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Crise, longévité et durabilité des entreprises.

Article · December 2009

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Jean-Michel Sahut
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Crise, longévité et durabilité des entreprises.
Sandrine Boulerne, Jean-Sebastien Lantz, Jean-Michel Sahut

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Sandrine Boulerne, Jean-Sebastien Lantz, Jean-Michel Sahut. Crise, longévité et durabilité des en-
treprises.. Gestion 2000, Recherches et Publications en Management A.S.B.L., 2009. �halshs-02099267�

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abroad, or from public or private research centers. publics ou privés.
1 Sandrine Boulerne,
Maître de Conférences
CERMAT, IAE de Tours, France
Groupe ESCEM, Tours, France

2 Jean-Sebastien Lantz,
Maître de Conférences
CEROG-CERGAM, IAE d’Aix en Provence,
France

1 2 3 3 Jean-Michel Sahut,
Professeur et Directeur de la Recherche,
Groupe Sup de Co, Amiens, France
CEREGE EA 1722, Université de Poitiers,
France

Crise, longévité et durabilité


des entreprises
A ugmenter ses profits est devenu un truisme pour l’entreprise depuis le début de la
Révolution industrielle1. Obtenir de bons résultats financiers était généralement
plus important que se soucier de la façon dont les résultats étaient atteints. Cependant,
plusieurs facteurs ont changé cette règle : une série de catastrophes environnementales,
divers manquements à l’éthique, l’évolution du développement durable et de la res-
ponsabilité des entreprises, ainsi que la montée de l’engagement des actionnaires. Les
dernières décennies et la multiplication des crises ont montré que la performance et le
bien-être des entreprises ne peuvent être dissociés du contexte social et environnemen-
tal. Pour toute entreprise qui veut croître, prospérer et se maintenir, même en période de
crise où le taux de défaillance des entreprises s’accentue, divers apports à long terme
tels que les ressources humaines, financières et naturelles, y compris les matériaux et
l’énergie sont nécessaires.

Aujourd’hui, l’objectif des firmes ne sociale, dans la stratégie de ces fir-


consisterait-il pas à assurer leur propre mes, leur donnerait une aptitude plus
viabilité à long terme ou leur longévité, forte de survie aux évolutions de l’envi-
en maintenant un accès durable à des ronnement et par voie de conséquence
sources de capitaux d’investissement et aux crises ?
de capital naturel, social et humain ?
En d’autres termes, n’existerait-il pas
un lien non seulement entre la dura- Existe-t-il un lien entre
bilité et la performance des firmes,
longévité, durabilité et
mais également entre leur longévité
et leur durabilité ? De plus, mettre en performance ?
exergue l’existence d’une relation entre
la longévité et la durabilité des firmes Le lien entre performance de l’entre-
ne permettrait-il pas de démontrer prise et sa longévité est évident. En
que l’intégration de la responsabilité effet, seules les firmes performantes sur

1 Selon le célèbre quolibet de l’économiste


Milton Friedman. 99
Gestion 2000 6 novembre - décembre 2009

une longue période sont capables de taux important de mortalité dans les
surmonter les évolutions de l’environne- premières années. En France, sur plus
ment, les aléas du marché et les crises. de 320.000 entreprises créées cha-
Les entreprises centenaires représen- que année, un tiers disparaît au bout
tent donc une minorité qui partage, de trois ans et seulement la moitié
quel que soit le secteur d’activité, des dépasse l’âge de cinq ans2.
caractéristiques et valeurs communes
que nous essayons de mettre en évi- Les études expliquant la longévité des
dence. entreprises sur plusieurs décennies sont
plus rares, même si certains auteurs
Parallèlement, les entreprises intègrent comme Geus (1997), Simon (1998), et
de plus en plus une démarche de res- Collins et Porras (2004) ont permis de
ponsabilité sociétale dans leur straté- dégager un certain nombre de carac-
gie, ce qui affecte leur performance. téristiques, que nous avons regroupées
Les deux concepts, longévité et durabi- en six catégories :
lité désignent respectivement la confi-
guration de la firme et de la société * Une culture d’entreprise forte repo-
humaine qui leur permet d’assurer leur sant sur des valeurs. Cette culture, ini-
pérennité. tiée par son créateur, est déterminante
pour la vie future de la firme. Plus elle
Compte tenu de la relation qui semble est forte, plus elle va lui survivre, et
être positif entre la durabilité et la résistera au changement des hommes.
performance financière de l’entreprise, Un des signes de la force de la culture
nous nous interrogeons alors sur le lien d’une société s’exprime au travers de
entre longévité et durabilité. sa gouvernance et en particulier de
la stabilité du management. En outre,
cette stabilité du management pro-
Les facteurs explicatifs tège les actionnaires d’une gestion des
de la longévité des firmes résultats à court terme. On l’observe
davantage dans les entreprises fami-
Les travaux portant sur les facteurs liales, mais également dans plusieurs
explicatifs de longévité des entreprises grands groupes cotés en bourse cen-
sont relativement peu nombreux, au tenaires. Par exemple, l’Oréal n’a eu
regard de l’importance des enjeux que cinq dirigeants en un siècle, tous
économiques qui découlent de la com- nommés par promotion interne;
préhension de ce phénomène. De
plus, la plupart des recherches s’in- * Une bonne et juste valorisation du
téresse à la durée de vie des firmes capital humain. Au niveau d’une
nouvellement créées, du fait de leur
2 h t t p://w w w.a p c e .c o m/c i d73551/l a -
creation - d - entreprises- en -20 07- en - france.
100 html?pid=251&espace=4
Crise, longévité et durabilité des entreprises

société, le capital humain collectif * Une croissance maîtrisée et une


comprend le capital humain indi- prudence financière. Ces deux
viduel (propre à chaque person- éléments reposent également sur
ne) mais également celui résultant une vision à long terme des mar-
des interactions entre les indivi- chés ciblés et de la performance
dus. Cette valorisation nécessite de la firme. Ainsi, les entreprises
d’investir continuellement dans le pérennes croissent dans la stabilité,
développement des compétences c’est-à-dire en privilégiant l’investis-
individuelles et organisationnelles, sement et en le finançant à partir
de rémunérer équitablement les de leurs bénéfices plutôt qu’en le
employés mais également de les distribuant aux actionnaires. Elles
intéresser aux résultats. Elle se tra- s’attachent ainsi à la performance
duit par la compétitivité, l’implica- sur longue période, plutôt qu’à une
tion et l’attachement du personnel, gestion de résultat de court terme
lesquels sont au cœur de la créa- et à la conservation d’une bonne
tion de valeur de la firme; santé financière (notamment par
le respect de ratio de solvabilité
* Une capacité d’adaptation rapide et de taux d’endettement stricts).
au changement. Cette réactivité est Par exemple, en 2000, Bouygues
intimement liée à la culture d’en- Télécom (via son fondateur Martin
treprise. Elle découle d’une vision Bouygues), contrairement à France
à long terme, d’une écoute des Télécom et Vivendi Universal, a
environnements internes et externes refusé d’acquérir une licence de
(afin de percevoir l’évolution des téléphonie mobile de 3ème géné-
besoins), d’une politique d’innova- ration (UMTS) compte tenu de leur
tion forte, d’une flexibilité dans l’al- prix (4,9 milliards d’euros) lequel
location des ressources (pour prio- l’aurait obligé à revoir son plan de
riser des projets, se désengager développement et s’endetter massi-
d’activités) et de la latitude laissée vement comme France Télécom.
aux dirigeants et managers pour
développer de nouvelles activités Ce prix a été ensuite revu à la
à fort potentiel, même si elles sont baisse en 2001 à 619 millions
éloignées du cœur de métier de la d’euros plus une redevance de 1%
firme. Pour les entreprises familia- des revenus générés par l’UMTS,
les, cette réactivité s’explique en et la durée de la licence a été
partie par leur indépendance finan- allongée de 15 à 20 ans. Ces nou-
cière qui leur permet de se focaliser velles conditions sont alors deve-
davantage sur le long terme; nues acceptables pour Bouygues

101
Gestion 2000 6 novembre - décembre 2009

Télécom, qui a financé l’opération de leur préférence et de leur risque


par augmentation de capital. Cette (Charreaux, 1991). En particulier,
vision d’une croissance maîtrisée dans les entreprises familiales, le
est beaucoup plus présente dans dirigeant est généralement mem-
les firmes familiales, dans la mesure bre de la famille actionnaire et
où il existe un certain devoir moral pleinement responsable face à ses
à continuer ce que les ancêtres ont obligations. Dans les sociétés en
su créer; commandite par action, la respon-
sabilisation patrimoniale du gérant
* Des alliances stratégiques avec des (faisant partie des commandités)
clients, des fournisseurs ou d’autres l’incite à la prudence dans ses déci-
firmes, afin de créer des synergies, sions.
d’explorer de nouveaux marchés
ou de se diversifier; En fait, ces éléments sont étroitement
liés, ce qui ne permet pas de mesurer
* Une bonne gouvernance, c’est-à- précisément l’impact de chacun et limi-
dire un rapport de force équilibré te la portée des conclusions des études
entre les parties prenantes principa- monocritères sur la performance à
les de l’entreprise; les actionnaires, long terme des firmes, et les raisons de
les dirigeants, les managers et les leur longévité. En effet, les entreprises
autres employés, afin de garantir les plus performantes en matière de
qu’aucun acteur ne puisse extraire capital humain le sont également en
des bénéfices privés au détriment matière d’innovation, de croissance,
des autres. En particulier, plus la de gouvernance et ont aussi une forte
propriété est disséminée entre un culture.
grand nombre d’actionnaires, plus
les dirigeants risquent de gérer
l’entreprise dans leur propre inté-
Quelle relation entre la dura-
rêt. En effet, les dirigeants ont des bilité et la performance ?
objectifs et des horizons temporels
différents de ceux des actionnaires Face aux risques écologiques qui se
et disposent de l’accès privilégié à manifestent désormais au niveau mon-
l’information, qu’ils peuvent mettre dial (changement climatique, raréfac-
à profit en orientant la gestion de tion des ressources naturelles, perte
l’entreprise vers la réalisation de drastique de biodiversité, catastrophes
leur objectif personnel. Par ailleurs, naturelles et industrielles, etc.) et à la
les dirigeants sont aussi capables pression de l’opinion publique, certai-
de favoriser certains investissements nes entreprises intègrent depuis peu,
par rapport à d’autres, en fonction dans leur stratégie, le développement

102
Crise, longévité et durabilité des entreprises

durable, lequel comprend trois piliers : vailleurs handicapés), les pouvoirs


économiques, sociaux, et environne- publics (exemple : pour remporter
mentaux. Ainsi, est apparu le concept des appels d’offre), les fournisseurs
de responsabilité sociétal des entrepri- (en négociant la qualité ou les
ses (RSE) comme déclinaison des prin- prix), ou encore les actionnaires.
cipes du développement durable (ou Dans le dernier cas, comme la RSE
de durabilité) à l’échelle des firmes3. se traduit par la recherche d’une
La mise en œuvre d’une démarche RSE performance à long terme, elle
ne modifie pas fondamentalement les peut être utilisée pour justifier, par
finalités de l’entreprise, mais ajoute exemple, des résultats financiers à
un certain nombre de contraintes sur court terme inférieurs aux attentes
la manière de faire ce profit (en res- des investisseurs.
pectant les générations futures) et de
le répartir (entre les salariés et les Ainsi, quelles que soient les raisons
actionnaires). de l’adoption de la RSE par les firmes,
se pose la question de son impact sur
Au niveau pratique, l’adoption volon- leur performance. Selon la théorie
taire de contraintes supplémentaires, des parties prenantes, une meilleure
liées à la RSE, et non régies par la satisfaction de toutes les parties pre-
réglementation ou les normes d’un sec- nantes implique une meilleure maîtrise
teur d’activité, résulte soit : des coûts implicites de l’entreprise et
se traduit par une performance finan-
* D’un réel engagement de l’entre- cière supérieure (Waddock et Graves,
prise qui promeut ainsi certaines 1997). Au contraire, selon Friedman
valeurs, (1970), la RSE conduit à une expro-
priation des profits des actionnaires,
* D’une démarche “marketing” ou au bénéfice de la collectivité. De plus,
“stratégique” à destination des la non-maximisation du profit pour la
parties prenantes, dans l’objectif firme implique une perte d’efficacité
d’améliorer la performance de l’en- pour la société dans son ensemble.
treprise ou de la justifier. En effet,
la firme peut se servir du déve- Pour éclairer ce débat, de nombreuses
loppement durable pour séduire études empiriques se sont alors intéres-
les consommateurs (par exemple sées au lien entre RSE et performance
avec le commerce équitable), les financière. Les synthèses de Margolis
salariés actuels et potentiels (exem- et Walsh (2003) et Margolis, Elfen-
ple: charte sur l’intégration des tra- bein & Walsh (2008) montrent que
la relation entre RSE et performance
3 http://74.125.77.132/search?q=cache: financière semble positive, même si les
RP7fiYShXJMJ:www.ecologie.gouv.fr/Respon­
sabilite-societale-des.html+rse+"dévemoppemen
t+durable"&cd=1&hl=fr&ct=clnk&gl=fr 103
Gestion 2000 6 novembre - décembre 2009

résultats sont souvent mitigés en raison mance à long terme des firmes, que la
des mesures de performance choisies performance financière seule ne peut
et de problèmes méthodologiques, capter.
notamment parce que les performan-
ces sociétales et financières sont endo- Cette relation positive entre durabilité
gènes. La performance sociétale des et performance est également de plus
firmes est appréhendée généralement en plus partagée par les profession-
au travers d’indices de pollution, de nels, comme le montre l’étude de
réputation, de rating d’agence de nota- McKinsey-BCCC (2008)4 dans laquelle
tion sociétale, de l’analyse du contenu deux-tiers des managers et trois-quarts
de leur rapport annuel (analyse de dis- des professionnels de l’investissement
cours), de leurs activités philanthropi- interrogés aux USA pensent que la RSE
ques, ou encore de leur inclusion dans crée de la valeur pour les actionnaires,
un indice boursier dit «socialement dans un contexte économique stable.
responsable» comme le DSI 400 pour
les Etats-Unis (Decock-Good, 1991). La
performance financière comprend des Longévité et durabilité
mesures issues de la comptabilité (par
exemple: retour sur investissement, ou
Les études empiriques montrent que la
encore rentabilité des actifs) et d’autres
longévité et la durabilité sont positive-
de nature boursière (prix ou rendement
ment liées à la performance financière
des actions). La relation est beaucoup
de la firme, même si l’intensité de la
plus significative pour la performance
relation varie avec la mesure de per-
sociétale avec les indices de réputa-
formance choisie. En fait, ce phéno-
tion, et pour la performance financière
mène s’explique assez simplement du
avec les mesures comptables.
fait que lorsqu’on examine en détail les
critères explicatifs de la longévité des
Outre l’intensité de la relation plus
entreprises, on s’aperçoit que cinq des
importante, les mesures issues de la
six facteurs sous-tendent des principes
comptabilité présentent l’avantage de
issus de la RSE :
fournir une mesure plus pertinente de
la performance économique de l’en-
* Une culture d’entreprise forte repo-
treprise. Le seul inconvénient provient
sant sur des valeurs,
du fait qu’elles sont plus sujettes à des
manipulations managériales (McGuire
* Une bonne et juste valorisation du
et al., 1988). Ces mesures, qui sont
capital humain,
à la base des différences observées
dans les résultats, nous amènent à
nous interroger sur la notion de perfor-
4 McKinsey-BCCC, 2008, “Measuring
the business value of social impact”, survey,
104 September.
Crise, longévité et durabilité des entreprises

* Une croissance maîtrisée et une En fait, l’Histoire nous enseigne que


prudence financière, toute crise économique entraine une
remise en question des modèles établis,
* Des alliances stratégiques avec les en mettant en exergue leurs défauts;
parties prenantes, incompatibilité avec les évolutions de
l’environnement, manque de flexibilité
* Une bonne gouvernance. et dysfonctionnements divers. Mais les
crises fournissent également l’opportu-
On peut donc se demander si la plu- nité d’opérer des changements radi-
part des entreprises centenaires ne caux plus difficiles à mettre en œuvre
sont pas, comme Monsieur Jourdan lors de périodes stables, du fait de la
dans “Le Bourgeois gentilhomme” de réticence au changement des agents
Molière (qui faisait de la prose sans économiques (consommateurs, firmes,
le savoir), tout simplement guidées par salariés, etc.). Les mesures de soutien
des principes simples d’éthique et de à l’économie (plans de relance), mis
gestion, les amenant à rechercher une alors en place par les gouvernements
croissance maîtrisée tout en respectant dans la plupart des pays, sont alors
les hommes qui ont contribué à leur autant d’occasion de faciliter les muta-
succès. Cette intégration dans leurs tions induites par la crise en atténuant
gènes de certains principes de la RSE leurs effets néfastes sur les entreprises
explique sûrement une partie de leur et les consommateurs. Nous verrons,
longévité. dans cette partie, les impacts de la
crise sur la défaillance des firmes et
quelle place le concept de durabilité
La durabilité comme peut jouer pour en atténuer les effets.
rempart aux crises ?
Impact de la crise
Les crises économiques fragilisent les sur la défaillance des firmes
entreprises. Nombreuses sont celles
qui finissent par déposer leur bilan
Toute crise se traduit par un nombre
et cessent leur activité. En France,
de défaillances accrues des firmes, du
les défaillances d’entreprises ont pro-
fait qu’elle affecte leur efficacité. Ces
gressé de 21,3% au premier trimestre
impacts se matérialisent aux niveaux
2009 par rapport à la même période
suivants :
de 2008, malgré le renforcement du
dispositif préventif de la sauvegarde5.
* Economique (c’est-à-dire la corres-
pondance des produits au mar-
ché). Elle se traduit par une baisse
5 http://www.e24.fr/economie/france/arti-
cle81612.ece/Les-defaillances-d-entreprises-
explosent.html 105
Gestion 2000 6 novembre - décembre 2009

conjoncturelle des ventes (suite à de la performance financière des


la baisse de la consommation) ou entreprises qui, face à un manque
structurelle du chiffre d’affaires, du de liquidité, doivent déposer leur
fait du changement de comporte- bilan, voire cesser leur activité. Ce
ment des consommateurs. La mise phénomène amène deux réflexions;
en faillite de General Motors en juin d’une part sur la vision de la
2009 résulte de l’inadéquation de performance des investisseurs (une
ses produits (majoritairement des baisse de la performance à court
berlines ainsi que des véhicules tout terme suite à une crise ne signifie
terrain et de sport) à un marché auto- pas que l’entreprise ne peut être
mobile américain, dont la demande rentable à long terme), d’autre part,
a changé avec la hausse du prix de c’est au moment où les firmes ont le
l’essence en 2008, puis la crise (les plus besoin des banques que ces
consommateurs américains privilé- dernières leur coupent les crédits,
gient maintenant les voitures moins ce qui a obligé le gouvernement à
chères, consommant moins); mettre en place un Médiateur du
crédit, malgré l’engagement des
* Organisationnel. Cette crise a été banques françaises à continuer de
à la fois un révélateur des dys- financer l’économie6, et en parti-
fonctionnements organisationnels culier les PME, après leur sauve-
et oblige les firmes à réduire leurs tage par l’Etat. En effet, “en 9 mois
coûts, compte tenu de la baisse de (novembre 2008-août 2009), plus
leur chiffre d’affaires. Cette réduc- de 15.000 entreprises ont saisi le
tion des coûts passe inévitablement Médiateur du crédit, et le flux de
par une révision de leur mode de dossiers nouveaux est resté stable
production (dont l’organisation du malgré la trêve estivale. 85% des
travail), de la logistique, ainsi que dossiers ont été acceptés, ce qui
de la gestion des stocks. Les dys- représente un encours de crédit de
fonctionnements organisationnels 2,91 milliards d’euros7.”
concernent également les méca-
nismes de gouvernance, comme
le contrôle des risques ou de la Durabilité et crise
rémunération des dirigeants, qui
sont lors de ce type de période Outre les mesures conjoncturelles
particulièrement suivis et «mis en (plans de relance notamment) mises
scène» par la presse; en place par la plupart des gouverne-
6 http://www.e24.fr/economie/france/arti-
* Financier. Les crises se traduisent cle41436.ece/L-Etat-va-a-nouveau-preter-aux-
par une baisse plus ou moins forte banques.html
7 http://www.e24.fr/economie/france/arti-
cle124866.ece/Le-Mediateur-du-credit-saisi-
106 15.000-fois.html
Crise, longévité et durabilité des entreprises

ments à travers le monde, la question ges insolvables et qui ont ensuite


des réformes structurelles à adopter titrisé ces créances. Or, une bonne
pour éviter que de telles crises se gouvernance aurait permis aux
reproduisent reste posée. Le débat banques ayant attribué ces crédits
public se focalise sur divers sujets de mieux contrôler les risques pris
comme la régulation du système finan- en limitant cette variété de crédits,
cier, la gouvernance des entreprises, ainsi que la vente des produits titri-
le comportement social des firmes, sés toxiques, et pour les autres ban-
notamment par rapport aux licencie- ques, de restreindre leur exposition
ments et délocalisations, les paradis à ce genre de produits. La prochai-
fiscaux, les fraudes au fisc, etc. ne crise sera sûrement énergétique,
comme l’accroissement fantastique
Si une nouvelle régulation du système des prix du pétrole jusqu’à mi-2008
financier est incontournable, elle ris- le laisse présager. Il devient donc
que d’être insuffisante étant donné urgent de prendre des mesures for-
que la globalisation, l’ingéniosité des tes pour diminuer la consommation
individus et la complexité des produits, des énergies fossiles et donner aux
permettront tôt au tard de la contour- énergies renouvelables un réel rôle
ner ou de la détourner. En complément de substitut dans la consommation
de cette nouvelle régulation financière mondiale d’énergie, comme le pré-
à imaginer, une véritable évolution des conise les partisans du développe-
comportements semble nécessaire, en ment durable;
particulier dans les banques, pour évi-
ter qu’une telle crise comme celle des * De mieux résister aux crises. En
subprimes se reproduise. effet, la mise en évidence du lien
entre la longévité et la durabilité
Les politiques de développement dura- des firmes montre que l’intégration
ble peuvent guider l’évolution de ces de la RSE dans leur stratégie, leur
comportements et devenir un rempart donnerait une capacité plus impor-
contre les crises, au travers de ses trois tante de survie aux évolutions de
piliers (environnementaux, sociaux et l’environnement et donc aux crises.
économiques) puisque l’application De plus, la crise des subprimes a mis
forte des principes de la RSE permet- en évidence que les entreprises bien
trait : notées en matière de gouvernance
ont finalement mieux résistées que
* De limiter l’apparition de crises ou les autres. Cet argument milite éga-
leur portée. En effet, la crise des lement pour le renforcement de la
subprimes est due aux banques qui gouvernance des banques.
ont prêté de l’argent à des ména-

107
Gestion 2000 6 novembre - décembre 2009

En fait, cette idée pourrait paraître tes abyssales dues à cette crise s’est
simpliste, étant donné que la mise en traduite par un resserrement des condi-
œuvre de politiques de RSE dans les tions de crédit dont les PME souffrent
firmes n’est pas nouvelle, elle relève et l’accroissement de leurs activités de
soit d’une démarche volontaire, soit de marché (par exemple, 1/3 des revenus
l’application de lois. En France, l’article et 50% des bénéfices avant impôt de
116 de la loi sur les nouvelles régula- BNP Paribas, au 2ème trimestre 2009,
tions économiques, dite NRE (2001), proviennent de sa banque de finance-
oblige les firmes cotées en bourse à ment et d’investissement8). Nous pour-
réaliser un reporting social et environ- rions également évoquer “le scandale
nemental. Mais, les commissaires aux des bonus” dont le gouvernement fran-
comptes sont juste tenus d’examiner la çais s’est saisi, ainsi que le régulateur
sincérité des informations extra-finan- britannique, et la présidence de l’Union
cières divulguées et non le respect des Européenne9. Enfin, leurs actions contre
obligations légales. La crise des sub- l’exclusion, la diminution de la pauvreté
primes a ainsi affirmé les insuffisances et le microcrédit10 restent marginales11.
des démarches actuelles de RSE des A titre de comparaison, 20% des
firmes fondées essentiellement sur une encours du microcrédit viennent des
base déclarative peu contraignante et banques commerciales dans les pays
une myriade de référentiels, qui offre la en voie de développement12.
possibilité aux firmes de construire des
“stratégies de conformité, d’évitement 8 ht t p://w w w.e asyb o urs e.c o m/b o urs e/
ou de manipulation” (Pesqueux, 2007). actualite/PLUS-BNP-Paribas-performance-sous-
jacente-moins-brillante-FR0000131104-713743
Le cas des grandes banques à travers 9 http://www.e24.fr/economie/monde/arti-
le monde est d’ailleurs symptomatique, cle129784.ece/Sommet-europeen-sur-les-bonus.
html
avec la faillite de leur système de gou- 10 http://www.lamicrofinance.org/content/
vernance tant au niveau du contrôle article/detail/23538?PHPSESSID=168869
11 Extrait du rapport RSE 2007 de BNP
des risques que des rémunérations.
Parisbas : “Le partenariat avec l’Adie repose
sur plusieurs axes : une mise à disposition
De plus, en France, les grandes ban- d’une ligne de crédit de 5 millions d’euros, une
prise en charge partielle du risque résiduel de
ques ont un discours empreint de RSE non-remboursement et une participation aux
et diffusent des indicateurs de déve- frais de fonctionnement de l’Adie s’élevant à
350.000 euros.” En parallèle, ses encours de
loppement durable conformément à
crédits ont augmenté, au premier semestre
la loi NRE, mais l’analyse en détail de 2009, de 53,4 milliards d’euros pour l’immo-
leurs pratiques dévoile que leur adhé- bilier et de 13,6 milliards d’euros pour soutenir
les professionnels et entrepreneurs (source :
sion aux principes de développement boursier.com). De plus, BNP Parisbas n’assume
durable reste superficiel (au niveau du pas complètement le risque résiduel résultant de
cette ligne de crédit utilisé par l’Adie, ce qui est
discours). En effet, la recherche d’une d’autant plus surprenant lorsqu’on sait que les
rentabilité à court terme après les per- taux de remboursement des microcrédits sont
meilleurs que celui des autres types de crédit.
12 Selon Sébastien Duquet, Directeur général
108 de PlaNet Finance France.
Crise, longévité et durabilité des entreprises

Ces quelques remarques posent le ble) et laisser au corps social (ONG,


problème de la manière par laquelle il consommateurs, salariés, branches pro-
serait possible d’inciter les entreprises fessionnelles…) le soin d’expliciter ces
à adopter les principes du dévelop- normes (le choix des indicateurs dans
pement durable. Dans le domaine notre exemple14) et leurs modalités de
financier, la hard law13 est nécessaire mise en œuvre. De nombreux citoyens
pour deux raisons : du fait du risque souhaitent, par exemple, que la loi
systémique, d’une part, et de sa capa- Grenelle II (article 83), actuellement
cité limitée à s’autoréguler, d’autre en discussion, inclue des obligations
part. En effet, c’est dans les banques en matière de développement durable
que les dysfonctionnements en matière à l’ensemble des entreprises, tout en
de gouvernance sont les plus criants prévoyant une mise en œuvre facilitée
(notamment le contrôle des risques et pour les PME15, et pas seulement à
des rémunérations). Pour le reste des celles qui emploient plus de cinq cents
entreprises, un mixte entre hard law et salariés, dont le total de bilan est supé-
soft law semble plus adapté. rieur à 43 millions d’euros.

En effet, la loi présente l’avantage de


contraindre l’ensemble des agents éco- Conclusion
nomiques, mais si elle est trop précise,
elle risque d’être rapidement inefficace Le respect des politiques de durabilité
du fait de son manque de flexibilité. de l’entreprise permettrait d’accroître
Un cheminement plus efficient dans le la productivité, l’efficacité et l’efficien-
domaine du développement durable ce qui sont source d’innovation, mais
consisterait à utiliser la loi pour définir également de réaliser des économies
des normes (par exemple l’obligation et d’améliorer leur performance et par
pour toutes les firmes de publier des voie de conséquence leur longévité. En
indicateurs de développement dura- outre, il permet dans certains cas d’atti-
rer des capitaux grâce à l’amélioration
de la réputation de l’entreprise auprès
13 http://en.wikipedia.org/wiki/Soft_law
14 Voir par exemple les indicateurs du Global des investisseurs et des banques et
Reporting Initiative (http://www.globalreporting. de faciliter l’accès à de nouveaux
org/Home).
15 Jacques De Saint Front, membre du conseil marchés.
d’administration de l’association Développement
Durable du Conseil Supérieur de l’Ordre des Dans ce contexte, l’apparition des cri-
Experts Comptables, propose d’ailleurs que
“la publication de ces indicateurs se fera dans ses et leur intensité seront d’autant plus
l’annexe des comptes annuels. Pour les entre- faibles que les entreprises continueront
prises ne publiant pas d’annexes aux comptes
annuels, ces informations ou actions seront de prendre des décisions qui tiennent
présentées collectivement au niveau local de compte des facteurs environnementaux
la profession” (source : document interne de
travail de l’association Développement Durable
du CSOEC). 109
Gestion 2000 6 novembre - décembre 2009

et sociaux. L’émergence d’une loi rela- Margolis, J.D., Elfenbein, H.A., Walsh, J.P.,
2008, “Do Well by Doing Good ? Don’t Count
tive à l’application de normes dans le on It.” Social Responsibility, Special Issue on
domaine du développement durable HBS Centennial, Harvard Business Review, vol
accentuerait l’efficience de ces prises 86, N° 1.

de décisions et diminuerait les tenta- Margolis, J.D., Walsh, J.P., 2003, “Misery
tions des entreprises à réduire les cré- loves companies: rethinking social initiatives
dits alloués à la responsabilité sociale, by business”, Administrative Science Quarterly,
Vol. 48, pp. 268-305.
puisqu’ils ne sont pas directement pro-
ductifs. Mais la globalisation impose McGuire, J.B., Sundgren, A.,
Schneeweiss, T., 1988, “Corporate Social
que les politiques de développement
Responsibility and Firm Financial Performance”,
durable ne soient pas l’apanage de Academy of Management Journal, Vol. 31,
quelques Etats et firmes pour avoir de N° 4.
réels impacts sur l’environnement16, et
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16 D’après Greenpeace, la courbe des émis-
GRI, 2006, “Sustainability Reporting Guidelines sions mondiales de gaz à effet de serre est
& Financial Services Sector Supplement”. aujourd'hui en constante augmentation malgré
le protocole de Kyoto. Ce protocole, mis en
œuvre en 2005, avait été ratifié par 175 pays
à l’exception des Etats-Unis. De plus, les pays
émergents ou en développement sont dispensés
d’engagement chiffré par le traité qu’ils ont rati-
110 fié, comme la Chine, l’Inde et le Brésil.
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