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11/11/2023 13:41 L'ambidextrie des entreprises familiales : comment concilier orientation entrepreneuriale et stratégie de pérennité ?

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Finance Contrôle Stratégie


19-1 | 2016
Varia

L'ambidextrie des entreprises


familiales : comment concilier
orientation entrepreneuriale et
stratégie de pérennité ?
Sihem Ben Mahmoud-Jouini and Sophie Mignon
https://doi.org/10.4000/fcs.1755

Abstracts
Français English
Cet article montre que les caractéristiques des entreprises familiales leur permettent de
promouvoir simultanément des processus d’exploration et de capitalisation conduisant à une
ambidextrie organisationnelle. Cette recherche, fondée sur 12 cas d’entreprises innovantes et
pérennes, apporte un nouvel éclairage sur cette capacité singulière et ouvre des perspectives de
généralisation à des entreprises aux caractéristiques semblables.

We argue that the characteristics of family businesses allow them to promote simultaneously
exploration and capitalization processes leading to an organizational ambidexterity. This
research, based on 12 cases of innovative and sustainable family business, sheds new light on this
organizational capacity and opens new perspectives for firms having similar characteristics.

Index terms
Codes JEL: D21 - Firm Behavior, L26 - Entrepreneurship, L10 - General, M13 -
Entrepreneurship

Full text

Introduction
1 La littérature académique sur les entreprises familiales (désormais EF) met en
exergue l’impact ambivalent d’une structure de propriété familiale sur le

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développement d’activités entrepreneuriales. La dimension familiale offre, en effet, une
continuité et un horizon de long terme, une moindre dépendance vis-à-vis de
l’environnement, qui serait de nature à encourager le développement de l’innovation.
Mais, il n’en reste pas moins que certaines entreprises familiales peuvent devenir
résistantes au changement en privilégiant les routines ayant conduit aux succès passés
et en réprimant les expressions et points de vues divergents de celui du groupe familial
majoritaire. Ainsi les recherches qui traitent des relations entre les entreprises
familiales et l'innovation ne sont pas concluantes et sont même contradictoires (De
Massis et al., 2013, pour une revue).
2 En résumé, deux courants de recherche s’affrontent. Pour le premier (Donckels et
Frohlich, 1991 ; Schulze et al., 2003 ; Block, 2012 ; Koenig et al., 2013), les EF prennent
significativement moins de risques que les entreprises non familiales, ceci s’expliquant
principalement par la peur de mettre en péril la pérennité de l’entreprise et de porter
atteinte à la richesse des générations futures. Pour le second (Ward, 2004 ;
Gudmundson et al., 2003 ; McCann et al, 2001 ; Miller et Le Breton-Miller, 2005 ;
2006 ; Webb et al., 2010), au contraire, l’implication familiale dans la gestion de
l’entreprise influe positivement sur la prise de risque. Ainsi, l’horizon stratégique de
long terme et la longévité des structures de contrôle / direction des EF les autoriseraient
à dédier les ressources nécessaires à l’innovation et à l’évolution de l’organisation.
3 Certains auteurs, comme Carnes et Ireland (2013) adoptent une voie intermédiaire.
Ils revendiquent que les EF favorisent la stabilisation des stratégies et des ressources
passées, voire leur perfectionnement, notamment par leur recombinaison. En revanche,
elles ne développeraient pas de nouvelles activités en rupture, sauf si elles reconnaissent
la nécessité d’innover. Cependant, ces auteurs ne précisent pas comment se fait cette
prise de conscience. Avant eux, d’autres comme Zahra (2005), Carney (2005) ou
Schuman et al. (2010) avaient déjà proposé des analyses selon lesquelles les EF
adopteraient des voies médianes entre les deux perspectives que sont l’aversion au
risque et la continuité imposées par la poursuite de la pérennité d’une part, et par la
prise de risque et la poursuite du changement nécessaire à cette même pérennité,
d’autre part.
4 Nous adoptons, avec ces auteurs, cette voie médiane et revendiquons le fait que les
EF ont des caractéristiques propres conduisant à des stratégies d’innovation spécifiques
que nous désignons par prudentielles (Chapel, 1998 ; Ben Mahmoud-Jouini et Mignon,
2009). En prolongeant les travaux de ces auteurs, la question que nous traitons est donc
la suivante : comment certaines EF, grâce à leurs caractéristiques distinctives, peuvent
concilier leur orientation entrepreneuriale et leur stratégie de pérennité ? Comment ces
caractéristiques conduisent-elles à une stratégie d’innovation spécifique ?
5 Nous formulons l’hypothèse que cette réconciliation se fait grâce à une capacité,
source d’avantage compétitif, l’ambidextrie organisationnelle. Nous montrons que les
EF se distinguent, en effet, par des caractéristiques (Ben Mahmoud-Jouini et al., 2010)
qui contribuent à installer une ambidextrie organisationnelle (Tushman et O'Reilly,
1996 ; Raisch et al., 2009), entendue comme la capacité à explorer des voies nouvelles
tout en exploitant les connaissances et compétences existantes. Nous montrerons que
certaines caractéristiques familiales sont propices à l’exploration, alors que d’autres
sont propices à l’exploitation. Ces caractéristiques coexistent dans l’entreprise mais ne
se neutralisent pas. Elles fonctionnent en système et se renforcent. Bien plus, certaines
caractéristiques favorisent à la fois l’exploration et l’exploitation. Nous proposons ainsi
une analyse de la manière selon laquelle certaines EF concilient continuité et
renouvellement.
6 L’objet de cet article consiste à expliciter le lien entre les caractéristiques familiales et
l’ambidextrie organisationnelle. Cette recherche peut-être synthétisée par la figure n° 1.
L’objectif est donc d’explorer la flèche de gauche, liant caractéristiques familiales et
ambidextrie organisationnelle (cf. la figure n° 2 pour un bref aperçu des résultats). Les
liens entre l’ambidextrie et la pérennité d’une part, l’orientation entrepreneuriale
d’autre part (flèches de droite), ont déjà été étudiés respectivement par Mignon (2009)
et Tushman et O’Reilly (1996), notamment.
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Figure n° 1- Cadre et question de recherche

7 La pérennité est entendue au sens d'une « pérennité de pouvoir » (Mignon, 2001)


pouvant se décomposer en une « pérennité de contrôle » accomplie lorsque le capital
reste entre les mains d'un même groupe d'actionnaires (ici la famille) et une « pérennité
de direction » réalisée lorsque les dirigeants sont issus de ce même groupe. Cette
« pérennité de pouvoir » s’appuie souvent sur une « pérennité organisationnelle »,
c’est-à-dire une capacité à se maintenir sur la durée, à initier ou faire face à des
bouleversements internes et externes tout en préservant l'essentiel de son identité
(Mignon, 2009). L’orientation entrepreneuriale, quant à elle, sera appréhendée en
s’inspirant des travaux de Basso et al. (2009), Miller (1983) et Covin et Selvin (1988), à
travers trois composantes clés : la proactivité, la prise de risque et l’innovation.
8 Les caractéristiques familiales seront adaptées du cadre proposé par Ben Mahmoud-
Jouini et al. (2010) relatif aux capacités d’innovation des EF pérennes. Le présent
article propose ainsi un prolongement empirique et théorique à ce travail.
9 Pour répondre à la question de recherche, nous nous appuierons sur l’étude de 12 cas
d’EF pérennes et innovantes. L’analyse des entretiens menés avec des responsables de
ces entreprises, notamment leur verbatim, nous permet de montrer comment se
traduisent les caractéristiques familiales et comment elles conduisent à des vecteurs de
nature à favoriser l’exploitation et l’exploration ainsi que leur simultanéité.
10 L’article adopte une structure classique. Nous commencerons par rappeler la
littérature sur laquelle nous nous appuyons, à savoir les caractéristiques clés des EF et
l’ambidextrie organisationnelle. Nous présenterons ensuite notre échantillon (critères
de choix, caractéristiques) et la méthodologie adoptée. Dans un troisième temps, nous
détaillerons l’analyse des données en deux étapes : la première en illustrant les
caractéristiques familiales à l’aide de trois exemples parmi les 12 de l’échantillon et
comment elles se déclinent en dimensions, et la seconde en montrant quels vecteurs,
découlant de ces caractéristiques, contribuent à l’exploitation, l’exploration ainsi qu’à
leur simultanéité. Ainsi nous montrerons comment se concrétise l’ambidextrie
organisationnelle. En conclusion, nous synthétiserons notre contribution et
présenterons les limites de la recherche.

1. Revue de la littérature :
caractéristiques familiales et
ambidextrie organisationnelle
11 Comme annoncé ci-dessus, notre objectif étant de lier les caractéristiques familiales
et l’ambidextrie organisationnelle (flèche de gauche dans la figure n° 1), nous
présenterons les deux cadres théoriques que nous retenons pour ces deux notions.

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1.1. Les caractéristiques clés des entreprises


familiales
12 Le cadre théorique (Ben Mahmoud-Jouini et al., 2010) que nous mobilisons met en
évidence les six caractéristiques suivantes :
- un horizon de long terme (Miller et al., 2005 ; Arrègle et al., 2004 ; Dreux, 1990 ; De
Visscher et al., 1995 ; Sirmon et al., 2008),
- des inter-relations entreprise / famille fortes et denses (Hoffman et al., 2006 ;
Habbershon et al., 2003 ; Pearson et al.,, 2008 ; Sharma, 2008)
- une stabilité interne des valeurs (Hall et al., 2001 ; Zahra et al., 2008 ; Schuman et al.,
2010),
- une continuité des relations externes (Arrègle et al., 2004 ; Miller et al. 2005)
- une implication émotionnelle de la famille dans la direction -Stewardship- (Davis et
al., 1997 ; Greenwood, 2003 ; Miller et al., 2006 ; Miller et al., 2008 ; Gomez-Mejia et
al., 2007),
- une allocation prudente des ressources et une maîtrise des risques (Donckels et
Frohlich, 1991 ; Daily et Dollinger, 1992 ; Maherault, 1998 ; Naldi et al., 2007)
13 Ces caractéristiques familiales sont directement inspirées du modèle des 4C de Miller
et al. (2005) qui situent la singularité des entreprises familiales à l’aide de quatre
dimensions principales constituant leur configuration spécifique : la recherche de la
continuité comme objectif à long terme (Continuity), la construction d’une
communauté humaine forte et soudée (Community), la qualité et la fiabilité du réseau
externe de l’entreprise (Connexion) et un style de commandement spécifique
(Command) fait de rapidité décisionnelle des membres de la famille.
14 L’objet de cette recherche est de prolonger empiriquement ce travail théorique en
analysant comment ces caractéristiques se manifestent concrètement et contribuent à la
construction de l’ambidextrie organisationnelle en prolongement des travaux de Ben-
Mahmoud-Jouini, et al. (2010).

1.2. L’ambidextrie organisationnelle


15 Depuis le travail fondateur de Duncan (1976) et la distinction soulignée par March
(1991) entre l’exploitation, qui consiste à perfectionner le même corpus de
connaissances, et l’exploration, qui consiste à identifier de nouveaux champs, plusieurs
travaux ont souligné la supériorité des entreprises qui parviennent à maîtriser
simultanément ces deux approches de nature si différente. En effet, comme le
soulignent Raisch et al. (2009), il s’agit de mettre en œuvre des compétences
distinctives quasiment opposées. Dans cette perspective, Tushman et O’Reilly (1996)
ont souligné que les entreprises qui arrivent simultanément à explorer de nouvelles
opportunités tout en exploitant avec succès leurs activités courantes, ont un avantage
compétitif durable. Ainsi, l’entreprise peut simultanément allouer des ressources au
développement de nouvelles activités tout en tirant profit des activités plus matures,
accompagner l’inertie générée par le poids des activités anciennes, sans laisser ces
dernières scléroser l’organisation ; l’ambidextrie permet le changement tout en
préservant une certaine continuité. C’est pourquoi, Jansen et al. (2009) considèrent
l’ambidextrie organisationnelle comme une capacité dynamique de la firme.
16 Malgré la multitude de travaux de recherche qui portent sur cette notion, la question
de la mise en œuvre permettant d’atteindre cette ambidextrie organisationnelle reste
ouverte (Raisch et al., 2009). Dans une revue de la littérature, Raisch et Birkinshaw
(2008) soulignent la variété des formes permettant de l’atteindre, selon que
l’ambidextrie traverse les frontières de la firme (ambidextrie de réseau (Lavie et
Rosenkopf, 2006)) ou qu’elle reste au niveau de la direction générale et des divisions
(ambidextrie structurelle (O’Reilly et Tushman, 2004)), ou au niveau individuel
(ambidextrie contextuelle (Gibson et Bikinshaw, 2004)). L’ambidextrie structurelle

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consiste à différencier des unités organisationnelles dédiées à l’exploration de nouveaux
domaines, de celles dédiées à l’exploitation des marchés courants ; l’intégration entre
ces unités étant alors assurée par la direction générale. L’ambidextrie contextuelle met
en avant l’importance de cette intégration et souligne que l’individu placé dans un
contexte favorable peut agir de manière ambidextre et poursuivre le renouvellement de
l’activité tout en veillant au succès des business courants. Ben Mahmoud-Jouini et al.
(2007) proposent une forme alternative, l’ambidextrie multiplexe dans laquelle
différents mécanismes d’intégration coexistent et traversent les différents niveaux
d’analyse de la firme : la direction générale, la division, l’équipe et l’individu.
17 Cependant, malgré le grand nombre de travaux portant sur l’ambidextrie
organisationnelle (numéros spéciaux des revues Academy of Management
Perspectives, 27(4), ou Organization Science, 20(4), par exemple), peu sont consacrés
aux entreprises familiales (Voss et Voss ‘(2013) par exemple). De plus, O’Reilly et
Tushman, considérés comme les fondateurs de cette notion, soulignent : « Pour réussir
l’ambidextrie, les dirigeants doivent être capables d’orchestrer l’allocation des
ressources entre les anciens et les nouveaux domaines. Comment font-ils
effectivement ? Cette question est rarement traitée dans la recherche sur l’ambidextrie
alors qu’elle se situe au cœur des défis qui se posent aux dirigeants» (O’Reilly et
Tushman, 2013 : p. 332)1. Cette étude vise ainsi à contribuer à mieux cerner
l’ambidextrie dans les entreprises familiales.

2. Méthode : sélection des cas et recueil


des données
18 Cette recherche prend appui sur l’étude de 12 cas d’EF pérennes2. En effet, « les
données qualitatives permettent des descriptions et des explications, solidement
fondées, de processus ancrés dans le contexte local » (Miles et Huberman, 1991 : p. 22).
19 Les critères de sélection adoptés pour la constitution de l’échantillon nécessaire aux
12 études de cas (Yin, 2003) sont les suivants :
- le caractère familial : la nature familiale des firmes a été appréhendée en référence
à la définition de Allouche et Amann (1998) « On retiendra comme familiale l’entreprise
au sein de laquelle un ou plusieurs membres d’une même famille étendue ou de
plusieurs familles influencent significativement son développement par la détention des
droits de propriété sur le capital, en faisant prévaloir des liens de parenté dans l’exercice
du processus de choix des dirigeants, qu’ils soient issus de la famille ou recrutés à
l’extérieur, en affichant la volonté de transmettre l’entreprise à la prochaine génération
et en sachant le poids de l’entreprise sur les intérêts et objectifs de la famille ». Cette
définition porte en elle une dimension implicite de recherche de pérennité.
- le secteur d’activité : une diversité sectorielle a été recherchée afin de limiter le
poids de l’environnement.
- la taille de l’entreprise : les entreprises de l’échantillon sont parmi les plus grandes
cotées (chiffre d’affaires supérieur à 1 milliard d’euros).
20 Ces critères nous ont permis de sélectionner 16 entreprises dans lesquelles des
entretiens ont été menés, mais seules 123 ont été mobilisées dans cette recherche (cf.
Tableau n° 1). Les interviewés étaient le PDG lui-même, le DRH et, dans la mesure du
possible, d'autres cadres dirigeants. Ces entretiens semi-directifs ont duré en moyenne
2h30 environ. 19 entretiens relatifs aux 12 entreprises de l’échantillon ont pu faire
l’objet d’enregistrements, lesquels ont été ensuite retranscrits aboutissant à un
document de 250 pages.

Tableau n° 1 - Synthèse des entretiens réalisés

Nom Secteur d’activité Interlocuteurs

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Transport et logistique,
Président Directeur Général (PDG), Directeur
Bolloré Distribution d’énergie,
des Ressources Humaines (DRH)
Médias …

Bel Fromagerie DRH

Bongrain Industrie agro-alimentaire Président du conseil de surveillance

Burelle Automobile PDG

PDG, Directeur Général Finance et


Fabrication de mobilier Administration. (membre du directoire), Directeur
JC Decaux
urbain Publicité général Recherche Productions et Opérations,
(membre du comité de direction), DRH

L. Dreyfus Négoce PDG

LCF Edmond
Banque privée Président du Directoire
de Rothschild

Galeries Distribution, Grands


Directeur Général
Lafayette magasins

Luxe, prêt-à-porter,
Hermès maroquinerie, arts de la DRH
table et parfums

PSA Automobile Directeur du Marketing (2 entretiens)

Président du conseil d’administration (2


entretiens)
Pernod- Commercialisation de
Directeur Général Adjoint- Directeur des
Ricard produits alcoolisés
Marques
Directeur Général Adjoint - RH

Soufflet Agro-industrie (céréales) Président du Directoire

21 Une grille d’entretien a été utilisée : les questions ont porté sur les facteurs de
pérennité et d’orientation entrepreneuriale et leur traduction dans les processus
managériaux.
22 Les entretiens retranscrits ont fait l’objet d’une étude de contenu à partir des
éléments lexicaux des réponses-textes. Cette analyse lexicale consiste à faire fi de la
syntaxe et de la phrase pour donner la priorité aux mots. On peut alors réaliser une
analyse de contenu en approximant chaque thème par l’ensemble des mots les plus
fréquents (relatifs à chaque thème) contenus dans le lexique. Le logiciel utilisé est la
dernière version du Sphinx, spécialement adaptée au traitement lexical des textes
(Sphinx Lexica). Une première partie de ce travail d’analyse lexicale a consisté à créer
des dictionnaires de mots et d’expressions, c’est-à-dire à regrouper, au sein d’un
dictionnaire, les mots du lexique dont la signification était commune. Le choix du
nombre de dictionnaires et de leur appellation a été guidé par notre cadre théorique sur
l’ambidextrie organisationnelle des entreprises pérennes. Une fois les dictionnaires
établis, nous avons, pour chaque question, sélectionné les mots que nous souhaitions
intégrer dans chaque dictionnaire. Ce travail a été effectué par la lecture des mots du
lexique et leur sélection après vérification, pour chaque mot, de son sens dans le
contexte (phrases et réponses en général) dans toutes les observations. Quatre
dictionnaires ont été établis autour des thèmes : « rapport au temps », « valeurs »,
« prudence & capitalisation » et « audace & exploration ». Chaque dictionnaire
comporte entre une vingtaine et une cinquantaine de mots ou expressions. Ȧ titre
d’exemple, le thème « audace et exploration » est représenté par des expressions
comme inventer, renouveler, investir / investissement, créativité, création, esprit

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entrepreneurial, innovation, prise de risque, croissance, aller à contre-courant, liberté,
autonomie, droit à l’erreur.
23 Dans un second temps, des analyses statistiques montrant l’importance relative des
thèmes répertoriés dans l’ensemble des discours (intensité lexicale, liste des mots les
plus cités par thème, thèmes prégnants par entreprise) ont été menées à partir de
l’analyse de contenu des entretiens. 1332 phrases comportent au moins un mot des 4
dictionnaires (soit 28 % de l’ensemble des phrases).
24 Ces statistiques montrent que les entreprises sont ambidextres : elles sont à la fois
exploratrices tout en veillant à sauvegarder leurs valeurs. En effet, les thèmes « Audace
et exploration » et « Valeurs » obtiennent les intensités lexicales les plus fortes (25 %
pour l’une et 20 % pour l’autre). Le thème « Valeurs » ressort le plus souvent (cité dans
1 phrase sur 2), devant le thème « Audace et Exploration » (1 phrase sur 3).
25 En termes de convergence des observations effectuées entre les diverses entreprises,
si l'on calcule la répartition des thèmes pour chaque entreprise, on observe que les
« valeurs » se retrouvent dans des entreprises comme Bolloré, LCF Edmond de
Rothschild. Des entreprises comme Burelle et Soufflet représentent davantage l’audace.
26 Parallèlement, les données ont fait aussi l’objet d’analyse de verbatims4 relatifs à
notre question de recherche. Cette analyse a consisté à identifier les caractéristiques
familiales et leur inscription organisationnelle ainsi que leurs effets sur l’exploitation,
l’exploration et leur simultanéité.
27 Dans un souci de taille et d’esprit de synthèse, seules trois entreprises sont mobilisées
dans cet article pour illustrer les caractéristiques familiales. Ce choix repose sur les
considérations suivantes (cf. Tableau n° 2). Ces trois entreprises appartiennent à des
secteurs variés. Elles ont développé des innovations de nature différente qui témoignent
d’une capacité de renouvellement et de changement et qui contribuent à leur pérennité :
innovation de modèle économique (nouvel usage / nouveau service), innovation
technique et innovation de produit. Enfin, à la lecture des entretiens, il nous est apparu
que, tout en illustrant l’ensemble des caractéristiques familiales présentes dans le cadre
théorique mobilisé, chacune d’entre elle accentuait davantage une caractéristique
spécifique : l’horizon de long terme (Entreprise A), le poids de la culture et des
traditions (Entreprise B) et le cadre familial (Entreprise C). Ainsi, c’est sur la base de
ces critères (type d’innovation, secteur, prégnance de certaines caractéristiques
familiales) que nous avons sélectionné les trois entreprises qui illustreront les
caractéristiques mises en avant dans le cadre théorique.

Tableau n° 2 - Présentation des trois entreprises retenues pour l’illustration des


caractéristiques familiales

Codes des entreprises A B C

Secteurs d’activité Transport Luxe Urbanisme

Longévité 192 ans 177 ans 40 ans

Innovation dominante technologique produit business model

3. Analyse des données


28 L’analyse des données est menée en deux étapes. Nous commençons par illustrer les
différentes caractéristiques familiales du cadre adopté (Ben Mahmoud-Jouini et al.,
2010) à l’aide des trois cas d’entreprises (A, B et C) présentées ci-dessus. Ensuite, dans
une seconde étape, nous montrons comment ces caractéristiques permettent aux EF de
simultanément exploiter leurs connaissances et leurs activités, les perfectionner et les
renouveler en explorant de nouveaux domaines.

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3.1. Illustration des caractéristiques familiales

3.1.1. Un horizon de long terme


Les EF poursuivent généralement un horizon de long terme. Cette caractéristique se
traduit notamment à travers les trois dimensions suivantes : la patience financière, le
souci de transmission patrimoniale, et la consistance des décisions. Nous illustrerons
ces trois dimensions à l’aide de verbatim choisis dans les trois cas retenus.
La patience financière
Entreprise A : « Ce qui différencie les entreprises familiales des autres c’est la
possibilité d’aller sur le long terme. Moi, cela fait 30 ans que je suis à la tête du
groupe. Si j’avais eu des actionnaires financiers, rien de ce qui a réussi aujourd’hui
n’aurait pu être fait parce qu’on m’aurait arrêté avant. (….) Une entreprise
familiale est moins financiarisée et moins court-termiste. Quand vous restez plus
longtemps à jouer autour d’une table, vous avez plus de chances, à un moment,
d’avoir une main gagnante. (…..) Celui qui est capable de faire 8 semestres ou 12
semestres de pertes finit par se retrouver à la longue le seul sur son marché, même
s’il n’est pas le meilleur ; c’est là que réside la force d’une entreprise familiale. Elles
ont le temps. »

Entreprise C : « Le temps est un actif que toutes les entreprises n’ont pas ; entrer
dans un pays prend des années, et les marchés financiers n’intègrent pas ce temps.
Nous, on investit à 20 ans et on ne renonce pas. Il ne faut pas demander à un
manager familial de réagir comme un CEO qui est là pour 5-6 ans, il n’aura jamais
la même réaction, le même regard parce que sa durée de vie est limitée ».

Le souci de transmission patrimoniale


Entreprise A : « Nous, on se projette en 2022, aucune entreprise cotée ne se
projette à cet horizon-là »

Entreprise B : « La transmission aux générations futures dans le respect de l’état


d’esprit et des valeurs historiques du groupe constitue le fil directeur de la
stratégie. Cet horizon permet aussi de gérer par-delà les crises ponctuelles. (…..)
Tout le monde sait qu’on peut avoir des années un peu difficiles sans pour autant
remettre en cause l’entreprise ».

Entreprise C : « Une valeur importante, inhérente aux groupes familiaux, est la


valeur de la progression du patrimoine dans le temps : ce n’est pas la peine de faire
une course de sprint. Donc, peut-être moins d’à coups, moins de coups d’éclats,
mais certainement une efficacité sur le moyen et le long terme. »

La consistance des décisions


Entreprise C : « On ne met pas de grands coups de barre à droite et à gauche. On
suit un cap, quel que soit le cours de bourse ou ce que disent les médias (….) On
accepte d’être atypique et hors normes dans certaines situations. On n’est pas pris
dans des effets de mode. (…..) La gouvernance familiale apporte plus de stabilité
que le marché. Elle donne une indépendance d’esprit (…..) L’horizon long permet
aussi de réagir de façon contra-cyclique, de réaliser en temps de crise des
opérations un peu plus tôt que les autres.»

3.1.2. La densité des relations famille/entreprise


29 Les EF se caractérisent par des relations étroites entre la famille et la firme. Cette
caractéristique se traduit notamment à travers les trois dimensions suivantes :
l’immersion précoce des membres de la famille dans l’entreprise, une connexion forte
entre l’identité de la famille et celle de l’entreprise, et enfin le type de gouvernance.
30 Nous illustrerons ces trois dimensions à l’aide de verbatim choisis dans les trois cas
retenus.
L’immersion précoce
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Entreprise A : « L’immersion précoce dans l’entreprise est un facteur clé. Moi j’y
suis allé parce que j’avais, durant toute ma jeunesse, entendu mes parents ne
parler que de ça toute la journée. L’entreprise n’était pas en très bon état, mais
comme j’en avais entendu parler tout le temps, je me sentais un devoir d’y aller. »

Entreprise C : « Les enfants sont nés dans l’entreprise. Ils la connaissent par
cœur ! Ils y ont grandi. Il existe aussi une émulation entre les frères….tous les trois
travaillent comme des fous dans l’entreprise. »

Identité famille-entreprise
Entreprise B : « Le fils du fondateur assure la mise en cohérence. Sur ce plan là,
l’intervention in fine d’un membre de la famille est sans appel. Les décisions
lourdes sont prises en accord avec la famille. Enfin les valeurs sont aussi ancrées
dans l’identité de la famille. »

Entreprise C : « Elle apporte aussi une valeur énorme en temps de crise : la famille
est tellement impliquée que l’on sait qu’en période de crise, elle ne lâchera pas (….)
Tout doit être irréprochable car l’entreprise porte son nom ».

Le type de gouvernance
Entreprise C : « 4 membres du board sont familiaux. En cas de décision difficile, le
brainstorming se fait en huis clos au sein de la famille. Il y a une liberté de ton. Il y
a moins de politique puisque la place du patron n’est pas à prendre. Les sujets sont
discutés avec une certaine transparence ».

3.1.3. La stabilité interne


31 Les EF se caractérisent par une stabilité interne considérable. Cette caractéristique se
traduit notamment à travers les deux dimensions suivantes : la stabilité des valeurs et
un faible turnover. Cette caractéristique permet également la consistance des décisions
dans le temps.
32 Nous illustrerons ces deux dimensions à l’aide de verbatim choisis dans les trois cas
retenus.
La stabilité des valeurs
Entreprise A : « On a des racines, une histoire à raconter (….) c’est dans
l’immatériel du groupe (…) On essaye aussi de recruter des personnes qui collent à
ce modèle : esprit de long terme, partage, courage...»

Entreprise B : « La liberté créatrice est une valeur historique de l’entreprise. Le fait


que n’importe quel membre puisse dire qu’il n’est pas d’accord avec ceci, ou qu’il a
une idée de création de cela, est possible parce qu’on est dans une entreprise
familiale où la famille est élargie aux collaborateurs. »

Entreprise C : « On ne discute jamais sur des concepts, mais sur des projets et des
actions. On fait concrètement ce que l’on dit ; importance de la forme et du fond
(….). La valeur travail est fondamentale (….) On est très prudent avec les M&A. On
refuse huit deals sur dix. On fait de petites acquisitions. On privilégie la croissance
organique ».

Un faible turnover
Entreprise A : « On prend des gens qui ne sont pas trop intéressés par l’argent
parce qu’il n’y a pas de possibilité de stock-options, et qui ont conscience qu’ils ne
seront jamais président : c’est un filtre de sélection structurant. Donc les profils
que nous recrutons sont à l’opposé de ceux qui vont faire des cabrioles formidables
dans une banque pour essayer de toucher des bonus de 50 millions….les salariés
des entreprises familiales ont cette modestie et cette lucidité. En contrepartie, leur
poste est sécurisé. Puisque le patron ne change pas, le directeur général a peu de
chances de changer….et ainsi de suite par grappes. Il y a donc une fidélité
réciproque plus importante, en même temps qu’une exigence extrêmement forte ».

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11/11/2023 13:41 L'ambidextrie des entreprises familiales : comment concilier orientation entrepreneuriale et stratégie de pérennité ?
Entreprise C : « Pendant la crise, on n’a pas réalisé de plans sociaux, de
licenciements collectifs. On a juste réduit le nombre de recrutements (….) Le
dirigeant est proche des -1, et -2. Une confiance est accordée aux collaborateurs.
Se séparer d’eux est toujours une chose difficile. Il y a une proximité rare vis-à-vis
du personnel qui génère un supplément d’âme. (…..), un turn-over très bas (moins
de 7 % chez les cadres). L’ancienneté moyenne est de 12 ans, l’âge moyen de 41
ans. Il y a, de la part des membres de l’entreprise, un attachement très fort. On a
confiance dans le capitaine, c’est absolument nécessaire. Dans une entreprise
familiale on se sent protégé mais sous pression »

3.1.4. La stabilité externe


33 Les EF se caractérisent par une stabilité des relations avec des partenaires externes.
Nous illustrerons cette caractéristique à l’aide de verbatim des cas retenus.

Entreprise A : « Les fournisseurs, les clients font un peu partie de la famille »

Entreprise B : « Les relations avec nos clients et nos fournisseurs sont aussi
fondées sur du partenariat à long terme »

3.1.5. Stewardship
34 Les EF se caractérisent par une implication émotionnelle de la famille dans le
management, situation que nous illustrons par le verbatim suivant.

Entreprise A : « Quand l’entreprise est si fortement associée à la famille, c’est une


force, mais aussi un engagement spécial. Il est évident que d’avoir traversé
plusieurs générations, des siècles, des guerres, des révolutions, des disputes
familiales, des évolutions technologiques, constitue une source de joie très forte.
Je suis beaucoup plus intéressé par cette histoire que par l’argent qu’elle aura pu
me faire gagner. »

Entreprise C : « L’entreprise constitue sa chair, ses tripes, son sang ».

3.1.6. Une allocation prudente des ressources


35 Les EF se caractérisent par une allocation prudente des ressources. Cette
caractéristique se traduit notamment à travers la sécurité financière et l’indépendance.
Nous illustrerons cette dimension à l’aide de verbatim choisis dans les trois cas retenus.

Entreprise A : « Il n’y a pas moyen d’ouvrir le capital des entreprises familiales, on


n’a que son cash-flow ; paradoxalement, comme elle est plus contrainte, elle
marche mieux. Quelqu’un qui aurait simplement l’habitude de vivre avec un arc et
des flèches et avec quelques flèches seulement, fait très attention, il ne tire qu’à
coup sûr. Nous, on ne dépense que ce que l’on gagne (…..) J’ai toujours cette idée
qui est de continuer la progression de ce groupe et son développement dans une
sécurité financière, c’est à dire sans prendre de risque qui ferait qu’on pourrait se
retrouver avec 188 ans d’histoire détruite. (…..) La diversification a été un moyen
de limiter les risques dans le sens où les secteurs qui gagnent de l’argent viennent
aider les secteurs qui en perdent. En revanche, les acquisitions ont, par nature, été
plus faibles, plus pesées, puisque vous n’avez que votre propre cash-flow (on aurait
pu être 10 fois plus gros, mais on aurait perdu le contrôle….) »

Entreprise B : « On n’est pas endetté du tout (….) On a toujours affirmé une


gestion extrêmement prudente. Cela fait partie de nos valeurs. »

Entreprise C : « Avoir une structure financière forte est un critère d’autonomie et


d’efficacité des décisions. (….) Nous, on ne dépense que ce que l’on gagne, les
financiers diraient que c’est sous-optimal, mais le fait d’avoir une barre plus haute
crée une marge de manœuvre et de sécurité (….) Un CEO qui n’est pas de la famille
va se soucier plus de l’upside, c.a.d. prendre des risques pour que ça marche,
plutôt que de protéger le downside»

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3.2. Les vecteurs de l’ambidextrie


organisationnelle
36 Nous montrons, en mobilisant des verbatims puisés dans l’ensemble de l’échantillon,
comment les caractéristiques familiales permettent de mettre en œuvre l’ambidextrie
organisationnelle, en nous intéressant à l’exploitation, l’exploration et leur simultanéité.

3.2.1. Une aptitude à la capitalisation et au maintien d’une


continuité
37 La capitalisation des savoirs permet l’exploitation et le perfectionnement des
connaissances conduisant généralement au développement d’innovations
incrémentales. L’analyse des entretiens montre que différentes caractéristiques des EF,
comme la poursuite d’un horizon long terme, la densité des relations entre la famille et
la firme ou la stabilité interne, contribuent à cette capacité de capitalisation.
38 En effet, la durabilité des équipes dirigeantes favorise l’apprentissage organisationnel
et surtout préserve les connaissances tacites individuelles et collectives (Miller et Le
Breton-Miller, 2006), comme en témoigne le verbatim suivant : « l’apprentissage du
métier et la longévité des équipes dirigeantes sont intimement liés. Cette maison a
connu en 60 ans trois patrons seulement, et des patrons qui connaissent en profondeur
leur métier, les process, les produits… » (PDG5)5. De plus, l’immersion précoce des
managers familiaux permet la transmission des connaissances tacites d’une génération
à une autre.
39 « Les fils sont nés dans l’entreprise. Ils la connaissent par cœur ! Ils y ont grandi.
(…) Il existe une émulation entre frères, ils travaillent tous sans relâche pour
l’entreprise. Ils ont reçu une éducation stricte dans laquelle ils ont puisé leur exigence »
(DRH1).
40 La transmission de connaissances tacites d’une génération à l’autre se fait par
mimétisme managérial entre père et fils.
41 La stabilité, la loyauté, la fidélité des employés et certains dispositifs de ressources
humaines spécifiques, comme la participation et la formation, sont autant de facteurs
propices à la capitalisation individuelle et collective (Mignon et Ben Mahmoud-Jouini,
2014). Le DRH2 souligne que les salariés bénéficient d’une vraie stabilité, presque d’une
sécurité. Cette stabilité permet ainsi un développement des compétences, fondé sur un
processus cumulatif sur longue période.
42 La pérennisation de certains savoir-faire se réalise aussi parfois par le maintien de
certaines activités en dépit de leur manque de rentabilité : « on garde certaines filiales
parce qu’elles représentent un savoir-faire important qui autrement n’existerait plus »
(DRH8)
43 Cette stabilité interne est doublée d’une stabilité des relations partenariales qui
permet aussi la capitalisation des connaissances développées avec des fournisseurs, par
exemple.

3.2.2. Une capacité d'exploration et de renouvellement


44 Les entretiens montrent que certaines caractéristiques, parfois celles-là même qui ont
contribué au développement d’innovations incrémentales, favorisent et contribuent au
développement d’une capacité d’exploration de nouveaux domaines et champs de
connaissances,
45 En effet, la stabilité interne et le mode de management fondé sur la confiance et la
bienveillance vont favoriser la poursuite de domaines et champs nouveaux. Comme en
témoigne un responsable : « l’innovation est portée par les personnes…Chez nous il n’y
a pas de comité capable de vraiment peser en regardant des tableaux de chiffres….A
partir du moment où une personne a fait ses preuves, a acquis une crédibilité, on lui

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donnera les moyens financiers et l’autonomie pour mener ses projets à bien… »
(PDG7). Selon un DRH interrogé « les mots clés permettant de comprendre le
fonctionnement sont : délégation, liberté, autonomie ». Un autre responsable souligne
« Ce qui caractérise le management d’une entreprise familiale, c’est une bienveillance
implacable».
46 Un corolaire de cette autonomie et de cette bienveillance est l’octroi d’un « droit à
l’erreur » qui est une source fondamentale d’apprentissage, lorsqu’elle est doublée d’une
stabilité interne et externe.
47 Les EF se caractérisent ainsi par un climat de confiance favorable à l’apprentissage
par essais erreurs. Comme l’illustrent les propos du DG3 « Dans les entreprises
familiales, on n’est pas forcément les meilleurs, mais on compense par le fait que les
gens sont là depuis longtemps. Les employés qui font des erreurs restent au même
endroit. Alors que dans les modèles des grandes entreprises anglo-saxonnes, on tourne
tous les trois ans, on change de pays, de secteur, ce qui fait que certes on accumule les
erreurs, mais on n’est plus là pour en tirer les leçons ». Une autre caractéristique qui
favorise l’exploration est la relative liberté des dirigeants-propriétaires dans leur prise
de décision : « Un manager d’entreprise familiale, issu de la famille, a une autorité -
s’il est compétent - laquelle lui permet de prendre des décisions qui seront peu
challengées. Alors que parfois, dans d’autres modèles économiques, les décisions
peuvent être débattues, discutées, remises en cause…alors que nous, nous sommes
capables d’aller très vite. » (PDG1). Le PDG2 renchérit « Le conseil d’administration ne
met pas d’entrave aux décisions…cette caractéristique permet d’être à la fois
audacieux, à contre-courant mais aussi très rapide ». Propos confirmés par le PDG5
« mon père, mon beau-frère et moi étions capables de nous rencontrer régulièrement
et de prendre des décisions très rapides, de décider d’acquisitions par exemple, sans
passer par le conseil d’administration ». Le Président6 s’enthousiasme même de cette
caractéristique fondamentale « Nous n’avons pas d’actionnaire extérieur, cela donne
une réactivité extraordinaire». Le fait d’engager ses capitaux propres donne au
dirigeant une crédibilité dans ses choix stratégiques - « les gens se disent : c’est son
argent, c’est finalement son entreprise » - et génère une mobilisation autour de ce
dernier. « La clé du succès des entreprises familiales, c’est un capital fermé avec un
tyran à sa tête », résume le PDG2.
48 Cette rapidité n’empêche pas une certaine patience dans le retour attendu des
investissements (capital patient) : « l’indépendance est une autre grande
caractéristique clé de notre société. C’est une contrainte importante ; en même temps,
il y a des choses que je n’aurais jamais faites si la société n’avait pas été à caractère
familial : par exemple, dans le processus d’internationalisation, il m’a fallu dix ans
pour être rentable sur le marché américain, mais nous avons accepté l’apprentissage
nécessaire (nouvelle usine, nouveau pays, nouveau client) et le coût associé. Cette
indépendance est donc une contrainte vertueuse» (PDG5). De la même manière, un
haut responsable précise « je crois qu’en un sens, les familles prennent des risques,
mais ce sont des risques dont la rentabilité peut être gérée dans le temps….je dirais que
paradoxalement nous prenons plus de risques parce qu’une voiture peut aller d’autant
plus vite qu’elle a de bon freins »
49 Ce rapport au temps donne aussi la possibilité d’être atypique, hors norme, anti-
conformiste. L’un des responsables précise “Le fait de savoir d’où l’on vient
(enracinement dans une région par exemple) nous permet d’aller loin et d’aller à
contre-courant ; on fait des choses que les autres ne voulaient pas ou n’osaient pas
faire ». Un des membres du comité de direction s’exprimait de la façon suivante : « On
a cette capacité de dire au marché : on n’y croit pas et on va vous dire pourquoi »,
propos corroborés par le président12 : « Une entreprise familiale joue plutôt sur le long
terme…quand vous avez un produit que vous évaluez sur une ou deux générations, que
représentent six mois dans la vie d’un produit ? ».
50 Enfin, cette projection dans l’avenir est aussi ancrée dans une continuité historique,
les EF ont ainsi typiquement « des racines et des ailes » : « Chaque division de ce
groupe a une date très importante et très lointaine, des racines. Le fait que le président
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parle de 1822 n’est pas anodin. Le fait qu’il parle de 2022, aussi. J’en entends parler
depuis longtemps. Vous connaissez des groupes qui parlent de 20226 ? » (DRH2).

3.2.3. Ambidextrie organisationnelle


51 Nous avons montré que ce sont les mêmes caractéristiques familiales (stabilité
interne, poursuite de l’horizon de long terme, par exemple) qui favorisent l’exploitation
et l’exploration. Cependant, cela se fait à travers des vecteurs différents empêchant que
ces deux influences ne se neutralisent. En effet, l’analyse des entretiens montre que les
entreprises témoignent de la simultanéité entre continuité et changement dans des
termes et selon des voies différentes.
52 L’allocation prudente des ressources combinée à des valeurs stables et fortes permet
de maintenir une position généralement difficile à tenir ; à savoir « soyons prudents,
réduisons certaines dépenses, mais le rêve continue ». La prise de risque se trouve ainsi
limitée par la volonté d’indépendance financière. « On n’a pas du tout le même rapport
à l’endettement que les grandes entreprises cotées. La surveillance du cash, c’est quand
même une des valeurs profondes de l’entrepreneuriat. … ». Les dirigeants interrogés
sont très explicites sur ce sujet : « une entreprise familiale ne peut dépenser que ce
qu’elle gagne ». Par conséquent, l’entreprise doit peser toutes ses décisions
d’investissement. La diversification est vécue comme une façon de minimiser les
risques : « Heureusement qu’on a cette diversité parce qu’on n’a jamais eu tous les
métiers qui allaient mal en même temps ».
53 Il existe une prise de conscience que l’innovation est la force du groupe, et qu’en
même temps, elle doit s’exercer dans le cadre de la gouvernance familiale qui fait sens.
La continuité des équipes dirigeantes autorise ainsi une « constance dans les politiques
de développement » (PDG6).
54 Enfin, l’orientation entrepreneuriale se transmet et se perpétue dans le temps : « Les
enfants baignent dans la créativité….dans le côté entrepreneurial. Quelque part,
quand vous côtoyez tous les jours des gens qui entreprennent, vous devenez
entrepreneur».
55 L’histoire de l’entreprise permet de garder en mémoire collective le fil conducteur de
son développement. L’un des PDG rappelle ainsi que « le socle de réussite de
l’entreprise est son histoire », une histoire à la fois porteuse de légitimité, d’orientation
entrepreneuriale et de responsabilité. Ainsi, l’entreprise est gérée de manière à prendre
les risques nécessaires à son maintien, mais jamais de risques pouvant remettre en
cause son existence « on traite l’entreprise comme un enfant, en lui laissant prendre
des risques, mais pas de risques mortels…on traite l’entreprise au-delà de soi-même…
la pérennité est la motivation essentielle » (Président12).
56 Un directeur souligne : « Il y a quelque chose qui est très difficile à gérer du point de
vue managérial, c’est l’équilibre entre l’exigence, laquelle doit être énorme, compte
tenu de la qualité de nos produits, mais aussi la bienveillance, qui doit être aussi
énorme, compte tenu de l’humanisme de l’actionnariat. Donc, un des nerfs du
fonctionnement a été de gérer en permanence cet équilibre instable. ». Ce témoignage
montre la capacité des entreprises familiales à gérer des tensions entre deux tendances
apparemment irréconciliables.
57 L’encadré ci-dessous illustre l’expression de ces tensions et de cette recherche
d’équilibre :

« L’entreprise offre à la fois une autonomie, une capacité à s’épanouir et, en même
temps, une certaine sécurité. On est toujours un peu à la recherche des deux »

« Il y a des gens attirés par des enjeux de transformations et, en même temps, cette
pérennité dans laquelle on s’inscrit »

« Cela nous a amené à travailler notre dispositif d’arbitrage afin de savoir où il fallait
lâcher pour assurer la pérennité. Je pense que nous connaissons maintenant assez bien

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les leviers qu’il faut maintenir, et les leviers sur lesquels on peut s’adapter. Le président
du groupe parle de performance et il parle de sens et de pérennité, il y a vraiment ces
deux axes là. »

« Nous avons un patrimoine à faire évoluer mais aussi à préserver »

« Nous avons les pieds dans la glaise et la tête dans les étoiles »

4. Discussion
58 Cette recherche a pour objectif de contribuer au courant qui considère que les
entreprises familiales peuvent réconcilier leur orientation entrepreneuriale et leur
stratégie de pérennité en s’appuyant sur leurs caractéristiques spécifiques, qui leur
permettent de mettre en œuvre des stratégies d’innovation singulières fondées sur une
ambidextrie organisationnelle.
59 Le présent article propose un prolongement empirique et théorique du travail de Ben
Mahmoud-Jouini et al. (2010) qui, en s’appuyant sur les travaux fondateurs de Miller et
al. (2005), ont récapitulé ces caractéristiques. En adoptant une méthodologie multi-cas
et en s’appuyant sur des entretiens des fondateurs / dirigeants d’EF, cet article
commence par illustrer ces caractéristiques et les décliner en dimensions et, dans un
second temps, il montre comment elles contribuent à la mise en œuvre d’une
ambidextrie organisationnelle qui permet à ces entreprises d’explorer des voies
nouvelles, tout en exploitant les connaissances et compétences existantes. L’objet
spécifique de cet article consiste à faire le lien entre ces caractéristiques familiales et
l’ambidextrie organisationnelle. Ce lien représenté par une flèche dans la figure n° 1, en
introduction, est ainsi détaillé dans la figure n° 2 qui récapitule les principaux vecteurs
permettant de réaliser l’ambidextrie.

Figure N° 2 - Les vecteurs qui favorisent l’ambidextrie organisationnelle

60 Avant d’identifier les vecteurs favorisant l’ambidextrie, l’analyse du verbatim a


conduit à l’identification de dimensions au travers desquelles se déclinent les
caractéristiques familiales. En effet, la caractéristique « poursuite d’un horizon de long
terme» se décline selon les dimensions (i) patience financière, (ii) souci de transmission
patrimoniale et (iii) consistance des décisions dans le temps. La caractéristique
« densité des relations famille entreprise » se décline quant à elle selon (i) l’immersion
précoce des membres de la famille dans l’entreprise, (ii) l’existence d’un lien fort entre
l’identité de la famille et celle de l’entreprise, et (iii) un type de gouvernance spécifique.
La « stabilité interne » se décline en un faible turnover des équipes, qu’elles soient
dirigeantes ou employées, et la stabilité des valeurs. Enfin, la caractéristique
« allocation prudente des ressources » est associée à une stabilité financière et une
indépendance.
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61 La figure n° 2 récapitule aussi les vecteurs découlant de ces caractéristiques et qui
permettraient aux EF de mettre en œuvre l’ambidextrie organisationnelle. Ces vecteurs
sont de trois ordres : ceux qui favorisent l’exploitation, l’exploration et leur
simultanéité.
62 La stabilité des équipes (dirigeants et employés) et la durabilité des relations
collaboratives sont de nature à favoriser l’exploitation des connaissances existantes. En
effet, le faible taux de renouvellement des équipes, y compris des cadres dirigeants, et la
longévité des relations et des collaborations permettent de transférer et de
perfectionner les connaissances (Penney et Combs, 2013). Bien plus, l’immersion
précoce des membres de la famille dans l’entreprise permet aussi de transmettre « le
savoir-faire, les valeurs, les réseaux sociaux » (Ward, 2004 : p. 69). Cette stabilité
permet notamment la transmission de connaissances tacites (Daily et Rueschling,
1980 ; Nonaka, 1994 ; Tagiuri et Davis, 1996 ; Allouche et Amann, 1998 ; Girod, 2000 ;
Arrègle et al., 2004 ; Miller et al., 2008). Elle permet également la stabilité des valeurs
de l’entreprise qui, en mettant en avant le maintien de savoir-faire ou de connaissances
spécifiques, contribuent ainsi à leur capitalisation. Enfin, la prudence et le souci de
transmission patrimoniale conduisent à des critères de décision de nature à favoriser la
continuité de ce qui a déjà fonctionné.
63 La rapidité de prise de décision et la patience financière, favorisent, quant à elles,
l’exploration de nouvelles opportunités. En effet, des travaux récents sur le
management de l’innovation de rupture (Midler et al., 2012) ont montré, d’une part,
l’importance d’une prise de décision rapide en matière d’exploration et, d’autre part, la
nécessité de considérer des critères d’évaluation spécifiques (Christensen et al., 2008)
valorisant notamment une patience financière, puisque les explorations sont par nature
risquées et rarement rentables à court terme. L’adoption d’un nouveau cadre
d’évaluation de la valeur attendue des innovations de rupture, est plus facile à mettre en
place dans le cas d’entreprises bénéficiant d’une grande indépendance financière.
D’autres travaux, comme Loch et al. (2006), ont montré l’avantage de l’apprentissage
par essais/erreurs dans l’exploration de nouveaux domaines présentant, en particulier,
une forte incertitude. Cet apprentissage est favorisé par l’existence d’une tolérance à
l’échec et d’une confiance accordée aux acteurs, attitudes renforcées par une stabilité de
ces acteurs leur permettant de capitaliser sur leurs erreurs. Là aussi, ce sont des
vecteurs qui peuvent puiser dans les caractéristiques des EF. En effet, Gudmundson et
al. (2003) ont montré le rôle que joue l’autonomie accordée aux porteurs d’innovation
et les systèmes d’incitations et de reconnaissance accordés aux employés testant de
nouvelles idées dans le développement de l’innovation. Notre recherche confirme ce
résultat et le prolonge. Enfin, l’indépendance des dirigeants des EF, doublée de leur
horizon à long terme et de leur stabilité dans le temps, leur permet également de
poursuivre des explorations qui ne peuvent faire sens que dans la durée. Là aussi, la
stabilité des valeurs de l’entreprise représente un vecteur important.
64 Pour terminer, l’ambidextrie consiste à faire coexister ces deux processus de
capitalisation (exploitation) et de renouvellement (exploration). Or, les EF se
caractérisent par une implication forte du top management qui peut faire coexister de
manière volontariste ces deux démarches, contradictoires sur bien des aspects
(Tushman et al., 2010). Le top management peut notamment faire coexister des
systèmes d’évaluation différents pour les innovations incrémentales et pour les
innovations radicales, par exemple via des systèmes d’incitation et de valorisation
différents selon le type d’innovations dans lesquelles les acteurs sont impliqués. Enfin,
les EF ont l’habitude de gérer des tensions entre des dimensions aussi différentes que
l’exigence et la bienveillance vis à vis du personnel, par exemple. En puisant dans cette
aptitude à concilier des mouvements apparemment opposés et à gérer les tensions
associées, les EF pourraient ainsi réussir à mettre en cohérence la prise de risque liée à
l’innovation avec la recherche de pérennité.
65 L’observation empirique dont cet article rend compte, contribue à montrer que, grâce
à leurs caractéristiques, les entreprises familiales développent une aptitude particulière
dans le développement simultané de capacités parfois tenues comme opposées, mais
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qui sont des sources potentielles d’avantages concurrentiels durables. De plus, par leur
coexistence, elles forment une « configuration » (Miller 1986) propice au
développement de stratégies d’innovation compétitives.

Conclusion
66 Nous avons illustré et analysé de manière systématique les caractéristiques familiales
dans le cas d’EF pérennes et innovantes et avons montré que ces caractéristiques sont à
la fois propices à l’exploitation, à l’exploration et à leur simultanéité grâce à des vecteurs
que nous avons spécifiés. C’est ainsi que nous pouvons expliquer comment certaines
entreprises familiales, innovantes et pérennes, concilient la continuité et le
renouvellement. En apportant cette précision, nous complétons les travaux portant sur
l’innovation dans les EF comme ceux de Zahra (2005), Carney (2005) ou Schuman et
al. (2010). Nous complétons également les travaux portant sur l’ambidextrie
organisationnelle en précisant le cas des EF qui n’avait pas été spécifiquement étudié et,
surtout, en précisant comment l’ambidextrie organisationnelle peut se mettre
concrètement en œuvre, répondant ainsi à l’appel d’ O’Reilly et Tushman (2013).
67 Au-delà du cas particulier des EF, la transposition de ces caractéristiques à d’autres
types d’entreprises mériterait d’être approfondie. C’est en ce sens que la présente
contribution peut intéresser plus généralement les chercheurs travaillant sur le
management de l’innovation et le renouvellement stratégique (Agarwal et Helfat,
2008).
68 Enfin, une des limites de ce travail est que, tout au long de l’article, nous avons
évoqué les EF sans en reconnaître leur variété et leur hétérogénéité. Même si notre
échantillon est diversifié et représente des firmes variées, des travaux récents proposent
de distinguer les EF (Chrishman et Patel, 2012 ; Penney et Combs, 2013) selon les
caractéristiques de la famille, sa cohésion notamment. Un prolongement de ce travail
pourrait être d’étudier les vecteurs proposés et leur différentiation selon les types de
cohésion familiale.
69 Un autre prolongement pourrait être de chercher à valider le lien entre les
caractéristiques et l’ambidextrie via la médiation des vecteurs identifiés sur la base
d’une enquête quantitative portant sur un grand échantillon de firmes familiales.
70 Autant de pistes qui pourraient être explorées dans le cadre de recherches futures.

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Notes
1 Traduction des auteurs
2 Précisons que ces données qualitatives ont été collectées dans le cadre d’un projet de
recherche menée par l’Ecole Polytechnique, HEC et le BCG et dont une première restitution a
donné lieu à un ouvrage (Bloch, Kachaner et Mignon, 2012) et à un article (Mignon, Ben
Mahmoud-Jouini, 2014). L’exploitation de ces données dans le cadre de cette présente recherche
constitue une nouvelle étape dans le processus de restitution des résultats de ce programme.
3 Nous nous limitons aux cas dont les entretiens ont pu faire l’objet d’un enregistrement et d’une
retranscription exhaustive.
4 Dans la suite de l’article, les entreprises seront désignées par des lettres et les acteurs désignés
par leur fonction et un numéro (PDG1, DRH4, Président5, etc.).
5 Les numéros associés aux fonctions des interlocuteurs qui figurent dans le texte de l’article ne
correspondent pas à l’ordre des entreprises dans le tableau 1
6 Les entretiens ont été menés en 2010.

References
Electronic reference
Sihem Ben Mahmoud-Jouini and Sophie Mignon, “L'ambidextrie des entreprises familiales :
comment concilier orientation entrepreneuriale et stratégie de pérennité ? ”, Finance Contrôle
Stratégie [Online], 19-1 | 2016, Online since 31 March 2016, connection on 11 November 2023.
URL: http://journals.openedition.org/fcs/1755; DOI: https://doi.org/10.4000/fcs.1755

This article is cited by


Paquin, Pauline. (2020) Surconfiance des dirigeants et sensibilité des
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10.7202/1092160ar

About the authors


Sihem Ben Mahmoud-Jouini
HEC, GREGHEC et I3/CRG

https://journals.openedition.org/fcs/1755 19/20
11/11/2023 13:41 L'ambidextrie des entreprises familiales : comment concilier orientation entrepreneuriale et stratégie de pérennité ?
jouini@hec.fr
By this author
Introduction numéro spécial Innovations, Espaces et Territoires [Full text]
Published in Finance Contrôle Stratégie, NS-9 | 2020
Espace et événement collaboratifs d’innovation, deux dispositifs complémentaires pour
l’ambidextrie.
Synergies entre Innovation Lab et Innovation Challenge [Full text]
Collaborative Space and Event for Innovation, two complementary incentives for ambidexterity.
Synergies between an Innovation Lab and an Innovation Challenge
Published in Finance Contrôle Stratégie, NS-9 | 2020
Sophie Mignon
Université de Montpellier, laboratoire MRM

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otherwise stated.

https://journals.openedition.org/fcs/1755 20/20

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