Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Rivière Jean. Le sacrifice du Père dans la Rédemption d'après saint Ambroise. In: Revue des Sciences Religieuses, tome 19,
fascicule 1, 1939. pp. 1-23;
doi : https://doi.org/10.3406/rscir.1939.1778
https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1939_num_19_1_1778
■
grammatical, aura substitué : ...de sua, sans prendre garde à
l'énormité doctrinale qui en résultait. A moins que, d'une
manière encore plus simple, il ne s 'agisse d 'une « coquille »
typographique échappée à la diligence des correcteurs.
Toujours est-il que la leçon énigmatique : de sua [salute
Dominus] periclitaretur est imputable à un lapsus (3). Il n'en
est que plus édifiant de voir comment les éditeurs successifs
de saint Ambroise, à partir des Mauristes, n 'ont pas manqué
de se la transmettre de main en main avec une constante
fidélité (4).
(1) Ambr., De Iacob et vita beala, 1, vi, 25. —- P. t., t. XIV, (édition de
1866) ; col. 638.
(2) Cf. Anselm., Médit., XL— P. I., t. CLVIT1 ; col. 76o : « ... Hanc vitam
homo iste [Christus] ... sponte dédit de suo ad honorem Patris. »
(3) Selon toute apparence, l'origine en remonte aux Bénédictins. Voir S. Am-
brosii opera, t. I, Paris, 1686, Index (non paginé), col. 16, lignes 41-42. Il n'y
a rien de tel chez les éditeurs plus anciens.
(4) On ne la retrouve pas seulement chez Migne (édition de 1845, t. XV, col.
2241, lignes 12-14; édition de 1866, t. XV, col. 2350, lignes 32-34), qui se
contente chaque fois de reproduire tels quels le texte et les chiffres des
Bénédictins, mais également dans la réédition de Venise, t. 1, 1748, Index (non paginé)
au bas de la colonne 7, alors que la table est ici doublement remaniée pour
correspondre à la pagination différente d'une nouvelle tomaison.
Il est encore plus significatif de constater la même faute dans l'édition de
LE SACRIFICE; DU PÈRE DIAPRES SAINT AMBROISE 3
Milan (t. I, 1875, col. 826, lignes 40-42), soi-disant refaite à neuf par les soins
de P.-A. Ballerini.
JEAN RIVIERE
(1) Cf. art. Rédemption, dans Diet, de théol. cath., t. XIII, col. 1956.
(2) Dans l'ancienne édition romaine, au lieu de ces quatre derniers mots, on
lisait ici : ... qui se morti totum pro te obtulit. Leçon qui, au double mépris
du contexte et du sens, avait le tort impardonnable d'imputer au Père l'action
de s'offrir lui-même à la mort.
LE SACRIFICE DU PERE D'APRES SAINT AMBROISE 5
(1) Cette phrase était omise par les éditeurs romains, au risque de rendre le
texte inintelligible. Elle est rétablie par les Bénédictins sur la foi des meilleurs
manuscrits.
(2) Allusion manifeste à Col., II, 9.
(3) Formule fréquente dans l'Évangile de saint Jean. Ainsi X, 38 ; XIV, 10-11
et 20. Cf. XVII, 21.
6 JEAN RIVIÈRE
(1) Ipse que donnent ici les Bénédictins n'est pas retenu. C'est la seule difïé"
renée entre le nouveau texte et l'ancien,
LE SACRIFICE DU PERE D'APRES SAINT AMBROISE 9
II
(1) Affectus patrius est le terme propre pour désigner l'amour paternel. Il
revient plusieurs fois sous la plume de saint Ambroise quand il s'agit de
qualifier les sentiments d'Abraham envers le fils que l'obéissance lui fait un devoir
d'immoler. Voir De Abraham, I, vm, 73. — P. t., t. XIV (édition de 1866),
col. 470 ; De officiis min., I, xxv, 119. — P. I., t. XVI, col. 63 ; De excessu
fratris sui Satyri, II, 97, ibid., col. 1401.
(2) Cf. Enarr. in XX Psalm., XXXVII, 6. — P. L. t. XIV ; col. 1059, où se
lit, mais appliquée au Christ, cette formule de tous points semblable : « Ergo
pietatis est susceptio peccatorum ista... )>
(3) 11 va de soi que le Fils n'est pas non plus étranger à cet héroïsme. Voir
De excessu fratris sui Satyri, II. 46. — P. L., t. XVI ; col. 1385 : a Potuit
cnim Christus non mori si voluisset ; sed neque refugiendam mortem quasi
ignavam putavit... »
(4) Voir dans ce sens R. Cornely, Epistola ad Romanos, Paris, 1896, p. 458-
459. Mais, d'après M.-J. Lagrange, Épître aux Romains, Paris, 1916, p. 218,
« l'allusion... n'est pas du tout certaine ».
,
(1) Hilar., De Trin., VI, 45. -- P. I., t. X ; col. 194 : « Apostolus enim
volens charitatem erga nos Dei ostendere, ut magnifîcentia Dei dilectionis...
nosceretur non pepercisse Deum proprio Filio suo docuit. »
(2) Ps.-Ambr., In Rom., VIII, 32. — P. I., t. VIII (édition de 1866), col. 134-
;
135. Cf. Iohan. Chrys., In Rom., nom. XV, 2. — P. G., t. LX ; col. 543, où
d'ailleurs il est observé que l'Apôtre s'exprime ici p.s9' ûiLsppo'Xxl<; x
.
tuelle, au mot qui le suit immédiatement. Rien de plus clair pour la seconde
phrase, où quasi orbitas ne manquerait pas d'à propos sous la plume d'un
auteur qui se préoccupe de ne faire supporter à Dieu qu'un semblant de
privation. En vertu d'un semblable scrupule, alors surtout qu'il a pris la peine, un
peu plus haut, d'exclure pour le Fils toute possibilité de mourir, on peut
concevoir qu'il entende rappeler, au passage, la nature exacte du risque éventuel
encouru par le Père en le livrant, savoir, non pas précisément la mort effective,
mais du moins une sorte de mort (quasi morituri Filii... periculum). Quoique
d'apparence plus difficile, cette explication ne manque pas de probabilité. Ou
plutôt ne faudrait-il pas dire que cette difficulté même est pour elle un titre de
recommandation ?
(1) A comparer avec De Spir. S., I, xn, 129. — P. L., t. XVI, col. 764, où
ce qu'il pourrait y avoir de brutal dans l'acte du Père qui livre à la mort son
propre Fils est atténué par l'appel à ce que présente simultanément de
volontaire le sacrifice de celui-ci : « Tradidit ergo Pater Filium et Filius ipse se
tradidit. Servatur charitas nec laeditur pietas ; nulla est enim pietatis iniuria
ubi nulla est traditionis aerumna. » Cf. De fide, I, xvii, 109. — P. L., t. XVI >
col. 576.
LE SACRIFICE DU PERE DIAPRES SAINT AMBROISE 13
Si l'on prend garde que Dieu est ici dépeint sous la figure
(1) Dans le même sens, bien qu'en termes plus vagues, on lit encore à la
phrase qui suit : « Ille propter te dispendia nostra suscepit ut te divinis inse-
reret, caelestibus consecraret. » L'acquisition de la vie divine pour l'éternité,
qui est notre fin par excellence, n'intéresse-t-elle pas également la gloire de
Dieu?
Cette expression dispendia nostra suscepit, qui, dans un autre contexte,
pourrait peut-être signifier l'acquittement des peines qui nous étaient dues,
s'entend ici, d'accord avec tout le passage, des « frais » nécessités par notre
rachat. Formule admirablement synthétique pour indiquer en même temps que
ces débours sont endossés par Dieu et occasionnés par nous.
(2) Epist., XLV, 16. — P. L., t. XVI ; col. 1194.
14 JEAN RIVIERE
I. — Nouveau témoin :
Saint Jean Chrysostome
(1) Iohan. Chrys., In Eph., hom. XV1T, 1. — P. G., t. LXII ; col. 116.
Réminiscences visibles de ce commentaire dans OEcum., in h. loc. — P. G., t.
CXVIH, col. 1233, et Theophyl., in. h. loc. — P. G., t. CXXIV, col. 1101.
LÉ SACRIFICE DU PERE D'APRÈS SAINT AMBROISE 19
.
son mérite à cette résolution positive d'un Dieu immolant son
Fils ? Et le raisonnement a fortiori par lequel l'orateur nous
invite à ne pas refuser à notre prochain un pardon qui est
pour nous « sans risques ni frais » personnels n 'oblige-t-il pas
à conclure qu'il en fut autrement pour Dieu dont l'exemple
nous est proposé ? Il n'est pas inconcevable assurément que
l'analogie des deux cas mis en balance puisse rester
imparfaite; niais il est encore plus normal d'admettre qu'elle ne le
soit pas trop. Ce qui permet de croire que le patriarche de
Constantinople devait penser à un « risque » subi — ou du
moins envisagé — d'une certaine façon par Dieu lui-même et
non pas seulement décrété par lui.
Au surplus, quand il s'agit des « risques » encourus par son
propre Fils, comment le oœur du Père, à rester dans la même
ligne anthropomorphique, pourrait-il ne pas en éprouver le
retentissement ? La logique du fond éclaire les suggestions du
texte et vice versa. Pour n'être pas expressément tirée, cette
conclusion est-elle moins inévitable ? A tout l 'arrière-plan de
ce passage, on pressent, faute de l'y trouver à l'état explicite,
l'idée que la mort du Christ fut également une sorte de
sacrifice pour Dieu son Père et que le fait de l'avoir accompli
vaut à celui-ci non moins qu'à celui-là d'être un incomparable
modèle de la plus éminente charité, celle qui consiste à pousser
l'amour des autres jusqu'à l'oubli de soi et de ses intérêts ou
sentiments les plus ehers,
Ce sacrifice du Père, en tout cas, saint Jean- Chrysostome,
(1) Aucun des exégètes byzantins qui s'en inspirent ne semble être allé plus
loin. Reprise par OEcuménius, la formule « au risque de son propre Fils » est
ainsi glosée : « Par le fait de son immolation et de sa croix... Toi, tu pardonnes
sans dommages ; mais Dieu, au prix de la mort de son Fils unique. » Plus
brièvement encore chez Théophy lacté : « ... Au risque de son propre Fils et de
son immolation. »
Ce qui rappelle, sans guère le dépasser, Theodoret., In Eph., IV, 32. —
P. G., t. LXXXIl ; col. 541 : « ...Lui qui nous a donné par le moyen du Christ
notre Seigneur la rémission de nos innombrables péchés. »
20 JEAN RIVIÈRE
-
Et quia Christus Dominus Mariae Filius «rat, atque adeo
aliquid illius, profecto quod swum erat obtulime dicendum
est (1).
(1) Quelques traces de ce thème reparaissent jusque dans les temps modernes.
Ainsi dans Cl. Dillenschneider, La mariologie de S. Alphonse de Liguori
Sources et synthèse doctrinale, Fribourg (Suisse) et Paris, 1934, p. 146-152.
(2, É. Male, L'art religieux de la fin du Moyen-Age en France, Paris, 1908,
p. 140. Suivent (p. 141-144) des reproductions ou références iconographiques à
l'appui.
(3) E. Masure, Le sacrifice du chef, Paris, 1932, p. 215.