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II. Art et vérité : l’art nous éloigne-t-il du réel ou nous invite-t-il à mieux le
regarder ?
Loin d’être seulement un divertissement ou un simple jeu agréable, destiné à plaire,
l’œuvre d’art permet à l’homme d’accéder à certaines vérités sur lui-même. Ceci suppose que
l’art ne se réduise pas à n’être qu’un monde fait d’illusions, de simulacres, nous éloignant de
la réalité mais qu’il soit un dévoilement. Or, une des premières philosophies de l’art, celle de
Platon dans l’antiquité, considérait précisément que l’art n’est qu’une sorte de tromperie, une
forme de mensonge relevant du simple jeu des apparences, les artistes n’étant dans le fond
que des illusionnistes. Platon décidait alors, dans la République, de chasser les poètes de la
cité idéale (même s’il acceptait l’idée de leur donner une couronne de fleurs avant qu’ils ne
partent !).
La recherche de la vérité incombe à la philosophie, entreprise rationnelle et critique,
basée sur la dialectique et la rigueur du logos plutôt que sur l’imagination et ses fantaisies.
Précisons ces reproches que Platon adressait aux artistes…
Questions : quels sont les trois lits évoqués par Platon ? En quoi le lit de l’artiste nous éloigne-t-il
doublement de la vérité ? Quel serait donc le lit le plus vrai ? En quoi l’artiste est un
illusionniste ?
Conseil : revoir l’allégorie de la caverne dans laquelle Platon précise comment accéder à la
vérité. Vous pourrez mieux comprendre en quoi l’artiste nous maintient dans le monde
SENSIBLE et nous éloigne du monde des IDEES, là où se trouve la vérité.
Van Gogh
La philosophie de l’art commence avec Platon dans l’Antiquité grecque. Cette
philosophie dévalorisait globalement la pratique artistique en considérant tout d’abord que les
artistes jouent avec l’illusion lorsque, comme le peintre, ils pratiquent une imitation (mimésis)
et reproduisent les apparences du monde sensible. Un tel jeu ne nous permettant pas de nous
aider dans la recherche de la vérité, il convient de s’en détourner. Pour Platon, la vérité
suppose une démarche intellectuelle qui doit nous délivrer de l’opinion (de nos croyances
imparfaites) pour nous conduire à des vérités abstraites, intemporelles, métaphysiques.
2 Cours esthétique : version élève
Platon oppose en effet le monde sensible (le monde des apparences « ici-bas » qui sont
perceptibles par les sens où tout est soumis au changement, à la temporalité), et le monde
intelligible, qui est « au-delà », le monde des Idées, qui sont des essences éternelles et
immuables. Il faut s’élever au vrai par la pensée, aller au-delà du monde purement visible
pour découvrir les vérités éternelles. Le but de la philosophie est donc métaphysique : elle se
définit comme recherche intellectuelle de connaissances universelles et doit donc nous
conduire au-delà des apparences physiques pour nous aider à découvrir le monde des Idées
pures (Le Beau, le Vrai, le Bien).
L’art, à partir du moment où il est envisagé comme « mimésis », au lieu de nous délivrer
du sensible, nous y maintient, nous limite au monde matériel, au monde perçu, qu’il reproduit.
Dès lors, il nous enferme dans l’illusion que la philosophie prétend justement dépasser.
L’artiste, qui tente de traduire la beauté du monde physique, se contente de reproduire l’image
sensible d’un monde déjà sensible. L’art, en tant que « mimésis » est alors pensé par
Platon comme une sorte d’effet de miroir de ce qui n’est déjà à ses yeux qu’un reflet :
c’est donc une sorte d’image de ce qui est déjà une image, une copie du monde sensible.
Au Livre X de La République Platon se sert d’un exemple pour nous faire comprendre
pourquoi l’image produite par l’artiste est une réalité qui nous éloigne donc de la vérité.
Imaginons qu’un artiste se mette à peindre un lit.
Pour Platon, la vérité du lit tient d’abord dans sa définition, son concept, son idée (son
essence), ce que nous pourrions appeler le « lit intelligible » qui correspond à l’idée en soi du
lit. Lorsqu’un artisan fabrique par ailleurs un lit réellement, il ne fait que s’inspirer de cette
idée pour la copier : il donne une forme particulière à cette idée à travers « le lit matériel »
mais la vérité du lit se trouve d’abord dans son idée (son principe), non pas dans le lit
physique qui n’est qu’un exemple de lit. Un lit matériel n’est donc pour Platon qu’une copie
de l’idée de lit (il imite la forme du lit idéal). Le lit physique a donc, aux yeux de Platon,
moins de vérité que l’idée du lit en soi. Quant au lit peint par l’artiste, il est encore d’un degré
inférieur, puisqu’il n’est alors que l’apparence d’une apparence, une copie de la copie qui se
borne à reproduire ce qui est déjà une reproduction.
VERITE
Monde intelligible, des idées (en dehors de la caverne)
Ici, il s’agit de la définition, du concept de lit, c’est-à-dire l’idée que l’on se fait du lit.
Cette définition est universelle, unique et intemporelle.
Monde sensible = monde matériel de l’illusion (les sens sont trompeurs), monde de la
caverne
Le lit de l’artisan est un lit matériel, c’est une représentation matérielle de l’idée que l’on se
fait du lit. Ces représentations sont multiples, il y a plein de façon de construire un lit
matériel, temporelle, le lit matériel se détériore avec le temps. En ce sens, il y a un premier
décalage, éloignement entre l’idée que l’on se fait du lit et sa construction dans le monde
sensible. C’est pourquoi, le lit de l’artisan s’éloigne de la vérité.
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Monde imaginaire de l’artiste. L’artiste peint ce qu’il voit dans le monde sensible. Il
représente ce qui était déjà une représentation d’une idée : il y a un deuxième décalage. C’est
pourquoi le lit de l’artiste s’éloigne doublement de la vérité car il peint l’image d’un lit
sensible qui était déjà éloigné de l’idée que l’on se fait du lit.
Cet exemple permet donc de comprendre pourquoi aux yeux de Platon l’artiste produit
des réalités qui sont doublement éloignées de la vérité (inférieures en termes de vérité et
d’existence). Par conséquent l’artiste ne peut prétendre éduquer les hommes à la vérité, il doit
plutôt être vu comme un « charlatan » incapable de nous révéler des connaissances véritables.
L’art est trompeur, et doit être remplacé par la philosophie. Platon critique donc l’art pictural
en ce qu’il n’est qu’un art de l’illusion, qui charme et séduit la sensibilité au lieu de favoriser
un accès au vrai.
La seconde raison qui légitime la dévaluation philosophique de l’art chez Platon, est
relative à l’idée que les artistes ne savent pas ce qu’ils font, puisqu’ils créent en vertu d’une
disposition naturelle (un don) et d’une possession divine (une inspiration) mais sans vraiment
savoir ce qu’ils disent : « ces gens-là aussi disent beaucoup de choses admirables mais ils
ne savent rien des choses dont ils parlent. » dit Socrate dans l’Apologie de Socrate en parlant
des artistes. Si les artistes ne savent pas vraiment ce qu’ils font, c’est que, tout comme les
oracles sont inspirés par les dieux, ils sont visités par les muses : leur activité s’expliquant par
une sorte d’inspiration, ils sont, au fond, incapables de rendre compte rationnellement eux-
mêmes de leur propre activité. L’art est donc pensé par Platon comme le résultat d’une sorte
de « possession » et le poète ne peut rendre raison de la méthode par laquelle il affirme ce
qu’il dit. Il est le vecteur d’une force supérieure qui le dépasse mais dont lui-même ne sait
rien. Il ne sait pas vraiment ce qu’il fait dans le sens où il est l’instrument de la divinité.
Dans le Phèdre, Platon assimile, en effet, la création artistique à une forme de délire.
Théâtre, cinéma, peinture, poésie… nous plongeraient alors dans le monde du rêve, ou
plutôt dans le monde d’une fiction pensée d’abord comme une échappatoire.
Questionnement :
« La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent
réellement vécue, c’est la littérature. Cette vie qui en un sens, habite à chaque instant chez
tous les hommes aussi bien que chez l’artiste. Mais ils ne la voient pas parce qu’ils ne
cherchent pas à l’éclaircir. Et ainsi leur passé est encombré d’innombrables clichés qui
restent inutiles parce que l’intelligence ne les a pas « développés ». Notre vie ; et aussi la vie
des autres car le style pour l’écrivain aussi bien que la couleur pour le peintre est une
question non de technique, mais de vision. Il est la révélation, qui serait impossible par des
moyens directs et conscients de la différence qualitative qu’il y a dans la façon dont nous
apparaît le monde, différence qui, s’il n’y avait pas l’art, resterait le secret éternel de chacun.
Par l’art seulement nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers
qui n’est pas le même que le nôtre et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus
que ceux qu’il peut y avoir dans la lune. Grâce à l’art, au lieu de voir un seul monde, le
nôtre, nous le voyons se multiplier et autant qu’il y a d’artistes originaux, autant nous
avons de mondes à notre disposition, plus différents les uns des autres que ceux qui roulent
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dans l’infini, et bien des siècles après qu’est éteint le foyer dont il émanait, qu’il s’appelât
Rembrandt ou Vermeer, nous envoient encore leur rayon spécial ».
Hegel : « Dans l’art nous n’avons pas seulement affaire à un jeu simplement
agréable et utile mais au déploiement de la vérité » Esthétique, III.
Questionnement :
Mais au-delà de ces formes de langage, n’est-il pas possible de concevoir que l’œuvre
d’art soit, elle aussi, le lieu de manifestation du vrai, qu’elle permette de dégager un
sens et de dévoiler le réel ?
Nous partirons de l’hypothèse selon laquelle l’art est un moyen d’accès à la réalité, un miroir dévoilant
la condition humaine en la symbolisant, qu’il n’est pas la simple production du beau produisant du
plaisir, mais un lieu où l’homme accède à soi, à des significations profondes sur lui-même et où il
change sa conscience, qu’il éduque notre perception.
Ne dit-on pas quelques fois par exemple, que la peinture nous donnerait à voir,
rendrait visible ce qui échappe ordinairement à notre perception et jette un éclairage
nouveau et particulier sur les choses ?
La musique elle-même ne nous ferait-elle pas participer aux émotions les plus secrètes
des hommes qu’il ne serait pas possible d’exprimer autrement ?
La poésie ne nous donnerait-elle pas à penser plus que ne peuvent nous le dire les
mots habituels ?
Questions : comment les hommes ordinaires perçoivent-ils le monde ? Quelle est la particularité
de l’artiste ? A quoi Bergson le compare-t-il ? A quoi vise l’art ?
Le texte ici proposé nous demande de nous interroger sur la finalité de la création
artistique. « A quoi vise l’art ?» se demande Bergson dès le début du texte. Il s’agit donc de
découvrir quelle est la fonction essentielle de la création artistique et de souligner ce qu’elle
peut apporter d’essentiel. En réponse à cette question, Bergson cherchera à montrer que
le but de l’art est de réussir à nous dévoiler, à nous faire voir, ce qu’habituellement nous
ne voyons pas, et donc de nous délivrer d’une perception ordinaire du monde
nécessairement plus limitée. Le but de l’art serait donc de nous rendre plus conscients, de
nous faire voir ce que notre perception ordinaire de la réalité ne saisit pas forcément. Bergson
nous invite à réfléchir au fait que l’art produit en l’homme une modification de sa sensibilité
et de sa conscience du réel et qu’il n’est donc plus réductible à une forme d’illusion. Bien au
contraire l’art devient ici une forme de révélation.
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Dans le premier paragraphe, l’auteur insiste sur l’idée que l’art change notre
perception sur nous-mêmes et sur le monde car il dévoile ce que nous ne voyons pas
habituellement. La fonction essentielle de l’art serait donc de changer notre perception, de
nous permettre d’aller au-delà d’une vision limitée de la réalité. L’artiste doit faire surgir des
nuances : qu’il s’agisse de notre vie intérieure, de telle ou telle émotion ou bien de tel ou tel
aspect de la réalité extérieure, nous sommes invités par l’art à voir le monde autrement, à
mieux saisir ce qu’il y a en nous et hors de nous. Le but de l’artiste c’est de faire surgir
l‘invisible. Le poète ou le romancier, par exemple, sont comparés à des révélateurs qui
doivent faire apparaître des choses qui étaient en nous mais dont nous n’avions pas vraiment
conscience. De là l’image du développement photographique utilisée par l’auteur : telle
l’image photographique qui n’a pas encore été plongée dans le bain où elle se
révélera, l’œuvre procède à un dévoilement de ce qui pouvait potentiellement apparaître. Le
poète ou le musicien font surgir des sentiments enfouis en nous dont nous n’aurions peut-être
pas pu prendre conscience autrement. Le rôle de l’art est donc bien de faire surgir la vérité
sur le monde ou notre propre intériorité.
L’auteur prend alors l’exemple de la peinture pour illustrer l’idée selon laquelle
l’imaginaire artistique n’est pas le monde de l’illusion. Les grands peintres, nous dit Bergson,
sont ceux qui ont vu dans la réalité certaines choses que les autres n’ont pas vues. La
perception artistique supposerait donc une perception plus intense et plus exceptionnelle du
monde. Habituellement, nous n’avons du monde qu’une « vision pâle et décolorée des
choses » : le peintre nous délivre de cette vision par ses œuvres et nous montre dans la réalité
ce que nous n’avions pas bien vu, ou plutôt ce que nous avions vu mais sans vraiment
l’apercevoir. Ainsi les œuvres d’art ne sont pas de pures fantaisies, nées de l’imaginaire : elles
expriment une vision plus approfondie de la réalité que nous pouvons nous aussi partager
avec d’autres et qui peuvent prétendre être « vraies ». En se fixant, en se concentrant sur une
réalité, l’artiste lui redonne toute sa vérité.
Le but de l’art est donc de nous inviter à nous détacher de notre vision ordinaire,
qui est selon l’auteur forcément étroite, rétrécie et vide. Pourquoi est-elle si pauvre ? C’est
qu’habituellement notre perception est orientée par notre « besoin de vivre et d’agir » et
nous ne sommes intéressés que par ce qui nous est utile. Autrement dit, notre perception
classe et sélectionne prioritairement dans le réel ce qui favorise l’action : nous ne voyons pas
les choses pour elles-mêmes, dans toute leur profondeur et intensité mais pour leur utilité. Le
but de l’art est de nous délivrer de cette perspective utilitariste, de nous inviter à saisir le
monde en lui-même dans toute sa richesse. Nous devons donc apprendre à nous détacher des
choses (de leur aspect pratique) pour apprendre à les apercevoir. Le but de l’art est donc de
dévoiler à notre conscience la réalité dans sa profondeur, de nous délivrer d’une vision
inauthentique du monde : l’art est une invitation à la vérité et pas seulement un jeu de
l’imagination. Il s’agit bien d’accéder à une vision plus pure et plus directe de la réalité.
Rimbaud : le poète qui doit se faire « voyant ». C’est aussi le poète maudit incompris.
Baudelaire : le poète est comparé à un albatros, celui qui est maladroit sur terre car
incompris des hommes ordinaires mais qui est majestueux une fois dans le ciel, c’est-
à-dire au-dessus de l’ordinaire. Il a une vision plus ajustée et il voit ce que d’autres ne
perçoivent pas. Pour autant, souvent incompris et moqué car différent de l’ordinaire,
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l’artiste est aussi celui qui parfois se tourne vers les paradis artificiels (autre poème de
Baudelaire).
psychanalytique des œuvres d’art. Par exemple pour Freud, l’œuvre d’art, conséquence de la
sublimation, est d’abord à comprendre comme étant le signe des désirs inconscients de
l’artiste, comme la trace plus ou moins énigmatique des pulsions refoulées de l’individu. Sa
« vérité » ne se trouve donc pas d’abord dans ce qu’elle nous fait voir explicitement (son
apparence) mais dans ses significations cachées qu’il faut apprendre à décrypter parce
qu’elles révèlent des désirs inconscients. Certains mouvements artistiques comme le
surréalisme, par exemple Dali, considéreront que le but de l’art est de faire surgir les
dimensions inconscientes du psychisme humain. Tout comme le rêve exprime pendant le
sommeil nos désirs les plus enfouis, l’art serait pour l’homme le moyen de révéler ses
profondeurs.
DALI (surréalisme)
Mais on peut s’opposer à ce subjectivisme : le but de l’art n’est pas seulement d’être
l’expression d’une sensibilité individuelle car il peut nous transmettre des vérités d’une autre
nature. Certes, c’est souvent « sa vie » que l’artiste projette (dans sa toile, dans sa musique,
dans son roman) et le sens de l’œuvre est souvent intiment lié à la biographie de l’artiste. En
même temps, les œuvres valent au-delà de la singularité qu’elles expriment et elles peuvent
nous émouvoir, nous transmettre quelque chose, même si nous ignorons tout de la vie de
l’artiste qui en est à l’origine. Une œuvre d’art peut être d’abord considérée comme immergée
dans une culture et une époque, dans une période de l’histoire qu’elle pourra refléter. Par-là
même, une œuvre doit pouvoir révéler des préoccupations collectives et des manières de vivre
propres à telle ou telle civilisation (cf HEGEL).
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Questionnement :
L’œuvre d’art n’est-elle pas d’abord comme une image du monde, le miroir de
certaines réalités historiques dépassant le domaine subjectif du créateur ?
Une œuvre d’art est toujours plus ou moins fonction d’un certain contexte culturel et
révèle à travers elle une manière d’être au monde propre à une certaine culture, à un certain
moment de l’histoire. L’art égyptien, pour reprendre cet exemple, nous montre prioritairement
ce que fut la civilisation égyptienne, ses croyances, ses coutumes et non la sensibilité de tel ou
tel artiste. L’œuvre surgit dans des conditions historiques et sociales particulières à une
culture. Elle révèle ainsi la dimension idéologique, sociale, économique d’une communauté
humaine avant d’être l’expression d’un seul individu. Ceci est vrai pour l’architecture
(directement liée aux manières de vivre et de penser) et la littérature (comme dans le cas des
romans qui réalisent une fresque de la société de leur temps) ou du cinéma.
Ainsi, l’œuvre a une valeur documentaire importante car elle révèle la pensée et les
mentalités dans l’histoire : l’art totalitaire par exemple témoigne des régimes politiques dont il
émane comme propagande, ou le pop-art témoigne de la société de consommation. Comparer
les œuvres d’art d’une même société, à des périodes différentes de son histoire, donne une
bonne idée de son évolution culturelle. Les œuvres d’art foisonnent donc de
renseignements historiques et restent le meilleur moyen d’accéder à la compréhension
d’autres cultures que la sienne. Elles témoignent du « génie collectif ».
Toutefois, l’œuvre d’art semble capable de dépasser son cadre de naissance pour
s’adresser, au-delà de son enracinement dans telle ou telle culture, à tout homme, à toute
civilisation, pour toucher à des significations universelles. Une œuvre d’art vise ainsi
l’intemporalité (ce qui la différencie des objets usuels de consommation qui restent
éphémères) parce qu’elle témoigne aussi de l’humanité en général et qu’elle touche des sujets
qui concernent chaque homme comme l’amour, la mort, la fatalité, la liberté…
Le musée est précisément ce lieu dans lequel nous aidons les œuvres à exprimer leur
capacité de résistance au vieillissement et au temps. L’art devient alors un « anti-destin »
(formule de Malraux), c’est-à-dire un moyen de transcender la mort, un moyen qui permet à
des civilisations disparues de rester en contact avec l’humanité, de nous léguer un patrimoine
spirituel. Le spectateur, face aux œuvres, prend alors conscience de sa situation dans
l’existence et devient conscient de participer à une humanité commune à travers le temps.
Plus qu’un témoignage, l’art devient alors le dévoilement d’une certaine vérité humaine,
et un des moyens du dialogue des civilisations entre elles, un héritage spirituel et culturel
immense formant le lien avec le passé.
L’œuvre d’art instaure plutôt une rupture et nous émancipe de la logique du marché et
du monde des objets consommables. Le monde de l’art nous ouvre à des œuvres singulières,
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C’est en ce sens qu’on peut dire que l’art nous apprend à être libres.
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Le jugement de goût, par lequel nous disons qu’une chose est belle, est-il fondé
sur nos simples sentiments ou sur une forme particulière de connaissance ?
Nous pensons spontanément que le beau est une propriété de l’objet mais les jugements esthétiques
sont si variables et relatifs qu’ils paraissent simplement se fonder sur des impressions, des sensations
personnelles.
Mais si la beauté n’est pas une propriété des choses, comment pourrait-il y
avoir consensus sur la beauté d’une œuvre et comment peut-on encore
prétendre avoir raison lorsque l’on dit « c’est beau » ?
A. La théorie classique : la beauté comme harmonie. Le beau est une propriété de l’objet et
n’est pas relatif à notre subjectivité.
Le beau fut tout d’abord pensé comme une propriété matérielle de l’objet, une qualité
présente dans la chose même. Selon cette hypothèse, le beau ne se définit pas par l’effet qu’il
produit en nous. Classiquement, le beau implique la perfection, l’harmonie, la symétrie, la
clarté… Tout ce qui reste informe, incohérent, inachevé, disharmonieux, ne peut prétendre
alors au titre de beauté. Il existerait ainsi un concept du beau et l’artiste doit, pour pouvoir
créer, en prendre connaissance. Le beau n’est pas seulement une affaire de goût mais il
implique une « science » de la composition. L’artiste ne peut donc pas créer sans règles : sa
fantaisie ou son impulsion sont délimitées par des contraintes esthétiques, des normes.
Ainsi, le jugement esthétique dévoile la qualité d’un objet et non seulement une
sensibilité personnelle. En ce sens, le jugement esthétique prétend à l’universalité en tant
qu’il pense dévoiler la substance du beau et définir son concept, son essence. L’idée de beau
n’est pas une simple modalité psychologique, la manière purement subjective dont ma
conscience est affectée par un objet sensible mais un ordre spécifique rationnel et véridique.
Avoir du goût en ce sens, c’est avoir la science du beau que l’on peut théoriser et
déterminer. Pour le classicisme, il ne peut donc y avoir qu’un seul bon goût et il faut être
« cultivé » pour apprécier une œuvre d’art.
Exercice
Questions : que signifie la proposition « tout individu devrait être d’accord avec son
propre sentiment » ? Comment est-il possible de ne pas être d’accord avec son propre
sentiment ? Hume est-il relativiste lorsqu’il soutient que le beau serait variable selon les
différents points de vue ?
« Parmi un millier d’opinions différentes que des hommes divers entretiennent sur le même sujet, il y
a une, et une seulement, qui est juste et vraie ; et la seule difficulté est de la déterminer et de la rendre
certaine. Au contraire, un million de sentiments différents, excités par le même objet, sont justes,
parce qu’aucun sentiment ne représente ce qui est réellement dans l’objet. Il marque seulement une
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certaine conformité ou une relation entre l’objet et les organes ou facultés de l’esprit, et si cette
conformité n’existait pas réellement, le sentiment n’aurait jamais pu, selon toute possibilité, exister.
La beauté n’est pas une qualité inhérente aux choses elles-mêmes, elle existe seulement dans l’esprit
qui la contemple, et chaque esprit perçoit une beauté différente. Une personne peut même percevoir
de la difformité là ou une autre perçoit de la beauté. Et tout individu devrait être d’accord avec son
propre sentiment, sans prétendre régler ceux des autres. Se mettre en quête de la beauté réelle ou de
la laideur réelle est aussi vain que de prétendre déterminer avec certitude ce que sont réellement la
douceur ou l’amertume. Selon la disposition des organes, le même objet peut-être à la fois doux et
amer : aussi le proverbe a-t-il été justement établi la vanité de toutes les querelles de goût ».
Hume écrit : « La beauté n’est pas une qualité inhérente aux choses elles-mêmes,
elle existe seulement dans l’esprit qui la contemple et chaque esprit conçoit une beauté
différente ». Le jugement esthétique cesse donc ici d’être conçu comme fondé sur un savoir
puisqu’il ne fait que traduire une sensibilité, une délicatesse personnelle. Le beau est
davantage une affaire de sensation. « Le plaisir et la douleur ne sont pas les compagnons de
la beauté et de la laideur, ils en sont l’essence même » dit David Hume. De même que je
peux apprécier tel ou tel plat culinaire, j’apprécie la beauté non par son concept, son
idée, mais par le fait quel produit en moi du plaisir. Le seul mérite d’une œuvre d’art est alors
de nous plaire. Le beau se réduit à l’agréable.
Le problème posé par cette doctrine est le relativisme auquel elle risque de conduire :
si le beau n’est qu’un plaisir, il ne se discute effectivement pas, comme ne se discute pas le
goût culinaire. Mais tous les goûts se valent-ils ? Nous pouvons constater qu’il existe de fait
un consensus autour des grandes œuvres d’art (le génie de Bach ou de Mozart). L’existence
des musées montre que certaines œuvres d’art suscitent une approbation et une
reconnaissance générale, comme s’il était possible de s’entendre collectivement sur la valeur
de certaines œuvres. Dire, que le goût n’est qu’une affaire personnelle, n’est-ce pas tout
simplement refuser l’idée que le goût puisse s’éduquer ?
Nous sommes donc confrontés à une antinomie : deux doctrines s’opposent s’agissant de
la beauté, la doctrine classique et l’esthétique du sentiment (HUME).
KANT
« le beau est ce qui plait universellement sans concept »
13 Cours esthétique : version élève
Sans règles =
Hume
Kant est le philosophe qui a tenté de résoudre cette antinomie par une théorie du
jugement de goût dans la Critique de la faculté de juger (1790). Selon lui, « Le beau est ce
qui plaît universellement sans concept ». Comment comprendre cette formule ?
Le beau est « sans concept » : Kant accorde à Hume l’idée que le jugement esthétique n’est
pas un jugement de connaissance : quand je dis c’est beau, je ne produis pas un savoir sur
l’objet. Je constate seulement que je suis affecté par cet objet et que cela provoque en moi un
plaisir. Il faut donc accorder à Hume que le jugement esthétique repose non sur le concept
d’un objet mais sur le sentiment d’un sujet : l’objet n’est donc que l’occasion du plaisir mais
la cause du plaisir réside en moi. La valeur esthétique d’une œuvre ne peut faire l’objet d’une
connaissance et d’une démonstration : elle est « sans concept », c’est à dire qu’elle est
accessible par sentiment et non par raisonnement. Il est donc impossible de faire une science
du beau, avec des règles et des prescriptions que l’artiste devrait suivre car il n’y a pas d’idée
du beau, de modèle de beauté, qui puisse servir de critère, d’étalon, de canon. Le beau est
sensible : c’est la sensibilité qui est juge de la beauté et non la raison.
Il est donc impossible de définir précisément les raisons qui font qu’une chose est
belle. Nous avons donc la faculté de sentir la beauté mais pas de l’expliquer.
Mais il plait « universellement » : le paradoxe c’est que bien que subjectif et sans concept,
le jugement de goût revendique l’universalité (il prétend être valable pour les autres) sans
quoi nous ne parlerions pas de « beauté » mais seulement d’agrément. Or, pour Kant, le
beau n’est pas l’agréable.
Le jugement esthétique est pensé comme étant aussi valable pour autrui. On peut parler en ce
sens d’une sorte « d’universalité subjective » car l’on présuppose que les autres, ayant les
mêmes facultés de l’esprit que moi peuvent éprouver la même chose. Il ne s’agit pas d’une
universalité de fait mais de droit : il s’agit de chercher l’accord des autres.
Autrement dit le beau est l’expérience par laquelle je cherche un plaisir
communicable. Le beau invite donc à la communication, au dialogue, il nous invite à sortir
de nous-mêmes pour aboutir à une perception commune, un « sens commun » esthétique. Le
beau est ainsi une invitation à sortir de soi-même pour rejoindre l’autre, invitation à dépasser
sa seule conscience pour établir ce sens commun. Les hommes sont d’ailleurs capables de
reconnaître unanimement la beauté (de la nature ou de certains chefs-d’œuvre) et de
concorder dans leurs jugements. Nous n’aurons donc jamais de certitude s’agissant du goût,
mais nous devons nous efforcer de chercher un accord esthétique et d’établir une concordance
dans nos jugements.
Exercice
Questions : que signifie « exiger » l’adhésion des autres dans le contexte : l’ordonner ou
l’espérer ? Cette exigence est-elle confirmée ou démentie par votre expérience ?
Expliquez la formule « comme si » dans l’expression « et parle alors de la beauté comme
si elle était une propriété des choses » ?
Trouvez des exemples de morceaux de musique ou d’images que vous jugez agréables, et
d’autres que vous trouvez beaux. Vos choix illustrent-ils la différence établie par Kant ?
Universel / singulier : est universel ce qui est valable de façon absolue sans la moindre
exception : un jugement est donc universel quand il met tout le monde d’accord. Un
jugement est singulier quand il est celui d’un seul individu.
Conclusion : « La vie n’est pas belle mais les images de la vie sont
belles », Schopenhauer.
« L’art nous donne toutes ces illusions de la belle apparence qui rendent, en chaque
instant, l’existence digne d’être vécue, et nous incite à vivre l’instant qui suit » Nietzsche.
Conseils vidéo :
https://www.arte.tv/fr/videos/080531-000-A/picasso-braque-cie-la-revolution-cubiste/
https://www.arte.tv/fr/videos/087424-000-A/le-surrealisme-au-feminin/
Films :
Le goût des autres, JAOUI et BACRI
Les rêves dansants, sur les pas de Pina BAUSH, documentaire de HOFFMAN ET LINSEL
https://www.franceculture.fr/emissions/les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance/eloge-de-la-
parodie-44-tarantino-imitateur-ou (sur le réalisateur TARANTINO)
https://www.franceculture.fr/emissions/les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance/liberte-cherie-
14-imitation-ou-liberte-de-lart (imitation ou liberté de l’art)