflexion qui est au cœur de
la deuxième séquence sur la démocratisation ségrégative des voyages et le
snobisme du dénigrement des touristes fait aussi directement écho à l’expérience
des étudiants. Le BO du 17/02/2022 stigmatise en effet celles et ceux qui « se
photographient devant des monuments, des paysages ou des plats exotiques –
selfies aussitôt mis en ligne pour donner une image de soi qui suscite admiration
et envie ». Or c’est bel et bien la posture qu’ont adoptée les étudiants durant la
sortie de classe : est-ce là une faute éthique ou bien une faute de goût et qui est
en droit d’en décider ? Les étudiants s’intéressent à de telles questions qui
s’adressent directement à eux et les concernent tout particulièrement.

• Essayer de ménager une progressivité dans les apprentissages et sur le plan


méthodologique

- Du concret vers l’abstrait : expérimenter pour réfléchir (voyager avant


d’étudier le voyage, faire voyager par les sens dans la séance 5 de la séquence
1 pour penser le voyage immobile…) ; aborder en dernier lieu, dans la troisième
séquence, la dimension la plus théorique, symbolique du voyage
- Propédeutique de la synthèse de documents : lever progressivement les
résistances du point de vue de la lecture en ciblant en amont des textes
poétiques justement résistants pour donner des stratégies visant à affronter
les textes et dépasser le réflexe « je comprends rien » ; travailler
collectivement la synthèse de documents avant de l’affronter individuellement
- Propédeutique de l’écriture personnelle : passer par l’oral pour travailler
l’écrit ; ritualisation de l’écrit de fin de séquence après séance de remédiation
en expression pour un réinvestissement rapide ; superposition de la
problématique de séquence et du sujet d’évaluation finale

Introduction :
Présentation orale des carnets de voyage de la sortie à Kerylos et Roquebrune
Carte mentale autour du voyage à la lumière de cette première expérience commune ?
Décomposition des temps du voyage :
- Avant : quelles projections ? qu’imaginait-on ?
(amorce séquence 1 : le voyage commence avant de partir…)
- Pendant : quelles découvertes ? quelles sensations ? quelles difficultés ? quel plaisir ?
(amorce séquence 2 : faire les touristes…)
- Après : quels souvenirs ? quelles traces ? qu’est-ce qui a changé ?
(amorce séquence 3 : voyager, est-ce se transformer ?)

Séquence 1 : Rêves de voyage


… Invitation au voyage, invitation à rêver …
Problématique : Nos voyages sont-ils essentiellement de l’ordre du rêve ?
Lecture cursive : Horizons chimériques de Jean de la Ville de Mirmont

Séance 1 : Trois poèmes


Objectifs : Renouer avec la méthode de la synthèse de documents/ Identifier la dimension
onirique de l’invitation au voyage
Dominante : Oral
• Jean de la Ville de Mirmont, Horizons chimériques, « Vaisseaux, nous vous aurons
aimé en pure perte »
• Baudelaire, « L’invitation au voyage »
• Mallarmé, « Brise Marine »
Lecture et exploration en groupe de l’un des poèmes, restitutions orales et confrontation
collective : quels points communs ? Rêves de départ vers un ailleurs, exotisme, la peur aussi
par endroits.

Séance 2 : « The beach »


Objectifs : Analyse image mobile/ Conforter le repérage de la dimension onirique de
l’invitation au voyage
Dominante : Écrit.
https://www.youtube.com/watch?v=eSnWczmah3Y
Travail sur la bande annonce du film « La Plage » de Danny Boyle : le voyage comme quête
d’aventure et de rêve, voyager à partir d’une carte, d’une légende…
Trois projections et travail d’écriture : quelle représentation du voyage propose cette bande-
annonce ?

Séance 3 : L’horizon chimérique


Objectifs : Lire à voix haute/ Justifier un choix de lecture
Dominantes : Lecture/Oral
« Je suis né dans un port et depuis mon enfance
J’ai vu passer par là des pays bien divers. »
Consigne préparation maison : Choisir un poème du recueil de Jean de La Ville de Mirmont,
en préparer la lecture expressive en l’associant à une image de notre ville. Vous devrez en
classe proposer la lecture du poème en expliquant l’association avec l’image choisie.
Justification de l’association du texte et de l’image à rendre également par écrit.

Séance 4 : Corpus Rêves de voyage, Voyages de rêve ?


Objectifs : Avancer dans la réflexion sur le thème en réactivant l’exercice de la synthèse de
documents
Dominante : Lecture
Entraînement à la synthèse de documents
• « Brise marine » de Mallarmé
• « Argentine : une famille qui « rêvait » boucle un inouï voyage-vie de 22 ans »,
magazine Géo
• Extrait de l’essai de Jean-Didier Urbain, Le voyage était presque parfait, p43
• Campagne publicitaire Nouvelle Calédonie 2018, « Passez du rêve à la réalité. »

Séance 5 : Comment voyager en restant immobile ? (ÉVALUATION)


Objectifs : S’entraîner à l’expression orale/ Nourrir la réflexion sur la dimension mentale du
voyage
Dominante : Oral
Oralisation à partir d’un objet déterminé à l’avance (un parfum, un aliment ou la carte d’un
restaurant, un livre, un extrait de film, un compte instagram, un tableau de peintre, une
carte, un vêtement, une photographie, une musique…).
Consigne : proposer une invitation au voyage via une prise de parole (dont la forme est
libre : description, narration, promotion…) autour de l’objet choisi en 180 secondes.

Séance 6 : Entraînement à l’écriture personnelle (ÉVALUATION)


Objectifs : Dresser le bilan de la première séquence sur le thème/ S’entraîner à l’exercice de
l’écriture personnelle
Dominante : Écrit
Sujet : En quoi peut-on dire que l’invitation au voyage est avant tout une invitation à rêver ?
Séquence 2 : Voyages de classe
… De l’invitation à l’injonction au voyage (par opposition au tourisme) : on va vous dire
comment il faut voyager…
Problématique : Le dénigrement des touristes est-il une forme de mépris de classe ? ou
Faut-il mépriser les touristes ?
Lecture cursive : Jean-Didier Urbain, L’Idiot du Voyage, introduction à la première partie de
l’ouvrage « Portrait du touriste en chien triste, Histoire d’un mépris ».

Séance 1 : Les voyages se sont-ils démocratisés ?


Objectifs : Interroger la démocratisation du voyage/ Travailler l’exercice de l’écriture
personnelle
Dominante : Oral
1. Relecture de la présentation du thème dans le bulletin officiel : « Longtemps apanage
d'une élite sociale, le voyage s'est désormais démocratisé. La variété des moyens de
transports, la baisse des coûts, la facilité de l'organisation du voyage en ligne, clé en
main, donnent au plus grand nombre l'opportunité de se déplacer vers des
destinations lointaines. »
Êtes-vous d’accord avec cette affirmation liminaire ? Coïncide-t-elle avec votre
propre expérience ?
2. Recherche d’arguments par groupe de travail pour répondre à la question de savoir si
la démocratisation des voyages est bien une réalité. Certains groupes cherchent des
éléments confortant une réponse affirmative et d’autres recherchent des arguments
prouvant l’inverse.
3. Présentation orale des résultats de cette recherche.
Travail à la maison : Organiser le compte-rendu de la séance sous la forme du plan détaillé
d’une écriture personnelle répondant à la question : Les voyages se sont-ils démocratisés ?
Ce travail sera corrigé en classe avant que les étudiants aient à rédiger intégralement le
devoir.

Séance 2 : Le touriste, cet « idiot du voyage »


Objectifs : Réfléchir aux idées reçues concernant le tourisme/ Analyse d’images mobiles
Dominante : Oral
1. A l’oral, collectivement, quelles représentations des touristes dans l’imaginaire
collectif ? Réflexion collective sur ce qui caractérise le touriste : quelles idées reçues à
son sujet ?
2. Travail de groupe à partir de 3 supports :
- Bande annonce du film « Nous-York » de Géraldine Nakache et Hervé Mimran, 2012
https://www.youtube.com/watch?v=DWKkK8QXre0
- Bande annonce du film « Les Tuche 2 » de Olivier Baroux, 2016
https://www.youtube.com/watch?v=pKbox8S-se4
- Affiche du film de Jean-Pierre Mocky « Touristes ? Oh yes ! », 2004
Consigne : observer attentivement le document proposé et repérer les stéréotypes
concernant le tourisme qu’il véhicule.

3. Restitution par un membre de chaque groupe : projection de la bande-annonce/


projection de l’affiche et commentaires.
4. Conclusion de la séance : ce que la culture populaire nous dit du touriste…Il est
ridicule, habillé comme un clown (tenue sur l’affiche, t-shirts I love NY, chapeau de la
statue de la Liberté, déguisement de cow-boy et d’indien…), incapable de profiter du
temps présent armé de son appareil photo (selfies, appareil…), il ne veut que
reconnaître ce qu’il sait déjà du pays et confirmer ses préjugés (d’où musique « New
York New York », taxis, carrefour, cow-boys, Paris Hilton…). C’est un « beauf », un
guignol.

Séance 3 : Le tourisme dénature-t-il le voyage ?


Objectifs : revoir l’exercice de la synthèse de documents/percevoir ce qui se joue derrière
l’opposition entre voyage et tourisme
Dominante : Lecture
1. Réflexion collective autour des connotations des termes « tourisme » et « voyage »/
« touriste » et « voyageur »
2. Distribution corpus de documents. Travail de groupe sur un des documents : lecture
en binôme, repérage de la thèse, prélèvement des idées principales. Restitution
orale.
• Extrait du Petit traité sur l’immensité du monde de Sylvain Tesson
• Article de l’essai de Jean-Didier Urbain, L’Idiot du Voyage
• Extrait de Touriste de Julien Blanc-Gras
• Image Touriste vs Voyageur, blog « Kevin on the road »
3. Travail maison : produire le plan détaillé de la synthèse des documents/ Rédiger une
courte lettre adressée à Sylvain Tesson visant à lui reprocher son mépris et sa
condescendance (préparation sujet d’écriture personnelle final).

Séance 4 : Correction Écriture personnelle sur la démocratisation des voyages


Objectifs : Améliorer les travaux d’écriture personnelle
Dominante : Langue/ Ecrit
Remise des travaux produits en demi-groupe et remédiation.
Travail sur le lexique, la syntaxe avec reformulation à partir d’extraits de copies.

Prolongement/Différenciation : Lecture de l’article du Monde diplomatique « Du


« grand tour » à Sciences Po., le voyage des élites ? » par Bertrand Réau (en classe
pour étudiants non concernés par les travaux de remédiation / à la maison pour les
autres.)
https://www.monde-diplomatique.fr/2012/07/REAU/47948

Séance 5 : Entraînement à l’écriture personnelle (ÉVALUATION)


Objectifs : Dresser le bilan de la séquence 2/ S’entraîner sur l’exercice de l’écriture
personnelle
Dominante : Écrit
Sujet : Faut-il mépriser les touristes ?
Pistes BTS blanc DS 4 heures (ÉVALUATION)
Sur ce que font le tourisme et le « surtourisme » à la planète
• Article du Monde « Le lendemain de la photo, c’était la ruée » :
l’« instagrammabilité » des lieux touristiques, une aubaine et une malédiction »
• Hortense Chauvin « Voyager lentement pour se reconnecter au vivant »,
• Image bêtes sauvages qui réapparaissent pendant le confinement dans des lieux
touristiques ou Eaux de Venise avant après confinement ?
• « Apprentissage de la lenteur » Jean-Michel Maulpoix, Chutes de pluie fine

/ Sujet d’écriture personnelle : Les touristes mettent-ils (nécessairement) en danger la


planète ?

Séquence 3 : Le grand voyage


… Invitation à voyager, invitation à se transformer.
Problématique : Voyager, est-ce se transformer ?
Lecture cursive : Continuer de Laurent Mauvignier

Séance 1 Rimbaud, l’ « homme aux semelles de vent »


Objectifs : Appréhender une nouvelle dimension du voyage, celle du voyage comme
rupture/ mieux connaître le poète Arthur Rimbaud/ Travailler l’exercice de la synthèse de
documents
Dominante : Lecture
1. Travail de groupe sur documentation prédéfinie à choisir parmi :
- réalisation d’une carte des voyages d’Arthur Rimbaud à partir de sa page Wikipédia
- podcast France Inter « Rimbaud : « A moi l’inconnu ! »
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/un-ete-avec-rimbaud/rimbaud-a-
moi-l-inconnu-6139637
- émission « Invitation au voyage » « L’exil éthiopien d’Abdallah Rimbaud
https://www.youtube.com/watch?v=2pFx0tF-wD0
- poème de René Char « Tu as bien fait de partir
- poème d’Arthur Rimbaud » « Ma bohème »
- poème d’Arthur Rimbaud « Le Bateau ivre »
Chaque groupe travaille collectivement le document et travaille à le synthétiser.
2. Restitution par chaque groupe de l’essentiel à retenir : Rimbaud et la fugue, le
mystère du voyage en Afrique, ce que représente le voyage rimbaldien, du voyage
poétique au voyage physique : le voyage comme rupture, comme échappée belle,
comme son propre chemin que l’on trace. Voyager, c’est changer la vie.

Séance 2 : Éloge de la fugue


Objectifs : prolonger la réflexion sur l’art de la fugue/ Analyse d’images mobiles
Dominante : Lecture d’images
https://www.youtube.com/watch?v=h9Qd-ZvyJyg
1. Projection de la scène finale des 400 coups de François Truffaut : quel lien avec la
figure d’Arthur Rimbaud ?
2. Analyse d’images : la course, le travelling, la part de la musique, l’empreinte de ses
propres pas.
3. Lecture cursive en écho du poème de Machado « Il n’y a pas de chemin… »
Conclusion sur le caractère émancipateur du voyage.
Séance 3 : Voyages au féminin (ÉVALUATION)
Objectifs : S’entraîner à la synthèse de documents/ percevoir la dimension émancipatrice du
voyage pour les femmes en particulier
Dominante : Ecrit
• Extrait de La Force de l’âge de Simone de Beauvoir, 1960
• « Ces femmes qui partent en voyage en solo », article d’Alice Dulczeewski pour
Les Grenades le 22/01/2022
• « Sécurité. Voyager seule quand on est une femme. », article paru dans le
Courrier international le 17/04/2019 (Source : The New York Times)
• Images du film Thelma et Louise, 1991
DS et correction

Séance 4 : Cercle de lecture Continuer de Laurent Mauvignier


Objectifs : Rendre compte d’une lecture cursive/ Percevoir la dimension réparatrice et
initiatique du voyage
Dominante : Oral
1. Discussion collective au sujet des impressions de lecture : qu’est-ce qui peut séduire
des lycéens dans la lecture de ce récit ?
2. Que représente le voyage dans cet ouvrage ?
Prolongement : rédaction par élèves volontaires d’un carton de présentation de l’ouvrage
pour le CDI du lycée.

Séance 5 : Le voyage de la vie


Objectifs : Percevoir la dimension métaphorique du voyage, le voyage comme symbole de la
vie
Dominante : Lecture/ Lecture d’images
1. Distribution de la fable de Jean-Pierre Claris de Florian « Le Voyage » et lecture
individuelle. Rédaction par écrit individuelle de la réponse à la question : quel est le
sens de ce texte ?
2. Lecture et échanges autour des réponses proposées.
3. Bilan sur le sens retenu : le voyage comme représentation du parcours de la vie
4. Prolongement : Lecture d’images Le voyage de la vie, série artistique de Thomas Cole

Séance 6 : Correction de la synthèse de documents sur les voyages au féminin


Objectif : Améliorer son niveau de rédaction
Dominante : Langue
Remise des travaux produits en demi-groupe et remédiation.
Travail sur le lexique, la syntaxe avec reformulation à partir d’extraits de copies.

Séance 7 : Voyager, est-ce se transformer ? (ÉVALUATION)


Objectif : S’entraîner à l’exercice de l’écriture personnelle
Dominante : Ecrit
Sujet d’écriture personnelle : Voyager, est-ce se transformer ?
Annexes
Séquence 1 séance 1 Trois poèmes

L’Invitation au Voyage Brise marine

Mon enfant, ma sœur,


Songe à la douceur La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres.
D’aller là-bas vivre ensemble ! Fuir ! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
Aimer à loisir, D’être parmi l’écume inconnue et les cieux !
Aimer et mourir Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Au pays qui te ressemble ! Ne retiendra ce cœur qui dans la mer se trempe
Les soleils mouillés Ô nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe
De ces ciels brouillés Sur le vide papier que la blancheur défend
Pour mon esprit ont les charmes Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Si mystérieux Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,
De tes traîtres yeux, Lève l’ancre pour une exotique nature !
Brillant à travers leurs larmes.

Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,


Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs !
Luxe, calme et volupté. Et, peut-être, les mâts, invitant les orages,
Sont-ils de ceux qu’un vent penche sur les naufrages
Des meubles luisants, Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots …
Polis par les ans, Mais, ô mon cœur, entends le chant des matelots !
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs Stéphane Mallarmé, Vers et Prose, 1893
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l’ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds, Vaisseaux, nous vous aurons aimés en pure perte;
La splendeur orientale, Le dernier de vous tous est parti sur la mer.
Tout y parlerait Le couchant emporta tant de voiles ouvertes
À l’âme en secret Que ce port et mon cœur sont à jamais déserts.
Sa douce langue natale.
La mer vous a rendus à votre destinée,
Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Au delà du rivage où s’arrêtent nos pas.
Luxe, calme et volupté. Nous ne pouvions garder vos âmes enchaînées;
Il vous faut des lointains que je ne connais pas.

Vois sur ces canaux Je suis de ceux dont les désirs sont sur la terre.
Dormir ces vaisseaux Le souffle qui vous grise emplit mon cœur d’effroi,
Dont l’humeur est vagabonde ; Mais votre appel, au fond des soirs, me désespère,
C’est pour assouvir Car j’ai de grands départs inassouvis en moi.
Ton moindre désir
Qu’ils viennent du bout du monde. Jean de la Ville de Mirmont
– Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe et d’or ;
Le monde s’endort
Dans une chaude lumière.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,


Luxe, calme et volupté.

Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal (1857)


Séquence 1 séance 4 Corpus « Rêves de voyages, voyages de rêve »

Document 1 : « Brise Marine » de Stéphane Mallarmé, 1893

Brise marine

La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres.


Fuir ! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
D’être parmi l’écume inconnue et les cieux !
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce cœur qui dans la mer se trempe
Ô nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,
Lève l’ancre pour une exotique nature !

Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,


Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs !
Et, peut-être, les mâts, invitant les orages,
Sont-ils de ceux qu’un vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots …
Mais, ô mon coeur, entends le chant des matelots !

Stéphane Mallarmé, Vers et Prose, 1893

Document 2 : « Argentine : une famille qui "rêvait" boucle un inouï voyage-vie de 22 ans »,
article paru dans le magazine GÉO le 14/03/2022
SUIVRE CE THÈME
Ils étaient partis pour six mois, le voyage d'une vie, ils reviennent 22 ans plus tard, après une
vie de voyage, quatre enfants nés en route : une famille argentine a bouclé dimanche à Buenos
Aires un périple rare et un peu fou, avec la conviction ancrée que "l'humanité est
merveilleuse."

A Gualeguaychu, dans le nord-ouest de Buenos Aires, l'une des dernières étapes à quelques
heures et 230 kilomètres de la fin du voyage, Herman Zapp se demande s'il doit se dire "mon
rêve est fini" ou "j'ai réalisé mon rêve". Peu importe au final. "Tout était plus beau qu'on l'avait
imaginé".

A l'origine, un voyage de six mois


Au commencement était un couple de 31 et 29 ans, gagnant bien leur vie, une maison en
banlieue de Buenos Aires, des envies de parentalité. Mais juste avant, il y avait ce vieux rêve
à deux : un trip routard de six mois, d'Argentine en Alaska, avec 4 000 dollars en poche. Et
puis... Et puis quelqu'un leur proposa cette vieille voiture de collection fatiguée en vente, un
improbable moyen de locomotion : une Graham-Paige 1928, jantes en bois, "qui ne démarrait
même pas", mais dont ils tombèrent amoureux. Le voyage se ferait donc en antiquité.

102 pays traversés


Ah, la Graham-Paige... "Family driving around the world", comme le proclame un autocollant
sur le véhicule, c'est elle la star du périple des 102 pays traversés, 362 000 kilomètres
parcourus. Même si elle ne roulait que quelques heures par étape, et pas tous les jours, par
égard pour son grand âge. "Elle n'a pas les meilleurs sièges, pas les meilleurs amortisseurs, et
pas de clim. C'est une voiture qui t'oblige à être en alerte (...) Mais elle a été merveilleuse ",
résume Herman à l'AFP. Une "machine à ouvrir les portes", les sourires, les coups de main.

Quatre enfants nés sur les routes


Elle a changé, bien sûr, depuis les premiers kilomètres - elle n'en fit que 50 le premier jour, le
25 janvier 2000, avant la première panne... Il fallut se mettre à la mécanique, voire au gros
d'oeuvre : agrandir la voiture, lui "rajouter" 40 centimètres, à mesure que la famille
s'agrandissait. Pampa, aujourd'hui 19 ans, né aux Etats-Unis, Tehue (16 ans) lors d'un retour
en Argentine, Paloma (14 ans) au Canada, et Wallaby (12 ans) en Australie. Sans oublier Timon
le chien et Hakuna la chatte. Souvent, la voiture a été "résidence principale", avec les enfants
dormant sur une tente sur le toit, les parents à l'intérieur, le tout entouré d'une vaste bâche
pour l'intimité.

Des séjours dans plus de 2 000 foyers


"La maison est petite, mais le jardin est immense, avec des plages, des montagnes, des lacs.
Et s'il ne te plait pas, tu peux changer !", plaisante Herman. Mais à vrai dire, les Zapp ont
surtout dormi chez l'habitant, invités dans plus de 2 000 foyers à travers le monde, estiment-
ils. "On n'aurait jamais imaginé que les gens puissent être si beaux dans le monde. Cette
humanité dans laquelle nous vivons est incroyable", n'en revient toujours pas Candelaria, 51
ans. Un repas, un logis, un dépannage gratuit... "Beaucoup nous ont aidés parce qu'ils
voulaient faire partie d'un rêve".

La découverte, "ce sont les gens"


Bien sûr tout n'a pas été rose. Déviés plusieurs fois par un conflit, une crise, ils ont vécu l'Asie
avec la grippe aviaire, l'Afrique pendant Ebola, l'Amérique centrale avec la dengue, Herman a
attrapé le paludisme... Tous les trois ans, ils s'autorisaient un séjour de 2-3 mois en Argentine
pour revoir la famille. Puis repartaient, attirés en réalité par autre chose que les paysages, de
la Namibie à l'Everest, de l'Egypte au Pérou : "ce que nous avons découvert, ce sont les gens".
*voir conditions s
Trois livres sur leur voyage à travers le monde
Difficile d'envisager l'avenir, après deux décennies si pleines, qui remplirent trois livres - dont
"Attrape ton rêve", vendus 100 000 exemplaires - qui ont en partie financé l'aventure. Herman
parle de "milliers d'options", évoque un tour du monde à la voile. Les jeunes enfants ne sont
guère enthousiastes à l'idée d'un collège en présentiel, après des années d'enseignement par
correspondance, ou par leur mère. Mais avec des cours de géographie inégalables. Un
décalage est peut-être à prévoir, avec la sédentarisation dans un monde qui semble aller de
crise en crise. Pour Herman, cela ne doit rien changer à la boussole. "On sort d'un Covid, on
entre dans une guerre énorme. Si on attend le moment adéquat, il y aura toujours une raison
pour ne pas réaliser nos rêves".
Document 3 : Extrait de l’essai Le voyage était presque parfait de Jean-Didier Urbain,
chapitre premier, 2008

Rude randonnée en un coin perdu de la planète. Doux séjour dans une résidence les pieds
dans l’eau tout confort. Bivouacs de survie en des terres sauvages loin des commodités de la
modernité. Traversée du désert sans téléphone portable. Séjour de repli en haute montagne
dans un chalet isolé mais relié par satellite. Immersion à risque dans une grande ville d’un pays
dudit « tiers-monde » pour pénétrer la vie quotidienne d’un quartier louche, hôtel borgne et
lien Internet à l’appui. Douces flâneries romantiques au fil de sentes paisibles au cœur d’un
paysage alpestre à l’écart du reste du monde avec un GPS…De quel art de voyager s’agit-il ici ?
En fait, art perdu ou retrouvé, d’élite ou de masse, d’aventure ou de villégiature, peu
importe ! Quelle que soit sa formule, rare est le voyage qui peut prétendre avoir totalement
échappé à ce verso du réel et ses surprises, ces aspérités et adversités inattendues à l’origine
de mécontentements divers et autres insatisfactions chez le voyageur professionnel ou
amateur : baroudeur endurci ou touriste exigeant ; explorateur averti, aventurier de la
dernière pluie ou estivant plan-plan.
Ambivalent, le voyage est comme l’été de Proust. Il est une réalité à double face composée
de cet envers des choses qui perturbe l’expérience en quelque manière, l’altérant légèrement
ou la ruinant totalement, brouillant dans tous les cas songes et idéal, un peu, beaucoup,
énormément, horriblement, fort rarement pas du tout.
Désagréments d’intensité variable, si l’on peut n’avoir affaire qu’à de minimes parasites
provoquant une légère « friture » sur l’écran des rêves (une ampoule au pied, un musée
fermé, des crottes de souris dans le placard ou un cafard dans la baignoire), il se peut qu’on
ait à affronter d’autres contrariétés, plus sérieuses, à même de déséquilibrer la relation entre
le recto et le verso du voyage, quels qu’en soient l’art, le style ou le motif. Alors tout peut
chavirer et le voyageur et son équipée sombrer corps et bien, les uns dans l’ennui, le déplaisir
et la déception, les autres en des contrariétés plus graves suscitant panique, désespoir et
consternation…
« Notre sort au quotidien consistait à se battre contre les mouches afin d’éviter d’en avaler,
particulièrement tenaces aux petits déjeuners et à midi. » Qui parle ? Un explorateur
évoquant les conditions pénibles de sa traversée de l’Amazonie ? Non. Juste un vacancier de
retour d’un séjour au Sénégal. En butte à cet univers hostile, précisant les effets sur ses
infortunés compagnons, l’estivant poursuit : « Le résultat de tout cela : six personnes sur huit
ont contracté des parasites, et sont toujours en traitement antibiotique et ce malgré toutes
les précautions que nous avons prises (désinfection à l’alcool, Javel, antibactériens, etc.). »
Comme une mayonnaise loupée, le voyage ne prend pas. Il se défait en sa forme et sa
substance. Il tourne, mal bien sûr. Troublé par un milieu dont l’agression permanente l’éloigne
inexorablement de l’idéal, son projet se décompose. Ainsi le rêve se transforme-t-il en
cauchemar ; le voyage en naufrage ; l’expérience en mésaventure ; et son souvenir en
plaintes.
(…)
Ce harcèlement de l’insecte, qui fait oublier la beauté des fleurs, la splendeur des cieux
étoilés, la quiétude des flots ou la douceur climatique d’un paradis tropical, c’est le verso qui
l’emporte sur le recto. L’envers prend le dessus, si bien que les dessous du réel s’emparant à
l’imprévu de l’endroit d’un rêve ont tôt fait de le briser. Pour ce voyageur assailli, tout
s’effondre. Un seuil de tolérance est franchi. Et en sus du remboursement de son voyage, ce
vacancier fort déçu de réclamer une indemnité au nom du « préjudice moral pour vacances
gâchées ».
Document 4 : Campagne de publicité pour la Nouvelle Calédonie, 2018

TTC* - A/R
568 €*
Séquence 2 Séance 3 Corpus « Le tourisme dénature-t-il le voyage ? »

Document 1 : Sylvain Tesson, Petit traité sur l’immensité du monde, 2005

Les internautes naviguent dans les corridors virtuels du cyberworld, des hordes en rollers
transhument dans les couloirs de bus. Des millions de têtes sont traversées par les particules
ondulatoires des SMS. Des tribus de vacanciers pareils aux gnous d’Afrique migrent sur les
autoroutes vers le soleil, le nouveau dieu !
C’est en vogue : on court, on vaque. On se tatoue, on se mondialise. On se troue de piercings
pour avoir l’air tribal. Un touriste s’envoie dans l’espace pour vingt millions de dollars.
« Bougez-vous ! » hurle la pub. « À fond la forme ! » On se connecte, on est joignable en
permanence. On s’appelle pour faire un jogging. L’État étend le réseau de routes : la pieuvre
de goudron gagne. Le ciel devient petit : il y a des collisions d’avions. (…)
Il est cependant une autre catégorie de nomades. Pour eux, ni tarentelle ni transhumance.
Ils ne conduisent pas de troupeaux et n’appartiennent à aucun groupe. Ils se contentent de
voyager silencieusement pour eux-mêmes, parfois en eux-mêmes. On les croise sur les
chemins du monde. Ils vont seuls, avec lenteur, sans autre but que celui d’avancer.
Comme le requin que son anatomie condamne à nager perpétuellement, ils vivent en
mouvement. Ils ressemblent un peu aux navettes de bois qui courent sans aucun bruit sur la
trame des hautes lisses et dont les allées et venues finissent par créer une tapisserie. Eux, ils
se tissent un destin, pas à pas. Le défilement des kilomètres suffit à donner un sens à leur
voyage. Ils n’ont pas de signes de reconnaissance, pas de rites. Impossible de les assimiler à
une confrérie : ils n’appartiennent qu’au chemin qu’ils foulent.

Document 2 : Julien Blanc-Gras, Touriste, 2011

Il existe environ deux cents États souverains. On vit à peu près trente mille jours. Si l’on
considère l’existence sous un angle mathématico-géographique, on devrait passer cent
cinquante jours dans chaque pays. Cinq mois ici, cinq mois là et ainsi de suite jusqu’à ce que
mort s’ensuive.
Il faut se rendre à l’évidence. Je dois aller dans tous les pays du monde. Je ne trouverai pas
le repos dans l’immobilité. Je me débrouillerai pour dénicher des ressources. Je mériterai mes
kilomètres. À nous deux, petite planète globalisée.
J’exige le respect pour mes rêves, aussi insensés puissent-ils paraître. Un fantasme, ça ne se
discute pas. Untel veut devenir une star, un autre posséder un yacht ou coucher avec des
sœurs jumelles. Je veux simplement aller à Lusaka. Et à Thimbu. Et à Valparaiso. Certains
veulent faire de leur vie une œuvre d’art, je compte en faire un long voyage.
Je n’ai pas l’intention de me proclamer explorateur. Je ne veux ni conquérir les sommets
vertigineux, ni braver les déserts infernaux. Je ne suis pas si exigeant. Touriste, ça me suffit.
Le touriste traverse la vie, curieux et détendu, avec le soleil en prime. Il prend le temps
d’être futile. De s’adonner à des activités non productives mais enrichissantes. Le monde est
sa maison. Chaque ville, une victoire.
Le touriste inspire le dédain, j’en suis bien conscient. Ce serait un être mou, au dilettantisme
disgracieux. C’est un cliché qui résulte d’une honte de soi, car on est toujours le touriste de
quelqu’un. Rien n’empêche de concevoir le tourisme comme un cours de géographie à
l’échelle 1, et la géographie comme le terreau de toutes les sciences humaines. Sous les cartes,
les hommes. La dynamique du monde ne s’appréhende pas en restant dans un fauteuil. Il faut
que j’actionne mon mouvement perpétuel. Je ne dois pas traîner, des civilisations s’écroulent
au moment où j’écris et d’autres émergeront à la fin de cette phrase. Elles nous tendent les
bras, je n’ai rien de mieux à faire que de leur rendre visite. Ma place dans le monde, je
l’inventerai à chaque pas.

Document 3 : Jean-Didier Urbain, L’Idiot du Voyage, 2002

Voici donc que s’annonce une forme ultime de mépris : le mépris paradoxal – celui que le
touriste se porte à lui-même. (…)
D’abord, comme le fit le voyageur, le touriste ne manque pas de souligner l’inculture du
touriste : « Lui, il était très bien, mais elle… On visitait un musée à Pékin, et elle trouve le
moyen de dire : « Ah ! Pour une fois, c’est écrit en français : musical instrument… » Ensuite,
bien sûr, le touriste ne voit dans le touriste qu’un homme superficiel, attiré irrésistiblement
par le bibelot plutôt que par le patrimoine artistique du pays visité : « On s’imagine que ce qui
va être intéressant à voir à Venise, ce sera la basilique Saint-Marc, les musées, certaines
églises, et on se trouve face à face avec des touristes qui ne sont intéressés que par les
colliers. » J’entends déjà des voix qui s’élèvent : « C’est vrai ! Ils sont comme ça ! » Mais ceux
qui disent cela, qui sont-ils ? Que celui qui n’a point péché jette le premier collier !
Continuons…C’est sans surprise que nous apprenons que le touriste reproche au touriste
d’être grégaire et amorphe, indifférent et peu discipliné. C’est l’image du troupeau qui a
poursuivi son chemin jusque dans la bouche du touriste : « Je me demande ce qu’ils étaient
venus chercher. Ils étaient là, ils se traînaient. Les visites, ils les faisaient ou ils ne les faisaient
pas. »
Dès lors, puisque « le touriste, c’est l’autre », il faut bien sûr s’en différencier. Tout est bon
pour mener à bien cette opération, à commencer par le choix des destinations. Il faut aller où
le touriste ne va pas. Celui-ci dans les années soixante, retient la Turquie parce que « la Grèce,
c’est fichu ». Notons que nombre de récits de voyage, trente ou quarante ans plus tôt,
commencent par ce type d’argument : « La désillusion d’un voyage au Maroc, trop touristique
à notre gré, nous avait violemment rejetés vers le Centre saharien. Décidément, il nous fallait
le Hoggar. »
Sur place, l’adoption des pratiques alimentaires et vestimentaires locales signe la
différence. Et puis il y a la langue : quelques mots appris vous mettent, face à l’idiot
monolingue, sur la voie, même embryonnaire, d’une petite intégration. Le refus du guide peut
faire partie de cette opération de distinction : « Je ne suis pas, dit ce directeur de
communication âgé de trente-deux ans, un rat de bibliothèque qui apprend le Guide bleu par
cœur, le Guide du Routard avant de partir… » Bien évidemment, au refus du guide peut
s’ajouter le refus de l’excursion : « pour aller à Cnossos, nous prendrons le vieux bus, la ligne
régulière, comme les indigènes. Ainsi nous ne serons pas au milieu des touristes. »
Nous n’avons pas à juger de ces paroles et de ces actes. Ils témoignent d’un stade
psychologique et historique où le touriste paraît avoir fait sien le mépris que le voyageur lui
porte. Il l’a intériorisé. C’est là sans doute la vérité du touriste, d’où découle sa difficulté d’être.

Document 4 : Blog Voyages « Kevin on the road », « Êtes-vous un touriste ou un


voyageur ? »
Corpus BTS blanc

Document 1 : « « Le lendemain de la photo, c’était la ruée » : l’« instagrammabilité » des


lieux touristiques, une aubaine et une malédiction », article paru dans Le Monde le
19/08/2022

Les réseaux, et notamment Instagram, permettent d’avoir une visibilité, mais encouragent
aussi le mimétisme. Quitte à tomber, pour certains lieux rendus célèbres par une photo
spectaculaire, dans le surtourisme.

Les sources de l’Huveaune sont à sec. Et cela ne dérange pas du tout Jean-Claude Hoog, le
premier adjoint (sans étiquette) du village de Nans-les-Pins (Var), d’où part ce fleuve côtier
qui déboule des contreforts de la Sainte-Baume pour aller se jeter dans la Méditerranée
à Marseille. « Quand il n’y a pas d’eau, il n’y a pas de visiteurs ! », souffle l’élu, comme soulagé
de ne croiser personne lorsqu’il crapahute le long de ces superbes vasques de tuf blanc,
ombragées par des alignements de chênes. Le 18 mars 2019, l’eau coulait à flots quand un
photographe marseillais a posté sur sa page Facebook une dizaine de photos des
sources. Cascades miniatures émeraude miroitant au soleil, vasques rendues bleu turquoise
par les cyanobactéries du sous-bois… Des clichés irrésistibles, likés et commentés par des
milliers de personnes, dont l’impact a traumatisé les habitants de ce village provençal de
4 700 habitants. « Dès le lendemain, on a vu arriver des centaines de personnes… C’était la
ruée », se souvient l’élu. Nans-les-Pins n’est pas la première commune à être débordée par
l’irruption, sur les réseaux sociaux, de photos idylliques, particulièrement sur Instagram. Sur
le réseau social frère de Facebook, le mot-dièse #huveaune recense 2 000 publications,
l’immense majorité postérieure à mars 2019. A cette époque, dans la foulée de la publication
du photographe marseillais, des véhicules s’arrêtent à cheval sur la départementale 80, qui
quitte le village en direction de la Sainte-Baume. Le parking de l’usine Sermax, dernier site
avant les sources, est pris d’assaut. Et, au bord de la rivière, située en zone protégée Natura
2000 et au cœur d’une forêt domaniale gérée par l’Office national des forêts (ONF), chacun
tente de se rapprocher des vasques, pour un selfie ou s’y tremper les pieds. Provoquant des
dégâts irréversibles dans ces roches poreuses, façonnées par des milliers d’années de
concrétions. Etonnamment, les sources de l’Huveaune faisaient, jusqu’alors, partie des secrets
bien gardés de la Provence verte. En mai 2021, selon les compteurs installés par le parc
régional de la Sainte-Baume, près de 4 000 personnes ont visité les lieux ; dont 42 % avaient
découvert les sources sur Internet ou par les médias. Un arrêté municipal interdit désormais
l’accès aux vasques et la baignade dans l’Huveaune, le cheminement hors des sentiers balisés
et le stationnement anarchique. Un parking spécifique a été créé au cœur du village, avec
fléchage jusqu’aux sources.
A quelques kilomètres de là, le plateau de Valensole (Alpes-de-Haute-Provence) connaît de
longue date l’impact des réseaux sociaux sur la fréquentation touristique. Lumière dorée,
champs mauve et vert piqués d’amandiers : ce haut lieu de la production de lavande en
Provence n’a guère d’équivalent lorsque la floraison débute, en juillet. Connu jusqu’en Asie, il
sert de décor à des posts Instagram, Facebook ou à des vidéos TikTok. Valensole sur
Instagram ? 467 000 photos, représentant le plus souvent une femme de dos au milieu d’un
champ de lavande, avec un chapeau aux bords larges. La plupart des offices du tourisme ont
désormais recours à des « influenceurs voyage », qui partagent à leurs communautés des
photos ou vidéos des destinations. Face aux dizaines de personnes qui pénètrent
quotidiennement au cœur de ses 110 hectares de plantations, Laetitia Angelvin se dit sans
solution. « On fait de la pédagogie, on installe des panneaux… Mais cela n’empêche pas les
plants endommagés ou arrachés », constate la responsable des lavandes Angelvin, un des
principaux producteurs du plateau. Elle laisse toutefois ses champs accessibles, dans un
intérêt bien compris : « On a besoin de ce tourisme-là pour nos chambres d’hôtes, nos
commerces, vendre nos produits… »

Instagram entretient avec l’industrie touristique une relation complexe. Dans bien des cas, il
offre de la visibilité aux destinations et permet de cibler certaines catégories de visiteurs, plus
urbains et jeunes. L’aspect photogénique d’un lieu, ou son « instagrammabilité », barbarisme
employé par certains professionnels du tourisme, est devenu un élément à promouvoir,
au même titre que l’offre d’activités ou la qualité des hébergements. Le phénomène a profité
aux destinations offrant des décors sauvages et spectaculaires, comme l’Islande, ou des
villages historiques aux maisons photogéniques, de Santorin (Grèce) aux Cinque Terre (Italie).
La plupart des offices du tourisme ont désormais recours à des « influenceurs voyage », qui
partagent à leurs communautés des photos ou vidéos des destinations. La facilité d’utilisation
des filtres, pour saturer les couleurs notamment, est idéale pour vendre du rêve aux futurs
voyageurs – quitte à susciter une forme de déception sur place. Les industriels se sont
également adaptés. La compagnie aérienne EasyJet a développé une application permettant
de trouver l’endroit où une photo Instagram a été prise et de réserver un vol pour s’y rendre.
Hôtels et restaurants se sont parés de façades répondant aux codes d’Instagram ou
d’installations conçues pour servir de décor à une photo – une balançoire sous une guirlande
de lumières, par exemple, ou la structure #ilovenice devant la Baie des Anges. Dans un parc
du comté de Xiapu, dans le sud-est de la Chine, de supposées scènes de la vie rurale chinoise
sont recréées par des acteurs et des animaux sous les objectifs de centaines de photographes
amateurs, conseillés par des guides. (…)

Mais l’essor des réseaux sociaux comme prescripteurs de sites d’exception joue souvent
contre eux. Le mimétisme qui a toujours prévalu dans le tourisme s’en voit accéléré, puisque
le partage des photos de vacances se fait en direct, à une plus grande échelle. La volonté
d’imitation ne concerne plus seulement la destination, mais bien souvent un lieu unique,
à l’accès facilité par la fonction de géolocalisation des photos Instagram. L’on pourra y prendre
la photo du même lieu spectaculaire, avec le même angle de vue et, en s’y rendant à une
heure précise, la même lumière. En réaction, les destinations concernées oscillent entre la
fermeture, l’aménagement des accès ou le découragement des visiteurs. Un manque
d’originalité raillé par le compte @instarepeat qui publie des mosaïques de photos de
paysages ou de mises en scène que les touristes répètent à l’infini. Lors d’une discussion
en 2020 sur les habitudes touristiques en montagne, Nicolas Raynaud, alors président du Club
alpin français, nous disait la difficulté des guides « à répartir les flux dans le massif de la
Vanoise, en raison des photos publiées sur Instagram. Le temps de loisir est court, il faut qu’il
soit rentable : les gens veulent voir cet endroit qu’ils ont vu en photo, pas un autre ».

C’est dans les lieux non préparés à l’afflux de touristes qu’émerge une impression de
« surtourisme », comme à Nans-les-Pins, à Valensole, ou bien dans d’autres sites naturels du
monde entier. En Espagne, un village de 200 habitants de la région de Grenade est pris
d’assaut chaque week-end depuis que ses sculptures et maisons sur le thème de la sorcellerie
ont connu un grand succès sur Instagram. Les dépenses générées par la gestion des touristes
ont dépassé les revenus de l’activité. « Dès qu’une destination est mise en avant de manière
spontanée, sur un réseau social ou dans une série à succès, elle se retrouve débordée, car elle
n’est pas préparée à recevoir ces flux, observe Cyril Blanchet, coordinateur de la recherche à
l’Escaet, une école de commerce consacrée au tourisme. Mais comme tout ce qui est lié aux
réseaux sociaux, cela peut disparaître très rapidement. »

Document 2 : « À pied, en vélo, en canoë… Voyager lentement pour se reconnecter au


vivant », article paru dans Reporterre le 25/05/2020

Et si l’interruption du trafic aérien depuis le début de la pandémie était l’occasion de changer


ses habitudes ? Voyager sans moteur peut transformer notre relation au reste du vivant - et
limiter les dommages écologiques du tourisme.

« J’ai voyagé dans de nombreux pays, découvert des endroits extraordinaires, et pourtant, le
voyage le plus magique, le plus transformateur que j’ai fait a été ma descente de la Loire en
canoë. » En juillet 2017, Florence-Marie a eu une idée « bizarre » : cette habituée des voyages
en avion à l’autre bout de la planète a décidé de descendre dans un vieux canoë le fleuve
qu’elle traverse tous les jours, « sans même le regarder », pour aller au travail. Une expérience
qu’elle qualifie « d’initiatique ». « Ça a été un grand bouleversement de ma vie », confie-t-
elle. Après un mois passé à pagayer entre les libellules, elle a pris conscience du « besoin de
sauvage dans sa vie », a rejoint Greenpeace et Extinction Rebellion, et remis en question son
mode de vie. « Je me suis demandé si j’allais renoncer à voyager afin de diminuer mon impact
sur l’environnement, dit-elle. En fait, je me suis rendu compte que je pouvais voyager
autrement. »

Voyager autrement, pour Florence-Marie, cela signifie voyager de la manière la plus


écologique possible. Quoique pratiqué par une minorité d’êtres humains dans le monde, le
tourisme est en effet responsable de plus de 8 % des émissions mondiales de gaz à effet de
serre, selon une étude publiée en 2018 dans la revue Nature Climate Change. (…)
En train, à vélo, en kayak ou à dos d’âne, les possibilités de voyager en limitant son empreinte
carbone sont nombreuses. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, voyager de manière
sobre n’implique pas nécessairement de renoncer aux destinations lointaines. À titre
d’exemple, Thierry Montaner s’est lancé en 2008 dans un tour du monde à pied après avoir
été envahi « d’un sentiment de passer à côté de sa vie ». Céline Séris s’est quant à elle rendue
en couple jusqu’en Thaïlande en transports en commun, un voyage qu’elle raconte sur son
blog. À vélo jusqu’en Chine, en train jusqu’à Tokyo, vers l’Amérique latine à la voile… Les
exemples de ce type de voyages, qui vont souvent de pair avec une remise en question globale
de l’existence de ceux qui les entreprennent, sont légion.

Il n’est cependant pas nécessaire d’aller si loin pour vivre une grande aventure, souligne
Rodolphe Christin. Alors que l’épidémie de Covid-19 restreint fortement les possibilités de
déplacement des Français, le sociologue rappelle que le voyage peut commencer, selon les
mots de l’écrivain-voyageur Nicolas Bouvier, « au bout de sa chaussure ».
Pendant le confinement, par exemple, les gens ont redécouvert des villes silencieuses, des
parcs avec des oiseaux. La transformation de la vie quotidienne a engendré un exotisme du
proche. C’est là que commence le voyage : il s’agit avant tout d’une rupture esthétique qui
peut être provoquée par le fait de quitter ses habitudes, à la fois matérielles et mentales. »
« On n’a pas besoin d’aller au bout de la planète pour voir des choses qui peuvent nous
émerveiller », confirme Geoffroy. « Des gorges de l’Ardèche aux montagnes du Beaufortin en
passant par les volcans d’Auvergne, la diversité de climats, de paysages et de cultures en
France est tellement immense ! » En août 2018, cet ingénieur de 29 ans a entrepris de
traverser le Mercantour, la vallée de l’Ubaye et le Queyras à pied. (…) « Nous étions à 200
kilomètres à peine de chez nous, et pourtant nous avons vécu des expériences exotiques. Les
paysages, les modes de vie étaient profondément différents de ceux que nous connaissions »,
raconte-t-il à Reporterre.

Ce voyage a également permis à Geoffroy de prendre conscience des mérites de la lenteur,


corollaire du voyage « écologique » : « On ne peut pas réellement éprouver en avion ce que
sont les distances sur terre. Voyager avec son corps, sans moyens motorisés, rend plus
exceptionnel ce que l’on vit. On a l’impression de mériter davantage les moments magiques
que l’on éprouve. » Grâce à la lenteur, l’expérience du trajet devient elle-même une aventure,
dit-il. Elle permet aussi de regarder son environnement avec des yeux plus attentifs. « Avec la
vitesse, on n’a pas le temps de s’arrêter sur les détails », dit Adrien, 32 ans et grand amateur
de voyages sans moteur. « La lenteur mobilise tous nos sens et nous oblige à prendre
conscience de ce qui nous entoure, les bruits, les odeurs des plantes, les arbres, les paysages,
le vent… »
« L’un des enjeux du voyage à l’heure actuelle est de reposer les fondations de notre rapport
au vivant humain et non humain », enchérit Rodolphe Christin. Selon le sociologue, en
réduisant les territoires à de simples décors aisément transformables et consommables, le
tourisme renforce en effet le dualisme nature/culture et la distanciation des êtres humains
vis-à-vis du reste du vivant décrits par l’anthropologue Philippe Descola . À l’inverse, la
lenteur, la contemplation et « le corps-à-corps avec le réel » que permettent d’autres formes
de voyage peuvent, selon lui, aider à ressentir « une unification entre soi et le monde ».
Le sentiment de « parenté universelle » avec le reste du vivant décrit par le sociologue se
rapproche de ce qu’a éprouvé Florence-Marie en 2017. Lors de sa descente de la Loire en
canoë, elle s’est surprise à « dialoguer » avec le fleuve : « Avant ce voyage, la nature était pour
moi un décor. Sur la Loire, le décor est devenu un sujet », raconte-t-elle. « Je voyais le sauvage,
les animaux, j’entendais les chants des oiseaux. D’habitude, je n’y prêtais pas attention. Là,
j’étais avec la Loire avec toutes mes cellules, en complète immersion. Il y a eu un tissage, une
hybridation entre nous. J’ai des bouts d’elle en moi, elle a des bouts de moi en elle. » Cette
expérience a eu de profondes répercussions pour la voyageuse : « Avant, je voulais toujours
de l’extraordinaire, que je trouvais dans des paysages sublimes à l’étranger. Depuis ce voyage,
j’ai commencé à voir de la beauté dans des choses plus anodines, comme les feuilles des
arbres à côté de chez moi. Je vois des choses que je ne voyais pas avant. »
En optant pour la lenteur lors d’un voyage à vélo en 2017, Adrien a lui aussi éprouvé une
profonde connexion avec son environnement : « Lorsque l’on voyage sans moteur, on est
davantage sollicité par ce qui nous entoure. Ce sont des voyages plus vifs : on peut subir les
aléas de la météo, mais aussi être davantage exalté par la nature qui nous entoure, qu’elle
soit belle ou hideuse. » « Être seul sur un petit vélo au milieu de rien oblige à avoir de
l’humilité », ajoute Céline, qui a voyagé pendant cinq semaines à vélo en Mongolie lors de son
voyage sans avion, mais en train et en car. « Quand il y a un orage, il faut s’arrêter, attendre
que ça passe, même si l’on a prévu de faire cinquante kilomètres ce jour-là. On se retrouve au
milieu de la nature, et on doit composer avec elle. »
Voyager de cette manière ne permet pas uniquement de se sentir proche du reste du vivant,
selon Céline. C’est aussi une expérience de vie extraordinaire : « Rien ne vaut l’effort, la
transpiration, le fait de pédaler sous la pluie, de mal dormir sur des sols trop durs. Malgré
l’inconfort, on ne pouvait pas être plus heureux que pendant ces cinq semaines à vélo »,
conclut-elle. Le voyage lent n’aurait-il donc que des avantages ? Au-delà de limiter notre
empreinte carbone, peut-être contribue-t-il à ce que, comme l’écrit Nicolas Bouvier, « le
monde [n]ous traverse et [n]ous prête ses couleurs. »
Document 3 : Jean-Michel Maulpoix, « Apprentissage de la lenteur », Chutes de pluie fine,
2002

Le thème du voyage est central dans Chutes de pluie fine. Les voyages du poète sur tous les
continents en constituent la matière. La dernière section, d’où est tiré l’extrait suivant,
s’intitule « Le voyageur à son retour ». Après avoir parcouru de nombreux ailleurs, tout se
passe comme si le poète redécouvrait à présent l’ici. À l’ailleurs, succède donc le « pays natal ».
Au départ, le « retour ». À l’empressement et à l’agitation, l’immobilité. Aussi l’ouvrage se lit-
il comme une « recherche », où le voyage et l’ouverture sur l’extérieur seraient une étape
nécessaire vers soi-même.

L’Indre coule à peine, comme l’eau des miroirs. De grosses poules se baignent les pattes,
et de minces araignées patinent parmi les reflets.
Ce sont des phrases écrites naguère, ces papillons posés dans l’herbe, ces coups de cisailles
dans le bleu que font les chants d’oiseaux, et ce rêve de cheveux à l’endroit délicat du cou, en
regardant partir à peine la rivière qui retient le temps entre ses rives de feuilles.
Le voyageur apprend sa vie. Non pas revenu, mais rendu pour quelques heures à ce qui est,
plutôt qu’emporté vers ce qui n’est pas encore, ou se retournant vers ce qui n’est déjà plus.
Le voyageur est immobile ; c’est le temps qui coule en lui, comme sur l’Indre quelques
feuilles et beaucoup de reflets. Au même instant lié et détaché, semble-t-il, comme cette eau
calme entre ses rives, hésitant autour des graviers et des petites îles d’herbe.
Des pluies tombées ailleurs coulent ici à l’horizontale.

Document 4 : Photographie des eaux de Venise avant et après la période de confinement


Séquence 3 Séance 1

Ma Bohème

Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;


Mon paletot aussi devenait idéal ;
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;
Oh ! là ! là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !

Mon unique culotte avait un large trou.


– Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
– Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou

Et je les écoutais, assis au bord des routes,


Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,


Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !

Arthur Rimbaud, Cahier de Douai, 1870

Tes dix-huit ans réfractaires à l’amitié, à la malveillance, à la sottise des poètes de Paris ainsi
qu’au ronronnement d’abeille stérile de ta famille ardennaise un peu folle, tu as bien fait de
les éparpiller aux vents du large, de les jeter sous le couteau de leur précoce guillotine. Tu as
eu raison d’abandonner le boulevard des paresseux, les estaminets des pisse-lyres, pour
l’enfer des bêtes, pour le commerce des rusés et le bonjour des simples.

Cet élan absurde du corps et de l’âme, ce boulet de canon qui atteint sa cible en la faisant
éclater, oui, c’est bien là la vie d’un homme! On ne peut pas, au sortir de l’enfance,
indéfiniment étrangler son prochain. Si les volcans changent peu de place, leur lave parcourt
le grand vide du monde et lui apporte des vertus qui chantent dans ses plaies.

Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud! Nous sommes quelques-uns à croire sans preuve le
bonheur possible avec toi.

René Char, Fureur et Mystère, 1948


Le bateau ivre

Comme je descendais des Fleuves impassibles, Glaciers, soleils d’argent, flots nacreux, cieux de braises !
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs : Échouages hideux au fond des golfes bruns
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles, Où les serpents géants dévorés des punaises
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs. Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !

J’étais insoucieux de tous les équipages, J’aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais. Du flot bleu, ces poissons d’or, ces poissons chantants.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages, – Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais. Et d’ineffables vents m’ont ailé par instants.

Dans les clapotements furieux des marées, Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
Moi, l’autre hiver, plus sourd que les cerveaux d’enfants, La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Je courus ! Et les Péninsules démarrées Montait vers moi ses fleurs d’ombre aux ventouses jaunes
N’ont pas subi tohu-bohus plus triomphants. Et je restais, ainsi qu’une femme à genoux…

La tempête a béni mes éveils maritimes. Presque île, ballottant sur mes bords les querelles
Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots Et les fientes d’oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.
Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes, Et je voguais, lorsqu’à travers mes liens frêles
Dix nuits, sans regretter l’œil niais des falots ! Des noyés descendaient dormir, à reculons !

Plus douce qu’aux enfants la chair des pommes sûres, Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
L’eau verte pénétra ma coque de sapin Jeté par l’ouragan dans l’éther sans oiseau,
Et des taches de vins bleus et des vomissures Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
Me lava, dispersant gouvernail et grappin. N’auraient pas repêché la carcasse ivre d’eau ;

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème Libre, fumant, monté de brumes violettes,
De la Mer, infusé d’astres, et lactescent, Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ; Des lichens de soleil et des morves d’azur ;

Où, teignant tout à coup les bleuités, délires Qui courais, taché de lunules électriques,
Et rythmes lents sous les rutilements du jour, Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Plus fortes que l’alcool, plus vastes que nos lyres, Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Fermentent les rousseurs amères de l’amour ! Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Et les ressacs et les courants : je sais le soir, Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
L’Aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes, Fileur éternel des immobilités bleues,
Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir ! Je regrette l’Europe aux anciens parapets !

J’ai vu le soleil bas, taché d’horreurs mystiques, J’ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Illuminant de longs figements violets, Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
Pareils à des acteurs de drames très antiques – Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t’exiles,
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets ! Million d’oiseaux d’or, ô future Vigueur ?

J’ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies, Mais, vrai, j’ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Baisers montant aux yeux des mers avec lenteurs, Toute lune est atroce et tout soleil amer :
La circulation des sèves inouïes, L’âcre amour m’a gonflé de torpeurs enivrantes.
Et l’éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs ! Ô que ma quille éclate ! Ô que j’aille à la mer !

J’ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache
Hystériques, la houle à l’assaut des récifs, Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Sans songer que les pieds lumineux des Maries Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs ! Un bateau frêle comme un papillon de mai.

J’ai heurté, savez-vous, d’incroyables Florides Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
D’hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides Ni traverser l’orgueil des drapeaux et des flammes,
Sous l’horizon des mers, à de glauques troupeaux ! Ni nager sous les yeux horribles des pontons.

J’ai vu fermenter les marais énormes, nasses Arthur Rimbaud, Poésies, 1871
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !
Des écroulements d’eaux au milieu des bonaces,
Et les lointains vers les gouffres cataractant !
Séquence 3 Séance 2

Tout passe et tout reste,


mais le propre de l’homme est de passer,
passer en faisant des chemins,
des chemins sur la mer.
Je n’ai jamais cherché la gloire,
ni cherché à laisser dans la mémoire
des hommes ma chanson ;
j’aime les mondes subtils,
légers et aimables,
comme des bulles de savon.
J’aime les voir se peindre
de soleil et de rouge, voler
sous le ciel bleu, trembler
soudainement et se rompre…
Je n’ai jamais cherché la gloire.
Toi qui marches, ce sont tes traces
qui font le chemin, rien d’autre .
Toi qui marches, il n’existe pas de chemin,
le chemin se fait en marchant.
En marchant on fait le chemin
et lorsqu’on se retourne,
on voit le sentier que jamais
on n’empruntera à nouveau.
Toi qui marches, il n’existe pas de chemin
si ce n’est le sillage dans la mer…
Il fut un temps dans ce lieu
où aujourd’hui les bois s’habillent d’épines,
on entendit la voix d’un poète crier
« Toi qui marches, il n’existe pas de chemin,
le chemin se fait en marchant… »
Coup après coup, vers après vers…
Le poète mourut loin de chez lui.
Il est recouvert de la poussière d’un pays voisin.
En s’éloignant on le vit pleurer.
Toi qui marches, il n’existe pas de chemin,
le chemin se fait en marchant…
Coup après coup, vers après vers…
Quand le chardonneret ne peut chanter
Quand le poète est un pèlerin,
quand il ne sert à rien de prier.
« Toi qui marches, il n’existe pas de chemin,
le chemin se fait en marchant… »
Coup après coup, vers après vers.

Antonio Machado, Chant XXIX Proverbios y cantarès, Campos de Castilla, 1912


Séquence 3 Séance 3

Corpus « Voyages au féminin »

Document 1 : Simone de Beauvoir, La force de l’âge, 1960

Dans La force de l’âge, Simone de Beauvoir raconte sa jeunesse et notamment l’année qu’elle
a passée à Marseille où elle a pris son premier poste de professeure de philosophie. À cette
époque, elle a arpenté seule les chemins de l’arrière-pays et des calanques.

Il m’arriva peu d’aventures ; pourtant, deux ou trois fois, j’eus peur. D’Aubagne au sommet
du Gardaban, un chien s’entêta à me suivre, je partageai avec lui mes brioches, mais j’avais
l’habitude de me passer de boire, lui non ; sur le chemin du retour, je crus qu’il devenait fou,
et la folie, chez une bête, me parut très effrayante : arrivé au village, il se précipita en hurlant
vers le ruisseau. Un après-midi, je me hissai avec peine dans des gorges escarpées qui devaient
déboucher sur un plateau ; les difficultés grandissaient, mais je me sentais incapable de
descendre ce que j’avais escaladé, et j’allais ; une muraille m’arrêta, définitivement, et je dus
rebrousser chemin, de cuvette en cuvette. J’arrivai à une faille que je n’osai pas sauter ; des
serpents détalaient parmi les pierres sèches, pas un autre bruit ; personne, jamais, ne passait
dans ce défilé ; si je me cassais une jambe, si je me tordais la cheville, que deviendrais-je ?
J’appelai : pas de réponse. Pendant un quart d’heure, j’appelai. Quel silence ! Je rassemblai
mon courage et j’atterris saine et sauve.
Il y avait un danger contre lequel mes collègues m’avaient amplement mise en garde ; mes
randonnées solitaires défiaient toutes les règles et elles me répétaient d’un ton pincé : « Vous
allez vous faire violer ! » Je me moquais de ces obsessions de vieilles filles. Je n’entendais pas
affadir ma vie par des prudences ; d’ailleurs, certaines choses - un accident, une maladie
grave, un viol – ne pouvaient tout simplement pas m’arriver à moi. J’eus quelques démêlés
avec des camionneurs, avec un commis voyageur qui voulait me convaincre d’aller m’ébattre
avec lui dans le fossé et qui me planta au milieu de la route : je n’en continuai pas moins à
pratiquer l’auto-stop. Un après-midi, je marchais vers Tarascon, au grand soleil, sur un chemin
poudré de blanc, quand une voiture me dépassa et s’arrêta ; les passagers, deux jeunes
garçons m’invitèrent à monter : ils me conduiraient à la ville. Nous rejoignîmes la grand-route
et au lieu de tourner à droite, ils prirent à gauche. « On fait un petit détour », expliquèrent-
ils. Je ne voulais pas me rendre ridicule, j’hésitai ; mais quand je compris qu’ils se dirigeaient
vers la « montagnette » - le seul endroit désert de la région – je ne doutai plus ; ils quittèrent
la route et durent ralentir pour franchir un passage à niveau ; j’ouvris la portière, je menaçai
de sauter en marche : ils s’arrêtèrent et me laissèrent descendre, assez penauds. Loin de me
donner une leçon, cette petite histoire fortifia ma présomption : avec un peu de vigilance et
de décision on se tirait de tout. Je ne regrette pas d’avoir longtemps nourri cette illusion, car
j’y puisai une audace qui me facilita l’existence.

Document 2 : « Ces femmes qui partent en voyage en solo », article d’Alice Dulczeewski
pour Les Grenades le 22/01/2022

(…-) Selon Lucie Azema, autrice du livre “Les femmes sont aussi du voyage” (2021), partir seule
à l’aventure est loin d’être anodin pour une femme. Ayant elle-même vécu dans différents
pays tels que l’Iran, l’Inde ou encore le Liban, l’autrice et journaliste française décrit le voyage
en solo comme un “levier d’émancipation extrêmement puissant”. Contactée par les
Grenades, elle explique : “Les femmes sont depuis des millénaires des êtres d’intérieur. Nous
avons une histoire de l’enfermement très ancienne, que ce soit au sein du foyer ou encore
dans les couvents”. Or, ajoute-t-elle, “voyager, c’est sortir et prendre l’espace public. Voyager,
c’est être libre d’aller et venir. C’est une émancipation au sens littéral du terme”.
A côté de ça, ajoute Lucie Azema, le voyage en solo permet aux femmes “d’être confrontées
à elles-mêmes” et ainsi de “comprendre qu’elles peuvent avoir confiance en leurs intuitions”,
une conviction dont elles ont “été privées depuis l’enfance”.

Aussi, pour la journaliste, voyager peut permettre aux femmes de renégocier d’autres
injonctions, comme celles de la maternité, de la stabilité, de l’esthétique. “Le rapport au
maquillage par exemple, à l’épilation, à l’habillement est vraiment différent. On s’habille
souvent avec ce que l’on trouve. On est beaucoup moins centré sur le physique”, souligne
l’autrice. Mais, ajoute-t-elle, c’est à condition de ne pas jouer le jeu de “la voyageuse hyper
apprêtée, voire sexualisée sur Instagram”. Selon Lucie Azema, pour que le voyage puisse
vraiment être émancipateur, il faut absolument garder “assez d’espace mental pour s’ouvrir
à l’autre, être libre et faire exploser des choses en soi.”

Certes, partir en solo à l’aventure peut aussi s’avérer émancipateur pour les hommes. Mais
selon Lucie Azema, il y a une différence majeure avec le voyage solo de la femme. En effet,
explique-t-elle, “la prise de risque des hommes est valorisée socialement. Les injonctions
faites aux hommes sont liées à la liberté et à l’indépendance. En étant libres, les hommes se
conforment en fait à leur performance de genre”. A contrario, ajoute-t-elle, “se conformer
chez les femmes est centré sur l’intérieur, la soumission, sur le fait de prendre soin des autres.
En définitive, c’est toujours Ulysse qui part et Pénélope qui l’attend. Dans ce contexte, voyager
est donc beaucoup plus puissant et libérateur pour une femme”.

Lorsqu’on aborde le sujet du voyage solo au féminin, la question de la sécurité revient


inlassablement. "Ce n’est pas dangereux ?”, “tu n’as pas peur ?” sont des questions que les
voyageuses solo entendent régulièrement. Mais Lucie Azema démonte cet argument qu’elle
considère “paternaliste”. Elle explique : “Être une femme dans l’espace public est
malheureusement un danger partout, à Paris comme ailleurs. Dire aux femmes ‘ne voyagez
pas, ça va être dangereux’ est une façon de les enfermer. C’est une double peine qui fait en
plus reposer sur elles la responsabilité (d’un quelconque incident)”.
Pour l’autrice française, le danger en voyage pour les femmes est même très exagéré. “A
l’étranger, j’ai toujours eu des problèmes qu’un homme aurait pu rencontrer aussi. Une
attaque de singe par exemple n’est pas liée au fait que je sois une femme”, explique-t-elle.
Bien sûr, ajoute Lucie Azema, “il arrive parfois des choses horribles à des voyageuses et des
voyageurs. Mais pourquoi est-ce toujours seulement aux femmes qu’on en parle ?” D’autant
qu’à côté de ça, continue-t-elle, “la prise de risque des hommes voyageurs est, au contraire,
hyper valorisée. Certains hommes font parfois des choses hyper dangereuses en voyage et
c’est considéré comme viril”.
De son côté, Mathilde Rogez, co-créatrice et modératrice du groupe “We Are
Backpackeuses !” considère aussi que “la peur qu’ont les femmes en voyageant en solo est la
même que la peur qu’elles ont déjà dans leur propre pays”. Elle cite par exemple “la peur des
relous (des lourds), la peur de prendre les transports en commun le soir, la peur des agressions
sexuelles etc.”

Néanmoins, précise-t-elle, “être seule au bout du monde peut ajouter une certaine angoisse”.
Dans le groupe Facebook qu’elle a co-créé, “il y a des femmes qui demandent si telle ou telle
destination est plus dangereuse qu’une autre, que ce soit en tant que femme mais aussi en
tant que touriste. Certaines ont parfois besoin d’être rassurées, mais je trouve que la peur
n’est absolument pas le sentiment qui domine dans ce groupe”, ajoute Mathilde Rogez.
Notons aussi qu’afin de partir plus rassurées, certaines voyageuses utilisent des plateformes
comme le site “La Voyageuse”, qui met en contact les voyageuses solo avec des hébergeuses
de confiance à travers le monde.

En définitive, pense Lucie Azema, “si une femme veut partir mais qu’elle a des
questionnements – qui peuvent être légitimes – elle peut se demander : ‘est-ce qu’un homme
dans la même situation que la mienne hésiterait pour les mêmes raisons ?’ Si la réponse est
non, alors je pense qu’il faut y aller”. Pour la journaliste française, il s’agit pour la femme de
se libérer de ses verrous internes et de suivre son instinct.
Un conseil qui n’est pas sans rappeler cette phrase du poète Omar Khayyām, citée dans le livre
de l’autrice : “Suppose que tu n’existes pas, et sois libre”.
Pour celles qui désirent sauter le pas, Lucie Azema conseille de lire les récits de grandes
voyageuses comme Alexandra David-Néel, Ella Maillart ou encore Annemarie Schwarzenbach.
A un autre niveau, les témoignages que l’on retrouve sur le groupe Facebook “We are
backpackeuses !” apportent aussi des modèles et des sources d’inspiration aux voyageuses en
herbe. Comme l’explique la voyageuse solo Florence, partie à Annecy, “certaines discussions
dans ce groupe m’ont permis d’imaginer que c’était aussi possible pour moi d’aller vers ce qui
me faisait vibrer”.

Document 3 : « Sécurité. Voyager seule quand on est une femme. », article paru dans le
Courrier international le 17/04/2019 (Source : The New York Times)

Les femmes sont chaque année plus nombreuses à voyager seules. Bien se préparer est
essentiel pour se prémunir contre les risques.
ABAY / PEXELS / CC
Carla Stefaniak avait tout fait “correctement”, raconte sa meilleure amie. En novembre, cette
Américano-Vénézuélienne s’offrait cinq jours de vacances au Costa Rica pour son
36e anniversaire, et elle avait loué sur Airbnb une villa dans un quartier fermé non loin de
l’aéroport. Il y avait un vigile, et le quartier était réputé sûr. Et elle faisait toujours en sorte de
rentrer avant la tombée de la nuit. Son dernier soir sur place, la veille de son retour vers la
Floride, Carla appelle en FaceTime sa meilleure amie Laura Jaime. Via la vidéo, elle lui montre
les boucles d’oreille qu’elle vient de s’acheter sur un marché et lui fait visiter la maison. Durant
l’appel, elle fait aussi une remarque étrange : elle trouve l’ambiance “louche”, sans plus
de détail.
Une semaine plus tard, le corps brutalisé de Carla Stefaniak sera retrouvé dans un sac
plastique, à demi enterré, sur un coteau boisé non loin de sa location. La police costaricaine a
ouvert une enquête pour homicide et arrêté le vigile.

Plusieurs faits divers mortels ayant eu pour victimes des femmes voyageant seules suscitent
ces derniers temps des interrogations : quel accueil réserve notre monde à ces voyageuses en
solitaire, de plus en plus nombreuses ? Quel rôle jouent les réseaux sociaux en véhiculant les
images de lointaines contrées sûres et faciles d’accès ? Ces drames jettent aussi une lumière
crue sur la persistance des violences contre les femmes à travers le monde, et montrent qu’il
y a parfois un fossé entre les attentes des étrangères qui voyagent en solo et l’idée que
certains se font, dans certains pays, de la place des femmes – et de leur droit à voyager.
Les femmes sont des milliers à se rendre chaque année à l’étranger sans incident. En voyage,
elles sont cependant nombreuses à subir les sifflets des hommes et pléthore d’autres formes
de harcèlement. Des femmes de couleur racontent aussi le rejet, voire le mépris dont elles
sont parfois l’objet à l’étranger en raison de leur couleur de peau. Et si les violences contre les
touristes hommes sont tout aussi dévastatrices, certaines voyageuses subissent des
calvaires indescriptibles.
En décembre, la Danoise Louisa Vesterager Jespersen, 24 ans, et la Norvégienne Maren
Ueland, 28 ans, ont été retrouvées égorgées dans les montagnes du Haut-Atlas, au Maroc. Les
autorités danoises ont qualifié l’assassinat d’acte terroriste. Toujours en décembre, la
Britannique Grace Millane disparaissait à Auckland, en Nouvelle-Zélande, la veille de son
22e anniversaire, avant d’être retrouvée morte quelques jours plus tard. En mars, un
Australien a été reconnu coupable de l’enlèvement et du viol d’une Belge qu’il avait
séquestrée deux jours durant dans sa porcherie.

Les femmes courent des risques spécifiques lorsqu’elles voyagent seules, c’est indéniable,
rappellent les spécialistes de la question. “Il est établi que les femmes courent dans l’espace
public des risques auxquels ne sont pas exposés les hommes, dans leur pays mais pas
seulement”, insiste Phumzile Mlambo‑Ngcuka, la présidente d’ONU Femmes, l’agence
onusienne qui milite pour l’égalité hommes/femmes. Pas seulement chez elles, c’est-à-dire de
plus en plus, en dehors de leur pays et en solitaire. Mais les agressions de femmes touristes
ne sont qu’une facette des violences contre les femmes dans le monde, rappelle-t-elle. Et elles
peuvent tout aussi bien se produire dans les pays en développement, notent les spécialistes,
que dans des pays riches comme la France, l’Italie et l’Allemagne. Phumzile
Mlambo‑Ngcuka explique : « La cause première des violences contre les femmes, dans l’espace
public comme dans la sphère privée est à chercher dans les stéréotypes de genre, les normes
sociales, le sentiment d’impunité et le patriarcat. »

Et dans ces contextes parfois défavorables vient s’inscrire un phénomène en plein essor : les
femmes sont chaque année de plus en plus nombreuses à voyager seules.
Selon une étude menée en 2018 par la plate-forme en ligne Hostelworld, les réservations de
femmes seules ont augmenté de 45 % entre 2015 et 2017, contre 40 % seulement pour celles
des hommes. Selon Hostelworld, « le tourisme en solo a souvent été considéré comme une
entreprise très dangereuse voire insensée pour les femmes, mais les mentalités ont changé :
on y voit davantage aujourd’hui une expérience audacieuse et palpitante, un moment de
liberté où elles n’ont à s’occuper ni se soucier de personne. »
Du côté du voyagiste en ligne 101 Singles Holidays, une étude menée auprès de plus de
60 000 Britanniques a montré que le nombre de réservations en solo avait augmenté de 14 %
entre 2016 et 2017, et les tour-opérateurs tablaient pour 2018 sur une nouvelle hausse de
11 %. Parmi ces touristes solitaires, les femmes sont presque deux fois plus nombreuses que
les hommes, révélait la même étude. La compagnie aérienne British Airways elle aussi a
conduit en 2018 une enquête mondiale auprès de 9 000 femmes : elles étaient plus de la
moitié à avoir pris des vacances en solo, et 75 % à envisager de le faire dans les
prochaines années.

Les femmes voyagent donc de plus en plus seules, les chiffres le montrent. Il est plus dur en
revanche de dresser un bilan global des violences contre les voyageuses à travers le monde et
de savoir si les agressions sont effectivement plus nombreuses, ou si c’est simplement qu’elles
sont davantage médiatisées. La raison est simple : la plupart des pays ne tiennent pas de
statistiques précises des violences commises à l’encontre des voyageuses en solitaire. (…)

Pour les habituées du voyage en solitaire, être bien préparée est essentiel pour se prémunir
des risques. Voyager seule exige de très nombreuses précautions, explique ainsi Cassie
DePecol, 29 ans, qui a visité la totalité des États reconnus par les Nations Unies en un temps
record attesté par le Guinness. Cette native du Connecticut pratique le krav maga, une
technique israélienne d’autodéfense, a toujours sur elle un GPS et fait en sorte de toujours
informer quelqu’un d’où elle se trouve. “Ça peut paraître excessif”, reconnaît-elle. “Mais si j’ai
voyagé seule dans 196 pays sans problème, je pense que je le dois à ces précautions. Car les
violences sexistes sont une triste réalité pour les voyageuses”, rappelle-t-elle. (…) Pour
s’entraider dans leurs pérégrinations, des femmes ont créé des communautés en ligne. (…)
Des applis aussi viennent en aide aux voyageuses. Des services gratuits comme Chirpey,
RedZone, MayDay, Tripwhistle et Noonlight permettent de signaler les incidents et les zones
dangereuses, et de contacter la police locale. Mais il arrive que les choses tournent mal, même
avec toutes les précautions du monde.
Document 4 : Images du film Thelma et Louise, 1991

Thelma est l’épouse frustrée et soumise de Darryl, archétype du macho. Louise, son amie, l’a
convaincue de s’évader pour un week-end à la montagne. Elles sont bien décidées à profiter
de ces heures de liberté. Mais un homme essaie de violer Thelma sur un parking et Louise, pour
empêcher le viol, face à l’agressivité et à la vulgarité de l’homme, le tue. Louise refuse de se
rendre à la police et elle décide de prendre la route du Mexique, entraînant Thelma dans sa
cavale. Elles finiront par être rattrapées par les forces de l’ordre et préféreront mourir plutôt
que de se rendre.
Séquence 3 Séance 5

Partir avant le jour, à tâtons, sans voir goutte,


Sans songer seulement à demander sa route ;
Aller de chute en chute, et, se traînant ainsi,
Faire un tiers du chemin jusqu'à près de midi ;
Voir sur sa tête alors s'amasser les nuages,
Dans un sable mouvant précipiter ses pas,
Courir, en essuyant orages sur orages,
Vers un but incertain où l'on n'arrive pas ;
Détrempé vers le soir, chercher une retraite,
Arriver haletant, se coucher, s'endormir :
On appelle cela naître, vivre et mourir.
La volonté de Dieu soit faite !

Jean-Pierre Claris de Florian, Fable XX, Livre IV, 1792

Thomas Cole, Le Voyage de la vie, 1840

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