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L’art peut-il être réaliste 

Cette question présente une apparence étrange car le fait semble avoir déjà tranché la question. L’art
est tellement capable d’être réaliste, il peut tellement l’être, que des mouvements artistiques s’en sont
revendiqué dans l’histoire. On pense en particulier au réalisme comme mouvement littéraire, au XIX
ème siècle, autour du roman flaubertien. Par ailleurs, comme représentation, poétique ou picturale,
l’art semble bien avoir partie liée avec le réalisme : les artistes cherchent à imiter la nature, dans le
modèle classique des arts plastiques et dramatiques.
Cette étrangeté de la question induit donc un double questionnement : quelle est la valeur de la
revendication de réalisme dans les mouvements artistiques qui se disent réalistes ? Est-ce que la
représentation en art, si ressemblante soit-elle avec des éléments du monde social ou naturel, peut être
qualifiée d’authentiquement réaliste ? N’y a-t-il pas entre la vraisemblance à l’œuvre dans le régime
de la représentation en art, et le réalisme étroitement compris, un écart manifeste ?
Nous pouvons commencer par la première question : les mouvements qui se revendiquent du réalisme
le font par rapport à une forme d’idéalisme esthétique, qu’il s’organise autour du beau et du bien (le
classicisme), ou du « moi » et de sa singularité irréductible (le romantisme), ou encore du lyrisme, du
fantastique et de l’onirisme (le romantisme encore). Telle était en tout cas la forme de réaction
stratégique que traduisait le choix du terme de réalisme par les romanciers du 19ème.
Notre question devient dès lors moins étrange : le pari du réalisme est-il un pari tenable en art ? L’art
peut bien avoir des tendances réalistes et un rapport étroit avec ce que l’on appelle le réel : peut-il,
pour autant, se passer de toute idéalisation, de tout lyrisme, de toute poétique ? Il ne s’agit pas de
savoir si les artistes en sont capables, car les grands artistes peuvent imiter parfaitement le « monde
perçu »(puisque c’est ainsi que l’on peut qualifier le réel), mais si, ce faisant, l’art ne perd pas son
essence et sa finalité propre.
Qu’est-ce que le réalisme, d’une façon générale et en art en particulier ? On ne peut cerner la nature du
réalisme, nous l’avons vu dans le cas particulier du roman, que si l’on passe par ses « autres », en
particulier son « grand autre » : l’idéalisme. En philosophie, l’opposition entre réalisme et idéalisme
traduit ainsi deux systèmes de pensée : l’un privilégiant le rapport aux choses elles-mêmes, à l’être en
soi, conçu comme une extériorité subsistante et substantielle ; l’autre privilégiant les idées,
l’intériorité, l’élément de la pensée et de la représentation. Que peut valoir, en art, une telle
opposition ? On sait que les sciences se veulent fondamentalement réalistes, dans la mesure où elles
prétendent statuer sur l’être en lui-même, l’être objectif, indépendamment de la façon dont nous
l’appréhendons. Mais nous savons aussi qu’il y a dans les sciences un élément fondamentalement
idéaliste : les théories scientifiques sont fondées sur des principes a priori qui transcendent le donné
empirique et la diversité des phénomènes et qui les organisent depuis les principes de la raison. On
désigne, par ailleurs, deux types de position dans le monde moral et politique : le réalisme désigne une
façon de se contenter du monde tel qu’il est, tandis qu’on prête à l’idéalisme une préférence pour les
jugements de valeurs et le « devoir-être », auxquels les faits doivent toujours être ramenés pour être
pensés et estimés.
Qu’en est-il en art ? Comment cette dualité fonctionne-t-elle ? N’y a-t-il pas antinomie entre la
poétique qui anime toutes les formes d’art représentatif et la prétention au réalisme ?

Plan :
Oui l’art peut être réaliste, mais encore faut-il s’entendre sur le réalisme qu’il vise à produire.
1° le vrai réalisme, c’est finalement le témoignage ou le compte rendu exact des faits tels qu’ils se
passent. Ce qu’on appelle le document. Un document est censé attester de la réalité factuelle qu’il
relate.
Le discours réaliste par excellence c’est le discours historique (ou toute forme d’enquête empirique) :
les faits tels qu’ils arrivent, relatés dans l’ordre chronologique.
C’est la définition aristotélicienne de l’histoire : le récit des faits singuliers tels qu’ils sont arrivés.
(Aujourd’hui, l’enquête s’empare d’archives et de documents)
Et Aristote distingue précisément ce genre de récit, du récit poétique. Le récit poétique : non pas des
faits singuliers, mais des actions possibles non advenus. Le discours poétique porte sur le possible et
non sur le réel, il porte sur l’universel (car le possible est plus universel que le simple fait) et non pas
sur le singulier. En ce sens la poésie, toujours selon Aristote, est plus philosophique (et plus
rationnelle) que l’histoire, qui se contente de la connaissance du fait.

2° Hypothèse 1 : être réaliste en art, c’est réussir à faire de l’art avec une restitution historique du réel,
c’est-à-dire avec des documents, des témoignages, des récits historiques etc.
En cinéma, il y a bien un art du documentaire. En photo vous avez un art qu’on appelle le
photojournalisme. Et on peut même aller plus loin : est-ce que l’historiographie peut être un art
(Thucycide, Tacite, etc.) ?
Quelle est la différence, alors, entre le récit documentaire et le roman naturaliste ou réaliste ?
Est-ce que la fiction (chez Zola par exemple, ou chez Flaubert) c’est un élément simplement rajouté au
récit historique, ou bien est-ce qu’elle imprime sa marque sur l’ensemble de l’œuvre ? Autrement dit :
quel est le rapport entre la base fictive du roman et son inscription dans une réalité sociale,
politique, historique ?
Est-ce que le fait qu’il y ait fiction fait tout basculer dans la fiction, ou l’« effet de réel » (texte de
Barthes).
Si le roman, ou l’image peinte, est vraiment réaliste, c’est qu’elle tend à se faire passer pour le réel. Ce
faisant, au moment même où l’oeuvre se veut le plus réaliste possible, l’oeuvre bascule dans
l’illusionisme.
2 formes de fiction littéraire, poétique ou picturale :
→ une fiction qui annonce la couleur : elle se réclame de la fiction, et, par son sujet, son
contenu, elle se dénonce elle-même immédiatement comme fiction.
→ une fiction dite réaliste qui, en se faisant passer pour le réel, est obligée de se dissimuler
comme fiction. En apparence, moins fictive par ses emprunts au réel, elle l’est en réalité deux fois,
puisqu’à un contenu intrinsèquement fictif.

Plus un roman est réaliste plus il est mensonger, car plus le romancier travaille à se coller au réel, plus
il le remplit d’artifices. L’auteur fantastique ne cherche même pas à nous faire croire que l’on est dans
le réel, alors que le romancier réaliste le fait, et il est en ce sens complètement mensonger.

Platon dit précisément cela dans La République, ce qui l’embête est l’espèce de trouble entre le fictif et
le réel. C’est ce qui l’embête à propos des tragédiens : qu’ils fassent passer du réel pour du fictif
Dans le régime de la représentation, la fiction et sa rationalité, de même que l’idéalité des modèles et
des sujets, comme enfin la tendance à spiritualiser les formes et les figures, pour dépasser la simple
restitution de la perception naturelle, ruinent la possibilité d’un véritable réalisme en art.
Le réel dans Emma Bovary, ça n’est pas seulement le prosaïsme d’une vie ordinaire, avec un mari
banal, par opposition au romantisme des romans, à l’exaltation des romans d’amour. On pourrait dire
en fait que Bovary essaie de réaliser les idéaux et les clichés qu’elle lit dans les romans. C’est vivre
des clichés. C’est un roman sur la façon dont le romanesque se réalise d’une façon grotesque,
décevante, et finalement tragique, mais un tragique comme un contre sens littéraire. C’est une sorte de
suicide anti-héroïque.
Zola c’est une sorte d’empirisme, car c’est un écrivain qui fait des expériences, il examine comme un
naturaliste, un biologiste, l’influence du milieu sur les personnalités et sur la race finalement. C’est la
race rougon-macquart soumise à des milieux. C’est une espèce que l’on va soumettre à différents
écosystèmes.
La description réaliste du milieu chez Zola est bcp plus importante que chez Balzac, car il va
complètement reconstruire un milieu.

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