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Ricard Robert. Le symbolisme du « château intérieur » chez sainte Thérèse. In: Bulletin Hispanique, tome 67, n°1-2, 1965. pp.
25-41;
doi : https://doi.org/10.3406/hispa.1965.3832
https://www.persee.fr/doc/hispa_0007-4640_1965_num_67_1_3832
1. Par exemple au ch. 3 des quatrièmes Moradas : t Paréceme que he leído que
como un erizo o tortuga cuando se retiran hacia sí On sait que cette comparaison
procède très probablement de la Subida del Monte Sion de Bernardino de. Laredo
et du Troisième Abécédaire de Francisco de Osuna, auxquels elle est commune (cf.
les deux ouvrages du P. Fidèle de Ros, Le Père François d'Osuna, Paris, 1936-1937,
p. 478 et p. 621, et Le Frère Bernardin de Laredo, Paris, 1948, p. 331-332).
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On se bornera, bien entendu, à la genèse et aux antécédents
immédiats. Le symbole est très ancien, et il ne saurait être
question de remonter ici au déluge 2. Dans l'immédiat, les
commentateurs ont envisagé des souvenirs de lecture, c'est-à-dire, plus
précisément, de Francisco de Osuna et de Bernardino de Laredo,
que l'on retrouve presque toujours à propos de sainte Thérèse.
Plusieurs passages de Francisco de Osuna ont été allégués
et il convient de les reprendre. Ils se trouvent dans le Troisième
et le Quatrième Abécédaire, publiés respectivement pour la
première fois à Tolède en 1527 et à Séville en 1530 3. Dans le
Troisième Abécédaire, on doit se reporter surtout au quatrième
Traité, sur la guarda del corazón, qui compte cinq chapitres.
4. Le passage est cité dans l'introduction aux Obras completas de sainte Thérèse
publiée par la « B. A. C. », t. I (n° 1\ de la collection), Madrid, 1951, p. 376, avec
une faute de copie ou d'impression : « cercados » au lieu de « cercadores ».
5. Dans Etchegoyen, V amour divin, p. 333, 1. 21, « volupté » est certainement une
coquille qui a échappé à l'attention des reviseurs ou une faute de la mauvaise
copie dactylographiée (cf. p. 6).
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que ne peut le montrer l'analyse très sommaire qui précède,
car il en ajoute beaucoup d'autres qui ne nous intéressent pas
présentement. Mais on voit bien la place que le château occupe
dans ces pages, à la fois ascétiques et mystiques, associé au
paradis où réside (mora) le Seigneur. Or il ne faut pas oublier
que sainte Thérèse les a certainement lues et qu'elle les a
marquées de croix et de traits sur l'exemplaire dont elle se servait 6.
A-t-elle lu pareillement le Quatrième Abécédaire, appelé
aussi Ley de Amor Santo? C'est moins certain, mais cela reste
possible7. Sauf erreur, le symbole du château n'y apparaît nulle
part ; on y voit seulement le corps humain comparé à' une ville
dans la perspective du Cantique des Cantiques (ch. ni) : il
devient la ciudad de Dios quand il est gouverné par l'amour.
Les rues de cette ville sont les vertus, et les places les exercices
spirituels de ceux qui recherchent le Dieu qu'ils ont perdu8.
Nous sommes beaucoup moins près des Moradas que dans le
Troisième Abécédaire. C'est donc surtout le quatrième traité
de cet ouvrage qu'il importe de ranger parmi les souvenirs
sur lesquels travailla plus ou moins consciemment l'imagination
de sainte Thérèse pour élaborer son chef-d'œuvre.
On peut en dire autant de la Subida del Monte Sion de Ber-
nardino de Laredo, ouvrage dont il existe deux éditions
sensiblement différentes, celle de Séville, 1535, et celle de Séville,
1538 9, et que sainte Thérèse a certainement lu, au moins dans
6. Cf. Etchegoyen, Vamour divin, p. 40 et p. 333. Sainte Thérèse est très proche
d'un des passages d'Osuna lorsque, au début des Moradas (I, 1), elle écrit : « no es
otra cosa el alma del justo, sino un paraíso adonde dice El [Nuestro Señor] tiene
sus deleites ».
7. Cí. Etchegoyen, p. 40-41, et Fidèle de Ros, Osuna, p. 620.
8. Ley de Amor Santo, ch. 26 (éd. citée, p. 465-466). Cf. Etchegoyen, Vamour
divin, p. 333. Le rapprochement que fait ensuite cet auteur (p. 333-334) entre le
temple de Salomón à la fin de la Ley de Amor (ch. 48, p. 651) et les septièmes
Demeures (ch. 3, § 11) me paraît un peu forcé.
9. Sur le problème que posent ces différentes éditions, voir Fidèle de Ros, Laredo,
passim. Etchegoyen n'a utilisé que l'édition de 1535 (U amour divin, p. 16-17 et p. 41 ;
cf. la note de Louis Œchslin, L'intuition mystique de sainte Thérèse, Paris, 1946,
p. 58, n. 1). Mais le P. Fidèle de Ros incline à croire que sainte Thérèse a lu le texte
de 1538 ou un texte postérieur (Laredo, p. 325), sans exclure cependant la
possibilité qu'elle ait connu celui de 1535 (Laredo, p. 334 ; cf. aussi Œchslin; p. 57-60).
Pratiquement, il faut tenir compte des deux éditions. Mais celle de 1535, dont il
n'existerait plus que cinq exemplaires (Ros, Laredo, p. 81), est restée difficilement
accessible, tandis que ceÙe de 1538 est reproduite au tome II, Madrid, 1948, des
Místicos franciscanos españoles de la t B. A. C. » (n° 44), p. 25-442.
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10. Místicos franciscanos, t. II, p. 270. On peut rapprocher aussi le ch. 49, ibid.,
p. 280-282.
11. Ch. cité, Mist. franc, t. II, p. 271.
12. Cf. Etchegoyen, Vamour divin, p. 247-248. Mais on ne voit pas pourquoi
l'auteur traduit par « diamant » le mot cristal qu'emploie Laredo dans le passage
qu'il cite p. 247, n. 2.
13. Cf. Fidèle de Ros, Laredo, p. 333, n. 3. L'hypothèse n'est cependant peut-être
pas aussi • risquée » que le pense le P. Fidèle.
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17. Le texte de cette relation a été reproduit par le P. Silverio de Santa Teresa
dans sa grande édition, Obras de Santa Teresa de Jesús, t. II, Burgos, 19I5, p. 400-
505. Le passage qui nous intéresse particulièrement se trouve aux p. 493-495.
18. Voir Bulletin hispanique, XLVII, 1945, p. 190.
19. Voir son introduction aux Moradas dans l'édition des œuvres de sainte Thérèse
de la « B. A. C. », t. II, Madrid, 1954 (n° 120 de la collection), p. 313-314. Sauf erreur,
le P. Efrén est le premier et jusqu'à présent le seul à avoir remarqué cette difficulté
chronologique.
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20. Sur cette difficulté, ci. Bulletin hispanique, XLVII, 1945, p. 190, n. 1. J'y
montre qu'on ne résout rien en plaçant la rencontre à Arévalo, comme plusieurs
l'ont fait, puisque Arévalo n'est aucunement sur la route de Medina à Zamora et
ne se trouvait pas sur l'itinéraire normal de Yepes.
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21. Peut-être Yepes bloque-t-il ici en un seul plusieurs souvenirs et veut-il parler
d'autres visions analogues, comme celle du ch. 40 de la Vida (voir plus loin). Si cette
explication est bonne, elle n'est pas de nature à accroître la confiance que peut
inspirer son récit. Sa relation montre d'ailleurs une grande indifférence à l'égard de
la chronologie.
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22. Sur cette distinction, cf. Bulletin hispanique, XLVII, 1945, p. 189, n. 1, et
p. 190, n. 2.
23. Etchegoyen, L'amour divin, p. 273-282.
24. Cf. Etchegoyen, L'amour divin, p. 280. Il est regrettable que le mot alcaide
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soit si souvent déformé par confusion avec alcalde; ainsi dans Etchegoyen, p. 331
et p. 335, où c'est probablement une simple faute d'impression, ou dans la
traduction française des Carmélites de Paris-Clamart, Sainte Thérèse d'Avila, Œuvres
complètes, t. II, Paris, 1963, p. 514 et p. 531, où « alcade » est mis certainement pour
i alcalde », comme toujours en français, et non pour « alcaide ». De même, 1' « alcade »
de Louis Œchslin (L'intuition mystique, p. 59 et n. 4) doit être corrigé en « alcaide » ;
cf. plus haut n. 15.
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27. Cette interprétation n'est pas particulière à Unamuno. Après lui, on la trouve
dans l'album préfacé par Ernesto La Orden Miracle, Avila, El castillo de Dios, Madrid,
Ediciones « Mundo Hispánico » [1954]; voir spécialement p. 3-4. On la trouve
également dans l'article de Neville Braybrooke, The Geography of the Soûl : St. Teresa
and Kafka, dans The Dalousie Review (Halifax, Canada), vol. 38, 1958, p. 324-330
(voir p. 328). Au milieu de certaines erreurs (dont la plus grave consiste à faire de
Molinos — sans doute par confusion avec les alumbrados — un contemporain de
sainte Thérèse), on la trouve aussi, sous une forme seulement implicite, à différents
endroits du recueil d'Eduardo Caballero Calderón, Ancha es Castilla (Losada,
Buenos Aires, [1954], p. 31-33, 61-63 et 66-71).
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sur Ávila, et les trois fois il a repris l'idée qu'il avait déjà émise
en 1909. Le premier article, très court et qui remonterait à
octobre 1921, d'après une indication donnée à la fin, porte pour
titre Frente a Ávila (p. 239-241) : « Viendo' a Ávila, écrit Una-
muno, se comprende cómo y de dónde se le ocurrió a Santa
Teresa su imagen del castillo interior y de las moradas y del
diamante. Porque Avila es un diamante de piedra berroqueña
dorada por soles de siglos y por siglos de soles... » (p. 239).
Le deuxième article, Paisaje teresiano, El campo es una metáfora
(p. 246-251), est plus long et comprend deux parties. Voici ce
qu'on peut lire au début de la seconde : « El castillo de las
Moradas es la ciudad de Ávila, con sus murallas y los cubos de
éstas, es la maravillosa ciudad que tiene que mirar al cielo »
(p. 249). L'idée est encore reprise au commencement du
troisième article, Extramuros de Avila (p. 252-255) : « Cincha a
la ciudad el redondo espinazo de sus murallas, rosario de
cubos almenados, y como un cráneo, una calavera viva — la gloria
mayor del rosario — en lo alto la fábrica de la catedral, cuyo
ábside cobija recovecos de misterio interior, allí, entre las
bermejas columnas. Ciudad, como el alma castellana, dermatoes-
quelética, crustácea, con la osamenta — coraza — por de fuera,
y dentro la carne, ósea también a las veces. Es el castillo
interior de las moradas de Teresa, donde no cabe crecer sino
hacia el cielo. Y el cielo se abre sobre ella como la palma de la
mano del Señor » (p. 252).
Tout ne semble pas à retenir dans ces considérations. L'idée
d'une ville à qui sa configuration ne laisse pas d'autre issue
que l'ascension vers le ciel est une conception poétique que des
réalités prosaïques sont venues ensuite démentir, puisque Ávila
a brisé sa ceinture de murailles pour s'étendre hors du corset
qui l'enserrait. Mais il faut rappeler que l'explication du
château intérieur par l'enceinte fortifiée d'Ávila était chose
ancienne chez Unamuno et qui remontait au moins à 1899. Ces
dernières années, Mlle Yvonne Turin a publié de lui ici même
une lettre qu'il adressa de Salamanque, le 22 novembre 1899,
à, Francisco Giner de los Ríos. Cette lettre portait sur la
littérature religieuse de l'Espagne, que son correspondant, à cette
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30. Point trop connu pour qu'il soit nécessaire d'insister; voir, en fait de
travaux récents, Henri de Lubac, Exégèse méditvale, vol. IV (= 2e partie, t. II), p. 21-
23. Cf. aussi les notes de Pierre Pascal à Gerson, Initiation à la vie mystique, Paris,
s. d. (1943), p. 242, n. 101, et p. 243, n. 103.
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3t. On remarquera que saint Jean de la Croix parle des siete mansiones, qui
correspondent aux sept degrés d'amour, et qu'il parle aussi du primer aposento de
amor {Subida del Monte Carmelo, liv. II, ch. 11). Mais la Subida est
habituellement datée des années 1578-1585 ; elle est donc postérieure aux Moradas.