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Jean-Michel Sahut
Ecole de Commerce IDRAC
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2 Jean-Sebastien Lantz,
Maître de Conférences
CEROG-CERGAM, IAE d’Aix en Provence,
France
1 2 3 3 Jean-Michel Sahut,
Professeur et Directeur de la Recherche,
Groupe Sup de Co, Amiens, France
CEREGE EA 1722, Université de Poitiers,
France
une longue période sont capables de taux important de mortalité dans les
surmonter les évolutions de l’environne- premières années. En France, sur plus
ment, les aléas du marché et les crises. de 320.000 entreprises créées cha-
Les entreprises centenaires représen- que année, un tiers disparaît au bout
tent donc une minorité qui partage, de trois ans et seulement la moitié
quel que soit le secteur d’activité, des dépasse l’âge de cinq ans2.
caractéristiques et valeurs communes
que nous essayons de mettre en évi- Les études expliquant la longévité des
dence. entreprises sur plusieurs décennies sont
plus rares, même si certains auteurs
Parallèlement, les entreprises intègrent comme Geus (1997), Simon (1998), et
de plus en plus une démarche de res- Collins et Porras (2004) ont permis de
ponsabilité sociétale dans leur straté- dégager un certain nombre de carac-
gie, ce qui affecte leur performance. téristiques, que nous avons regroupées
Les deux concepts, longévité et durabi- en six catégories :
lité désignent respectivement la confi-
guration de la firme et de la société * Une culture d’entreprise forte repo-
humaine qui leur permet d’assurer leur sant sur des valeurs. Cette culture, ini-
pérennité. tiée par son créateur, est déterminante
pour la vie future de la firme. Plus elle
Compte tenu de la relation qui semble est forte, plus elle va lui survivre, et
être positif entre la durabilité et la résistera au changement des hommes.
performance financière de l’entreprise, Un des signes de la force de la culture
nous nous interrogeons alors sur le lien d’une société s’exprime au travers de
entre longévité et durabilité. sa gouvernance et en particulier de
la stabilité du management. En outre,
cette stabilité du management pro-
Les facteurs explicatifs tège les actionnaires d’une gestion des
de la longévité des firmes résultats à court terme. On l’observe
davantage dans les entreprises fami-
Les travaux portant sur les facteurs liales, mais également dans plusieurs
explicatifs de longévité des entreprises grands groupes cotés en bourse cen-
sont relativement peu nombreux, au tenaires. Par exemple, l’Oréal n’a eu
regard de l’importance des enjeux que cinq dirigeants en un siècle, tous
économiques qui découlent de la com- nommés par promotion interne;
préhension de ce phénomène. De
plus, la plupart des recherches s’in- * Une bonne et juste valorisation du
téresse à la durée de vie des firmes capital humain. Au niveau d’une
nouvellement créées, du fait de leur
2 h t t p://w w w.a p c e .c o m/c i d73551/l a -
creation - d - entreprises- en -20 07- en - france.
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Crise, longévité et durabilité des entreprises
101
Gestion 2000 6 novembre - décembre 2009
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Crise, longévité et durabilité des entreprises
résultats sont souvent mitigés en raison mance à long terme des firmes, que la
des mesures de performance choisies performance financière seule ne peut
et de problèmes méthodologiques, capter.
notamment parce que les performan-
ces sociétales et financières sont endo- Cette relation positive entre durabilité
gènes. La performance sociétale des et performance est également de plus
firmes est appréhendée généralement en plus partagée par les profession-
au travers d’indices de pollution, de nels, comme le montre l’étude de
réputation, de rating d’agence de nota- McKinsey-BCCC (2008)4 dans laquelle
tion sociétale, de l’analyse du contenu deux-tiers des managers et trois-quarts
de leur rapport annuel (analyse de dis- des professionnels de l’investissement
cours), de leurs activités philanthropi- interrogés aux USA pensent que la RSE
ques, ou encore de leur inclusion dans crée de la valeur pour les actionnaires,
un indice boursier dit «socialement dans un contexte économique stable.
responsable» comme le DSI 400 pour
les Etats-Unis (Decock-Good, 1991). La
performance financière comprend des Longévité et durabilité
mesures issues de la comptabilité (par
exemple: retour sur investissement, ou
Les études empiriques montrent que la
encore rentabilité des actifs) et d’autres
longévité et la durabilité sont positive-
de nature boursière (prix ou rendement
ment liées à la performance financière
des actions). La relation est beaucoup
de la firme, même si l’intensité de la
plus significative pour la performance
relation varie avec la mesure de per-
sociétale avec les indices de réputa-
formance choisie. En fait, ce phéno-
tion, et pour la performance financière
mène s’explique assez simplement du
avec les mesures comptables.
fait que lorsqu’on examine en détail les
critères explicatifs de la longévité des
Outre l’intensité de la relation plus
entreprises, on s’aperçoit que cinq des
importante, les mesures issues de la
six facteurs sous-tendent des principes
comptabilité présentent l’avantage de
issus de la RSE :
fournir une mesure plus pertinente de
la performance économique de l’en-
* Une culture d’entreprise forte repo-
treprise. Le seul inconvénient provient
sant sur des valeurs,
du fait qu’elles sont plus sujettes à des
manipulations managériales (McGuire
* Une bonne et juste valorisation du
et al., 1988). Ces mesures, qui sont
capital humain,
à la base des différences observées
dans les résultats, nous amènent à
nous interroger sur la notion de perfor-
4 McKinsey-BCCC, 2008, “Measuring
the business value of social impact”, survey,
104 September.
Crise, longévité et durabilité des entreprises
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Gestion 2000 6 novembre - décembre 2009
En fait, cette idée pourrait paraître tes abyssales dues à cette crise s’est
simpliste, étant donné que la mise en traduite par un resserrement des condi-
œuvre de politiques de RSE dans les tions de crédit dont les PME souffrent
firmes n’est pas nouvelle, elle relève et l’accroissement de leurs activités de
soit d’une démarche volontaire, soit de marché (par exemple, 1/3 des revenus
l’application de lois. En France, l’article et 50% des bénéfices avant impôt de
116 de la loi sur les nouvelles régula- BNP Paribas, au 2ème trimestre 2009,
tions économiques, dite NRE (2001), proviennent de sa banque de finance-
oblige les firmes cotées en bourse à ment et d’investissement8). Nous pour-
réaliser un reporting social et environ- rions également évoquer “le scandale
nemental. Mais, les commissaires aux des bonus” dont le gouvernement fran-
comptes sont juste tenus d’examiner la çais s’est saisi, ainsi que le régulateur
sincérité des informations extra-finan- britannique, et la présidence de l’Union
cières divulguées et non le respect des Européenne9. Enfin, leurs actions contre
obligations légales. La crise des sub- l’exclusion, la diminution de la pauvreté
primes a ainsi affirmé les insuffisances et le microcrédit10 restent marginales11.
des démarches actuelles de RSE des A titre de comparaison, 20% des
firmes fondées essentiellement sur une encours du microcrédit viennent des
base déclarative peu contraignante et banques commerciales dans les pays
une myriade de référentiels, qui offre la en voie de développement12.
possibilité aux firmes de construire des
“stratégies de conformité, d’évitement 8 ht t p://w w w.e asyb o urs e.c o m/b o urs e/
ou de manipulation” (Pesqueux, 2007). actualite/PLUS-BNP-Paribas-performance-sous-
jacente-moins-brillante-FR0000131104-713743
Le cas des grandes banques à travers 9 http://www.e24.fr/economie/monde/arti-
le monde est d’ailleurs symptomatique, cle129784.ece/Sommet-europeen-sur-les-bonus.
html
avec la faillite de leur système de gou- 10 http://www.lamicrofinance.org/content/
vernance tant au niveau du contrôle article/detail/23538?PHPSESSID=168869
11 Extrait du rapport RSE 2007 de BNP
des risques que des rémunérations.
Parisbas : “Le partenariat avec l’Adie repose
sur plusieurs axes : une mise à disposition
De plus, en France, les grandes ban- d’une ligne de crédit de 5 millions d’euros, une
prise en charge partielle du risque résiduel de
ques ont un discours empreint de RSE non-remboursement et une participation aux
et diffusent des indicateurs de déve- frais de fonctionnement de l’Adie s’élevant à
350.000 euros.” En parallèle, ses encours de
loppement durable conformément à
crédits ont augmenté, au premier semestre
la loi NRE, mais l’analyse en détail de 2009, de 53,4 milliards d’euros pour l’immo-
leurs pratiques dévoile que leur adhé- bilier et de 13,6 milliards d’euros pour soutenir
les professionnels et entrepreneurs (source :
sion aux principes de développement boursier.com). De plus, BNP Parisbas n’assume
durable reste superficiel (au niveau du pas complètement le risque résiduel résultant de
cette ligne de crédit utilisé par l’Adie, ce qui est
discours). En effet, la recherche d’une d’autant plus surprenant lorsqu’on sait que les
rentabilité à court terme après les per- taux de remboursement des microcrédits sont
meilleurs que celui des autres types de crédit.
12 Selon Sébastien Duquet, Directeur général
108 de PlaNet Finance France.
Crise, longévité et durabilité des entreprises
et sociaux. L’émergence d’une loi rela- Margolis, J.D., Elfenbein, H.A., Walsh, J.P.,
2008, “Do Well by Doing Good ? Don’t Count
tive à l’application de normes dans le on It.” Social Responsibility, Special Issue on
domaine du développement durable HBS Centennial, Harvard Business Review, vol
accentuerait l’efficience de ces prises 86, N° 1.
de décisions et diminuerait les tenta- Margolis, J.D., Walsh, J.P., 2003, “Misery
tions des entreprises à réduire les cré- loves companies: rethinking social initiatives
dits alloués à la responsabilité sociale, by business”, Administrative Science Quarterly,
Vol. 48, pp. 268-305.
puisqu’ils ne sont pas directement pro-
ductifs. Mais la globalisation impose McGuire, J.B., Sundgren, A.,
Schneeweiss, T., 1988, “Corporate Social
que les politiques de développement
Responsibility and Firm Financial Performance”,
durable ne soient pas l’apanage de Academy of Management Journal, Vol. 31,
quelques Etats et firmes pour avoir de N° 4.
réels impacts sur l’environnement16, et
Pesqueux, Y., 2007, “Gouvernance et priva-
éviter des distorsions de concurrence. tisation”, collection La politique éclatée, PUF,
Paris.