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DE LA RÉFORME
EN ISLAM
› Malek Chebel
32 JUIN 2015
l’islam face au coran. la réforme est-elle possible ?
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l’islam face au coran. la réforme est-elle possible ?
Pour sortir de cette impasse, les réformateurs ont misé sur une prise
de conscience multipolaire, politique, sociale et surtout éducative, et
sur un encadrement éthique du progrès social. La plupart estiment en
outre que le comportement des musulmans est un problème en soi,
car il brouille la compréhension du Coran. L’absence quasi générale
d’esprit critique et l’incapacité chronique des élites rationnelles à faire
valoir leurs droits contribuent à cet engourdissement complice face à la
mosquée. Certes, les retards juridiques accumulés durant les siècles sont
d’abord imputables aux théologiens fondamentalistes qui ont codifié
le droit musulman (fiqh et charia) et non au texte sacré lui-même. Ce
retard est manifeste dans le cas du statut de la femme, dont on mesure
aujourd’hui les ravages. Fixé pour l’éternité au IXe siècle, il requiert une
énergie surhumaine pour le faire évoluer sans remettre en question les
positions des théologiens dogmatiques et des familles qui les écoutent,
paralysées de peur et culpabilisées pour le moindre changement. Cepen-
dant, depuis plusieurs siècles, des tentatives de réforme ont été entre-
prises au niveau juridique, pour autant que l’expression « réformes juri-
diques » puisse être valable quand il ne s’agit de désactiver les mauvaises
dispositions de la charia. Mais pour comprendre les remous internes, il
faut revenir à l’histoire des idées qui n’ont pas cessé d’agiter la corpora-
tion des théologiens, aussi bien les progressistes que les conservateurs, à
une moindre échelle cependant. Rappelons tout de même que pendant
des siècles, et plus particulièrement aux XVIIIe, XIXe et XXe siècles, les
mots nahda (renaissance, réveil, renouveau) et islah (progrès, transfor-
mation) revenaient très régulièrement dans les travaux et les discours des
élites musulmanes, non pas politiques (sauf exceptions notables, comme
Habib Bourguiba en Tunisie, Mohamed Allal al-Fassi au Maroc, Abdel-
hamid Ben Badis en Algérie, Gamal Abdel Nasser en Égypte), mais phi-
losophiques et intellectuelles au sens large (journalistes, éditieurs, dra-
maturges, universitaires). Ces mots ont été compris et mis en application
dans la perspective d’un réaménagement progressif ou d’une correction
apportée à un édifice intellectuel qui a trop vieilli. Bien que balbutiant,
cet affranchissement a aussitôt gagné les sphères juridiques, morales et
éducatives, de l’école primaire jusqu’à l’université. On peut comparer
l’islah à l’Aufklärung allemande et à bien des égards au mouvement
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Le statut de la femme
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Réaction et contre-réaction
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histoire de la réforme en islam
De la foi à la raison
L’islam est une jeune religion, tant par son histoire que par sa
démographie, les jeunes y occupant une place prépondérante. La dif-
ficulté est aussi d’ordre pratique. Comment relire les textes sacrés, tant
dans le sunnisme que dans le chiisme, sans affaiblir inutilement ceux
qui sont censés les commenter ou les interpréter depuis des lustres et
sans donner un « chèque en blanc » aux partisans du modernisme à
la manière occidentale ? Et que pense l’imam de la mosquée, le théo-
logien ou le prédicateur charismatique lorsqu’ils voient fondre leur
puissance auprès de leurs propres masses ou que ce même feu sacré au
nom duquel ils sont plébiscités les quitte soudainement ?
La crainte principale est donc ce divorce avec l’espace que l’on
affronte, l’islam n’ayant jamais voulu couper le cordon ombilical qui
arrime le savoir au giron de la foi. La ligne rouge n’est pas loin : peut-
on vraiment réformer la société islamique sans toucher à l’islam, peut-
on réformer l’islam sans toucher au Coran – est-il créé, est-il incréé ? –
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histoire de la réforme en islam
mille thèses de doctorat, parfois même un seul mot, une seule inter-
jection ou une tournure d’esprit suffit à l’imposer à tout un batail-
lon de chercheurs dits « rationnels ». La communauté musulmane
(umma) est divisée sur ce point. À vrai dire, la majorité des gens est
plutôt d’avis que rien ne vienne perturber l’évolution lente, mais
naturelle (c’est-à-dire sécurisante) d’une religion appelée islam, dont
l’étymologie du nom est justement « la soumission confiante » en
une trilogie fondatrice, un Dieu appelé Allah, un prophète nommé
Mohammed, et un livre sacré, le Coran. Toucher à cette trilogie,
la remettre en question et l’interroger, c’est être un ennemi déclaré
de plus d’un milliard de musulmans, à moins que ce soit une lec-
ture modérément critique venue des entrailles même de l’institution
religieuse. Le point le plus névralgique est donc non pas seulement
au niveau de l’islam en tant que corps de doctrines plus ou moins
compris et assumé, mais également au niveau de la communauté des
musulmans prise comme un ensemble hétérogène. Même effiloché
et inconsistant, ce concept a la particularité d’être régulièrement mis
au goût du jour et réactivé.
La réforme aujourd’hui
Le défi l’islam est celui-ci : comment unifier les rangs des musul-
mans sans devoir choisir entre le repli identitaire (« Aujourd’hui, j’ai
parachevé pour vous votre religion ; j’agrée pour vous l’islam comme
religion », lit-on dans le Coran (5, 3)) et le conflit exacerbé avec le
djihad, la guerre sainte, comme seul concept. Ni repli ni agressivité
mais le juste milieu, entendu comme une voie de consensus (ijma’) et
de pondération, la voie du vivre-ensemble au détriment de la négation
de l’autre. N’est-ce pas là une voie neuve que l’islam d’aujourd’hui,
dès lors qu’il se répand sur tous les continents, peut exploiter au profit
du genre humain dans son ensemble ? Mais cet autisme a une histoire,
qui n’est pas linéaire. Dès la fin du XIe siècle et au début du XIIe,
l’empire flamboyant des musulmans était déjà extrêmement fragile et
mal assuré sur ses bases.
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