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19/12/2023 22:06 Le Temps de l'autobiographie. Violette Leduc - 1.

Le temps du récit - Presses universitaires de Vincennes

Presses
universitaires
de
Vincennes
Le Temps de l'autobiographie. Violette Leduc | Susan
Marson

1. Le temps du
récit
p. 21-72

Texte intégral
1 L’autobiographie, quel que soit son caractère propre, est
d’abord récit. Poser la question du temps dans
l’autobiographie, c’est donc interroger son rapport au temps

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du récit en général. Peut-on, du point de vue temporel, lire le


récit autobiographique comme n’importe quel autre texte
narratif ? Dans ses premiers ouvrages sur l’autobiographie,
Philippe Lejeune a soutenu que, du point de vue formel, il
n’existait aucune différence fondamentale entre
1
l’autobiographie et le récit fictif . Pourtant l’autobiographie
se distingue du récit, tel qu’il est couramment analysé, sur au
moins quatre points.
2 D’abord, l’analyse narrative présuppose une différenciation
fonctionnelle, mais aussi temporelle, des positions d’auteur,
de narrateur et de personnage, alors que l’autobiographie se
fonde sur l’unité de la première personne. Ensuite, l’identité
de personne, dans l’autobiographie, ne va pas sans
influencer la temporalité de la narration elle-même. Si l’on
peut parler, de manière générale, de l’autobiographie comme
récit rétrospectif, cette catégorie narratologique paraît
d’emblée insuffisante pour rendre compte du tout à la fois
qu’implique le projet autobiographique. Encore, si
l’autobiographie suppose un certain lien au réel, le récit plus
généralement ne conçoit ce rapport que sous la forme de la
mimésis ou du comme si, c’est-à-dire, en fin de compte, sous
le régime de la fiction. Enfin, nous l’avons déjà remarqué,
l’autobiographie est non seulement récit, mais aussi écriture.
La temporalité à l’œuvre risque donc d’être travaillée par les
possibilités qu’offre « l’espace » textuel, et de ne pas se
conformer à la linéarité supposée du discours narratif.
3 Quatre lieux d’interrogation, donc, pour confronter le texte
autobiographique à la conception générale du récit, mais
aussi pour mettre en question cette conception même. Car
une telle confrontation va dans les deux sens. Si l’on veut
cerner la spécificité de l’autobiographie en l’analysant
comme forme narrative, il faudrait aussi cerner les limites de
l’analyse narrative face à l’autobiographie. Double
questionnement, donc, mais en vue d’un seul résultat :
rendre possible l’analyse du texte autobiographique comme
tel en cherchant à établir un modèle temporel apte à décrire
sa configuration narrative particulière.

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4 Vouloir comparer l’autobiographie et d’autres formes


narratives, ce serait supposer une définition déjà établie, des
traits distinctifs identifiés d’emblée. En prenant à témoin
non seulement La Bâtarde, La Folie en tête et La Chasse à
l’amour, c’est-à-dire les trois tomes de l’autobiographie de
Leduc, mais aussi L’Affamée, un récit des années quarante, il
ne s’agit pas, ici, d’interroger de front leur statut générique,
mais de dégager d’abord leur rapport spécifique à la
narrativité.

L’événement
La saisie qui détermine le temps possède le caractère de la
mesure. [...] L’horloge mesure le temps, pour autant que
l’extension de la durée d’un événement est ramenée à une
série identique d’états d’horloge et donc numériquement
déterminée dans sa quantité [...]. À partir du moment où l’on
a défini le temps comme temps de l’horloge, il ne reste aucun
espoir de jamais atteindre son sens originel.
Heidegger, « Le Concept de temps »

5 Dans son texte fondateur de l’analyse narratologique, Gérard


Genette définit le récit comme un discours qui raconte une
histoire, entendue comme une suite d’événements2. Dans la
mesure où toute histoire se raconte comme si les
événements s’étaient réellement passés3, le temps de
l’histoire est régi par la chronologie : c’est une temporalité
linéaire où les événements se suivent selon un rapport de
cause et d’effet. Ainsi, pour Ann Banfield, raconter une
histoire, c’est d’abord, selon le sens étymologique de ce
verbe, compter ou mettre en ordre des événements4. Le
temps du récit se mesure donc par rapport à celui de
l’histoire, mais le texte narratif est sans temporalité propre :
l’ordre et la durée sont « empruntés » au temps de la lecture.
Le récit n’a qu’un « pseudo-temps », car le chemin suivi à
travers « l’espace » du texte peut différer selon le lecteur.
Cette liberté est cependant limitée par des conventions
linguistiques selon lesquelles la lecture se fait de gauche à
droite, de la première à la dernière page du livre, de sorte
que ce temps narratif emprunté se calque sur un deuxième
modèle linéaire, celui de la chaîne linguistique orale5.
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6 Cette conception du texte narratif se fonde sur l’analyse du


récit fictif, prenant en compte sa référentialité mimétique :
tout se passe comme si les événements s’étaient réellement
passés, et que le discours narratif rapportait une histoire
antérieure à sa mise en récit. La créativité de l’acte narratif,
originaire du sens, passe ainsi à l’arrière-plan, tout comme la
nature graphique du texte ; par conséquent, lorsqu’il s’agit
ensuite de prendre en considération le récit dit « factuel »,
dont l’autobiographie, la théorie narratologique en garde
une conception semblable. La mimésis devenue référence
réelle, c’est donc l’auteur qui raconte une histoire qui a
effectivement eu lieu.
7 Dans une série d’essais réunis sous le titre Le Livre à venir,
Maurice Blanchot parle du récit d’un point de vue presque
contraire à celui de Genette, en faisant une distinction entre
le récit et le roman. Il note d’abord que le roman raconte une
série d’événements, comme une suite d’étapes au long d’un
voyage (l’exemple pris étant celui de l’odyssée d’Ulysse),
alors que le récit, quant à lui, se concentre sur un seul
événement exceptionnel. Cependant, pour Blanchot,
[...] le caractère du récit n’est nullement pressenti quand on
voit en lui la relation vraie d’un événement exceptionnel, qui
a eu lieu et qu’on essaierait de rapporter. Le récit n’est pas la
relation de l’événement, mais cet événement même,
l’approche de cet événement, le lieu où celui-ci est appelé à
se produire, événement encore à venir et par la puissante
attirance duquel le récit peut espérer, lui aussi, se réaliser6.

8 Ainsi, la différence entre roman et récit ne serait pas une


simple question de véracité, de la relation vraie d’un fait
réel ; elle serait liée à une autre réalité, celle de l’acte même
de raconter. Il s’ensuit de là que le temps du récit doit
également être vu d’une autre manière. L’histoire ne paraît
plus précéder sa mise en récit, mais se former au fur et à
mesure de sa narration. Remarquons tout de suite que
Blanchot est loin d’être le seul écrivain de cet avis. Pour
Claude Simon, par exemple : « L’on n’écrit (ou ne décrit)
jamais quelque chose qui s’est passé avant le travail d’écrire
[...]7. »

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9 S’il y a lieu de nous référer à ce texte de Blanchot, c’est aussi


parce qu’il met en lumière le caractère ambigu du récit
autobiographique. D’une part, il participe à la fois du
« roman » et du « récit », selon la première distinction faite
par Blanchot : il serait une « relation vraie », mais d’une
série d’événements, retraçant l’histoire de ce voyage
particulier qu’est la vie. D’autre part, on ne peut, ici non
plus, faire l’économie de la narration comme acte. En venir à
faire de la vie une autobiographie, n’est-ce pas l’événement
central, « exceptionnel », dont le récit autobiographique
cherche à rendre compte, de sorte qu’il n’est plus le récit
d’une histoire passée, mais aussi – à la fois – l’histoire de
cette mise en récit ? L’on pourrait effectivement se
demander si la véracité, ou la réalité, du récit
autobiographique ne se trouvent plutôt ici qu’au niveau des
« faits » passés.
10 Cette réflexion de Blanchot sur la nature du récit date de peu
d’années après la publication de L’Affamée de Leduc. Simple
coïncidence, peut-être, mais signe peut-être aussi que
l’époque demandait une mise en question de la possibilité de
raconter, ou de témoigner du réel, c’est-à-dire de cet acte qui
est aussi à la base de l’autobiographie.
11 Le récit de L’Affamée naît de ce qui sera appelé, au fil de
l’histoire, « l’événement ». L’histoire s’ouvre lorsque la
narratrice entre dans un café et voit une femme en train de
lire. Alors, « du fond des siècles, l’événement est arrivé ». Là
où le lecteur s’attendrait à une description du temps, du lieu,
des personnages, puis à l’intervention d’un événement qui
changerait cette situation de départ, donnant lieu à d’autres
événements pour former l’histoire, L’Affamée renverse les
procédés narratifs habituels.
12 D’abord, la date, le lieu, la durée de cet événement, qui
réapparaît vers la fin du texte, sont peu sûrs8. La scène aurait
eu lieu au mois de février9, au temps où la pâquerette – dont
le nom vient de la période de floraison, Pâques – et le
bouton-d’or fleurissent à la campagne10. Plus loin dans le
texte, un lien est établi entre le bouton-d’or et la chaleur du
mois de septembre11, de sorte que février, septembre, mars

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ou avril coexistent dans un événement devenu à la fois


mouvement et immobilité, figé dans la répétition perpétuelle
du cycle naturel où tout et rien ne changent. Venu « du fond
des siècles12 », point de départ qui demeure, « flux et
reflux13 » tout au long du récit, l’événement fait naître la
lumière14. Origine, naissance, « miracle15 », ayant l’envergure
de la vie même – c’est de « l’oxygène16 », du sang qui « bat
jusqu’au bout de mes doigts17 » – l’événement paraît hors du
temps, résistant à tout changement, à toute influence : « du
fond des siècles, l’événement reviendra18 ». Intemporel,
l’événement ne peut s’insérer dans une série d’autres
événements semblables, montrant ensemble une
progression dans le temps.
13 Ensuite, bien qu’il ouvre le récit, l’événement n’est jamais
explicité. Qu’arrive-t-il ? Une femme n’est pas vue par une
autre femme qui lit dans un café. L’événement s’exprime en
négatif : c’est quelque chose qui n’est pas arrivé, ou qui serait
arrivé en deçà ou au-delà de toute narration.
Elle a levé la tête. Elle a suivi son idée sur mon pauvre
visage.
Elle ne le voyait pas. Alors, du fond des siècles, l’événement
est arrivé. Elle lisait. Je suis revenue dans le café. [...] Elle ne
m’a pas remarquée. Elle s’occupait de ses lectures19.

14 Dès ce premier paragraphe du texte, l’événement s’annonce


comme une mise en question de la possibilité même de
raconter. L’événement, « c’est le bourdon », un vide aussi
bien linguistique que psychique, qui résonne en point
d’orgue, tout bas, tout au long du récit. Au sens de la faute
typographique, le « bourdon » est également l’omission de
quelques mots du texte. « J’ai le droit de dissimuler
l’événement20 » dit la narratrice qui répète sotte voce le nom
et le prénom de la femme qui lit sans l’énoncer à haute
voix21, et dont le propre prénom, Violette, n’apparaît qu’une
fois, vers la fin du récit, dans un contexte qui suggère un
rapport étroit entre la dissimulation et l’omission du nom :
« Puisqu’ils prononcent mon prénom, [...] je
m’expliquerai22. » (Comme lacune, où la nature de l’action et
l’identité des personnages sont tues, l’événement est sans

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doute, aussi, un jeu autobiographique : la dissimulation


avouée de l’objet de l’histoire tient à la vérité du secret. On
aura lieu de revenir sur le rapport ambigu de ce texte à
l’autobiographie à plusieurs reprises23.) S’agit-il tout
simplement d’une dissimulation, d’un événement caché
derrière le mot qui le désigne ? La narratrice reçoit une lettre
de la femme qui lit où l’événement est qualifié de
« mirage24 ». Reprenant le mot à son propre compte, la
réapparition de la femme après un long voyage devient, pour
la narratrice, un autre mirage parmi ces « mirages
identiques de la présence et de l’absence25 ». L’événement
n’existe, peut-être, que par une croyance au mot qui ne
renvoie à aucune réalité diégétique : « Je ruminais
l’événement, je semblais rêver à côté des autres. »
15 Enfin, « l’événement », au singulier, ne semble renvoyer, en
effet, qu’à cet état de commencement perpétuel qui demeure
sans se développer. Du coup, il devient le commencement
d’une attente qui diminue la valeur de n’importe quel autre
événement. « Elle est rentrée [...]. Je ne réalise pas la
nouvelle de son retour. Je suis disponible pour une plus
grande nouvelle26 » Le retour, la présence de la femme qui lit
demeurent « insuffisants » ; ils ne peuvent être qu’un
« événement dans l’événement27 ». Qu’un événement de
l’histoire arrive en mai, en novembre, en hiver, il arrive dans
l’absence de ce qui est attendu. Qu’un événement de
l’histoire arrive avant ou après un autre ne signifie plus rien,
puisque l’attente est perpétuelle et sans progression.
16 Ainsi, l’histoire au sens narratologique d’une suite linéaire
d’événements paraît, dans L’Affamée, à côté de l’objet
véritable du récit. Si l’événement a droit au nom qui devrait
désigner les unités discrètes et ordonnées de l’intrigue, il
renverse le rapport du contenu aux mots qui le racontent.
Presque un pur signifiant, « l’événement » éclipse ce signifié
qu’est l’histoire, mettant en relief le pouvoir du récit de
raturer sa propre progression, en jouant l’ambiguïté possible
entre les deux « mirages identiques » de ce qui est présent
dans l’histoire, et de ce qui n’est présent que dans le mot.
L’événement serait ce qui fait tendre le temps vers l’avenir

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comme un retour du passé innommable, un mot qui appelle


à ce qui ne peut se dire en d’autres termes. Raturer sa propre
progression, se figer dans cette attente de l’événement
toujours à venir que l’événement même instaure, c’est donc
s’ouvrir à une démesure du récit, qui échappe à l’ordre saisi
dans une chronologie temporelle. En effet, la temporalité
esquissée par L’Affamée ne peut être réduite au modèle
linéaire ou chronologique. Il ne s’agit plus d’un événement
passé que l’acte de narrer pourrait « rapporter ». Au
contraire, raconter, ici, c’est attendre l’événement à venir, et
la venue des mots pour pouvoir le dire.

Temps de la parole
Peut-on dire, « Cela est », quand tout passe ? quand tout,
avec la vitesse d’un éclair, roule et passe ?
Goethe, Les Souffrances du jeune Werther

17 Le caractère insaisissable de l’événement, dans L’Affamée,


ne change pas pour autant l’effet de réalité que peut générer
ce texte : l’acte de narrer prime, semble-t-il, sur l’histoire
racontée. Bien sûr, en disant cela, nous ne contredisons en
rien la théorie de Genette, qui vise précisément à mettre en
valeur le « discours » du récit. Mais qu’entend-on au juste
par la notion de discours narratif ? Comment la narration,
comme acte, peut-elle établir un rapport au réel ? Quelle est
la place de cette « parole » narrative dans le texte écrit ?
18 L’ouverture du premier tome de l’autobiographie de Leduc,
La Bâtarde, réunit toutes les marques du discours au sens
de Benveniste : usage des temps du présent, références
déictiques à l’espace et au temps28. « Lecteur, mon lecteur,
j’écrivais dehors, sur la même pierre il y a un an. Suis-je
partie, suis-je revenue29 ? » En effet, le langage discursif est
peut-être une forme autobiographique par excellence :
disant « je », celui qui raconte se constitue en sujet et
s’implique dans les événements décrits ; « disant “je”, je ne
puis ne pas parler de moi30 ». Cependant, comme le
remarque Louis Marin, si le discours est bien une forme
subjective, il ne s’ensuit pas pour autant qu’il soit une forme
autobiographique propre à l’écriture d’une vie, car l’écriture
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présuppose l’absence du sujet de l’énonciation31. Rappelons


néanmoins les précisions de Benveniste :
Il faut entendre discours dans sa plus large extension : toute
énonciation supposant un locuteur et un auditeur, et chez le
premier l’intention d’influencer l’autre en quelque manière.
C’est d’abord la diversité des discours oraux de toute nature
[...]. Mais c’est aussi la masse des écrits qui reproduisent des
discours oraux ou qui en empruntent les tours et les fins :
correspondances, mémoires [...], bref tous les genres où
quelqu’un s’adresse à quelqu’un, s’énonce comme locuteur et
organise ce qu’il dit dans la catégorie de la personne. La
distinction que nous faisons entre récit historique et
discours ne coïncide donc nullement avec celle entre langue
écrite et parlée32.

19 Dans un contexte écrit, la présence du langage discursif –


sans être surprenante en soi – semble déplacée : le discours
est une « reproduction » ou un « emprunt », voire une figure
ou un trope qui reprend les « tours » du langage parlé.
L’écrivain ne parle pas, il écrit comme s’il parlait, dans une
parole détournée ou feinte. L’écriture emprunte le détour de
la parole dans un certain but, celui d’influencer son
« auditeur ».
20 En effet, il se peut que l’usage du langage discursif au début
de La Bâtarde soit de l’ordre de la rhétorique : il s’agit tout
simplement d’engager le lecteur à continuer sa lecture. Il y
aurait même une certaine ironie dans le « lecteur, mon
lecteur » de Leduc. Venant d’un écrivain peu connu,
l’adresse au lecteur anonyme ne renvoie strictement à
personne : la fonction de l’apostrophe est performative.
Parler, dans le texte, c’est donc invoquer l’absent qui me
permet de me poser comme sujet de l’écriture. Mais n’y a-t-il
pas quelque chose d’étrange, voire de pervers33, dans ce
détournement de la parole ?
Mon cas n’est pas unique : j’ai peur de mourir et je suis
navrée d’être au monde. Je n’ai pas travaillé, je n’ai pas
étudié. J’ai pleuré, j’ai crié. Les larmes et les cris m’ont pris
beaucoup de temps. La torture du temps perdu dès que j’y
réfléchis. Je ne peux pas réfléchir longtemps mais je peux
me complaire sur une feuille de salade fanée où je n’ai que

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des regrets à remâcher. Le passé ne nourrit pas. Je m’en irai


comme je suis arrivée. Intacte, chargée de mes défauts qui
m’ont torturée. J’aurais voulu naître statue, je suis une
limace sous mon fumier. Les vertus, les qualités, le courage,
la méditation, la culture. Bras croisés, je me suis brisée à ces
mots-là.
Lecteur, mon lecteur, j’écrivais dehors, sur la même pierre il
y a un an34.
21 À un niveau, le texte commente ici, selon un mode négatif,
l’histoire d’une vie, posée comme objet autobiographique
inadéquat par un écrivain insuffisant : mon cas n’est pas
unique, je n’ai pas travaillé, je n’ai pas étudié, je ne peux pas
réfléchir, le passé ne nourrit pas... D’emblée, ce
« commentaire » met donc en question la possibilité du
« récit » autobiographique qui suivra35, une dizaine de pages
plus tard, avec l’acte de naissance – « je suis née le 7 avril
1907 à 5 heures du matin » – et les souvenirs d’enfance. À un
autre niveau, ce qui se commente, c’est précisément le
commencement du récit autobiographique. Ce commentaire
discursif consiste en un refus, d’une part de la forme
historique propre à l’autobiographie (le récit « propre », en
ce sens, commencera avec l’acte de naissance), d’autre part
du contenu autobiographique traditionnel. Le premier
paragraphe de La Bâtarde peut se lire comme un
avertissement, mais c’est aussi un pastiche ironique du
projet autobiographique allant d’Augustin à Proust, comme
le signale déjà l’inversion, dans la première phrase, du « je
suis autre » du début des Confessions de Rousseau. Ce qui
suit ne sera ni récit confessionnel d’une conversion, ni
louange de la nature de l’homme ; il ne s’agira pas d’un être
unique au monde, où de la vie singulière, à une époque
singulière, d’un homme courageux et cultivé ; il n’y aura pas
de méditation, d’essai philosophique, de réflexion sur le
temps « perdu » ou passé36.
22 Un tel discours est soutenu par un double mouvement.
D’abord, rejeter ou se faire rejeter de la tradition littéraire de
l’autobiographie en affichant un manque de culture et de
capacités intellectuelles. Incapable d’écrire, je vous parle –
et mon discours déploie ses moyens rhétoriques dans le but

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assez paradoxal de vous inciter à me lire. Deuxièmement, le


texte travaille pour incorporer – et donc pour dépasser –
cette tradition, sous le mode du pastiche, et en se figurant,
par l’apostrophe au lecteur, comme le produit d’un écrivain
établi : « Lecteur, mon lecteur, j’écrivais déjà... »
23 Suivant ce mouvement contradictoire, la description de
l’autobiographe est dépréciative – « J’aurais voulu naître
statue, je suis une limace sous mon fumier ». Sans aucun
doute, le fumier, c’est l’écriture37, où font défaut les qualités
attribuées à la statue, figure qui revient fréquemment dans
les textes de Leduc pour connoter la beauté et
l’inaccessibilité. Mais la pierre ou le marbre de la statue
renvoient également à ce qui résiste à la mort et au passage
du temps. En tant que telle, la figure n’est pas sans lien avec
l’écriture, cette inscription gravée, monumentale, qui
persiste au-delà du moment éphémère de l’énonciation, où
l’autobiographie devient nécrologie et, par là, renaissance.
« Lecteur, mon lecteur, j’écrivais dehors sur la même pierre
il y a un an. [...] Suis-je partie, suis-je revenue ? Vivre ne
serait donc plus mourir sans répit avec les secondes [...]38. »
24 « Je », on le sait, ne se réfère pas à un individu particulier,
pas plus que « tu ». Ce sont des signes vides remplis
seulement dans l’instance actuelle du discours. La
perversion de l’écriture discursive, dans La Bâtarde,
consiste à laisser vide la position du lecteur – n’importe qui
suffira – tout en le convoquant dans l’immédiateté directe
du discours. Toutes les marques du langage discursif (les
indicateurs de personne, de temps, de lieu, d’objet montré)
sont virtuelles en ce sens, leur référence étant fixée par
rapport au contexte présent39. C’est cette virtualité qui rend
possible l’écriture discursive, mais c’est aussi ce qui la rend à
proprement parler impossible. J’écris, mais je ne parle à
personne ; je lis, mais personne ne me parle... Le
« discours » écrit en vient à ressembler étrangement à
l’« histoire » tel que le conçoit Benveniste. Ici il n’y a pas
d’instance présente, le lien entre l’individu et le lecteur est
brisé par le laps de temps indéfini entre le moment d’écrire
et celui de la lecture. Plus : ici il n’y a pas de voix au sens

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courant du terme. La parole n’émane d’aucun corps, elle est


à lire à partir du texte imprimé. Mais si cela est le cas, la fin
que l’écriture veut emprunter au discours – la constitution
de l’individualité de qui dit « je » – ne peut jamais être
atteinte par la voie de cet emprunt. L’autobiographie, les
Mémoires, ont un rapport paradoxal au discours : ils en
reproduisent les tours dans un but qui ne peut être réalisé
que dans le régime de référence différée de l’écriture.
25 Quel est donc le but de cet emprunt de la parole ? D’une
part, on l’a vu, il s’agit d’entraîner le lecteur à suivre la mise
en écriture d’une autobiographie qui ne se veut ni écrite ni
autobiographique (je ne sais pas écrire, et ma vie se résume
en une série de phrases négatives). De ce point de vue, le
lecteur est convoqué non pas pour lire, mais pour écouter
des paroles qui s’enchaînent un peu à la manière d’un
monologue intérieur, et dont l’objet serait l’impossibilité
d’écrire une autobiographie. D’autre part, le texte s’affiche
comme écriture et sous-entend son affiliation à
l’autobiographie littéraire, déployant toutes les ressources de
la déixis pour mettre en scène le moment présent, non de
l’énonciation, mais de l’acte d’écrire – dehors, le papier
quadrillé posé sur une pierre, parmi les collines ensoleillées
couvertes de vignes.
26 L’usage du discours aurait donc pour objet de faire rejoindre
la parole et l’écriture en un même instant : la parole est
empruntée ou feinte pour constituer une position de sujet
d’écriture. La minutie de la constitution de l’ici-et-
maintenant de cette parole écrite n’empêche en rien,
cependant, le déplacement du moment précis. Suis-je
partie ? Suis-je revenue ? Ce moment n’est-il pas exactement
le même qu’il y a un an ? Et quelques lignes plus loin : « Il
m’a fallu deux heures et demie pour écrire cela, deux pages
et demie de mon cahier quadrillé40. » La tentative pour faire
rejoindre dans un ceci instantané et immobile ce qui s’écrit
et ce qui se dit (ou se lit) ne peut être réussie que dans un
cela qui brise du même coup l’unité produite – un cela qui
passe dans un éclair pour effacer la personne qui parle,
l’activité de celle qui écrit. La déixis ne peut donc qu’être

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suppléée par l’inscription historique – datée et reléguée au


passé révolu – écrite : le moment ne peut être fixé dans sa
présence que dans la mesure où il est déjà passé. « Il m’a
fallu deux heures et demie pour écrire cela [...]. Lendemain
matin, 8 heures du matin du 24 juin 1962. »
27 L’enjeu de l’emprunt de la parole est donc précisément la
possibilité de l’autobiographie, dans la mesure où il s’agit
non d’écrire ses expériences passées mais de les faire vivre
dans l’écrit : ceci est ma vie... La parole s’oppose à l’écriture
comme, en quelque sorte, l’évanescence à l’immobilité, la vie
à la mort – mais l’opposition peut très bien se renverser.
Vivre, c’est aussi un détour sur le chemin vers la mort41, la
parole s’évanouissant avec le temps, tandis que la tradition
autobiographique veut que le passé survive dans sa mémoire
écrite.
Vivre ne serait donc plus mourir avec les secondes [...].
Cependant mon extrait de naissance me fascine. Ou bien me
révolte. Ou bien m’ennuie. Je le relis du début à la fin chaque
fois que j’en ai besoin, je me retrouve dans la longue galerie
où se répercute le bruit des ciseaux du médecin-accoucheur.
J’écoute, je frissonne42.

28 Dans l’écriture, l’instant vital est pour ainsi dire immortalisé,


et s’offre pour être revécu – relu – à tout moment : l’écriture
donne la vie à l’écoute. Mais, du même coup,
l’enregistrement de la naissance ôte la voix du corps, efface
l’autographe et l’individualité du nom propre.
Me voici née sur un registre de salle de mairie, à la pointe de
la plume d’un employé de mairie. Pas de saletés, pas de
placenta : de l’écriture, un enregistrement. Qui est-ce
Violette Leduc ? L’arrière-grand-mère de son arrière-grand-
mère après tout. Relisons-le, relisons-le. Ça, une
naissance43 ?

29 Comme archive, l’extrait de naissance est une écriture


historique par excellence. Tout ce qui détermine
l’individualité d’une vie – lieu et date de naissance, nom
propre, généalogie – est soumis à une régularisation
formelle : il s’agit de remplir les cases vides identiques pour
chacun. Ce qui définit l’identité du « je » estompe, en ce

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sens, son individualité. Ici, il n’y a pas d’expérience – de


bruit de ciseaux, de sang. Du premier cri, silence : me voici
née à la pointe d’une plume. L’acte de naissance coupe le lien
entre l’individu et la vie. Qui est-ce Violette Leduc ? Toute
personne qui porte le même nom, le même prénom.
Contrairement à la parole, l’écriture peut fixer l’inscription
durable de l’identité, mais elle ne peut conférer cette
durabilité au contexte de son inscription. Ne restent que des
faits, des dates. Comment donc rendre la vie à l’écrit ?
30 Quelques pages plus loin dans La Bâtarde, la référence à
l’extrait de naissance est répétée, mais pour donner lieu à
une réécriture de l’enregistrement administratif.
Retournons en arrière, porte-moi comme tu me portais [...].
Ton sang ma mère, le ruisseau de sang jusque dans l’escalier
quand je suis sortie de toi, les flots de sang du moribond. Les
fers, les forceps. J’étais ta prisonnière comme tu étais la
mienne. Oubliée, abandonnée près du ruisseau de ton sang
quand j’arrivai. C’est normal, tu te mourrais. On m’enleva les
saletés longtemps après. Mais ceux qui te montraient du
doigt, ceux qui te refusaient le coucher avant ma naissance
étaient collés à ma peau.
Je suis née le 7 avril 1907 à 5 heures du matin. Vous m’avez
déclarée le 8. Je devrais me réjouir d’avoir commencé mes
premières vingt-quatre heures hors des registres. Au
contraire, mes vingt-quatre heures sans état civil m’ont
intoxiquée44.

31 Ici, le langage discursif de la première page est déplacé. Il ne


s’agit plus d’un enchaînement associatif de paroles, ni d’un
rapport direct et réflexif entre l’écrivain et son lecteur. Si la
parole est représentée, elle est intégrée dans une forme
écrite et « historique » qui inclut l’aoriste : « Ton sang, ma
mère, quand j’arrivai. » On peut dire, avec Harald Weinrich,
que l’aoriste sert pour dénoter, non pas le temps passé, mais
le commencement du récit – et cela doublement, puisque la
première occurrence de cette forme historique (« j’arrivai »)
n’est autre qu’une naissance « à la pointe d’une plume ». Le
commencement du récit de la vie est aussi celui de la vie elle-
même.

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32 Cependant, le choix des temps verbaux n’est peut-être pas


aussi éloigné d’une notion de temps réel que ne le voudrait la
théorie linguistique. Au début du passage, la forme
discursive appelle à un retour en arrière, mais ce n’est pas un
retour vers le passé de l’histoire : le passé, ici, se réfère à un
temps en dehors du récit. En ce sens, la phrase « retournons
en arrière » est à valeur performative, car elle fait le temps
qu’elle veut précéder, permettant de retrouver une
immédiateté qui inclut et celui qui parle et le sujet passé. Le
changement de temps verbal qui suit n’implique ni un recul
de ce temps présent, ni une distanciation de l’immédiateté,
mais l’inclusion du discours performatif dans le régime
différencié de l’écriture. C’est à partir de cette inclusion que
le temps de l’événement peut être fixé sous la forme du fait
historique (« Je suis née le 7 avril 1907 à 5 heures du
matin »), que la naissance dans le sang et dans les saletés
peut devenir une naissance à la pointe d’une plume, que la
personne peut se retrouver dans son identité formelle. La
parole vient donc rejoindre l’écrit non dans une présence
immédiate et précaire, mais par un détour, le retour en
arrière qui fixe le ceci de l’expérience à partir du fait
enregistré à retardement et rapporté.
33 La réécriture de l’acte de naissance est une forme de
légitimation qui trace une généalogie familiale, mais aussi
littéraire ; et, comme l’acte de naissance officiel, elle arrive et
ne peut arriver qu’après coup. « Je suis née le 7 avril... Vous
m’avez déclarée le 8. » L’enjeu du décalage entre la vie et
l’écrit n’est rien moins que vital dans la mesure où, ici, c’est
l’enregistrement retardé qui donne la vie45. Si la parole vive
est analogue à l’expérience immédiate, on comprend
pourquoi les paroles non narratives, non historiques, sont
« foncièrement dangereuses », comme le remarque
Weinrich46 : qu’est-ce qu’une vie qui ne laisse pas de traces ?
Dans le cas de l’enfant non voulu d’une mère pauvre et
célibataire au début de ce siècle, elle est plus que précaire.
En même temps, cependant, l’acte de légitimation que
constitue l’écriture de l’extrait de naissance est ambigu,
puisque la généalogie tracée est celle d’une naissance

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illégitime. La logique de l’expérience vécue à retardement est


nécessairement à double tranchant. L’inscription écrite qui
donne la vie laisse ses traces, le faix qui accable déjà
l’existence qui va suivre. L’écriture propre à l’autobiographie
n’est donc plus opposée à la vie, aux saletés, au premier cri.
Au contraire, elle suit le mouvement et porte le poids de ce
qui la rend possible.
34 Si parler, c’est invoquer la présence vive, avec tous les
dangers courus par un tel appel à la vie, écrire c’est retrouver
cette immédiateté par le biais nécessaire – la médiation,
donc – de l’inscription après coup. Retrouver l’expérience,
mais non comme instant immobile, les secondes de la
montre figées dans une existence hors de la vie et de la mort.
Le moment revécu à retardement dans l’écriture est entraîné
dans le mouvement de retour que celle-ci implique, tiré en
arrière par le poids du passé venu avant. Fixer le ceci du
vécu, l’ici-et-maintenant de l’écriture d’une vie passe
toujours par l’enregistrement qui le transforme en un cela
pris dans son histoire antérieure. J’écris maintenant sur la
pierre, lecteur, comme j’écrivais il y a un an, et ce geste
autobiographique précaire, hors les registres en quelque
sorte, se fixe vingt-quatre heures plus tard : « Lendemain
matin, 8 heures du matin du 24 juin 1962. » Le lecteur ne
deviendra le destinataire de ces paroles qu’en suivant le
mouvement de retour vers le passé ; pour sa part, celle qui
les profère devra attendre pour devenir, par ce même
mouvement de retour, l’auteur qui écrivait sur la pierre le
jour avant cette matinée de juin en 1962. Qui parle ? La
réponse ne peut se trouver qu’à partir d’une deuxième
question. Qui écrit ?

La fin du livre
Alors je rentrai dans la maison et j’écrivis, Il est minuit. La
pluie fouette les vitres. Il n’était pas minuit. Il ne pleuvait
pas. 1947
Beckett, Molloy

35 Dès les premières pages, l’autobiographie de Leduc, comme


tant d’autres, met en scène deux personnages distincts :
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l’écrivain qui forme le projet d’écrire sa vie, et l’enfant dont


le destin se trouve ainsi déjà tracé. Le début de
l’autobiographie dévoile le projet des pages encore à venir, et
en révèle même la fin : le récit suivra la vie de l’enfant
jusqu’au moment où elle deviendra l’auteur rencontré sur la
première page du livre. Il l’accompagnera ensuite, si le
temps lui est accordé, à travers les derniers jours de sa vie.
Paradoxalement cependant, si les premiers paragraphes
dévoilent ainsi le projet du livre, le lecteur le sait déjà, il y a
peu de chance que ce projet soit mené à terme. Un texte ne
peut jamais recouvrir, ou reproduire exactement une vie,
pour la simple raison qu’à un moment donné – au dernier
moment47 – les deux trames temporelles de ce qui se vit et de
ce qui s’écrit doivent, nécessairement, entrer en conflit. Il est
tout aussi impossible de finir, vivant, une autobiographie,
que d’écrire sa mort : quelque chose reste toujours à dire.
Même si une phrase subitement interrompue pourrait être, à
sa façon, à la fois la fin du livre et la fin d’une vie, ce manque
ne serait pas pour autant comblé. C’est le pari impossible du
projet autobiographique : écrire l’histoire du passé jusqu’au
présent en même temps que l’histoire de cette écriture.
36 L’autobiographie est un récit rétrospectif en prose qu’une
personne réelle fait de sa propre vie. Répétée tant de fois,
cette définition fait souvent oublier l’importance d’autres
formes de narration dans le texte autobiographique. Dans le
récit des événements passés, le présent de la narration fictive
demeure hors du temps ; ainsi pour Genette, parlant de
Proust, l’acte de raconter est « instantané, sans dimension
temporelle » ; il est « extase, “durée d’un éclair”,
miraculeuse syncope, “minute affranchie de l’ordre du
Temps” », et le présent du narrateur est « un moment
unique et sans progression »48. Ce n’est pas le cas dans
l’autobiographie, comme le remarque d’ailleurs Philippe
Lejeune, en note en bas de page. Raconter, écrire, ces actes
prennent du temps, et leur durée est soit mise en scène dans
le récit même, soit indiquée par des dates de rédaction
marquées à la fin du texte49.

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37 Dans l’autobiographie de Leduc, comme chez d’autres


auteurs, le récit est donc double. Il raconte l’histoire du
passé, mais aussi celle d’un présent en mouvement : le
langage discursif du début de La Bâtarde intervient,
historicisé par l’inscription de dates, de manière plus ou
moins régulier, tout au long du récit. La forme narrative
« romanesque » est ainsi brisée par un deuxième procédé
qui se rapporte cette fois-ci à la narration non fictive (et
autobiographique au sens large) : le journal, l’autoportrait, le
carnet d’écrivain. En voulant écrire le passé jusqu’au
moment présent, l’autobiographie prévoit l’avenir du texte
en inscrivant ce présent comme un instant mobile, le temps
passé à écrire la vie, devançant ainsi la fin du texte avant
qu’elle n’ait lieu.
38 C’est par un saut temporel de ce genre que finit le tome
posthume de l’autobiographie de Leduc, La Chasse à
l’amour. Le récit se fragmente d’un coup, comme s’il avait
été interrompu par la maladie ou par la venue de la mort.
Cassure.
Indispensable.
Nous étions en été.
Nous serons en automne.
Hier : 1961.
Aujourd’hui : 1971.
L’eau a coulé sous le pont.
Pendant dix ans.
Ma mémoire suit le courant.
dimanche 10 octobre 1971.
J’irai où j’allais.
Je noterai.
[...]50

39 Cette brisure du récit donne lieu à six pages de phrases


« notées » comme dans un cahier de brouillon, puis le fil de
l’histoire reprend pour résumer, de façon inattendue, les
années passées à écrire dans les bois du Vaucluse, et se clôt :
« Je finis ainsi le récit de ma vie de 1907 à 196451. »
40 Le dernier tome du projet paraît ainsi se clore à deux
reprises. D’abord, ces phrases fragmentées, datées,
rapidement notées, qui semblent traduire l’angoisse face à la
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mort imminente venue interrompre l’écriture du livre,


comme s’il nous était donné à lire quelques pages d’un
premier état du manuscrit, ou quelques notes qui ne seront
pas, faute de temps, transformées en récit. Mais le livre se
clôt ensuite de façon formelle, en ôtant toute référence,
même oblique, à la venue de la mort. Ce n’est plus la fin de
l’écriture en 1971, mais celle du récit du passé en 1964.
41 La double clôture de La Chasse à l’amour est exemplaire
d’un procédé présent ailleurs dans l’œuvre autobiographique
de Leduc. Dans le dernier tome, la brisure du texte, datée du
10 octobre 1971, interrompt l’histoire du commencement du
premier tome, La Bâtarde, en 1961. Ensuite, les pages
fragmentaires et itératives de la fin du livre dissipent l’écart
de dix ans entre l’histoire et son écriture pour le rétablir
ensuite, légèrement décalé : « Je rentre à Faucon comme je
rentrais il y a six ans, il y a sept ans52. » La dernière phrase
du texte se situe ainsi en 1964, l’année de publication de La
Bâtarde. Grâce à ce glissement temporel, les phrases notées
à la fin de La Chasse à l’amour font passer dans un
« éclair », comme le voudrait Genette, les trois ans passés à
écrire La Bâtarde. En se terminant sur la date de publication
du livre antérieur, l’histoire joue ainsi sur l’instantanéité de
l’acte d’écrire. En même temps, le texte esquisse un autre
mouvement, circulaire cette fois-ci : la fin de
l’autobiographie en vient à rejoindre son début, en
renvoyant, pour la suite de l’histoire, aux livres déjà écrits et
publiés. Les volumes précédents du projet autobiographique
se terminent de façon semblable : l’histoire de La Bâtarde se
clôt lorsque le manuscrit de L’Asphyxie est achevé, celle de
La Folie en tête en annonçant la parution prochaine de
Ravages. L’histoire d’une vie devient alors le récit des livres
publiés, et la dernière page de chaque tome
autobiographique, si elle renvoie aux textes déjà parus,
contient aussi la promesse implicite de l’écriture à venir –
tout en s’ajoutant au matériel de ce récit futur. À ce niveau,
la fin de La Chasse à l’amour ne constitue donc en rien
l’aboutissement du projet ; elle signale le début d’un
quatrième tome autobiographique dont le récit relaterait

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précisément l’écriture de l’autobiographie, livre infini par


définition et, par là, nécessairement impossible.
42 La mort de l’écrivain paraît ainsi venir suspendre une
écriture qui, elle, n’a pas de fin déterminée. La mort survient
effectivement comme cassure, interruption d’une
progression chronologique tout d’un coup brisée, comme si
la vie n’avait pas choisi le bon moment pour cesser – comme
si le texte avait maintenant besoin d’une autre voix pour
suppléer à ce manque, celle qui, dans la préface de La
Chasse à l’amour, ajoute au dernier mot la fin de l’histoire
restée en suspens.
Après avoir terminé La Folie en tête Violette Leduc a
poursuivi son autobiographie ; elle l’a arrêtée en 1964, à la
veille de la publication de La Bâtarde53. Elle a
soigneusement mis au net sur de grandes feuilles quadrillées
ses brouillons couverts de ratures et elle s’apprêtait à revoir
avec moi son manuscrit quand la mort l’a saisie. Comme elle
le dit dans la dernière page de ce livre, elle acceptait presque
toujours les coupures que je lui suggérais. Je me suis
autorisée de cet accord pour supprimer quelques passages
[...].
Elle avait l’intention de donner une suite à ce livre ; et ses
lecteurs auraient aimé savoir comment elle avait accueilli le
succès, la célébrité. Elle en a parlé, très bien, dans quelques
interviews, mais brièvement, et nous restons sur notre faim.
Ces pages sont les dernières qu’elle ait écrites.

43 La note liminaire, due ici à Simone de Beauvoir54, s’ajoute


assez fréquemment aux textes coupés court par la mort. Il
s’agit, d’une part, de l’authentification du livre publié sans
correction des épreuves finales par l’auteur : la note forme le
chaînon manquant entre le manuscrit et le texte édité.
D’autre part, cet ajout au texte permet de raconter le
moment final qui devrait, normalement, interdire l’écriture,
et vient ainsi souligner le statut inachevé du manuscrit. Mais
en ajoutant le dernier mot à l’écriture interrompue, en
justifiant la parution du texte inachevé, il remplit également
une tout autre fonction. En soulignant l’absence du mot
final, de la suite espérée et attendue, il affirme le caractère
fini du manuscrit restant, comme s’il allait de soi que le texte

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ait été suspendu de la même façon que la vie, que ce qui


reste à dire soit précisément une suite de l’écrit existant, bref
que l’écriture ait suivi pas à pas le vécu jusqu’à sa fin, à la
manière d’un journal.
44 Le rapport de l’autobiographie à la chronologie est
nécessairement plus complexe. Le moment où le texte
autobiographique s’approche du journal crée une brèche
dans la linéarité première du projet : la cassure qui fait
sauter le texte de 1961 à 1971. Rien, évidemment, n’empêche
cette deuxième trame temporelle de s’insérer dans la
chronologie propre au journal. En effet, dans La Chasse à
l’amour, les dates se suivent au fil des pages du récit :
26 septembre 1969 – un bond de quinze ans en avant...
dimanche 19 octobre 1969 [...] Oui, notre vie est tracée avec
un trait droit. [...] Continuons de nous souvenir...
... le mercredi 8 septembre 1971
Arrêt. Clairvoyance et lucidité le 18 septembre 1971 au
matin. À quoi servent, à quoi serviront mes descriptions
pour lesquelles le souci d’exactitude m’épuise ? Je retarde.
Mes extases n’ont plus cours. Un paysage n’est pas un
problème à résoudre. Tout vit dans la nature, les branches
mortes balancent les feuilles mortes. Tout meurt sous ma
contemplation. Je ne suis pas le mouvement.
Cassure. Je reviens [...] dix ans après, le 21 septembre 1971.
Cassure, cassure.
[...] le 23 septembre 1971.
Cassure, cassure.
dimanche 26 septembre 1971.
Pendant dix ans.
Ma mémoire a suivi le courant.
dimanche 10 octobre 197155.

45 Le « trait droit » de la vie se retrace dans la linéarité de


l’écriture qui le suit, et les deux lignes parallèles se
rapprochent, lentement, du point où elles devraient, à la fin
du livre, se rejoindre. Au début de La Bâtarde, Leduc parle
de cette lente avancée régulière de son écriture – une page
du cahier par heure. « Il m’a fallu deux heures et demie pour
écrire cela, deux pages et demie de mon cahier quadrillé.
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J’avancerai, je ne me découragerai pas56. » À la fin de La


Chasse à l’amour, elle en reparle, rappelant l’emploi du
temps quotidien qu’elle a suivi depuis – trois heures
d’écriture par jour, tous les jours. « Mon emploi du temps
est incorruptible, j’ai une discipline de fer57. » La mise en
scène de l’écriture comme activité quotidienne la rapproche
donc du journal, cette forme qui, comme le remarque
Blanchot, « paraît si dégagé[e] des formes » puisque « tout y
convient, dans l’ordre et le désordre qu’on veut », mais qui
se soumet néanmoins à un ordre redoutable, celui du
calendrier58. Ici, cependant, il ne s’agit pas d’un journal
intime, mais de ce cahier au papier quadrillé qui se remplit
lentement au fil des jours, son progrès marqué parfois par
des dates, pour devenir enfin le livre qui mettra en scène
cette genèse sous le signe de la contrainte quotidienne.
46 L’insistance sur la régularité de l’écriture est suffisamment
appuyée pour inviter au simple calcul qui montre pourtant,
au contraire, l’irrégularité de la composition du livre publié.
La Bâtarde semble d’abord fidèle à sa promesse : trois pages
de cahier, soit une page imprimée chaque jour pendant les
quatorze mois qui séparent la première (le 23 juin 1962) de
la dernière page du livre (le 22 août 1963). La série d’entrées
datées qui permet le calcul dément pourtant toute prétention
à la régularité. L’espacement des dates est inégale ; pis, on le
verra, l’ordre est tout sauf chronologique. De son côté, La
Chasse à l’amour est loin de tenir le rythme des deux pages
par jour du début : trois ans pour écrire un livre de quatre
cents pages. Si le texte semble inviter à de tels calculs, en
affirmant la régularité de l’écriture, en ponctuant le trait
droit de ses souvenirs par des marques de sa genèse, il
souligne aussi le fait que le résultat de cette rédaction
chronologique est toujours remanié après coup. L’auteur
« soigne » le travail du cahier59, chaque page couverte de
ratures est recopiée au net, le tout, « toujours trop long60 »,
est coupé, revu encore... Combien de fois écrit-on
« aujourd’hui, 10 octobre 1971 » pour aboutir finalement à la
dernière page du texte, de ce texte « interrompu » par la
mort de l’auteur quinze mois plus tard, le 28 mai 1972 ?

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47 Nous l’avons déjà noté, l’histoire de La Chasse à l’amour


s’interrompt au moment où le récit de l’écriture de La
Bâtarde commence.
J’ouvre mon cahier comme hier, comme demain. Je lèverai
la tête à 12h30. Le bruit de frottement d’ailes de sauterelles
témoigne de ma régularité. Je raconte ma vie. Je me réjouis
ou je m’afflige. Je préférerais l’obscurantisme, l’hermétisme.
J’écraserais mon passé sous la patte d’un sphinx si je le
compliquais avec un vocabulaire énigmatique. Mon passé
n’est pas une énigme. Un oiseau chante trop bien, stylo en
l’air à 12h35. L’oiseau se tait, il abandonne l’arbre, ma
solitude m’effraie. Je suis peut-être un bloc de pierre [...].
Mon stylo tombe sur le cahier. Je remue mes doigts, je
frictionne mes joues, je pince mon mollet. Je suis sensible,
donc je vis. Je souris, les douze coups de midi sonnent, près
de la maison, du petit pont-levis, des murets, de la ligne
ballonnée à l’angle de la forteresse...
Cassure.
Indispensable.
[...]
dimanche 10 octobre 197161.

48 La fin de l’autobiographie, c’est effectivement son début,


cette première page de La Bâtarde reprise ici au mot près :
mon passé n’est pas une énigme, mon cas n’est pas unique62,
j’écrivais sur la même pierre il y un an63, je suis peut-être un
bloc de pierre... Mais quelle chronologie étrange, là où tout
témoigne de la régularité de l’écriture. J’écrirai jusqu’à midi
trente, j’écris encore à midi trente-cinq, et maintenant les
douze coups de midi sonnent. Aujourd’hui, dimanche 10
octobre 1971, j’écris l’histoire du début de mon
autobiographie en 1961, en me servant des mots semblables,
en décrivant une scène semblable à celle où j’écrivais sur la
pierre il y a dix ans...
49 La fin de l’autobiographie renvoie donc, en toute apparence,
au début de l’écriture, aux premières pages de La Bâtarde.
Rappelons cependant la chronologie déjà complexe de ce
commencement du projet autobiographique : « Lecteur,
mon lecteur, j’écrivais déjà sur la même pierre il y a un an.
[...] Lendemain matin, 8 heures du matin du 24 juin
196264. » Comme les pages à la fin de La Chasse à l’amour,
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écrites en 1971 et renvoyant à 1961, le début de La Bâtarde,


daté de 1962, rappelle l’écriture d’un an auparavant. L’année
1961, évoquée ainsi par deux fois comme origine de
l’autobiographie, se dérobe pourtant à ces mises en scène du
commencement du projet. Certes, c’est la date d’autres pages
qui se trouvent vers la fin du livre ou, encore une fois, de la
publication antérieure, dans Les Temps Modernes, d’un
extrait du manuscrit de La Bâtarde65, lui-même daté de
juillet 1960 et inséré au milieu du texte final – mais ce n’est
finalement en aucun sens le début du livre La Bâtarde66. La
pratique de l’inscription de dates dans ce texte indique, au
contraire, que ce début qui met en scène la difficulté de
commencer une autobiographie – « J’avancerai, je ne me
découragerai pas67 » – fut écrit après une très grande partie
de l’histoire qui suit. Le livre a commencé bien avant la
première page, et risque de finir bien après le dernier mot.
50 Les dates marquées dans le texte mettent ainsi en œuvre une
double temporalité textuelle. Elles rappellent cette autre
forme autobiographique qu’est le journal, et donnent ainsi
l’illusion, renforcée par l’acte linéaire de la lecture, d’un lent
et régulier travail d’écriture, d’une rédaction chronologique.
Elles jouent l’apparence de la mémoire qui suit l’écoulement
des années et mettent en scène la cassure brutale,
impudique, du texte coupé court par la mort. Mais l’image de
la mort, venue suspendre le récit à la fin de La Chasse à
l’amour, ne ferait-elle pas partie, en fin de compte, de cette
fiction, à la fois entretenue et démentie par les dates notées
dans le texte, de la rédaction linéaire et quotidienne qui suit
le fil de la vie ? Car la cassure, qui renvoie en apparence au
début du projet autobiographique, doit aussi être comprise
comme une fissure de la chronologie, du courant des
souvenirs mis soudain en tourbillon. Si la vie ne trace pas un
trait droit, elle ne s’inscrit pas non plus en une circularité
selon laquelle, à la fin du livre, la trame temporelle de
l’histoire viendrait rejoindre celle de l’écriture de cette
histoire. Ou plutôt si, elle le fait, mais de manière fictive :
c’est la fonction même de la fin de cette autobiographie qui
résiste à la finitude en rappelant d’autres livres publiés et en

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promettant ainsi le récit à venir de leur rédaction. Mais une


telle circularité, comprise comme une linéarité qui se replie
sur elle-même, implique que l’écriture ait suivi un parcours
chronologique identique à celui de la vie qu’elle raconte. Si
l’écriture joue une telle chronologie, elle la déjoue en même
temps par cette même pratique d’inscription de dates, qui
interdit un retour au commencement comme continuation
de l’histoire.
51 Dans La Bâtarde, les dates qui indiquent le présent de
l’écriture passent de juin 1962 à juillet 1960, puis à décembre
1963 et à 1961, pour finir, à la dernière page, en août 1963.
Dans le deuxième tome du projet, La Folie en tête, le
premier indice donne l’année 1964 et on passe ensuite à août
1967, puis à mars 1966. Mais en quel sens ce genre de
référence indique-t-il un « présent » de l’écriture ? L’écriture
du présent recouvre un nombre indéfini d’autres moments
présents de l’écriture ; le renvoi au mois d’août, par exemple,
dans La Folie en tête, précise qu’il s’agit là d’un retour sur un
passage déjà écrit : « en recopiant mon travail un 15 août
1967 à onze heures trente-sept68. »
52 Si le tome posthume de l’autobiographie, La Chasse à
l’amour, se distingue des deux précédents volumes par
l’apparente linéarité de sa rédaction (les dates se suivent au
fil des pages), l’on peut ainsi se demander si la cassure du
texte, où la chronologie bascule, n’aurait pas été le premier
moment d’un mouvement de retour esquissé mais laissé en
suspens. L’inachèvement du texte serait ainsi à lire non dans
l’interruption de l’histoire linéaire, mais dans cette linéarité
même. Si la narration du récit révolu a pu être menée à
terme, selon la logique des autres tomes du projet, pour finir
au moment de la publication d’un livre antérieur (ici, La
Bâtarde), l’achèvement de la narration doit être compris
comme ce moment de retour où commence l’écriture.
53 L’achèvement, en ce sens, s’atteint grâce à ce qui paraît,
d’abord, comme la marque de l’inachèvement du texte : la
cassure où intervient un rythme infidèle au cours
chronologique de la vie, où la narration se rapproche de
l’écriture en laissant en suspens l’histoire. L’inachèvement

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fonctionne ainsi comme figure, ou comme fiction nécessaire


du projet, pour laisser entrevoir, à la fin du texte, la main qui
écrit, ou qui n’est plus capable d’écrire, la vie coupée court,
stylo en l’air. Le mouvement de retour, saccadé et répétitif,
serait alors un travail de finition du projet inachevé, travail
de reconfiguration, d’effacement, de soin des carnets
manuscrits qui refuse pourtant de gommer entièrement ses
ratures. L’écriture a toujours commencé avant la première
page du récit, et finira, si le temps lui est accordé, bien après
le dernier mot du texte. Par le biais des dates,
l’autobiographie joue un double jeu, inscrivant la durée de
l’écriture tout en faisant comme si la vie et l’écrit se
rejoignaient au dernier moment.

Le rythme
Le rythme a été examiné, jugé, mesuré. Pourtant, il est resté
muet.
N. Abraham, « La conscience rythmisante »
...le rythme serait la condition de possibilité du sujet.
Ph. Lacoue-Labarthe, « L’Écho du sujet »

54 Si l’on peut distinguer la narration de l’écriture, c’est grâce,


d’abord, à une différence temporelle : ce léger écart entre
l’écrit et la parole qui fait qu’une instance linguistique
unique et durable – « je » – se constitue à partir d’une
duplicité initiale. Le temps linéaire, cependant, ce modèle
unidimensionnel et homogène calqué sur la chaîne
linguistique orale, implique l’unicité du sujet. Poser
l’existence d’un sujet de l’écriture à côté du sujet de
l’énonciation, ce serait admettre une tension et une
hétérogénéité temporelles comme constitutives de la
narration écrite. Mais c’est aussi supposer qu’un modèle non
homogène et non linéaire du temps soit pensable.
55 Lorsque Harald Weinrich oppose la linéarité de la lecture au
mouvement de la compréhension, où les contextes passés et
futurs viennent contribuer à la détermination du signe
linguistique, il suggère qu’un tel mouvement échappe à la
linéarité temporelle69. Si la notion de linéarité implique une
conception géométrique du temps, il s’agit là d’un
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changement de perspective, d’une description de


l’expérience de la compréhension. Il n’est pas sûr,
cependant, qu’un tel point de vue constitue une sortie de
toute notion de temps linéaire. Au contraire, le modèle de la
compréhension que propose Weinrich rejoint celui,
phénoménologique, où la protention et la rétention
constituent le moment de la présence, mais où le temps
demeure une succession homogène de points présents
divisés entre passé et avenir, et déterminés par leur
« entourage » ou contexte temporel70.
56 La description phénoménologique s’en tient, par principe
méthodologique, à l’expérience consciente du temps71. Tout
se passe, de quelque côté que l’on regarde, comme si la
temporalité était par nature consciente, et par là même
conforme à la linéarité de la chaîne parlée. Cette perspective,
à première vue du moins, n’est pas très éloignée de celle
esquissée par la théorie freudienne. En effet, l’inconscient,
pour Freud, se distingue du conscient d’abord par son
intemporalité, ensuite par son caractère apparemment non
linguistique : l’inconscient ne connaît pas plus le mot, en sa
qualité de référent linguistique, que le temps72. Ces deux
caractéristiques vont de pair avec son refus de reconnaître la
contradiction : le travail de l’inconscient, tel qu’il est
représenté dans les écrits de Freud, paraît ainsi s’opposer au
modèle linéaire. En mettant en place un tel schéma des
différences entre conscient et inconscient, nous nous
trouvons cependant devant un des paradoxes de la théorie
freudienne, celui de l’usage, pour décrire le fonctionnement
de l’inconscient, des métaphores d’origine linguistique : le
rébus, le hiéroglyphe, l’inscription et la traduction de traces
et enfin, l’appareil d’écriture du « bloc-notes magique »73.
57 Freud s’applique assez rarement à considérer d’un point de
vue philosophique les résultats théoriques de sa pratique
psychanalytique. Il reste cependant, dans « Au-delà du
principe de plaisir », la référence à la notion kantienne du
temps comme une forme pure de l’expérience sensible.
Certaines données recueillies par la psychanalyse nous
permettent d’engager la discussion sur la proposition

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kantienne selon laquelle le temps et l’espace sont des formes


nécessaires de notre pensée. L’expérience nous a appris que
les processus psychiques inconscients sont en soi
« intemporels ». Cela signifie d’abord qu’ils ne sont pas
ordonnés temporellement, que le temps ne les modifie en
rien et que la représentation du temps ne peut leur être
appliquée. Ce sont là des caractères négatifs dont on ne peut
se faire une idée claire que par comparaison avec les
processus psychiques conscients. C’est bien plutôt du mode
de travail du système Pc-Cs que notre représentation
abstraite du temps semble entièrement dériver : elle
correspondrait à une autoperception de ce mode de travail74.
58 La définition freudienne de l’intemporalité de l’inconscient
est négative : elle est, comme le remarque Jacques Derrida,
« déterminée par opposition à un concept courant du
temps75 », celui du temps unidimensionnel et successif, tel
que l’entend la tradition philosophique76. Peut-on
néanmoins poser la question de la spécificité de cette
intemporalité ? C’est par un tel renversement de perspective
que Nicolas Abraham interroge l’« apparente indépendance
de la temporalisation de l’inconscient ». « Qu’est-ce à dire,
en effet, que le vœu qui habite l’inconscient est hors du
temps, sinon qu’il est présent éternel, éternellement en acte,
que, par essence, il ne saurait être accompli77 ? » Le
renversement qu’opère Abraham, qui l’amènera à situer la
genèse de la temporalisation dans l’intemporalité même de
l’inconscient freudien, suggère qu’on est en bon droit
d’admettre la possibilité d’une spécificité non linéaire, mais
néanmoins temporelle, du travail inconscient.
59 L’intérêt du modèle freudien du psychisme est double : en
interrogeant la notion de présence et la temporalité linéaire
qui la soutient, le travail psychique est mis en rapport avec
celui de la langue, et notamment des formes graphiques : le
rébus, le hiéroglyphe, le « bloc-notes magique ».
60 Selon le modèle freudien, le psychisme se forme au fur et à
mesure que vit le sujet et que sont imprimées, comme sur un
tableau de cire, les traces de l’expérience vécue : en ce sens,
la genèse du sujet implique une temporalité linéaire.
Cependant, ces traces du passé demeurent présentes, même
s’il ne s’agit pas, ici, d’un « présent » au sens conscient :
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comme le feuillet de celluloïd qui recouvre la cire du bloc-


notes magique, la conscience ne garde en elle aucune trace.
Néanmoins, tout enregistrement est toujours susceptible de
revenir à la conscience, d’être revécu et traduit dans un autre
lieu du psychisme78.
61 Ces métaphores graphiques – l’empreinte, la trace, la
traduction – situent le fonctionnement psychique au niveau
linguistique. Mais la langue, pour Freud, est l’affaire du
conscient : ce qui s’imprime n’est pas représentation de mot,
mais de chose, et c’est précisément cette traduction de
choses en mots qui permet à l’expérience de devenir
consciente79. Ainsi les images du rêve ne font pas sens avant
d’en faire, le lendemain, un récit.
62 Il n’empêche que Freud persiste, en parlant de l’inconscient,
à se servir des métaphores liées à l’écriture. L’image du rêve
doit se lire comme un rébus ou hiéroglyphe : elle a « souvent
plusieurs sens, quelquefois beaucoup de sens, si bien que,
comme dans l’écriture chinoise, c’est le contexte qui seul
donne une compréhension exacte80 ». À l’encontre du
conscient, dont le mode référentiel est lié au langage oral,
l’inconscient prend les mots comme des choses, divorcés de
leur référence et ouverts donc aux recontextualisations
multiples81.
63 Freud nous aura donc esquissé un système double. D’une
part, le préconscient-conscient se conçoit en termes linéaires
de présence et d’absence, de présent et de passé ; c’est le
domaine du langage oral, de ces « restes verbaux » venus des
« perceptions auditives »82. D’autre part, l’inconscient tend
vers cette « intemporalité » où le passé n’a pas d’âge. Figuré
comme écriture durable, l’inconscient méconnaît le mot : il
transforme la pensée exprimée en image, ou bien il traite le
mot lui-même en chose, produisant dans les deux cas une
polysémie indécidable83.
64 À la fin de la note sur le bloc-notes magique, Freud
remarque que l’apparition de la représentation du temps a
sans doute pour fondement le travail discontinu du système
préconscient. Pour se figurer cette discontinuité, il suffit
d’imaginer que le geste qui efface l’écriture visible en

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enlevant la feuille de celluloïd du bloc-notes correspond à un


retrait de l’investissement inconscient qui vient « de
l’intérieur par des coups rapides et périodiques » : on écrit
d’une main, et l’autre, périodiquement, efface cette écriture.
C’est cet investissement venu de l’intérieur qui, pour Freud,
fait défaut dans le bloc-notes magique comme figure du
travail psychique : l’écriture effacée ne peut plus surgir à
nouveau, à tout moment, pour se donner à lire et à faire sens
autrement, à la lumière de nouvelles expériences. D’après
Pierre Fédida cependant, cette temporalité d’après-coup se
retrouve néanmoins dans le bloc-notes magique. L’écriture
n’est visible en surface qu’à travers le feuillet de celluloïde :
elle est écriture « d’émergence », « un effet de retour
provenant du fond », produit « par effet différé »84.
65 Si le bloc-notes magique figure un système double, c’est
donc l’interaction périodique et fragile entre les deux
systèmes qui y introduit un mouvement temporel. Le contact
intermittent donne au conscient sa façon de se représenter ;
mais elle intervient aussi pour perturber cette
représentation, car son fonctionnement linéaire est soutenu,
voire déterminé, par un « passé » intemporel et
imprévisible. Il n’y pas d’expérience « lisible » sans
mémoire, mais la mémoire amène avec elle la menace de
l’oubli : la présence se trouve devancée par un mouvement
d’après-coup, de retardement, et l’expérience vécue comme
présent dépend de la séparation des deux systèmes qui la
met à tout moment en péril d’effacement.
66 Il faut souligner la périodicité de cette interaction, qui
paraît, ici, comme le fondement inconscient de la
représentation consciente du temps. À première vue, une
telle conception semble pour le moins contradictoire. La
notion de périodicité implique une répétition, un retour du
même, et non une successivité changeante. Comment le
retour du même peut-il donc se faire temps ? Abraham nous
offre une réponse possible à partir de son analyse de
l’intemporalité du vœu inconscient comme « présent éternel,
éternellement en acte ». Si le vœu inconscient est éternel,
c’est qu’il est « nécessairement à l’abri de l’accomplissement,

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il implique un obstacle intrinsèque qui le maintient à la fois


agissant et inassouvi85 ». À partir de là, « toute satisfaction
d’un désir [...] va de pair avec une déception du vœu
inconscient », et si « ce qui arrive est toujours “autre chose”
que ce qui est souhaité au profond de soi, l’actualité du
présent ne saurait se figer dans un accomplissement définitif
mais devra glisser sans cesse vers un autre présent, entaché
d’ailleurs de la même ambiguïté86 ». Ce serait ainsi le conflit
de la division du sujet qui crée le temps, car la monotonie,
comme répétition du même, n’est pas à elle seule
temporelle : la durée, ici, « piétine sur place87 ». Serait-il
donc également vrai qu’on est condamné à toujours dire
« autre chose88 » que ce qu’on voudrait dire, et que ce serait
cette impossibilité de traduction de la chose en mot qui
donne naissance au mouvement de la parole ? Dans ce cas,
l’écriture devrait en effet se comprendre comme le lieu de
cette tension, ou rythme, entre la chose et le mot impossible,
lieu, aussi, qui garde les traces de chaque tentative de dire, et
où, entre les lignes qui la recouvrent, la parole interdite se
fait entendre dans la lecture.
67 Une tension de cette forme se manifeste dans le récit
L’Affamée. Vers la fin du livre, comme dans La Chasse à
l’amour, a lieu une coupure du texte. Mais il ne s’agit pas,
cette fois-ci, d’une fragmentation du cours de l’histoire. La
coupure se figure dans une scène de rêverie dont l’enjeu
n’est autre qu’une scission entre la narration et le travail de
l’écriture.
J’ai une vision en m’éveillant qui m’aide à recréer ma
chambre, mes objets, les bruits, le monde. Je m’assieds dans
mon lit, je me vois décrochant la planche à hacher [...]. Je
pose cette planche sur la table de ma chambre. J’ouvre le
tiroir. Je dis adieu aux cinq cents plumes Blanzy-Poure
couchées dans leur boîte. Je secoue cette boîte contre mon
oreille. J’obtiens le son et la marée de l’écriture à venir. Le
hachoir m’attend sur la planche. Je répète avec la main
gauche. Je donne trois coups de hachoir à la planche à
hacher. Ma force est insuffisante. Pas d’autre solution. Pour
ne plus écrire, c’est ma main droite qu’il faut sectionner.
J’allonge cette main. Elle est perpendiculaire au hachoir. Je

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brandis la hachette. Dans mes oreilles je n’ai que


l’atmosphère des couloirs vides des écoles. J’ai sectionné89.
68 La « vision » raconte la rencontre de deux formes d’écriture :
d’une part, celle, passée, des notes quotidiennes du journal –
ou du « cahier »90 – que tient la narratrice en attendant
l’aboutissement de « l’événement » ; d’autre part, celle
désirée et encore future, qui viendra en retour sur les notes
du cahier pour mettre fin à l’attente. C’est cette écriture-ci
qui, pour le lecteur, a une existence effective sur la page
imprimée. Dans cet instant de rencontre, écrire coexiste avec
l’attente de l’écriture future, mais aussi avec le désir de
coupure, d’interruption, de mise à mort du rythme obstiné
du journal : la « marée » qui va et vient périodiquement ou,
comme elle le dit ailleurs en parlant de « l’événement »
central du texte, le « bourdonnement », le « marteau »
insistant, le « moteur fatal », « cette batterie de la hache »91.
69 Cette scène se place, dans le texte, après une très longue
séquence autour du départ et du retour de la femme qui lit.
Dans l’attente toujours inassouvie, la présence équivaut à
l’absence : « Elle est partout à la fois mais je l’ai perdue92. »
La scène qui suit décrit alors la décision de se taire – « Je ne
parlerai pas d’elle au papier du cahier93. » Le battement de
l’événement sera repoussé vers le passé, recouvert par le
silence du renoncement au cahier. « Il y avait eu un
commencement. [...] C’est du temps passé94. » Mais dans
l’enterrement du passé, dans l’oubli volontaire qui renonce
au plaisir de le faire revivre dans l’écrit, il y aura toujours ce
qui échappe du passé dans l’espoir du désir – « Il y aura
toujours une voix qui dira : “Elle est rentrée...” ».
Elle est rentrée. Elle ne te fait pas signe. C’est cette larve de
moi-même qui le dit et qui le répète. Je ne peux pas saisir ce
crachat de moi-même, cette chair d’huître, cette haleine
sucrée qui peut souffler des mots tyranniques dans
l’oreille95.

70 La voix insaisissable, vouée à la répétition, divise le moment


présent – je me tais, je me parle – comme elle jette dans le
vertige celle qui s’entend parler, se voit voir, s’écrit écrire.
« Je me vois boire, attendre, m’user, pourrir. J’ai une

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éruption de lucidité. Je suis à côté de moi. Cela dure un


instant. Le dédoublement est trop vertigineux96. » La vie est
devenue à ce point imbriquée dans l’écriture que chaque
altération annulée, chaque espoir déçu se grave sur les
pages. Le cahier se fait miroir fixe de la répétition, où l’image
immobile résiste à la voix inlassable qui pousse au
changement. Mais les pages renvoient aussi – instant
vertigineux – le reflet de cette aporie, l’image de la main
écrivante qui fixe non l’événement, mais son état
d’inassouvissement perpétuel. C’est devant cette image, dans
la « vision » citée, qu’elle brandit le hachoir, voit sa main
détachée du corps tel un fragment de miroir brisé, dans un
dédoublement à la fois libérateur et insoutenable,
mouvement qui est néanmoins la répétition d’une autre
scène rêvée du texte :
Ne plus se voir. Sainte délivrance. J’ai frappé. Je frappe. [...]
Ma main se dégage de moi. [...] Des éclats de miroir
tombèrent. [...] Je ne me verrai plus. [...] Je me perdrai de
vue. [...] Je ne me vois plus97.

71 Arrêter d’écrire, c’est briser l’image, mais c’est aussi se


soumettre à son immobilité et donc ne rien changer. Dans la
mutilation rêvée du corps, la brisure de l’image ineffaçable
c’est aussi, cependant, une tentative pour faire voler en
éclats ce qui rythme le temps de l’attente : la voix répétitive,
la marée de l’écriture à venir, le flux et reflux de l’événement
qui bat jusqu’au bout des doigts. L’enjeu du rêve serait le
désir – et l’impossibilité – de mettre à mort le temps
chronologique, temps du calendrier, qui marque l’attente
d’un aboutissement de l’événement. Se couper la main, ne
plus écrire, se taire ; ne pas parler d’elle et donc, ne pas se
voir. C’est une logique en miroir, où chaque élément se
réfléchit en un autre pour résoudre la tension en une seule
image, pour l’anéantir d’un seul mouvement. Mais cette
image d’unité, qui va permettre ce seul coup destructeur, est
elle-même un reflet trompeur, un simulacre pris dans son
propre jeu. La fin de l’écriture est un leurre : elle est mise en
scène sur la page écrite et doit se comprendre comme un
nouveau commencement, édifice fragile reconstruit sur ses

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propres ruines. « J’ai une vision en m’éveillant qui m’aide à


recréer ma chambre, mes objets, les bruits, le monde. [...] Je
brandis la hachette. [...] J’ai sectionné. » Tout défaire, donc,
mais pour le refaire ensuite ; se taire, mais pour écrire en
silence sur une page arrachée à la vie, dernier dédoublement
qui se veut, cette fois-ci, définitif.
72 La main coupée, le renoncement à la parole : si ces images
paraissent sous le signe d’une mise à mort de l’événement et
de l’histoire, elles sont également, tout aussi sûrement que le
fait de mettre son tablier et s’asseoir à sa table, stylo en
main, des préparatifs de l’écriture qui viendra.
J’ai mis mon tablier. J’ai serré ma ceinture de cuir. Je suis à
ma table. Elle est revenue dans ma ville. Je peux lui prendre
ce dont j’ai besoin sans la revoir. [...] Mon rideau de tulle
remue. C’est le battement [...]. C’est du côté de ma table que
le rideau gonfle. [...] Un nouveau Pompéi tressaille
jusqu’ici98.

73 Le « battement » insistant de l’événement, arrivé « du fond


des siècles », vient ici, « nouveau Pompéi », enterrer
l’histoire antérieure. Image trompeuse encore, car cette
histoire n’est autre que celle de l’événement qui renaît de ses
cendres, aussitôt éteint. L’écriture à venir se figure donc sur
fond de mort, d’ensevelissement et d’oubli, mais c’est une
mise à mort qui s’arrange pour tout garder, figé mais intact,
cadavre encrypté ou absence captive : on doit pouvoir y
prendre, à tout moment, ce dont on a besoin99. Ensevelir le
passé serait moins un mouvement d’oubli qu’un refus
d’admettre l’avancée du temps : sous la plaine dévastée, le
passé se préserve, prêt à revenir à la lumière du jour sans la
moindre trace du temps révolu. Nous nous rendons
cependant compte que le passé dont il s’agit a déjà forme
d’écriture : c’est l’histoire qui a été racontée tous les jours au
cahier. L’éruption du Vésuve, la mort violente et soudaine
qu’elle produit, figurent un acte aussi simple que celui de
tourner la page. L’écriture sur la feuille blanche, cette
apparence d’un nouveau commencement, s’inscrit pourrait-
on dire en palimpseste, recouvrant sans effacer les pages du
passé, dans une stratification du temps. Au moment où

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l’écriture se figure de cette façon, la seule règle de ce jeu


meurtrier apparaît soudain dans toute sa clarté : que
l’écriture ne soit plus le récit de l’événement, mais
l’événement même, cet éternel revenant. Se couper la main,
donc, pour arrêter la machine, pour laisser libre cours à
l’autre main qui efface – ou bien, pour « reproduire » –
l’écriture du passé sur la page blanche.
74 Prise entre l’enterrement de l’histoire et l’attente de cette
écriture encore à venir, la narration se déroule ainsi dans
l’attente en même temps qu’elle la raconte. Qu’est-ce qu’on
attend ? Pour le réduire au plus simple, on attend la fin de
l’histoire pour pouvoir commencer à l’écrire. Mais cette
histoire, n’est-elle pas déjà en train de s’écrire, tous les jours,
sur les pages du cahier ? Comment donc atteindre ce
moment présagé mais fragile de rencontre où l’événement
adviendra sous forme d’écriture ? La solution ne peut se
trouver que dans la scission, ou coupure, qui apparaît
comme différence temporelle.
75 Le mouvement qui nous mène vers la fin de l’histoire se
modèle non sur l’écriture présagée mais sur la parole.
Rappelons la décision de se taire qui suit la vision de la main
coupée : « Je ne parlerai pas au cahier. » Phrase ambiguë,
puisque les mots tus se donnent à lire, mais l’élément
paradoxal n’est qu’une question de temps : le cahier mis en
scène n’est pas encore le manuscrit de ce que nous lisons sur
la page. Au contraire, et c’est là toute la difficulté, le cahier
est lieu de parole, de la narration transcrite, pris dans le
temps que ces mots mêmes engendrent. Si voie de sortie il y
a, elle doit donc se trouver dans la fêlure de ce temps-là.
76 Comme tout autre événement, l’acte de parler se déroule
dans le temps marqué par le rythme machinal de la
chronologie. L’énigme du rythme : si le passage du temps est
marqué par un son, le tic-tac d’un réveil, les coups de
l’horloge, alors tout son répété ne serait-il pas capable de
rythmer autrement le temps ? « La pluie se presse. Des
grosses gouttes tombent. Mon réveille-matin est arrogant
avec elles100. » Énoncer une histoire, c’est un acte qui a lieu

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dans le temps, mais dans un temps qui peut être ponctué par
cette énonciation même.
Elle voyagera pendant trois mois. [...] je le répète : « Je ne
veux pas qu’elle parte... » Entre mes phrases, mon réveille-
matin est méprisant. [...] Il persévère. [...] Je suis une
machine qui ne veut pas qu’elle s’en aille. Je ne répète pas
assez vite. [...] J’ai débité la phrase : « Je ne veux pas qu’elle
parte. » Dans ma tête j’avais une forge avec les marteaux et
les coups. [...] Ne partez pas, Madame...101.

77 Le fait de prononcer un mot prête une certaine réalité à ce


qui est dit. Le mot ou la phrase s’introduisent dans le monde
de l’histoire et, par là, dans la progression machinale de la
chronologie. « Je ne veux pas qu’elle parte » : « Je suis une
machine qui ne veut pas qu’elle s’en aille. » Mais prononcer
un désir, c’est aussi vouloir vaincre la réalité en dépassant le
temps qui nie son accomplissement : « Je ne répète pas
assez vite. » Vaincre le réel par la parole, c’est un jeu à
double tranchant car, de l’autre côté, ce qui se dit a une
chance d’arriver, la phrase devenue aussi inéluctable que le
temps.
La phrase arrive sur moi. Je vais courir. J’irai plus vite que
les horloges [...]. Je ne cours pas assez vite. [...] Elle voyagera
pendant trois mois. [...] Elle partira. Elle voyagera pendant
trois mois102.

78 Le temps de l’horloge, ces coups de marteau dans la tête, « le


battement des tempes103 », ce temps où vivre n’est que
mourir avec les secondes, c’est aussi le temps qui efface le
vécu : « Le temps ne fera pas un crochet pour moi. Demain
elle aura vieilli. Cette soirée aura passé dans l’inconnu. Cela
crépite, cela périt. Mon réveille-matin va comme avant104... »
La recherche du bon rythme combat le cours du temps réel :
temps destructeur, dit Blanchot, « qui produit la mort et la
mort de l’oubli105 ».
J’ai dit : « la mort ». J’ai essayé d’avoir le mot. Une syllabe ce
n’est pas long à traverser. [...] Cela s’étale mais cela ne
résonne pas. [...] J’ai aggravé ma démarche. À chaque pas je
disais « la mort ». À force de le répéter, il y a eu de l’apparat
dans ma voix. [...] Je l’ai dit, je l’ai dit. Je disais « la mort »
aux rues. [...] J’ai dit aux murs qu’il était mort. [...] Je l’ai dit
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19/12/2023 22:06 Le Temps de l'autobiographie. Violette Leduc - 1. Le temps du récit - Presses universitaires de Vincennes

à l’encadrement des briques. C’est du mortier séché. [...] Je


me suis trompée. Je n’avais que ma voix. [...] La phrase est
revenue sur moi. [...] Il pleuvait. [...] « Il est mort. » J’ai
avancé. [...] J’ai dit : « Il est mort d’épuisement. » J’ai toisé
le ciel. Bouclé. Toujours rien à signaler. [...] Je l’ai dit, je l’ai
dit. [...] La pluie n’allait pas plus vite que ma mort. [...] Non,
je ne veux plus avancer. Entre mes pas, j’ai un deuil106.
79 Le temps régulier et continu est, en effet, comme le
remarque Blanchot, doublement destructeur : s’il amène la
mort, il amène aussi l’oubli de la mort. Prononcer le mot
pour faire exister la perte, pour regarder la réalité en face,
mais aussi, pour vaincre sa répétition inévitable : de toute
façon, la phrase arrive et revient. Cette marche pénible à
franchir mais « pas long[ue] à traverser » ne mène pourtant
nulle part. Le rythme machinal, qui ne se laisse pas dépasser
dans l’espoir de l’attente, ne peut pas être retardé non plus
pour en faire son deuil : le mot échappe aussitôt énoncé.
Pour « avoir » le mot, il faut le répéter sans cesse, aggraver
son pas, avancer au rythme d’une marche funèbre dans cette
traversée du mot où la voix lutte contre le temps de l’oubli.
80 La voix lutte – mais dans quel but ? Et contre quoi,
exactement ? J’agis, je cours ou bien j’aggrave mes pas – et
la phrase arrive, advient, revient. Quel est l’événement, ici :
la mort, le départ, mes tentatives pour faire le deuil de ce
qu’on m’a ôté ? N’est-ce pas plutôt la phrase même, qui
arrive « sur moi », passive dans ma répétition de ce qui ne
change rien ? La répétition, qui admet le passage du temps
tout en niant son principe de changement, travaille en ce
sens contre l’événement – à moins que l’événement ne soit
justement quelque chose déjà arrivé, qui survienne, quelque
chose qui m’entraîne dans sa propre passivité, ramenant
sans cesse au même ce que je crois mettre en mouvement.
L’événement arrive comme phrase à défaut de cette autre
chose indicible que le mot « événement » recouvre. Du coup,
les mots qui veulent le dire assurent, par « défaut de
traduction », sa perpétuité. La phrase arrive, certes, mais
l’événement reste toujours à venir : quoi que je dise, ce n’est
jamais tout à fait ça.

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81 Si la voix lutte, n’est-ce pas donc contre elle-même, prise


entre une volonté et une incapacité de dire ? À chaque
phrase dite revient son écho, cette « haleine sucrée » qui
souffle des mots tyranniques dans l’oreille pour que tout
recommence au début. Il serait ainsi également possible de
parler pour ne pas s’entendre – de s’emparer de la répétition
des mots pour éviter l’avènement de cette répétition. Nul
espoir, dès lors, d’arrêter la machine, ni d’échapper au
vertige de ce tourbillon d’échos – nul espoir si ce n’est, peut-
être, de s’y adonner en silence.
82 La répétition, dans le texte, apparaît comme citation – l’on
se rappellera que le texte, ici, est censé être des mots dits au
cahier-journal. Se citer, rapporter ses propres paroles, c’est
redire des mots déjà prononcés, voire répéter à plusieurs
reprises des mots que je dis avoir répétés. La citation produit
un tempo véloce qui incite au changement, mais qui est
contré par sa nature répétitive : la vitesse de la parole mène
toujours au point de départ, ce réel, pour reprendre
l’expression d’Abraham, « éternellement en acte ». En même
temps, en me citant je m’empare de mes paroles tout en me
distanciant de leur énonciation : elles semblent venir
d’ailleurs. Le mot cité est, en effet, représentation de mot,
signifiant pur, détaché de l’objet signifié : la phrase arrive, il
est vrai, mais rien ne change. La phrase est ainsi sur la voie
de devenir chose, et se donne en ce sens comme écriture,
cette graphie dont le guillemet est, à la fois, la trace
inaudible et ce qui donne à entendre la parole.
83 À la fin d’une quarantaine de pages autour du thème « elle
partira », ce rythme à contretemps s’arrête brusquement.
« J’avance. J’ai la démarche minutieuse107. » Avançant avec
les minutes, leur rythme insistant se retient dans un silence
relatif qui dure sans marquer le temps. La répétition, ici,
persiste mais sous la forme d’une continuité, figurée par
l’image inaudible, purement visuelle, de la lumière.
J’ai trouvé une perle de lumière. [...] J’arrive au monde. Je
ne le balbutie pas. Je le dis : elle partira quand elle voudra.
La lanterne [...] m’a éclairée. [...] Je quitte la lanterne qui va
persévérer. J’ai des talons ailés. La fidélité de cette lumière
est dans mon dos. Je continue de le dire. [...] Je le dis trois
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fois : elle partira quand elle voudra. [...] Je me soumets à son


départ108.
84 Le langage, jusqu’ici dans le texte, a été figuré uniquement
en tant que parole, énoncé oral, image acoustique, alors que
ce qui nous est donné à entendre est d’abord visible comme
signes graphiques : mots, lettres, espaces blancs, guillemets.
Faut-il penser, lorsque l’écrit se refuse comme transposition
de l’oral et avance sous le signe du silence, que ce langage
visuel échappe à l’emprise de la parole ? Sommes-nous donc
témoins, ici, d’un premier pas vers une autre forme du
temps, celle, écrite, qui permettra de mettre fin à l’attente et
à l’histoire ? Les images, dans L’Affamée, sont trompeuses,
et la clarté de la vision est souvent aveuglante.
85 Ce qui est appelé, ici, la « fidélité » de la lanterne, reflète une
autre lumière du texte, celle du mot « mirage » qui revient,
sa signification éclairée, dix mois après la première lecture
du mot dans une lettre écrite par la femme qui part.
Elle m’a écrit. [...] Je regarde son écriture difficile. [...] Je
retourne au début des phrases. [...] Pour elle, l’événement
est un « mirage ». [...] Elle voyage, elle rentrera109.

86 Et dix mois après, donc, une autre scène de lecture :


Ouvert une revue comme on ouvre la Bible : « ... on ne me
fera jamais croire qu’un amour humain se passe du désir
[...] ». J’ai relu. [...] Le passage revient sur moi. Le mot
« mirage » a été délivré de la lettre et de la mise au point
qu’elle m’a écrites. Le mot est un candélabre. [...] Dix mois
après la lecture, sa lettre m’a assommée. Il fait trop clair en
moi. Quelle cruauté de lumière110.

87 La lumière du mot « mirage » est le revers de l’événement,


ce moment originaire figuré, lui aussi, comme une lumière
qui « naquit dans un café au mois de février. L’éclair et la
déchirure. » Si l’événement, ce « flot de lumière », persiste
sans changement tout au long du texte, il n’est cependant
que la face visible du « bruissement intérieur » qui marque
le passage du temps111. La figure de la lumière, naissance et
commencement, est ainsi commune à l’événement, à son
mirage, mais aussi au moment qui semblait en marquer la
rupture : la révélation libératrice – « j’arrive au monde » –

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n’est ainsi qu’un reflet, un écho écrit, qui s’inscrit dans la


répétition et le recommencement de l’événement dont il
paraît effectuer la coupure.
88 Comme le remarque Blanchot, si le « temps destructeur »
efface le passé, s’il finit par rendre le deuil impossible, il peut
aussi faire répéter, par un tour étrange, le souvenir qu’on
croyait oublié, comme un événement à nouveau vécu :
événement « bouleversant, qui déchire la trame du temps ».
Mais « l’événement » de L’Affamée ne donne pas lieu au
passage hors du temps, ni même – ou pas encore – au temps
pur et sans événements qui serait, pour Blanchot, le temps
du récit. Le temps, ici, ne peut pas devenir espace, ne peut
pas s’éprouver comme dehors, parce qu’il y manque la
distance, l’entraînement hors de soi, ailleurs, de la main qui
écrit112. Le passé qui revient n’est pas un instant lumineux
devenu présent pour être revécu à loisir. Au contraire, le
souvenir surgi de l’oubli n’est plus le souvenir passé. Il
apparaît, soudain, éclatant de clarté, plein d’un sens qui
appartient au présent et qui change le sens passé. Alors le
présent même se dérobe à s’y perdre, entraîné dans une
passivité du temps sans moment fixe.
89 Comme le mot répété, tout passage du texte est ainsi
susceptible de « revenir », pour éclairer ou dévoiler son sens,
mais aussi pour déchirer le voile du silence, rompant la
progression qui semble s’accomplir. Le temps n’est pas
vaincu par la soumission à sa passivité : par cette passivité
même, le texte est voué à la répétition sous la forme du
retour, du jeu de miroirs entre les mots écrits et lus. Le
rythme de l’histoire s’inscrit dans cette répétition écrite pour
démentir, précisément, ce qui s’y dit. La soumission, le
renoncement à l’événement s’avèrent être le retour de
l’événement même, et la progression paisible et silencieuse,
qui semblait préfigurer l’écriture à venir, est déjouée par le
rythme propre à l’écriture. L’écrit, en effet, n’avance pas,
mais revient, non pas comme le son et la marée des vagues,
mais de manière plus insidieuse, puisque sans murmure : le
tracé même des lettres fait qu’aimer – cet amour qui n’est

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jamais nommé en tant que tel dans le texte – sera toujours


une forme de mirage.
90 La fin du livre et le début de l’écriture deviennent ainsi
possibles du moment où l’écriture ne se donne plus comme
transcription de l’oral, image secondaire, mais comme le lieu
où résonne l’écho de ce qui ne peut pas se dire. Le silence
devient voie de sortie lorsque l’écriture se fait entendre : l’on
peut donc renoncer à dire, à vouloir tout avoir dans le mot.
Ce n’est pas en parlant, en effet, que « je » se révèle ou se
connaît – ce serait méconnaître, là, la machination complexe
de cette parole écrite. Comme le bloc-notes de Freud, la
machine fonctionne à deux mains, et le je arrive à dire au
moment où il s’efface pour s’écouter, où il n’est plus donc
volonté et plénitude de sens. L’écriture, ce retour sur la
parole, paraît ici comme mélancolie, deuil de soi-même
avant la lettre, qui ne peut aboutir qu’en passant par la
coupure du texte arraché à la vie113. La scission entre
narration et écriture apparaît alors comme clivage et
distance au sein du « je » : le personnage qui attend, la
narratrice qui est prise dans la lente chronologie de sa
propre narration, l’écrivain, enfin, qui apparaît comme
instance silencieuse, écho et répétition, hors de l’emprise de
la linéarité narrative.
91 C’est ainsi qu’à la dernière page du texte, la fin du livre passe
par la répétition du début de la scène de l’écriture comme
« nouveau Pompéi », ensevelissement et fouille
archéologique.
Je ne parlerai pas d’elle au cahier, à mes murs, à ses lettres.
[...] Je me suis tue une journée.
J’ai mis mon tablier. J’ai serré ma ceinture de cuir. Je suis à
ma table. [...] Un nouveau Pompéi tressaille jusqu’ici.
Je ne parlais pas aux murs. J’ai remis le même tablier. J’ai
serré plus loin ma ceinture de cuir. Je me suis assise à ma
table. Je n’ai pas attendu longtemps [...]114.

92 On se doute que ce qui va s’écrire, ici, à la dernière page,


c’est précisément le livre qu’on vient de lire, et qui a été écrit,
pendant notre lecture, comme un cahier-journal. La
rencontre – entre la narratrice et l’écrivain, entre la voix et la
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main – a enfin eu lieu, mais sous la forme d’une séparation :


« l’éclair et la déchirure ». Comme répétition, la fin du livre
appelle ainsi à une relecture du texte devenu événement,
quelque chose de déjà arrivé, de déjà écrit, qui recommence
à nouveau. Revenir sur le texte, donc, dans un mouvement
qui est à la fois répétition et effacement, travail d’une main
qui revient sur l’autre. Mais c’est une répétition, cette fois-ci,
qui différencie le même, un mouvement d’espacement et de
reconfiguration qui travaille le sens dans son contexte. Le
retour sur le texte écrit reprend la voix comme citation, et
sur le fond de cette écriture silencieuse, il fait entendre la
possibilité d’autre chose qui ne s’est pas dit, et qui apparaît
alors, pour emprunter l’expression de Ph. Lacoue-Labarthe,
comme l’écho du sujet115 – un sujet, non pas de la narration,
mais de l’écriture.
*
93 Lire l’autobiographie comme récit, c’est admettre une
division de la première personne entre le personnage et le
narrateur, mais aussi l’écrivain. Les textes témoignent d’un
sujet traversé par une scission temporelle – celle que le
projet autobiographique se donne pour but de résoudre.
94 Le récit autobiographique exige une prise en compte de
l’écriture comme acte producteur. Le texte ne se donne pas
comme la mise en récit d’une histoire révolue, mais comme
cet espace qui, se faisant temps, engendre l’histoire donnée à
lire. Le statut factuel du récit autobiographique serait ainsi à
déterminer, au niveau non pas de l’histoire, ou de la
référence mimétique, mais de la réalité de sa production en
tant que texte écrit. En mettant en scène l’acte d’écrire, le
texte autobiographique met en relief le processus de sa
production, mais il le met aussi en abyme : l’écriture devient
un événement de l’histoire. Raconter sa vie, ce n’est pas
« compter » des événements, comme autant d’unités
discrètes et préexistantes ; dans l’écriture, l’acte de raconter
fait événement. Cette autoréférentialité mène donc à une
implosion des niveaux narratifs. Par conséquent, le temps du
récit ne peut plus être analysé en termes de rapport entre ces
niveaux, ni réduit à un « pseudo-temps » emprunté à la

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lecture, et calqué sur le modèle de l’écoute. La narration ne


peut plus être pensée selon le seul modèle de la voix ; elle
apparaît dans et par l’écriture qu’elle met en scène.
95 Ainsi le texte autobiographique apparaît sous le signe de la
démesure. Il ne s’ensuit pas pour autant qu’il échappe à la
possibilité d’une analyse temporelle. Au contraire, il s’y
esquisse une temporalité propre, liée à la tension qui
apparaît entre une certaine linéarité narrative et diégétique,
et un mouvement qui s’y oppose. Car s’il est vrai que le
lecteur suit le récit du début à la fin, s’il est vrai qu’il écoute,
en ce sens, la voix que fait entendre le discours narratif, cette
voix, et ce temps, se révèlent défaillants. Dans l’écriture, la
voix n’est plus une présence pleine ; elle est rapportée, et
distanciée de son énonciation. Elle est soustraite à la
passivité de l’écriture. De manière analogue, ce qu’elle
rapporte est également décalé. La voix ne peut que
représenter : le présent même lui échappe. L’évanescence de
la voix la condamne à la répétition, et ce qui apparaît d’abord
comme progrès linéaire devient monotonie statique. Le récit
de L’Affamée nous le montre de manière très claire : le texte
ne pourra jamais dire l’événement qu’il voudrait raconter.
L’événement ne peut advenir qu’après coup, dans l’écriture
qui, à travers sa répétition silencieuse, fait appel à la
relecture, et donne à entendre ce qui échappe à la parole.
96 Le projet autobiographique, qui veut inscrire la voix vive de
l’auteur, tente de résoudre cette tension temporelle de deux
manières. Il se sert de l’immédiateté apparente du discours
narratif, mais il se sert aussi des marques graphiques –
l’inscription des dates – pour pallier l’évanescence de la voix.
La téléologie du projet prend la linéarité narrative à son
propre compte : le récit, comme la vie, tracent un trait droit,
et ces deux lignes parallèles doivent mener à la rencontre, à
la fin du livre, entre le personnage, le narrateur et l’auteur. Il
s’agit là d’une fiction temporelle, que l’inachèvement risque
de dévoiler comme telle ; mais à la fin du livre, le texte fait
retour sur lui-même : la ligne devient cercle, et l’écriture se
donne comme suite de l’histoire. Ici, le projet ne suit plus le

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seul modèle de la voix, mais se construit une temporalité


empruntée, en partie, à l’écriture.
97 Lire l’autobiographie comme récit, c’est donc la lire comme
texte écrit, lieu d’une tension temporelle. Cette tension ne
peut éviter de menacer non seulement l’identité du « je » qui
est à la base de la notion d’autobiographie, mais aussi
l’unicité du sujet linguistique. À l’instar du bloc-notes
freudien, le texte autobiographique fait appel à une
conception du sujet bien plus complexe, dont l’étude de
l’autobiographie ne pourra faire l’économie de l’analyse.

Notes
1. Pour rendre compte de la spécificité de l’autobiographie, Lejeune est
amené à inclure dans le récit le nom propre de l’auteur sur la page de
couverture. Le Pacte autobiographique., p. 26.
2. « Discours du récit », p. 71-76.
3. Préface de Genette à Käte Hamburger, Logique des genres littéraires,
trad. Pierre Cadiot, Seuil, 1986, p. 13.
4. Unspeakable Sentences: Narration and Representation in the
Language of Fiction, Routledge and Kegan Paul, New York, 1982, p. 265.
5. Genette, « Discours du récit », p. 79.
6. Le Livre à venir, Gallimard, coll. « Idées », 1959, p. 14.
7. Claude Simon, Discours de Stockholm, Minuit, 1986.
8. L’Affamée existe en plusieurs versions différentes. Une version
manuscrite commence en datant la première scène du texte (le 19 mai
1945) avec, en regard de la première page, une note : « supprimer les
dates ». Le récit fut publié d’abord, dans une version plus courte, dans la
revue Les Temps modernes, puis en édition limitée chez Pauvert, et enfin
chez Gallimard en 1948.
9. L’Affamée, p. 236.
10. Idem, p. 9.
11. Ibid., p. 235-236.
12. Ibid., p. 9.
13. Ibid., p. 40.
14. Ibid., p. 236.
15. Ibid., p. 223.
16. Ibid., p. 175.
17. Ibid., p. 40.
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18. Ibid., p. 31.


19. Ibid., p. 9. Nous soulignons.
20. Ibid., p. 72.
21. Ibid., p. 52.
22. Ibid., p. 193. Sur la dissimulation du nom propre, voir le chapitre 4.
23. À la fin de ce chapitre et au cours du chapitre 4.
24. L’Affamée, p. 31.
25. Idem, p. 188.
26. Ibid., p. 175.
27. Ibid., p. 222.
28. Voir Benveniste, « Les relations de temps dans le verbe français »
[1958], dans Problèmes de linguistique générale I, Gallimard, 1966, coll.
« Tel », p. 237-250.
29. La Bâtarde, p. 19.
30. Benveniste, « Structure des relations de personne dans le verbe »
[1946], op. cit., p. 228.
31. Op. cit., p. 22-28.
32. « Les relations de temps dans le verbe français », p. 242. Nous
soulignons.
33. Au sens freudien de la perversion, une pulsion « détournée » de son
but « naturel ». Voir Laplanche et Pontalis, Vocabulaire de la
psychanalyse, PUF, 1967, 7e édition 1981.
34. La Bâtarde, p. 19.
35. La distinction commentaire/récit vient de Harald Weinrich, suivant
l’opposition de Benveniste entre histoire et discours. Voir Le Temps : le
récit et le commentaire, op. cit.
36. On peut aussi penser à Montaigne, à Rousseau, à Chateaubriand, à
Gide entre autres. C’est Martha Noel Evans qui remarque que « l’énoncé
qui ouvre le texte [...] tranche violemment avec le prologue des
Confessions ». « La Mythologie de l’écriture dans La Bâtarde de Violette
Leduc », Littérature, no 46, mai 1982, p. 83.
37. « L’objet d’art, excrément précieux », écrit Valéry, Tel quel II,
Gallimard, 1943, p. 124.
38. La Bâtarde, p. 19.
39. Benveniste, « De la subjectivité dans le langage » [1958] et « La
Nature des pronoms » [1956], op. cit., p. 252-3, 261.
40. La Bâtarde, p. 20.

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41. Comme le remarque Freud, « Au-delà du principe de plaisir » [1920],


Essais de psychanalyse, Petite Bibliothèque Payot, 1981, p. 83.
42. La Bâtarde, p. 19.
43. Idem.
44. Ibid., p. 25.
45. Dans une lettre inédite à Simone de Beauvoir, datée du 7 avril, Leduc
écrit que c’est son anniversaire « aujourd’hui et demain aussi » (source –
Carlo Jansiti).
46. Op. cit., p. 33.
47. Voir J.-B. Pontalis, « Derniers, premiers mots », op. cit.
48. « Discours », p. 234.
49. Le Pacte autobiographique, p. 199, n. 3.
50. La Chasse à l’amour, p. 403.
51. Idem, p. 408.
52. Ibid., p. 407.
53. C’est-à-dire que l’histoire racontée s’achève en 1964, date de la
publication de La Bâtarde.
54. Beauvoir lisait tous les manuscrits de Leduc, les corrigeait et
suggérait des coupures. Dans le cas de ce texte posthume, l’étendue de
son intervention demeure peu claire. Sur le rapport à Beauvoir, voir
Carlo Jansiti, « Ils ont refusé le début de Ravages. C’est un assassinat »,
dans le dossier Violette Leduc de la revue Nord’, no 23, juin 1994, p. 77-
89.
55. Ibid., p. 42, 92, 356, 365, 369, 370, 377, 403.
56. La Bâtarde, p. 20.
57. La Chasse à l’amour, p. 401.
58. « Le Journal intime et le récit », dans Le Livre à venir, p. 271.
59. La Chasse à l’amour, p. 407.
60. Idem.
61. Ibid., p. 402-403.
62. La Bâtarde, p. 19.
63. Idem.
64. Ibid., p. 19-20.
65. « Le Tailleur anguille », Les Temps modernes, no 186, novembre
1961, p. 437-474.
66. D’après la chronologie établie par Jansiti, la rédaction de La Bâtarde
commença en fait en 1958. Dossier Leduc de la revue Nord’, p. 8.

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67. La Bâtarde, p. 20.


68. La Folie en tête, p. 181.
69. Voir Weinrich, op. cit., p. 67-68.
70. Voir la discussion de la conception du temps chez Husserl dans J.
Derrida, De la grammatologie, Minuit, 1967, p. 96-97.
71. Voir Derrida, idem.
72. Freud, « L’Inconscient » [1915], dans Métapsychologie, trad. J.
Laplanche et J.-B Pontalis, Gallimard, coll. « Idées », 1981, p. 96-98, 118.
73. « Note sur le “Bloc-notes magique” » [1925], trad. Jean Laplanche et
J.-B. Pontalis, dans Résultats, Idées, Problèmes, II, PUF, 1985, p. 119-
124.
74. « Au-delà du principe de plaisir » [1920], dans Essais de
psychanalyse, trad. Jean Laplanche et J.-B. Pontalis, Petite Bibliothèque
Payot, 1981, p. 70.
75. « Freud et la scène de l’écriture », dans L’Écriture et la Différence,
Seuil, coll. « Points », 1967, p. 318. L’analyse de Derrida accompagne
cette lecture de Freud, ainsi que celle de Pierre Fédida, « Les Stries de
l’écrit. La table d’écriture », Nouvelle Revue de Psychanalyse, 16,
automne 1977, dans L’Absence, Gallimard, 1978, p. 13-38, et de Marie-
Claire Ropars-Wuilleumier, « L’Écriture en théorie », dans Le Texte
divisé, PUF, 1981, p. 21-73.
76. Voir, par exemple, Kant, Critique de la raison pure, trad. Jules
Barni, revue par P. Archambault, Garnier-Flammarion, 1976, p. 90 : « Le
temps n’a qu’une dimension ; des temps différents ne sont pas
simultanés, mais successifs. »
77. « Pour une esthétique psychanalytique : le temps, le rythme et
l’inconscient », dans Rythmes : De l’œuvre, de la traduction et de la
psychanalyse, textes recueillis et présentés par Nicholas T. Rand et
Maria Torok, Flammarion, coll. « La Philosophie en effet », 1985, p. 116.
78. Voir la Lettre 52 à Fliess, dans La Naissance de la psychanalyse,
trad. Anne Berman, PUF, 1956, p. 153-156.
79. Freud, « L’Inconscient », p. 118 ; « Le Moi et le ça » [1923], dans
Essais de psychanalyse, trad. Jean Laplanche et J.-B. Pontalis, Petite
Bibliothèque Payot, 1981, p. 231 et passim.
80. L’Interprétation des rêves, trad. Meyerson, revisée, PUF, 1967,
p. 241-2, 303.
81. Voir « Complément métapsychologique à la théorie du rêve » [1917],
dans Métapsychologie, p. 134-135.
82. « Le Moi et le ça », p. 232.

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19/12/2023 22:06 Le Temps de l'autobiographie. Violette Leduc - 1. Le temps du récit - Presses universitaires de Vincennes

83. Voir « L’Inconscient », p. 115, η. 1, et « Complément


métapsychologique... », p. 135-138.
84. Fédida, « Les Stries de l’écrit », p. 24-25.
85. Abraham, op. cit., p. 116.
86. Idem, p. 118.
87. Abraham, « Esquisse d’une phénoménologie de l’expression
poétique », dans Rythmes, p. 29.
88. Sur « l’autre chose » et son rapport aux représentations de mot, voir
Freud, « Le Moi et le ça », p. 234 et passim.
89. L’Affamée, p. 241-242.
90. Dans ses lettres à Beauvoir, Leduc parle en 1945 du « journal », puis
en 1947 du « manuscrit » ou du « texte ». « Lettres à Simone de
Beauvoir », Les Temps modernes, no 495, octobre 1987, p. 4-7.
91. L’Affamée, p. 211, 116, 78.
92. Idem, p. 235.
93. Ibid., p. 242.
94. Ibid., p. 244-245.
95. Ibid.
96. Ibid., p. 181.
97. Ibid., p. 156-157.
98. Ibid., p. 247.
99. Sur la logique de la crypte, voir Nicolas Abraham et Maria Torok,
« Deuil ou mélancolie : introjecter-incorporer », dans L’Écorce et le
Noyau, Flammarion, 1987, p. 259-275.
100. L’Affamée, p. 75.
101. Idem, p. 109.
102. Ibid., p. 140.
103. Ibid., p. 189.
104. Ibid., p. 240.
105. Le Livre à venir, Gallimard, coll. « Idées », 1959, p. 22.
106. L’Affamée, p. 101-104.
107. L’Affamée, p. 142.
108. Idem, p. 143-144.
109. Ibid., p. 29-31.
110. Ibid., p. 82-83.
111. Ibid., p. 236.

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112. Le Livre à venir, p. 23, 29 et passim.


113. Voir Abraham et Torok, art. cit.
114. L’Affamée, p. 242, 253.
115. « L’Écho du sujet », dans Le Sujet de la philosophie, op. cit.

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Référence électronique du chapitre


MARSON, Susan. 1. Le temps du récit In : Le Temps de l'autobiographie.
Violette Leduc [en ligne]. Saint-Denis : Presses universitaires de
Vincennes, 1998 (généré le 19 décembre 2023). Disponible sur Internet :
<http://books.openedition.org/puv/1016>. ISBN : 9782842929398.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.puv.1016.

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MARSON, Susan. Le Temps de l'autobiographie. Violette Leduc.
Nouvelle édition [en ligne]. Saint-Denis : Presses universitaires de
Vincennes, 1998 (généré le 19 décembre 2023). Disponible sur Internet :
<http://books.openedition.org/puv/1012>. ISBN : 9782842929398.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.puv.1012.
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