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Revue internationale de droit

comparé

M. Charfi, Islam et liberté. Le malentendu historique

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M. Charfi, Islam et liberté. Le malentendu historique. In: Revue internationale de droit comparé. Vol. 51 N°3, Juillet-septembre
1999. pp. 681-683;

https://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_1999_num_51_3_18268

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BIBLIOGRAPHIE 681

Si, nous l'avons dit, il ne pouvait être question d'étudier au fond ce projet,
il faut au moins souligner son importance considérable : préparé par des experts
de la plus haute qualité, inspiré d'un désir de souplesse joint au souci d'éviter
tout abus, il semble offrir au monde des affaires un instrument de travail susceptible
de rendre de grands services et, au surplus, de renforcer la cohésion européenne.
André TUNG

Mohamed CHARFI. — Islam et liberté. Le malentendu historique, Paris, Albin


Michel, 1999, 273 pages.

Voici un livre dont il faut souhaiter qu'il soit très largement lu, non seulement
par les juristes, mais par tous ceux qui veulent comprendre le monde dans lequel
ils vivent. Étant donné la place considérable qu'occupe l'islam dans le monde
contemporain, étant donné, d'autre part, la visibilité dans les médias des assassinats
commis « au nom de Dieu le clément, le miséricordieux», il est clair qu'il est
important de lire ce livre écrit par un musulman « modéré », un savant capable
d'une analyse rigoureuse, qui fait comprendre le malentendu tragique qui s'est
progressivement instauré, puis qui a conduit à la situation actuelle.
On accuse parfois les religions monothéistes de susciter le fanatisme. liest
vrai qu'elles ont toutes connu des franges extrémistes et parfois des périodes où
ces extrémistes ont occupé le devant de la scène ou même le pouvoir. L'islam
n'a pas plus que d'autres échappé à cette dérive — à cette trahison. Mais il est
essentiel de voir, comme nous y invite cet ouvrage, — comment cette dérive
s'est produite et quels efforts sont accomplis pour la corriger.
Que l'islam n'ait pas été plus que les autres religions exposé à l'extrémisme
et à l'obscurantisme, toute l'histoire en témoigne : Mohamed Charfï rappelle que
« l'un des facteurs essentiels de la Renaissance en Europe a été la découverte de
l'héritage grec et que cette découverte s'est faite grâce aux Arabes qui avaient
traduit et enrichi la philosophie et les sciences helléniques... À la fin du Moyen
Age, le mouvement de traduction scientifique, notamment en mathématiques^ en
astronomie, en médecine..., se faisait principalement de l'arabe vers le latin...
C'est Averroès qui a développé l'idée — pierre angulaire de toute la pensée
moderne — que la raison humaine avait un rôle essentiel à jouer à la fois à côté
des textes révélés et pour comprendre et interpréter ces textes »,
Dans l'islam, cependant, comme dans les autres religions, l'esprit d'ouverture
s'est souvent heurté au conservatisme^ dont on pourrait dire qu'il est naturel à
l'homme (faut-il rappeler que l'esclavage a trouvé des défenseurs, aussi bien dans
la chrétienté que dans l'islam ?). Ce qui fait peut-être la particularité de l'islam
à l'heure actuelle, c'est la place qu'il occupe dans la vie politique, parfois au
pouvoir, et la gravité, dans ce contexte, de la coupure entre «modérés» et
« extrémistes », les premiers sensibles aux droits de l'homme alors que les seconds
(auxquels l'auteur réserve le nom d'islamistes) se veulent aveuglément fidèles à
des règles élaborées dans un monde profondément différent du monde actuel.
C'est à cette opposition entre deux états d'esprit qu'est consacré le premier
chapitre de l'ouvrage. «Pour les musulmans, l'islam est une religion populaire
et tranquille. C'est d'abord une religion, en ce sens que c'est essentiellement une
croyance... Elle signifie simplement que la super-puissance qui a créé ce monde,
Dieu, a inspiré à Mohamed, un homme parmi les hommes, et qui a eu, comme
tous les hommes, des forces et des faiblesses, un message d'amour, d'égalité, de
fraternité et de paix. Cet homme a connu d'énormes difficultés, car il a été dénigré,
pourchassé par les siens, et a failli être tué ; alors, il s'est défendu. Mais, en
dehors de cette autodéfense, son message est fondamentalement un message de
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paix et de concorde. Ce message contient des obligations individuelles telles que


les prières, le jeûne, les interdits alimentaires, que chacun respectera ou ne
respectera pas, selon sa convenance et la profondeur de ses convictions.... Personne, ni
un individu, ni un groupe, ni l'État, ne peut dicter sa conduite personnelle à un
autre ». Quant aux rapports collectifs, écrit l'auteur, l'islam contient une morale,
une orientation générale... « C'est-à-dire que, pour l'élaboration des règles
juridiques, qui régiront la vie en société, ils (les musulmans) réfléchirons pour s'adapter
au mieux aux circonstances de leur temps. La démocratie, les règles du suffrage
universel et de la souveraineté populaire sont les plus appropriées pour désigner
et régir les instances qui élaboreront ce droit... Pour les islamistes,... ce n'est pas
Dieu qu'il faut adorer, mais une certaine « histoire »... une histoire déformée et
idéalisée à l'extrême. L'histoire de l'islam est celle d'une épopée manichéenne...
Cette lutte des forces du bien contre les forces du mal n'a jamais cessé ».
Nous avons cru nécessaire de procéder à cette longue citation, parce qu'elle
nous semble exprimer l'essentiel du « malentendu historique » sur lequel Mohamed
Charfi entend faire la lumière. Sa démonstration se poursuit en deux chapitres.
Le premier concerne les rapports de l'islam et du droit (une question à
laquelle l'auteur a longuement réfléchi, puisqu' après son succès au concours
d'agrégation en France, il a enseigné le droit à la Faculté des sciences juridiques
de Tunis). Malgré les divisions au sein même de l'islam, on peut parler d'un
droit musulman. Dans certains domaines (le contrat de vente ou celui de location,
par exemple), ce droit n'a rien de bien particulier. Dans d'autres domaines, il
présente au contraire une originalité marquée. L'auteur examine l'attitude des
islamistes à l'égard de ces règles et, à cet égard, les répartit en trois catégories.
Il y a des règles que l'on oublie sans même y faire attention, notamment en droit
foncier. Il y a des règles que les islamistes veulent pour la plupart faire oublier,
parce qu'elles semblent aujourd'hui choquantes : ce sont toutes celles qui régissent
l'esclavage, dans ses causes comme dans les pouvoirs qu'il donne au maître. En
revanche, il y a des règles auxquelles les islamistes sont très attachés — au point
de les rétablir dans la législation lorsqu'ils prennent le pouvoir dans un pays :
ce sont les règles de discrimination antiféministe, un droit pénal inhumain, et le
refus de la liberté de conscience en dépit de la parole relatée dans le Coran:
« point de contrainte en matière de religion ». Ce sont là des domaines que l'auteur
étudie assez longuement, pour montrer les limites des règles ou, parfois, leurs
faiblesses.
Le chapitre suivant est consacré aux rapports de l'islam et de l'État. Les
intégristes veulent restaurer un « État islamique ». Mohamed Charfi cite le Coran
lui-même en exergue de son étude : « Rappelle ! Tu n'es là que pour rappeler la
parole de Dieu. Tu n'as aucune autorité contraignante à exercer sur eux». Les
islamistes voudraient restaurer le califat, c'est-à-dire un régime où un chef religieux,
considéré comme lieutenant de Dieu (c'est le sens du mot calife), exerce le pouvoir
temporel aussi bien que le spirituel. La encore, une étude attentive et objective
de l'histoire condamne cette prétention. Elle condamne également la notion de
gihad dans la mesure où il ne s'agit pas d'une guerre purement défensive. Une
fois de plus, d'ailleurs, l'islam n'est pas la seule religion monothéiste à avoir
connu cette déviation : judaïsme et christianisme ont connu des mésaventures
semblables.
On ne peut reprendre ici l'auteur dans le détail de sa démonstration,
remarquablement précise, savante et éclairante. Il faut pourtant souligner encore l'importance
d'un dernier chapitre, assez différent de ceux qui le précède, puisqu'il s'intitule
«Éducation et modernité». L'auteur, qui a été pendant cinq ans ministre de
l'éducation et des sciences, y expose les leçons qu'il a pu dégager de son
observation de l'école et de l'exercice de ses fonctions. Musulman lui-même, il prône
un enseignement complètement libéré des règles islamistes et ouvert sur la seule
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matière enseignée et les valeurs de droits de l'homme proclamées dans le monde


moderne. La culture doit connaître la même libération. « La politique culturelle
devrait être orientée vers une entière liberté de création, un plus grand encourager
ment des créateurs et davantage d'ouverture vers la culture universelle».
En conclusion, Mohamed Charfi répète que « l'islam est une religion, non
une politique, une question de conscience et non d'appartenance, un acte de foi
et non de force... La paix et la concorde régneront entre les personnes et entre
les peuplés quand nous aurons clairement séparé politique et religion et lorsque
nous aurons enseigné les fondements de cette séparation à nos enfants ».
Ce compte rendu sommaire permet, nous l'espérons, de mesurer l'importance
de l'ouvrage. Celui-ci est un acte de foi, mais un acte de foi fondé sur une étude
très attentive des textes fondateurs et de l'histoire, un appel à un retour intelligent
à la fidélité. Il permet à la fois de mieux comprendre le présent et d'espérer un
avenir plus lumineux.
André TUNC

C. CHAUZU. — Le risque dépendance des personnes âgées, Aix-en-Provence,


Presses universitaires d'Aix-Marseille, 1998, 190 pages.

La condition humaine est telle qu'il n'y a jamais de véritable bonne nouvelle
qui ne soit accompagnée de son revers. Il en est ainsi de l'extraordinaire progrès de
la longévité; au moins dans les sociétés développées, qui produit un accroissement
corrélatif dû risque de dépendance. Le terme même de dépendance est assez peu
juridique et traduit plutôt une situation de fait mais, déjà envisagé dans plusieurs
études antérieures, il pourrait bien s'acclimater avec la loi de 1997 sur la prestation
dépendance.
Alors même que le risque de devenir dépendant était occulté par le risque
autrement pregnant de mourir, lequel donnait aux dispositions à cause de mort
et aux assurances du même risque une importance considérable, c'est le risque
de vie qui pourrait donc dans les années 2000 devenir essentiel, modifiant ainsi
tout un pan du droit privé.
À ce risque il n'y a guère que deux réponses assez traditionnelles, une réponse
collective qui consiste à faire supporter par l'ensemble des citoyens le poids d'une
vieillesse qui devient un devoir national, une réponse plus individuelle qui consiste
à faire appel à la prévoyance de chacun à travers la technique de l'assurance.
C'est l'étude de ces réponses qui a tenté Mme Céline Chauzu et elle y consacre
donc un ouvrage intitulé « Le risque dépendance des personnes âgées » avec une
préface de M. Henri de Barbarin, président du Syndicat Méditerranéen des
Courtiers en Assurances, publié aux Presses universitaires d'Aix-Marseille.
L'ouvrage est précieux en ce qu'il met en face les deux dispositifs concevables,
l'un faisant appel à l'aide sanitaire et sociale aux personnes âgées et à la prestation
dépendance de la loi du 24 janvier 1997 — que l'auteur propose déjà d'améliorer
— l'autre décrivant la réponse assurancielle (sic) au problème de la dépendance.
L'ouvrage d'environ 190 pages, dont 60 pages d'annexés intéressantes, comporte
notamment des aperçus de droit comparé tout à fait précieux.
C'est surtout la partie qui décrit le recours à l'assurance individuelle ou
collective qui retiendra l'attention car elle conduit à mettre l'accent sur les
difficultés de mise au point du « produit » dont la moindre n'est pas la définition du
risque assuré lui-même et la combinaison avec le dispositif public. L'auteur ne
doute toutefois à aucun moment que le besoin existe mais elle estime que « le
public n'en a pas encore conscience ». Elle suggère également, ce qui n'est pas
le moins intéressant, de revoir en partie la stratégie des assureurs qui pourrait

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