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164 L. 33

IBLIOTHEEK GENT
UNIVERSITEITSB
ER
PREMI LIVRE

DES

S
MILLE ET UN CONTE ,

NS
RÉCITS CHALDÉE .

BIBL. UNIV .
GENT
Mr MrAkus
1672.33

LE

JARDIN ENCHANTE

CONTES CHALDÉENS,

PAR

E. CABMOLY.

BRUXELLES ,

LIBRAIRIE ENCYCLOPÉDIQUE
DE PÉRICHON,
RUE DE LA MONTAGNE , NO 26.

1844

67 B.72 (130
1967 ).
BIBL. UNIV.
GENT
BRUXELLES. IMPRIMERIE DE H. BOURLARD.
ON
DUCTI
INTRO .

u centre de l'univers , entre la


2000

brûlante Afrique et les déserts

d'un monde inconnu , est une


86 6
île sinistre , dévorée des feux du so-

leil et battue des vagues de l'Océan.


La douce haleine des vents n'en ra-

fraîchit point le sol embrasé , la bril-

lante verdure n'orne jamais ses plaines


désolées . Au milieu des rochers calci-
་་

2 LES MILLE ET UN CONTES.

nés , le squelette de cette île affreuse


s'étend tristement sur l'immensité des

flots , comme le cadavre d'un géant


écrasé dans la lutte du ciel et de la terre.

Là , dans la profondeur des vallées ,

dominait jadis un monarque nommé


Aspenaz . Né avec de grands talents , qui
avaient principalement l'industrie pour

objet , il étendit la navigation et fit


fleurir le commerce. Aspenaz forma et
entretint des liaisons commerciales avec

les Chinois , les Indiens , les Persans , les

Arabes , les Syriens , les Palestiniens ,


les Egyptiens , les Grecs , et leur permit
d'habiter son île. Il avait épousé une

femme appelée Ziveh, dont la beauté


eût fait rougir le soleil ; mais le chagrin
de n'avoir pas d'héritier troublait son
bonheur . Ne sachant à quoi attribuer
cette stérilité, il rassembla tous les astro-
LES MILLE ET UN CONTES. 3

logues du royaume et leur parla en ces


termes : « Respectables sages , tirez-moi
mon horoscope , et dites-moi sans dé-

tour si je deviendrai père , ou si je dois


mourir sans postérité. » Les astrologues,
ayant consulté leur art céleste , lui
dirent Puissant monarque , si vous

épousez la fille du plus malheureux de

vos sujets , elle vous rendra père. »


Il y avait alors un exilé de Damas ,
fort âgé et si pauvre qu'à peine pou-

vait-il gagner de quoi faire vivre sa fille


aveugle , qui l'avait suivi dans son exil.
Le malheureux vieillard allait tous les

jours pêcher de grand matin et ne reve-


nait que le soir : mais accablé par l'âge
et les infirmités , ses mains tremblantes

prenaient rarement le plus petit poisson .


D'ailleurs , tourmenté par le souvenir de
sa famille et de son pays , il passait sou-
LES MILLE ET UN CONTES.

vent son temps à verser des larmes sur

sa malheureuse étoile. On le désigna

done au roi comme le plus infortuné


des mortels et par conséquent comme
l'homme destiné par le sort à être le
père de la future reine. los hu

Aspenaz , voulant se convaincre par


lui-même du malheur de ce pêcheur,
se rendit aussitôt avec ses ministres sur

le bord de la mer . Il y vit un homme à


barbe blanche qui portait de misérables
filets sur la tête et un chétif panier au
bras. Sa démarche était lente , son main-

tien désespéré ; tantôt il s'arrêtait et

poussait de profonds soupirs , et tantôt


il se tordait le bras et se lamentait cruel-

lement . Tout à coup il se laissa tomber


à genoux sur le sable , et d'une voix
émue il entonna le chant de l'exilé. (
LES MILLE ET UN CONTES. 5

Oui , je me revêtirai du costume des pé-


lerins et j'irai dans ma course errante pleurer
au souvenir de ma patrie. Ah ! qu'on me rende
aux tombeaux de mes pères et qu'on m'y laisse
mourir!
dend ' mascep

II

Tu es l'idole de mes rêves , l'image chérie


de ma raison , ô terre natale , terre aimée en
vain ; chacune de mes pensées t'appartient.
Ah ! qu'on me rende aux tombeaux de mes
pères et qu'on m'y laisse mourir!

III

Je sens les brises légères qui soufflent de


tes collines ; elles semblent ranimer mon cœur
glacé par l'exil. Ah ! qu'on me rende aux tom-
beaux de mes pères et qu'on m'y laisse
mourir!

BIBL. UNIV.
GENT
LES MILLE ET UN CONTES.

IV

O chamelier, toi qui guides aux sons de la


flûte sauvage les dromadaires dociles , si tu
passes près de mon pays , porte-lui mon tendre
souvenir. Ah ! qu'on me rende aux tombeaux
de mes pères et qu'on m'y laisse mourir ! >

Aspenaz à ces paroles touchantes ne


put se défendre d'un mouvement de
compassion : il s'approcha du malheu-
reux vieillard et lui tendit la main. Ce-

lui-ci, surpris de l'action du roi, se jeta


à ses pieds : Sire, dit-il en sanglottant ,

je supplie votre majesté de ne pas faire


attention à un misérable que la mort

seule peut consoler . Hélas ! j'aurais déjà


mis fin à ma déplorable vie , si un être
privé de la lumière ne réclamait ma dou-
loureuse existence.

#
LES MILLE ET UN CONTES. 7

-Je sais que vous avez une fille aveu-

gle , répondit le roi , et c'est pour cela


que je viens vous trouver et vous la de-
mander en mariage.
-Votre majesté veut rire apparem-

ment , répartit le pêcheur. Vous , sire ,

épouser ma fille aveugle !


Hélas ! oui. La destinée le veut

ainsi , j'obéis à sa volonté.


-Je ne sais pas ce que votre majesté
entend par une volonté du destin . Pour

moi , je suis trop longtemps en butte

aux traits de la destinée ; je hais la vie


et j'aspire à mourir.
- J'espère , mon ami , que mes soins
réussiront à changer cette triste résolu-

tion ; en attendant , je vous prie de m'ac-


compagner.
A ces mots bienveillants, le mal-
heureux pêcheur se prosterna de-
8 LES MILLE ET UN CONTES.

vant le prince et le suivit en silence.


Arrivé au palais , le roi le fit asseoir

auprès de lui sur son trône , et l'engagea


à raconter ses malheurs . Le vieux pê-
cheur obéit , et commença ainsi l'his-
toire de ses infortunes. 4r , briar

« Je suis né à Damas, je me nomme

Hadar ; et, jeune , je m'instruisis à l'école


du malheur . Mon père , vertueux et pau-

vre, se flatta de me voir un jour l'appui


et la consolation de sa vieillesse; mais

une maladie aiguë et rapide abrégea le


cours de sa vie. J'avais alors dix ans ; ma

mère éperdue, égarée de désespoir, se pré-


cipita sur moi, me serra dans ses bras et

expira aussitôt. Sans parents , sans for-


tune, sans état , il ne me resta que d'aller
me jeter dans le Farfar. Un pauvre ba-
telier me retira et me rendit à la vie.

Quelque temps après, on m'envoya


‫سر‬

LES MILLE ET UN CONTES . 9

à l'école des enfants pauvres. J'étais d'un


caractère craintif, timide et irrésolu :

quand j'essayais de réciter ma leçon ,

j'avais toujours peur d'oublier quelque


chose ; aussi je ne manquais jamais de
me tromper. Mon impitoyable maître
tonnait alors de toute sa voix , s'enflam-
mait de tout le feu de sa colère, et , levant

sur moi son bâton redoutable, me faisait

trembler jusque dans les profondeurs


les plus reculées de mon âme. Souvent

même je n'en étais pas quitte pour la


peur , et le mal physique venait se join-
dre au mal moral. Cette conduite à mon

égard , loin de me rendre plus hardi ,


me faisait comparer mon sort à celui

d'un esclave , et me rendit encore plus

peureux.
« Plus j'avançais en âge, plus ma rai-
son se développait, et plus je trouvais le

I.
10 LES MILLE ET UN CONTES.

joug auquel j'étais assujetti odieux et


tyrannique. Enfin je m'échappai de ce
triste séjour et je m'enrôlai dans la garde
du roi. Je me trouvai à tous ses com-

bats et j'obtins , après quelques années


de service, d'être fait chef de corps. Mon

grade me permit de récompenser en

quelque sorte l'honnête batelier qui


m'avait sauvé la vie, en épousant sa fille.

Jeune, jolie, douce et sensible, je l'aimai


bientôt de cet amour qui place sur un

seul être et dans un sentiment unique


le bonheur de toute la vie ; je fus aimé,

et je crus mon bonheur certain . Pendant

trois ans , nos jours semblèrent en effet


tissus d'or et de soie. Deux fils et une

fille , fruits de notre union et beaux

comme le diamant, faisaient le charme


de notre vie.

Déjà notre existence nous paraissait


LES MILLE ET UN CONTES.

l'image de la félicité , lorsqu'un jour ,


ô jour désastreux ! pendant que nous

nous promenions , nous fûmes surpris

par un orage affreux . L'air se chargea


soudain de nuages noirs , et la pluie se

précipita en torrents du haut des nues.


Nous n'avions pour abri qu'un arbre
élevé et touffu , dont le front semblait
atteindre la région des tempêtes . Nous

nous y réfugions . Ma femme et mes deux


fils se tenaient serrés autour de moi ;

l'air était embrasé d'éclairs , ébranlé

par les coups du tonnerre. Tout-à-coup


la nue s'entr'ouvre avec un horrible dé-
chirement ; une flamme impétueuse
brûle l'air autour de nous, frappe l'arbre

qui nous couvre de son ombrage hospi-

talier : je me sens renversé par terre, je

perds le sentiment et la connaissance ; je


reviens à moi , et le premier spectacle
12 LES MILLE ET UN CONTES.

qui s'offre à mes yeux est celui de ma


femme et de mes enfants morts à mes

pieds.com on noin port

9 A cette vue épouvantable, je jette


des cris affreux , je déchire mes vête-
ments , je m'arrache les cheveux ,
veux me donner la mort ; on me retient ,

on m'apporte ma fille , on la met dans


mes bras. Ses caresses naïves , ses pleurs
innocents me détournent de ce funeste

dessein : je jure de vivre , de vivre pour


elle, deiloo dam is l

Mais, comme si tous les malheurs


dussent venir ensemble, le même coup

de tonnerre avait porté la désolation


dans le palais du roi. Un nouveau mo-
narque était monté sur le trône; il n'a-

vait point pour les chefs et les officiers


de l'armée les mêmes sentiments que

son prédécesseur. Un arrêt nous déclara

$
LES MILLE ET UN CONTES. 13

bannis de Damas sans retour. Vingt-

huit ans se sont écoulés depuis cet exil.

Dans ce long espace de temps , j'errai

de pays en pays , sans trouver nulle


part repos ni consolation .
Pour surcroît de malheur, ma fille ,

qu'il ne m'était pas permis de laisser


dans ma pauvre patrie , malade de faim
et de misère, perdit le flambeau de ses
yeux. Je la traînai ainsi dans mon ban-

nissement ; les angoisses du besoin m'af-


fligeaient moins que le continuel spec-
tacle de sa souffrance. Ah! combien de

fois ne fus-je pas saisi de désespoir au


souvenir de mon horrible sort ! Combien

de fois n'ai -je pas imploré la mort ; et


la cruelle resta sourde à mes cris !...

Vous , à qui je ne songe encore à pré-

sent qu'en répandant des larmes ; vous ,


à qui je ne songerai jamais que pour en
14 LES MILLE ET UN CONTES.

verser; père tendre , mère infortunée ,

épouse fidèle , enfants chéris , votre sou-


venir vient aussi sans cesse se présenter
à la mémoire de votre malheureux
Hadar. »

L'exilé s'arrêta en cet endroit pour

essuyer ses pleurs . C'était la nature qui


les faisait couler , et la nature se fait en-
tendre de tous les hommes ; aussi le roi et
les assistants en saisissaient toute l'ex-
pression , et ils se sentaient attendris .

Après l'avoir proclamé le plus malheu-

reux de ses sujets , le prince envoya

chercher la fille de Hadar et lui promit


la plus grande fortune, le destin le plus
heureux. bilgan ofsh

Le jour étant arrivé qu'on avait


fixé pour les noces , Aspenaz , aux yeux
de tout son royaume , épousa la fille du

pauvre pêcheur. La fête commença au


LES MILLE ET UN CONTES. 15

lever du soleil par des jeux , des com-


bats d'adresse et de force ; les jeunes

filles étaient magnifiquement parées , et

elles n'avaient rien négligé pour paraître

belles. Les jeunes hommes avaient tout

mis en usage pour leur plaire , et la ga-


lanterie de la fête servait de prétexte

aux triomphes secrets de l'amour. Le


reste du jour fut rempli par la danse et
d'autres plaisirs analogues. La nuit , on
passa dans des salles bien illuminées où
se faisaient entendre des symphonies

agréables et suaves.

Le roi Aspenaz demanda et obtint le


rappel de son infortuné beau-père qui
alla aussitôt visiter sa chère patrie , et
revint à la cour du roi , son gendre , avec
les ossements de sa famille bien-aimée.

La reine , sa fille, au bout de quelque

temps , devint enceinte et mit au monde


16 LES MILLE ET UN CONTES.

un fils si merveilleusement beau que ja-

mais on ne vit rien de pareil. Aspenaz ,


satisfait et content , donna un grand et

magnifique festin à cette occasion , et ,


de l'avis des astrologues , il nomma le
nouveau-né Yakara. Le festin achevé,

un étranger vint , se présenta au roi et


le pria de trouver bon qu'il contribuât

à la joie que la naissance du prince fai-


sait naître. α Vous savez , sire , dit-il ,
par le récit du vieux pêcheur, votre vé-

nérable beau-père , que la reine , sa fille ,


n'était pas née aveugle et qu'elle ne fut

privée de la lumière du jour que par


l'effet de la misère. Eh bien ! mon sei-

gneur et roi , voici de quoi la guérir de


la cécité. D A ces mots , il tira de sa

poche le fiel d'un poisson inconnu ; il


en frotta les yeux de la reine , et la reine
aussitôt recouvra la vue. lot
LES MILLE ET UN CONTES. 17

A ce spectacle inattendu , le roi plein


d'admiration et de reconnaissance veut

embrasser et récompenser richement

l'étranger ; mais il avait disparu , et per-

sonne ne put dire ce qu'il était devenu.

Quelque temps après , les astrologues


convoqués pour dire quelle serait la

destinée du jeune prince , déclarèrent


qu'il aurait plus de sagesse qu'aucun
autre prince et qu'il jouirait d'un bon-

heur sans mélange jusqu'à sa vingtième


année ; mais que , s'il venait à éprouver
le moindre ennui pendant la vingt-
unième , il lui arriverait un grand mal-

heur. Le roi , demi-joyeux , demi-triste ,


fit élever Yakara avec tous les soins

imaginables . Il lui donna des maîtres ,

dès qu'il le vit en âge de profiter de leurs

leçons . A cinq ans , il commença à étu-


dier les divers idiômes des peuples ; il fré-

3.
I.
г

18 LES MILLE ET UN CONTES.

quenta les écoles philosophiques et mo-


rales pendant neuf années ; à seize ans ,
on lui enseigna l'art de régner ; enfin à
dix-huit ans , c'était un prince accompli .

Quand il eut atteint l'époque fatale,


le roi, pour le préserver du malheur qui
le menaçait , le conduisit dans un beau
palais, situé dans l'endroit le moins in-

culte de son île, où un parc lui offrait le


plaisir de la promenade et de la chasse.
Des musiciens habiles le récréaient par

les sons de leurs instruments, de jeunes

ménestrels l'amusaient par leurs chants


et de belles esclaves par leur danse. Plu-
sieurs savants , renommés parmi les
étrangers qui vinrent s'établir dans le

royaume, reçurent l'ordre de le réjouir


par leur esprit et leurs connaissances .

Lesprince , qui aimait beaucoup la


société de ces lettrés , s'entretenait sou-
LES MILLE ET UN CONTES. 19

vent avec eux sur le bien et le mal de


ce monde , sur la différence de la des-
tinée des hommes, et sur leur grandeur
et leur misère ici-bas. Il s'attachait sur-

tout à la conversation de Barmira le

Syrien; de Tsching-Kjun , le Chinois ;


de Soubaya , l'Indien ; d'Abou- Békir ,
l'Arabe de Bibé, le Persan ; de Noam,

le Palestinien ; de Biam-Sahet , l'Égyp-

tien, et d'Ibocype, le Grec.


Ces huit sages étaient tous unis par
les liens de l'amitié , tous profondément

instruits, et remplis de science . Le pre-


mier , qui était le plus âgé , enseignait
la vertu, réprimait les vices et corrigeait
les ridicules au moyen des agréments
de la fable. Le second , était une source
intarissable de leçons attrayantes . Le

troisième , le plus enjoué , était célè-


bre par sa causticité. Le quatrième,
20
20 LES MILLE ET UN CONTES.

homme grave et sévère , donna , sous


lebvoile de l'allégorie , des moralités

utiles et des leçons importantes. Le cin-


quième déroulait des trésors de connais-
sances les plus variées. Le sixièmes, était

d'une imagination aussi vive que bril-

lante. Le septième, le plus jeune de tous,


réunissait une étendue d'érudition , à

une admirable simplicité ; et le dernier


était un aigle dont personne ne put
égaler le vol. Jusins e fiol 2

husUn jour que le prince Yakara avait


eu de longues conférences sur divers

sujets avec ces respectables sages, il leur


dit : Honorables maîtres , écoutez ;

trouverai-je parmi vous un homme assez

complaisant pour nous conter , après


nos entretiens philosophiques, quelques
histoires curieuses, pour nous dire quel-

ques jolis contes afin de nous amuser et


LES MILLE ET UN CONTES. 21

de nous délasser un peu de nos occupa-

tions scientifiques ? Je suis un grand en-


fant, j'aime fort les contes ; voulez- vous

me faire ce plaisir ? » Les savants répon-


dirent unanimement qu'ils étaient prêts

à faire ce qu'il désirait .


-Nous aimons également les contes,
lui dit le docte Biam-Sahet ; c'est un

passe-temps aussi amusant qu'instruc-


tif. Quelque grave que soit l'homme , il

cherche à détourner quelquefois les


yeux de la vérité , et à se laisser bercer

l'esprit par de riants et agréables men-


songes. De là toutes les fables et tous les

contes dont on l'amuse depuis son en-

fance jusqu'à sa vieillesse. Il semble que

ses plus grands plaisirs viennent plutôt


de son imagination que de sa raison.

Les êtres fantastiques rient plus à son


esprit que les êtres réels. Souvent dé-
23
22 LES MILLE ET UN CONTES.

goûté de tout ce qu'il voit , de tout ce


qu'il connaît , et ranimé par le désir , il

est plus heureux par les choses qu'il


imagine que par celles dont il jouit .
Aussi , ce goût pour le merveilleux
et les fictions , est-il commun à toutes
les nations , et un penchant naturel les
entraîne à conter ou à entendre racon-

ter. Voyez les Chinois , ils cherchent

avec avidité les légendes d'Yao et d'Yug.

Chez les Indiens , des jours entiers sont


consacrés à conter les apologues ingé-
nieux de Vischnou-Sarma. Les anciens

rois de Médie et de Perse n'ont-ils pas

eu leurs beaux conteurs pour les désen-


nuyer par leurs récits enchanteurs ?

Regardez l'Arabe si grave , si sérieux :


après ses courses vagabondes , il s'asseoit
sous un palmier, et écoute avec délices

des histoires qui plaisent à son imagina-


223
LES MILLE ET UN CONTES. 23

tion. Que de traits caractéristiques


n'offrent point les autres peuples de la

terre? Ici ce sont les Égyptiens qui , at-

tendris par les infortunes de deux ten-


dres amants , essuient les larmes qui
s'échappent involontairement de leurs

yeux. Là , ce sont ces frivoles Grecs qu'il


faut amuser sans cesse comme des en-

fants par des faits surnaturels et des


inventions merveilleuses. fzmim

-Oui, prince, dit à son tour le pro-


fond Noam , la vie imaginaire et fanta-

stique , qui se nourrit d'heureuses chi-


mères, est , selon moi , la meilleure. En

vérité , qu'est-ce que la vie réelle? Une


existence sombre et triste , une ombre

de bonheur qui s'évanouit au moindre


souffle. Au contraire, quand, dans une
soirée calme et silencieuse , un meilleur
monde s'offre en tableaux ravissants à

#
24 LES MILLE ET UN CONTES.

notre imagination ; quand un ciel d'azur

se développe à nos yeux ; quand le feu


des étoiles répand sur la nature une
douce lumière ; notre âme s'élève et

s'ouvre à des sentiments pleins de


charmes ; elle croit recevoir une exis-

tence plus complète et plus sublime , et


l'on s'écrierait volontiers avec un ancien

poëte : O fiction , tu vaux cent fois

mieux que la réalité ! » noilovni

Sans doute, répartit le sage Bibé ;


tous les anciens peuples de la terre
avaient coutume , pour amuser leurs
loisirs, d'écouter les récits des actions de

leurs pères , dont le merveilleux aug-


mentait l'intérêt . Aujourd'hui encore
on trouve partout de nombreux con-
teurs , certains d'avoir un auditoire

empressé et attentif. Voguez sur le


Tigre ou sur le Nil ; traversez les dé-
LES MILLE ET UN CONTES. 25

serts de l'Irac ou les plaines de la Syrie;

enfoncez-vous dans l'Hedjaz ou dans les


solitudes délicieuses de l'Yémen ; par-

tout vous rencontrerez des conteurs

dont les récits font les délices du

peuple.
-
Oui , prince , lui répétèrent les
autres sages, nous aimons infiniment les
histoires , et chacun de nous s'engage

à vous en faire une chaque jour.


-Puisque vous pensez comme moi,

mes bons maîtres , reprit Yakara avec

joie , commençons dès à présent cet


agréable passe-temps . Je brûle de vous
entendre ; rien n'est plus divertissant
pour moi. Je dois pourtant vous pré-
venir , vénérables savants , que je suis

disposé à vous adjoindre ma nourrice


Rina ; elle conte avec une grâce et une
facilité extrême , ainsi que ma sœur de

I.
26 LES MILLE ET UN CONTES.

lait Omra , dont les récits animés et

pleins de feu , entraînent tous ceux qui


les écoutent. Je me propose aussi de faire
transcrire toutes vos histoires , afin de

m'en servir quandje n'aurai plus le bon-


heur de me trouver au milieu de vous et

deles transmettre même à la postérité. Me


le permettez-vous , lumières du monde ?

Volontiers , répartirent les excel-


lents lettrés ; mais, pour n'éprouver ni

contrainte ni gêne, notre avis est, si vous


le trouvez bon , que chacun puisse par-

ler sur la matière qui lui paraîtra la

plus intéressante et la plus convenable.

Le prince ayant approuvé cet avis ,

Barmira , le plus âgé de l'assemblée ,


après avoir salué le jeune maître et de-
mandé sa permission , prit la parole et

raconta l'apologue que vous allez lire.


CONTE 1.

LA VÉRITÉ ET LE MENSONGE.

ouanges à Dieu , dont la


r
grandeu infinie ne saurait
se décrire, dont la sainteté
sublime est au-delà de tou-
tes bornes et de tout calcul . Voilà le com-
t
mencemen de mon discours ; et puisque

c'est moi qui ouvre la scène , je vous ra-


conterai , ô Prince , l'origine du Conte , ce

récit enchanteur, qui embellità nos yeux


28 LES MILLE ET UN CONTES.

la nature tout entière , ainsi que chante

un poëte.
I

Viens avec moi, ô mon amie ! viens dans le


jardin riant du Conte, où le Plaisir insou-
ciant, étendu sur des roses , se rit du Sort.

Là, nos âmes sont libres, nos pensées s'éten-


dent sans limites ; partout où l'Imagination
nous conduit, nous parcourons une terre bril-
lante..
III

L'éclat du soleil, l'air embaumé, se glis-


sent dans nos cœurs et y appellent notre
amour. Nul œil ne nous épie , nulle langue
ne nous trahit.
IV

Tous les trésors du ciel et de laterre s'éten-


dent à nos pieds ; tout ce que les doux accords
de l'Espérance promettent de plus ravissant
est à nous, illiup landown toor
26
LES MILLE ET UN CONTES.

29
Aussi avec quelle avidité, le monde
ne cherche -t-il pas les contes ? Jeunes ou
vieux, nous nous repaissons du récit de
s
ces histoires séduisante qui relèvent
nt
notre âme et la transporte au-delà des
siècles , à cet âge d'or , où la terre était

encore plus près du ciel. Pour moi, je


ns
cède volontiers aux douces inspiratio

du Conte , et je m'égare avec plaisir


dans ses domaines brillants . Je vois

les scènes du temps passé , je vois


ement u enre umain
le commenc d g h ,
où la nature était encore jeune , où la

terre était dans sa fleur . opol


s du
Dans cet heureux printemp
monde, la Verité, belle comme l'inno-
cence , était assise sur le penchant d'une

colline dorée par un rayon du soleil


t
couchant. Elle contemplai l'éclat du
ciel , où le jour repliait ses ailes radieu-
30 LES MILLE ET UN CONTES.

ses, lorsqu'elle fut surprise par le Men-


songe.no esl ang li-t-odrigu
Si tu veux être à moi, ô Vérité, lui
dit-il avec un doux sourire et une voix

gracieuse, si tu veux être à moi , tout ce

que l'imigination nous montre de plus


brillant sera à toi.

Jamais ! lui répartit la Vérité, tout


en cherchant à lui échapper.in) ab
Mais je t'aime , ô mon amour , lui
répliqua-t-il en l'arrêtant.
Il faut me haïr, Mensonge.mg.al

Te hair, jusque quand?


Toujours .
Sévère Vérité, si je dois toujours

te haïr, que tes lèvres, trop aimantes


pour m'abhorrer, rencontrent donc une
seule fois mes lèvres frémissantes.

La Vérité craintive et affrayée veut

encore fuir ; mais le Mensonge plein d'ar-


LES MILLE ET UN CONTES. 31

tifice, la retient de nouveau et l'embrasse

malgré elle.

A peine sa bouche trompeuse a-t-elle


imprimé sur son front candide un brû-

lant baiser que le Conte en sortit tout


couvert de faussetés brillantes , mais

dont la transparence ne permettait


point au vrai de s'effacer entièrement .
Fils de la Vérité et du Mensonge, dit

le vieux proverbe, le Conte est destiné

à se placer à la portée de tout le monde :

il amuse lajeunesse comme la vieillesse ;


éclaire l'ignorance comme le savoir.

Après que le vénérable Syrien eût


achevé, Tschink-Kjun , dit le prince au

spirituel Chinois , c'est à vous d'occuper


la scène, s'il vous plaît ; et Tsching- Kjun
prit la parole aussitôt.
V3 1 311 31

anders anon ab Jo

alla d

allo -len oogood ning A


radin shibuted new Sinisgori
Jood hostice) of omp and tast
sinat tellid and ob hronos
instrat CONT HI .

60
0
LES TROIS SIGNES DE RECONNAISSANCE.

baith of ) drocony Zooir of

e vous raconterai une his-


toire, dit-il, qui vous prou-

vera la puissance du conte ,


non-seulement de nous tirer

souvent d'affaires embarrassantes , mais

encore de nous admettre quelquefois


dans la société des grands et des puis-
sants de la terre .

Tchao-Cong, ce monarque célèbre que


33
LES MILLE ET UN CONTES .
able
mille vertus rendaient recommand ,
aimait beaucoup les contes . Il avait at-

taché à sa personne un conteur appelé


Chao - Chun , dont la voix agréable et les
s
saillies ingénieuse , faisaient ses délices .

Chao-Chun joignait aux charmes des ré-

cits les plus aimables un sang-froid pré-


cieux , en disant des choses très -fines et

très -gaies . Tous ses détails étaient des


tableaux , tous ses incidents brillants et

pleins d'intérêt . Ce talent merveilleux de


l'aimable conteur avait tant d'influence

sur l'esprit du roi qu'il l'admettait à sa

table , et lui permettait même d'y ame-


ner , quand cela lui faisait plaisir , quel-
s
ques -unes de ses connaissance . Chao-

Chun profita sans façon de ce privilége


et présenta de temps en temps ses amis

à laUco
nj ur. r , le roi donna à ses alliés un
ou

5.
LIBL. UNIV .
GENT
I.
34 LES MILLE ET UN CONTES.

splendide festin , auquel l'agréable con-


teurfut aussiinvité.Un ses de amis, grand

gourmand de nature, se trouvant juste-


ment chez lui , manifesta un vif désir

de l'accompagner au festin royal . Tout


ce que l'imagination peut se figurer de

plus magnifique , de plus séduisant , se

présentait à leurs regards. De jeunes


princes d'une beauté remarquable, vêtus
des habits les plus riches ; des princesses

d'une grâce éblouissante , parées des


joyaux les plus brillants , étaient assis
autour d'une table servie avec une splen-

deur des plus rares. Des parfums brû-


laient dans des cassolettes d'or , garnies

des pierreries les plus fines , et une mu-


sique enchanteresse faisait entendre les
plus suaves accords , of nie ?5

Au milieu de ce somptueux festin , le

roi aperçut avec étonnement l'affamé


LES MILLE ET UN CONTES. 35

compagnon de son conteur , qui dévo-


rait tout ce qui se trouvait devant lui ,
sans laisser la moindre chose à ses voi-

sins. Lemonarque indigné de ce procédé,


lança un regard significatif à Chao-
Chun. Celui-ci , sans se déconcerter , prit

la parole et dit au roi : Ne soyez pas sur-


pris , sire, de ce que mon ami vide de la

sorte tous les plats qu'on lui présente ,

sans faire attention aux convives qui


sont à côté de lui ; certes ce n'est pas par

gourmandise , mais pour un motif caché


et ingénieux sans doute , comme faisait
autrefois le fils d'un riche marchand de

Tchésu. Tchao-Cong demanda aussitôt


l'histoire de ce jeune homme , à quoi

Chao-Chun répondit par le récit sui-


vant :

Il y avait jadis à Tchéou un seigneur


commerçant , counu sous le nomde Song,
36 LES MILLE ET UN CONTES.

qui passait pour le plus riche négociant


du royaume. Cet opulent marchand

entreprit des voyages lointains par


mer et par terre , pour son commerce.

Un jour qu'il se trouvait dans une des


îles de la mer des Indes , il tomba ma-

lade; sentant qu'il allait mourir, il ap-


pela l'hôte et le pria de garder son héri-
tage jusqu'à ce que son fils le vint
chercher ; toutefois ne devait-il le lui re-

mettre qu'après qu'il aurait vu de lui

trois choses ingénieuses , commes signes


de reconnaissance.beca

Song mourut bientôt après , et le fi-


dèle hôte s'empressa de faire connaître
sa mort à sa famille , à Tchéou . Au bout

d'un certain temps , le fils du défunt ar-


riva dans l'île de Tandjong. C'était le

soir d'un beaujour ; déjà la lune s'élevait


derrière les hautes tours de la ville ; déjà
LES MILLE ET UN CONTES. €37
sa douce lumière brillait à travers les

rues obscures, et le jeune étranger ,

quoique sachant bien le nom de l'homme

qui gardait son héritage , ignorait entiè-


rement où il demeurait. Dans cet embar-

ras , il aperçut quelqu'un portant sur le


dos une charge de bois. I wo
Combien désires-tu avoir pour ton

bois, demanda-t-il au porte-faix, et il le


marchanda. Dès qu'ils furent d'accord
sur le prix, l'étranger le pría de porter
le bois chez la personne qu'il pouvait
bien nommer, mais dont il ne savait

pas la demeure.mon onion an


Le porteur de bois partit alors et dé-
posa sa charge devant la maison du

dépositaire de l'héritage.
Celui- ci voyant le bois que le porte-
faix venait de décharger, l'appela et

lui dit : Pourquoi m'app ortes- tu


38 LES MILLE ET UN CONTES.

ce bois ? Je ne t'en ai pas demandé.


Le porteur du bois montra l'étran-

ger, qui arrivait dans ce moment et qui


donna le mot de l'énigme. imp

-Tu es un fin jeune homme, lui dit


l'hôte, en le faisant entrer dans la mai-
son et l'invitant à se mettre à table avec

lui, son épouse, ses deux fils et ses deux


filles.

On servit un fort beau repas ; le do-

mestique apporta , entre autres , cinq


poulets rôtis .

De grâce , mon jeune hôte , vou-


dras-tu avoir la complaisance de nous
découper ces volailles , suivant l'usage
de ton pays, dit le maître de la maison ?

Le jeune homme s'en excusa d'abord,


mais à la fin il s'en chargea, remerciant
l'hôte de l'honneur qu'il lui faisait , et
il partagea un poulet entre le mari et
LES MILLE ET UN CONTES. 39

la femme , un entre les deux fils , un


troisième entre les deux filles , et il de
retint deux pour lui.

no -Voilà un singulier partage ! garder


pour lui deux poulets ! certes il doit être

affamé le voyageur. Ainsi pensa le maître


de la maison sans rien dire.

Le lendemain, s'étant de nouveau mis

à table à midi , l'hôte dit encore à l'étran-

ger : Mon jeune ami, tu nous as si bien


servis hier au soir que tu nous feras
cette fois encore le même plaisir en

découpant ce chapon. pillalung

Le jeune homme accepta encore et


s'acquitta ainsi de cet office honorable :

il coupa la tête de la volaille et la pré-


senta au chefde la maison ; il donna à la

femme ce qu'iltrouva au dedans ; une aile


à chacune des filles, une cuisse à chacun

des fils , et il garda tout le reste pour lui.

$
40 LES MILLE ET UN CONTES.

Là - dessus , le maître de la maison

se fâchant, lui reprocha son peu de dé-


licatesse , en disant : Vraiment , jeune
homme , tu agis sans façon . Hier, ton
procédé m'a paru surprenant ; mais

celui d'aujourd'hui surpasse toute at-


tente. Est-ce ainsi que l'on sert chez
toi? manh ta nishonlod

Un moment , seigneur hôte , ré-

pondit le jeune étranger , je vais vous

faire connaître pourquoi j'ai agi de la


sorte. Hier au soir, on m'a présenté cinq

poulets, afin queje les partageasse égale-


ment entre sept convives . Comme le nom-

bre de personnes surpassait celui des


poulets , il m'a fallu , pour établir la

balance égale , avoir recours au moyen


suivant , qui doit vous paraître tout à
fait juste et bien calculé : Vous , votre

femme et un poulet font trois ; vos deux


LES MILLE ET UN CONTES. 41

fils et un poulet font trois aussi ; vos


deux filles et un poulet font trois encore ;

moi enfin et deux poulets font égale-


ment trois.

-Si tu sais bien compter , jeune

homme , tu découpes assez mal , lui fit


observer en riant le maître de la maison.

L'étranger poursuivit en ces termes :

Ce midi, j'ai dû procéder d'une manière


différente, pour donner à chacun ce qui

me paraissait lui appartenir selon l'u-

sage : la tête est la partie prééminente


du corps, c'est pourquoi je vous l'ai don-

née, en qualité de chef de la maison . J'ai


offert à votre épouse ce qui remplissait

la volaille, en signe de sa fécondité . Vos


deux fils sont les soutiens de votre mai-

son, et je leur ai donné ceux du chapon.


Vos filles sont nubiles , vous voudriez

qu'elles s'envolassent bientôt ; c'est pour-

I. 6.
42 LES MILLE ET UN CONTES.

quoi je leur ai présenté à chacune une


aile. Quant à moi, je suis arrivé dans un

vaisseau, et je dois retourner dans un


vaisseau ; pour cette raison, j'ai gardé la
carcasse.

Alors, le maître de la maison, se rap-

pelant les signes auxquels il devait re-


connaître le fils du marchand de Tchéou ,

s'apperçut qu'il avait devant lui le jeune


Song; il l'embrassa et lui remit son hé-
ritage. Le jeune homme , touché d'une
si belle action, lui fit de riches présents ;

puis il retourna dans sa patrie.


CONHH HII.

LA NAVIGATION.

e prince donna des

éloges à l'esprit et à la
finesse du fils de Song,
et à la belle conduite

de l'hôte de l'île de

Tandjong. Après quoi,


Abou-Békir , qui était assis à côté du

chinois, n'attendant que la permission


du fils du roi pour remplir sa tâche , ne
44 LES MILLE ET UN CONTES.

l'eut pas plutôt reçue qu'il commença

ainsi :
Un sage et puissant monarque vou-
lant faire le bonheur de ses enfants , qui

étaient fort nombreux , fit équiper un


vaisseau pour les transporter dans l'île
des Immortels . Ils étaient sur la mer

depuis longtemps , quand le vent fraîchit

au point que tous les efforts de l'équi-


page ne pouvaient suffire à conduire le

bâtiment . Jetés hors de leur route , ils

ne savaient où ils étaient. Cependant

quelque temps après le soleil reparut ,


et ils virent une île. L'aspect de cette
île était ravissant ; mille arbres touffus ,
mille fruits divers , mille oiseaux au plu-
mage doré , mille fleurs charmantes em-

bellissaient ce séjour, comme si la nature

eût pris un soin particulier à l'orner .


Or , parmi les enfants du roi, il y en
LES MILLE ET UN CONTES. 45

eut qui se dirent qu'il était prudent

de ne pas débarquer dans une île dont


les attraits irrésistibles pouvaient les
retenir au moment où le vaisseau , em-

porté par un coup de vent, pourrait leur


faire manquer leur but ; mais les autres

ne firent pas attention et descendirent


sur le rivage. Neanmoins beaucoup
d'entr'eux, se souvenant de leur desti-
nation, revinrent bientôt sur leurs pas ,

et n'expièrent leur retard que par la

perte de leurs bonnes places.


D'autres, plus avides de jouir du pré-

sent , restèrent dans l'île jusqu'à l'in-


stant où le soleil commença à s'obscurcir

et annonça une nouvelle tempête . Dès


qu'ils entendirent le premier roulement
de tonnerre , ils coururent vers le bord

de la mer. Le vent avait déjà mis le vais-


seau en mouvement, et ils ne purent
46 LES MILLE ET UN CONTES.

l'atteindre à pieds secs . Quelques - uns ,

plus adonnés encore au plaisir, s'amu-


saient à faire de riches collections des

productions de l'île . Le tonnerre gronde,


disaient-ils , mais la tempête est encore
loin. Dès qu'ils la virent, ils se hâtèrent

de partir ; mais la riche récolte qu'ils


avaient faite ralentissant leurs pas , le

navire était déjà loin du rivage à leur


arrivée. Forcés de le rejoindre à la
nage, ils perdirent tout ce qu'ils avaient,

jusqu'à leurs habits , et n'y parvinrent


qu'avec peine, mouillés et transis .

Plusieurs autres , tout à fait adonnés


aux attraits irrésistibles de ce beau sé-

jour, ne songèrent au motif qui portait


le roi leur père à les faire embarquer,

que lorsqu'il n'était plus temps. Pour


comble de malheur , la tempête , qui

avait emporté le vaisseau loin du rivage,


LES MILLE ET UN CONTES. 47

dépouilla les arbres de leur parure, en


fit tomber les beaux fruits et effaça les
vives couleurs des fleurs. Bientôt , aux
harmonieux concerts de mille oiseaux

au plumage varié , succédèrent les cris

effrayants de mille animaux affamés : ils

furent tous la proie de ces bêtes féroces.


Le sens de cette allégorie n'est pas
difficile à découvrir. Nous sommes tous

voyageurs sur la terre par l'ordre de

Dieu notre père. Les premiers sont ces

hommes rares, qui, pendant toute leur


carrière terrestre , persistent à rester
dans le vaisseau de la vertu, sans jamais

céder aux séductions du vice pour s'é-

carter du but de leur pèlerinage ici-bas .


La seconde classe de voyageurs désigne

des hommes qui descendent parfois du

vaisseau sacré, mais qui, dociles à la voix


de leur conscience , retournent prompte-
48 LES MILLE ET UN CONTES.

ment sur leurs pas. Les autres voyageurs

sont l'image de ces hommes faibles, qui

se laissent entraîner par les charmes du


vice, mais qui , dès qu'ils entendent les
avertissements de la tempête du mal-
heur, se hâtent de rentrer en eux-mêmes.

D'autres retardent leur conversion jus-

qu'au moment où le désespoir de la mort


vient les saisir : ce sont les voyageurs

de la quatrième classe . Quant aux der-

niers , ce sont ces pécheurs endurcis ,


qui ne cherchent leur bonheur que
dans le crime et ne songent au but

de leur voyage que lorsqu'il n'est plus


temps. ph

Ici l'Arabe ayant cessé de parler , Sou-


baya s'inclina en disant : Prince , voici

le récit des voyages de Bar- Bad, par terre


et par mer , tels qu'on les trouve écrits
dans les anciens livres des rois de l'Inde. >>
211700 11 30 211 03

O E
PITOL CONT IV . adoz

Z VOYAGES DE BAR-BAD PAR TERRE .


1

super

onvaincu , racon-

te Bar-Bad, que
lavieici-bas n'est

qu'un pèlerina-

C ge , je résolus

de quitter mon
pays , ma famille ,
nt
mes amis . Cependa je n'avais déter-

7.

1.
50 LES MILLE ET UN CONTES.

miné aucune contrée pour le voyage


que j'entreprenais . Mais comme il y a
des routes partout , toutes les régions

me parurent égales. Je partis par le


premier chemin qui se présenta à moi ,
avec un simple esclave.

Nous marchâmes pendant cinq jours


à travers les bois et les forêts sans aucune

rencontre. Nous pensions que la sixième

journée se passerait de même , lorsque

j'entendis tout à coup une voix effroya-


ble qui criait : Qui va là? A ce cri, mon
esclave, plus léger qu'un chevreuil, com-
mence à fuir dans la forêt. Un moment

après , un homme armé vint à moi, et

me demanda qui j'étais . Je lui répondis,


en tremblant de peur , que j'étais un
pauvre jeune homme qui allait parcou-
rir le monde. Il parut touché de ma
frayeur , et me dit : Rassure -toi , mon
51
LES MILLE ET UN CONTES .
frère, ne crains rien , je ne veux te faire

aucunrèmsal . oi
Ap qu , me prenant par la main ,
il me fit entrer dans une caverne, assez
loin de la route. Je vis un vieillard ,

revêtu de haillons , accroupi sur une


ur e t
pierre . Mon conducte m fi apperce-
voir qu'il était privé de l'usage de ses

jambes, paralysées par l'âge ; il ne pou-


vait marcher que sur ses genoux. Je lui
i
demanda ce qu'il faisait dans un lieu

qui paraissait si désert .


J'attends la mort .

La mort?
-Oui , la mort, rien n'est plus certain .

-De quoi vivez -vous ?


De racines et de fruits sauvages ,
ent
que mon fils m'apporte journellem .

Vous n'avez pas peur dans cet

endroit écarté ?
52 G4 LES MILLE ET UN CONTES .

-Peur ! de quoi ? je n'ai rien à


perdre; les voleurs n'entrent pas dans la
demeure des pauvres . Au reste , mon

fils cherche à éloigner par la frayeur

tout homme qui s'approche de ma ca-


verne. son offieil of
Quel âge avez- vous ? not bribi
Soixante- cinq ans. Trup sov

Depuis quand êtes-vous dans cette


caverne?ionsg
Depuis quinze ans . ibuentsh

Ne vous ennuyez - vous point ainsi


seul avec votre fils ?
Jamais. Nous passons notre temps
à étudier l'homme dans le bien et dans

le mal, dans ses vertus et dans ses vices.

Souvent , pour varier nos occupations ,

j'apprends à mon fils à marier sa voix


aux sons de la cithare ; je lui enseigne le
rhythme des vers , l'art enchanteur d'unir
LES MILLE ET UN CONTES. 53

le sentiment, l'harmonie à la vivacité des

images .

Je n'ai ni or ni argent , je n'ai que ma lyre.


Et bien ! qu
que les accents qui dorment suspen-
dus à ses cordes se réveillent et enflamment
mes chants !

II
17
Je chante la gloire de Dieu et je publie la
puissance de la vertu . Puissent mes hymnes
s'élever et s'élancer harmonieusement dans
les airs!

III

Heureux amour ! amour sublime ! tu mé-


rites aussi l'hommage des poëtes, tes héraults,
l'admiration et l'enthousiasme des ménestrels.

IV

O poésie ! fille du ciel , ne détourne pas de


moi tes regards éclatants ! J'aime à redire la
54 LES MILLE ET UN CONTES.

valeur des guerriers ; j'aime à célébrer les


délices du jus de la grappe.

Toute la nature m'inspire : les campagnes

et les ruisseaux , les rayons dorés du soleil ,


les vallées ombragées , cette forêt de lauriers
et ces rochers couverts de mousse.

VI

Le ciel et la terre , la mer avec tout ce


qu'elle renferme , excitent ma verve : animé
par la gaieté et la tristesse, je chante à la fois
et les plaisirs de la vie et les regrets de la
mort.

VII

Filles de l'harmonie , répandez sur mes


vers vos charmes immortels ! Et toi , ô Ange
inspirateur ! fais couler de mes lèvres des
chants victorieux , pleins de douceur et de
grâce.
LES MILLE ET UN CONTES. 55

Je ne pouvais me lasser d'interroger


ce vieillard, dont la sagesse était si naïve
et si vraie. Après plusieurs autres ques-
tions , je lui demandai s'il voulait bien

me donner quelques règles sur la con-


duite que je devais tenir dans le monde .

Très-volontiers , mon fils , me ré-

pondit-il. Soyez toujours homme ; par-


courez vos diverses carrières avec fer-

meté. Instruisez-vous dans les sciences ;

elles sont d'une grande ressource dans


la vie. Sachez que le seul bonheur ici-bas
est d'être satisfait de son état ; ni l'or ni
l'argent ne font le bien de l'existence.

Fuyez la compagnie des gens altiers et


hautains ; car tous les mortels sont
égaux . N'écoutez point la voix de l'am-

bition; votre repos en dépend. Éloignez-


vous des dignités élevées, objets de haine

et d'envie. Préparez-vous enfin à la mort


56 LES MILLE ET UN CONTES.

avant votre dernière heure , qui peut

sonner à chaque instant.b bellisry so

Je passai la nuit avec ce vénérable

sage, le lendemain ce fut l'âme pleine


d'admiration , que je quittai mon bon

hote : son fils m'accompagna assez loin


dans la forêt. , amitnolov- E

Me voilà de nouveau sur le chemin,

au milieu des bois sauvages ; je fus con-


duit directement dans un vaste désert.

Je le parcourus longtemps avec des


peines infinies : la chaleur, la fatigue et
la mauvaise nourriture, me firent beau-

coup souffrir. Enfin , au bout de plu-

sieurs jours , je rencontrai encore un


vieillard vénérable, dont la barbe blan-

che lui descendait jusqu'à la ceinture ,

et qui me reçut avec empressement. Il


voulut savoir qui j'étais , je lui contai,
en le saluant profondément, toute mon
LES MILLE ET UN CONTES. 57

aventure. Aussitôt il se sentit entraîné

vers moi par une volonté invincible.

Viens, me dit-il avec bonté, viens,


je veux te montrer l'endroit où le ciel
et la terre se rencontrent.

En même temps, il me donna le bras,

et je me laissai conduire ; après un court


trajet, nous arrivâmes. A

Je pris mon sac aux provisions et le


suspendis à une croisée du firmament .

Puis je m'éloignai pour réciter ma prière,


et je retournai à l'endroit que je venais
de quitter. Mais en fixant les yeux sur
mon sac aux provisions, je ne le trouvai

plus.
Y a-t-il des voleurs ici ? dis-je avec
surprise au vieillard .
- Non , mon fils , me répondit-il, il

n'y a point de voleurs ici ; la disparition

de ton sac ne vient que de la sphère cé-

8.
I.
58 LES MILLE ET UN CONTES.

leste ; elle s'est enfuie et l'a emporté avec

elle ; attends jusqu'à demain et tu le

reverras au temps et au lieu désignés.


Je retrouvai , en effet , le lendemain,
à mon grand étonnement, mon sac à la

même heure , au même endroit où je


l'avais suspendu la veille.eu

Ayant quitté ce lieu merveilleux, nous


arrivâmes sur le bord d'un fleuve plus

merveilleux encore. Il y avait dans ce


fleuve une île au milieu de laquelle se
trouvait un arbre d'une hauteur et d'une

force prodigieuses. Une foule d'êtres


monstrueux peuplait cette ile ; on re-

marquait parmi eux une grenouille aussi

grande qu'un gros village . Ce monstre se


rendait au fleuve, lorsqu'une couleuvre

se précipita soudain sur lui et l'avala


tout d'un coup . Vint ensuite un oiseau

qui n'a pas d'égal en force ni en gran-


LES MILLE ET UN CONTES. 59

deur , lequel engloutit la couleuvre , et


s'envola sur l'arbre où il se percha tran-

quillement. Maintenant je vous laisse à


juger quelle devait être la grandeur et
la force immense de cet arbre surpre-

nant.

Nous quittâmes ce fleuve, dont je me


souviendrai aussi longtemps que je serai
sensible aux merveilles de la nature , et

pendant près d'un demi jour, nous tra-


versâmes un terrain inégal et stérile, où

nous rencontrâmes un nombre infini de

monstres, tels que des femmes-oiseaux ,


des hommes à tête de bouc , des bêtes
farouches ayant cent coudées de hau-

teur. La vue de pareils êtres m'effrayait ;


mon conducteur se fâcha contre moi en

disant : Celui qui croit en Dieu clément


et miséricordieux ne doit rien craindre ;

vous êtes donc un impie avec lequel je


60 LES MILLE ET UN CONTES.

ne voyage pas . En achevant ces mots,

il me fit signe de continuer mon chemin

et disparut.
Bientôt la nuit vint me surprendre ;
le lendemain un nouveau pays se pré-

sente à mes regards étonnés : c'était la


contrée la plus délicieuse , la région la

plus pittoresque que j'eusse rencontrée


dans ma vie. Je traversais ce magnifique

pays depuis quelque temps ; le soleil

se levait ; chaque feuille , chaque brin


d'herbe se couvraient d'une rosée balsa-

mique; chaque arbre , chaque buisson


exhalaient un parfum aussi délicieux à

l'odorat que le paysage était ravissant à


la vue, lorsque je fis la rencontre d'une

grande quantité d'oies extraordinaires,


dont les plumes tombaient à raison de
leur épaisseur, et sous elles coulaient des
torrents degraisse. Je leur dis : mes sœurs,
LES MILLE ET UN CONTES. 61

je sais que vous êtes destinées au festin

des justes dans le monde futur , en au-

rai-je aussi ma part? Alors les unes ont


élevé leurs ailes et les autres leurs pieds.

J'avais àpeine perdu de vue ces bonnes


oies , que je rencontrai un troisième
vieillard , dont la tête vénérable était

blanchie par les ans . Je le saluai pro-


fondément ; je lui demandai s'il voulait

m'accompagner. Il me répondit qu'oui,


et aussitôt il me suivit. Nous traver-
sâmes des lieux difficiles et nous arri-

vâmes dans une plaine immense , au


milieu de laquelle nous aperçûmes un

jeune écureuil qui n'avait encore qu'un


jour d'existence et qui était cependant
aussi grand que le mont Niaka. Et de

quelle grandeur croyez-vous qu'est cette


montagne ? Elle a quarante milles de
circuit. La longueur seule de cet animal
62 LES MILLE ET UN CONTES.

était de trois milles, et sa tête occupait


un espace d'un mille et demi. Il vomis-

sait assez de boue pour obstruer le fleuve


du Gange.

Je fus frappé d'étonnement à la vue

de la grandeur démesurée de cet animal,


qui me rappela involontairement la

grandeur du mont Niaka, dont j'ai sou-

vent ouï parler. Je priai mon nouveau


guide de m'apprendre où était cette

montagne. Il me répondit : rus


Viens , je veux te la faire voir.
Y étant arrivé, j'aperçus le mont
Niaka environné de tous côtés de scor-

pions qui ressemblaient à des ânes


blancs , et j'entendis une voix comme

venant du ciel qui disait : Malheur à


moi , qui ai juré ; oui , malheur à moi ;
mais maintenant que j'ai juré, qui me
dégagera? obuss anal m
LES MILLE ET UN CONTES. 63

Quelle est cette voix ? demandai -je


au vieillard .
- C'est la voix du père du genre

humain , me répondit le vieillard ; il


maudit le fatal serment qu'il fit aux
démons de les reconnaître comme ses

enfants.tud sbad

Ses enfants.

-Oui, mon fils, comme ses enfants,


et ils le sont en effet ; car lorsque le

premier homme eut mangé le fruit


défendu, il tomba de sa hauteur pri-
mitive , et devint l'auteur de quatre
sortes de démons . Les premiers sont
semblables aux anges , ils connaissent
l'avenir et volent d'un bout du monde

à l'autre ; les seconds sont semblables

aux diables, ils dévorent les enfants et

tourmentent les femmes ; les troisièmes


sont semblables aux hommes , ils man-
64 LES MILLE ET UN CONTES.

gent, ils boivent et se propagent comme


eux ; les quatrièmes sont semblables

aux animaux , ils agissent et font tout


comme les bêtes.

Ces démons , continua le vénérable

vieillard , ont quatre mères , qui s'ap-


pellent Douva, Rada, Kriba et Xoura.

Chacune d'elles domine pendant quatre

ans sur la terre ; au bout de ce temps-là,


elle se démet de sa domination . Alors

toutes les quatre se rassemblent sur le


mont Niaka, accompagnées d'une mul-

titude innombrable d'esprits impurs .


Là , elles proclament celle d'entr'elles

qui doit exercer, pendant quatre années,


sa puissance depuis le lever jusqu'au
coucher du soleil. Jamais mortel n'a pu

dompter ces mères des démons, excepté

Silkama, le grand Raja, qui exerça sur


elles un pouvoir absolu par la puissance
LES MILLE ET UN CONTES. 65

de son anneau céleste. Elles se nom-

maient ses servantes et il les envoyait


partout où il voulait.
Une fois Silkama leur demanda où

était Awerda , leur maître et souverain .


t
Elles lui répondirent qu'il est placé enfe
entre le ciel et la terre, sur le fameux

Datya . C'est un oiseau monstrueux , dont


la tête touche au firmament. Un œuf de
Datya tombant un jour par terre , il

renversa dans sa chute trois cents cèdres

et innonda soixante villes de son moyeu.


Lorsque Silkama voulut construire le

palais de Sayar-Hend , il interrogea ces


diablesses pour savoir où se trouvait le

Maha-Veid, qui taille et polit les pierres .


Elles lui déclarèrent qu'il était gardé
par le coq Dyn et elles le lui cherchèrent.

Ce coq Dyn , poursuivit le vieillard ,

n'est autre chose que le père de ces

9.
I. BIBL. UNIV.
GENT
66 LES MILLE ET UN CONTES.

démons qui visitent les hommes et les


femmes pendant leur sommeil . Si quel-

que mortel veut savoir si l'un de ces


démons a été près de lui , il n'a qu'à

prendre de la cendre criblée et la ré-


pandre sous son lit ; le matin il verra
comme des traces de coq imprimées
dessus.

Ces renseignements remarquables du


vieillard excitent ma curiosité . Je lui

demande s'il y a encore d'autres chefs


de démons?

Oui, me répondit-il avec complai-

sance , il y a encore le prince des mou-


ches, qui a une armée composée d'une
foule de démons ailés . Si quelqu'un
désire le voir, il faut qu'il se procure
d'abord le cœur d'une chatte noire

première-née , puis d'une autre chatte


blanche , aussi première-née , et après
LES MILLE ET UN CONTES. 670

les avoir réduites en cendres bien fines,

il en remplira ses yeux et il le verra.


Charmé de plus en plus d'entendre

ces merveilles , j'eus encore la curiosité

de demander à mon vénérable guide ce


qu'il y avait au-dessous du mont Niaka.

On y trouve, me répondit-il avec


embarras , une race d'ânes sauvages ,

intraitables , mais qui sont grands ,


beaux, légers et les premiers ânes du
monde.
Et au-dessus ?

Au - dessus , Rajeda ! Rajedo ! Ra-

jedi !
Ayant dit cela, un bruit épouvantable
se fit entendre , et une masse de flammes
monta vers le ciel. Il sortait de cette

flamme un torrent de feu rouge et bleu

accompagné de roulements de tonnerre.

Le torrent s'approchait de mon pauvre


89

68 LES MILLE ET UN CONTES.

compagnon de voyage , et dans un


instant il fut brûlé vif. Jugez de ma

terreur ; je me sauvai le plus tôt possible


et je marchai seul sept jours et sept
nuits sans m'arrêter. Enfin , j'aperçus

le huitième jour la retraite d'un soli-


taire, auquel je demandai l'hospitalité .
C'était un jeune ermite, qui me reçut

bien, et qui chercha à soulager ma mi-


sère. Il me fit d'abord asseoir à une

table bien servie, et comme j'avais passé

sept jours sans autre nourriture que


des racines que je trouvais avec beau-
coup de peine, je mangeai et je bus avec
appétit ; puis il me demanda mon nom

et celui de mon pays. Je lui dis l'un et


l'autre, et lui demandai à mon tour qui

il était. Il me répondit avec fierté qu'il

était un des disciples de Hihi-Bad, le plus


grand magicien que la terre ait nourri .
LES MILLE ET UN CONTES. 69

Hihi-Bad ! m'écriai-je avec éton-


nement.

Oui , Hihi - Bad , reprit - il avec


orgueil , le connais- tu?

-Si je le connais, certainement je le


connais . Je le vis une fois dans notre

ville ; il souleva une pierre, la jeta en


l'air, et la transforma en veau. Je partis et

6
0
0
racontai la chose à mon père, qui me dit :

Mon fils, si tu avais été à côté du

magicien , tu aurais pu voir la vérité ,


mais comme tu n'étais pas près de lui,
tu dois être certain que c'était tout sim-

plement par la puissance du diable


qu'une illusion fascinait tes yeux. Dès

ce moment, je m'attachai à Hihi- Bad, et


je vis qu'il n'était pas magicien et que

mon père avait raison.

A ces mots le jeune disciple devint


rouge de colère, et me dit avec fureur :
70 LES MILLE ET UN CONTES.

Insensé que tu es ! ton père n'a pas


connu mon maître, et toi, tu ne l'as pas

vu. Ah ! laisse-moi ! le droit de l'hospi-


talité me défend de te faire du mal, sans

cela je te montrerais ce que c'est que

mon maître, le grand, le puissant Hihi-


Bad.piu

Je fus au désespoir quand je vis

l'emportement de mon hôte ; je lui de-


mandai avec douceur de me pardonner

mon inconséquence, n'ayant jamais eu


l'idée d'offenser ni son maître, ni son

art , dont j'ignorais complètement les


mystères.

Ces paroles calmèrent le jeune ermite.


Vous n'avez jamais eu l'occasion ,
me dit-il , de vous instruire dans les

secrets de la magie?

-Non, mon hôte, lui répondis-je.


-Eh bien ! je vais examiner ce que
LES MILLE ET UN CONTES. 71

je puis faire pour vous initier promp-


tement dans cette haute science.

En effet, après avoir lu quelque temps


dans un petit livre qu'il tira de son
sein, il me dit :

Ceci sont les paroles de mon

maître , les préceptes de Hihi-Bad, tou-


chant l'interrogatoire des démons. O
Bar-Bad ! écoute-les , ils sont plus pré-
cieux que l'or, plus chers que les perles.

On ne les interroge point , dit-il , les


jours de pluie. Mais pareille chose est
aussi défendue les jours de soleil ,

observe un disciple. Un autre disciple


disait que la sentence du maître n'était

pas conforme à celle du magicien Vasi-


Bad : celui-ci, en émettant son opinion

à ce sujet , n'a considéré que le danger


dont on doit se préserver de la part des

démons , quand on les interroge , quel


72 LES MILLE ET UN CONTES.

que soit le jour . En effet , ces conjura-


tions sont fort dangereuses et offrent
souvent des moments périlleux ; car les

diables n'aiment pas qu'on les inter-

roge et rendent malheureux ceux qui


ont l'imprudence de les invoquer , sans
être maîtres dans l'art. C'est ce qui est

arrivé à certain disciple qui fut en-


glouti d'abord dans un cèdre , puis on
vit le cèdre se fendre et faire sortir de

son sein l'audacieux , qui fut jeté dans


l'air, d'où il retomba mort .

Ceci explique parfaitement le

danger d'invoquer les démons , inter-

rompis-je , mais comment les invoque-

t-on? voilà ce que je désire savoir .


-Patience, ô étranger ! me répliqua-

t-il , je continue les préceptes profonds

de mon grand maître. On ne doit pas


boire de l'eau, observe-t-il ensuite, sans
LES MILLE ET UN CONTES. 73

en jeter un peu par terre , de crainte

qu'une formule magique n'ait été pro-


noncée sur cette eau par quelque ma-

gicien. On raconte qu'un grand maître

magicien , descendu dans une auberge,


dit à l'hôtead of figmor ounsisi.m
A
Donnez-moi à boire. -llon sp
Ayant remarqué que les lèvres de la

vieille femme qui lui avait apporté de


l'eau se remuaient singulièrement, il en
versa un peu, et en vit sortir aussitôt

des scorpions et des serpents .


- J'ai bu de votre boisson , dit-il à la

vieille , en lui présentant le reste de


l'eau , buvez maintenant aussi de la
mienne.

La sorcière, car c'en était une, fit

d'abord des difficultés pour boire l'eau


qu'il lui présentait , mais à la fin elle

but et fut aussitôt changée en âne. Le

10.
I.
74 LES MILLE ET UN CONTES.

magicien se mit dessus en riant et partit


comme un éclair, à travers les rues de
la ville. Arrivé au milieu du marché,
où une foule immense de monde était

rassemblée , la compagne de la vieille

magicienne rompit le charme pendant


que celui-ci ne se doutait de rien. Alors

on le vit , à la grande risée et aux huées


de la foule, monté sur une vieille femme

au lieu d'un âne, nie nor sol


10lbans Tilos div me to , og no sersy

adroge ob to anoignos esp


al Ali-lib nood for ob EL
abcoleat noollioiv

wid
ensim
TRO 9151210

woo ' miod toy silovitih sob broda'b


offa mil ef á eiam , fisting in! fup
od with no guais Mst Ind
sia il nongitude
lup novedo
sabuangqs'in tillsl
godushunos Joiul
Tarte ob arsingin af up to'l olor9209

tom im joups

CONTE 7. ob gliem

VOYAGES DE BAR-BAD PAR MER. 19lEST

Townon si oup 18 on to stimp sa li


sjom ob Amb'e no nimada ol

mn vif éclat de rire inter-

rompit aici les spirituel

conteur . Lorsque l'assem-


blée eut repris son calme,
Soubaya continua ainsi le récit

de Bar-Bad.il davog bo ola

938 Après avoir écouté encore ce pré-


cepte de Hihi-Bad , j'empêchai de nou-
veau mon hôte de continuer son in-
76 LES MILLE ET UN CONTES.

struction , en lui faisant observer qu'il


fallait m'apprendre plutôt comment on

ensorcèle l'eau que la manière de s'en


préserver . Cette remarque mit mon
hôte en une telle colère, qu'il me laissa
maître de son ermitage et s'en alla sans

dire un mot. Je le conjurai en vain de


rester chez lui ou de m'accompagner,

il me quitta et ne fit que me montrer


le chemin en s'éloignant de moi .

Je partis donc seul ; après avoir mar-


ché prodigieusement longtemps à tra-

vers des montagnes et des précipices, je


me trouvai au bord de la mer. Mes

yeux s'attachèrent sur un bâtiment

monté par des marchands. Je poussai


des cris pour me faire entendre de
l'équipage , et aussitôt une chaloupe se

sépara du vaisseau et vint me prendre.

A peine en mer , je me sentis un peu


LES MILLE ET UN CONTES. 77

incommodé , mais je me remis bientôt


après. Le temps était beau , le vent
favorable ; nous courûmes d'île en île ,
où les marchands allaient vendre , ache-

ter et échanger leurs denrées . Un jour,


nous abordâmes dans une île où il n'y
avait ni maisons , ni habitants . Tout à
coup une voix venant du ciel se fit

entendre sul 19 esgash abo


1 Voyageurs , yite au vaisseau, sinon

vous êtes perdus , car l'île dans laquelle


vous vous trouvez , est le terrible Sohag.

Tout le monde se hâta de regagneri le


98
bâtiment . Le vaisseau ayant levé l'ancre,

le capitaine nous ditoysbig sh


Savez -vous ce que c'est que Sohag?
‫ان‬
C'est le souverain de la mer, si grand
que les vagues les plus considérables ne

peuvent le couvrir , et si puant que per-


sonne ne peut supporter son atmo-
78 LES MILLE ET UN CONTES.

sphère. Il est aussi très-méchant et n'é-


prouve pas de joie plus vive que de faire

du mal. Un jour il arriva qu'un certain

marin s'était embarqué et que, pendant


qu'il naviguait , Sohag fit sur l'océan un

désordre épouvantable . L'orage , excité


par sa fureur, jeta le pauvre marin sur
les côtes de l'occident, où il courut de

grands dangers et lutta pendant trois


ans contre sa mauvaise fortune. Ayant
repris sa navigation au bout de ce
temps , il fit naufrage dans l'île des
Pierres noires. Enfin son vaisseau se

brisa auprès de l'île des Géants, où l'un

des géants dévora plusieurs personnes


de son équipage et l'enferma avec le
reste dans son antre. Il n'échappa à un
danger si imminent que par un artifice

que je vous conterai un jour . 40

Pendant que le capitaine nous par-


LES MILLE ET UN CONTES . 79

lait ainsi , nous aperçûmes un grand


poisson qui levait la tête au-dessus de la

mer. Ses yeux ressemblaient à deux lu-

nes brillantes, et l'eau qui sortait par ses


deux nageoires formait pour ainsi dire

deux rivières . La vie de ce poisson est


partagée entre les soins de satisfaire aux
besoins naturels et la fureur de se battre .

Il paraît n'avoir d'autre passion que


celle de la colère, qui le porte à attaquer
tout ce qui se trouve sur son chemin .

Tremblant de peur, nous cherchâmes à


l'éviter, et nous fûmes assez heureux

pour nous sauver de ses attaques. iog

Les vents contraires n'ayant pas per-


mis à notre vaisseau d'entrer dans le

port , nous continuâmes notre route à


travers l'abîme des eaux du vieil Océan .

Soudain nous vimes une baleine qui


élevait la tête au-dessus de l'eau. Elle
80 LES MILLE ET UN CONTES.

avait des cornes prodigieuses , sur les-


quelles étaient gravés ces mots en chal-

déen : Je ne suis que l'une des plus

petites créatures qui soient dans la mer ;

cependant j'ai trois cents milles de long,


et je marche sur le dos du Rildrohi.

C'était , comme nous assurait le capi-

taine , le bouc de la mer qui cherchait


sa nourriture et qui, comme je viens de
le dire , portait des cornes. Quant au
Rildrohi , c'est le compagnon de ce pois-
son monstrueux que le Dieu saint et

béni, a coupé en morceaux , et a salé


pour servir aux plats du festin sacré ,
qui doit avoir lieu un journey and
A partir de là , notre navire vogua

trois jours et trois nuits entre les deux


nageoires d'une autre baleine. Ce mons-
tre marin marchait contre le vent ; nous

au contraire, nous en suivions le cours .


81
LES MILLE ET UN CONTES.

Prétends -tu dire peut -être que le vais-


seau n'a pas marché vite ? Un navire

peut faire soixante milles pendant le


temps nécessaire pour chauffer une
poêle remplie d'eau ; un chevalier lance

une flèche , et le navire la précède, de


sorte qu'il marche encore avec plus de

rapidité que cette flèche ..


Quoi qu'il en soit, le quatrième jour,
nous vêmes avec étonnement , au milieu

de la mer, des volatilles qui se tenaient

dans l'eau jusqu'à l'os de la jambe et


dirigeaient leur tête vers le vaisseau .

Nous dîmes : 1
-La mer n'est pas profonde ici ,

descendons pour nous baigner.ch


Mais une voix du ciel nous dit :
-Gardez -vous bien d'y descendre ,
la profondeur de cet endroit est telle ,
-ai
r
qu'il y a sept ans qu'un charpentie y a

JL.
82 LES MILLE ET UN CONTES.

laissé tomber sa coignée , et elle n'est


pas encore au fond .
Nous restâmes donc sur le bâtiment

et nous continuâmes notre chemin ,

quand tout à coup la mer commença à


s'agiter. Notre navire , balotté par les
flots , était en danger de périr ; nous
aperçumes des étincelles d'une flamme
blanchâtre. Le capitaine frappa la mer
avec un bâton où le nom du Très-Haut

était écrit , et aussitôt la mer bruyante

devint paisible et obéissante.


Cependant nous fûmes poussés par

un orage terrible vers des régions loin-


taines, et nous trouvâmes dans des cir-

constances fort difficiles. Tandis que

nous voguions , sans savoir vers quel


lieu, nous vîmes tout à coup , un pois-

son prodigieux , sur le dos duquel se


trouvait du sable. Nous crûmes tous que
LES MILLE ET UN CONTES. 83

c'était un terrain desséché ; nous y des-

cendîmes et y fîmes cuire et bouillir nos


aliments ; mais comme à raison du feu

que nous avions allumé , le poisson

éprouvait une chaleur qui finit par le


brûler , il se mit en mouvement , et le

navire ne se trouvant plus près de nous,


nous fûmes presque noyés .

Ce grand poisson a dans le nazeau ,


au dire des marins , un petit poisson

qui le tue une fois qu'il s'attache à ses

oreilles ou à ses narines. Dès qu'il est


mort, la mer le conduit et le jette sur le
rivage.

Un jour, me racontèrent les ma-
rins , nous voyagions par mer et nous

aperçûmes un de ces grands poissons


dans le nazeau duquel se trouvait ce

petit poisson qui le tua . La mer le jeta


aussitôt avec une telle violence sur la
84 LES MILLE ET UN CONTES.

terre, que soixante villes furent renver-


sées. Étant revenus l'année suivante ,

nous vîmes qu'on s'était servi de ses os

sciés , pour reconstruire les villes qu'il


avait détruites . Il leur avait fourni trois

cent mille tonnes de graisse et toutes les


soixante cités eurent à manger de sa

chair salée pendant soixante semaines .


Le soleil approchait de son coucher,

et nous aperçûmes une pierre brillante


au pied d'un rocher qu'un serpent en-
tourait. Comme l'un de nous s'était déjà

jeté à l'eau pour aller la chercher, le

serpent se présenta pour engloutir le


vaisseau . Heureusement le capitaine lui

trancha la tête de manière que l'eau


fut entièrement ensanglantée. La com-

pagne du serpent vint alors , prit la


pierre , l'attacha au serpent qui était
mort et qui ressuscita aussitôt ; ensuite
95
LES MILLE ET UN CONTES. 85

ils s'approchèrent tous deux du vais-


seau, dans l'intention de l'avaler. Mais

par bonheur il survint un oiseau qui


leur ôta la vie à coups de bec. Oh ! jamais
ne s'effacera de ma mémoire le moment

où mes yeux virent cet oiseau merveil-


leux qui s'empara de la pierre précieuse

et la jeta dans le navire ! Il était beau,


sublime, majestueux; il avait des plumes

rouges sur la poitrine, et blanches sur le

reste du corps. Il plana quelque temps


sur nos têtes, puis il prit les deux serpents
et les jeta aussi dans le vaisseau. Les gens

de l'équipage les prirent, bien qu'ils ne


fussent plus en vie, et continuèrent leur
route. Mais les serpents ayant par mal-

heur touché à la pierre miraculeuse , ils


ressuscitèrent aussitôt, s'emparèrent du
talisman et s'élancèrent dans la mer sans

que personne pût les en empêcher .

BIBL. UNIV.
GENT
86 LES MILLE ET UN CONTES .

C'est cette pierre qu'un ancien sage


de Chaldée portait au cou , et tout ma-
lade qui la voyait, recouvrait à l'instant

la santé. Mais depuis la mort de ce sage,

le Très-Haut l'a placée dans l'orbite du


soleil pendant le jour, et sur le rocher

du serpent pendant la nuit. Cependant


les serpents avaient emporté aussi le
bâton sacré du chef des rameurs , de

sorte que bientôt après une tempête


jeta notre vaisseau au milieu d'une île
déserte, sans que nous pussions l'arrêter.
Nous nous mîmes en marche dans

l'île. En avançant dans l'intérieur des

terres, par des chemins escarpés, nous


rencontrâmes un spectre d'une forme
hideuse. Il se traînait sur un énorme

crapaud, dont les yeux ardents lan-


çaient des regards furieux. Nous vou-
lûmes nous sauver , mais le spectre


LES MILLE ET UN CONTES. 87

nous arrêta en nous parlant ainsi dans


la langue des habitants de l'Inde.
Qui que vous soyez , hommes bons
ou mauvais , écoutez mon malheureux

sort , et ayez pitié de moi. Je suis fils


d'un vénérable brahmane de Pantany-

poutra ; mon nom est Daveri. Mon père,

près de terminer sa pieuse vie , me fit


approcher de son lit, et me dit : 0 mon

fils ! mes jours ont été des jours de tran-


quillité et de paix. Je servi fidèlement

le Dieu de mes pères qui ne me laissait


manquer de rien. Adore - le aussi , in-

voque son assistance , et tu seras égale-


ment heureux !

Ce furent les dernières paroles que

me dit mon père expirant : elles furent


accompagnées de larmes. Il me bénit et
rendit l'âme. A peine eut - il les yeux

fermés, que j'eus la faiblesse de céder


88 LES MILLE ET UN CONTES .

à mes mauvais penchants et d'oublier


Dieu et son saint nom . Bientôt après je
tombai dans un excès d'impiété incroya-

ble ; au lieu de servir Dieu, je rendis un


culte au diable. Or, étant un jour égaré

dans un vaste désert , exposé aux traits


du soleil et aux tourments d'une faim et

d'une soif dévorantes, je me laissai tom-


ber désespéré sur une pierre brûlante.

Là, après avoir horriblement blasphêmé

la sainte Providence, j'invoquai l'assis-


tance de Satan. Aussitôt un démon des-

cendit avec une table chargée de toutes


sortes de mets et de boissons , et un

arbre jeta soudain son ombre sur moi.

Maisje n'eus pas plutôt goûté de ces mets


diaboliques, que l'enchantement s'éva-

nouit ; je fus changé en ce hideux spectre


et à la voix puissante de Dieu, le démon

qui m'a servi, quitta aussi sa figure na-


Aussitôt un démon descendit avec une table chargée de toutes sortes
de mets, et un arbre jeta soudain son ombre sur moi.
Mille et un Contes, tome 1, p . 88.

BIBL. UNIV.
GENT
!
LES MILLE ET UN CONTES. 89

turelle, pour revêtir celle d'un crapaud.


Depuis ce temps-là, je suis attaché à cet
horrible reptile, qui me traîne avec lui

à travers les mers et les déserts , d'une île


à l'autre.

Tandis que Daveri parlait ainsi , le


crapaud , de la gueule ardente duquel
sortait un torrent de flammes, vomissait

d'horribles blasphêmes . A peine avait-

t-il fini de parler, que cet affreux reptile


s'attacha à lui et l'entraîna vers le bord

de la mer, où tous les deux furent bien-

tôt plongés dans ses abîmes. Saisis d'hor-

reur , nous nous sauvâmes plus morts


que vifs. Revenus à nous-mêmes, nous
priâmes Dieu d'avoir pitié de ce mal-
heureux et de le délivrer de ce terrible
démon. Puis nous continuâmes notre

chemin et en nous dirigeant vers le

nord, nous découvrîmes dans l'éloigne-

I. 12
90 LES MILLE ET UN CONTES.

ment quelque chose de resplendissant


et haut comme une tente de cent cin-

quante coudées. Nous en étant appro-

chés , nous remarquâmes que c'était


l'œuf d'un griffon . Aussitôt nous nous
mîmes à le casser à coups de haches et

de pierres. Mais à peine était-il cassé ,


que le poussin en sortit armé d'un bec
crochu assez semblable à celui de l'aigle,

et s'envola . Nous cherchâmes à le pour-


suivre et lui arrachâmes quelques plu-

mes de ses ailes , dont chacune tenait

dans son tuyau dix mesures d'eau . L'oi-


seau étant mort par suite de cette at-
taque , nous voulûmes manger de sa
chair, mais nos cuillères devinrent noires

aussi bien que les cheveux gris des vieux

marins qui en mangèrent.cubb


Après cela, le temps étant redevenu
beau, nous nous rembarquâmes lors-
16
LES MILLE ET UN CONTES . 91

qu'un autre oiseau monstrueux , plus


grand encore que le griffon , vint fondre

sur nous , tenant une pierre immense


qui pourtant lui échappa , et tomba

dans la mer. Nous louâmes le Seigneur


de nous avoir sauvés de ce monstre et

continuâmes notre route de mer en mer,

d'île en île, jusqu'à celle de Poivre . Le

vaisseau y aborda et les marchands

prirent terre. On débarqua les mar-


chandises , et ils se mirent à trafiquer

avec les habitants de l'île . Quant à moi,


n'ayant rien à vendre, je me promenai

sur le rivage de la mer.


Je vis s'avancer vers moi une troupe
d'hommes et de femmes, qui chantaient
et dansaient ensemble . Dès que cette
bande folâtre m'eut environné , elle

m'engagea à prendre part à leur fête ;


je commençai aussitôt à sauter le mieux

BIBL . UNIV .
GENT
92 LES MILLE ET UN CONTES.

qu'il me fut possible. A peine eu -je


fait quelques sauts qu'un éclat de rire
sortit du groupe, et en même temps tous

les personnages sechangèrent en tortues,


en écrevisses et en grenouilles , qui se
précipitèrent dans la mer. Mon œil les

suivait dans les flots lorsque j'y vis des


monstres marins dont l'écaille est assez

grande pour couvrir plusieurs maisons,


et dont la peau sert à faire des bou-
cliers.

M'étant approché trop près d'un de


ces monstres , il s'empara de moi et me
transporta loin de l'île, vers une haute

montagne, sans toutefois me faire aucun


mal.

Cette montagne était habitée par des

génies bienfaisants. Dès que je fus arrivé


au milieu d'eux , ils me saluèrent avec
bonté et me montrèrent une perle pré-
LES MILLE ET UN CONTES. 93

cieuse qu'ils avaient reçue du roi Psam-

Ama. Cette perle ayant disparu le len-


demain , on m'accusa de l'avoir volée.

J'attestai par les plus grands serments

que je n'étais point coupable , et j'in-


voquai le dieu de justice à mon secours

pour découvrir la vérité ; je fus exaucé.

Un gros poisson rapporta la perle pré-


cieuse qui n'était point endommagée.

Pour me récompenser de ma fidélité, ils


me demandèrent en quoi ils pourraient
m'être agréables.

-En me transportant dans mon

pays, leur répondis-je.


Aussitôt l'un d'eux se secoua et fut

changé en aigle.
-Tiens -toi bien à mes pieds , me
dit-il.
Je lui obéis. Il ouvrit ses ailes et s'en-

vola avee une si grande rapidité , que


94 LES MILLE ET UN CONTES .

sans pouvoir distinguer aucun objet, je


me suis trouvé tout étourdi dans mon

même senti
jardin ; je n'ai pas même senti que le

génie m'ait quitté. gjal


Je rentrai chez moi , j'assemblai ma
famille , mes amis et je leur racontai
tout ce qui m'était arrivé. Ils se ré-

jouirent avec moi de mon heureux re-


tour, et là se termine le récit de mes

voyages par terre et par mer. Louange


à Dieu, le maître de l'univers !
hthofon i lidoost
Bot

CONHH VI. A

HISTOIRE DU CRÉATEUR AVANT LA CRÉATION .

uand Soubaya eut fini de par-


ler, Bibé se leva et raconta
l'histoire du Créateur avant

la création qu'on va lire :


Avant le commencement ,

Dieu l'éternel était seul, ca-

ché dans sa propre substance .

Quel mortel pourrait le con-


cevoir ainsi? Si l'œil de notre
96 LES MILLE ET UN CONTES.

intelligence était dégagée de toute ma-


tière , si rien ne troublait le miroir de

notre entendement , chacun de nous

saurait le comprendre .
Dans cet état l'Être suprême n'avait

pas d'autre nom que celui qui exprime


l'unité. Du sein de cette unité ; il fit jail-
lir de divins attributs et aussitôt il fut

Dieu de vérité, Dieu de justice , Dieu de


sagesse, Dieu de grâce , Dieu de miséri-

corde , Dieu de paix et Dieu de gloire .


Ayant résolu ensuite de créer le ciel
et toutes les constellations , la mer et tout

ce qu'elle renferme , la terre et toutes les


créatures qui la peuplent , ces divins at-
tributs se rassemblèrent en deux armées

ennemies . L'une était pour , l'autre


contre la création.alls

Que le monde soit créé dit la Grâce ,


car il sera charitable et bienfaisant .
LES MILLE ET UN CONTES . 97

Non , répartit la Vérité , non ne le crée

point , ô seigneur ! parce qu'il sera rem-

pli de faussetés et de mensonges .


Crée-le , s'écria l'Équité , car il fera

régner la loi et la justice .


Non , ne le crée point , interrompit la
Paix , parce que la guerre et la discorde

seront son partage .


Maître suprême , dit la Bienveillance ,
crée - le , car il sera prudent et raison-

nable. De grâce , ne le crée point , ré-


pondit la Sagesse , parce qu'il fera des

folies.
Mais Dieu prit la parole et dit : Je veux
unir la Grâce et la Vérité , l'Equité et la
Paix, la Bienveillance et la Sagesse , l'har-
monie du monde sera une combinaison

des contraires , comme la corde d'une lyre

qui se tend et se détend . Il y aura un


mélange de bien et de mal , de la vertu

137

I.
86
98 LES MILLE ET UN CONTES.

et du crime , de l'amour et de la haine,


de la vie et de la mort.
Aussitôt les deux armées se melèrent

l'une à l'autre , la Grâce donna la main

à la Vérité, l'Équité à la Paix et la Bien-


veillance embrassa la Sagesse. Elle le

firent , et deux Intelligences naquirent


soudain, Oromare et Arimane, princes

des anges et des démons , maîtres des


lumières et des ténèbres , sources du

bien et du mal , principes de la sagesse


et de la folie.

Le Tout-Puissant ayant ainsi créé ces


chefs des esprits céléstes , tira du néant
le ciel et la terre , avec tous les ornements
dont ils sont embellis , et acheva son ou-

vrage par la création de l'homme , le roi


des créatures . aliento h

Tup
idea deb

#
CONHH VII.

LE PREMIER HOMME.

ibé, le savant Persan ,


venait de terminer son

récit philosophique ,

lorsque le jeune prince


demanda l'histoire de la forma-

tion de cet homme, qu'il lui a


plut de décorer du titre ambitieux : le roi
des créatures. Aussitôt Noam prit la pa-

role et s'exprima ainsi :


100 LES MILLE ET UN CONTES.

Prince , je vous raconterai cette


histoire , telle que les sages du temps
passé nous l'ont transmise ; mais avant
d'entrer en matière , permettez - moi
d'adresser un hymne à l'auteur de toute
chose :

TOO

Être suprême , qui peut imiter tes œuvres


s ? Tu aas courbé les cieux en
merveilleuses?
voûtes inébraulables et suspendu la terre dans
l'espace.

II

Tu divisas les eaux comme des monts de


cristal ; tu les assemblas dans un lit , afin
qu'elles cessassent de couvrir le globe.

III

La surface de la terre parut ; elle s'orna


d'une verdure riante ; tu fis éclore à l'Orient
un parterre de fleurs , séjour de bonheur et
de délices.
LES MILLE ET UN CONTES. 101

IV

Tu semas le firmament d'astres gigantes-


ques et d'étoiles sans nombre. Les poissons
peuplèrent les mers , les oiseaux la demeure
des vents.

Le limon vit sortir de son sein des animaux


innombrables ; tu fis naître le nectar et ces
mets délicieux , destinés aux convives du
grand festin.

VI

Tout était préparé , mais l'hôte n'y était


point encore : aussitôt une portion de matière
reçut l'empreinte de ta grandeur , et ton
souffle créateur lui donna la vie.

Plein de joie et d'allégresse à l'aspect


de cette belle création, Dieu la présenta
aux anges du ciel .

- Quelle sera la destinée de cette


102 LES MILLE ET UN CONTES.

créature , demandèrent les esprits cé-


lestes ?

L'Etre suprême leur donna l'explica-

tion qu'ils désiraient.


- Ah ! s'écrièrent-ils , qu'est-ce que

le mortel pour que tu penses à lui ?


Dieu les fit taire, et présenta l'homme
aux démons de l'enfer.

Quel sera le sort de cet être , de-


mandèrent à leur tour les esprits téné-
breux ?

Le Tout -Puissant leur accorda aussi

l'explication qu'ils souhaitaient .


Ah! s'écrièrent - ils de même ,

qu'est-ce que l'homme , ô Maître su-


prême! pour que tu songes à lui ?
L'Éternel les fit égalemens taire , et

se tourna vers l'homme qu'il regardait

avec compassion. Celui-ci se prosterná


aussitôt devant lui, et dit avec fierté :

$
LES MILLE ET UN CONTES. 103

- O Père universel, qu'as-tu besoin


de l'approbation de ces créatures de tes

mains ?
-
- Je voulais vous réconcilier , ô fils

de la terre ! lui répondit le Dieu de


bonté , je voulais vous réconcilier les
uns et les autres. Hélas ! toi né de

tu seras
e , tu
la poussière seras éterne
éternellement le

jouet des anges et des diables, tu flot-

teras sans cesse entre l'espérance du


ciel et la crainte de l'enfer!
hsil of the phful t

60
CONHH VIII.

0
LA PREMIÈRE FEMME.

Xe conte du sage Palestinien,


fut écouté avec un profond

contentement. Après quel-

ques réflexions auxquelles il


donna lieu , le prince se tourna du côté
de Biam -Sahet, et lui témoigna, par une

douce inclination de tête , qu'il aurait

aussi plaisir à entendre de lui une his-


LES MILLE ET UN CONTES. 105

toire. Celui-ci ne se fit pas prier et com-


mença ainsi :

Majesté , on vient de vous conter


l'histoire du premier homme , souffrez
que je vous dise celle de la première
femme , la mère commune de tous les

2
0
humains.

0
0
Lorsque l'oracle éternel de la naissance

de l'homme eut retenti dans la nature ,


Dieu résolut de lui donner une com-

pagne. Aussitôt les anges se précipitèrent


du haut du ciel et murmurèrent contre

ce nouvel être, parce qu'ils prévoyaient

que l'homme pécherait par amour pour


la femme. Dieu leur imposa silence , en

leur faisant observer qu'ils pécheraient


eux -mêmes de ce péché-là, et qu'ils de-
viendront les humbles esclaves des filles

de l'homme .

- Mais , puisque la malice de la

14
I.
106 LES MILLE ET UN CONTES.

femme serait si grande, et que toutes

les pensées de l'homme tendraient con-


stamment à l'amour , la plus forte et la

plus dangereuse des passions, pourquoi


la créer, disaient les esprits célestes ?
Dieu se laissa fléchir : il ne voulut pas

en effet créer la femme ; mais les diables

se jettèrent devant son trône en disant :


Notre conseil n'aurait probable-

ment pas un autre résultat sur la créa-


tion de la femme ; mais , ô Seigneur de

l'univers ! qu'as-tu besoin du conseil des

anges , fais ce qu'il te plaît. D'ailleurs ,


tu as formé toutes les créatures, mâle et

femelle, pourquoi l'homme seul serait-il


privé d'une compagne ?
Dieu se laissa prendre par ce raison-

nement, et forma la femme ; mais il fit


ce qu'il put pour la rendre moins im-
parfaite.fep
LES MILLE ET UN CONTES . 107

Il ne voulut point la tirer de la tête

de l'homme , de peur qu'elle ne fût

coquette ; ni de ses yeux , de peur


qu'elle ne jouât de la prunelle ; ni de
ses oreilles , de peur qu'elle ne fût cu-
rieuse ; ni de ses mains , afin qu'elle ne

touchât point à tout ; ni de ses pieds ,


pour qu'elle n'aimât pas trop à courir ;
il la tira de la côte, de l'innocente côte

de l'homme ; et malgré tant de précau-


tions , elle eut un peu de tous ces dé-

fauts -là niề

ini

of up , int)

Sidrover Lob
TOT

slit al ob writ of tiring tufor an It

ben olla'mp up shil'f ob


zure of la ofurpos
ob to F5 Mani on ollup
-no fit an islop nog oblivio pa

OND CONTE IZ.


aboln

LES JOYAUX.
Now of ab evil at li

-unduq sb tand

endant que le

jeune Égyptien
contait ainsi ,
P
Rina, et sa fille
Omra , que le

prince avait fait

appeler pour prendre part aux récits


de l'assemblée , venaient d'entrer , et
entendirent le portrait peu flatteur que
LES MILLE ET UN CONTES. 109

Briam -Sahet avait tracé de la femme.

-Vous rabaissez furieusement notre

sexe,lui dit la dame nourrice, fort offen-


sée ; l'histoire de votre pays nous a trai-
tées plus favorablement que vous, et ne

nous a pas attribué toutes ces vilaines

qualités que vous venez d'étaler avec


tant de complaisance .

Et quelle est cette histoire , ma


bonne Rina, lui demanda le prince?

-La voici, mon cher prince.

Le prêtre Malibor fut un des plus

grands et des plus savants docteurs de

son temps. Son mérite l'ayant élevé à la


dignité de chef de l'école célèbre d'A-
lexandrie, il fut chargé, en cette qualité,

d'enseigner à une foule de disciples les


hautes sciences. Malibor était l'homme

le plus content de son sort ; il n'y avait

pas sous le soleil un plus heureux couple


110 LES MILLE ET UN CONTES.

que celui de ce docteur et de Liveda sa

femme . Car autant que le mari l'em-


portait, par son instruction et sa science,

sur les autres hommes , autant l'épouse


était supérieure aux autres femmes, par
sa sagesse et sa vertu.dila ng nanon

09 Leur union fut aussi la plus parfaite


de toute l'Égypte ; ils s'aimaient tendre-

ment , même dans un âge assez avancé.


Sans ambition ils vivaient contents ; ils

s'estimaient heureux parce qu'ils avaient


trois fils, tous trois d'une taille avanta-
geuse et très-versés dans la connaissance

de la philosophie . ? qo

Mais qu'est-ce que le bonheur hu-


main? Un fantôme incertain et fugitif.
Nous sommes tous sur la terre , non

pour le saisir, mais pour l'entrevoir en

passant. Un jour pendant que Malibor


siégeait tranquillement dans la chaire
LES MILLE ET UN CONTES. 111

de la sagesse et instruisait ses disciples


avides d'apprendre , ses trois enfants
moururent subitement. Liveda les prit,
les emporta au galetas, les mit sur le lit

nuptial , et étendit sur leurs cadavres ,


un linceuil blanc. ausd

Le soir, Malibor revient à la maison.

Où sont mes fils , demanda-t-il, je


veux leur donner ma bénédiction ?
-Ils sont allés à l'école d'instruction ,

fut la réponse de la mère désolée.


J'ai regardé autour de moi , répli-

qua-t-il, et ne les ai pas aperçus .


Liveda lui présenta un gobelet de vin

sacré ; le prêtre loua le Seigneur. Il but


et demanda de nouveau :

Où sont les enfants, qu'ils boivent


aussi du vin de la bénédiction?

Ils ne sont pas loin , mon ami, dit


la vertueuse épouse ; et elle lui présenta
112 LES MILLE ET UN CONTES.

à manger. Il était de bonne humeur :

quand il eut récité , après le repas , son


action de grâces, elle lui dit : STAR
Mon ami , permettez - moi une
question? we birata to Inisqua
Parlez , ma chère amie , répondit
le prêtre avec bonté.cola
-
Il y a quelque temps , reprit Li-
veda , que quelqu'un me confia des
joyaux pour les lui garder ; maintenant il
me les redemande , dois-je les lui rendre?
-Ma femme n'aurait jamais dû faire

une pareille question , dit Malibor un


peu fâché; pouvez - vous hésiter un in-
stant à rendre à chacun ce qui lui

appartient ?
Oh non , mon bon ami , répartit
Liveda, mais je ne voulais pas faire
cette restitution sans t'en donner con-
naissance.
LES MILLE ET UN CONTES . 113

Elle dit , et d'une main défaillante

elle prit son mari par le bras et le con-

duisit en silence au galetas ; elle s'avança


d'un pas chancelant et tira le linceuil

qui couvrait les cadavres .


Ah! mes enfants , s'écria le père
dans sa douleur , mes enfants et mes

maîtres . Je vous ai donné le jour ; mais


vous avez éclairé mes yeux dans la sa-

gesse. Mes fils ! mes fils ! ô mes fils !


La pauvre mère sentit pendant un
moment son courage l'abondonner , et

se retira dans un coin et pleura . Mais


bientôt surmontant sa douleur , elle dit

avec calme :
Serviteur de Dieu , ne m'as -tu

point appris que l'on ne pouvait se

refuser à rendre ce qui nous avait été


confié en garde? Vois ; le Très-haut nous

les a donnés pour les lui garder ; il nous

15
BIBL. UNIV .
I. GENT
114 LES MILLE ET UN CONTES.

les a repris aujourd'hui , il faut nous


résigner.
Le malheureux père , entraîné par la
haute vertu de sa femme, chercha à se
soumettre aux décrets du Tout- Puissant.
Il les fit enterrer le lendemain et se
consola dans l'amour de sa vertueuse

épouse pour laquelle il avait une espèce


de culte.

Celui, dit-il souvent, qui a reçu en


partage une femme comme la mienne ,

possède un trésor plus grand que des

perles précieuses . Elle embellit sa vie


par ses vertus , et le rend heureux, par
ses bontés. Jamais elle n'ouvre sa bou-

che qu'avec sagesse ; une instruction


gracieuse , une consolation agréable ,

sont toujours sur sa langue.


LE VOYAGEUR ET LE DATTIER..

près l'anecdote de la

bonne Rina, qui fut


en général écoutée

avec attendrissement , le prince


fit signe à Omra de parler , et

cette belle et jeune fille , pour se


conformer aux ordres de son

noble frère de lait, commença


de la sorte, avec un visage riant :
116 LES MILLE ET UN CONTES.

-Prince, l'histoire que nous venons


d'entendre est une défense victorieuse

contre l'attaque du seigneur Biam-


Sahet ; je félicite ma bonne mère d'a-
voir été si bien inspirée. Pour moi , je

ne pense pas qu'il soit de la dignité de


la femme de répondre à de pareilles
sorties. Aussi, au lieu de vous entretenir

de la vertu de mon sexe en particulier,

je vous parlerai de la bienfaisance des


hommes en général .

Un voyageur qui avait erré longtemps

dans un désert, et qui se trouvait accablé


par la faim , la soif et la fatigue , aper-

çoit tout à coup dans un lieu voisin ,


un beau Dattier au pied duquel un petit
ruisseau faisait entendre un doux mur-

mure. L'étranger épuisé par la fatigue


se plaça sous l'arbre, en cueillit quel-

ques fruits et reprit vigueur. Pénétré de


LES MILLE ET UN CONTES . 117

reconnaissance pour cette apparition


inattendue , il se tourna vers l'arbre

bienfaiteur :
Beau Dattier , dit-il , quelle béné-
diction puis -je te donner ? Dois -je te

souhaiter de grands rameaux , un su-


perbe feuillage , un ombrage rafraîchis-
sant ? tu as déjà tout cela . Des fruits

exquis en abondance ? tu en es chargé ;


un ruisseau vivifiant qui féconde tes

racines ? cela ne te manque pas non


plus . Quelle bénédiction puis -je donc

te donner ?
- Que d'autres personnes viennent
aussi se reposer sous mon ombrage et
se récréer de mes fruits, lui répondit le

Dattier.
Le véritable bienfaiteur ne veut pas
d'autre récompense que de faire encore

le bien.
ஜல்

CONHH KI.

HISTOIRE D'UN ESCLAVE BORGNE.

bocype voyant que cha-


I cun de ses collègues avait

rempli la tâche qu'il

s'était imposée et que


c'était lui seul qui n'a-

vait pas encore accompli son engage-


ment, se mit aussitôt en devoir de con-

ter l'histoire suivante :

Un riche Grec, qui demeurait à une


LES MILLE ET UN CONTES. 119

grande distance d'Athènes , avait un


fils unique . Il l'envoya dans cette ville
pour y faire ses études. Après y avoir
passé trois ans, le jeune homme vit qu'il

ne faisait aucun progrès , et résolut de


s'en retourner chez lui. Mais il lui man-

quait un esclave pour l'accompagner


dans son voyage. Il alla au marché et en

acheta un. Lorsqu'il en eut payé le prix


et qu'il eut bien examiné son acquisi-
tion, il trouva à son grand étonnement
que l'esclave qu'il venait d'acheter était

borgne .
-Imbécile que tu es, s'écrie-t-il en
colère contre lui -même, voilà de belles
preuves de ton savoir-faire ! j'ai étudié

ici pendant trois ans, et à la fin toute la


science que j'y ai puisée se réduit à ache-

ter un esclave borgne !


--Sois sans inquiétude,jeune homme ,
120 LES MILLE ET UN CONTES .

lui dit le vendeur ; fie-toi à moi : bien

que cet homme là soit borgne , il voit

mieux que d'autres qui ont deux yeux.


Le Grec s'en retourna donc avec son

esclave. A peine avait-il fait quelques


pas que l'esclave lui dit :

- Marchons plus vite, seigneur maî-

tre, nous rejoindrons un voyageur qui


n'est pas fort loin de nous.
Je ne vois aucun voyageur, répartit
le maître.

Ni moi non plus , répliqua l'es-

clave ; mais je sais qu'il n'est qu'à une

lieue à peu près de nous.


Esclave , tu es un sot , lui dit

le Grec ; comment peux-tu savoir ce


qui se passe à une si grande distance ,

tandis que tu ne peux pas bien voir


même ce qui se passe devant toi ?

- Je ne suis pas un sot , reprit l'es-


LES MILLE ET UN CONTES . 121

clave ; la chose est telle que je vous le

dis. Il y a plus : le voyageur est accom-


pagné d'une ânesse qui est borgne
comme moi ; il lui manque une dent sur

le devant ; elle est pleine de deux ânons ,


et porte deux paniers dont l'un est rem-

pli d'eau et l'autre de vinaigre.den


-Arrête, bavard et ennuyeux imbé-
cile , lui dit le jeune homme qui com-
mençait alors à être sérieusement fâché ;
je vois que mon acquisition devient de

plus en plus mauvaise . J'ai cru que tu


n'étais que borgne , mais tu n'es pas
plus sensé. on to tremoluce bo no'b

io Allons , mon maître, un peu de


patience et tu verras que je t'ai dit la
ranth
vérité, répartit l'esclave.podo
Ils allèrent et rejoignirent bientôt
le voyageur. Les Grech trouva , à sa

grande surprise , tout ce que l'esclave

16

1.
122 LES MILLE ET UN CONTES.

lui avait annoncé : il le pria de lui dire


comment il avait tout su , sans avoir vu
ni l'ânier ni l'ânesse. ab ing

Je vais te le dire , seigneur mon


maître , lui répondit l'esclave. J'ai d'a-
bord observé la route, et j'ai remarqué

les traces de pas d'homme et d'âne ; j'en


ai conclu qu'un voyageur accompagné

d'une bête n'était pas bien loin de nous;


car autrement leurs traces n'auraient

plus été dans le cas d'être aperçues. J'ai


vu ensuite que , dans le chemin qu'ils
avaient tenu, l'herbe n'était broutée que
d'un côté seulement et non de l'autre ;

j'en ai tiré la conséquence que l'animal


était borgne. J'ai aussi remarqué que ,

dans l'herbe qu'il a broutée , il en est


resté au défaut de sa dent ; cela m'a fait

juger qu'il lui manquait une dent. Plus


loin, nous arrivâmes sur un terrain sa-

0
LES MILLE ET UN CONTES. 123

blonneux, et d'après l'empreinte que la


bête avait laissée dans le sable, j'en in-
férai qu'elle était pleine. Quant à l'eau

et au vinaigre, j'ai aperçu des deux côtés

du chemin, des traces que les liquides


avaient faites ; les unes présentaient de
simples marques d'humidité , d'autres

offraient de petites bulles colorées, cau-

sées par la fermentation ; j'ai , d'après


ces signes , déterminé les sortes de li-

quides dont l'ânesse était chargée.


Le jeune Grec fut tellement étonné
de la sagacité et de l'adresse de son
esclave, qu'il se trouva heureux d'avoir

fait une si bonne acquisition , et il lui

témoigna désormais les plus grands


égards. Usi
lomp ce te
TFOD EU 13 TL 851

al sup ofniorque'l qab to zoomold


- no sidea of ereb odaial disyn etód

Estas aisle tists offe'up invol


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esbiupil sol oup sont ob nimodo nb

ob ingickCONTE ZII osv


la'bibimdb expnir colquie

-GoofoLE SERPENT 55 triaillo


efiqob is hoisinemot sl say node.

-if ob astros and broth , ongis ess

odganda Jinto seal taob anbiop

els furent les

premiers contes
que les bons nar-
rateurs firent à

leur jeune maî-


tre ; après quoi
le prince, voyant qu'il était temps de se
retirer , renvoya chacun dans son appar-
LES MILLE ET UN CONTES. 125

tement : on lui obéit avec d'autant plus

de plaisir, qu'on avait besoin de repos.


Le jour suivant , après que Yakara
eut passé fort agréablement la matinée
en se promenant et en chassant dans le
parc, il se rendit au salon . La table était

chargée de mets , la gaieté la plus com-


municative régnait parmi les convives .
Le dîner fini , les musiciens prirent

leurs instruments , et de jeunes danseurs


exécutèrent dix à dix, vingt à vingt, des
danses charmantes . Le chant suivit la

danse jusqu'à ce que le prince jugeât à


propos de la faire cesser. On passa alors

sous une tente magnifique ; des tapis de


différentes couleurs ornaient la grande

salle découverte , destinée aux confé-

rences des conteurs. Des boîtes d'argent


et d'or, pleines de bétel ; des fioles d'es-
sence de rose étaient disposées symétri-
126 LES MILLE ET UN CONTES.

quement. Milles vases de bouquets et des


guirlandes de fleurs avaient aussi leur
place choisie. Là, chacun des sages con-

tribua , suivant ses moyens , à l'amuse-


ment du jeune prince ; on discuta , on

improvisa, on conta des histoires. C'est


de cette manière que Yakara passa l'é-

poque fatale désignée par le destin. On


a rapporté fidèlement tous les contes
qui furent faits chaque jour , sans re-
trancher ni ce qui fut dit avant et après

la narration principale, parce que cela


sert à faire connaître l'esprit de cette

célèbre compagnie . il a ab engang


Le lendemain done , après le dîner, la

musique, la danse et le chant, le prince

Yakara reprit la parole et pria Barmira


de vouloir bien poursuivre le cours des

récits . Voici par quelles réflexions ce


sage Syrien débuta into orod
127
LES MILLE ET UN CONTES .
o Peu de choses sont aussi difficiles

que de dire du bien d'autrui , et rien


n'est plus facile que d'en dire du mal .

Si l'on commence dans une société à jeter


quelque blâme sur son prochain , aussi-

tôt on intéresse , on plaît , et la conversa-


tion s'anime ; mais si quelqu'un hasarde
un mot à son avantage , on ennuie , la

conversation languit, un morne silence


règne dans l'assemblée . Aussi n'est -il

point de conversation , tant soit peu


soutenue , dont le fond ne soit la médi-

sance ou la calomnie. Le bien que nous


disons d'autrui ne filtre qu'avec lenteur
à travers les obstacles de la médisance ,

tandis que le mal se répand avec une


rapidité incroyable . Je ne sais quel mo-

raliste compare la calomnie à un spectre

gigantesque qui détruit ici et propage


sa meurtrière influence jusqu'au delà
128 LES MILLE ET UN CONTES .

des mers , et cela souvent sans autre

profit que celui de nuire sub sb surp


On demandait un jour au serpent :

Quel avantage trouves-tu à ôter la


vie à autrui ? Le lion tue et dévore sa

proie , le loup l'égorge et l'engloutit ;


d'autres bêtes féroces étranglent et dé-

chirent , mais c'est pour assouvir leur


faim ; toi seul tu mords d'innocentes

victimes et tu répands dans leurs veines

un poison mortel , sans avoir d'autre


plaisir que ela cruelle satisfaction de
nuire up noid al singolo ni no somes

Pourquoi me faites - vous cette

question , répartit le reptile ? demandez


plutôt au calomniateur, quelle jouis-
sance il éprouve quand il répand son
venin et blesse mortellement ceux qui

ne lui ont jamais fait de malapetasgig

lab ' upant consului avoitus Be

$
27000 20 TR DE 17

segques à HOT ST
ab nd t i
-fi mu l socio

ob oldulo II olugo'b into hud


noftrouby on oppio sa ne snueb
smá silno el to enutro? má smolnos

Said CONTE XIII.mord wh

casid con mayor queun upbr


LE TESTAMENT. I jalinsarqués

près avoir écouté son


ami , le sage Chinois
se mit en devoir de

Conter à son tour l'histoire que

voici : savs ' palit


Dans le pays de Gaor, vi-
vait autrefois un brahme nommé

Taley - Sarma , qui après avoir

isp , été plongé dans la misère , se

17
130 LES MILLE ET UN CONTES.

vit tout à coup , par un concours de


circonstances heureuses élevé à un bril-

lant état d'opulence. Il résolut alors de


donner à son fils unique une éducation
conforme à sa fortune et le confia à un

des hommes le plus lettrés de Chine.

Quelques années après, voyant ses biens

augmentés , il forma le projet d'entre-


prendre des voyages lointains, pour con-
naître les mœurs et les usages des peuples
de la terre. Car c'était un homme très-

savant et plein d'esprit.


Chemin faisant, il tomba tout à coup

malade, et voyant sa fin approcher, sans

pouvoir déposer en mains sûres l'héri-


tage de son fils qu'il avait laissé derrière
lui en Gaor, il fit par testament une
donation de tous ses biens à un de ses

esclaves, dont il désigna le nom. Il y mit


seulement la condition que son fils , qui
LES MILLE ET UN CONTES. 1311

selivrait à l'étude, pourrait choisir, dans


la masse de la succession, un seul objet,

qui lui ferait plaisir. 03:0

A peine le maître fut - il mort, que


l'esclave s'empara de toute sa fortune ; et

tout fier de la perspective d'une grande


richesse, il retourna en Gaor, n'oubliant

point d'emporter avec lui, comme on le


pense bien, l'acte de donation . Il alla

trouver le fils de Taley-Sarma, et lui dit :

-Ton père est mort en voyage ; et


par testament il m'a institué légataire
universel de tous ses biens, avec la con-

dition spéciale, que tu peux choisir un


objet dans la succession. Telle est la der-
nière volonté de ton père. 1971 )

Le jeune homme fut profondément


affligé en apprenant une nouvelle aussi

inattendue, il déchira ses vêtements, ré-

pandit des cendres sur sa tête et déplora


132 LES MILLE ET UN CONTES.

la perte de son père, qu'il aimait tendre-

ment et dont il révérait toujours la mé-


moire. inly is in imp
Toutefois, quand les premières explo-
sions de la douleur furent passées , les
sacrifices accoutumés offerts et le temps

du deuil expiré, le jeune homme com-


mença à penser sérieusement à la triste

position où il se trouvait. Élevé dans

l'espoir de recueillir , après la mort de


son père, une fortune à laquelle il avait
droit de former les plus justes préten-

tions, il se vit tout à coup trompé dans


ses espérances et dans ses vues d'avenir.

Dans cette disposition d'esprit , il alla


trouver son maître d'études , vieux

brahme aussi renommé par ses connais-

sances que par sa profonde pénétration,


Il lui raconta tout son malheur, lui fit

lire l'étrange testament, et dans l'amer-


LES MILLE ET UN CONTES . 133

tume de son cœur, il se plaignit haute-

ment de ce que son père, par une sin-


gulière disposition , avait prouvé qu'il
n'avait aucune bonne intention , aucun

amour pour son fils.de nomresincs

Ne parle pas ainsi de ton père ,


jeune homme , lui dit le docte maître ;

Taley-Sarma était un homme sage , un

père tendre, il t'en a donné la preuve


la plus convaincante
ce testa-
par
ment même . oqotoboom Jasin
Par ce testament ! s'écria le disci-

ple ; vraiment mon maître, tu ne parles


point sérieusement , Comment , laisser

ses biens à un esclave , et dépouiller son


fils de son droit héréditaire ; je ne vois
ici ni sagesse ni amour.no al l

Ton père n'a rien fait de ce que

tu dis-là, lui répliqua l'excellent maître;

il t'a assuré sa fortune en père juste et


134 LES MILLE ET UN CONTES.

bon, si tu as assez d'esprit pour t'en

mettre en possessione up of inso


h → En possession ! en possession ! ré-

partit le jeune homme avec vivacité ;


comment , mon cher maître , comment

puis-je faire cela Penyong

Tu n'as qu'à bien choisir l'objet

que le testament t'accorde , reprit le


sage brahme.oh s no's li obal ng

Bien choisir l'objet que le testa-


ment m'accorde ! répéta le disciple, avec

étonnement ; en vérité, mon précepteur ,


je ne te comprends pas . Jis jok

TS - Eh bien ! écoute-moi, jeune homme


sans pénétration , dit le maître, et tu trou-

veras des motifs pour admirer la sagesse


et la prévoyance de ton père. Lorsqu'il
a vu au milieu de ses voyages qu'il

devait faire la route que tous les mor-


tels doivent parcourir tôt ou tard, il a
LES MILLE ET UN CONTES. 135

pensé ainsi en lui-même sans doute :

Voici l'heure où je dois mourir et

rejoindre mes ancêtres ; mon pauvre fils


est trop éloigné de moi pour recueillir

ce que je possède; aussitôt que mes


esclaves s'apercevront que je ne suis

plus , ils sont capables de piller mes


biens , et pour ne pas être découverts ,
dé cacher ma mort à mon cher enfant ;

ils ne lui donneront pas même la triste


consolation de pouvoir déplorer mon
trépas.ugibalnath & bonnie-
Pour éviter le premier danger , il

légua tout son avoir à un de ses esclaves

qui devint intéressé à le bien conserver.


Pour obtenir le second résultat , il mit

pour condition qu'il serait permis à son

fils de choisir quelque chose dans la


succession.

L'esclave se disait - il probable-


136 LES MILLE ET UN CONTES.

ment, se rendra aussitôt dans ma patrie,


se présentera devant le juge pour assu-
rer son droit et il ne manquera pas de

faire connaître promptement son titre,


comme il l'a fait en effet.ogo up 30

-Bien , bien , interrompit le jeune


homme, plein d'impatience, mais à quoi
tout cela servira-t-il ? cela me sera-t-il

de quelque secours pour recouvrer la


fortune dont j'ai été dépouillé si injus-
tement ? rofqub soyuq ob modeloenos

Patience, ô disciple indigne de la


sagesse, répondit le docteur , ne sais - tu

pas que tout ce qu'un esclave possède


appartient à son maître? Et ton pré-

voyant père , ne t'a-t-il pas laissé la fa-


culté de prendre dans son héritage un

objet qui pourrait te convenir ? Eh bien,


qui t'empêche maintenant de choisir
l'esclave lui - même comme ta portion
LES MILLE ET UN CONTES. 137

héréditaire, et une fois en possession de

l'esclave, tu peux former des prétentions


à la totalité de la succession , et telle
était en vérité la volonté de ton excel-
lent père.

Le jeune homme, saisi d'admiration

pour la sagesse et la prévoyance de son


père, pour la prudence et la pénétration

de son maître, profita de cet avis, et prit


l'esclave pour l'objet qu'il avait, suivant

le testament , à choisir de l'héritage de

Taley-Sarma . Par ce moyen il se mit en

possession de tous les biens de son père


et devint un des plus riches brahmes de
son pays. Cependant, comme il n'était

pas ingrat, il accorda la liberté à l'esclave

qui lui avait conservé sa succession ,


ainsi qu'une somme d'argent assez con-
sidérable pour le mettre en état de vivre

indépendant et heureux .

18
I.
CONHH HIV.

LE BANQUET.

Xe Chinois avait cessé de par-


ler et l'on avait beaucoup

admiréla prévoyance pleine

de sagesse de Taley-Sarma,
etla pénétration du précepteur de son fils,
lorsque le prince commanda à Abou-
Békir de conter à son tour quelque
chose. Volontiers , prince , répondit - il

d'un air grave ; puis il prit incontinent


LES MILLE ET UN CONTES . 139

la parole et raconta l'histoire sui-

vante :
Il y eut autrefois unroi qui invita tous

ses courtisans à un banquet somptueux ,


sans leur désigner l'époque où ce grand
festin devait avoir lieu. Cependant parmi
tous ces grands il y avait des hommes

sensés qui se dirent à eux-mêmes :


-Le monarque n'a pas, il est vrai ,

indiqué précisément le jour où nous


devons paraître à sa table , mais dans le

palais d'un prince on ne manque jamais


de rien ; le banquet peut être prêt à
chaque moment , et d'un instant à l'au-

tre nous pouvons y être appelés .


C'est pourquoi ils allèrent aussitôt se
baigner , se revêtir de leurs plus beaux

habits et attendre à la porte du palais .


Mais il y en avait d'autres moins sages

qui se dirent entr'eux :


140 LES MILLE ET UN CONTES.

Un festin si somptueux ne se fait

point sans préparatifs . On n'aperçoit


encore ni échansons ni cuisiniers ; au-

cune nappe n'est apprêtée , aucune


table n'est arrangée . Allons à nos plai-

sirs ; quand les apprêts du banquet


commenceront , nous aurons tout le

temps de nous préparer.


Et ils allèrent s'ébattre au loin.

Tout à coup le hérault du roi an-

nonça , au son de la trompette , que le


banquet était prêt , et que les convives
devaient s'y rendre sans retard. Les cour-

tisans sages s'y présentèrent en grande


toilette et furent bien accueillis , tandis

que les autres, en mise négligée, le furent


très-mal.

Vous qui vous êtes préparés pour


mon banquet, dit le roi, prenez place à
côté de moi ; mais vous qui n'avez point
‫سر‬

LES MILLE ET UN CONTES. 141

fait attention à mon invitation , sortez

d'ici, que je ne vous trouve plus devant


mes yeux .

Or, le roi, c'est le Roi des rois, le Sei-


gneur dont le nom soit à jamais béni : le

banquet, c'est la vie éternelle, pleine


d'une béatitude céleste ; les courtisans
invités sont les mortels. Leurs habits dé-

notent leurs actions d'ici-bas ; le hérault,


c'est l'ange de la mort, qui nous appelle
soudain à la félicité éternelle : les hom-

mes vertueux sont les sages qui s'y pré-


sentent couverts de bonnes œuvres , et

sont reçus en triomphe, tandis que les


impies , uniquement occupés de leurs
plaisirs , sans se préparer par aucune
bonne action, sont les sots chassés de
devant le trône du roi..

sballo
sensitiva nonobestly )

gable CONTE ZV. Jed

LE NOUVEAU JOSEPH.

oilà une allégorie bien

morale , dit Yakara.

Oui , prince, lui


répondit Soubaya, mais
voici une histoire qui
ne l'est pas moins . Too

-Versana , reine de l'Inde, eût été

sans contredit , la femme la plus jolie de


son temps, si Naya , sa belle-fille, ne lui
LES MILLE ET UN CONTES. 143

eût disputé cet avantage. Aussi, conçut-


elle une si violente jalousie contre
Naya , qu'elle exigea du roi son époux,
qu'il la fit mourir sans pitié. Le prince
faible et soumis eut la barbarie de sou-
scrire à l'ordre de sa femme dénaturée.

Il mit la pauvre enfant entre les mains

d'un esclave de confiance , et lui com-

manda de la tuer dès qu'il se trouve-


rait avec elle dans quelque lieu peu
fréquenté , et de ne pas revenir qu'il

n'apportât ses habits pour preuve de


l'exécution de l'ordre qu'il lui don-
nait.

L'esclave partit avec la belle Naya dès


le lendemain , et il arriva vers le soir

dans une vallée profonde et solitaire ,


bordée de hautes collines et couverte

de bois . Ce lieu lui parut propre à l'exé-


cution des ordres de son maître. Il tira
144 LES MILLE ET UN CONTES.

son cimeterre, et saisissant la jeune fille


par le bras :

- Naya , lui dit - il , recommandez


votre âme à Brahma, il vous faut mou-

rir sans aller plus loin. i s'dub


-Ciel ! s'écria-t-elle tout épouvantée ,

que t'ai-je fait, misérable, pour vouloir


m'assassiner? Suspends , ô barbare , ta

cruauté pour un moment ! Dis-moi, de

grâce, avant de me tuer, en quoi je t'ai


offensé, et ce qui te porte à vouloir m'ar-
racher la vie. diand an

Maîtresse , vous ne m'avez point

offensé ; j'ignore même si vous avez


offensé votre père ; mais c'est lui qui
m'a commandé de vous assassiner sans

pitié, et de lui rapporter vos vêtements,


pour marque de mon obéissance . Plût à
Vichnou que je pusse m'en dispenser !

Ah ! mon ami , dit la jeune fille


LES MILLE ET UN CONTES. 145

en pleurant , je prends Siva à témoin

que je n'ai jamais rien fait à mon père


qui mérite un châtiment si cruel. Je te
demande la vie. Ne te rends pas coupable

d'un homicide pour plaire à un maître


si barbare. Je voudrais pouvoir te faire
lire dans le fond de mon cœur ; tu en

aurais pitié , le voyant innocent : mais


sans chercher à me justifier , daigne
écouter ce que je vais te dire : tu peux

me sauver et contenter mon père déna-


turé ; prends mes habits et donne-moi

seulement une partie des tiens. Il croira


sans peine que tu m'as tuée. Je te jure,
par cette vie que je te devrai, de m'en
aller si loin, que ni toi , ni lui , ni per-

personne de ce pays n'entendra jamais


parler de moi.
L'esclave avait trop de répugnance à

l'assassiner, pour ne pas se laisser fléchir.

19
I.
146 LES MILLE ET UN CONTES.

Il prit les habits de sa jeune maîtresse,


lui donna une partie des siens , et la
laissa dans cette vallée , en lui recom-
mandant de se sauver, si loin que son

maître n'entendit jamais parler d'elle.


De retour à la maison , le roi lui de-
manda s'il avait été fidèle à remplir

l'ordre qu'il lui avait donné. S


ong- Seigneur, répondit l'esclave, en lui
présentant les vêtements de sa malheu-

reuse fille; en voici les témoignages. J'ai

vu de mes propres yeux des tigres qui


commençaient déjà à prendre soin de

la sépulture de votre enfant. Le roi porta


aussitôt les vêtements de sa fille chez la

reine sa femme, qui lui donna en récom-


pense un sourire de satisfaction.

Pendant que Varsana récompensait

ainsi ce cruel service, l'infortunée Naya


un peu calmée de sa douleur, par l'idée
LES MILLE ET UN CONTES. 147

d'avoir échappé à la mort, se hâte de

sortir de la vallée qui avait failli lui


devenir si funeste . Elle gagna une petite

ville, où elle passa la nuit. Son premier


soin fut de couper ses cheveux qu'elle

avait très-longs et très-beaux . Puis elle


rajusta l'habillement qui la couvrait, et
ainsi déguisée en homme, elle se mit en
route avant l'aurore. La crainte d'être

reconnue la fit courir tout le jour et


toute la nuit sans suivre de chemin
assuré .

Les premiers rayons du soleil qui


frappaient l'horizon , lui firent décou-
vrir une grande ville. Incertaine , elle

tourna ses pas de ce côté. Quelle fut

sa joie , lorsqu'elle vit un navire qui


était à la rade proche de la ville. Naya

ne l'eut pas plutôt aperçu, qu'elle cou-

rut auprès du capitaine . Elle causa


148 LES MILLE ET UN CONTES.

quelque temps avec lui et le pria de la


prendre à son service ; ce qu'il fit d'au-
tant plus volontiers , qu'il avait juste-
ment besoin d'un domestique. Le marin
fut si content de son service et de son

intelligence, qu'il se félicitait de ce que


le hasard lui avait fait rencontrer un si

bon sujet. Alle diet


Le temps était beau, le vent favorable,
le vaisseau qui était chargé pour l'île de
Kisch, partit, et fit, durant les deux pre-

miers jours , une navigation heureuse.


Mais à peine eut-on atteint le troisième ,

qu'il s'éleva une tempête violente. Le


vaisseau fut tellement agité , que tout le

monde se crut perdu . Cependant, par


la bonne manoeuvre des matelots , on

soutint encore quelque temps l'effort de

la tourmente ; mais elle augmenta si fort


et devint si furieuse, que vers la nuit les

$
LES MILLE ET UN CONTES. 149

pilotes ne savaient plus où l'on était ,


tant le ciel était chargé de nuages et la

nuit obscure. Le navire n'allant plus


qu'au gré des vents , était poussé vers
l'île d'Avale lorsqu'on s'aperçut qu'il
s'ouvrait. A la vue de ce péril inévitable,
chacun n'est occupé que de sa propre

vie; le capitaine, les pilotes et les mate-

lots , se croyant moins exposés dans la


chaloupe se hâtent d'y descendre. Le
reste des hommes de l'équipage s'y
jette aussi en foule , sans craindre la

pointe des cimeterres que leur présen-


taient ceux qui étaient entrés les pre-
miers. Il ne resta dans le vaisseau que

Naya et quelques autres femmes , que


personne ne songea à secourir . Heureu-

sement le vaisseau quoiqu'entre ouvert


et faisant eau de toutes parts,fut emporté

par le vent , sur un banc de sable peu


150 LES MILLE ET UN CONTES.

éloigné du rivage de l'île d'Avale. Il fut


toute la nuit battu des vents et des flots

sans en être ébranlé. ojo la

Aux premières lueurs de l'aurore, les


vents cessèrent et la mer devint calme.

Le soleil était déjà sur l'horizon , lorsque

la pauvre Naya et les femmes de l'équi-


page revinrent de l'évanouissement où
l'effroi de leur situation les avait plon-

gées . Elles se jettèrent aussitôt à genoux


pour remercier le ciel de les avoir sau-
vées d'un si grand péril.
Un chef de corsaires vint interrompre

leur prière. Il n'eut pas plutôt aperçu

le navire fracassé, qu'il se rendit avec

ses gens armés pour s'en emparer. Il


eut bientôt atteint le vaisseau, enchaîné

les malheureuses femmes et pris tout

ce qu'il trouva de valeur ; il s'enfuit

avec sa capture. Quelque temps après


LES MILLE ET UN CONTES. 151

il vendit les femmes à des marchands


d'esclaves et ces nouveaux maîtres les

menèrent avec eux à Ormus, où un riche

seigneur appelé Atubo acheta Naya et la


prit à son service. On devine aisément
qu'elle cacha son sexe et son nom.quob

Bientôt Naya, toujours déguisée en

homme, gagna l'affection de son maître,

qui lui donna toute autorité dans sa


maison, et lui adressa ses biens à régir.
Par son activité et son intelligence , tout

lui prospéra tellement , que la fortune


d'Atubo s'accrut d'une manière rapide.

L'épouse de son maître , la passionnée


Belisa, charmée de son esprit et séduite

par sa beauté , brûla pour lui d'un


amour ardent. En vain elle le pressa de

partager sa flamme, en vain, par ses re-

montrances Naya tâcha de calmer sa

passion. Un jour, pendant l'absence de


152 LES MILLE ET UN CONTES.

son mari , se trouvant seule avec lui, la


maîtresse tremblante et rouge de honte,
lui dito nero
Mon ami, il me sied mal , sans
doute, de vous faire un aveu que la pu-

deur condamne ; mais une passion aussi

violente que la mienne, se met au-dessus


des bienséances ; oui , je ne crains pas
de vous l'avouer de nouveau, l'amour a

blessé mon cœur d'un trait enflammé ,

allumé le sentiment le plus tendre et le


plus vif pour vous . De grâce prenez pitié
d'une femme qui ne saurait vivre plus
longtemps sans vous...

Les larmes qu'elle répandit à ces mots,

l'empêchèrent de continuer. Elle voulut

vainement reprendre la parole , l'excès

de sa passion avait étouffé sa voix altérée


et tout à fait décontenancée , elle n'eut

que la force de se jeter dans les bras de

$
LES MILLE ET UN CONTES. 153

son esclave , les yeux à demi - fermés et


étincelants de volupté. o'n c

Naya, surprise et craignant de faire


connaître son sexe , chercha d'abord à
la calmer avec tendresse, puis la repousse
avec force en lui disant :

A quoi pensez-vous, ma maîtresse,


et pour qui me prenez -vous ? vous savez
que mon maître a une entière confiance

en moi ; comment donc pourrai - je me

rendre coupable d'une infidélité envers


lui ? Non , je souffrirais plutôt la mort
que de faire un pareil outrage à mon
seigneur.mol

A cette réponse inattendue , Belisa


passant subitement de l'amour à la
fureur : Aerio de el aberg
-Misérable ! s'écria - t - elle, n'est- ce
pas assez d'avoir eu la honte d'étouffer

la voix de la pudeur, me faut-il encore

20
20
154 LES MILLE ET UN CONTES.

celle de me voir refusée? non, vil es-

clave , on n'outrage pas ainsi impuné-

ment une femme, et puisque tu ne


crains pas de m'exposer à mourir de
rage et de désespoir, tu en seras la vic-
time.
Elle dit , et d'une main tremblante

elle s'arracha les cheveux , déchira ses


habits et cria de toutes ses forces : p
-Au secours ! au secours ! un esclave

criminel en veut à mon honneur ! b

Aux cris de la maîtresse, tous ses gens

étaient accourus, qui la voyant éplorée

et fondant en larmes, ne doutèrent point

de la vérité du récit qu'elle leur fit.


Lorsque son mari fut de retour, elle lui
persuada la même chose. Atubo entra

dans une grande colère contre son es-

clave, et le fit enfermer dans la prison


en attendant l'instruction de son procès.
LES MILLE ET UN CONTES. 155

On lui mit les fers aux pieds et il fut


chargé de chaînes .

Le jour du jugement , Naya ayant


paru devant le souverain de l'île , ce

prince prit un ton sévère et lui com-


manda de faire le récit de l'aventure et

de dire sans aucun déguisement , de

quelle manière il avait outragé l'épouse


de son maître , le menaçant des plus
cruels supplices s'il deguisait en rien la
vérité. Le malheureux esclave, sans s'ef-

frayer de cette menace, protesta de son


innocence. Mais comme il ne voulait

point raconter au vrai la chose telle


qu'elle s'était passée , pour épargner sa
maîtresse, le juge le croyant coupable le
condamna au feu.

Déjà le bûcher était allumé ; déjà on y


conduisait le fidèle serviteur qui aimait
mieux être brûlé vif que de compro-

BIEL. UNIV.
GENT
‫سنى‬

156 LES MILLE ET UN CONTES.

mettre sa maîtresse , lorsqu'il l'aperçut


elle-même au milieu des spectateurs ;
non contente de l'avoir fait condamner

injustement, elle venait encore jouir de


son horrible vengeance . A cette vue , le

généreux dévouement de Naya com-

mence à s'ébranler , et dans l'excès de


son désespoir, il s'écrie d'une voix ter-
rible :

-Arrêtez , ne versez point le sang


innocent; je puis vous donner la preuve

la plus éclatante de l'imposture de cette


femme dénaturée qui, non contente de
m'avoir livré à sa vengeance sanglante ,
vient encore m'insulter dans mon mal-

heur.

A peine eut - il prononcé ces paroles


que, détachant son vêtement, il découvre
son sein et fait voir une femme aux yeux

du juge et du peuple étonnés .


LES MILLE ET UN CONTES. 157

Belisa ne sut que répondre ; la honte


et les remords lui fermèrent la bouche.

Son mari, reconnaissant la vérité la re-


jetta loin de lui , et loua hautement la

vertu et la fidélité de Naya. Il lui donna


la liberté comme la récompense la plus
digne d'une conduite dont l'histoire

nous offre peu d'exemples. Le souverain


de son côté, ayant appris le dévouement

et les malheurs de la femme la plus esti-


mable qu'il eût jamais connue , lui fit

donner des habits magnifiques et des


esclaves pour la servir . Sur sa demande,

il lui fit équiper un très-beau vaisseau

qui la mena dans sa patrie, après avoir


obtenu l'absolution du serment qu'elle

avait fait de n'y jamais retourner. Elle


y arriva sans accident et son père qui

l'avait pleurée si longtemps la reçut

avec des transports de joie. La reine


158 LES MILLE ET UN CONTES.

sa femme, que de violents et cuisants


remords avaient rongée depuis sa dis-

parution , se réjouit également de son


arrivée. Elle la combla d'éloges ; et ce

qu'elle lui donna en bijoux, vaisselle et


autres présents , fut estimé à plus de
cent mille pièces d'or. Elle en offrit la

moitié au bon esclave qui lui avait


sauvé la vie et obtint de son père qu'il
le mît en liberté .

Désirant ensuite réparer entièrement


son tort envers cette charmante victime;

le raja de l'Inde fit savoir à tous les


princes de l'Orient , tout ce qui s'était
passé, leur marquant qu'il désirait vive-
ment la marier à l'un d'eux .

Tous ceux qui l'avaient connue , en-


chantés d'apprendre qu'elle vivait en-
core, vinrent en foule se présenter à la
cour de l'Inde . Ils mirent tout en usage
159
LES MILLE ET UN CONTES .

pour plaire à la belle et gracieuse Naya;

mais ce fut le raja de Thibet , prince de

la plus heureuse physionomie, qui l'em-

porta sur les autres.


Après la fête des noces qui eurent licu

bientôt , le raja de Thibet s'embarqua


avec sa chère épouse . Ils arrivèrent en

très-peu de temps dans la capitale, où


ils furent on ne peut pas mieux accueil-

lis de leur sujets . Ils vécurent longtemps


dans la plus parfaite union , et eurent

des enfants et des petits -enfants .

$
sb sonity to lid sh jar of dil so ein
-molup simonbrydy carly af

dur own uoq


wilno in soon all

CONTI ZVI.
32

L'AVARE QUI TOMBE DANS UN PUITS,

tes do nolu alishug ulo nd

ous apprenons de Zo-


roastre, dit le spirituel
Bibé, auquel le prince

N venait de donner la

parole, qu'il n'y a pas


de vice qui rende l'homme plus stu-
pide que l'avarice . Quelle insigne folie
en effet que de toujours amasser et de
ne jamais jouir ! L'avare ne songe qu'à
LES MILLE ET UN CONTES. 161

accumuler l'or sur l'or, à ajouter bien


sur bien , sans en faire aucun usage ; il

est avide de posséder des richesses, sans


autre but que de les augmenter . Assis
près de ses trésors, il est inquiet et sou-

cieux pour les conserver , pour les gar-


der. Dur et insensible, il boit dans la
coupe de l'amertume. Il se refuse le
nécessaire et se condamne à vivre mal-
heureux au sein de la fortune. Rien ne

touche son cœur, il ne connaît que l'ar-

gent , souvent au détriment de sa répu-


tation, de son honneur et même de sa

vie.

Ces réflexions , prince, m'ont été sug-


gérées je ne sais comment par le souvenir
de l'histoire que je vais vous raconter.

Lorsque j'étais encore jeune, les pen-


sées de mon cœur m'engagèrent un jour

à changer le lieu de ma demeure pour

21
1.
162 LES MILLE ET UN CONTES.

la capitale de Perse, où j'arrivai après

quelques parasanges . Quand j'eus atteint


le palais du roi , et que je me fus pro-
mené dans le jardin royal , je vis au
fond d'une allée , un grand nombre de

personnes , au milieu desquelles était


un sage. J'entendis un homme de cette

multitude qui lui disait :


-S'il plaît à votre sagesse , il nous
contera un apologue qui ait pour objet

l'avare puni de son avarice.

Le sage prenant la parole, lui dit :


-Prête l'oreille ; écoute ce que tu as
demandé .

Un avare qui, pour épargner l'argent,


cherchait lui-même son eau journalière ,

tomba un jour inopinément dans le

puits. Ceux qui l'aperçurent se hâtèrent


de le secourir en lui criant d'un ton de

compassion :
LES MILLE ET UN CONTES. 163

Malheureux, donne ta main et tu


es sauvé !

-Donner! répartit vivement l'avare


en se lamentant ; donner, je ne puis pas
donner !

Il dit, l'eau le suffoque et il se noye.

A vous , Noam , dit le prince , c'est à


vous , mon vénérable maître , de nous
faire le récit d'un conte, s'il vous plaît.

- Volontiers , majesté , répondit le


Palestinien , mais que voulez-vous que
je vous raconte?
Une histoire du temps primitif,

comme vous nous en avez déjà conté une

si remarquable , répartit Yakara.


Le sage Noam commença aussitôt en
ces termes :
allo stint ad suo illaM

Fonnob
கர்
CONTE XVII . 16 (

L'ENIGNE DE LA VIE.

Jen's coming simone A


anon aliam offers not , 07
lacés dansun lieu

de délices , om-

bragé de beaux

arbres , et arrosé

d'eaux limpides,

nos premiers pa-


rents goûtaient
en paix tous les charmes attachés à une
heureuse union. L'homme beau et ma-
LES MILLE ET UN CONTES. 165

jestueux marchait joyeusement à côté

de la femme , qui , pleine d'attraits et


de grâces, le comblait de bonheur et de

félicité. Il se prosternait souvent devant


elle et lui disait avec effusion de cœur :
- Je t'aime, tu es ma vie, ma chère

vie.

Et elle le relevait en lui répondant de


même :

-Et moi je t'adore, tu es mon âme,


ma chère âme.
Mais bientôt un désir désordonné

s'insinua dans le cœur de la femme ;

elle soupira pour le fruit défendu , et

l'homme partagea avec complaisance le


désir de sa compagne. An
Aussitôt l'Innocence et la Félicité les

abandonnèrent , et ils devinrent sujets

à l'Envie et à la Jalousie, qui les rendi-


rent ennemis l'un de l'autre.
165 LES MILLE ET UN CONTES.

Ils s'enfuirent .

La femme seule et délaissée, fit éclater

son désespoir en poussant des cris lamen-


tables et versant un torrent de larmes.
L'homme accablé de misère et dé-

pourvu de toute consolation par l'ab-


sence de sa compagne , se livra d'abord
à la crainte et à la tristesse ; puis il se

releva et chercha celle qu'il avait nom-


mée sa vie.f

Il la rencontra au milieu de ses souf-

frances, et lui dit des paroles douces.

Elle les reçut avec empressement et


s'attacha de nouveau à lui. Bientôt ils

eurent des enfants , d'abord deux ju-


meaux mâles, puis deux autres jumeaux,
du sexe féminin. Beth

Alors l'homme prit le nom de Père


et donna celui de Mère à sa compagne ;

tous deux travaillèrent à multiplier leur


LES MILLE ET UN CONTES. 167

famille , par l'union de leurs fils et de

leurs filles.comdong anon ob zor any


Élevés dans la crainte et dans l'amour
du Seigneur, ces enfants offrirent leurs

hommage au Créateur, par des offrandes

et des prières, mais dans des dispositions


de cœur bien différentes. Les uns , bons

et généreux, invoquèrent le nom d'Oro-

mane ; les autres , avares et méchants ,


adorèrent Arimane. brabus tool

Aussi Dieu agréa les offrandes et les


prières des premiers , et rejeta celles des
derniers. Ceux-ci en conçurent une ex-

trême jalousie, qui les porta à haïr et à


persécuter ceux-là .

Les bons ne pouvant plus supporter


les violences des méchants, allèrent trou-

ver le Père ; et après l'avoir salué ils

lui parlèrent en ces termes :


O Père du genre humain , c'est à

$
168 LES MILLE ET UN CONTES.

vous que nous devons l'existence ; c'est


donc à vous de nous protéger. Une par-
tie de vos enfants nous tient dans la

plus cruelle oppression : intimez - leur


vos ordres, et faites cesser nos maux..!

Le père, après avoir écouté ces plain-


tes, alla avec les suppliants trouver leurs
frères et leurs sœurs ; il leur fit part de

ce qu'il venait d'apprendre et réprima


leur audace par des lois justes et sages ,

que voici :

-Il y a un Dieu ; Dieu est un ; aimez-

le constamment; implorez son assistance ;


faites le bien, évitez le mal ; cherchez la

vertu ; fuyez le vice ; respectez l'ami de


la vérité ; méprisez le menteur. Hommes

soyez sages; vivez de peu, ne volez point ;


honorez vos parents ; écoutez les conseils
des vieillards ; défendez votre patrie, ne

haïssez point l'étranger ; observez les lois


LES MILLE ET UN CONTES . 169

de votre pays ; soutenez la justice ; ne


soyez point parjures. Hommes vous êtes

libres ; supportez votre prochain , n'en-

viez pas ce qui est à lui.


Malgré ces sages lois , les méchants

continuèrent à opprimer les bons , et


rien ne put appaiser leur haîne, telle-
ment qu'unjour l'aîné des enfants mâles
parla à son frère et lui dit :

-Qu'il n'y a ni jugement à venir, ni


récompenses pour les justes , ni châti-
ments pour les méchants , ni intelli-

gence dans le monde.

L'autre frère ayant soutenu le con-


traire , le premier se jeta sur lui et le
tua... may b

22
72

I.
ngink
flyer CONTI ZVIII. AileCo

L'OIE BLANCHE.

4
0
ela est horrible, dit 0

le prince, en inter-
rompant lePalesti-
nien; il était aisé

de remarquer l'im-
pression que le ré-
cit du premier meurtre avait fait sur son
esprit. Il jugeait fort sagement qu'il
fallait l'effacer par une impression toute

#
LES MILLE ET UN CONTES. 171

contraire, et demandai au joyeux Égyp-


tien de lui raconter l'un de ses jolis con-
tes . Celui-ci commença en ces termes :

Cima , vieille fille assez peu jolie ,


avait beau tendre ses filets pour attra-
per un mari , aucun oiseau de cette

espèce ne s'y prenait. Cependant à


force de bien chercher , elle trouva un

pauvre docteur nommé Bardébon qu'elle


jugea propre à réparer le temps perdu.
Le malheureux Bardébon ne fut pas

longtemps sans reconnaître qu'il avait

été dupé. Aussi ne cessa-t-il de soupirer


et de gémir sur sa misère , et devint de

plus en plus maîgre et pâle. Sa femme le


voyant dépérir ainsi, se lamenta horri-
blement. Ja moda

-Bon Dieu ! ayez pitié de lui, s'écria-


t-elle, mon Dieu, prenez-moi à sa place,
car sans lui je ne saurais vivre.

BILL UNIV .
CENT
172 LES MILLE ET UN CONTES.

Le pauvre docteur qui avait entendu


cette prière , mais qui n'y croyait pas ,
voulait punir tant d'hypocrisie. Il prend

sa femme par la main et d'un air atten-


dri, il lui dit : oletbuot red 1146
li
-Cima, comme tu es bonne, tu me
vois malade et tu veux mourir pour moi.

4
0
0
Plût au ciel, répondit-elle, de me
prendre plutôt que toi, mon cher Bardé-

bon; car que m'importe la vie sans toi ?


Tu aurais donc véritablement le

courage de te sacrifier pour moi, pauvre

malade? O quelle femme ! quel dévoue-


ment ! 10

Oui , mon ami, je suis prête à don-


ner cent fois ma vie pour sauver la tienne;

je t'aime Bardébon et c'est le moins que

je puisse faire pour toi, mon unique bien.


Eh bien, femme incomparable et

généreuse , écoute - moi ; hier au soir,


LES MILLE ET UN CONTES. 173

pendant que tu dormais tranquillement


dans ton lit, la mort est venue près de
moi pour m'annoncer que cette nuit
elle viendra me chercher . Or, comme

elle avait l'air d'une stupide oie blanche ,

je suis certain qu'elle ne distinguera pas


les personnes ; couche-toi dans mon lit,

j'irai prendre le tien. o ba


-La femelle était allée troploin avec
son dévouement pour reculer . D'ailleurs

elle ne croyait pas à l'apparition , la pre-


nant pour l'effet de l'état maladif de son

époux. Aussi ne fit-elle aucune diffi-


culté le soir de se mettre au lit de son

mari et de lui céder le sien. Celui-ci,

qui avait enfermé secrètement une oie

blanche sans lui donner rien à manger ,


se leva et sous prétexte d'aller voir si

la maison était bien fermée , il répandit


des grains depuis le lit de sa femme
174 LES MILLE ET UN CONTES.

jusqu'à l'endroit où il tenait l'oie cap-

tive, lui ouvrit la porte et se hâta de


retourner dans sa couche. og ion
La pauvre oie affamée ayant trouvé

les grains , suivit leur trace jusqu'au lit

de Cima. Jugez de son effroi ! elle ne

doute plus un instant que ce ne soit pas


la mort dont son mari lui a parlé. Elle
saute aussitôt de son lit , et plus morte
que vive elle crie ng h
Mort, Mort! je ne suis pas Bardébon,
il est là dans cet autre lit , prenez -le et

ne vous trompez pas. A


noe sb til bilen ob zice u ro
CONHHRIX.
101
L'ENLÈVEMENT.

reul of

a nourrice, à qui le conte


de Briam-Sahet déplaisait
infiniment , l'interrompit
par ses réclamations.

-C'est , je l'avoue , un

fort plaisant récit ; mais ce


n'est qu'un conte. Pour moi , au lieu
d'établir la prétendue perfidie de mon

BIEL. UNIV.
GENT
176 LES MILLE ET UN CONTES.

sexe, par une histoire inventée à plaisir,


je prouverai sa vertu par une histoire

véritable . Le permettez -vous, mon cher

prince ?
Parlez , ma bonne Rina , je ne
demande pas mieux que d'entendre le
récit des bonnes actions .

Aussitôt Rina commença l'histoire


qu'on va lire :
Mar Adab , était considéré comme

l'homme le plus heureux de son temps.

Riche , généreux et bienfaisant , il était

aimé et respecté de tous ceux qui le


connaissaient. Jamais personne ne fut

plus considéré que lui ; mais jamais


homme ne fut plus vertueux. Il devait

ces qualités à l'exemple de sa jeune


épouse, objet de son plus tendre amour.
Léila était si bonne , si innocente et si
vertueuse ! il lui disait souvent :
LES MILLE ET UN CONTES . 177

Tu as mis dans moi une vie nou-

velle , des sentiments meilleurs , plus

nobles que ceux des autres hommes .

Et Léila répondait :
-Sans toi, mon ami, tout est froid ,

tout est décoloré ; sans ton amour , tout


est mort autour de moi. Mon
Mais, hélas ! le bonheur est rarement

sans mélange dans ce monde ! Les jours ,


les mois , les années se succédaient , et les
deux époux restaient sans enfants . Sui-

vant l'usage de ses pères , Mar Adab de-

vait répudier la douce Léila , quoiqu'il

l'aimât plus tendrement que jamais . Il


frémit en pensant qu'il fallait prévenir

Léila qu'il la quitterait pour toujours .


Après de longues hésitations il la pré-

vint en soupirant, puis il ajouta :


of Adorable épouse, tu ne m'aimeras

plus ; tu me le promets ?

23

I.
178 LES MILLE ET UN CONTES.

Je le promets , dit Léila en pleu-


rant.

-Et jamais tu ne chercheras à m'ap-


procher?
Jamais , répéta Léila en sanglot-
tant .

--Enfin, tu ne m'appelleras plus par

ce doux langage qui a tant de puissance

sur moi ; jamais mon nom ne retentira


dans ta bouche chérie, même quand je
serai loin de toi ? Tu le promets Léila ?

-Qu'il soit ainsi, puisque tu le veux ,


mon époux, mon maître ; dispose de moi ,
souverain de ma vie.

Et Mar Adab se présenta avec elle


devant le prêtre pour la répudier . Ce-

lui-ci , homme de bien qui connaissait


les tendres amours de Mar Adab et de

Léila et qui ne voyait pas volontiers le


divorce de ces deux époux, leur dit :
LES MILLE ET UN CONTES. 179

-Mes enfants, lorsque vous vous êtes

unis, votre cœur ne fut-il pas rempli de


joie et de bonheur?
-De joie et de bonheur ! Dieu le sait,

répondirent les tendres époux .


- N'avez-vous pas préparé alors un
repas somptueux , et régalé grandement
A
vos amis?
-Certes, oui ! nous leur avons donné

un grand festin , où le vin a coulé en


abondance.

Eh bien, qu'il en soit ainsi, à votre

S séparation ; retournez chez vous , faites


un bon repas, invitez-y vos amis et con-

naissances , revenez ensuite , et je serai


prêt à faire ce que vous me demandez .
Léila qui avait compris le vénérable
prêtre , se rendit aussitôt chez elle , et
agit comme il lui avait recommandé .

Elle fit préparer un banquet splendide,

B.EL. U
GENT
180 LES MILLE ET UN CONTES.

auquel furent invités tous les amis et


connaissances de la maison. L'histoire

peint en termes éloquents la gaieté et la

joie qui régnèrent à cette fête de famille.


Les convives dansaient et chantaient, les

coupes à la main :

Approche, ô chansonnier aimable, dis-nous


dans tes chants mélodieux que toutes les choses
de ce monde doivent céder à nos désirs.

II

L'échanson avec sa coupe pétillante nous a


rendus tout-puissants , nous avons vaincu les
noirs soucis et tué le sombre chagrin.dan

III

Salut , joie , charmante joie ! pourquoi si


longtemps repousser nos tendres soins , toi
dont l'apparence est si facile et si légère ?
LES MILLE ET UN CONTES . 181

dms i no serro
IV
Incarabol Inna

Tu teglisses dans nos cœurs lorsque le doux


nectar nous enchaîne de ses liens divins ; tu
fuis aussitôt que ce joyeux hôte nous quitte .
*

bup oid issup o'n so otp oldmog om


Cependant nous t'aimons , nous n'avons cessé

de t'adorer depuis le jour que tu vins pour la


première fois nous surprendre avec senti--
tes senti
vec tes
ments célestes .
upon , noid - da
VI

Demeure , oh ! demeure près de nous, ravis-


sante joie, entoure nous de tes ailes enchan-
teresses ; car vivre sans toi , est pire que la

mort.

En un mot, tout se passa gaiement et


de la meilleure manière du monde . Mar

Adab lui même devint de bonne hu-


182 LES MILLE ET UN CONTES.

meur , et dit à son épouse en l'embras-


sant tendrement :

Léila , voilà sept ans que nous


avons vécu ensemble au sein de l'amour

et du bonheur.

-Oui , mon Adab ; et cependant il


me semble que ce n'est que d'hier que

nous sommes mariés, répartit Léila.


-A moi aussi , chère âme ; je t'aime
tant , Léila !

-Eh bien , pourquoi nous quitter,


mon cher ami ?

- Dieu le veut, Léila , nous n'avons

point d'enfants. Mais emporte avec toi ,


ce qui te plaît le mieux chez moi , afin

que tu voies, chère amie, que je ne t'en


veux pas .

-Que cela soit ainsi, mon bon Adab.

Cependant la tendre épouse fit tou-


jours verser du vin délicieux et les
LES MILLE ET UN CONTES. 183

coupes ne cessaient de circuler ; plu-


sieurs des convives maîtrisés par la li-
queur enivrante , tombèrent par terre
et s'assoupirent . Mar Adab les imita

bientôt , et s'endormit profondément .


A peine Léila l'eût -elle vu dans cet état

qu'elle le fit doucement transporter à la


maison de son père et mettre au lit. Elle
se plaça à ses côtés , et attendit son ré-

veil . Lorsqu'il ouvrit les yeux , il témoi-


gna sa surprise de se voir hors de chez

lui, en s'écriant :
Qu'est -ce ? que m'est-il arrivé ? où
suis-je ? Léila sortit alors de derrière le

rideau qui la cachait et le pria de n'être


point inquiet, qu'il était dans la maison

de son père.
- Dans la maison de ton père, Léila !

qu'ai-je à faire avec ton père ? dit - il

plus étonné encore.

BILL . UNIV .
GENT
184 LES MILLE ET UN CONTES.

Rien, mon ami, répondit l'épouse


avec douceur .

Mais qui m'a transporté ici ,


Léila ?

Moi, cher Adab, et suivant ta per-


mission.

Ma permission ! mais femme, com-


ment t'ai-je donné cette permission : Tu
sais bien Léila que nous ne pouvons
plus vivre ensemble.
-Hélas, oui ! mais tu m'as dit, cher

maître Emporte de ma maison ce qui

te fait le plus de plaisir ; or, de tous les


objets précieux, il n'en est point qui me

plaisent autant que toi ; et je ne te chan-


gerais pas contre tous les trésors de la
terre.

-Tu es une excellente femme, Léila;


ton amour me touche tant que je ne puis
retenir mes larmes. Viens, mon amie,
LES MILLE ET UN CONTES . 185

viens, je ne te quitterai jamais ; tu es mon

épouse pour toujours .


A ces mots Léila se précipite dans ses
bras , et leur union fut de nouveau ci-
mentée . Dieu bénit dès ce moment leur

amour; ils eurent des enfants , et vécurent

heureux ensemble le reste de leurs jours .

Rina se tut, examinant avec attention

l'effet que cette histoire avait produite


sur son jeune maître . Celui-ci avait été

si enchanté de son récit ,qu'il lui exprima


sa satisfaction de la manière la plus flat-
teuse . Puis, s'adressant à la jolie Omra,

il lui dit : A
Voyonssi vous pourrez , à votre tour,
belle amie, nous conter quelque chose.
inL'aimable sœur de lait , qui ne de-

mandait pas mieux que de parler , com-


mença aussitôt le conte que voici :

24

I. BIF UNIV
GENT
A
CONHH NZ .

LA LUMIÈRE DANS L'OBSCURITÉ.short


The moby to chalas ob

108

[11]
Alexandre- le-

Grand, maître
du monde, s'en-
tretenait fami-
lièrement avec

les sages de Chaldée.


LES MILLE ET UN CONTES . 187

Vous vous vantez , leur dit - il un

jour , que Dieu est au milieu de vous ;

je voudrais bien le voir.


Dieu est partout , repartit le plus
âgé d'eux, mais il ne peut être vu ; aucun

œil mortel ne peut supporter sa splen-

deur.
Alexandre avec son impétuosité ordi-

naire persista dans son désir .


Eh bien , grand prince , lui dit le
sage , puisque votre majesté veut abso-

lument voir l'Éternel, essayons d'abord


de voir un de ses satellites .

Alexandre ayant consenti , le véné-


rable vieillard le conduisit en plein air,
vers le milieu du jour , et l'invita à fixer

le soleil qui dardait sur lui ses rayons de


feu dans toute sa force .
C'est ce que je ne puis faire , dit
Alexandre ; sa lumière m'éblouit .

BIBL. UNIV .
GENT
R

188 LES MILLE ET UN CONTES.

-Quoi ! prince, s'écria le sage, tu n'es


point capable de contempler le simple
serviteur , et tu veux voir le maître ! tu

ne peux supporter l'éclat de l'œuvre, et


tu pourrais t'attendre à soutenir les
rayons éclatants du créateur ! sa vue ne
serait-elle point de nature à t'anéantir ?

sing
Comp Cupid , d
sushing at high the door sieva

CONHH NZI .
190 usb ind og din 0021 alq
LES TROIS FIOLES MERVEILLEUSES .

'histoire d'Alexandre -le-

Grand que la gracieuse


Omra vient de conter , me

rappelle , dit Ibocype , une


autre histoire de cet illus-

tre conquérant . Permettez

ô Prince , que je fasse le récit de cette

histoire .
Yakara ayant consenti , le sage Grec

commença aussitôt .
190 LES MILLE ET UN CONTES.

- Nectanabus , roi d'Égypte , après


avoir étonné ses sujets par la grandeur

de ses connaissances dans la magie, fut

chassé de son pays par la reine sa femme,


plus versée encore que lui dans cet

art. S'étant réfugié en Grece , Necta-


nabus fut reçu avec honneur à la cour
de Macédoine . Philippe qui gouvernait
alors ce royaume, lui confia la direction

de son palais . Nectanabus s'acquitta avec


tant de succès de cette charge, qu'il de-
vint le favori de Philippe. Bientôt après,

ce monarque étant obligé de quitter sa

patrie par suite de la guerre qui s'allu-


mait entre lui et le roi de Perse, il laissa

le pouvoir à Nectanabus et à la reine


Olympias. Cette princesse était d'une

beauté remarquable, Nectanabus en de-


vint amoureux : mais aussi vertueuse

que belle, Olympias ne voulait jamais


LES MILLE ET UN CONTES. 191

répondre à cet amour criminel . Malheu-

reusement, par l'effet d'un enchante-

ment , une nuit cet infame magicien


endormit la jolie reine, partagea sa
couche malgré elle , et la rendit mère
aussitôt . Puis il se transforma en oiseau,

se rendit à la hâte auprès de Philippe

et lui fit voir en songe la reine sa femme,

enceinte d'un grand prince qui devien-


draitleplus illustre conquérant,le maître
souverain de toute la terre.

Le roi Philippe transporté de joie à


cette nouvelle , fit la paix avec le roi de
Perse , et s'empressa de retourner dans
son pays afin d'assister à la naissance
d'un fils si merveilleux. Alexandre vit

en effet le jour quelque temps après

l'arrivée de son prétendu père, et signala

sa naissance par des signes extraordi-


naires. Les soins que le roi Philippe

BIBL . UNIV .
GENT
192 LES MILLE ET UN CONTES.

prit pour son éducation, furent couron-

nés des succès les plus brillants et dès sa

plus tendre jeunesse, Alexandre montra


un caractère réfléchi et un esprit médi-
tatif. Le roi de Perse ayant envoyé des

ambassadeurs à Philippe, lui fit offrir


trois fioles merveilleuses.

-Prince, lui dit le chef des ambassa-

deurs, en lui présentant au nom du roi


son maître ces trois fioles précieuses ; la

première de ces fioles renferme ce phil-


tre, si célébré par les poëtes , qui pro-
voque l'amour le plus tendre ; dans la

seconde vous trouverez cette liqueur re-

nommée qui rend prolifique celui qui en


boit ; la troisième contient le plus par-
fait de tous ces élixirs dont on fait usage

en Perse pour rendre le corps plus beau


et plus délicat .

-Remporte tes présents , dit Alexan-


LES MILLE ET UN CONTES. 193

dre avec fierté, remporte-les tous, car ils


ne me sont d'aucune utilité. En vérité,

quel cas puis -je faire de la première

fiole ? Moi qui veux vaincre le monde ,


je ne dois pas me laisser vaincre par
l'amour ; à l'égard de la seconde fiole ,
sache, que ce ne sont point les enfants ,

mais les actions qui perpétuent la gloire;


quant à la troisième , j'en méprise l'u-

sage , à l'égal des deux autres : car je


considère le corps de l'homme comme

un fourreau dont l'âme est l'épée. C'est


l'épée qui tranche et non pas le fourreau .

Telle fut, dit Ibocype, la réponse in-


génieuse du jeune Alexandre qui médi-
tait déjà la conquête du monde. Le roi

de Perse , content de cette réponse, lui


envoya par ses embassadeurs cent mille

drachmes d'or pour former une petite


milice. bo onlinech ofind ot

25
I.
Mby a Mito pub Jan dat Su

obutor of atering xov, tup iolf Sigl

ng more rosid sur q sich spoj


iroma'l
CONHH MZII.
Bhudne

roly LE SAVANT ESCLAVE.es-

' histoire d'Ibocype excita


fortement l'admiration de

Yakara ; après avoir fait


ses compliments au docte
conteur, il lui dit : Argos al 25 -Jins
- Vénérable sage , ne pourriez-vous

me dire le nom de celui qui mit tant de


sagesse dans le cœur d'un prince si jeune?
Je brûle de connaître ce grand homme.
LES MILLE ET UN CONTES. 195

Sans doute , majesté , lui répondit


le bon Grec, et en même temps il lui fit
le récit suivant :

-Sous le règne d'Agis, il existait un


philosophe nommé Platon, qui surpas-

sait en sagesse tous les philosophes de la

Grèce. Il enseignait à Athènes, et le roi


lui ordonna de recevoir son fils dans son

école. Or, ce grand philosophe avait un


jeune esclave qui désirait, du fond du

cœur de s'instruire. Mais pauvre et mal-


heureux , il ne put jamais assister aux

leçons de son maître . Cependant, à force


de dérober par-ci et par-là quelques

idées , il parvint à saisir tout le systeme


de Platon et le repassa constamment
dans sa mémoire.

Tandis que le jeune esclave s'initiait


ainsi dans la doctrine de son maître, le

fils du roi , qui assistait toujours aux le-


196 LES MILLE ET UN CONTES .

çons de Platon resta plein de vanité et


peu pourvu d'intelligence. Il concevait
difficilement et oubliait bien vite ce

qu'il avait appris.

- Il arriva le temps où, selon une an-


cienne coutume, les princes et les grands

du pays se rassemblaient pour examiner

les progrès des enfants de la patrie, dans


les sciences. Le fils du roi de Sparte ne

fut pas plutôt monté à la tribune aux


harangues, qu'il resta muet comme si sa

langue cût été collée à son palais . Il ne

sut rien proposer et ne put répondre


aux questions qu'on lui adressa. Platon,
qui était à côté de lui, fut étrangement

surpris à cette occasion, et son cœur fut


péniblement affecté . Il demanda à ses

autres disciples , qui étaient présents,


s'ils avaient mieux saisi ses leçons et s'ils

ne pourraient pas répondre aux ques-


LES MILLE ET UN CONTES. 197

tions proposées ; mais de tous ceux qui

se trouvaient là, il n'y en eut aucun qui


fit une réponse satisfaisante. Alors, l'es-

clave qui était présent, demanda la pa-


role, et dit :zol
Je connais cela, messeigneurs.

Mais on ne l'écouta point ; parce qu'il

était pauvrement vêtu, et, qu'en qualité

d'esclave, il ne lui convenait pas de mon-


ter à la tribune.

Néanmoins, Agis pour faire honte à

son fils, prit la parole, et dit : Lak


L'ancien proverbe que la sagesse

du pauvre est méprisée et que sa science


ne trouve aucun auditeur , ne peut -il
pas s'appliquer à ce jeune esclave ? Eh

bien ! malgré qu'il soit esclave, qu'on


le laisse monter à la tribune.

Ce qui fut fait aussitôt , et toute l'as-

semblée s'aperçut avec étonnement que

Bill CR7 .
GENT
198 LES MILLE ET UN CONTES.

cet esclave, bien que jeune et indigent,


non-seulement avait répété avec une

intelligence rare et une diction élégante

tous les préceptes de son maître , mais


qu'il leur avait encore donné un nou-
veau lustre, en y joignant des idées pro-
fondes qui lui appartenaient. Cet esclave
se nommait Aristote, et il devint le plus

savant et le plus profond des philo-

sophes qui aient brillé sur la terre.


Philippe le fit venir à sa cour pour

surveiller l'éducation d'Alexandre , qui

ne profitait pas mal, comme nous avons


vu, de ses leçons sublimes.ning tila
SVOTE 017
PRE AMTE FLEX COLE

masl rush alto ages find

wel golCONTE ZZIII . eob


inf op imong Jinly nod

LE RENARD ET LES POISSONS.bing

Dough hyod of re
wienilor ex up

e lende-
L
main , au
sortir de

table , les
musiciens
off
reprirent
les instru-

ments , et
firent de la musique, jusqu'à ce que
le prince permit de danser et de
200 LES MILLE ET UN CONTES.

chanter. Au bout d'un certain temps,


les huit sages et les deux femmes s'as-

sirent devant le fils du roi pour conter


des histoires sur divers sujets selon leur

bon plaisir. Le premier que Yakara


pria de commencer encore cette fois, fut

Barmira , qui s'exprima en ces termes.


-Le renard se promenant un jour
sur le bord d'un fleuve, vit les poissons
qui se retiraient avec effroi dans le fond

de la rivière .

D'où vient la terreur qui vous


agite ? dit le renard.
TOT04
Les enfants de l'homme , répon-

dirent les poissons , jettent leurs filets

dans les flots , afin de nous prendre , et


nous tâchons de leur échapper.
— Savez-vous ce qu'il faut faire ? dit

le renard; venez là sur le rocher, où les


hommes ne sauraient vous atteindre.
LES MILLE ET UN CONTES. 201

-Se peut-il , s'écrièrent les poissons,


que tu sois le renard, regardé comme le

plus rusé des animaux ? tu serais le plus


simple de tous si tu nous donnais sé-
rieusement un tel conseil. L'onde, tu le
vois, est pour nous l'élément de la vie;

si nous n'y sommes pas en sureté, com-


ment oses - tu nous conseiller de nous

réfugier dans l'élément de la mort ?

La vertu est pour chacun la source


du bonheur de la vie ; c'est par elle
seule que nous existons. Dût-on nous

poursuivre dans son sein , nous ne de-

vons point nous soustraire au péril, en


nous réfugiant dans le vice qui est la
mort.

26
I.
BISL . UNI ..
GENT
ruly of

of us aboard

CONHH ZIV .

apon of volle L'AMI BON JOUR .

$ 1100

ching - Kjun ,
désigné par le
prince pour ra-
conter àson tour

une histoire ,
prit la parole
après avoir différé seulement autant

qu'il était nécessaire pour réveiller ses


LES MILLE ET UN CONTES. 203

idées endormies et commença de cette


manière.

— Pendant une nuit que l'insomnie


me rendait bien longue, mille idées plus

étranges les unes que les autres occu-


pèrent mon imagination active. Tandis

que tourmenté ainsi , je m'agitais péni-


blement sur ma couche, j'entendis tout

à coup que l'on frappait à la porte à


coups redoublés . Je me levai aussitôt et

demandai qui frappait de la sorte.


-C'est un voyageur, me répondit-on,
qui n'ose poursuivre son chemin au mi-
lieu des ténèbres et de l'obscurité de la
nuit.

Je lui ouvris et je vis entrer un homme


d'une très-bonne mine, appuyé sur son

bâton , portant son bagage et vêtu fort


proprement . Je lui offris à boire et à

manger, mais il me remercia poliment


204 LES MILLE ET UN CONTES.

en disant qu'il n'avait ni faim ni soif

et qu'il voulait seulement attendre ici

le jour pour continuer son voyage.


Car , poursuivit - il , je n'augure
aucun bien des voyages nocturnes ; je

crains toujours le sort de ces voyageurs

qui, trompés par leur aubergiste, tom-


bèrent entre les mains des voleurs. Si tu

es curieux d'apprendre cette histoire ,


écoute-moi, je vais te la raconter.
Dans une certaine contrée vers le

sud, vivait isolé au milieu d'une sombre

et épaisse forêt, unhomme petit de taille,


au teint noir et d'un naturel violent et

emporté. C'était un aubergiste, mais un

grand scélérat d'aubergiste , qui avait


l'habitude de se lever la nuit et d'éveil-
ler ses hôtes en leur disant :
194
- Allons ! préparez-vous au voyage,

je vous accompagne.
LES MILLE ET UN CONTES . 205

Lorsque les pauvres voyageurs se


croyaient bien en sureté , les voleurs

tombaient sur eux, les dépouillaient et


partageaient leurs dépouilles avec l'au-

bergiste.
Forcé par un événement imprévu de
quitter sa terre natale , un sage lettré
dont le nom était Min-Tchong errait à
travers cette forêt obscure ; il alla lo-

ger à l'auberge dont nous parlons . A


peine le milieu de la nuit fut-il arrivé ,
que l'hôte s'habille et dit au sage étran-

ger comme à son ordinaire : Allons ! pré-


pare-toi à partir , je t'accompagne . Mais

le fin Min-Tchong se doutant de quelque

embûche , lui répondit :


Il m'est impossible de partir déjà ;
j'ai un ami queje dois attendre ici.
- Où est cet ami ? demanda l'auber-

giste avec intérêt.


206 LES MILLE ET UN CONTES.

-Il ne m'a quitté que ce soir ; il ne


tardera pas à me rejoindre , repartit le
sage lettré.
-Comment se nomme-t-il, demanda

de nouveau l'aubergiste .

Il se nomme Bon-Jour , repliqua


Min- Tchong.

Là dessus, l'aubergiste alla crier tout


le reste de la nuit dans la forêt :

-Ami Bon-Jour ! Ami Bon-Jour !

Mais personne ne répondit à l'appel.


Le lendemain matin le sage voyageur se

leva, et sella son âne pour partir . L'au-

bergiste lui demanda :

Où est donc tonami que tu attends ?


Il est déjà là, lui fit observer Min-
Tchong en riant . C'est le Jour qui a été
reconnu bon ; c'est l'ami des hommes ,

le protecteur des voyageurs et sans le-


quel je ne quitte jamais mon asile.
CONHH NZV .

LE JUGEMENT DE DIEU.

1
0
0
e spirituel chinois ayant

cessé de parler , chacun se


mit à rire de la manière

singulière dontce misérable

aubergiste fut attrapé par


le sage Min - Schong. Puis ,
Abou-Bekir , sans attendre

le Prince l'en priât , seulement


que
aprè quelques moments de réflexion ,
s
208 LES MILLE ET UN CONTES.

dit d'un air aussi grave que solennel :

Certain père de famille fit un jour

une distribution de vêtements de grand


prix à ses nombreux enfants . Ceux

d'entr'eux qui étaient sages, les tinrent


en bon état , ne les portèrent que les

jours de fêtes , et les conservèrent pré-


cieusement au fond de leur armoire, tan-
dis que les sots ne les ménagèrent guère,
les portèrent même lorsqu'il s'occu-

paient de leurs jeux , et les couvrirent


de saletés et d'ordures.

Or, il arriva un temps où ce père si

généreux voulut revoir les habits pré-


cieux qu'il avait distribués entre ses en-

fants et il les fit appeler auprès de lui.

Les sages parurent devant lui vêtus pro-


prement, mais les sots couverts d'habits

souillés. Le père fut très-content à l'as-


pect des premiers. Qu'on porte , dit-il
LES MILLE ET UN CONTES . 209

avec bonté , leurs vêtements dans ma

plus belle garde-robe, qu'on leur donne

de beaux présents , afin que ces dignes


enfants soient heureux et contents avec

moi.
Quant aux seconds , ils furent reçus ,
on ne peut pas plus mal , par le père

20
indigné .
-Faites nettoyer leurs habits , or-
donna-t-il en colère, et que les indignes

enfants qui les ont portés soient préci-

pités au fond d'une prison obscure.


-Homme , reconnais dans cette para-

bole le jugement que Dieu portera un


jour sur toi . Tu as reçu de lui une âme
pure et sans tache , heureux si tu peux

la lui rendre ainsi , exempte de toute


souillure ; mais malheur à toi si tu l'as
couverte de vices et de crimes ! of ins
afob olotigne fotbolli soll

27

BIBL. UNIV.
gel Mund

CONHHNZVI .

HISTOIRE DE MERODAC LE PARJURE.

'Arabe n'eut pas plutôt ache-

vé son apologue que Sou-


baya, qui l'avait écouté avec
beaucoup d'attention , prit

la parole, sans attendre qu'on l'en priât,


et raconta l'histoire suivante :

Sur ce vaste terrain qui s'étend


entre le Don et le Volga, s'élève la riche

et florissante ville d'Itel, capitale de la


LES MILLE ET UN CONTES. 211

Khozarie. Là , au milieu de la cité, de-

meurait, du temps du roi Bulan, un

homme qui , après cinquante ans de


commerce, avait amassé une fortune

considérable.

Ce vieux négociant, dont le nom était

Samz, se sentant près de sa fin, appela,


en présence de sa femme et de ses pa-
rents, Mérodac, le seul fils qu'il eût, et
lui dit : Dig

Je vais rejoindre mes ancêtres ; je

meurs sans regret, puisque j'ai vécu sans


reproche. Ma seule ambition pendant ma
vie était de rendre ma famille heureuse;

mon seul désir , en la quittant, est qu'elle


le soit encore après ma mort. Mon fils ,

contente - toi de ce que je te laisse, et

n'abandonne jamais ni ta mère , ni ta


femme , ni tes enfants , pour chercher
fortune au-delà des mers inconstantes ;

BIBL . UNIV .
GENT
212 LES MILLE ET UN CONTES.

car j'ai plus d'une fois, dans mes voyages


maritimes , couru les plus grands dan-

gers . Mon fils, mon cher fils , le pro-


mets-tu à ton père mourant ?o

Le fils le jura et reçut un moment


après le dernier soupir de son père.
Plusieurs années s'étaient écoulées , et

Mérodae , fidèle à sa promesse , vivait


heureux dans le sein de sa famille. Une

jeune femme pleine de grâce, d'esprit et


de beauté, l'aimait tendrement ; elle lui
avait donné entre autres enfants un fils

qui croissait en beauté et en intelli-

gence, et qui faisait ses délices . Pauvre


jeune femme ! pauvre enfant ! vous allez
être abandonnés , abandonnés et délais-

sés , pour toujours ! peut-être ! L'or, cette


idole au regard brillant, au sourire en-
traînant , aux baisers enivrants , a une si

grande puissance sur l'homme qu'il lui


LES MILLE ET UN CONTES. 213

fait oublier et le bonheur le plus dignes

d'envi et les devoirs les plus sacrés !


Un jour ayant appris par le capi-
taine d'un vaisseau venant de la Chine

que son père y avait des biens considé-

rables , Mérodac résolut de s'embarquer

avec lui pour prendre possession de ces


biens. En vain sa mère et sa femme lui

rappelèrent le dernier vœu de son père;


en vain tous ses parents lui firent sentir

le crime énorme qu'il allait commettre


en oubliant ainsi son serment , l'ambi-

tion d'augmenter ses richesses l'avait

tellement aveuglé qu'il prétendait que


l'esprit de son père était affaibli par la
maladie , sans quoi il n'aurait jamais
exigé de lui de renoncer à tant de for-

tune .

Il partit.
Mais à peine fut-il en pleine mer que
214 LES MILLE ET UN CONTES.

trois fois le vaisseau sembla rencontrer

un obstacle invincible qui le força de

reculer. Puis une terrible tempête s'é-

leva et menaçait à chaque instant d'en-

gloutir l'équipage. Les passagers com-

mençaient à s'inquiéter. Le capitaine du


vaisseau, quin'ignorait point le serment
qu'avait fait Mérodac de ne jamais voya-
ger par mer , ne douta pas un instant

que ce ne fût la colère du ciel justement

irrité par le parjure. Il cessa un moment


de gouverner le bâtiment. La direction

du gouvernail fut changée, et Mérodac,


le parjure , pour appaiser le courroux

céleste , fut exposé sur les bords d'une


île déserte où il devait infailliblement

périr de misère. A peine y fut-il arrivé


que la tempête cessa, et le vaisseau con-

tinua paisiblement sa route.

Mérodac en proie au remord le plus


LES MILLE ET UN CONTES 215

cuisant, qui lui fit pousser des sanglots

et répandre des pleurs en abondance ,


rôda, tantôt d'un côté de l'île, tantôt d'un
autre ; mais il n'y rencontra ni homme
ni habitation. Alors des bêtes féroces ,

avec leurs griffes sanglantes, se présen-


taient à son imagination et redoublaient

ses inquiétudes. Enfin, après avoir couru


tout le reste du jour, pleurant, gémissant
et appelant tour à tour sa femme, ses

enfants , il s'arrêta aux approches de la


nuit, et monta sur un gros arbre pour
se mettre à l'abri des bêtes sauvages .

Le ciel , qui était obscur , s'éclaircit


bientôt après, et laissa voir la lune , qui
répandait une lumière argentine à tra-
vers les feuillages de l'île. Tout à coup il

aperçut aupied de l'arbre un tigre mon-

strueux qui était aux aguets, impatient


de découvrir quelque proie sur laquelle

BIBL. UNIV.
GENT
216 LES MILLE ET UN CONTES.

il pût s'élancer pour la dévorer. La vue

de ce terrible animal remplit Mérodac


d'épouvante , et il demeura quelque
temps immobile à la place où il était.

C'en est fait. Qui donnera désormais


un mari à l'épouse abandonnée, un père
aux enfants délaissés !

Mérodac échappa pourtant ; et après

s'être soustrait à ce danger imminent,

il fut transporté le lendemain par un

navire indien qui passa heureusement,


dans une des îles de Kéneragh . Cette île
était bien peuplée ; mais nul étranger
n'y était reçu qu'après un examen mi-
nutieux et une recherche rigoureuse de

ses mœurs . Mérodac, au premier inter-


rogatoire des magistrats, leur fit un récit
sincère de ses actions et de ses fautes . Les

juges sur sa seule confession le condam-

nèrent à la peine capitale , non seule-

:
LES MILLE ET UN CONTES. 217

ment comme parjure, mais encore


comme fils dénaturé qui avait foulé
aux pieds le commendement le plus

sacré , la dernière volonté d'un père.

Déjà on le menait à la place du sup-


plice, déjà on lui mettait la corde au cou

pour l'étrangler, lorsque le roi, prenant


en considération la franchise de son

aveu et son profond repentir , lui fit


grâce de la vie, et se contenta de la con-

damner à une prison perpétuelle. Là ,


saisi de crainte, il se représente l'horreur
de sa situation ; le souvenir de sa famille

lui déchire le cœur. En proie à ces sen-


timents , son âme se repliait sur elle-

même, et une profonde mélancolie, que


rien ne put calmer, s'empara de tout son
être. Au milieu de ces angoisses, un

bruit souterrain frappe son oreille ef-


frayée. Bientôt après il voit une jeune

28
I.
218 LES MILLE ET UN CONTES.

fille qui lui fait signe de la main de


suivre ses pas , et elle le conduit à tra-
vers d'obscurs souterrains dans une

grotte où elle le cacha , et lui apporta

des provisions pour appaiser sa faim et


désaltérer sa soif.

C'était la fille du geolier, qui l'ayant


trouvé si sombre et si triste, fut touchée
de son malheureux sort et le sauva de

sa captivité. Comme Mérodac était d'une


taille avantageuse et avait des manières
aimables, il n'eut pas de peine à inspi-

rer de l'amour à sa jeune libératrice.


Alors il lui parla des avantages de son

pays, des richesses d'Itel, de la vie déli-


cieuse qu'on y mène, et l'engagea à lui
trouver l'occasion de s'enfuir avec elle

dans cette belle contrée, afin de s'y ma-

rier ensemble. La jeune fille, à ce récit,

pleure de joie ; impatiente de voir pa-


LES MILLE ET UN CONTES. 219

raître un vaisseau, elle jette sans cesse


ses regards sur la vaste mer. Tout - à -coup
elle voit un nayire à la rade ; elle court

avec une frayeur mêlée de plaisir aver.


tir son cher amant. Par tendresse pour

lui, elle oublie son père, sa mère, son


pays, et elle monte aussi gaiement sur

mer que si le navire qui la reçoit était

un palais d'Itel.tpl
On mit bientôt à la voile et après
trois semaines d'heureuse navigation,
on arrive à la Porte des Portes. C'est là

que Mérodac devait s'unir à sa généreuse


amante ; mais réfléchissant sur sa femme

et ses enfants, il remettait la noce dejour


en jour. A la fin, pour se soustraire aux
promesses qu'il avait faites à sa jeune
libératrice, il conçut le cruel dessein de
la vendre, comme son esclave. Mais ce-

lui qui l'avait achetee n'eut pas plutôt


220 LES MILLE ET UN CONTES.

appris l'histoire de la malheureuse fille,


et l'infidélité de son perfide amant, qu'il

porta plainte contre le parjure devant


les juges de la ville. L'infâme Mérodac

qui se croyait déjà échappé aux châti-


ments de ses crimes ,fut saisi soudain par
les soldats de la justice . Ils lui jetèrent

une chaîne autour du corps et le me-


nèrent devant les magistrats qui le con-
damnèrent à mort et lui firent porter

ainsi la peine de ses parjures ..

Quant à l'infortunée esclave , le maî-


tre, à qui elle avait été vendue, eut d'a-
bord pour elle toutes sortes d'égards.
Puis il la combla de présents , et la fit

partir sur un vaisseau marchand pour


le rivage où elle avait reçu le jour, et
où elle fut bien accueillie de ses parents

et de ses amies. Peu après elle épousa un

jeune homme qui l'aimait depuis long-


LES MILLE ET UN CONTES. 221

temps et qui lui fit oublier par sa ten-


dresse le souvenir de son infidèle Mé-
rodac.

Pendant presque tout le temps que


dura le récit du conte de Soubaya , le

prince ne fit qu'éclater d'indignation ,


tant l'idée de parjure le révolta. Quand
le récit fut achevé il prit la parole pour

exprimer toute l'horreur que la con-


duite infâme de Mérodac lui inspira.
Puis se tournant vers Bibé , il le pria

de lui dire quelque historiette plai-

sante ou gaie , afin de calmer son indi-

gnation. Ce joyeux sage , avec son air


ouvert et toujours riant, commença
ainsi :
joshdod in tud byp degal

CONHH ZVII .

LE PARESSEUX ET LE REPOS. Amb


A

e ne sais si la

paresse doit être

placée au rang
Ides vices , ou si
elle n'est qu'un

de ces penchants

innocents et sans but, sans projets . Ce

qui est certain , mon prince , c'est que


tout oisif est un frelon qui vit aux dé-
LES MILLE ET UN CONTES 223

pens des abeilles . Mais ce n'est pas de

cela que je veux parler.or


Le bon Bezara qui était un des plus
savants docteurs de son siècle , se voyant

cruellement persécuté dans son pays par


des pédants jaloux de son mérite , se re-
tira à Adarschir auprès du roi de Perse .
Ce prince , qui aimait les lettrés, reçut
ce bon docteur avec plaisir et s'entrete-
nait souvent avec lui des qualités et des

défauts des hommes . Un jour ayant parlé


avec lui d'un de ses ministres fort pares-

seux, il lui demanda jusqu'à quel point


peut aller la paresse d'un mortel . Bezara

lui répondit par le conte que voici :


-Le Repos , s'arrachant un jour des
bras du sommeil , se rencontra face a face

avec un Paresseux .
-Eh ! bonjour, mon ami , lui dit-il,

que fais-tu là seul sur un sofa?

PIEL
224 LES MILLE ET UN CONTES.

Tu le vois , répartit le Paresseux,


je me repose.ng 2 of wp

Tu te repose, ami trop débonnaire ;

tu m'aimes donc bien ? cependant tu n'es


jamais venu me le dire. Jomono
Si je t'aime, dit nonchalamment

le Paressenx ! Ah ! certes oui je t'aime ,


et c'est pourquoi je ne suis point allé te
le dire.ielly are toob god on
el to thump cob af en Jusube lin
Sling Andrewwot sungo

bul fiz

Bent u to
sont and tit
174

then so fui sup msha

35 CONTE XXVIII .

LE PREMIER TOMBEAU.

e prince fut enchanté du

récit du spirituel Persan .

Il le félicita gracieusement ;
puis s'adressant à Noam , il

le pria avec bonté de vou-


loir bien reprendre son
histoire interrompue des
premières générations des hommes . Ce-

29
226 LES MILLE ET UN CONTES.

lui-ci se leva aussitôt et continua de la

manière suivante sa narration :

Pendant que le père du genre


humain cherchait à adoucir la douleur

amère que lui causait la perte de son


fils puiné, en travaillant à la sueur de
son front, maniant la cognée et la hache,
son inconsolable femme passait trois

jours et trois nuits à se lamenter sans


relâche sur le cadavre de son fils chéri ,

et paraissait demander avec la plus vive

ardeur que l'âme de celui qu'elle avait


perdu lui fût renvoyée du ciel. Dans la
matinée du quatrième jour, elle vit tout
à coup un étranger vêtu de blanc dont

la figure réunissait la grâce à la majesté,


se présenter devant elle .

- Mère désolée , lui dit l'inconnu ,


sors enfin de ton état de misère et de

larmes ; assez de pleurs ont été versés


BIBL . UNIV ,
GENT
TLLEMANS
LES MILLE ET UN CONTES. 227

pour la mort ; l'Éternel veut qu'il y ait


ici bas un terme à toutes souffrances et

à toutes tribulations . Et il la releva avec

bonté, et lui fit quitter le cadavre de son


fils; il sortit avec elle du berceau de la
douleur, puis il la conduisit non loin de

là , dans une campagne déserte . Trou-


blée, sans voix et absorbée dans son

affliction , elle marchait à côté de l'étran-

ger, lorsque celui -ci lui adressa ces pa-

roles up
Mère infortunée , il y a un Dieu là-
haut qui console les âmes affligées , lève

les yeux, et prends courage !


Ranimée par ces mots , elle fixa ses
regards vers le ciel, et aperçut un aigle
poursuivant un épervier , qui avait

égorgé une tourterelle ; pour faciliter


son vol , l'épervier laissa tomber sa

proie : voici qu'un corbeau vint aussi-

BIBL . UNIV .
GENT
228 LES MILLE ET UN CONTES.

tôt voltiger vers la tourterelle égorgée.


Il gratta trois fois la terre autour d'elle,
creusa un trou avec ses serres et son bec,

l'enfouit soigneusement sous la terre et


s'envola.

- Le ciel possède déjà la partie de


ton fils qui lui appartient , poursuivit
l'étranger; donne maintenant à la terre

la partie de ce même fils qui lui appar-

tient; pars et apprends à ton mari , à

faire à l'enfant mort ce que le corbeau


vient de faire à la tourterelle égorgée.
La bonne mère voulait remercier le

jeune ineonnu de l'avis qu'il lui avait


donné , mais il n'était déjà plus à côté
d'elle. Elle retourna consolée vers son

mari . Elle lui apprit ce qu'elle avait vu,

et tous deux, imitant l'exemple du cor-


beau, enterrèrent le cadavre de leur fils

au pied de l'autel où il était tombé ,


LES MILLE ET UN CONTES . 229

victime sanglante de l'envie et de la


vengeance de son frère. Ils nommèrent

l'endroit où ils l'inhumèrent , le lieu du

saint repos, et la campagne qui le reçut ,

le champ de Dieu .

60

BIBL . UNIV.
GENT
ble pail ol, tuottello Hajno !

Eo qunds of

CONTE ZI

LE CORPS ET L'AME.

uand le Palestinien eut ache-

vé son histoire, le Prince de-

meura quelque temps dans


le silence.

-Ilya,Messieurs et Dames,

dit - il ensuite, il y a quelque

chose de bien mystérieux, de


bien profond, dans la narra-
tion que vous venez d'entendre . La liai-

$
LES MILLE ET UN CONTES 231

son de l'âme et du corps m'a toujours


paru un problème très -difficile à ré-

soudre. Quelqu'un parmi vous , ô mes


sages Conteurs , pourra-t-il nous conter
quelque chose qui rendrait cette énigme

plus frappante encore ? pulse


- Oui, Prince , lui répondit le véné-

rable Noam, et il continua son récit par

l'allégorie suivante : iupanoroid den

Le châtiment poursuivait un jour un


grand scélérat qui venait d'expirer.que
Pourquoi, lui demandait-il, as-tu
enfreint pendant toute ta vie les lois
divines et humaines ?
- Quartier, s'écria l'âme , le corps
scul est cause de cette infraction ; aussi

n'ai-je jamais péché , avant d'être unie

à ce malheureux squelette ?
1 C'est donc toi , misérable ! qui
as transgressé la loi , dit le châtiment

BIBL. UNIV.
GENT
232 LES MILLE ET UN CONTES.

au corps, tu en subiras la punition .


-Moi ! y pensez- vous . Sans l'âme je
ne suis qu'un être immobile, incapable
de rien faire .

Et moi sans toi , misérable corps ,

je suis un être tout céleste, au-dessus de


toutes actions terrestres .

Pardonnez - moi , âme glorieuse ,

c'est bien vous qui êtes le coupable . Ai - je


seulement pu agir depuis que vous êtes

séparée de moi ; hélas ! je suis devenu


inanimé comme une pierre de rocher.
and afgir

33
sqm of fibangMusk of ruby of

TEAM CONTEUZZZ.ro Hing

56 LE PARALITIQUE ET L'AVEUGLE .

A fisiolibaly n
biting loup

oupilylong is no dialliovine
e raisonnement , dit

le prince lorsque
Noam avait cessé

de parler, me pa-
raît de part et d'au-
tre aussi solide que
net , et je vous demande , mon cher

maître , comment Dieu qui est juste ,


peut-il punir l'une et l'autre partie de

l'homme ?

30
1.
234 LES MILLE ET UN CONTES.

Je veux vous le dire, répondit le sage

palestinien, un certain roi de Syrie avait


un jardin de plaisance où se trouvait des
raisins , des figues et des grenades d'un

goût exquis. Or , il lui vint une idée . Si

je plaçais un surveillant qui pût voir et


rôder partout , il pourrait lui-même

prendre les fruits les plus délicieux. A


quel partie s'arrêta-t-il? Il y plaça deux
surveillants , dont l'un était paralytique
et l'autre aveugle , et les chargea de gar-
der le jardin .

A peine y furent-ils établis que l'o-


deur séduisante des fruits arriva jus-

qu'à eux. Alors le paralytique dit à l'a-


veugle :

Ah ! quels fruits magnifiques j'aper-


çois là , quel dommage que je ne puis
les atteindre . Viens ici mon ami , charge-

moi sur ton dos , afin que j'en cueille


LES MILLE ET UN CONTES . 235

quelques-uns dont nous puissions nous

regaler ensemble.
Aussitôt dit, aussitôt fait : le paraly-
tique monte sur l'aveugle ; les plus
beaux fruits sont cueillis , et tous deux

en mangent jusqu'à satiété .


Quelque temps après le roi vint au

jardin, et il vit avec surprise que ses


fruits les plus savoureux avaient dis-

paru.
-Est - ce toi , perclus , demanda le

prince avec colère, qui a pris mes meil-

leurs fruits ?
Moi , répondit le paralytique , y
pensez- vous, seigneur ? Vous voyez bien

que ma paralysie m'empêche même d'y

songer.
Le roi se tourna alors vers l'aveugle

et lui dit :
Loup i
-Est-ce que c'est toi , malheureux ,
‫یں‬

236 LES MILLE ET UN CONTES.

qui a mangé ces fruits qui , hier encore,


ornaient mon jardin ?

-Moi, répartit l'aveugle, qu'elle idée !


Ce n'est certainement pas moi ; car je

ne les ai pas même vus.

Ces réponses mirent le prince dans le


plus grand embarras sur l'auteur de ce
vol audacieux , car il était sûr que per-

sonne autre que les deux gardiens n'é-


taient entrés dans le jardin, et il ne sa-

vait à qui attribuer ce vol . Mais l'un de


ses ministres qui l'avait accompagné ,
lui dit :

Prince, est-ce qu'ils ne pourraient

pas les avoir pris ensemble, et l'aveugle


n'aurait- il pas servi de pieds au para-

lytique, et le paralytique d'yeux à l'a-


veugle.
Le roi ordonna aussitôt que l'aveugle

prît le paralytique sur son dos et vit


ის

LES MILLE ET UN CONTES. 237

avec étonnement que le ministre avait

raison. Il les fit punir dans cette posture


l'un et l'autre.

-Car, dit-il , je veux vous faire subir


votre peine dans l'état où vous étiez tous
deux quand vous avez volé mes fruits.

Chroni pr
CONHH ZZZI.

L'ENVIE MAL RÉCOMPENSÉE.

n a souvent vou-
lu défendre la
femme, dit à son

tour Biam - Sa-


het, mais cette
tentative a tou-

jours été sans

beaucoup de succès. En effet comment


défendre ce qu'il y a de plus convoiteux

et de plus envieux au monde ?


LES MILLE ET UN CONTES 239

Un ancien roi d'Égypte, dont je ne

me rappelle plus le nom , se croyait le


plus heureux mortel et avait le désir as-
sez rare parmi les hommes, de faire des

heureux . Ce bon prince, se promenant

un jour dans les belles campagnes qui


environnaient son palais , vit un vieil-

lard très-occupé de ses plantations.

-Si tu avais bien employé la mati-


née de ta vie, lui dit le roi, tu ne serais

pas obligé d'entreprendre un aussi pé-

nible travail dans la soirée de tes jours.


- J'ai utilisé mes jeunes années, ré-
ponditle vieillard . Néanmoinsje neveux
point passer inutilement le soir de ma

vie.
-Quel âge as-tu , mon vieux ami?

lui demanda le roi.

Une centaine d'années .

Comment ! Cent ans ! dans un âge


240 LES MILLE ET UN CONTES .

aussi avancé tu plante encore des arbres ?


Peux-tu donc espérer d'en recueillir les
fruits ?
rast euly
1
Si je le mérite, je jouirai encore
des fruits de ces arbres ; sinon, que la
volonté de Dieu soit faite . Mes parents

ont planté pour moi, il est juste que je


plante aussi pour mes enfants.
Cette réponse plut au roi.

Mon vénérable ami, lui dit-il avec


bonté, si tu parviens à voir les fruits de
ces plantations, fais-le moi savoir. M'as-

tu compris, vieillard ?

En prononçant ces mots le prince


quitta le vieux planteur , qui vécut en-

core assez de temps pour voir les fruits


de ses soins et de son travail. Les arbres

fleurirent et produisirent des figues ad-

mirables . Étant parvenues à leur matu-

rité, il prit les plus belles , il les mit dans

1
#
LES MILLE ET UN CONTES. 241

ne corbeille et s'achemina vers la ca-

pitale. Le roi regardait précisement par


la fenêtre de son palais, et l'ayant aperçu

devant la porte, il ordonna de le faire


conduire aussitôt dans l'appartement.
Que portes-tu là ? lui demanda le

prince.

Puisse votre majesté se souvenir


d'un homme courbé par l'âge, plantant
des arbres sur le bord du lac de son pa-

lais, et qu'il invita à lui faire voir les


fruits qu'il pourrait en recueillir. Je suis

8 ce vieillard, et voilà les fruits des ar-


bres . Prends-les, ô prince, comme une
humble marque de ma gratitude pour
ta grande condescendance.
Le roi fut ravi de voir un exemple

aussi extraordinaire de longévité à la-

quelle s'unissait la parfaite jouissance


des facultés de l'esprit et d'une remar-

31
1.
242 LES MILLE ET UN CONTES.

quable activité corporelle. Il fit asseoir

le vieillard, vider les fruits du panier,

qu'il remplitd'or comme un présentque


le vénérable planteur devait remporter
avec lui. Là dessus le bon roi le congé-

dia , avec bonté : le vieillard surpris et


satisfait reprit le chemin de son logis.
Arrivé chez lui , il montra le présent ;
tout le monde en fut étonné . Parmi les
personnes que la curiosité avait attirées

dans la maison, se trouvait sa voisine,

femme simple et envieuse . A peine vit-


elle le grand trésor que le voisin avait ob-
tenu pour quelques figues, qu'il lui vint

dans l'esprit quele roi devait aimer beau-


coup les fruits de cette nature. En consé-

quence elles'empressa de retourner chez

elle, pour gronder son mari de ce qu'il

n'avait pas porté aussi des fruits au roi.


-Fils du malheur, s'écria-t-elle , à
LES MILLE ET UN CONTES. 243

quoi songes-tu? ne sais-tu pas que le roi


est un grand amateur de figues ; va bien

vite en chercher et porte-les lui, afin que

tu deviennes aussi riche que ce vieux

grison ton voisin.


Lepauvre mari comme tant d'autres ,

n'avait pas l'habitude de résister aux ré-


primandes de sa femme . Il remplit un

grand sac de figues qu'il chargea sur


ses épaules , et après avoir éprouvé

maintes difficultés ,il gagna enfin la porte


du palais et demanda a être conduit de-
vant le prince . Comme on lui demande

ce qu'il voulait , il répond avec simplicité


qu'il avait entendu dire que le roi man-
geait volontiers des figues , qu'il lui en
apportait un sac tout plein et qu'il en
espérait au moins une aussi grande ré-
compense que celle qu'il avait donnée
au vieillard son voisin . Le chambellan
244 LES MILLE ET UN CONTES.

instruisit son maître de cette singulière

prétention. Le roi ne put s'empêcher


de rire de la démarche bizarre de cet
homme et de son envie extravagante ; il

ordonne qu'on le place près de la porte.


du palais et que toute personne qui y
entrera prenne une de ses figues et la lui

jette à la figure, jusqu'à ce qu'elles soient

épuisées.
La chose se passa ainsi. Le pauvre

homme fut persifflé, honni, et couvert

de ses figues ; il était sur les charbons,


et au lieu du sac plein d'or, il commença à
désirer de le voir vide. Ce désir fut enfin

accompli, et après avoir longtemps en-

duré des peines aussi cruelles, il lui fut


permis de s'en aller. Il retourna chez
lui triste et accablé de chagrin.

Sa femme espérait en attendant des

trésors , et calculait d'avance de quelle


LES MILLE ET UN CONTES. 245

manière elle les emploierait ; combien


de belles robes et de beaux habits elle

pourrait acheter . La bonne femme ! elle

se réjouissait en imagination ; comme


si elle eût eu déja toutes ces nippes !
combien toutes les voisines n'allaient-

elles pas être étonnées, en la voyant


briller dans l'or et dans la soie! Dans

l'impatience de voir le retour de son


mari, et dans la certitude du trésor sur

lequel elle comptait, elle déchira toute

sa garde robe et lajeta par la fenêtre, at-


tendu qu'elle ne pouvait plus lui servir.
Le bon homme était enfin arrivé.
Comme elle le vit, son sac vide, elle crut

qu'il avait au moins les poches remplies


d'or; aussi sans le féliciter sur son heu-

reux retour, selon l'usage, et sans lui


laisser même le temps de reprendre ha-

leine, elle lui demanda où était le tré-


246 LES MILLE ET UN CONTES.

sor qu'il avait obtenu en échange.


-Prends donc patience, femme,

s'écria le mari en colère, prends done

patience.
-Ahmalheureux, je vois que tu n'as
pas réussi .

- J'ai eu au contraire un grand


bonheur dans ma démarche auprès du

roi ; d'abord j'ai bien fait de porter des


figues et non des noix, qui peut-être au-
raient servi à me lapider, puis j'ai été
très-heureux que les figues fussent mû-

res, car j'aurais bien eu de la peine à


sauver ma tête.

Etil raconta tout ce qui lui était arrivé .


A ce récit, la malheureuse femme dé-

sespérée, alla bien vite retirer de la


boue ses habits déchirés qu'elle eut beau-

coup de peine à rassembler et à re-


mettre en bon état .
1021
Jell

CONHH HZZII .

TRIOMPHE DE LA VERTU .

la bonne heure , dit


Yakara , voilà une
femme charmante .

Voyons un peu , chère Rina , si

vous pourrez nous conter quel-


que chose en faveur de votre sexe

si maltraité par Biam -Sahet .

-Rien n'est plus facile ,


Prince . Je choisis un exemple
248 LES MILLE ET UN CONTES.

entre des exemples sans nombre.

Bousof, fils d'Elquir , roi de Kiz ,


prenant le frais , un soir , sur la terrasse

de son palais , aperçut dans le jardin


d'une maison voisine , une jeune dame
si belle , si bien faite , si pourvue de

toutes les grâces , qu'il en devint su-


bitement amoureux. Il envoya aussitôt

savoir qui elle était. On vint lui dire


que c'était la femme d'un de ses officiers,
nommé Remel. Chariné de cette dé-

couverte , il chargea le mari d'une mis-

sion importante dans la province et

courut chez sa femme après son départ.

La dame le reçut comme il appartenait à


son rang, baisa la terre devant lui et lui
souhaita toutes les bénédictions .

Bousof la releva avec passion , lui fit

l'aveu de sa flamme , de ses désirs et de


son espoir.
LES MILLE ET UN CONTES. 249

-Grand Dieu ! s'écria- t - elle en se

jetant le visage contre terre , faut-il que

j'obtienne un honneur auquel je n'ai

jamais aspiré?
Le roi , sans faire attention à ses pa-
roles, la prit dans ses bras et lui fit toutes
les offres qu'il crut capables de la séduire .

La jeune femme eut le courage de résis-


ter à toutes ; elle se débarrassa de lui en

criant : Non , jamais , jamais , je ne com-


mettrai un pareil crime ! not invia
Bousof , que son amour mettait hors

de lui , disait : elle a horreur de l'adultère ,


ôtons lui ce motif de refus , elle se ren-

dra. Aussitôt il écrivit au gouverneur


de la province , de charger l'officier

d'une commission périlleuse . Cet ordre


ne fut que trop bien exécuté ; Remel

périt . Le roi impatient eut à peine ap-


pris . la mort du malheureux officier ,

22
32
250 LES MILLE ET UN CONTES.

qu'il vola auprès de sa veuve , pour lui

annoncer qu'elle était libre et qu'elle


pouvait sans scrupule lui accorder ses
faveurs.

La vertueuse femme , le visage bai-

gné de larmes , et levant à peine des


yeux où étaient peints la douleur et le
désespoir , dit d'une voix presque
éteinte : O Remel ! ômon ami ! c'est moi

qui suis la cause de ta mort ! mais je te


suivrai au tombeau ! C'est en vain que
le Prince chercha à la consoler en lui
offrant sa main et sa couronne ; elle

resta inconsolable et s'écria : Non , ja-


mais il n'en sera rien !

Le roi furieux de son mépris , cherche


à s'emparer d'elle de force ; mais elle se

sauve sur la terrasse , d'où elle se jeta


en bas et tomba morte au pied de sa
demeure .

#
CONTE ZZZIII .

LES TRÉSORS LES MIEUX GARDÉS .

ina , la bonne
nourrice , n'a-

vait pu arriver

R jusqu'à la fin
de son récit sans

être de temps à
autre interrom-

pue par des exclamations d'horreur


contre l'infâme Bousof; mais quand
252 LES MILLE ET UN CONTES.

elle eut fini son conte , Omra , sa jolie

fille, prit la parole et dit :


- Prince , vous venez d'entendre
l'histoire d'un roi fort vicieux ; permet-
tez-moi de vous faire celle d'un mo-

narque plus vertueux.


Yakara ayant consenti , l'aimable

sœur de lait commença aussitôt :


Arbeis , fils d'Himar, était un souve-

rain, aussi bon que généreux. Le bruit


de sa bonté s'était répandu au loin, et
tout l'Orient prononçait son nom avec

respect. Tel qu'un chêne superbe s'é-


lève vers les nues, et étend majestueuse-
ment ses rameaux au - dessus de la cîme

des arbres les plus élevés ; tel Arbeis s'é-

levait par sa générosité au - dessus de


tous les rois son âme était aussi pure

que les rayons brulants de l'astre du jour,


lorsqu'il a atteint le milieu de sa course.
LES MILLE ET UN CONTES . 253

Il séchait les larmes de l'orphelin , con-

solait la veuve , et jamais l'indigence


ne tendit vainement vers lui ses mains

tremblantes .
Telétait Arbeis . Or , sous le règne de

ce bon monarque, il survint une grande


famine et le peuple fut réduit à la der-
nière détresse. Arbeis en fut vivement

affligé ; il ordonna à son trésorier d'ou-

vrir tous les trésors que ses ancêtres


avaient amassés, et d'acheter du blé et

de l'huile pour en faire la distribution


aux pauvres et aux malheureux .

Mais les frères de ce bon prince n'é-


taient pas aussi généreux que lui ; ils
murmurèrent au sujet de l'argent qui
était ainsi distribué , et ils lui tinrent

des propos assez durs .


Tes pères, lui dirent -ils , ont aug-
men té les trésors dont ils avaient hérités
254 LES MILLE ET UN CONTES.

de leurs ancêtres, et toi non-seulement

tu ne les augmentes pas, mais tu les di-


minues encore !

Arbeis leur répondit :

-Moi aussi je garde les trésors que


mes ancêtres m'ont laissés , avec cette

différence cependant que mes pères ont


amassé des trésors terrestres , et que
moi , j'ai amassé des trésors célestes !

Mes pères les ont placés dans un lieu

d'où l'on pourrait les enlever ; moi , je


les ai cachés dans un endroit où la main

de l'homme ne peut les atteindre.

Mes pères ont amassé ce qui ne leur


a rapporté aucun fruit, moi j'ai amassé
ce qui me rapporte du fruit en abon-

dance.
Mes pères gagnèrent de l'or et de
l'argent, moi , je gagne la vie des hom-
mes.
LES MILLE ET UN CONTES. 255

Mes pères épargnaient pour d'autres ,


moi , j'épargne pour moi-même.
Mes pères accumulaient des trésors

pour ce monde , moi , j'accumule pour


le monde à venir!

Un murmure d'applaudissements re-


cueillit l'histoire de la belle Omra. Cha-

cun exprima son admiration pour le

généreux Arbeis.

Puisque nous sommes sur le chapitre


des bons et des mauvais rois , dit Yakara
à Ibocypte, lorsque tout le monde avait

cessé de parler ; ne voudriez - vous pas


nous conter aussi quelque chose sur ce

sujet ?

- Je veux bien, mon Prince, répon-

dit le savant grec , et en même temps il


fit le récit suivant :

$
CONHH ZZZIV.

LES FRUITS D'OR.

Lorsqu'Alex-
andre , roi de

Macédoine , en-

trainé par l'am-


bition la plus
démesurée, entre-

$
LES MILLE ET UN CONTES . 257

prit la conquête du monde, il arriva

chez un peuple qui habitait de paisibles


cabanes , dans un coin de terre isolé

d'Asie , et qui ne connaissait ni guerre


ni conquérant . Le chef de cette heureuse
contrée , dont le nom était Mekda , vint
à sa rencontre , le conduisit dans sa ca-

bane , lui présenta des dattes et des

figues d'or.
1 Est-ce que vous mangez de l'or
ici ? demanda Alexandre .
Non , pas nous , répondit Mekda ;
mais je suppose que les fruits ordinaires

ne manquent pas chez toi. Quel autre


motif que celui de l'or t'aurait amené

ici?
- Ce n'est pas votre or qui m'a con-
duit chez vous , répartit le héros de la
Macédoine ; mais le désir d'apprendre

vos mœurs et vos usages.

83

I.
258 LES MILLE ET UN CONTES.

En ce cas , dit le chef asiatique ,

reste avec nous tant que cela te fera


plaisir. Et puisque tu désire étudier nos

mœurs , je veux ouvrir devant toi une


séance de mon tribunal d'aujourd'hui.
Là-dessus, deux hommes s'avancèrent

avec respect et l'un d'eux s'exprima en


ces termes :

J'ai acheté une pièce de terre de


mon voisin que vous voyez ici. En la re-
tournant et en fouillant le sol j'ai trouvé
un riche trésor. Ce trésor ne m'appar-
tient pas , et ma conscience ne me per-

met pas de le garder : car je n'ai acheté

que le terrain et non le bien qui y était


enfoui , et mon voisin ne veut pas le re-
prendre.
L'autre se défendit en disant :

-Moi aussi , je suis consciencieux. Ce


n'est pas moi qui ai enfoui ce trésor, et
LES MILLE ET UN CONTES . 259

par conséquent , je n'ai aucun droit sur

lui . Bien au contraire, j'ai vendu la pro-


priété avec tout ce qui s'y trouvait , et je

ne m'y suis réservé aucun privilége .


Ainsi donc , maître , c'est à vous de déci-

der à qui appartient cet or et cet argent .


Le juge répéta leurs paroles pour
qu'ils vissent s'ils les avaient bien com-
prises ; puis , après y avoir un instant

réfléchi , il demanda à l'un d'eux :


Tu as un fils mon ami ; n'est - ce

pas ?
Oui , mon juge .
Et toi une fille ? en s'adressant à
-

l'autre .
Oui , digne magistrat.
Eh bien ! dit le chef, que ton fils

épouse la fille de ton voisin , et que le

trésor leur serve de dot.


Alexandre parut tout étonné de cette
260 LES MILLE ET UN CONTES.

décision , et en témoigna sa surprise.

-Cette décision a - t - elle quelque


chose d'injuste ? demanda Mekda.
-
Pas du tout , répondit Alexandre,
mais elle me surprend au dernier degré.
Comment donc aurait - on jugé
cette affaire chez toi ?
- Pour convenir de la vérité , la
chose se serait passée tout autrement

dans ma patrie. L'acquéreur n'aurait


eu garde de donner une obole à l'autre;

et, pour cette raison, il aurait tenu se-


crète la découverte du trésor . Si cela ne

lui eût pas réussi, le vendeur l'aurait tra-

duit en justice, et aurait révendiqué le


trésor . Là- dessus, le juge aurait écarté les

deux plaideurs et envoyé le trésor au roi .

Le trésor au roi ! s'écria le magis-


trat étonné; qui fait donc la justice chez
vous?
LES MILLE ET UN CONTES . 261

Chez nous , la justice se fait par


des hommes qu'on appelle avocats . Ces
hommes , exercés depuis leur enfance à

prouver que jour est nuit et nuit jour,


se divisent en bons et en mauvais avo-

cats . Les premiers gagnent toujours ,


les seconds perdent toujours, quelque
soit d'ailleurs la nature de leur cause .

- Quelle justice !
D'un autre côté, comme personne
ne peut se défendre soi - même et qu'il
faut avoir recours à l'un ou l'autre de

ces légistes, vous êtes toujours obligé de


payer votre avocat , même en gagnant le
procès , et souvent ces honoraires dé-

passent de beaucoup la valeur de votre

gagne.
—- Quelle infamie ! Le soleil luit- il

dans votre pays ?


—- Oh , oui !
262 LES MILLE ET UN CONTES.

Et la pluie, tombe-t-elle aussi ?

-Certainement .
-Voilà qui est bien singulier ; mais
y a-t-il aussi chez vous des animaux qui

se nourrissent de végétaux ?
Beaucoup , de toute espèces ;
Eh bien ! s'écria le juge, c'est pour
ces innocentes bêtes , sans doute , que le
bon Dieu laisse luire le soleil, tomber la

rosée dans votre pays ; car vous autres,


qui avez de tels magistrats ne le méritez

assurément pas et n'êtes pas dignes de


pareilles bénédictions .
CONHH NZZV .

HISTOIRE DU CHIEN QUI VEUT ASSISTER A DEUX FESTINS.

es divertissements du jour
suivant furent les mêmes

que ceux du précédent. Le


prince fit une partie de
chasse au parc, on dîna,
on fit de la musique, on
dansa , on chanta , et en.
suite on se rendit au même endroit que

la veille. Chacun des sept sages s'étant


264 LES MILLE ET UN CONTES.

assis autour de Yakara, dans l'ordre de

leur âge, on vit ce jeune prince, le front


ceint d'une couronne, promener ses re-

gards d'un air content sur toute l'assem-


blée ; il pria le respectable Barmira de

conter quelque chose. Ce bon syrien


prit aussitôt la parole et s'exprima en
ces termes :
Le chien d'un fermier sortit un

jour avec son maître qui allait visiter le

propriétaire de sa métairie, il remarqua


dans la cuisine de grands préparatifs
pour un banquet qui devait avoir lieu
le lendemain. Aussitôt sa résolution fut

prise de s'y trouver à heure fixe, et en


attendant il rebroussa chemin avec son
maître.

Mais il arriva que le jour suivant on


donnait aussi un repas magnifique à la
ferme pour célébrer la noce du fils de
LES MILLE ET UN CONTES . 265

la maison , et l'on y faisait également de

grands apprêts . Le chien , pour ne rien


perdre de ces deux festins, se hâta d'aller

en ville afin d'assister au gala du pro-


priétaire , bien décidé à revenir dans le
village , pour prendre part à celui du

fermier.
Malheureusement la pauvre bête n'a-

vait pas fait attention à la longueur de


la route et elle n'arriva en ville que
longtemps après le repas. Il n'y avait
plus la moindre trace d'un festin . Bro-
ches et fournaux, tout était froid et dé-

sert. Notre chien au désespoir , voulait


par ses hurlements, exciter la compas-
sion des gens du logis, mais ceux-ci per-
suadés qu'il avait quitté son maître en
fugitif l'accablèrent de coups et le mirent

à la porte.
Le pauvre animal se rendit alors , et

34
266 LES MILLE ET UN CONTES.

tout en clopinant, à son gîte ordinaire,


espérant au moins y prendre bonne part

à la noce. Mais par un double malheur,

la nuit vint subitement le surprendre.


Minuit sonnait quand il arrriva devant
la maison de son maître. Tout le monde

dormait , et personne n'entendit ses


aboiements. Mais, comme une infortune

en attire toujours une autre, son absence


fut punie par une cruelle correction.

Épuisé par la faim , la soif et les mau-


vais traitements, il tomba de défaillance

et mourut.
Voilà l'histoire de tous les ambitieux.

Toute l'assemblée applaudit ; Tching-


Kjun , désigné pour conter ensuite , prit

à son tour la parole et commença son


histoire par le bel exorde qu'on va lire.

#
CONHH NZZV !.

POUVOIR DL L'AMOUR .

mour ! puissant A-
mour ! que tu es grand !
ton empire s'étend sur
tout ce qui existe ! Le monde est
assis sur ses fondements , et tu le

fais trembler ; l'Océan est agité ,


et tu rends ses flots immobiles .

Tu t'élances dans les hautes


régions du ciel, tu descends dans
268 LES MILLE ET UN CONTES.

les entrailles profondes de la terre , et

les êtres joyeux qui peuplent l'air, et les


tristes créatures qui habitent l'abime ,
frémissent et tremblent de ta présence.

Amour, délirant Amour, toi, qui lies

tout, qui soumets tout, que tu es terri-


ble lorsque tu portes inopinément le
trouble dans un cœur innocent. Tu y
souffles d'horribles tourbillons de feu ,

tu y exerces le ravage comme la tem-


pête ! Que de victimes de tes brûlants
traits, en proie au plus affreux délire ,
ont été englouties dans la tombe ! La fleur
de la beauté , la rose de la jeunesse , ne

suffisent point à ta puissance ; tu te fais


un jeu cruel d'enflammer le cœur glacé
de la vieillesse , de corrompre sa raison,

d'égarer son esprit et de livrer son âme

à la plus sotte fureur , à la plus folle


ivressc. Prince, écoutez l'histoire queje
LES MILLE ET UN CONTES. 269

vais vous' conter, elle confirme ce que je


viens de dire.
Vous connaissez Konfut-Sée, ce sage

de Shang-Tong, au royaume de Lu, qui,


dès sa jeunesse, se fit estimer par la soli-

dité de son jugement et la sévérité de sa


conduite. Marié à dix-huit ans , il eut

pour sa femme cet amour tranquille

qui occupe et remplit le cœur du sage.


Il était dans toute la Chine en grande

vénération, à cause de ses rares qualités,


car il joignait la science à la vertu, l'hu-
milité au savoir . La candeur, la modé-

ration , le désintéressement , le mépris


des richesses , formaient son heureux

caractère, et quoique sa patrie fut inon-


dée de tous les vices opposés à ses vertus,
il parvint au rang de mandarin . Il n'ac-
cepta cet honneur que dans la vue de
réformer les abus introduits dans la re-

BIBL. UNIV.
GENT
270 LES MILLE ET UN CONTES.

ligion et dans la morale , et de vaincre

tous les obstacles qu'il épaouverait de


la part des grands . Il parut destiné à

détruire , par son exemple , la corruption


des mœurs ; il avait toutes les qualités

nécessaires pour entreprendre avec suc-

cès un aussi grand ouvrage.


Il a osé même désapprouver le roi de
Lu , qui l'avait mandé à l'âge de cin-

quante ans à sa cour , et qui , pour le


fixer près de lui , l'avait revêtu de la

première charge du royaume . Ce prince


eut pour Kongfut - Sée tous les égards
que méritait ce sage ; il n'agissait que
par ses conseils . En moins de trois lunes

la cour et tout l'état prirent une forme


toute nouvelle. Le roi surtout changea ses

habitudes, et son sérail, peuplé des plus

belles femmes du royaume , était dans

les plus vives alarmes. Il pleura, il gémit.


LES MILLE ET UN CONTES. 271

enfin , hors d'état de résister davantage

aux inquiétudes qu'il éprouvait sur le


refroidissement du roi ; il se leva comme

une seule femme, se glissa chez le prince


un soir à la faveur des ténèbres, et tout

en larmes, il se jeta à ses genoux, en lui

demandant par quel malheur il avait


pu lui déplaire.
Le roi sensible à une scène aussi tou-

chante , releva toutes ces femmes avec

bonté ; pour les consoler, il eut la fai-

blesse de leur avouer qu'il ne les avait


abandonnées qu'à cause des remon-

trances sévères de Kongfut- Sée.


-Je gagerais, dit la reine du sérail ,
que ce censeur austère ne vaut pas plus

qu'un autre mortel ; permettez - moi


seulement , ô le plus excellent des prin-
ces de le mettre à l'épreuve?
Le roi consentit de bon cœur, et la
272 LES MILLE ET UN CONTES.

belle mit aussitôt tout en œuvre pour


séduire le sage vieillard. Elle avait un

costume des plus élégants , était parée


de bijoux précieux , ses mains étaient
teintes de henné , et les tresses de ses

cheveux flottaient majestueusement sur


ses épaules . Elle se mit à marcher en se

balançant avec grâce , en minaudant


avec noblesse , et ses femmes esclaves la

suivirent jusqu'à ce qu'elle s'assit dans

le salon de Kongfut-Sée , sous prétexte de


lui demander quelques conseils.
Après l'avoir salué , elle entama la
conversation .
Voyez un peu , lui dit - elle, avec
l'abandon le mieux calculé et en ôtant

le voile qui couvrait son visage , sem-


blable à une pleine lune marchant vers

sa quatorzième nuit , voyez cette figure


si elle est laide ; regardez ma taille ,
LES MILLE ET UN CONTES. 273

comme je suis droite ; est-il permis à


qui que ce soit de gloser sur mon
compte et de dire que je suis mal
faite?

Elle découvre en même temps une


partie de son sein et laissait au philo-
sophe la vue de charmes mille fois faits
pour troubler la raison.

Peut-on se permettre, continua-t-


elle , de dire que je suis d'une forme
ignoble, que je suis manchot. En même

temps elle lui montre à nuson avant-

bras, qu'on aurait pris pour du cristal,


et ainsi elle chercha à enflammer le

pauvre philosophe , par les ruses de la

coquetterie la plus raffinée. Transporté


d'étonnement et d'amour , Kongfut- Sée
ne sait s'il est encore existant. Il se jette
à ses pieds et lui peint avec des couleurs

les plus vives toute la violence de sa pas-

35
I.
274 LES MILLE ET UN CONTES.

sion , et la conjure de partager sa


flamme.

Que vous êtes présomptueux , vous


autres hommes, lui dit la belle avec mi-

nauderie ; nous devons toujours vous


aimer, et vous ne faites rien pour méri-
ter notre amour.
— Que faut-il faire , ô la plus belle

des femmes ! répondit avec transport le


vieux ministre , que faut-il faire , que

souhaitez-vous ? de grâce, parlez ? Quand


vous me demandericz ma vie, je vous la
donnerais.
-Demain , seigneur , je vous ferai

connaître , au jardin du palais , ce qu'il


faut faire pour me plaire véritablement ,

dit la reine du sérail en s'éloignant avec


ses femmes.

Dès qu'elle fut seule , elle fit avertir


le roi de se trouver secrètement au ren-
LES MILLE ET UN CONTES. 275

dez-vous du lendemain , promettant de


lui faire voir son grave censeur dans un
tel appareil qu'il aurait besoin lui-même

d'une bonne leçon.


Quant à Kongfut - Sée, le désir et l'es-

pérance avaient excité dans son âme un


trouble et une émotion que le sommeil
ne put dissiper . A son réveil , il se rendit

à l'endroit convenu . La belle y était

déjà, armée d'une longue verge.


- Voici la pierre de touche de votre
amour, lui dit-elle en le voyant arriver,

je vais voir si vous êtes capable d'être


complaisant pour une dame que vous
prétendez tant aimer ; j'ai la fantaisie de
vous voir , de sage que vous êtes , faire
un peu le fou, voulez-vous ôter vos ha-

bits et courir autour du palais ?


L'amoureux Kongfut -Sée consent à
tout : il ôte ses habits , court de toute sa
276 LES MILLE ET UN CONTES.

force, et la belle triomphante le poursuit

avec sa verge terrible. Dès que le roi le


vit ainsi courir tout nu , il se mit à rire
aux éclats en sortant de l'endroit où il

était caché. Kongfut-Sée, sans se décon-

certer et sans être honteux du rôle qu'il


jouait , salua le prince avec dignité , et
lui dit :

-Sire , ne soyez pas surpris de me


voir tomberdansla mêmefaiblessecontre

laquelle je vous ai exhorté si souvent ; je


connaissais le pouvoir de l'amour , ses

caprises , ses folies , et le spectacle ridi


cule que je vous offre dans ce moment ,
doit faire plus d'effet sur votre cœur ,

que toutes les leçons que j'ai eu l'hon-


neur de vous donner. La théorie ne vaut

jamais la pratique et le meilleur pré-


cepte, le plus mauvais exemple.
CONTE XZZVII .

LES TROIS FAVORIS.

uand le Chinois eut

fini, Abou- Bekir, qui

avait gardé un profond


silence pendant toute
la séance, se leva avec
9 recueillement, récita la

formule Il n'y a pas d'autre Dieu que

Allah et Mahomet et son prophète ;


puis, s'adressant au Prince, il lui dit :
278 LES MILLE ET UN CONTES .

Au temps de Lokman , un visir avide

de tout ce qui pouvait embellir sa vie,


avait trois favoris , dont chacun occu-

pait une place dans son cœur, mais qu'il


aimait de diverses manières . Le premier,

plus que lui-même ; le second , autant


que lui-même ; le troisième , moins que
lui-même.

C'est ainsi que le cœur de ce minis-


tre était partagé entre trois amis , dont
chacun était l'objet de ses tendres soins,
suivant le degré d'affeetion et d'amour
qu'il éprouvait pour lui. Il sacrifiait les

plus belles jouissances de la vie au pre-


mier, il passa plus d'une nuit sans som-
meil, uniquement préoccupé de ce favori
aimé sur toutes choses, pour lequel il af-

frontait les dangers les plus imminents.


Il chérissait aussi tendrement le se-

cond, cet autre lui-même, envers lequel


LES MILLE ET UN CONTES . 279

il se montrait toujours complaisant par

toutes sortes de prévenances .


Il n'en était pas de même du troi-

sième ami , qui lui devenait parfois im-


portun , quoique il l'aimât au fond du

coeur.
Cet état de choses dura longtemps sans
que l'heureux visir songea jamais à

connaître le degré d'amitié que chacun


de ses amis avait pour lui, jusqu'à ce
qu'il vint une époque qui lui fit ouvrir
les yeux sur la valeur véritable de cha-

cun d'eux. Le roi, son maître, s'irrita un


jour contre lui, le fit traduire devant le
tribunal pour répondre aux diverses ac-
cusations qu'il lui imputait. Ne sachant
comment se défendre , il alla trouver

son premier favori pour le prier de vou-

loir l'accompagner et d'employer son

pouvoir en sa faveur.
280 LES MILLE ET UN CONTES.

Mes affaires, lui répondit l'ami bien-


aimé, d'un air embarrassé , ne me per-

mettent pas de m'éloigner, je ne puis te


défendre , tâche de te défendre toi-
même.

Le malheureux visir ne put croire à


ses oreilles, il fit de nouvelles instances,

mais inutilement ; désespérant enfin de


fléchir cet ingrat pour lequel il avait

tant fait , il s'adressa au second ami.


Celui-ci plus fidèle que le premier ,
quoique il l'aimât moins, s'offrit à l'ac-

compagner jusqu'à la porte du tribu-


nal, mais il se dispense d'y entrer, sur

ce qu'il était obligé de s'absenter pour


quelque temps . En vain le pauvre visir
lui rappela tuute son amitié pour lui, il
resta inébranlable dans sa résolution

de ne pas se présenter avec lui devant


son juge.
LES MILLE ET UN CONTES. 281

Ayant ainsi été congédié par le pre-


mier et le second amis, il eut recours au

troisième, quoiqu'il comptât peu sur lui.


Mais contre son attente, ce favori tant

négligé, s'empressa de le consoler . Je ne

veux pas seulement t'accompagner , lui

dit-il d'un air empressé, partout où il te


faudra aller, mais je veux encore plaider
ta cause devant le roi ton maître, et em-

ployer tout mon crédit pour te faire ga-

gner ton procès .


Mortel , c'est toi le Visir aux trois favo-

ris. Le premier que tu aimes plus que


toi-même, c'est ton argent. Tu le chéris
et le caresses pendant toute la vie; tu lui

sacrifies les plus belles jouissances de

ton existence , jour et nuit tu es occupé


de lui, cependant au jour de ta mort, à

cette heure suprême , quand tu es ap-


pelé devant le tribunal pour rendre
36

36
I.
282 LES MILLE ET UN CONTES.

compte au Roi des Rois, il ne peut t'ac-


compagner, ni plaider ta cause, devant

le juge qui est au-dessus de tout. Le se-


cond ami que tu aimes autant que toi-
même, c'est ta femme, ton fils , ta fille :

ils t'accompagnent bien jusqu'au bord


de la tombe, mais là ils te quittent pour

toujours, sans qu'il soit dans leur pou-


voir de te défendre ou de te protéger.

Ce n'est que la vertu , le troisième favori,


qui te suit au-delà du tombeau, il te

soutient et plaide ta cause devant le tri-


bunal divin au jour du jugement.

L'allégorie qu'Abou - Békir venait de

faire ne fut point écoutée sans le plus


vif intérêt. Il fut surtout fort applaudi

du jeune prince . Après quelques ré-


flexions auxquelles il donna lieu , Sou-
baya prit la parole et s'exprima ainsi :
1463 214 2

auze uit

FIRST CONHH NAZZVIII .

L'HEUREUX IVROGNE.

1 y avait à Moukdjen un
ivrogne des plus fameux
qui était tellement adonné

à la boisson qu'il avait


vendu jusqu'à son mobi-
lier pour satisfaire sa soif

inextinguible . Ses enfants,


quiavaient vu , avec la plus profonde dou-

leur, les faiblesses de leur père s'augmen-


)

284 LES MILLE ET UN CONTES.

ter de jour enjour, se dirent entre eux :

Si nous laissons plus longtemps notre


père s'égarer de la sorte, nous n'aurons
plus rien à hériter de lui .

Ils avisèrent aux plus doux moyens


pour faire cesser une si mauvaise et si

vilaine habitude. Mais ce fut envain ; il


continua à boire tout comme aupara-

vant. Alors ils résolurent de ne rien né-

gliger pour faire changer cette déplora-


ble conduite.

Un soir qu'il était complètement

ivre, ils le portèrent dans un cimetière ,


et le placèrent dans un souterrain , où

l'on était dans l'habitude de déposer les


morts. Ils se flattèrent que la frayeur
qui allait l'environner à son réveil lui
donnerait matière à faire de sérieuses

réflexions sur la vie qu'il avait menéejus-

que-là, et qu'il renoncerait à une habi-


LES MILLE ET UN CONTES . 285

tude qui entraîne d'aussi fâcheuses suites .

Ils le quittèrent en disant : il nous


pardonnera un trait d'irrévérence sans

doute , mais qui doit tourner à son


avantage . Le lendemain ils s'empressè-
rent de se rendre au souterrain , où ils

croyaient trouver leur père, faible et à

jeun . Quelle fut leur surprise , en ar-


rivant à la caverne , de lui voir à la bou-

che une bouteille qu'il avait à moitié


vidée , ayant fort bonne mine, et pa-
raissant fort content . Quantité d'autres

bouteilles en partie vides , en partie


pleines gisaient autour de lui. Ses

enfants lui parlèrent , mais sans pouvoir


obtenir de réponse , qui leur donnât le

moindre éclaircissement .

Le hasard avait voulu que , pendant


la nuit, des contrebandiers étaient arri-

vés avec une quantité de vin qu'ils in-


286 LES MILLE ET UN CONTES .

troduisirent secrètement dans la ville,

en fraudant les préposés aux droits ;

mais ayant aperçu de loin la garde, et

craignant d'être pris, ils avaient caché


leur marchandise dans le souterrain ,

qui leur paraissait un lieu où la perqui-


sition n'était pas facile ; ils s'étaient re-

tirés avec l'intention de passer leur vin


à une meilleure occasion.

L'heureux ivrogne à son reveil, se


trouvant dans un endroit obscur , envi-
ronné de morts, trembla d'abord et fut

épouvanté. Mais la faible lumière qui


lui donna connaissance de son téné-

breux séjour, lui fit découvrir la riche


provision déposée dans son voisinage.
La vue de ce trésor inattendu le combla

de joie. Il ne pensa plus ni à la mort,


ni au souterrain ; il ouvrit les bouteilles
l'une après l'autre , et en avala le pré-
LES MILLE ET UN CONTES. 287

cieux contenu de manière qu'il se trouva

tout aussi ivre qu'il l'avait jamais été.


Et ce fut dans cet état que ses fils le
trouvèrent. Accablés de douleur et de

chagrin, ils s'écrièrent : que nous som-


mes malheureux, toutes nos peines sont
inutiles. Le hasard favorise son pen-
chant ; nous ne parviendrons jamais à
le corriger. D'ailleurs on ne renonce
que fort rarement à de mauvaises ha-

bitudes ; un vice enraciné n'abandonne

pas , même aux approches de la mort,


le malheureux qui y est adonné. Notre
devoir est donc de cacher sa faiblesse,

puisqu'elle est incurable ; reportons-le


à la maison et donnons lui, dans une

chambre à part, à boire autant qu'il en

voudra. pourvu qu'il ne soit plus en


butte à la risée publique. C'est ce qu'ils
firent en effet .
CONTE ZZZIZ.anda

LE PAUVRE ET LE LÉPREUX.de

e spirituel Indien , après


avoir conté l'histoire que
Vous venez de lire, se tut

pour entendre ce qu'en di-

rait le prince, qui toujours pressé d'é-


couter de nouveaux récits , ne fut pas
peu content de celui-ci. Il lui fit ses

compliments avec toute la dignité que

son aspect vénérableet sa haute réputa-


tion devaient naturellement inspirer.
LES MILLE ET UN CONTES. 289

Puis , il s'adressa à l'enjoué Persan et


lui donna à entendre qu'il désirait vi-
vement écouter son histoire . Aussitôt

Bibé prit la parole d'un air satisfait et


s'exprima de la manière suivante :

Il y avingt ans que j'assistai à la fête

d'un des princes du Khorasan , qui fut

célébrée avec beaucoup de pompe à


Nischabour . A l'occasion de cette fête,

plusieurs histoires amusantes et curieu-


ses furent contées , la plupart se sont ef-

facées de ma mémoire ; mais , parmi

celles qui m'ont le plus diverti, je tâ-


cherai d'en retrouver une qui pourra
peut-être amuser un instant notre ex-

cellent Prince . Yakara lui fit signe de

son approbation , et le bon Persan , pour-


suivit son histoire en ces termes :

Un pauvre , accablé de peine et de


misère, perd enfin patience . Il maudit

37
290 LES MILLE ET UN CONTES.

son sort cruel et prend la résolution de

se jeter à l'eau.norantes & sanob of


Arrivé au bord de la rivière où il vou-

lait se noyer, il aperçut un lépreux , qui


venait à lui et lui demanda la demeure

d'un médecin qui pourrait le guérir.


-Mon frère, lui dit le pauvre avec un
sourire amer, fais comme moi, et tu seras

bientôt débarrassé de ton mal.di


Je ne suis pas encore las de vivre,

lui répondit froidement le lépreux , je


veux au contraire recouvrer ma santé.

Quelqu'un les ayant entendus parler


ainsi, leur dit : mes amis , si vous voulez
persister dans votre résolution , il faut

changer le rôle ; vous malade , pour


vous guérir, prenez des bains dans la

rivière, et vous, malheureux , pour vous


délivrer d'une existence si douloureuse ,

allez trouver un médecin .


alsoani oft sjedal
total to hom
anaviy solario d

Comabadnoosobre

CONTE AL
Alle Job I

+ shr LA COLONNE DE PIERRE !

Show

e conte du pauvre et du
lépreux fit beaucoup rire
le prince ; mais il fut à

peine achevé que Yakara ,


pour se conformer à l'or-

dre établi , pria le profond


Noam , de prendre la pa-
cold role à son tour. Celui-ci ,

aussi complaisant que savant , répondit


LES MILLE ET UN CONTES.
292

avec un sourire des plus gracieux, et


débuta de la sorte.

La mort et le terme vers lequel mar-


chent tous les vivants , elle appelle sans
cesse, les générations de la terre. Où sont

les descendants de nos premiers parents ?


Où sont Adam et Chaveh eux-mêmes ?

Ils sont allés à leur destination , où nous

les suivrons . Cependant le jour du tré-


pas d'Adam , le soleil parut voilé d'un
crêpe lugubre , les nuages couvrirent
l'Orient , les vents retinrent leur haleine,

la mer se souleva, et tout ce qui respire

prit le deuil.
Dieu commanda alors aux anges , de
consoler la nature. Ils descendirent sur

la terre près d'une colonne de pierre

que Seth tit élever en l'honneur de son


père . Les esprits célestes y gravèrent le
nom sacré de Dieu , et aussitôt le soleil
LES MILLE ET UN CONTES. 293

reprit son éclat , les nuages qui cou-


vraient l'Orient se dissipèrent, les vents
retrouvèrent leur haleine, la mer se
calma , et tous les enfants de l'homme
commencèrent à vivre heureux et unis.

Cinq générations se succedèrent ainsi


au sein du bonheur et de la félicité , et
aucune d'elle ne chercha à reconnaître

l'inscription divine de la colonne de

pierre. Henoch seul , marcha constam-


ment devant le nom sacré de Dieu, et

chercha à le connaître. Il avait déjà vé-

cut de longues années et engendré un

fils qui fut le père de la septième géné-


ration , lorsqu'il parvint à déchiffrer
le mot céleste. A ce moment sollennel,

la parole s'effaça de la colonne de


pierre , et tout le corps de Henoch de-
vint brillant et radieux. Les mains et les

yeux se dirigèrent vers le soleil . Il salua


294 LES MILLE ET UN CONTES.

trois fois le ciel et disparut. Personne

n'a connu sa mort, car il ne parut plus


et tout le monde croit qu'il vit encore.

Le prince, dont les yeux brillaient de


contentement du récit du sage Palesti-
nien, lui dit : la adnod pb nise us
SionJ'ai écouté avec bonheur l'enlève-

ment au ciel du bienheureux Hénoch,

et je désire vivement de connaître ce

que le monde advint, après la dispari-

tion miraculeuse de ce grand patriarche.


Si votre altesse royale est curieuse

de savoir la suite de cette histoire, je


reprendrais mon récit à cet endroit, ré-
pondit Noam.ou so deglio tom ni

- Je vous en prie, mon cher maître,


dit Yakara. b aqros of dual toniq

Et aussitôt le bon conteur continua


ainsi sa narration : gaib tune
40T700 20 13 nec

stoh ish etimado al , Jon


telemmeringsbonálogo slov

noboost Filial loovillus

for shingo onde o sing

HANACONTE ZLI. soulquist


- obron

LE COUPLE BIEN ASSORTI


Jain al amor

we hope ting of all..

sistaan bevin

ependant , plu-
sieurs démons qui

s'étaientjoints aux
anges descendus

sur la terre, ayant


parlé aux filles des

hommes, furent séduits par leur grande

beauté ; ils les prirent pour épouses et


ne tardèrent pas à devenir pères. Dès ce
296 LES MILLE ET UN CONTES.

moment , les éléments , la durée de la


vie, le caractère des hommes , tout a
souffert , tout a été altéré. La fraude a

pris la place de la justice , le mensonge

remplaça la vérité , jusqu'à ce que Dieu

se repentit d'avoir fait le monde et réso-


lut d'exterminer tout ce qui respirait
sous le ciel.

Déjà le déluge s'était répandu sur


tout l'univers , déjà Noach , s'était en-
fermé dans l'arche, lorsque l'Injustice ,

ne trouvant plus d'occupations sur la

terre , se présenta et demanda à être


admise dans le refuge. Noach qui ne la
connaissait point, se montra disposé à

sa demande , en lui déclarant toutefois

que la chose ne pourrait se faire, tant


qu'elle n'aurait pas de compagne , at-

tendu qu'on ne recevait dans l'arche


que des couples appareillés.
LES MILLE ET UN CONTES. 297

L'Injustice dut donc abandonner son

projet ; mais à peine s'était-elle éloignée


de quelques pas , qu'elle rencontra le

Mensonge , qui venait aussi pour s'in-


troduire dans l'arche.

- Hé bonjour , ma belle , lui dit- il ,

d'où viens-tu, chère amie?

-De chez le bonhomme Noach, que


j'ai prié instamment de me laisser entrer
dans sa cage, répartit l'Injustice, mais il
ne me l'a permis qu'à condition de me
procurer d'abord un bout d'homme.

Veux-tu m'avoir pour mari , je te


promets de t'abandonner tout ce que je
gagnerai dans l'archeparmon industrie.
Cet offre fut accepté , et un contrat

formel fut aussitôt passé entre ce couple


si bien assorti, qui se rendit auprès de
Noach, et fut introduit dans l'arche sans

plus de difficulté. A peine y furent-ils


888

38
I.
298 LES MILLE ET UN CONTES.

placés, que le Mensonge semit àl'ouvrage


et fut extrêmement actif. Il fit les meil-

leures affaires, mais sa vigilante compa-


gne, épiait attentivement ses démarches,

et il n'avait pas plutôt fait quelques pro-


fits qu'elle les lui happait sous le nez.
-Tu me prends tout, s'écria le Men-

songe d'un ton d'aigreur.


Notre contrat ne porte - t- il pas ,

répliqua l'Injustice ( qui ne se montre

injuste, qu'envers les autres , car en ce


qui la concerne, elle forme des droits à

l'équité la plus rigoureuse ) , que tout ce


que tu gagneras doit n'appartenir ?
Le mensonge nia d'abord le fait , mais
contraint d'avouer la vérité, il dut subir

son sort en silence . Depuis ce temps, le

Mensonge n'est plus en sûreté en pré-


sence de l'Injustice, et il ne la supporte
qu'en murmurant.
CONHH XLII .

LA GROTTE NOIRE.

oyons , interrompit Ya-

kara , quelle fut , après


le déluge , la conduite

dela postérité de Noach ,


ce second père du genre humain?
- Prince , les descendants de celui
qui échappa seul des eaux du déluge , à
mesure qu'ils se multiplièrent , effacè-

rent de leur âme , jusqu'au moindre


300 LES MILLE ET UN CONTES.

souvenir , la vertu de leur père , et se


plongèrent dans le vice le plus honteux .

Dans leur aveuglement , ils poussèrent


même le déréglement jusqu'à prostituer
à des créatures , qu'ils représentaient sou-

vent sous la figure des plus vils animaux,


les hommages qu'ils ne devaient qu'à

40
Dieu. La contagion s'étendit chez tous

0
les peuples, et l'idolâtrie y fit des ravages
prodigieux. Un seul homme , Abram,
marcha dans la voie du Seigneur et

trouva grâce à ses yeux.


Cet homme pieux, qui fut le père des
croyants, s'était retiré dans une grotte

noire pendant son enfance. Un roi impie


lui tendait des embûches et en voulait

à sa vie. Néanmoins, au sein de sa grotte


obscure , la loi de Dieu était dans son

cœur ; il en faisait l'objet de ses plus


sérieuses réflexions et demandait :
LES MILLE ET UN CONTES. 301

Quel est mon créateur ?


Comme il sortait de sa retraite , il

aperçut pour la première fois , le ciel et

la terre; quelles furent sa surprise et sa


joie! Il demanda dans tous les lieux d'a-
lentour :

Quel est le Dieu du ciel et de la


terre?

Le soleil venait de se lever ; il tomba


aussitôt sur sa face :

Est-ce là , s'écria-t-il, le maître de


l'univers ? Ah ! combien son aspect est
éclatant !

Il s'arrêta le jour entier dans cette


contemplation; mais, comme vers le soir ,

le soleil se coucha pour faire place à la


lune, il dit tristement :

Cette lumière , qui se couche , ne

peut être le maître du monde : peut-être

est-ce cette autre lumière, moins grande,


302 LES MILLE ET UN CONTES .

il est vrai, mais non moins magnifique ;


et cette armée d'étoiles compose sans
doute le cortège de ses serviteurs .
Il se prosterne aussitôt devant l'astre
de la nuit. Mais la lune et les étoiles

ayant disparu aussi , Abram resta de

nouveau seul :

-Je vois, dit-il, en soupirant, que


cette planète n'est pas le créateur de

toute chose!
Quel est donc le souverain maître

de toutes choses?

Alors Dieu lui apparut, et le pieux


serviteur le reconnut et l'adora.

Éclairé par la sagesse divine, il s'ef-


força de retirer de l'erreur son père,
qui, loin de l'écouter, lui ordonna de se
faire des idoles et d'en avoir soin. Le

fils de Térach obéit, quoique à regret, à


l'ordre impie de son père.

#
Top

CONHH KLIII .

LA FOURNAISE ARDENTE.

oam ayant cessé de


parler , le prince lui
dit :
Voilà un fils

bien dévoué ; mais

qu'est-ce qu'était son père?


Le père , répondit l'excellent Pa-

lestinien , n'était pas seulement un ido-


lâtre, mais encore un faiseur de sta-
304 LES MILLE ET UN CONTES.

tues, qu'il avait l'habitude d'employer à

des usages publics. Un jour qu'il était


sorti de la maison pour quelqu'affaire ,

qui l'appelait au dehors, un vieillard se

présenta à Abram , en lui demandant


le prix d'une image qui lui plaisait
beaucoup .

- Oserais-je te demander ton âge ,


répondit Abram , en déclinant la ques-
tion .
— Soixante quinze ans, répartit le

vieux idolâtre.
- Soixante quinze ans ! s'écria
Abram , et tu veux adorer une image

que les ouvriers de mon père ont fa-


briquée, il y a à peine vingt-quatre
heures, O folie ! un homme de soixante

quinze ans, veut baisser sa tête grise de-


vant l'idole d'un jour !
Ce discours couvrit tellement le vieil-
LES MILLE ET UN CONTES. 305

lard de confusion , qu'il se retira sans


rien dire. op og ovir hul stog

Il en vint encore un second, un troi-

sième, un quatrième qu'Abram ren-


voya de la même manière. Enfin une

vieille femme, qui tenait un vase de

fleur de farine, s'approcha pour consa-


crer à ces statues sa belle farine . Abram

transporté d'indignation , prend une


hâche et brise toutes les idoles, à l'ex-

ception d'une seule, plus grande que les


autres, dans les mains de laquelle il mit
l'instrument qui avait servi à cette exé-

cution.
Terach à son retour vit avec surprise

ses statues qu'on avait mises en pièces.


Il demanda à son fils quel était l'au-
teur de ce désordre. Abram lui dit,

qu'une offrande de farine , qu'une

vieille femme avait apportée à ces ido-

39
333
306 LES MILLE ET UN CONTES.

les, avait fait naître entr'elles une dis-

pute fort vive, parce que chacune des


divinités prétendait en manger; la plus
forte de toutes s'était levée et ayant pris

une hâche, avait brisé les autres.


Terach répondit à Abram, qu'il
cherchait à l'abuser par un artifice trop

grossier, puisque les statues dépourvues


de tout sentiment, n'étaient capables
d'aucune action. Inoloid to sold

Ah! mon père, répliqua aussitôt le


vrai croyant , songez - vous à ce que vous

venez de dire ? Est-il possible, après l'a-

veu que vous venez de faire que vous ren-


diez encore les honneurs divins à ces ido-

les, quevous reconnaissez être inanimées,


et que vous puissiez en attendre quelques
secours? Elles qui n'ont pu garantir leurs
têtes des coups qui leur ont été portés.
Terach bien loin de rougir de son
LES MILLE ET UN CONTES . 307

aveuglement , s'irrita des sages démon-


strations de son fils pour l'arracher à
l'idolâtrie. Il alla sur le champ , le livrer

lui-même au roi impie,qui le poursuivait


dès son enfance . Celui -ci le fit venir aussi-

tôt devant lui, comme l'ennemi des divi- 788


nités tutélaires des Chaldéens , et voulut

le contraindre à adorer lé feu.

-Prince, répondit Abram , pourquoi


ne pas plutôt rendre hommage à l'eau ,

car elle est plus puissante que le feu


puisqu'elle a la vertu de l'éteindre .

-Adore donc l'eau, répartit Nimrod .


-Je ne vois point , s'il ne serait pas

plus raisonnable d'adorer les nuages ,


puisqu'ils portent l'eau dans leur sein ,

et la laissent découler sur la terre.

Eh ! bien implore donc les nua-


ges, puisque tu crois que leur puissanee

est encore plus grande .


308 LES MILLE ET UN CONTES.

-Un instant, sire, si c'est la puissance

que nous devons invoquer, la préférence


est au vent, qui pousse par sa grande
impétuosité les nuages les uns contre les
autres, et les chasse devant lui.

-Avec tous ces discours, n'en vien-

drons-nous jamais à bout, honore donc


le vent.

-Ne te fâche pas, grand maître, je


ne puis adorer, ni le feu, ni l'eau, ni
les nuages , ni le vent ni aucune des

choses que tu appelles divinité. Toute


la puissance qu'elles possèdent , elles la
tiennent de la bonté du Tout-Puissant,

créateur du ciel et de la terre , c'est de-

vant lui seul, queje veux me prosterner.

-Eh ! bien puisque tu refuses d'ado-


rer le feu , tu ne tarderas point à ressentir
sa force et sa puissance, s'écria le roi
avec colère , et il ordonna aussitôt de


LES MILLE ET UN CONTES. 309

jeter Abram dans une fournaise ardente.

Haran , frère d'Abram , sous les yeux

duquel cette scène se passait , admirait la

grande sagesse du père des croyants . Ce-


pendant incertain sur le parti qu'il

avait à prendre, il voulut attendre le suc-


cès de l'évènement , et résolut en lui-

même de suivre la croyance de son frère ,


si le feu ne le brûlait pas, ou de persister
dans la religion du pays, s'il devenait la
proie des flammes.
Abram sortit sain et sauf de la
fournaise alors Haran déclara haute-

tement qu'il croyait au Dieu d'Abram .

Ayant été condamné au même sup-


plice il fut consumé dans la four-
naise; le feu exerça son action naturelle

sur ce malheureux , parce que sa foi


était douteuse et incertaine . no li ide
Besformy n tiny noe theams livine
ody ubwkop

CONTE XLIV.quien
sadoch
LA CAISSE PRÉCIEUSE.

ette belle histoire

attira au Pales-

tinien les éloges

qu'il en attendait
et ne donna que

plus d'envie de connaître la suite ; les


regards du prince témoignèrent com-
bien il en serait charmé, Noam pour-
suivit aussitôt son récit en ces paroles :
LES MILLE ET UN CONTES. 311

Une ville de Chaldée possédait


alors une jeune fille , modèle de ver-
tus , de grâces et de beauté , dont
le nom était Saraï. Abram en devint

amoureux, et lui fit si bien partager sa


passion, que dans l'impossibilité où ils
étaient de se marier librement comme

ils l'auraient voulu , Saraï consentit ,

quoiqu'après de longs combats , à se


laisser enlever par son ami, et à le sui-
vre en pays étranger. Les mesures étaient
prises pour leur évasion ; ils se rendi-

rent pendant la nuit en Égypte.:


Abram s'était pourvu de toutes les

provisions nécessaires pour ce long


voyage. En entrant dans la capitale, il
jugea à propos de cacher sa belle Saraï
dans une caisse, à cause de son extrême
beauté. On lui demanda ledroit d'entrée,

il répondit qu'il était prêt à le payer.

BIBL. UNIV .
GENT
312 LES MILLE ET UN CONTES.

Avez-vous des habits dans votre


caisse ?

- Je vous payerai comme si j'y avais


des habits.

Avez-vous de l'or?

Je vous payerai comme s'il y avait


de l'or.

Eh ! vous portez donc des pierres


précieuses ?
-Voilà l'argent, dit Abram pour

des pierres précieuses.


Mais les receveurs du droit répar-
tirent :

Cela ne se peut pas , il faut voir


ce qu'il y a dans la caisse.
On l'ouvrit , et tout le monde fut

frappé de l'éclat de la beauté de Saraï .

Le roi la vit , en devint passionné et

l'enleva , après qu'Abram l'eut fait


passer pour sa sœur. Mais la belle et
LES MILLE ET UN CONTES. 313

fidèle Saraï se précipitant aux pieds du


roi, lui dit en fondant en larmes.
Seigneur , tout ce que ce jeune
homme vient de déclarer à votre ma-

jesté , est faux : je suis sa femme , sa


femme légitime ; la peur seule lui fait

dire que je suis sa sœur.


Le prince persuadé de la vérité de
Saraï, la rendit aussitôt à son mari.
Il était dans la destinée de cette

femme, d'être encore le jouet de l'amour.


En arrivant dans les états d'un autre

roi , elle toucha le cœur de ce prince,

soit que sa beauté eût frappé ses re-

gards, soit qu'on lui eut fait un rapport


avantageux. Il résolut de la prendre et

pour cet effet il envoya ses gens qui la


lui amenèrent. Mais sa vertu la protégea

et ne permit point que son nouveau


ravisseur lui fit le moindre outrage.

40
I.
CONTH XLV.

LA JOLIE BEGUE

riam - Sahet, en voyant

que Noam ne parlait


plus, et que le prince
lui fit signe de conter,

prit ainsi la parole :


Parmi les nombreuses in-

firmités auxquelles l'homme est sujet, il


en est certainement peu d'aussi affli-

geantes que les difficultés de la parole,


LES MILLE ET UN CONTES. 315

soit qu'elles se présentent sous leurs

formes les moins choquantes , comme

une simple hésitation ou un essayement ,


soit dans un dégré plus marqué comme
un begaiement continuel , soit enfin dans

ce que cette infirmité a de plus hideux ,


lorsqu'elle est accompagnée de contor-

sions de tous les muscles du visage.


Je ne parlerai pas de l'embarras , de

l'humiliation qu'éprouvent les person-


nes affligées de ces défauts , du ridicule
même dont on cherche à les couvrir au

lieu de les plaindre . Mais combien de


jeunes gens que la fortune a placés dans
les rangs les plus élevés, et à qui elle pro-

mettait la carrière la plus brillante , n'ont-


ils pas étéforcés de renoncer à toutes leurs
espérances ? Combien de talents utiles et

agréables , enfouis dans la retraite , qui


semblaient destinés à faire l'ornement
316 LES MILLE ET UN CONTES,

de la société ? Le mal que je ne crains

pas d'appeler fléau, et qui en est réelle-


ment un pour toute personne qui aspire

à remplir une place dans le monde,


non-seulement est funeste au talent et à

la fortune , mais il dépare jusqu'aux


charmes de la beauté.
Tazi-Mala était au milieu de ses com-

pagnes comme une fleur brillante entre


les ronces et les arbustes. Lorsqu'elle
regardait, son œil étincelant comme une

étoile, et les rayons de sa prunelle, sem-

blables à des éclairs , jetaient un feu ar-


dent. Mais elle était bègue ; et ce mal-
heur la rendait ridicule toutes les fois

qu'elle ouvrait la bouche. En vain sa


beauté lui attira une foule d'adorateurs,

son langage les faisait tous fuir aussitôt.

Longtemps Tazi-Mala, désespérant de


trouver un mari , mais enfin un jeune
LES MILLE ET UN CONTES. 317

homme, nommé Suen-Ka, entraîné par


ses charmes infinis , oublie qu'elle est
privée de la parole et la demande en
mariage . Qu'on se figure la joie de la

pauvre bègue. Tremblante de plaisir et

d'espérance , elle ne compte que lesjours ,


les heures et les minutes qui la séparent
encore du moment de cette heureuse

union . Déjà on était au temple sacré pour


recevoir la bénédiction nuptiale , déjà le
prêtre avait récité la sainte formule du

mariage , lorsque Tazi-Mala chagrinait

fort son fiancé, par sa longueur à répondre


aux questions du pontife . La malheu

rense elle ne sût jamais exprimer le mot


oui , quelque fut la peine qu'elle s'en

donnât. Suen-Ka impatient s'en alla


enfin en disant : Je serai vieux avant que
vous n'ayez prononcé le oui : quand pré-

tendez-vous que je vous marie?


CONTE ALVI .

LE CRIMINEL

n vif mécontentement se

peignit, à ce récit, sur la


figure de la zélée nour-
rice . Après avoir jeté un regard
de colère sur le jeune moqueur, elle
prend la défense de son sexe et entra
ainsi en matière :
-
Respectez les femmes, elles cueil-
lent avec amour les fleurs de la consola-
R

LES MILLE ET UN CONTES . 319

lation et les répandent sur le chemin


douloureux de notre existence . Qui a

soin de notre faible enfance? Qui passe


de longues nuits auprès de notre lit de

douleur ? Qui nous soutient dans la

souffrance de nos revers ? Qui nous re-

lève dans les angoisses du désespoir ?


C'est la mère , c'est l'épouse, c'est la

femme. L'histoire que je vais vous ra-


conter sera la preuve de tout ce que je

viens d'avancer .
Endey était la plus tendre et la meil-
leure des mères . Malgré la délicatesse de
sa santé et l'immensité de sa fortune elle

abreuvait elle-même de son lait un en-


fant adoré , seul fruit d'une union mal
assortie. Dans sa tendresse elle oublia le

monde, ses attraits et sa jouissance ; elle

s'oublia elle - même et s'épuisa par l'ex-


cès de soins qu'elle prodiguait à un fils
320 LES MILLE ET UN CONTES.

bien-aimé. Ah! vous ignorez ce que

c'est qu'une mère, si vous doutez un in-


stant de la vérité de ce fait . Ceci n'était

rien encore en comparaison de ce qu'elle


faisait lorsque son fils tomba malade. On

ignore comment elle a pu résister à la


fatigue ; elle ne le quitta ni jour ni nuit.
Cependant cet enfant chéri devenu

grand, rendit sa mère la plus malheu-


reuse des femmes ! Non - seulement il

dissipait dans des plaisirs désordonnés


toute la fortune d'Enley, mais il l'acca-
bla, il la maltraita et la chassa,

Que fit la pauvre mère , après que


cette infâme conduite de son fils l'eut

précipitée dans cette horrible situation?

Elle se réfugia dans une ville étrangère


et entra en service dans une hôpital . Là ,
à l'aspect continuel de tous les maux qui
affligent l'humanité , elle fit taire les
LES MILLE ET UN CONTES. 321

siens. Active, empressée, compatissante,


elle devient bientôt l'espérance et la
consolation de tous les malheureux.

Endey relevait le cœur abattu de celui-


ci , fortifiait l'âme affaiblie de celui-là .

Il y avait déjà bien des années qu'elle


s'était dévouée ainsi à l'humanité souf-

frante, lorsqu'un jour on amena un


étrangé , pâle , défait , égaré , qui avait
été trouvé à demi-mort. Un sombre dés-

espoir semblait le dominer ; il gardait


un morne silence ; il refusait tous les

secours que l'on cherchait à lui offrir .

Endey accourut auprès de lui, elle lui


adressa de consolantes paroles, elle le
presse, elle le conjure, elle lui prodigue
tous les soins de la plus tendre mère.
L'étranger y fut sensible et bientôt elle

obtint de lui des des aveux terribles.

Je suis un criminel, lui dit-il, un

41
I.
322 LES MILLE ET UN CONTES.

infâme criminel qui mériterait la corde,

si la mort que je sens dans mon cœur ne


va faire tantôt justice. J'ai eu une

femme, ô la plus vertueuse des femmes,

elle était jeune et jolie, ne vivait que

pour moi. Dans sa sollicitude pour mon

bonheur, elle n'épargnait ni soins, ni


tendresses , et moi insensible et froid je
la tuai à force de la tourmenter . J'ai eu

une mère, ô la plus tendre des mères, elle


était riche et délicate et ne respirait que

pour moi . Dans ses soucis pour mon bien


être elle n'épargnait ni affection , ni

amour et moi, ingrat et orgueilleux , je


la ruinai, la maltraitai et la chassai. Oh !
je la vois encore, cette excellente mère,
elle s'en alla en me pardonnant et moi,

monstre que je suis, je criai après elle :


va t'en misérable Endey !
-Mon fils ! s'écria à ce mot l'infor-
‫سى‬

LES MILLE ET UN CONTES. 323

tunée infirmière et elle tomba évanouie

près du lit de l'étranger.


C'était en effet son fils. Sa douce

prière, son éloquente persuation adou-


cirent les derniers moments de ce misé-

rable , qui rongé dans les remords et

brisé par cette rencontre inattendue

succomba au bout de quelques heures.


La mère le pleura comme s'il avait été

bon fils, bon époux et homme vertueux.

Toute l'assemblée, excepté Biam-Sahet,

applaudit Rina qui en fut enchanté.

Sa jolie fille, désignée pour conter


ensuite, prit à son tour la parole, et après

avoir salué le prince avec sa grâce or-


dinaire , elle s'exprima de la manière
suivante.
CONTA ZLVII.

LES DEUX COFFRES VIDES.

ainte fois, j'ai


entendu dre

et raconter aux
vieillards que
M
la sagacitévaut
mieux que l'é-
rudition . Ils ci-

taient l'exemple de deux jeunes philo-

sophes qui aimaient éperdument la


LES MILLE ET UN CONTES. 325

princesse Mélofa . L'un, toujours plongé


dans des profondes méditations, était
regardé comme un prodige d'érudition ;
l'autre, moins méditatif et plus distrait,

avait par contre une sagacité rare. Ne


sachant à qui des deux accorder la pré-

férence, la princesse chcerha à mettre


leurs talents à l'épreuve. Elle les envoya

en ambassade auprès des deux monar-


ques dont elle était tributaire, avec deux
coffres fermés .

Portez ces coffres aux rois mes

maîtres, leur dit-elle, comme une mar、

que de mon haut respect et de ma pro-


fonde soumission.

Le premier remit son coffre comme


on le lui avait recommandé. Mais quelle
surprise , lorsqu'à l'ouverture on ne

trouva rien. Le grave érudit n'en pou-


vait croire ses yeux. Mais le roi , qui se
326 LES MILLE ET UN CONTES.

regarda comme insulté, fut si irrité qu'il


le fit chasser honteusement de l'au-
dience. Il revint tout confus et embar-

rassé auprès de la princesse Mélofa.


Le second s'acquitta de sa commis-
sion avec soin et avec succès. Son eoffre

ne contenait pas plus que celui de son


rival, mais sa sagacité le tira d'affaire.

Ne soyez pas étonné, ô grand roi,

de l'étrange présent que la reine, ma


maîtresse, vous envoie,dit-il aussitôt sans
se déconcerter, elle n'a rien trouvé

digne de votre majesté, si grande , si


puissante, si sublime. Va , me disait -elle,

en me remettant ce coffre , va auprès


du plus grand des princes et offre-lui ,
sous l'emblême de ce coffre vide , ma
profonde soumission et mon peu d'im-

portance . Le Rien, d'ailleurs, est incom-

mensurable, indivisible, indéfini, comme

$
LES MILLE ET UN CONTES. 327

votre grandeur; il est toujours constant,


toujours uniforme, toujours lui-même

comme votre personne sacrée ; les peu-

ples le craignent et tremblent en sa pré-


sence; les nations l'adorent et lui rendent

des hommages, comme à votre majesté.


Le roi , flatté de cette profonde sou-
mission, combla d'amitié l'ambassadeur

et le renvoya avec une suite nombreuse


pour assurer la princesse de sa haute

protection, Elle en fut si contente, que


sur-le-champ elle nomma son ambassa-
deur gouverneur d'une province, lui
assigna une pension considérable et

en vint même, s'il faut en croire aux

chroniqueurs du temps , à l'épouser ,

tandis que son rival fut publiquement

chassé de la cour, pour contenter le roi


irrité, et, malgré son érudition , il végéta
dans une profonde obscurité .

CONTE XLVIII .

LE VOU ACCOMPLI

uand Omra eut achevé son

récit , le prince , qui l'avait


écoutée fort attentivement, lui

témoigna sa satisfaction et la

pria de conter encore quel-


que chose . Elle obéit, la bonne

soeur de lait , et elle poursui-


vit ainsi sa narration :

Un jeune berger d'une gran de bcaut,

$
LES MILLE ET UN CONTES. 0329

dont la magnifique chevelure tombait

en boucles d'or sur ses épaules, vint au-


près d'un sage prêtre , et lui dit : J'ai

fait voeux de couper mes cheveux ,


veux-tu les recevoir en sacrifice divin ?

Pourquoi jeune homme, lui répon-


dit le prêtre, veux-tu faire tomber cette
brillante chevelure ? of toroid eisl

-Parce qu'elle me rend orgueilleux


et méchant. Il y a deux jours je condui-
sis mou troupeau sur les bords d'un
ruisseau dont les eaux étaient claires et

pures, ayant vu pour la première fois

mon image dans l'eau, je fus frappé de


la beauté de ma chevelure et en devins

amoureux . Je passai toute lajournée sur

les bords de ce ruisseau qui , en réflé-


chissant mes traits, me rendit vain et

fier . Le lendemain j'allais revoir le lieu


devenu si cher à ma vanité et à mon

I. 42
330 LES MILLE ET UN CONTES.

orgueil, j'aperçus de nouveau ma belle


chevelure et mes jolies boucles , lors-

qu'une brebis vint se désaltérer dans les

eaux qui enchaînaient mes regards, les


troubla et mes traits disparurent . Trans-

porté de colère , je tombe sur la


pauvre
bête, la frappe et la chasse loin de moi .
Mais bientôt je revins à moi , vis ma co-

lère , mon injustice , et jurais de faire


tomber sous les ciseaux cette chevelure

qui m'avait rendu si cruel et si bar-


bare, atnsins zu of nob ussazion

-Tu es un brave jeune homme, dit

le prêtre, et de sa main sacrée il lui


coupa ses boucles de cheveux et les offrit
en sacrifice au Dieu de bonté . TUONEEN
23170D TH

alls to only for fotos o atory of dup


por ellos sen
being Jusy
' mama'y ibhoqning
oluob on of total ob quoomise fin .

fed ob sebe imod smoob org Buoy

CONTO ZLIZ.ibl
blorsy of Jotizens lingor mimo
LE VŒU NON ACCOMPLI . misqzs'a

stood whey no once in sided

ons & eqmot of monohoe

ette histoire d'un

vœu accompli, dit


labellen Omra ,

m'en rappelle une


autre d'un vœu

non accompli. Mon


Prince je voudrais que votre altesse
royale eût la bonté de me dire si celle
332 LES MILLE ET UN CONTES.

que je viens de conter lui a plu et si elle


veut entendre aussi celle-là ?

-La première , répondit Yakara , m'a

fait beaucoup de plaisir et je ne doute


pas que la seconde m'en fera autant , Je

vous prie donc, ma bonne sœur de lait,

de vouloir m'en faire part.


Omra reprit aussitôt la parole et

s'exprime en ces termes :/ 9


Sisnar était un jeune homme d'une
haute naissance , d'une vertu à toute

épreuve , seulement de temps à autre

il avait la faiblesse de jouer. Cette pas-

sion le poursuivait sans cesse, et malgré


ses bonnes résolutions de ne plus jouer,
il revint toujours à ce funeste penchant.
Un jour il se rendit chez un sage doe-
teur et lui dit :

Maître ! délie-moi de grâce d'un

vœu.
LES MILLE ET UN CONTES. 333

ob Qu'as- tu promis, mon fils ? lui ré-


pondit le docteur.'m on afi elion ROV
J'ai fais vœu de ne rien gagner .
is -Ah ! ah! jeune homme, de ne rien

gagner ! qui peut être assez simple pour

faire un pareil vou. allievoid o


Si fait, mon maître, mais j'enten-
dais seulement de ne rien gagner au

jeu.qtial ob nime sódo bar Jig


od Ainsi, dit le docteur , tu voudrais

bien encore jouer de nouveau, non, mon

fils, je ne puis te dégager d'un pareil


væeu. Il le dit et d'un air amical il con-

gédia le jeune Sisnar, qui dès ce mo-

ment, renonça à jamais au jeu. jou !

nodnom sid iz sses auov up Бивті


Il était déjà fort tard lorsque la jolie
conteuse acheva son histoire . A
— Charmante Omra, lui dit le prince,
334 LES MILLE ET UN CONTES.

je suis on ne peut pas plus content de


vos récits ; ils ne m'ont pas seulement
amusé, mais ils m'ont encore instruit.
- Ah ! mon prince, que je vous ai

d'obligation, répondit la belle Omra ;


ces bienveillants mots payèrent votre
humble servante de toutes ses peines.

Votre modestie égale votre es-

prit, ma chère sœur de lait , répartit


Yakara ; mais la nuit s'avance et Ibo-

cype nous doit encore son conte. Voyons,


dites- nous-le, excellent maître.i ali

Je ne demande pas mieux prince,

répondit le profond grec, mais quelle


histoire voulez- vous que je vous conte ?
Une histoire d'Alexandre - le-

Grand que vous savez si bien, mon bon


Ibocype. !!! et hol mph th1977

Aussitôt il prit la parole et conte


l'histoire qu'on va lire.
2010 23 171 271

Ray cand salg ol beaval , oldmade


idad el quolg have in top , italish
-ulocin af ting oilaloeb al usb tanl

ob CONTE L. oh not
bond HISTOIRE DE LA REINE DES AMAZONES. Lien )
sh Toy i inl noifidis no

32 96 9910) af inbon eslyng

up estiga toca asuplaup


Bush IngisvUOT!

Inom

Poursuivant

sa marche à tra-

vers les Indes ,


Alexandre qui

avait subjugué
nole
des populations in-
336 LES MILLE ET UN CONTES.

ombrables , dévasté les plus beaux pays


de la terre, qui en avait plongé les habi-
tants dans la désolation , prit la résolu-
tion de pénétrer dans le royaume de
Casin, au delà des montagnes ténébreu-
ses , où son ambition lui fit voir de

nouvelles conquêtes à faire, de nouveaux

peuples à réduire par la force de ses


armes. Il communiqua son projet à
quelques savants géographes qui se
trouvaient dans son camp .

-Tu ne peux aller là ! lui dirent les


géographes ; ce pays est coupé par des

montagnes que leur grande aridité et


leurs épaisses ténèbres rendent inac-
cessibles.

-Je ne vous demande pas si la chose

est possible, repartit l'obstiné guerrier ;

vous savez que je suis dans l'habitude


de vaincre toutes les difficultés. Mon
LES MILLE ET UN CONTES . 337

désir est seulement de savoir qu'elle di-

rection il me faut prendre .


Alors , répondirent les savants ,
prends quelques ânes de Lybie , qui sont
accoutumés à cheminer dans l'obscurité ,

attache -les ensemble avec de longues


cordes , dont tu tiendras le bout : fais-les

marcher et suis-les.
Alexandre fit ce qu'ils lui avaient

conseillé , et il se mit en route . Après


avoir traversé des déserts arides et des

contrées stériles , il arriva enfin dans un

pays fertile et riant. Le soleil baissait à


l'horizon , la nuit s'approchait ; Alexan-
dre s'arrêta sur le bord solitaire d'un
ruisseau dont les eaux réfléchissaient

l'éclat de la lune et coulaient en mur-

murant à travers des bocages de saules .

Le calme des campagnes doucement


éclairées et le chant du rossignol l'avaient

43
I.
338 LES MILLE ET UN CONTES.

retenu un moment plongé dans une re-


vêrie. Mais bientôt ilrevint à lui, reprit

le chemin de Kartagena qui était prin-

cipalement habitée et gouvernée par des


femmes. Sous le berceau de pampres

verts qui en ombrageaient l'entrée , il

trouva la garde de ville qui donnait l'a-


larme, et fermait les portes. Alexandre
eut aussitôt i'idée de prendre d'assaut

la capitale , lorsqu'une femme d'une


taille élevée, d'un noble maintien, et

que l'on distinguait parmi ses compa-

gnes , se présenta tout-à-coup, salua


respectueusement le monarque et lui
dit:

- Prince, quel est le motif qui a pu


t'attirer dans cette région lointaine?
Je suis venu pour combattre et
pour vaincre, répondit Alexandre.
— Grand héros , répartit la sage
LES MILLE ET UN CONTES. 339

reine, tu veux combattre des femmes?


tous les hommes sont-ils morts pour que

tu sois tenté d'éprouver ton courage


contre nous? D'ailleurs, il convient à
tout homm sensé de réfléchir aux sui-

tes d'une entreprise avant de s'y enga-

ger. Or quelle gloire résultera pour toi


de la victoire que tu pourras remporter

sur nous ? Ne dira-t-on pas, le puissant


Alexandre a vaineu quelques femmes ?
Mais si la fortune se déclare contre toi,

et que nous remportions la victoire ! et

crois-moi, nous vaincre, c'est plus facile


à s'imaginer qu'à exécuter , qu'elle
honte , quelle ignominie pour ta gloire !

la postérité ne dira-t-elle point le


grand conquérant , le vainqueur du
monde, Alexandre enfin, a été battu

par des femmes , et misérablement


vaincu ? Ainsi laisse-nous paisiblement
340 LES MILLE ET UN CONTES.

en possession de notre pays, et tourne

tes puissantes armes contre de plus


dignes ennemis .

Alexandre fut surpris de la fermeté

de la princesse, et plus encore de la jus-


tesse de ses observations. Il détourna sa

pensée de la conquête du pays de la


reine courageuse ct lui demanda sim-
plement la permission de faire graver

sur la porte de sa capitale un inscrip-


tion ainsi conçue :

MOI

ALEXANDRE LE MACÉDONIEN,

JE FUS LONGTEMPS UN INSENSÉ

JUSQU'A CE QU'ENFIN
JE SUIS ARRIVÉ A KARTAGENA

OU DES FEMMES
M'ONT APPRIS LA SAGESSE.

FIN.

#
TABLE DES CONTES

CONTENUS DANS CE VOLUME.

INTRODUCTION .
1
CONTE I. La vérité et le Mensonge. 27

CONTE II . Les trois Signes de Recon-


naissance . 32
CONTE III . La Navigation. 41
CONTE IV. Voyage de Bar-Bad par
Terre . 49

CONTE V. Voyagede Bar- Bad par Mer. 75


CONTE VI . Histoire du Créateur avant

la Création. 95

CONTE VII. Le premier Homme. 99


CONTE VIII. La première Femme. 104
342 TABLE DES CONTES.

CONTE IX. Les Joyaux . 108


CONTE X. Le Voyageur et le Dattier . 115
CONTE XI. Histoire d'un Esclave Bor-

gne. 118
CONTE XII. Le Serpent.
124
CONTE XIII . Le Testament.
129
CONTE XIV . Le Banquet.
138
CONTE XV. Le Nouveau Joseph . 142
CONTE XVI. L'Avare qui tombe dans

un Puits. 160
CONTE XVII . L'Enigme de la Vie .
164
CONTE XVIII. L'Oie Blanche.
170
CONTE XIX . L'Enlèvement .
175
CONTE XX. La Lumière dans l'Obs-

curité.
186
CONTE XXI. Les Trois Fioles Mer-

veilleuses.
189
CONTE XXII . Le Savant Esclave.
194
CONTE XXIII . Le Renard et les Pois-

sons.
199
TABLE DES CONTES . 343

CONTE XXIV . L'Ami Bon-Jour . 202

207
CONTE XXV. Le Jugement de Dieu .
CONTE XXVI . Histoire de Mérodac le
210
Parjure.
CONTE XXVII . Le Paresseux et le Re-
222
pos.
CONTE XXVIII . Le premier Tombeau. 225
CONTE XXIX. Le Corps et l'Ame. 230

CONTE XXX. Le Paralytique et l'A-


233
veugle .
CONTE XXXI. L'Envie mal Récom-
238
pensée.
CONTE XXXI . Triomphe de la Vertu . 247
CONTE XXXIII . Les Trésors les mieux

Gardés . 251

CONTE XXXIV. Les Fruits d'Or. 256

CONTE XXXV. Le Chien qui veut as-


sister à deux Festins . 263

CONTE XXXVI . Pouvoir de l'Amour.

CONTE XXXVII . Les Trois Favoris. 277

B. U. G.
BIBL. UNIV.
Syst . Catal . GENT
1967
344 TABLE DES CONTES.

CONTE XXXVIII. L'Heureux Ivrogne. 283


CONTE XXXIX . Le Pauvre et le Lé-

preux. 288
CONTE XL. La Colonne de Pierre. 291
CONTE XLI. Le Couple bien Assorti. 295
CONTE XLII. La Grotte Noire. 299
CONTE XLIII. La Fournaise Ardente. 303
CONTE XLIV. La Caisse Précieuse. 310
CONTE XLV. La Jolie Bégue. 314
CONTE XLVI. Le Criminel. 318
E CONTE XLVII . Les Coffres Vides . 324
CONTE XLVIII . Le Vou Accompli . 328
CONTE XLIX. Le Vou non Accompli . 331
CONTE L. Histoire de Reine des Ama-

zones. 835

FIN DE LA TABLE .

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