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Bulletin Hispanique

La « loca de la casa »
Robert Ricard

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Ricard Robert. La « loca de la casa » . In: Bulletin Hispanique, tome 64, n°1-2, 1962. pp. 65-66;

doi : https://doi.org/10.3406/hispa.1962.3735

https://www.persee.fr/doc/hispa_0007-4640_1962_num_64_1_3735

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LA « LOCA DE LA GASA »

La « folle du logis » a déjà fait couler beaucoup d'encre.


L'expression soulève un petit problème que M. Menéndez Pidal a essayé
autrefois de résoudre avec le concours de M. Jean Sarrailh. Il a pu
constater qu'elle ne figure chez aucun de ceux à, qui on l'a attribuée.
Elle n'est ni chez sainte Thérèse ni chez Malebranche. Mais on s'est
aperçu par la suite qu'elle est chez Fénelon, qui l'attribue encore
inexactement à sainte Thérèse. Il écrit, en effet, dans un passage
ignoré jusqu'ici des chercheurs : « L'imagination, comme dit sainte
Thérèse, est la folle de la maison ; elle ne cesse de faire du bruit et
d'étourdir ; l'esprit même est entraîné par elle ; il ne peut s'empêcher
de voir les images qu'elle lui présente. » II est vrai que sainte Thérèse
traite l'imagination de loca, ou, plus précisément, de loco. Mais nulle
part elle ne dit la loca de la casa. Comme certains érudits, par une
autre erreur, croient avoir lu l'expression dans les Moradas, on peut
envisager une interférence avec le mot même de morada. On s'engage
toutefois sur un terrain plus sûr quand on rappelle les proverbes qui
associent la folie et la maison : Basta un loco en una casa; Un loco
jamás deja la casa en paz (ce qui est le cas de l'imagination qui agite
l'esprit) ; Burlaos con el loco en casa, burlará con vos en la plaza ; et
celui qui provoquait la juste indignation de Don Quichotte (II, 43 ;
il est vrai que Sancho venait de dire necio au lieu de loco) : Más
sabe él loco en su casa que él cuerdo en la ajena. Le malheur est que sainte
Thérèse ne cite aucun de ces proverbes. Malebranche non plus, cela
va sans dire. Galdós, qui a employé l'expression avec prédilection —
au point de la donner pour titre à, un de ses ouvrages — peut-être
parce qu'il avait beaucoup de peine à maîtriser la riche imagination
dont il était doué, n'a jamais donné la moindre indication sur
l'origine qu'il pouvait lui attribuer1.

1. Je résume ici le petit article La folle du logis que j'ai publié dans Vie et
langage, n° 100, juillet 1960, p. 387-389, et où j'ai tenté de compléter et de mettre au
point les indications données précédemment sous le même titre et dans la même
revue par M. P. Guinepied (Vie et langage, n° 94, janvier 1960, p. 36). Pour les
remarques de M. Menéndez Pidal, voir l'étude El estilo de Santa Teresa reprise dans
le recueil de cet auteur intitulé La lengua de Cristóbal Colón, Col. Austral, n° 283,
p. 170. Les passages faussement allégués de sainte Thérèse sont le chapitre 17 de la
Vida et le chapitre 31 (texte de Valladolid) ou 53 (texte de l'Escorial) du Camino
de perfección. 11 iaudrait ajouter aussi un passage du chapitre 30. Enfin, le texte de
Fénelon se trouve dans ses Instructions et avis sur divers points de la morale et de la
perfection chrétienne, et je l'ai relevé dans François Varillon, Fénelon et le pur amour,
Paris, Éd. du Seuil, 1957, coll. t Maîtres spirituels •, p. 169. Pour des références plus
détaillées, voir l'article de Vie et langage, n° 100.
Bulletin hispanique. 5
66 BULLETIN HISPANIQUE

Une publication récente vient de rappeler à. notre attention


l'imagination et ses folies, mais elle n'apporte aucune solution au problème
de la loca de la casa. Voici de quoi il s'agit. On a réédité dernièrement
à Barcelone (Éd. Flors, I960)2 le Camino derecho para el cielo du
Mercédaire andalou Juan Falconi (1596-1638), livre fort peu connu,
publié une seule fois et tardivement à. Madrid en 1783 (l'auteur, à
tort, du reste, était suspect de « préquiétisme »), par conséquent bien
après la mort de Fénelon et de Malebranche. Au chapitre 32 du
Livre III (p. 270), à propos des tentations contre l'oraison, Falconi
nous présente une personne recueillie en contemplation et comme
enfermée avec Dieu dans une tour : « Considera, écrit-il, a una persona,
que está dentro de una torre, cerradas puertas y ventanas, y que
por de fuera hacen mucho ruido, tiran piedras, dan golpes, y vocean ;
pero ella siempre se está dentro por más que hagan ese ruido : así tu
corazón y alma está encerrada con Dios, y tu voluntad queriendo
estarse con El ; por lo cual, aunque por defuera dé voces la imaginación
como una loca, con mil pensamientos y desatinos, y aunque más
golpeen y tiren piedras de tentaciones, sequedades e inquietudes, no por
eso dejas tú de estar encerrado con Dios, con tu voluntad y deseo. »
J'ai souligné les mots intéressants. On voit bien que l'image demeure
ici banale : il n'a jamais été bien original de comparer l'imagination
à, un fou ou à, une folle. Mais surtout elle apparaît sous un jour tout
différent : ce n'est pas dans la maison que l'imagination fait la folle,
s'agite et pousse des cris, c'est au dehors. Le système de métaphores
et de comparaisons, très cohérent d'ailleurs, employé par Falconi est
tout à fait dissemblable de celui qu'implique l'expression la loca de
la casa. Le passage méritait, me semble-t-il, d'être versé au dossier.
Il laisse la question en l'état.
Robert RICARD.

2. Il y a une introduction utile de l'éditeur, le P. Elias Gómez. Voir aussi, du


même, Fr. Juan Falconi de Bustamante, teólogo y asceta (1596-1638), Madrid, 1956,
p. 309-343.

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