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DOI : 10.4000/books.pur.55927
Éditeur : Presses universitaires de Rennes
Lieu d’édition : Rennes
Année d’édition : 2012
Date de mise en ligne : 26 avril 2019
Collection : Interférences
EAN électronique : 9782753557345
http://books.openedition.org
Référence électronique
PLUVINET, Charline. Chapitre IV. L’auteur entre fiction et réalité In : Fictions en quête d'auteur [en ligne].
Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2012 (généré le 13 décembre 2023). Disponible sur
Internet : <http://books.openedition.org/pur/55927>. ISBN : 9782753557345. DOI : https://doi.org/
10.4000/books.pur.55927.
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CHAPITRE IV
L’AUTEUR ENTRE FICTION ET RÉALITÉ
1. Je m’appuie encore sur les analyses de J. M. Adam et U. Heidmann qui envisagent la généricité
comme un « effet » : la classification d’un texte est conçue comme un processus dynamique.
L’AUTEUR ENTRE FICTION ET RÉALITÉ 99
De ce fait, il faut souligner que cette évaluation ne prend sens que par rapport à
un « observateur », lecteur particulier, qui sera plus ou moins sensible aux effets
du texte selon ses connaissances et selon l’appareil éditorial mis en place (certaines
éditions orientent la lecture). D’autre part, nous verrons qu’il arrive souvent que le
statut référentiel d’un auteur se modifie au cours de la lecture elle-même, notam-
ment selon les stratégies auctoriales qui règlent les effets du texte : il est intéressant
alors de pouvoir rendre compte de cette mobilité référentielle du personnage de
l’auteur dans l’œuvre où il apparaît.
Effets de référentialité
Participent de cet effet de référentialité non seulement le nom du personnage
quand il renvoie à un écrivain existant mais aussi la présence de préfaces ou de
postfaces auctoriales à valeur informative voire de véritables bibliographies qui
indiquent les sources des faits authentiques : Author, Author, The Master mais aussi
Vidas escritas recherchent cet effet par des références livresques minutieuses. Les
références à des épisodes biographiques attestés rapprochent également le person-
nage de son modèle réel lorsque la notoriété de ces faits est importante (comme le
bannissement d’Ovide). À l’inverse, l’existence du beau-fils de Dostoïevski est bien
moins connue et l’effet de référentialité est atténué pour une partie des lecteurs de
The Master of Petersburg. Les références autobiographiques laissées apparentes par
l’auteur sont également une autre forme de jeu sur la référentialité.
Les récits peuvent aussi mimer ces effets de référentialité autour des person-
nages imaginaires, par exemple en citant des extraits de l’œuvre supposée ou en
attribuant à l’auteur une certaine notoriété en réalité inexistante (comme pour un
auteur réel, la liste des œuvres de Logan Mountstuart est présente à la fin d’Any
Human Heart). Dans ce cas, depuis son paysage imaginaire, le personnage se
trouve rapproché de la réalité par quelques touches visibles.
Le contexte romanesque reconstruit autour de l’auteur participe également des
effets de référentialité. Le sentiment de la proximité du personnage avec le monde
réel augmente lorsque le récit le situe au milieu des mêmes réalités historiques que
son homologue extratextuel ou bien, pour les personnages d’auteurs imaginaires,
lorsque certains récits les font apparaître aux côtés de personnages historiques,
comme le roman Any Human Heart qui organise une rencontre entre Logan
Mountstuart et James Joyce. Cet effet se nourrit aussi de toutes les références à la
Jean-Michel ADAM et Ute HEIDMANN, « Six propositions pour l’étude de la généricité », art.
cit., p. 23-24.
100 LE DEVENIR hétéronyme DE L’AUTEUR
2. Jean-Marie SCHAEFFER, Pourquoi la fiction ?, Paris, Le Seuil, coll. « Poétique », 1999, p. 142.
3. Ibid., p. 261.
4. Ibid., p. 138.
L’AUTEUR ENTRE FICTION ET RÉALITÉ 101
Effets de fictionnalité
Deux mouvements sont présents dans les récits, à la fois conjoints et concur-
rents puisque l’un contrebalance l’effet de l’autre. Leur rapport mutuel détermine
la position particulière de chaque personnage d’auteur entre fiction et réalité.
L’hétéronymie est le lieu exemplaire de la conjonction de ces deux effets dans
un équilibre précaire mais précisément calculé que la démystification mettra en
évidence (cruellement parfois) : ils se déploient parfois à partir des mêmes faits
narratifs, dans des temporalités différentes cependant puisque les indices de fiction-
nalité deviennent bien plus manifestes une fois la supercherie révélée. L’illusion
d’existence de l’auteur repose en effet sur une fiction de référentialité mais il existe
toujours dans ce même discours des traces de l’invention. Celles-ci ne sont pas la
preuve d’une défaillance du mystificateur ou d’une imperfection de sa création,
leur présence est au contraire tout à fait concertée puisque l’œuvre « programme
son propre démenti » en concevant une écriture à double détente. La lecture réfé-
rentielle n’est jamais complètement verrouillée : « [la mystification] se construit
sur un comme si qui, sans être patent, reste repérable », ajoute J.-F. Jeandillou. Ce
« mécanisme de la démystification interne » qui se déclenche « à retardement 5 »,
bien souvent une fois que le piège a été révélé, caractérise la supposition d’auteur.
Pour les lecteurs démystifiés, l’auteur supposé réintègre alors l’espace fictionnel
dont il avait transgressé les frontières et les marques de son inexistence présentes
dès l’origine deviennent enfin visibles.
Un procédé récurrent qui fonctionne ainsi a posteriori comme un effet
de fictionnalité consiste à insister sur la difficulté qu’il y aurait à vérifier les
informations fournies (vérification qui justement permettrait d’invalider
l’authenticité prétendue du texte) : ce sont par exemple « tous les stéréotypes
du récit de vie “à trous”, la prolifération des modalisateurs d’incertitude et
d’approximation ». Ces traits d’écriture se retrouvent aussi dans une biographie
6. Ibid., p. 176.
7. « Forgotten figure in the annals of twentieth-century literary life. » William BOYD, Nat Tate, An
American Artist. 1928-1960, op. cit., p. 11 ; p. 18.
8. Javier MARÍAS, « La Ballade de Lord Rendall », Ce que dit le majordome, traduit de l’espagnol
par Anne-Marie et Alain Keruzoré, Paris, Rivages, coll. « Rivages poche », 1998 [1991], p. 95.
9. Jean-Marie CATONNÉ, Romain Gary / L’Émile Ajar, Paris, Belfond, coll. « Les dossiers Belfond »,
1990, p. 196.
10. Romain GARY (Émile AJAR), Pseudo, op. cit., p. 26.
11. Ibid., p. 66-67.
L’AUTEUR ENTRE FICTION ET RÉALITÉ 103
19. Michał GŁOWIŃSKI, « Sur le roman à la première personne », Poétique, n° 72, novembre 1987,
p. 503.