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APERÇU HISTORIQUE SUR LE REFORMISME MUSULMAN

Introduction

A partir du XIXe siècle, notamment avec l'expédition de Bonaparte en Égypte (1798-


1801), l'entrée brutale de la modernité dans les sociétés arabo-musulmanes allait donner lieu à
une prise de conscience du retard accumulé par ces sociétés vouées depuis plusieurs siècles à
l'immobilisme et au traditionalisme le plus rigide.

Cette mise en présence brutale avec l'Occident suscitera diverses réactions intellectuelles et
politiques qui marqueront profondément le monde musulman. Les penseurs musulmans vont
opérer une analyse des causes du retard de leurs sociétés. Dans cette perspective, la dimension
religieuse et la question identitaire et culturelle prendront certes le pas sur l'examen de
conscience, c'est-à-dire sur la critique sans complaisance, des facteurs endogènes de la crise,
mais certains penseurs vont poser, en toute liberté, des questions fondamentales qui vont agiter
les esprits, les sociétés et les institutions jusqu'à nos jours.

Devant ce spectacle offert au monde musulman, diverses analyses ou prises de positions


ont été formulées pour expliquer les causes de ce déclin. Certains analystes accuseront l’islam
d’avoir empêché que soit réalisé un progrès similaire à celui des puissances occidentales.
D’autres critiqueront plus précisément le traditionalisme ; d’autres encore appelleront à imiter
les européens. Certains verront d’un bon œil l’ingérence étrangère qu’ils jugeaient salvatrice.
Certains, enfin, désireux de rester fidèles à l’islam , critiqueront les musulmans et la sclérose
de leur pensée.

C’est très précisément au cœur de ce climat de tension que la pensée réformiste


contemporaine a vu le jour. C’est au creuset de cette tension qu’elle prend son élan, son sens et
son importance.

L’işlāh, la réforme, dans la littérature islamique

En arabe moderne le terme işlāh recouvre l’idée générale de réforme. Dans la littérature
islamique contemporaine, il désigne plus particulièrement le réformisme tel qu’il apparaît à
travers l’enseignement de Jamāl al-din al-Afġānī et de Muhammad ‘Abduh, et chez les
nombreux auteurs musulmans qui s’inspirent de ces deux réformistes et, comme eux, se
réclament du réformisme.

La notion d’işlah, si répandue dans la culture islamique moderne, tient également une
bonne place dans le vocabulaire du Coran où le champ sémantique de la racine Ş.L.H est très
large. Parmi les dérivés de cette racine dans l’usage coranique, on relèvera :

le verbe aşlaha et l’infinitif correspondant, işlah, employés tantôt avec le sens


de faire œuvre de paix (şulh), établir la concorde, inciter à la réconciliation et à
l’arrangement1; tantôt avec le sens de faire œuvre pie (‘amal şālih), faire acte de
vertu (şalāh), se comporter en saint homme (şālih).2

le substantif muşlih, pluriel muşlihūn : ceux qui font œuvre pie, qui prêchent la
paix et la concorde, qui ont le souci du perfectionnement moral de leur prochain
et se préoccupent de rendre les hommes meilleurs.

C’est ainsi que se définissent les réformistes musulmans modernes, qui revendiquent
avec honneur le titre de muşlihūn auquel la révélation confère un certain prestige. Les
réformistes musulmans se réclament du prophète Muhammad, considéré comme le réformateur
par excellence.

L’işlāh, la réforme, dans l’islam moderne :

Le réformisme moderne représente un moment d’une exceptionnelle fécondité. Par


l’ampleur de ses premières manifestations, la diversité des talents qu’il a pu mettre en œuvre,
l’işlāh constitue l’un des phénomènes les plus remarquables dans l’évolution de l’islam depuis
la fin du XIXe siècle. Il fait suite au mouvement culturel issu de la renaissance (nahda) qui
marque le réveil de l’Orient arabe, sous les indices de la pensée et de la civilisation occidentales.

La situation de l’islam dans le monde moderne devient l’un des principaux sujets des
dissertations réformistes. Depuis la conférence de Renan sur l’islamisme et la science
(Sorbonne 29 mars 1883) et la controverse qui s’ensuivit, entre lui et al-Afġānī, l’un des grandes
préoccupations des réformistes sera de réfuter la thèse selon laquelle l’islam serait contraire à
l’esprit scientifique, et qu’il pourrait, de ce fait, être tenu pour la cause première de la régression
culturelle des peuples musulmans.

1
- Parmi les versets qui vont dans ce sens, nous pouvons citer le verset 114 de la sourate IV, les femmes, qui
dit :« Il n’y a rien de bon dans la plus grande partie de leur conversation secrète, sauf si l’un d’eux ordonne une
charité, une bonne action ou une conciliation (’aw işlāhin ) entre les gens»
2
-Cf. Coran sourate VII, verset 142.
Les perspectives modernistes du mouvement réformiste

1-La prise de conscience

Partant de ce principe coranique: « Dieu ne change pas la condition d'un peuple tant que celui-
ci ne change pas ce qui est en lui-même » (Coran :12:12) les échecs historiques du monde
musulman sont interprétés comme un avertissement, sinon comme un châtiment divin. Ce
verset qui est constamment cité par les réformistes implique, selon ces derniers, que l’ordre
tracé par Dieu se fonde sur des rapports de causes à effets, et le choix de la voie appartient à
l’homme en tant qu’être responsable. Le problème est donc de savoir comment la communauté
réintègrera à nouveau l’histoire.

La décadence n’est pas due à un déterminisme accablant. Pour évoluer et renaître, la


civilisation musulmane doit, selon les réformistes, ranimer les forces créatrices chez les
individus. L’avenir de la Umma n’est donc pas irrémédiablement condamné. Les possibilités
de la renaissance restent ouvertes

Les penseurs réformistes s'attacheront à réfuter l'idée que l'islam serait foncièrement
incompatible avec l'esprit scientifique. L'islam combat l'ignorance et les préjugés et préconise
la connaissance rationnelle du monde. L'islam dont le contenu révélé est transparent à la raison
et qui pousse explicitement l'homme à faire usage de sa raison pour connaître le monde et
améliorer sa vie, l'islam est par conséquent, le meilleur stimulant pour les sciences, et
l'élargissement des connaissances.

2-La volonté d'agir

La réformiste met volontiers l'accent sur la vocation libératrice de l'islam et sur


son éthique sociale foncièrement égalitaire. Elle proclame l'aptitude de l'islam à fournir aux
homme d'aujourd'hui des réponses là où les autres idéologies semblent désarmées face à la
montée des totalitarismes et devant la crise morale des sociétés dominées par la frénésie de la
production et de la consommation.

De façon unanime, chacun proclame qu'on ne saurait tenir l'islam pour responsable de la longue
stagnation et de l'apparente décadence du monde musulman.

Les maux actuels seraient, au contraire, imputables aux musulmans eux-mêmes


qui ont failli de vivre selon les principes de leur religion. Si ils ont perdu la prospérité matérielle
qui fut historiquement la leur, c'est précisément parce qu'ils négligèrent de respecter la Loi
divine. Lorsque les croyants vécurent selon les préceptes de la foi, qui encouragent la réflexion
et l'esprit critique, l'islam s'était affirmé comme le porte flambeau du progrès.

Les propositions générales avancées par les réformistes furent multiples: débarrasser la
pratique religieuse des superstitions et des cadres désuets accumulés au cours des siècles,
distinguer l'essentiel du secondaire afin de ne conserver que les dogmes réellement
fondamentaux, retourner, par la libre réflexion, aux sources du Coran et de la tradition
prophétique.3 Les réformistes n'ont pas hésité de réclamer la permission de l'effort personnel
(al-ijtihād) et le rejet de l'imitation des anciens (al-taqlīd).

CONCLUSION:

Comme nous pouvons le constater, le réformisme musulman est, en effet, un mouvement


complexe; mais il est un par sa structure et sa finalité. Son idée maîtresse est la suivante: la
doctrine musulmane, fondée sur ses sources traditionnelles, la Coran et la Sunna, n'a pas à
abdiquer devant les problèmes modernes. En renouant avec une tradition mieux comprise, on
peut en dégager les principes qui aideront à la solution des problèmes posés. L'islam peut et
doit s'intégrer dans le monde moderne. les réformistes se sont mis à interpréter l’islam en
l’actualisant, en l’adaptant aux situations nouvelles créées par la rencontre avec l’Occident.

3
- Cf. Marcel A. Boisard, L'Humanisme de l'islam, Albin Michel, Paris, 1979, p. 282-283

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