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Contrat

AJ Contrat - mensuel - avril 2020 - pages 157 à 204 - no 4

A CTUALITÉ J URIDIQUE C ONTRAT

Dossier

163 Covid-19 et contrat


157 Lex epidemia

160 Une ordonnance pour protéger


les professionnels du tourisme

201 Gérant de succursale : l’absurde et l’improbable


Daniel Mainguy
ref : 732004
9 782997 32004 0

Version numérique incluse*


N° 4 - Avril 2020 Sommaire
158

157 Éditorial 160 Au fil du mois

163 Dossier Covid-19 et contrat


De l’urgence à l’imprévu du Covid-19 : quelle boîte à outils contractuels ?
par Mustapha Mekki.................................................................................................................................................164

L’impact du Covid-19 sur les contrats commerciaux


par Roland Ziadé et Claudia Cavicchioli............................................................................................................ 176

Observations sur l’impact du Covid-19


en droit bancaire et financier
par Kevin Magnier-Merran..................................................................................................................................... 183

Covid-19 et contrat public


par Jean-David Dreyfus.......................................................................................................................................... 187

Coronavirus et contrat de travail


par Grégoire Duchange.......................................................................................................................................... 191

Covid-19 et bail commercial


par Sébastien Regnault........................................................................................................................................... 193

Les organisateurs sportifs et le coronavirus


par Frédéric Buy........................................................................................................................................................198

201 Jurisprudence
COM. 12 FÉVR. 2020, N° 18-10.790, FP-P+B+R
Gérant de succursale : l’absurde et l’improbable
par Daniel Mainguy.................................................................................................................................................................................... 201

AJ Contrat Avril 2020


Index N° 4 - Avril 2020
159

BANQUE ET CRÉDIT Covid-19

n Garantie de l’État............................................................................ 183

CONSOMMATION Covid-19

n Prestation touristique..................................................................... 160

CONTRATS PARTICULIERS Covid-19

Dossier n Bail commercial.............................................................................. 193

Dossier n Contrat sportif................................................................................ 198

Dossier n Contrat de travail............................................................................ 191

CONTRAT PUBLIC Covid-19

Dossier n Force majeure................................................................................. 187

DISTRIBUTION Gérant de succursale

Arrêt du mois n Statut............................................................................................... 201

DROIT COMMUN DES CONTRATS Covid-19

Dossier n Contrat commercial........................................................................ 176

Éditorial n Lex epidemia................................................................................... 157

Dossier n Urgence........................................................................................... 164

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Avril 2020 AJ Contrat


163
Dossier

Covid-19 et contrat
De l’urgence à l’imprévu du Covid-19 : Le monde vit actuellement dans une profonde incertitude scientifique,
quelle boîte à outils contractuels ? sanitaire et économique. Face à cette « guerre » menée contre le
Mustapha Mekki................................... 164 Covid-19, une même arme est à la disposition de tous les pays frappés
par cette pandémie : le droit. Mais quel droit ? La crise que nous tra-
L’impact du Covid-19 sur les contrats versons actuellement plonge, en effet, de nombreux opérateurs éco-
commerciaux nomiques dans le désarroi, lesquels, privés d’activité, se trouvent dans
Roland Ziadé et Claudia Cavicchioli.... 176 l’impossibilité d’exécuter leurs obligations contractuelles. Le respect de
la sacro-sainte règle Pacta sunt servanda s’avère intenable. Dans ces
Observations sur l’impact du Covid-19 conditions, il est toujours loisible de mobiliser le droit commun, qui reste
en droit bancaire et financier en principe applicable. Les débiteurs aux abois seront ainsi tentés, entre
Kevin Magnier-Merran....................... 183 autres, d’ouvrir le parapluie de l’imprévision ou de la force majeure. Mais
ce droit commun se révèle largement inadapté, notamment parce que
Covid-19 et contrat public sa mise en œuvre passe généralement par le recours au juge et au pro-
Jean-David Dreyfus............................ 187 cès. Or, le procès a besoin d’un temps long et les standards juridiques du
droit des contrats rendent la décision du juge parfois peu prévisible. D’où
Coronavirus et contrat de travail
la mise en place par les pouvoirs publics et en un temps record d’un droit
Grégoire Duchange.............................191 dérogatoire destiné à gérer l’urgence pendant une durée déterminée –
Covid-19 et bail commercial celle de l’« État d’urgence sanitaire » et de sa sortie – qui se superpose
au droit commun en vigueur. Ce droit dérogatoire et optionnel – cette
Sébastien Regnault............................. 193
véritable Lex epidemia – comprend un grand nombre d’ordonnances
Les organisateurs sportifs et le qui irriguent de multiples branches du droit, tels le droit du travail et le
coronavirus droit de la commande publique. Les auteurs de l’AJ contrat ont relevé
Frédéric Buy......................................... 198 le défi de le commenter dans l’urgence au sein de ce dossier tout à fait
exceptionnel. « À législation d’urgence, doctrine d’urgence » 1. Qu’ils en
soient chaleureusement remerciés !

(1) Selon l’heureuse formule de Grégoire Duchange, « Coronavirus et contrat de travail », AJ contrat 2020.
190, spéc. p. 191.

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Covid-19 et contrat Dossier
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De l’urgence à l’imprévu du Covid-19 :


quelle boîte à outils contractuels ?
par Mustapha Mekki
Agrégé des Facultés de droit, professeur à l’Université Sorbonne Paris Cité, co-directeur de l’IRDA, directeur général de
l’INFN

Le droit face à la crise sanitaire. Le monde vit actuellement dans tif, destiné à engager un dialogue avec les autorités
une profonde incertitude scientifique, sanitaire et économique. publiques afin qu’elles nous éclairent sur le sens de
Face à cette « guerre » menée contre le Covid-19, une même arme certains textes et, parfois, consentent à corriger cer-
est à la disposition de tous les pays frappés par cette pandémie : le taines dispositions. Cette consultation-concertation
droit. Le doyen Carbonnier avait depuis longtemps magistralement avec les destinataires de la règle, après l’élaboration
expliqué de quelle manière un droit bien pensé et bien formulé de- des textes, est un exercice nouveau que seule l’ur-
venait la principale source de sécurité dans un océan de doute. Ce- gence justifie. Le temps de la démocratie participa-
pendant, comme le faisait à juste titre remarquer un auteur, « il faut tive n’a pas de règles et peut être garanti après coup.
du génie pour penser les lois, il faut de l’art pour les formuler ». Une fois porté ce regard rétrospectif, il faut déjà pen-
Face à l’urgence du Covid-19, de nombreuses mesures d’ordre ser à demain, à l’après-confinement, à la période
public et sanitaire ont été prises. De nombreux arrêtés, depuis le post-état d’urgence. Cette perspective, au-delà de
4 mars 2020, ont interdit les rassemblements de plus de 5 000 per- l’ordonnance du 25 mars 2020 mais par l’ordonnance
sonnes dans des lieux clos, puis 1 000, puis 50. Certains autres ont du 25 mars 2020, doit permettre aux acteurs écono-
interdit l’ouverture des commerces qui n’étaient pas essentiels et miques et à leurs conseils de saisir les opportunités
indispensables. Certains marchés ont été fermés, selon les villes juridiques que leur offre le droit des obligations. Le
et les régions. Un confinement a finalement été décidé par le dé- régime dérogatoire et optionnel proposé par l’ordon-
cret no 2020-260 du 16 mars 2020 1 qui impose le confinement total nance relative au report des délais ne se substitue
à partir du 17 mars 2020. L’aboutissement de toutes ces mesures pas au droit existant. Il s’y superpose. Il convient ain-
est la loi no 2020-290 du 23 mars 2020 2, loi d’urgence pour faire si de rappeler aux parties qu’au sein de leur boîte
face à l’épidémie de Covid-19, qui fixe le début de l’état d’urgence à outils contractuels, elles trouveront d’abord des
au 12 mars et qui devrait prendre fin dans les deux mois de son moyens pour gérer l’urgence. Pour la période post-
entrée en vigueur. Cette loi, étant exceptionnellement d’applica- état d’urgence, elles trouveront également des outils
tion immédiate, est entrée en vigueur le jour de sa publication soit leur permettant de gérer les effets de l’imprévu.
le 24 mars 3. L’état d’urgence doit en principe, sauf modifications, Cette démarche en deux temps devrait permettre
prendre fin le 24 mai. Cette loi a été suivie de plusieurs ordon- aux principales personnes affectées par les consé-
nances. L’une d’entre elles nous intéressera plus que les autres. quences de la pandémie et du confinement de gérer
C’est l’ordonnance no 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la pro- au mieux cette situation de crise. Ils ont à leur dispo-
rogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire sition des outils permettant de gérer l’urgence et des
et à l’adaptation des procédures pendant cette même période 4, qui outils permettant de gérer l’imprévu.
est accompagnée du rapport remis au président de la République
le 25 mars 2020 5, le tout accompagné d’une circulaire du 26 mars
■■ Gérer l’urgence
2020 6 éclairant sur le sens de certaines dispositions.
Des ordonnances à la loi de ratification : une démocratie parti-
cipative inversée. L’art de la formulation des textes législatifs est
plus complexe encore lorsque l’urgence ne laisse pas le temps à Un régime dérogatoire et optionnel. Se superpose
la réflexion. Il faut féliciter cependant le législateur d’avoir en un au droit commun en vigueur un droit dérogatoire
temps record produit un très grand nombre de textes qui, « sans destiné à gérer l’urgence pendant une durée déter-
faire dans la dentelle », englobent de nombreuses hypothèses qui minée. Ce droit dérogatoire et optionnel comprend
devront pour la plupart accorder aux acteurs économiques un peu un grand nombre d’ordonnances. Seule celle relative
de répit avant d’être confrontés aux conséquences économiques au report des délais importe ici car c’est elle qui a
et sociales du confinement. Malgré l’importance du travail fourni le plus d’incidences sur les relations contractuelles.
par les autorités publiques en situation d’urgence sanitaire, le texte
pèche sur certains aspects tant dans la forme que dans le fond. Les
dispositions ne sont pas toujours rédigées avec une grande clarté, (1) JO 17 mars, texte no 2.
ce qui rejaillit sur le fond. Des doutes naissent corrélativement sur (2) JO 24 mars, texte no 2.
le champ d’application de certaines d’entre elles. La loi de ratifica- (3) L’article 22 de la loi dispose que « la présente loi entrera en vigueur
immédiatement et sera exécutée comme loi de l’État ». Une telle
tion qui doit être déposée au Parlement avant le 26 mai 2020 devrait formule laisse entendre qu’exceptionnellement l’entrée en vigueur
permettre de compléter et corriger ces premiers textes. n’est pas le lendemain de sa publication.
Cruel est le regard rétrospectif sur un texte élaboré et voté dans (4) JO 26 mars, texte no 9.
l’urgence. Il est toujours facile de critiquer un texte élaboré dans (5) Rapport au président de la République relatif à l’ordonnance
no 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais
de telles circonstances. C’est la raison pour laquelle, dans cette
échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des
période où la solidarité et la bienveillance doivent guider nos actes procédures pendant cette même période, JO 26 mars, texte no 8.
et nos pensées, nous avons plutôt fait le choix d’un texte participa- (6) www.justice.gouv.fr/bo/2020/20200326/JUSD2008571C.pdf

AJ Contrat Avril 2020


Dossier Covid-19 et contrat
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Avant de décortiquer le contenu de cette ordon- 26 mars 2020 qualifie de « période juridiquement protégée » (PJP).
nance, qui est la première étape à suivre pour tous Elle se situe entre le 12 mars et le mois qui suit la fin de l’état d’ur-
les acteurs économiques et leurs conseils pour ap- gence, soit pour l’instant le 24 juin à minuit. Cette période de réfé-
préhender pleinement leurs relations contractuelles rence, cette PJP, va servir de toile de fond à l’ensemble des disposi-
perturbées par la crise sanitaire, il faut rappeler la tions de cette ordonnance.
raison d’être de cette ordonnance. Son objet n’est Une fois cette toile de fond clarifiée, il est possible de classer les
pas de se substituer au droit existant. Le report des mesures proposées au sein de l’ordonnance en deux catégories :
délais et de l’effet de certaines mesures, clauses ou certaines se rapportent aux délais légaux en général et d’autres
actes juridiques n’est pas un droit qui se substitue au visent plus spécifiquement des mesures, clauses et conventions.
droit existant mais qui se superpose au droit norma-
lement applicable. En d’autres termes, les acteurs
économiques ne sont pas obligés de se soumettre
Gérer le report des délais dans l’urgence
à ce régime dérogatoire de report des délais. Ils
peuvent continuer à user du droit « normalement » L’ordonnance du 25 mars 2020 met en place un régime original de
applicable sans profiter des délais accordés par l’or- report des délais. Le titre de l’ordonnance le confirme, traitant de la
donnance. C’est en ce sens qu’il faut comprendre le « prorogation des délais échus ». Il n’est jamais réellement ques-

Dossier
rapport remis au président de la République lorsqu’il tion d’interruption ou de suspension, mais plutôt d’un report des
affirme que « l’ordonnance ne prévoit pas de sup- délais qui emprunte tantôt au régime de l’interruption (délai qui re-
primer la réalisation de tout acte ou formalité dont part à zéro), tantôt au régime de suspension (le délai reprend là où
le terme échoit dans la période visée ; elle permet il a été suspendu). Deux principales dispositions doivent être ana-
simplement de considérer comme n’étant pas tardif lysées. L’article 2 sur le report des délais légaux et réglementaires
l’acte réalisé dans le délai supplémentaire imparti ». qui expirent pendant la période juridiquement protégée et l’article 7
La circulaire du 26 mars 2020 ajoute en ce sens que qui porte plus spécifiquement sur les décisions, accords ou avis des
« l’ordonnance ne prévoit ni une suspension géné- personnes publiques ou assimilées.
rale ni une interruption générale des délais arrivés
à terme pendant la période juridiquement protégée L’article 2 de l’ordonnance relatif aux délais légaux
définie à l’article 1er, ni une suppression de l’obliga- et réglementaires
tion de réaliser tous les actes ou formalités dont le
terme échoit dans la période visée ». La circulaire Un mécanisme sui generis de re-
complète en soulignant que « l’effet de l’article 2 de port des délais. L’article 2 consti- L’ordonnance du 25 mars
l’ordonnance est d’interdire que l’acte intervenu dans tue le pilier de cette ordonnance 2020 met en place un régime
le nouveau délai imparti puisse être regardé comme en traitant de tous les délais lé- original de report des délais.
tardif ». gaux ou réglementaires dont le Il n’est jamais réellement
Les parties peuvent à ce titre ne pas vouloir béné- terme échoit entre le 12 mars question d’interruption ou
ficier des reports que ce régime dérogatoire et op- 2020 et le 24 juin 2020, c’est-à- de suspension, mais plutôt
tionnel leur offre, pour préférer respecter le cours dire pendant la période juridique- d’un report des délais qui
normal des choses et appliquer le droit en vigueur ment protégée. Selon cet article : emprunte tantôt au régime de
et les délais initialement prévus par la loi. Nous ver- « Tout acte, recours, action en l’interruption (délai qui repart
rons cependant que les refus ou les acceptations de- justice, formalité, inscription, dé- à zéro), tantôt au régime de
vraient, pendant la période de référence, faire l’objet claration, notification ou publica- suspension (le délai reprend là
d’une formalisation. Lorsque le bénéficiaire d’un tion prescrit par la loi ou le règle- où il a été suspendu)
droit de rétractation ou celui à qui est adressée une ment à peine de nullité, sanction,
notification afin de faire valoir un droit de préemp- caducité, forclusion, prescription,
tion garde le silence au-delà du délai imparti, il vaut inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office,
mieux obtenir de lui un refus formel de se prévaloir application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un
de ce droit, accompagné d’une clause de conseil droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période
donné. Une clause expresse permet d’éviter de mau- mentionnée à l’article 1er sera réputé avoir été fait à temps s’il a été
vaises surprises et de réduire les risques d’un com- effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de
portement déloyal. cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite
Un régime provisoire. Il convient à titre préliminaire de deux mois. Il en est de même de tout paiement prescrit par la loi
encore de déterminer le champ d’application tem- ou le règlement en vue de l’acquisition ou de la conservation d’un
porel d’un régime qui n’a pas pour objectif de durer. droit ». Ainsi, un délai légal qui aurait expiré entre le 12 mars et
C’est un régime dérogatoire, optionnel et provisoire. le 24 juin 2020, s’il n’est pas respecté, est reporté au 24 juin sans
Ce régime n’a vocation à produire ses effets que pen- pouvoir dépasser le délai butoir de deux mois, soit le 24 août 2020.
dant une période déterminée par l’article 1er de l’or- L’article 2 n’est ni une interruption, ni une suspension. Telle est la
donnance. L’article 1er va déterminer deux périodes. précision apportée par la circulaire du 26 mars 2020. Pourtant, un
La première période est celle de l’état d’urgence. La délai qui aurait dû expirer pendant la période de référence et dont le
loi du 23 mars 2020 faisant naître l’état d’urgence a court repart dans son intégralité au 24 juin 2020, fin de la période de
été publiée le 24 mars 2020. Elle est exceptionnel- référence, ressemble étrangement à une interruption. C’est sou-
lement d’application immédiate. Selon la loi, l’état vent l’effet produit par ce report. Pourquoi dans ce cas apporter une
d’urgence se situe entre le 12 mars 2020 et une pé- telle précision et opter pour un mécanisme sui generis ? Pour la
riode de deux mois qui suit l’entrée en vigueur de la raison évoquée plus haut : il ne s’agit pas d’un report général de
loi. Cette entrée en vigueur étant fixée au 24 mars tous les délais. Il s’agit d’offrir la possibilité à ceux qui le souhaitent
2020, l’état d’urgence devrait prendre fin le 24 mai à et dont les délais arrivent à terme pendant la période de référence
minuit, sauf modifications ultérieures. Cette période de ne pas souffrir des sanctions y afférentes et de pouvoir bénéficier
de l’état d’urgence doit être distinguée de la période d’un temps supplémentaire exceptionnel. Mais ce temps exception-
d’urgence, période de référence que la circulaire du nel est aussi optionnel car les parties peuvent poursuivre selon le

Avril 2020 AJ Contrat


Covid-19 et contrat Dossier
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régime normal, et suivre le cours normal des délais initialement (nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription,
prévus par la loi. Selon la circulaire du 26 mars 2020, « l’effet de inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désiste-
l’article 2 de l’ordonnance est d’interdire que l’acte intervenu dans ment d’office, application d’un régime particulier,
le nouveau délai imparti puisse être regardé comme tardif. Ainsi, non avenu ou déchéance d’un droit), la loi propose
alors même qu’il est réalisé après la date ou le terme initialement une « interruption-report » du délai. Ce délai recom-
prévu, l’acte peut, en vertu de l’article 2 de l’ordonnance, être ré- mencera à courir dès son origine (« délai légalement
gulièrement effectué avant l’expiration d’un nouveau délai égal au imparti pour agir »), dans le mois qui suit la fin de
délai qui était initialement imparti par la loi ou le règlement, lequel l’état d’urgence (24 juin), sans pouvoir dépasser un
recommence à courir à compter de la fin de la période juridique- délai maximum de deux mois (24 août). Tous les
ment protégée définie à l’article 1er (c’est-à-dire à l’issue de la pé- délais légaux et réglementaires sont visés, sans ex-
riode d’état d’urgence sanitaire augmentée d’un mois) ». ception, dès lors qu’ils arrivent à terme pendant la
Le champ d’application de l’article 2. Le texte ne concerne que les période juridiquement protégée, terme qui entraîne-
seuls délais légaux et réglementaires. Avant d’en fournir quelques rait une « sanction », notion balai permettant, en cas
illustrations et de s’attarder sur certains cas douteux, il est utile de besoin, d’intégrer de nombreux cas au dispositif
d’identifier ceux qui sont exclus de son champ d’action. dérogatoire. Notons enfin que ces conséquences in-
Les hypothèses exclues du champ de l’article 2. Selon le rapport terviennent « à peine de », ce qui devrait avoir une
remis au président de la République du 25 mars 2020, « la précision incidence sur le champ d’application de l’article 2.
selon laquelle sont concernés par les dispositions de cet article les En présence d’un délai de prescription, par exemple,
actes “prescrits par la loi ou le règlement” exclut les actes prévus qui expire pendant la période de référence, entre le
par des stipulations contractuelles ». Les délais conventionnels ne 12 mars et le 24 juin 2020, le délai de cinq ans 12 cesse
sont donc pas concernés par cette disposition, ce que confirme la de courir à partir du 12 mars. Sans repartir à zéro,
circulaire du 26 mars 2020 qui donne pour exemple le délai d’option comme le ferait un cas classique d’interruption, le
dans une promesse unilatérale de vente. Le rapport ajoute que « le délai repart au 24 juin et ne peut excéder la date du
paiement des obligations contractuelles doit toujours avoir lieu à 24 août à minuit 13. Prenons l’exemple d’une créance
la date prévue par le contrat ». Souvent, le délai d’exécution d’une contractuelle née le 15 avril 2015 dont le délai ex-
obligation fait corps avec l’obligation y afférente. La condition sus- pire le 15 avril 2020. L’article 2 fait repartir un délai
pensive doit être réalisée avant l’expiration d’un certain délai. Le à partir du 24 juin qui ne peut excéder deux mois.
respect de ce délai conditionne l’efficacité de la condition. Pour tous Le créancier aura jusqu’au 24 août pour faire valoir
ces délais, le rapport remis au président de la République renvoie ses droits. Dans un autre cas de figure, un délai de
au droit commun, à savoir l’article 2234 du code civil 7, qui prévoit rétractation de dix jours est accordé par l’article
que la prescription ne court pas ou est suspendue, quand on est L. 271-1 du code de la construction et de l’habitation
empêché d’agir par l’effet de la loi, d’une convention ou d’un cas à l’acquéreur non professionnel d’un bien à usage
de force majeure. Le rapport propose également de se référer à d’habitation. Si le délai a commencé à courir avant le
la force majeure qui permet de suspendre ses obligations en cas 10 mars et qu’il expire le 20 mars, l’article 2 permet,
d’empêchement provisoire ou d’obtenir la résolution du contrat en en cas de besoin, de bénéficier d’un report qui s’ap-
cas d’empêchement définitif 8. Les autres remèdes devraient pou- parente ici davantage à une interruption. Le délai de
voir être sollicités 9. dix jours repart au 24 juin 2020. Le droit de rétracta-
Sont exclus, ce que confirme la lecture du rapport, les termes tion, à la lecture des termes généraux de l’article 2 et
échus avant le 12 mars et ceux dont le terme ne sera pas échu de la volonté du législateur d’englober le plus grand
avant le 24 juin, qui ne bénéficieront d’aucune suspension ni d’au- nombre de cas, peut être intégré à l’article 2. Cepen-
cun report 10. Si une promesse unilatérale de vente sous signature dant, le doute existe car l’expiration du délai de dix
privée portant sur un bien immobilier ou un fonds de commerce est jours n’entraîne pas à proprement parler une sanc-
conclue le 20 juin et qu’elle doit être enregistrée à peine de nullité tion du bénéficiaire du droit. Le délai n’est pas accor-
absolue dans les dix jours, soit avant le 30 juin 2020, aucun report dé « à peine de ». Dans le doute, il faut considérer,
ne sera accordé. La date butoir reste le 30 juin. Dans le même es- du moins pour le moment, que ce droit fait partie du
prit, si un nantissement sur un fonds de commerce est constitué champ d’application.
le 10 février et doit être inscrit à peine de nullité avant l’expiration Pour dernière illustration, tous les délais relatifs aux
d’un délai de trente jours, l’opération est nulle au 10 mars, sans droits de préemption privés entrent dans le champ
report possible au fondement de l’article 2. de cette disposition. On imagine par exemple la no-
Sont en outre exclues les obligations financières et garanties af- tification d’un droit de préemption le 12 février 2020
férentes à la compensation et à la cession de créances visées aux au profit d’un locataire après un congé pour vendre.
articles L. 211-36 et suivants du code monétaire et financier et les La notification de l’offre de vente vaut pendant deux
conventions conclues dans le cadre d’un système de paiement ou mois. Au 12 mars, le délai écoulé est d’un mois. Ce
de règlement et de livraison d’instruments financiers visé à l’article
L. 330-1 du même code.
(7) Et non à l’article 2224 du code civil référence erronée dans le
Enfin, le report des formalités déclaratives ne s’applique pas aux rapport.
déclarations servant à l’imposition et à l’assiette, à la liquidation et (8) C. civ., art. 1218.
au recouvrement des impôts et taxes 11 car, selon le rapport remis (9) C. civ., art. 1217 s. ; V. infra.
au président de la République, il faut « préserver le recouvrement (10) « Les délais dont le terme est échu avant le 12 mars 2020 : leur
des recettes publiques nécessaires au fonctionnement des services terme n’est pas reporté ; les délais dont le terme est fixé au-delà du
mois suivant la date de la cessation de l’état d’urgence sanitaire : ces
publics et au soutien de l’économie ». délais ne sont ni suspendus, ni prorogés. »
Les hypothèses incluses dans le champ de l’article 2. Pour les (11) Ord. du 25 mars 2020, art. 10, II.
délais légaux et réglementaires afférents à un acte, un recours, (12) C. civ., art. 2224.
une action en justice, une formalité, une inscription, une déclara- (13) Sur le délai butoir de l’article
2232 du code civil, J.-D. Pellier,
tion, une notification ou encore une publication, qui viendraient à « Ordonnance no 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des
délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation
échéance pendant la période de référence qui pourraient entraî- des procédures pendant cette même période : et le délai butoir ? »,
ner la disparition d’un acte, la perte d’un droit ou d’un avantage D. 2020, à paraître.

AJ Contrat Avril 2020


Dossier Covid-19 et contrat
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délai bénéficie du « report » de l’article 2. Il repren- d’être. Imaginons un compromis sous signature privée conclu le
dra au 24 juin pour sa durée initiale légale pour une 24 février. Il deviendrait caduc le 24 août. Dans cette hypothèse, le
durée de deux mois, jusqu’au 24 août, qui constitue délai suit son cours normal et aucun report n’est accordé. Selon
dans tous les cas une date butoir. La même hésita- l’article 2, tout délai qui vient à expirer après la « période juridique-
tion existe cependant pour ces droits de préemption ment protégée » (24 juin) n’est pas impacté par le régime déroga-
car on peut se demander si l’expiration du délai pour toire optionnel.
accepter est réellement accordée « à peine » d’une Les zones d’ombre. Le texte a été voté dans l’urgence et une loi
sanction. Dans le doute et au regard de la volonté du de ratification doit permettre de corriger les imperfections. Moins
législateur d’englober le plus largement possible qu’une imperfection, ce sont des interrogations qui subsistent car
d’hypothèses, il faut considérer que ce droit entre si la lettre a un champ d’application relativement large, l’esprit de
dans les prévisions de l’article 2, en attendant plus l’article 2 pourrait justifier l’exclusion de certains délais légaux.
de précision dans la loi de ratification. Interrogations. Si on parvient à comprendre la logique de cette in-
Sans aucune distinction entre les délais, incluant no- terruption originale de délais, plusieurs questions restent en sus-
tamment les délais de prescription et de forclusion, pens, qui s’ajoutent aux doutes émis précédemment. Le report du
les exemples sont à vrai dire légion. Parmi les autres délai n’a pas été qualifié d’interruption pour ne pas laisser penser
exemples, on peut inclure dans les prévisions de l’ar- que toute l’activité serait désormais figée jusqu’au 24 juin. L’ordon-

Dossier
ticle 2, sans exhaustivité : nance accorde, à ceux qui le veulent et à ceux qui en ont besoin, un
■■ le délai légal de rétractation en matière immobi- régime dérogatoire avec des délais supplémentaires. Rien n’inter-
lière 14 ou en droit de la consommation ; dit aux parties de s’exécuter dans le respect du droit en vigueur,
■■ le délai légal d’acceptation pour les droits de du droit « normalement » applicable, sans bénéficier des reports
préemption privés 15 ; accordés par le législateur. Si les parties peuvent ne pas solliciter
■■ le délai légal pour réaliser la vente (par ex. délai ce régime dérogatoire et donc optionnel, il faut obtenir d’elles une
de quatre mois pour la réalisation de la vente après renonciation expresse au bénéfice de l’article 2, en accompagnant
acceptation de l’offre 16) cette renonciation d’une clause de conseil donné. Par exemple, les
■■ l’obligation d’information légale avant un certain parties peuvent renoncer, pour un délai de rétractation arrivant
délai (par ex. dans le cadre d’un cautionnement au à terme pendant la période juridiquement protégée, à son « re-
31 mars de chaque année : report dans les deux mois port-interruption » et lui faire produire tous ses effets pendant la-
qui suivent le 24 juin 2020 17) ; dite période.
■■ les délais de recours en matière d’urbanisme ; Une première série de délais in-
■■ l’action en contestation d’une assemblée de copro- terroge. Est-ce que les délais lé- Est-ce que les délais légaux
priétaires 18 ; gaux de réflexion sont concernés de réflexion sont concernés
■■ le délai pour enregistrer un droit à peine de nulli- par le dispositif ? Le délai légal par le dispositif ? Le délai
té, report dans les deux mois qui suivent le 24 juin pour accepter une offre de prêt légal pour accepter une offre
2020 19 ; est un délai destiné à protéger de prêt est un délai destiné
■■ le délai d’exercice de l’option successorale
20
; l’emprunteur non professionnel. à protéger l’emprunteur non
■■ les inscriptions aux fins de publicité à peine d’ino- Le délai pour accepter un projet professionnel. Le délai pour
pposabilité ; de vente immobilière (loi SRU) est accepter un projet de vente
■■ les obligations de déclaration ou de publicité des de même nature. Dans le même immobilière (loi SRU) est de
commerçants ; esprit, un délai de réflexion est même nature
■■ le délai d’inscription d’une sûreté réelle (par ex. accordé à l’acquéreur dans une
nantissement sur un fonds de commerce constitué vente en l’état futur d’achève-
le 10 février 2020 inscrit dans les trente jours à peine ment avant signature de l’acte authentique. Peut-on analyser l’ex-
de nullité, report : 30 jours à partir du 24 juin 2020 21) ; piration de ces délais pendant la période de référence comme en-
■■ l’inscription d’un privilège du vendeur, du prêteur traînant la privation d’un droit ou la disparition d’un acte au sens
de deniers, du copartageant (dépôt de bordereau de l’article 2 de l’ordonnance ? L’hésitation est permise car l’esprit
dans les deux mois de l’acte à peine de perdre la de l’article 2 n’est pas en ce sens. Il s’agit de priver d’effets des
prise de rang rétroactive) ; actes ou formalités tardifs. Le délai n’a pas été respecté, entraînant
■■ le délai d’opposition du syndic après avis de muta- une « sanction » en raison d’une décision tardive. Ce n’est mani-
tion 22 ; festement pas le cas d’un délai légal de réflexion. Si une partie est
■■ la durée de validité de six mois du compromis sous empêchée d’accepter pendant une certaine durée, propre du délai
signature privée dans le système d’Alsace-Moselle de réflexion, on ne comprendrait pas qu’on lui accorde un report de
(art. 42 de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la ce délai. Le terme du délai ne lui fait pas perdre un droit mais fait
législation française dans les départements du Bas- naître le droit d’accepter. L’article 2 dans son esprit n’est pas com-
Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle). patible avec ces délais. L’esprit doit l’emporter sur la lettre : l’idée
Pour ce dernier exemple, prenons le cas où le dé- d’un report pour ceux qui seraient forclos n’a pas de raison d’être
lai expire après le 24 juin. Le report n’aura pas lieu lorsqu’il s’agit d’accorder un délai de réflexion. Gageons que la loi
de ratification le précise expressément.
On peut en outre s’interroger sur la durée de validité limitée de
(14) CCH, art. L. 271-1. certains documents relevant notamment du dossier de diagnostic
(15) C. civ., art. 815-14 ; L. no 89-462 du 6 juill. 1989, art. 15, II, etc. technique. Par exemple, les diagnostics ERP 23 ont une durée de six
(16) L. no 89-462 du 6 juill. 1989, art. 15 II. mois. Le diagnostic termites vaut également pour six mois. Le dia-
(17) C. mon. fin., art. L. 313-22. gnostic plomb est valable un an si le diagnostic est positif (six ans
(18) L. no 65-557 du 10 juill. 1965, art. 42, al. 2.
pour une location). Le diagnostic de performance énergétique vaut
(19) Par ex. : C. civ., art. 1589-2.
(20) C. civ., art. 772.
pour dix ans. Les diagnostics gaz et électricité ne valent que pour
(21) C. com., art. L. 142-4. trois ans (six ans pour un bail).
(22) L. no 65-557 du 10 juill. 1965, art. 20. Peut-on considérer que la durée de validité, si elle vient à expira-
(23) État des risques et pollutions. tion pendant la période de référence, est reportée au 24 juin sans

Avril 2020 AJ Contrat


Covid-19 et contrat Dossier
168

pouvoir excéder deux mois (soit le 24 août) ? Cette hypothèse serait portes 27. La solution peut être obtenue à l’amiable.
appréciable pour tous les diagnostiqueurs et pour la fluidité des À défaut, seul le recours au juge est envisageable.
opérations immobilières en cours.
Une autre interrogation existe pour des délais légaux qui peuvent L’article 7 de l’ordonnance : entre
être aménagés par convention. Que l’on songe, tout d’abord, à suspension et interruption
l’obligation légale d’offrir à l’acquéreur-emprunteur, au sein du
code de la consommation 24, un délai minimum de trente jours pour Une suspension pour les délais qui ont commencé
obtenir un prêt. En pratique, ce délai est souvent étendu à qua- à courir avant le 12 mars. L’article 7 s’applique aux
rante-cinq jours ou soixante jours. Ce délai est-il un délai légal dès « administrations de l’État, aux collectivités territo-
lors qu’il a été étendu au-delà de la limite légale ? Un report de qua- riales, à leurs établissements publics administratifs
rante-cinq jours pourrait être soutenu. Cependant, nous aurions ainsi qu’aux organismes et personnes de droit public
une faveur pour une solution intermédiaire qui consiste à opérer un et de droit privé chargés d’une mission de service
dépeçage du délai. Si le délai de trente jours peut faire l’objet d’un public administratif, y compris les organismes de sé-
report, en revanche, il ne s’étend aux quinze jours supplémentaires curité sociale » 28. Il traite dans le premier alinéa des
accordés par convention. Si le délai devait expirer quarante-cinq délais qui ont commencé à courir avant le 12 mars et
jours plus tard le 30 mars, il suffirait de reporter à partir du 24 juin qui sont alors suspendus. Selon le texte, « les délais
pour une durée supplémentaire légale de trente jours. Mais il fau- à l’issue desquels une décision, un accord ou un avis
drait alors aller au bout du raisonnement et considérer que si, au de l’un des organismes ou personnes mentionnés à
11 mars, le délai légal de trente jours seul prévu par la loi a expi- l’article 6 peut ou doit intervenir ou est acquis impli-
ré, l’article 2 n’est pas applicable car le délai légal est arrivé à son citement et qui n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020
terme avant le 12 mars, malgré sont, à cette date, suspendus jusqu’à la fin de la pé-
Dans une promesse l’extension conventionnelle. riode mentionnée au I de l’article 1er ». Les délais qui
La même question se pose à pro- ont commencé à courir et qui auraient expiré pendant
synallagmatique de vente qui
pos du délai de cinq ans maximum la période de référence sont donc suspendus.
vaut vente, le cas de force
dans une vente à réméré 25. La fa- Cette disposition s’applique aux demandes d’autori-
majeure lié au confinement et
culté de rachat ne peut dépasser sation d’urbanisme (permis de construire, d’aména-
à la fermeture des études peut un délai maximum de cinq ans. Si ger, déclarations préalables, les droits de préemption
justifier un cas d’empêchement la vente à réméré ne prévoit rien publics). D’une manière générale, tout ce qui relève
provisoire pour chacune et que le délai de cinq ans expire du droit des sols rentre dans les prévisions de cet
des parties, si la promesse pendant la période juridiquement article 7. Certaines de ces demandes sont d’ailleurs
a bien été conclue avant le protégée, on devrait pouvoir re- soumises au principe « qui ne dit mot consent ». Ces
confinement et la fermeture porter le délai au 24 juin pour autorisations tacites en raison du silence gardé par
des études deux mois, soit jusqu’au 24 août. l’autorité peuvent être très problématiques. L’ar-
Que faut-il décider quand les par- ticle 8 applique la même règle aux délais impartis
ties ont fixé un délai d’exercice pour effectuer divers contrôles (contrôle de confor-
de la faculté de rachat plus court, de trois ans par exemple ? On mité d’une construction par exemple). Les droits de
peut considérer dans ce cas que ce n’est plus un délai légal mais préemption publics ou assimilés sont ainsi concer-
un délai conventionnel et que l’article 2 n’est pas applicable. C’est nés par cette suspension. Les droits de préemption
l’analyse qui paraît la plus cohérente. des ZAD 29, se rapportant aux ENS 30 et les délais ap-
Au-delà de l’article 2. Au-delà de l’article 2, il conviendra à l’avenir plicables aux droits de priorité ou de délaissement
de traiter des délais conventionnels et de l’exécution des obliga- sont également visés. Enfin, le droit de préemption
tions contractuelles. Il faudra alors se tourner vers le droit com- de la Safer 31, établissement mi-public mi-privé,
mun. rentre dans les prévisions de l’article 7. Le Conseil
Prenons le cas d’une promesse unilatérale de vente avec un délai d’État, dans un arrêt du 20 novembre 1995 32, a jugé
d’option qui expire pendant la période de référence. L’option aurait que « les Safer sont des organismes chargés, sous le
dû être levée le jour de la signature définitive devant notaire qui contrôle de l’administration, de la gestion d’un ser-
n’a pas pu avoir lieu en raison de la fermeture de l’ensemble des vice public administratif en vue de l’amélioration des
études. Dans ce cas de figure, le non-respect du délai entraîne la structures agricoles ».
caducité de la promesse. Cette absence de levée de l’option n’est Prenons le cas d’un droit de préemption urbain qui
pas imputable au bénéficiaire qui doit pouvoir récupérer le montant a commencé à courir le 10 mars. Il devrait expirer
de l’indemnité d’immobilisation. On peut également rédiger un ave- le 10 mai. Ce délai est suspendu jusqu’au 24 juin. Il
nant afin de proroger le délai d’option avant l’expiration du délai, si reste cinquante-huit jours à la commune pour exer-
c’est envisageable. Inutile dans ce cas de solliciter la force majeure cer son droit. Suspendu, le délai ne reprend pas à
car le bénéficiaire n’a pas par définition d’obligation, si ce n’est zéro comme le ferait une interruption.
pour établir le caractère non imputable de la non-levée de l’option Une interruption pour les délais qui ont commen-
pour obtenir la restitution de l’indemnité d’immobilisation. Si c’est cé à courir après le 12 mars. Quant à l’alinéa 2, il
le promettant qui, en raison des circonstances, ne peut plus libérer prévoit que « le point de départ des délais de même
le bien dans les délais, alors il pourrait tenter d’invoquer la force
majeure et suspendre ainsi le contrat, dès lors que les conditions
de l’article 1218 du code civil sont réunies 26. (24) C. consom., art. L. 313-41.
En revanche, dans une promesse synallagmatique de vente qui vaut (25) C. civ., art. 1659.
vente, le cas de force majeure lié au confinement et à la fermeture (26) V. infra.
(27) C. civ., art. 1218.
des études peut justifier un cas d’empêchement provisoire pour
(28) Ord. du 25 mars 2020, art. 6.
chacune des parties, si la promesse a bien été conclue avant le (29) Zone d’aménagement différé.
confinement et la fermeture des études. L’empêchement provisoire (30) Espace naturel sensible.
permet de suspendre la promesse jusqu’au jour où le confinement (31) Société d’aménagement foncier et d’établissement rural.
aura pris fin et où les études auront pu de nouveau ouvrir leurs (32) CE 20 nov. 1995, no 147026, SAFER c/ Borel, Lebon T. 795.

AJ Contrat Avril 2020


Dossier Covid-19 et contrat
169

nature qui auraient dû commencer à courir pendant seule clause pénale, leurs effets ont commencé à se produire avant
la période mentionnée au I de l’article 1er est repor- le 12 mars 2020.
té jusqu’à l’achèvement de celle-ci ». Dans cette hy- Mesures et clauses mises en œuvre avant et après le 12 mars. Les
pothèse, il s’agit d’un report qui a toutes les allures astreintes prendront cours et les clauses produiront leurs effets à
d’une interruption. Pour un dossier concerné par l’ar- partir du mois qui suit la fin de la période juridiquement protégée
ticle 7 déposé après le 12 mars, son délai d’instruction (24 juin), soit à partir du 24 juillet.
attendrait le 24 juin, sans pouvoir excéder deux mois. En revanche, si le cours des astreintes ou les effets de la clause ont
Report et suspension optionnels. Il faut cependant pris effet avant le 12 mars 2020, ils sont simplement suspendus
rappeler que rien n’empêche les parties de ne pas jusqu’au 24 juin 2020 et reprennent leur cours normal à cette date.
attendre les délais reportés et rien ne les oblige à Tout cela dans l’hypothèse où le débiteur ne s’est pas déjà exécu-
se prévaloir de ces interruptions ou suspensions. té. Prenons l’hypothèse d’un contrat qui doit être exécuté avant le
Cette ordonnance reporte ou suspend les délais 5 avril. À défaut d’une telle exécution dans le délai, une clause pé-
mais n’anéantit pas les droits. Les droits continuent nale sanctionne toute inexécution. La prise d’effet, si le débiteur ne
d’exister. Selon le rapport remis au président et la s’est pas exécuté, est reportée au mois qui suit la date de la fin de
circulaire du 26 mars 2020, ce régime dérogatoire se la période juridiquement protégée, soit le lendemain du 24 juillet.
superpose au droit normalement applicable qui peut Dans le même esprit, imaginons un contrat qui devait être exécuté

Dossier
toujours être sollicité et mis en œuvre par les par- le 10 mars. Une clause pénale moratoire prévoit 1 000 euros par
ties. Par conséquent, si la notification a été faite le jour de retard. Au 12 mars, le débiteur ne s’est toujours pas exécu-
12 février, terme au 12 avril, et si la Safer ou la com- té. On suspend l’effet de la clause pénale moratoire jusqu’au 24 juin
mune décide d’exercer ses droits le 15 mars, l’opé- 2020. Si le débiteur ne s’est toujours pas exécuté, la clause produit
ration est réalisée et le droit régulièrement exercé. de nouveau ses effets (même raisonnement pour une astreinte pro-
Enfin, le texte envisage des exceptions. Il est prévu noncée par un juge avant le 12 mars).
qu’un décret puisse lister certains actes ou forma- La catégorie ouverte des « clauses prévoyant une déchéance ». La
lités qui justifient un régime dérogatoire « pour des catégorie des « clauses prévoyant une déchéance » est moins déli-
motifs de protection des intérêts fondamentaux de la mitée que les autres. L’article 4 ne l’aborde que pour celles qui de-
Nation, de sécurité, de protection de la santé, de la vraient produire leurs effets pendant la période de référence. Cette
salubrité publique, de préservation de l’environne- catégorie semble offrir plus de liberté que les autres. Pour illustra-
ment et de protection de l’enfance et de la jeunesse ». tion, permettons-nous une interprétation audacieuse, le droit restant
On comprend ici que certains domaines sensibles, un artefact et la « plus puissante école de l’imagination », concernant
tels que les questions relatives aux déchets ou aux le délai pour lever l’option dans une promesse unilatérale de vente.
installations classées pour la protection de l’environ- Le non-respect de ce délai peut être analysé comme une déchéance
nement, puissent justifier un traitement différent. du droit de créance potestatif avec caducité de la promesse. On dit
habituellement que la déchéance emporte extinction d’un droit là où
la caducité emporte inefficacité d’un acte. Il est vrai que l’analyse
Gérer l’effet des clauses et la fin classique de la promesse unilatérale de vente ne présente pas le
des conventions dans l’urgence bénéficiaire comme le débiteur d’une obligation. Il est titulaire d’un
droit de créance potestatif. Au nom de la liberté contractuelle, il peut
L’article 4 (1) et l’article 5 (2) se rapportent davantage exercer ou non son droit. Cependant, osons une autre analyse, qui
aux clauses contractuelles et aux conventions. pourrait convaincre bien que très originale. Lorsqu’il existe un délai
pour lever l’option, il existe une convention sur le délai, analyse qui
L’article 4 de l’ordonnance : les rappelle celle que Demolombe avait faite de l’offre avec délai pour
mesures et les clauses qui sanctionnent justifier le fondement contractuel de la responsabilité pour rupture
l’inexécution d’une obligation abusive. Il y aurait donc une obligation temporelle acceptée par le bé-
néficiaire. S’il ne lève pas l’option dans le délai convenu, il est déchu
Mesures et clauses-sanctions. L’article 4 a pour de son droit de créance et la promesse est caduque. Ne pourrait-on
objet les astreintes (judiciaires ou conventionnelles) pas dans ce cas admettre que la clause prévoyant une déchéance et
et les clauses-sanctions : « Les astreintes, les la sanction du non-respect du délai par la déchéance du droit per-
clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que mettrait d’entrer dans les prévisions de l’article 4 de l’ordonnance ?
les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles L’analyse serait certes originale mais peut être défendue. Par consé-
ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une quent, on pourrait considérer que le délai imparti pour lever l’option
obligation dans un délai déterminé, sont réputées est reporté, par application de l’article 4, au mois qui suit la fin de de
n’avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai la période juridiquement protégée, soit à partir du 24 juillet.
a expiré pendant la période définie au I de l’article En outre, en toute hypothèse, lorsque les astreintes ont pris cours
1er ». Les « clauses prévoyant une déchéance » sont ou les clauses produit leur effet avant le 12 mars 2020, le juge ou
une catégorie ouverte qui devrait permettre d’inclure l’autorité administrative peut y mettre fin s’il est saisi. Enfin, si l’ar-
des clauses spécifiques nées de la pratique dont la ticle 4 prive d’effets ces clauses, en revanche, les remèdes du droit
raison d’être est de sanctionner l’inexécution d’une commun des contrats sont en théorie envisageables, à moins que
obligation par la perte d’un droit ou d’un avantage. d’autres mécanismes s’y opposent, tels que la force majeure : ex-
Deux cas de figure. Deux hypothèses sont prévues : ception d’inexécution par anticipation 33, réduction du prix 34, résolu-
soit les effets des mesures et clauses visées se pro- tion judiciaire ou rupture unilatérale hors le juge, intérêts de retard,
duisent ou vont se produire pendant la période juridi- etc. On peut alors douter de l’efficacité de l’article 4. Si l’objectif est
quement protégée, soit, pour la seule astreinte et la de permettre au débiteur de bénéficier d’une période de répit, le
droit commun des sanctions met à mal cet objectif en permettant
d’user par exemple de l’exception d’inexécution ou de la rupture
(33) C. civ., art. 1220. unilatérale hors le juge 35.
(34) C. civ., art. 1223. De nouveau, ces reports n’empêchent pas le débiteur de s’exécuter
(35) C. civ., art. 1226. normalement et dans ce cas les reports sont sans effets.

Avril 2020 AJ Contrat


Covid-19 et contrat Dossier
170

L’article 5 : la résiliation ou l’opposition au La force majeure


renouvellement d’une convention Une appréciation au cas par cas. Pour appréhender
Délais légaux et conventionnels de résiliation ou d’opposition au au mieux le mécanisme de la force majeure, il faut
renouvellement. L’article 5 de l’ordonnance du 25 mars 2020 dis- avoir à l’esprit la toile de fond législative et sanitaire.
pose que « lorsqu’une convention ne peut être résiliée que durant La force majeure ne se décrète pas 36. Elle s’apprécie
une période déterminée ou qu’elle est renouvelée en l’absence de au par cas. Pour réaliser au mieux cette appréciation
dénonciation dans un délai déterminé, cette période ou ce délai sont au cas par cas dont les conditions et les effets sont
prolongés s’ils expirent durant la période définie au I de l’article 1er, prévus aux articles 1218 et 1231-1 du code civil, il faut
de deux mois après la fin de cette période ». Tous les délais sont ici comprendre que la crise sanitaire du Covid-19 a connu
visés, qu’ils soient légaux ou conventionnels. Il s’agit tout d’abord plusieurs étapes déterminantes. Sans exhaustivité,
des contrats qui doivent être résiliés pendant une certaine période l’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclarait
prévue par la loi ou par une convention. Dans ce premier cas, on officiellement le 30 janvier 2020 l’état d’urgence de
peut prendre l’exemple d’un contrat qui, selon la loi, doit être résilié santé publique de portée internationale. Le 28 février,
trois mois avant le terme de la convention qui arrive à échéance le le ministre de l’Économie qualifiait de force majeure
20 avril. Dans ce cas, le délai butoir est reporté à deux mois après la la situation et admettait en tirer toutes les consé-
fin de la période juridiquement protégée, soit du 24 juin au 24 août. quences sur les contrats de commande publique et
Dans le même esprit, l’opposition au renouvellement suppose par- les autres contrats conclus avec l’État. A suivi toute
fois le respect d’un délai de préavis, pour beaucoup prévu par une une série d’arrêtés prenant des mesures de plus en
clause contractuelle. Le texte envisage alors la prolongation de plus contraignantes du 4 mars au 15 mars 2020, al-
deux mois des délais de résiliation ou d’opposition après le mois qui lant de l’interdiction des rassemblements dans un lieu
suit la fin de l’état d’urgence sanitaire, soit jusqu’au 24 août. Dans clos de plus de 5 000 personnes, à une interdiction
ce deuxième cas, prenons l’hypothèse d’un contrat de concession des rassemblements de plus 1 000 personnes, puis de
conclu le 20 mai 2018 et tacitement reconductible tous les deux ans. plus 50 personnes, à la fermeture de certains com-
La dénonciation pour empêcher la reconduction doit se faire, selon merces, à la prohibition des marchés, selon les villes
une clause du contrat, un mois avant son terme, soit en principe et les régions.Vient ensuite le confinement ordonné
le 20 avril 2020. Puisque ce délai arrive à échéance pendant la pé- par un décret no 2020-260 du 16 mars 2020 à partir du
riode juridiquement protégée, un délai de deux mois est accordé à 17 mars. Viennent en outre les décisions de certaines
partir du 24 juin. L’opposition à la reconduction peut se faire professions de cesser toute activité. Viennent enfin
jusqu’au 24 août. toutes ces ordonnances prenant des mesures déroga-
Une lecture précautionneuse des contrats en cours s’impose à toires. Tous ces éléments doivent être pris en considé-
l’avenir. Cependant, de nouveau, ce régime dérogatoire peut ne ja- ration lors de la mise en œuvre de notions telles que la
mais être sollicité. Les parties peuvent choisir de ne pas solliciter force majeure ou l’imprévision.
le régime optionnel et de continuer à être soumises aux délais qui Les épidémies et la force majeure. Cette apprécia-
auraient dû normalement s’appliquer. tion au cas par cas explique d’ailleurs qu’à plusieurs
Si le dispositif dérogatoire, optionnel et provisoire de l’ordonnance reprises les juges français ont été confrontés à des
du 25 mars 2020 permet de gérer l’urgence, avec des correctifs et cas d’épidémie pouvant avoir une incidence sur les
clarifications qui seront très probablement apportés par la loi de relations contractuelles et ont toujours privilégié une
ratification, ces outils ne suffisent pas à gérer l’ensemble des effets approche concrète en vérifiant minutieusement les
du Covid-19 et du confinement. Il faut maintenant gérer l’imprévu, conditions de la force majeure. Souvent le H1N1 37,
ce qui suppose de s’intéresser aux techniques du droit commun des Ebola 38, le chikungunya 39 et la dengue 40 n’ont pas
obligations. été retenus comme des cas de force majeure, car
une condition faisait défaut.
Un « événement échappant au contrôle du débi-
■■ Gérer l’imprévu teur ». La première condition prévue à l’article 1218
du code civil est l’existence d’un événement qui
échappe au contrôle du débiteur, qui lui est exté-
Pour gérer l’imprévu, les outils du droit des obligations sont légion. rieur. Dans ces conditions, la maladie pourrait-elle
Pour ordonner autant que faire se peut cette boîte à outils contrac- être qualifiée de force majeure ? Une personne at-
tuels, il est possible de distinguer les outils consacrés par la loi et teinte du Covid-19 peut-elle se prévaloir de la force
ceux qui relèvent, pour un temps du moins, de la jurisprudence. majeure ? En principe, la maladie peut être un cas
de force majeure pour le débiteur d’une obligation.
Il s’agit bien d’un événement qui ne dépend pas de
Les outils légaux la volonté du débiteur. Plusieurs arrêts l’ont recon-
nu par le passé 41. Mais il ne s’agit pas d’un blanc-
Le Covid-19 et les mesures prises par les autorités publiques vont, seing. Encore faut-il que toutes les conditions soient
en premier lieu, avoir une incidence sur l’exécution des contrats.
Les premiers instruments légaux se rapportent donc à ce stade du
processus contractuel. Cependant, la frontière entre la formation (36) J. Heinich, « L’incidence de l’épidémie de coronavirus sur les
et l’exécution n’est pas toujours étanche et d’autres instruments contrats d’affaires : de la force majeure à l’imprévision », D. 2020.
Chron. 611.
légaux peuvent être sollicités se rapportant principalement à la for-
(37) Besançon, 8 janv. 2014, no 12/02291.
mation du contrat. (38) Paris, 29 mars 2016, no 15/05607
(39) Saint-Denis de La Réunion, 29 déc. 2009, no 08/02114.
Les outils relatifs à l’exécution du contrat (40) Nancy, 22 nov. 2010, no 09/00003.
(41) V. par ex., Cass., ass. plén., 14 avr. 2006, no 02-11.168, Bull. ass.
Lorsqu’on aborde l’imprévu né de cette crise sanitaire mondiale, on plén., no 5 ; D. 2006. 1577, obs. I. Gallmeister, note P. Jourdain ; RTD civ.
2006. 775, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2006. 904, obs. B. Bouloc. Adde,
pense immédiatement à deux outils majeurs : la force majeure et M. Mekki, » La définition de la force majeure ou la magie du clair-
l’imprévision. obscur », RLDC 2006, n° 29, p. 1.

AJ Contrat Avril 2020


Dossier Covid-19 et contrat
171

réunies. Cela ne fut pas le cas dans une affaire ayant considérées comme un événement raisonnablement imprévisible.
donné lieu à un arrêt du 19 septembre 2019 42. L’une Effets qui ne « peuvent être évités par des mesures appropriées ».
des parties à une promesse synallagmatique de En présence du Covid-19 et des mesures administratives de plus
vente soutenait qu’elle n’avait pas pu venir signer en plus contraignantes qui ont été prises, il est difficile de nier
l’acte de vente devant notaire en raison de son pro- qu’aucune mesure n’aurait permis d’éviter les effets de cet évé-
blème cardiaque. Cependant, ce diagnostic avait été nement. Encore une fois, tout dépendra du moment où le contrat
fait le 26 janvier 2016 alors que la date de réitération a été conclu, entre quels partenaires et pour quelle prestation. En
des consentements devant notaire était prévue au fonction des cas, des mesures auraient pu être prises. Cette réfé-
31 mars. Les caractères imprévisible et irrésistible rence aux mesures appropriées est intéressante car on comprend
n’ont pas été retenus. Quant au Covid-19, il convien- que l’article 1218 du code civil ne déresponsabilise pas totalement
dra de se livrer à une appréciation au cas par cas. le débiteur face à un événement de ce type. Il doit prendre les me-
Certaines personnes positives au Covid-19 n’ont sures nécessaires pour limiter les conséquences de cet événement.
pas ou très peu de symptômes, alors que d’autres Le parallèle est intéressant avec l’obligation de minimiser le dom-
ont connu un mois de réanimation suivi de plusieurs mage. Il s’agit dans le cas de la force majeure de s’adresser au dé-
mois de remise en forme avant de pouvoir reprendre biteur et de vérifier s’il pouvait prendre en amont des mesures pour
une activité normale. éviter les effets de l’événement. En revanche, dans l’hypothèse de

Dossier
Événement qui n’a pu être raisonnablement prévu l’obligation de minimiser le dommage, la règle s’adresse au créan-
lors de la conclusion du contrat. Le caractère impré- cier victime, et il s’agit de savoir si en aval il pouvait prendre des
visible de cet événement doit s’apprécier in concre- mesures pour éviter que son préjudice ne s’aggrave. En période de
to par référence à une personne raisonnable ou un crise sanitaire, cette responsabilisation du débiteur, d’un côté, et
professionnel raisonnable. C’est ici que la toile de du créancier victime, de l’autre, va revenir au-devant de la scène
fond évoquée précédemment prend tout son sens. Le juridique.
Covid-19, par sa rapide propagation, sa virulence et « Empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ». Cette
les inconnues qui l’entourent encore dans sa nature condition distingue la force majeure de l’imprévision. L’impossibilité
et ses effets, est un événement imprévisible. Cepen- d’exécuter de l’article 1218 du code civil se différencie de la diffi-
dant, ce n’est pas uniquement cet événement qui doit culté à exécuter de l’article 1195 du même code. En l’occurrence, à
être pris en compte mais les déclarations qui ont été l’égard du Covid-19, en raison des mesures administratives qui ont
faites et les mesures qui ont été prises depuis le dé- été prises et du confinement qui en découle, l’impossibilité d’exé-
but du mois de mars. Il faut donc avoir égard à la cuter relèvera assez souvent du fait du prince 45. Cette impossibilité
date à laquelle l’engagement litigieux a été conclu. d’exécution concerne en principe le débiteur, seul visé par le cas
Si l’arrêté du 4 mars interdisait jusqu’au 31 mai le de force majeure. On dit parfois qu’il ne peut y avoir en principe de
rassemblement de plus de 5 000 personnes dans un force majeure pour un créancier 46. Reste la possibilité pour toutes
lieu et qu’un contrat a été conclu pour un concert ré- les parties au contrat d’user des remèdes mis à leur disposition
unissant potentiellement plus de 10 000 personnes aux articles 1217 et suivants du code civil. Une autre question in-
le 6 mars, l’événement n’est manifestement pas im- terpelle : le débiteur d’une obligation de somme d’argent, en de-
prévisible. S’il s’agit d’une convention conclue avec hors des cas où il pourrait obtenir un délai de grâce, pourrait-il se
des partenaires chinois, soumise au droit français, le prévaloir d’un cas de force majeure ? A priori, la force majeure est
2 février, après l’annonce de l’OMS d’une urgence in- surtout retenue lorsque l’objet de l’obligation porte sur un corps
ternationale mais sans véritable prise de conscience certain. En présence d’une somme d’argent, le débiteur peut diffici-
en France, l’événement dans ce cadre particulier lement se réfugier derrière le doux manteau de la force majeure 47.
n’était pas raisonnablement imprévisible. Quant Cependant, si l’objet n’est pas impossible à exécuter en soi (paie-
à la conclusion du contrat, il ne s’agit pas unique- ment d’une somme d’argent), les circonstances peuvent faire obs-
ment de la conclusion du contrat initial. En cas de tacle au fait de payer. Que l’on songe à un virement qui ne peut se
renouvellement 43 ou de tacite reconduction 44, c’est faire dans le délai imparti en raison d’un bogue informatique 48. La
à cette date où un nouveau contrat est conclu que le même situation peut se rencontrer avec un malade du Covid-19.
caractère raisonnablement imprévisible doit être ap- Hospitalisé, il pourrait ne pas pouvoir honorer ses engagements
précié. Que l’on songe à un contrat conclu le 25 mai dans les délais.
2018 et renouvelé le 25 mai 2020, le Covid-19, ses Les conséquences de la force majeure sur les obligations du
conséquences ne peuvent manifestement pas être débiteur. La force majeure produit un double effet. Elle libère le
débiteur de ses obligations et l’exonère de toute responsabilité 49
à l’égard du cocontractant et des tiers. Sur le contrat, les effets
varient selon l’intensité de l’empêchement. S’il est provisoire, le
(42) Civ. 3e, 19 sept. 2019, n° 18-18.921, AJDI 2019. 819 ; JCP N 2020. 24,
obs. S. Piédelièvre. contrat est suspendu, dès lors que la suspension ne prive pas le
(43) C. civ., art. 1214. contrat de toute utilité. Le contrat est définitivement anéanti si
(44) C. civ., art. 1215. l’empêchement est définitif. Cet empêchement définitif entraîne,
(45) F. Luxembourg, « Le fait du prince : convergence du droit privé et selon les termes de l’article 1218 du code civil, une résolution de
du droit public », JCP 2008. 119.
plein droit du contrat. Cette formule pose question. Signifie-t-elle
(46) V. cep. Civ. 1re, 10 févr. 1998, no 96-13.316, D. 1998. 539, note
D. Mazeaud ; RTD civ. 1998. 674, obs. J. Mestre ; ibid. 689, obs.
que le contrat est automatiquement anéanti sans intervention du
P. Jourdain. Il est même possible d’admettre que ce n’est pas tant la juge ? Le « plein droit » semble davantage renvoyer au pouvoir du
qualité de débiteur ou de créancier qui importe. Dans les contrats juge. Dès lors que les conditions sont remplies, le juge doit en ti-
synallagmatiques, les parties sont souvent à la fois débiteur et
créancier. C’est le plus souvent l’objet de l’obligation qui conditionne
rer toutes les conséquences, prononcer la résolution et procéder
l’existence ou non d’une force majeure. aux restitutions. En tout état de cause, le plus souvent en pratique,
(47) En ce sens, Com. 16 sept. 2014, no 13-20.306, D. 2014. 2217, note en raison d’un désaccord entre les parties, le juge sera amené à
J. François ; Rev. sociétés 2015. 23, note C. Juillet ; RTD civ. 2014. 890, intervenir. Aux termes de l’article 1229, alinéa 3, du code civil, la
obs. H. Barbier.
résolution peut être « partielle » ou « intégrale », selon l’étendue de
(48) Civ. 3e, 17 févr. 2010, no 08-20.943, D. 2010. 653 ; ibid. 2011. 472,
obs. B. Fauvarque-Cosson. l’exécution et la nature des obligations. La nature de la résolution
(49) C. civ., art. 1231-1. partielle ou intégrale conditionne l’étendue des restitutions régies

Avril 2020 AJ Contrat


Covid-19 et contrat Dossier
172

par les articles 1352 et suivants du code civil. Cette résolution pour conditions n’excluent pas une complémentarité ou
une inexécution non imputable au débiteur justifie la restitution une compatibilité, la règle spéciale ne déroge pas à
des arrhes par exemple qui accompagnent une clause de dédit, en la règle générale. Certaines hypothèses ne posent
raison de l’inutilité de la clause. Dans un contrat translatif de pro- aucune difficulté car elles ont été formellement pré-
priété tel qu’une vente, si les risques pesaient sur le créancier de vues par le législateur.
l’obligation de délivrance, le débiteur est libéré. Si les risques pe- Les exclusions légales. L’article L. 211-40-1 du code
saient sur le débiteur de l’obligation de délivrance, les deux parties monétaire et financier précise que la théorie de l’im-
sont libérées et des restitutions sont opérées dans les conditions prévision ne s’applique pas aux titres et aux contrats
des articles 1352 et suivants. financiers. Ainsi, si une promesse est conclue avant
Les clauses contractuelles et la force majeure. Deux hypothèses la crise sanitaire et a pour objet de tels titres ou
vont voir le jour dans quelques semaines ou quelques mois. La contrats financiers, l’article 1195 ne sera d’aucun
première est l’existence de clauses de force majeure que certaines secours. Par contre, cette disposition est toujours
parties voudront invoquer et que d’autres voudront évincer. La applicable aux parts sociales (SARL 51, sociétés ci-
clause de force majeure est en principe valable. Elle permet d’as- viles, sociétés en nom collectif). Si une promesse
souplir les conditions légales de la force majeure, de déterminer de cession ayant pour objet ces parts sociales est
les événements à prendre en considération, de fixer des modali- conclue et qu’entre le signing et le closing un évé-
tés en cas de force majeure (renégociation, réduction plafonnée du nement rend l’exécution du contrat définitivement
prix, libération pure et simple, etc.). Une clause de force majeure conclu excessivement onéreuse, le mécanisme de
peut avoir été rédigée dans un contrat en prévoyant le cas d’une l’imprévision devrait pouvoir jouer.
épidémie ou de mesures administratives faisant obstacle à la bonne Les cas discutés. D’autres hypothèses sont discu-
exécution du contrat. Ces clauses ne sont valables que si elles ont tées et nécessitent une approche au cas par cas 52.
été rédigées avec intelligence. En effet, si les événements qualifiés Nous insisterons sur certaines d’entre elles. La pre-
de forces majeures par la clause sont trop nombreux, cette clause mière relève des baux commerciaux. L’article L. 145-
revient à vider le contrat de sa substance et pourrait être réputée 37 du code de commerce prévoit un cas de révision
non écrite au fondement de l’actuel article 1170 du code civil. Ces triennale. L’article L. 145-39 concerne une révision
clauses trop larges pourraient aussi être qualifiées, selon les cir- des loyers variables. Est-ce que l’existence de ces
constances, d’abusives au fondement de l’article L. 212-1 du code mécanismes légaux de révision exclut nécessaire-
de la consommation. On sait qu’en matière immobilière le critère ment toute application de l’article 1195 du code civil ?
subjectif de la compétence fait son retour. Un arrêt du 4 février 2016 L’article 1195 poursuit un objectif différent et repose
et un autre du 7 novembre 2019 50 ont ainsi permis à une société sur des critères différents. Dès lors que l’exécution
professionnelle d’invoquer l’article L. 212-1 du code de la consom- du contrat est excessivement onéreuse, au-delà des
mation car elle n’était pas une spécialiste de la construction. La seuils légaux des articles L. 145-37 et L. 145-39 du
qualification de clause abusive pourrait aussi intervenir au fonde- code de commerce, l’article 1195 du code civil devrait
ment de l’article L. 442-1 du code de commerce avec une nullité pouvoir prendre le relais. Ces dispositions seraient
pouvant désormais être demandée par la victime. Enfin, l’article en ce sens compatibles. Reste à savoir, en cas de
1171 du code civil dans les contrats d’adhésion, si la clause de force révision pour imprévision, si le juge doit se référer
majeure n’était pas négociable, permettrait de qualifier la clause aux principes des baux commerciaux. Mais c’est une
d’abusive de la réputer non écrite en cas de déséquilibre significatif. autre question.
Cette police des clauses de force majeure suppose une apprécia- La même question a pu se poser en matière immobi-
tion au cas par cas. lière. Dans le contrat de marché à forfait ou le contrat
Demain, ces clauses de force majeure doivent être encouragées. de construction de maison individuelle, l’article 1793
Les crises sanitaires, au même titre que les crises économiques, du code civil prévoit, en substance, que le surcoût
vont devenir cycliques. Il faut identifier ce risque et le gérer au éventuel des travaux est à la charge de l’entrepre-
mieux au moyen d’une série de clauses parmi lesquelles se neur ou de l’architecte. Cependant, si nous sommes
trouvent les clauses de force majeure. Il serait utile de les rédiger au-delà d’un simple surcoût, cas d’une exécution
avec précaution en évinçant, par exemple, le caractère imprévisible excessivement onéreuse, l’article 1195 du code ci-
et en indiquant les hypothèses considérées comme relevant d’un vil est de nouveau applicable. Il pourrait en aller de
cas de force majeure, au moyen d’une liste circonscrite, et en pré- même de l’article 1831-1 du code civil pour lequel le
voyant les modalités de leur mise en œuvre (négociation, réduction, surcoût serait à la charge du promoteur, y compris
plafonnements, durée de la suspension éventuelle, etc.). en cas de force majeure. Là encore, si l’exécution est
La force majeure ne sera pas toujours facile à établir malgré les dif- excessivement onéreuse, nous sommes au-delà des
férentes mesures administratives. Un lien de causalité devra être prévisions de l’article.
établi entre l’impossibilité d’exécuter et ces différents événements. Contrat à exécution successive et contrat à exé-
La réunion des conditions paraît plus difficile encore avec la théorie cution instantanée. Au lendemain de l’article 1195
de l’imprévision. du code civil, la question s’est posée, et est encore
débattue, de savoir si cette disposition ne concerne
L’imprévision que les contrats à exécution successive ou si on pou-
Champ d’application. La théorie de l’imprévision a fait son entrée vait envisager son application à des contrats à exé-
en droit privé depuis l’ordonnance du 10 février 2016. L’article 1195 cution instantanée qui s’inscrivent dans la durée. À
du code civil pose des conditions précises et impose une procédure notre sens, il n’y a pas lieu de distinguer là où la loi
très rigoureuse. Avant de décortiquer cet article, la première étape
du raisonnement est de savoir s’il est applicable.
En effet, par application de l’article 1105 du code civil, la règle spé- (50) Civ. 3e, 4 févr. 2016, no 14-29.347, Bull. civ. III, no 905 ; D. 2016. 639,
note C.-M. Péglion-Zika ; ibid. 2017. 375, obs. M. Mekki ; AJCA 2016.
ciale incompatible avec la règle générale entraîne son éviction. Il 200, obs. S. Carval ; Civ. 3e, 7 nov. 2019, no 18-23.259, D. 2020. 55, note
convient pour le savoir de vérifier que les deux règles potentiel- S. Tisseyre ; AJ contrat 2020. 37, obs. Y. Picod.
lement applicables poursuivent la même finalité et sont incom- (51) Sociétés à responsabilité limitée.
patibles. En revanche, si leur finalité est différente et que leurs (52) V. not. CPI, art. L. 131-5 ; C. civ., art. 930-3, etc.

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Dossier Covid-19 et contrat
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ne distingue pas. Surtout, les travaux préparatoires, sanitaire qui sera suivie d’une crise économique sans précédent. Si
tant le rapport remis au président de la République certaines opérations qui s’inscrivent dans la durée, contrat à exécu-
à propos de l’ordonnance du 10 février 2016 que les tion instantanée ou à exécution successive, vont dans les mois et les
débats qui ont précédé la loi de ratification du 20 avril années à venir entrer parfaitement dans les prévisions de l’article
2018, n’ont pas entendu réduire l’article 1195 du code 1195 du code civil, il est probable que de nombreuses hypothèses
civil aux seuls contrats à exécution successive. En- demeureront en dehors de son champ d’action. Que l’on songe à
fin, lorsqu’on compare avec les systèmes étrangers toutes ces promesses de contrat ou à tous ces contrats devenus
ou les principes du droit européen des contrats, le moins rentables que prévu, à ces projets industriels, commerciaux
mécanisme de l’imprévision n’est pas réduit aux ou immobiliers, moins rentables qu’avant la crise sanitaire. L’exé-
seuls contrats à exécution successive. Dès lors que cution excessivement onéreuse fait défaut et l’article 1195 n’est pas
le contrat s’inscrit dans la durée, l’article 1195 de- ici envisageable.
vrait être applicable. Cela justifie que les parties à Conditions de forme. Une fois l’imprévision constatée, une procé-
une promesse de contrat, promesse unilatérale ou dure très stricte est prévue par le texte. Une tentative de renégocia-
promesse synallagmatique, puissent, si les condi- tion s’impose aux parties. Le débat persiste sur la sanction en cas
tions sont réunies, invoquer le mécanisme de l’im- de non-respect de cette première étape. Une fin de non-recevoir
prévision. serait la plus adaptée. En cas de refus ou d’échec, les parties vont

Dossier
Conditions de fond. Pour bénéficier de l’article 1195 tenter d’obtenir du juge une résolution ou une adaptation du contrat
du code civil, des conditions de fond doivent être ré- à l’amiable. Une requête conjointe se justifie dans ce cas. Aux termes
unies. La première est l’existence d’un changement, de l’article 12 du code de procédure civile, les parties pourront de-
terme qui ne nécessite pas un bouleversement bru- mander au juge d’intervenir en amiable compositeur (al. 4) ou déli-
tal. On peut donc parfaitement intégrer dans ces hy- miter son champ d’action (délimiter les problèmes de droit, choisir
pothèses l’évolution progressive de la situation de- les qualifications juridiques, al. 3). À défaut, une partie, par voie d’as-
puis la découverte des premiers cas de Covid-19 en signation, saisira le juge pour obtenir la résolution ou la révision du
Chine. Le caractère progressif du changement n’est contrat. Le juge statuera dans le respect du principe dispositif. Sans
pas un obstacle à la reconnaissance d’un cas d’im- entrer dans le détail d’une procédure de nombreuses fois décrite, il
prévision. Le changement doit porter sur des cir- faut insister sur l’importance de l’amiable. Il ne faut pas ajouter à
constances sans précision. Pour le Covid-19, il peut l’imprévisibilité de la crise sanitaire, l’aléa judiciaire. Les standards
être question de circonstances politiques, sanitaires, juridiques sont tellement nombreux que prévoir ce que dira le juge
économiques, sociales… Ce changement doit être n’est pas simple. Il vaut mieux dans ce cas encourager le règlement
imprévisible au moment de la conclusion du contrat. amiable du conflit, afin que le juge, selon la célèbre fable, ne mange
Il faut clairement déterminer la date de conclusion pas le contenu de l’huître pour laisser aux parties le soin de se parta-
du contrat ou de son renouvellement et bien vérifier ger la seule coquille vidée de son contenu 54.
au cas par cas l’état de la crise sanitaire. Peut-on Les clauses contractuelles. Quant aux clauses contractuelles, il
considérer que le 30 janvier, lors de l’annonce de faut, de nouveau, raisonner en deux temps : l’efficacité des clauses
l’OMS, l’événement était encore imprévisible ? Faut-il actuelles et la rédaction des clauses futures.
au contraire prendre pour point d’ancrage du raison- Les parties, au lendemain de l’ordonnance du 10 février 2016,
nement les différents textes votés dans l’urgence ou ont rédigé de nombreuses clauses par lesquelles elles évinçaient
la date du 12 mars fixée comme point de départ de la l’application de l’article 1195 du code civil et faisaient supporter
période juridiquement protégée ? Enfin, l’exécution le risque de l’imprévision à l’une d’entre elles. Ces clauses seront
doit être excessivement onéreuse. Cette condition très utiles dans les temps qui courent. Cependant, si elles ont été
doit être appréciée in concreto et dépendra encore rédigées sans mesure pour devenir des clauses de style, il n’est
des circonstances. La première question est de sa- pas exclu qu’on puisse les priver d’efficacité. Si la clause en vient
voir si cette condition doit donner lieu à une approche à mettre à la charge d’une partie la prise en charge de tous les
objective ou subjective. Objective, elle suppose de risques en exécutant à perte son contrat, ne peut-on pas envisa-
prendre en compte le contrat et de vérifier qu’il n’est ger qu’elle soit réputée non écrite au fondement de l’article 1170
pas manifestement déséquilibré au point d’être exé- du code civil : elle prive de sa substance l’obligation essentielle du
cuté à perte par l’une des parties. Subjective, elle débiteur. Si la clause crée un déséquilibre significatif, elle pourrait
exige de prendre en compte également la capacité tomber sous le feu des clauses abusives 55, ce qui suppose une vé-
financière de la partie concernée et pas seulement rification au cas par cas. L’imprévision ne porte pas sur le prix. Ar-
l’économie voulue par les parties. La première ana- gument soulevé par certains pour exclure l’article L. 212-1 du code
lyse paraît la plus conforme à l’esprit du législateur. de la consommation et l’article 1171 du code civil. Il s’agit d’une
Peut-on ensuite envisager d’appliquer l’article 1195 clause qui attribue les risques d’un événement extérieur à l’une des
du code civil à une hypothèse où le contrat procure parties. Un lien peut exister avec le prix mais à proprement parler
un enrichissement excessif à l’une des parties en rai- la clause ne porte ni sur l’objet de la prestation ni sur l’adéquation
son du changement de circonstances imprévisible au du prix à la prestation.
moment de la conclusion 53 ? Il est peu probable que Si aujourd’hui ces clauses devaient être rédigées pour se protéger
le législateur ait souhaité y intégrer cette hypothèse. des crises sanitaires cycliques, elles doivent l’être sur mesure. Si
Finalement, peut-on y intégrer le cas où la prestation les parties souhaitent évincer l’article 1195 du code civil, il est plus
aurait en raison du changement de circonstances prudent de prévoir une contrepartie ou une certaine réciprocité.
une valeur inférieure au prix qui est payé ? La ques- Pour ceux qui maintiendraient le jeu de cette disposition, il faut l’ac-
tion est débattue et la jurisprudence pour l’instant compagner d’une clause de conciliation préalable obligatoire sanc-
silencieuse. On comprend l’enjeu en période de crise tionnée par une fin de non-recevoir. Cette clause est indispensable
car, pour échapper à l’article 1195 et aux trois étapes imposées par
le texte, il suffirait à une partie de nier l’existence même de l’impré-
(53) V. not. Nancy, 26 sept. 2007, n° 06-02.221, D. 2010. 2481. vision pour saisir directement le juge. La clause de conciliation pré-
(54) J. de la Fontaine, L’huître et les plaideurs, Livre IX, fable 9. alable obligatoire le contraint à passer par cette première étape de
(55) C. consom., art. L. 212-1 ; C. com., art. L. 442-1 ; C. civ., art. 1171. discussion même s’il nie l’existence d’un cas d’imprévision. Cette

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Covid-19 et contrat Dossier
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clause permettrait aussi de fixer les modalités de la renégociation tives unilatérales. Dans le même esprit, le pouvoir de
(durée, parties, sanctions…). rompre unilatéralement le contrat hors le juge 57 doit
L’imprévision ne remédie cependant qu’à des cas exceptionnels. être utilisé avec modération. Les « risques et périls »
L’exécution excessivement onéreuse n’est pas simple à établir. auxquels renvoie l’article pourraient être utilisés par
Dans de nombreux cas, c’est une opération moins rentable que les juges pour lutter contre les excès de certains
prévu qui se profile. Il faut alors envisager d’autres fondements en contractants.
lien avec la formation du contrat. L’idée générale est de ne pas profiter de cette pé-
riode de crise pour abuser de personnes en situation
Les outils relatifs à la formation du contrat difficile. Le juge a dans sa boîte à outils contractuels
de nombreux instruments pour y remédier.
Il existe un outil à mi-chemin entre la formation et l’exécution. Il Au-delà des instruments légaux, il convient de dire
s’agit de la caducité. Un autre peut être invoqué mais plutôt comme quelques mots des outils jurisprudentiels.
un avertissement aux futurs contractants : la tentation de l’abus.

Les virtualités de la caducité


Les outils jurisprudentiels
Le nerf de la guerre : « l’élément essentiel ». La caducité est
désormais définie à l’article 1186 du code civil comme l’anéantis- Deux instruments pourraient connaître un certain
sement du contrat en raison de la disparition en cours d’exécu- succès dans les mois à venir : la bonne foi et la mi-
tion d’un élément essentiel au contrat lors de sa formation : « Un tigation.
contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments
essentiels disparaît » (al. 1er). L’obligation de renégocier de bonne foi
La crise sanitaire et les mesures administratives qui ont été prises
peuvent être à l’origine d’un contrat dont un de ses éléments L’obligation de renégocier de bonne foi qui ne serait
essentiels disparaîtrait en cours d’exécution. L’ordonnance du pas respectée peut être sanctionnée par l’attribution
10 février 2016 n’a pas défini ce qu’est un élément essentiel. C’est de dommages et intérêts. Cette obligation de rené-
une hypothèse qui est à mi-chemin entre l’impossibilité d’exécu- gociation imposée à une partie lorsque le prix exigé
ter de la force majeure et l’exécution excessivement onéreuse de du cocontractant risquerait à terme d’entraîner sa
l’imprévision. Il est ainsi envisageable qu’un contrat offre un intérêt ruine a pu être retenue dans quelques arrêts de la
économique différent de celui qui a déterminé l’engagement des Cour de cassation. On pense en particulier à l’arrêt
parties. Imaginons une promesse de vente qui vaut vente pour la ré- Huard de la chambre commerciale du 3 novembre
alisation d’un projet immobilier, industriel ou commercial partiel- 1992 : « Qu’en l’état de ces constatations et apprécia-
lement compromis par la crise sanitaire du Covid-19. L’imprévision tions, d’où il résultait l’absence de tout cas de force
est exclue mais la disparition d’un élément essentiel pourrait être majeure, la cour d’appel a pu décider qu’en privant
défendue. Le mieux, bien entendu, serait d’avoir au sein même du M. Huard des moyens de pratiquer des prix concur-
contrat une clause insistant sur le caractère essentiel et détermi- rentiels, la société BP n’avait pas exécuté le contrat
nant du but poursuivi, du projet visé. À en croire un auteur, qui se de bonne foi » 58. Cependant, plusieurs raisons ont pu
montre tout de même prudent, « dès lors, recouvrant partiellement faire douter de l’avenir d’un tel fondement.
ce que retenait déjà la jurisprudence, la caducité pourra jouer en Tout d’abord, si cette obligation de renégociation fon-
cas de disparition de la prestation, du prix, du contractant, et, avec dée sur la bonne foi a connu un certain succès, c’est
sans doute plus de réserves, de la contrepartie attendue ou l’intérêt en qualité de palliatif, de substitut à l’imprévision non
ayant poussé un contractant à s’engager » 56. Reste que si le projet reconnue en droit privé. La consécration de l’article
n’est pas totalement réalisable ou est réalisable dans des condi- 1195 du code civil réduirait l’intérêt de cette obliga-
tions différentes de celles qui avaient été prévues, sans être impos- tion. Surtout, la bonne foi, depuis un arrêt rendu par la
sible ni excessivement onéreux, la caducité peut être une troisième chambre commerciale le 10 juillet 2007 59, peut servir
voie ! On sait d’ailleurs que ces troisièmes voies sont particulière- à sanctionner l’abus d’une prérogative contractuelle
ment appréciées en période de crise. Cette crise sans précédent mais ne permet pas au juge de porter atteinte à la
qui guette le monde entier ne serait-elle pas le point de départ d’un substance même des droits et obligations. Or cette
retour en force des instruments de justice contractuelle ? Ne va-t- catégorie est entendue au sens très large car tout le
on pas vivre une nouvelle forme de solidarisme contractuel ? contenu du contrat, sans distinction, semble relever
de la substance même des droits et obligations. Pour
La tentation de l’abus preuve, un arrêt rendu par la chambre commerciale
L’abus peut être sanctionné de plusieurs manières. de la Cour de cassation le 19 juin 2019 60 a refusé au
L’article 1143 du code civil consacre l’abus d’état de dépendance juge du fond la possibilité de sanctionner le refus par
et en fait un nouveau cas de violence. Pourquoi évoquer un tel ar- le contractant de renégocier un contrat qui, à terme,
ticle ? Il faut rappeler qu’actuellement et encore plus demain, de allait entraîner l’asphyxie du partenaire et sa ruine.
nombreuses personnes morales et physiques vont se retrouver Selon la Cour de cassation, le juge ne peut pas porter
dans une situation d’état de dépendance économique. Certains
pourraient être tentés de faire de bonnes affaires. Rappelons-leur
ainsi qu’à leurs conseils qui doivent être vigilants que tirer un profit (56) J.-B. Seube, J.-Cl. Civ. Code, Art. 1186 et 1187, no 29.
illégitime d’un état de dépendance entraînera la nullité du contrat (57) C. civ., art. 1226.
et des dommages et intérêts par le seul fait d’abuser de cette situa- (58) Com. 3 nov. 1992, no 90-18.547 Bull. civ. IV, no 338 ; D. 1995. 85,
obs. D. Ferrier ; RTD civ. 1993. 124, obs. J. Mestre ; V. égal., Com. 24 nov.
tion. Cette évidence doit être rappelée. 1998, n° 96-18.357, Bull. civ. IV, n° 277 ; D. 1999. 9 ; RTD civ. 1999. 98,
Dans le même esprit, pour la fixation unilatérale du prix dans un obs. J. Mestre ; ibid. 646, obs. P.-Y. Gautier ; Com. 15 mars 2017, n° 15-
contrat-cadre ou un contrat de prestation de services, les articles 16.406, D. 2018. 371, obs. M. Mekki ; ibid. 865, obs. D. Ferrier.

1164 et 1165 du code civil permettent de sanctionner la fixation (59) Com. 10 juill. 2007, no 06-14.768, Bull. civ. IV, no 188 ; D. 2007. 2839,
obs. X. Delpech, note P. Stoffel-Munck ; ibid. 2844, note P.-Y. Gautier ;
abusive du prix, outil que le juge n’hésitera pas à utiliser dans ce ibid. 2966, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson.
type de conventions pour ceux qui abuseraient de leurs préroga- (60) Com. 19 juin 2019, no 17-29.000, RTD civ. 2019. 570, obs. H. Barbier.

AJ Contrat Avril 2020


Dossier Covid-19 et contrat
175

une atteinte aux modalités de paiement du prix fixé entre les parties, pourrait être consacrée par la Cour de cassation.
car cela relève de la substance même des droits et Certes, cette obligation n’est pas admise lorsqu’il s’agit d’une at-
obligations du contractant. teinte à l’intégrité physique 62 mais elle devrait être reconnue en ma-
Cependant, on peut aussi espérer que l’appréciation tière contractuelle ou plus largement pour les préjudices matériels
portée par le juge évolue dans les mois à venir. ou économiques. D’ailleurs cette obligation existe en filigrane dans
Tout d’abord, il faut admettre que le principe de certains textes spéciaux. Citons par exemple l’obligation qui pèse
bonne foi est désormais sacralisé par sa place au sur l’assuré après son sinistre 63. Il suffit de regarder également
sein des dispositions liminaires, ce qui en fait sinon les systèmes étrangers et les codes savants pour en comprendre
un principe général du moins un principe directeur l’utilité (art. 1479 du code civil québécois, art. 1227 du code civil ita-
du droit des contrats 61. Ensuite et surtout, la pé- lien, art. 254 du BGB, art. 9.5050 PDEC, art. 77 de la convention de
riode que nous allons vivre est l’une des crises les Vienne sur la vente internationale de marchandises, art. 7.4.8 des
plus profondes que la France et le monde n’ont ja- principes Unidroit). La Cour de cassation a parfois laissé entendre
mais connue. Si les outils trop stricts que sont la qu’une telle obligation pouvait être admise pour un préjudice ma-
force majeure et l’imprévision ne permettent pas de tériel 64. Surtout, le projet de réforme du droit de la responsabilité
lutter efficacement contre toutes les injustices, le du 13 mars 2017 prévoit sa consécration. Cette obligation fondée
juge n’hésitera pas en période de crise à revenir aux dans le contrat sur le devoir de bonne foi et le principe de collabo-

Dossier
instruments classiques, parmi lesquels le principe ration est d’autant plus bienvenue à une époque de profonde crise
de bonne foi et le devoir de collaboration, nouvelle économique où tout le monde doit faire preuve de mesure et agir de
vague du solidarisme imposée par les circonstances. manière solidaire. Les conséquences du Covid-19 vont causer des
préjudices, sans que la force majeure ne puisse être invoquée, pas
L’obligation de minimiser le dommage plus que l’imprévision. Si le créancier mérite réparation, il est aussi
de son devoir de minimiser les conséquences et de prendre les me-
Il semble que, dans le même esprit, l’obligation de sures raisonnables qui éviteront une aggravation de son préjudice.
minimiser le dommage à la charge de la victime pour En définitive, nous connaissons la plus importante crise écono-
éviter que son dommage ne s’aggrave, fondée sur le mique et sociale depuis 1929. Le droit plus que jamais doit jouer
principe de bonne foi et le devoir de collaboration son rôle : permettre de lutter contre l’angoisse contemporaine en
offrant prévisibilité, sécurité et justice. Le droit des contrats peut
contribuer à lutter contre la crise 65. Il n’est cependant pas certain
(61) C. civ., art. 1104.
(62) Civ. 2e, 19 juin 2003, no 00-22.302, 2 arrêts, Dibaoui c/ Flamand et que la voie judiciaire soit la plus adaptée, du moins pour le moment.
a., no 931, FS-P+B+R+I, et Consorts Lallemand c/ Decrept et a., no 930, Le procès a besoin d’un temps long et les standards juridiques du
FS-P+B+R+I, Bull. civ. II, no 203 ; D. 2003. 2326, note J.-P. Chazal ; Civ. 1re, droit des contrats rendent la décision du juge parfois peu prévisible.
15 janv. 2015, no 13-21.180, Bull. civ. I, no 13 ; D. 2015. 1075, note
T. Gisclard.
La solution est donc ailleurs. Aujourd’hui plus que jamais, l’avenir
(63) C. assur., art. L. 172-3. est dans l’utilisation sans modération des modes alternatifs de rè-
(64) Civ. 2e, 24 nov. 2011, no 10-25.635, D. 2012. 141, note H. Adida- glement des conflits.
Canac.
(65) M. Mekki, « Libéralisme et solidarisme : quelle philosophie du
contrat pour sortir de la crise ? », RDC 2010. 383.

Avril 2020 AJ Contrat


Covid-19 et contrat Dossier
176

L’impact du Covid-19 sur les contrats


commerciaux

par Roland Ziadé


Avocat aux Barreaux de Paris, New York et Beyrouth, associé (Linklaters LLP)
Claudia Cavicchioli
Avocat au Barreau de Paris (Linklaters LLP), docteur en droit

L’émergence du coronavirus (Covid-19) en janvier 2020 et sa ra- La grande majorité des contrats commerciaux
pide propagation de la Chine aux autres régions du monde entraîne contient, à cet égard, une clause expresse désignant
une crise sanitaire et sociétale d’envergure mondiale. Le 30 jan- la compétence d’un tribunal arbitral ou d’une juridic-
vier 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a qualifié le tion étatique 2. Si tel n’est pas le cas, les règles de
Covid-19 d’urgence de santé publique de portée internationale, à conflit de juridictions pourront permettre de déter-
savoir un événement extraordinaire 1. Puis le 11 mars 2020, l’OMS miner le ou les tribunaux compétents 3.
le qualifiait de pandémie. Si le juge français est compétent, le droit applicable
Aux impacts sanitaires s’ajoutent des conséquences économiques pourra être déterminé en vertu des règles de conflit
et financières pouvant affecter profondément les relations com- de lois, et ce en fonction du cas d’espèce. Un contrat
merciales tant au niveau domes- de vente régi par la convention de Vienne de 1980
tique que sur le plan internatio- sur la vente internationale de marchandises pourrait
Si le droit français régit le
nal. Depuis le début de la crise, néanmoins, en cas d’établissement du vendeur et
contrat commercial en cause, de nombreuses entreprises se de l’acheteur sur les territoires d’États parties, être
il convient d’analyser comment voient en effet confrontées à des directement appréhendé par les règles matérielles
sa conception de la force difficultés dans l’exécution de uniformes de cette convention 4, sauf si le vendeur et
majeure et de l’imprévision leurs contrats, se manifestant, l’acheteur ont exclu son application.
peuvent appréhender le entre autres, sous la forme de À défaut, toujours pour le cas du contrat de vente
Covid-19 et ses conséquences retards de livraison, difficultés d’objets mobiliers corporels, la convention de La
de paiement, impossibilité d’ap- Haye de 1955 reconnaît comme applicable la loi
provisionnement, augmentation choisie par les parties contractantes 5. Sans choix
du prix des matières premières ou autres. Celles-ci ont vraisem-
blablement été exacerbées par les mesures restrictives d’interdic-
tion de se déplacer, de confinement et de quarantaine, ainsi que de
(1) L’urgence de santé publique de portée internationale est définie
fermeture d’établissements et de frontières aux non-nationaux dans comme un « événement extraordinaire » qui « constitue un risque pour
certains pays. la santé publique dans d’autres États en raison du risque international
de propagation des maladies et [qui] peut requérir une action
Confrontées à ces difficultés, les parties à un contrat commercial se-
internationale coordonnée » (OMS, Règlement sanitaire international,
ront en premier lieu appelées à vérifier le mode de résolution de litiges 2005, art. 1er).
ainsi que le droit applicables. (2) Ces clauses prévoient parfois des phases préalables de règlement
Si les parties ont désigné le droit français, ce dernier prévoit deux amiable. Si la phase amiable est obligatoire, elle devra être respectée
sous peine d’irrecevabilité de la demande. V., à cet égard, Cass., ch.
mécanismes permettant tout particulièrement d’appréhender des
mixte, 14 févr. 2003, no 00-19.423, D. 2003. 1386, et les obs., note
événements imprévisibles qui surviendraient en cours d’exécution du P. Ancel et M. Cottin ; ibid. 2480, obs. T. Clay ; Dr. soc. 2003. 890, obs.
contrat et qui en rendraient l’exécution impossible ou excessivement M. Keller ; RTD civ. 2003. 294, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 349, obs.
R. Perrot ; JCP 2003. I. 142, no 13, obs. G. Virassamy ; JCP E 2003. 707,
onéreuse : la force majeure et l’imprévision. Dès lors, l’enjeu juridique
note H. Croze et D. Gautier ; Rev. arb. 2003. 403, note C. Jarrosson ;
est d’évaluer si et comment cette pandémie pourrait être appréhen- RDC 2003. 182, obs. L. Cadiet, et p. 189, obs. X. Lagarde ; Civ. 3e, 19 mai
dée sous les prismes de la force majeure et de l’imprévision. 2016, no 15-14.464, D. 2016. 2377, note V. Mazeaud ; ibid. 2589, obs.
Les parties disposent, par ailleurs, de la faculté de prévoir des stipu- T. Clay ; ibid. 2017. 375, obs. M. Mekki ; ibid. 422, obs. N. Fricero ; RTD
civ. 2016. 621, obs. H. Barbier ; Civ. 3e, 6 oct. 2016, no 15-17.989, Civ. 3e,
lations contractuelles pouvant être mises en œuvre dans ces circons- 6 oct. 2016, n° 15-17.989, D. 2016. 2071 ; ibid. 2017. 375, obs. M. Mekki ;
tances, le législateur français ayant pour sa part mis à leur disposition ibid. 422, obs. N. Fricero ; AJ contrat 2016. 545, obs. N. Fricero ; RTD civ.
un mécanisme de suspension des sanctions de l’inexécution. 2017. 146, obs. H. Barbier ; Com. 30 mai 2018, no 16-26.403, D. 2018.
1212 ; AJ contrat 2018. 338, obs. N. Dissaux ; RTD civ. 2018. 642, obs.
H. Barbier ; RDC 2018. 572, note C. Pelletier.
(3) À titre d’exemple, le règlement (UE) no 1215/2012 du 12 déc. 2012
■■ L’identificationpréalable du concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution
des décisions en matière civile et commerciale, JOUE, no L. 351, 20 déc.

droit applicable au contrat et du (Bruxelles I bis).


(4) Civ. 1re, 25 oct. 2005, no 99-12.879, D. 2005. 2872, obs. E. Chevrier ; ibid.
mécanisme de règlement des litiges 2007. 530, obs. C. Witz ; Rev. crit. DIP 2006. 373, note D. Bureau ; RTD civ. 2006.
268, obs. P. Remy-Corlay ; RTD com. 2006. 249, obs. P. Delebecque ; RDC 2006.
515, obs. P. Deumier ; Dr. et patr. 2006. 74, obs. M.-E. Ancel ; Com. 20 févr.
2007, no 04-17.752, D. 2007. 795, obs. E. Chevrier ; RTD civ. 2007. 302, obs.
Les contractants souhaitant identifier l’arsenal juridique dont P. Remy-Corlay ; RTD com. 2007. 586, obs. B. Bouloc ; ibid. 2008. 208, obs.
ils pourront se prévaloir à l’égard du Covid-19 et de ses consé- P. Delebecque ; RDC 2007. 1255, note J.-B. Racine ; JDI 2007. 1211, note
quences devront en premier lieu déterminer le tribunal (arbi- S. Hotte.

tral ou étatique) compétent pour connaître des litiges relatifs au (5) Un tel choix peut être exprès ou résulter « indubitablement des dispositions
du contrat » (Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux
contrat en question. ventes à caractère international d’objets mobiliers corporels, art. 2).

AJ Contrat Avril 2020


Dossier Covid-19 et contrat
177

exprimé par les parties, cette convention prévoit une sera considéré comme un « cas de force majeure » et en consé-
série de dispositions permettant d’aboutir à la dé- quence, que « pour tous les marchés publics de l’État, si jamais il
signation de la loi applicable sur la base de critères y a un retard de livraison de la part des PME ou des entreprises,
objectifs. [l’État] n’appliquer[a] pas de pénalités » 9.
Lorsque la convention de La Haye de 1955 désigne la D’autres gouvernements ont effectué des déclarations similaires,
loi d’un État partie à la convention de Vienne 6, le juge à l’instar de différents ministères indiens qui ont affirmé que le
français fera application des dispositions de cette Covid-19 ainsi que les mesures de confinement prises seront
dernière, à condition, là encore, que les parties ne considérés comme un cas de force majeure pour certains types de
l’aient pas exclue. contrats publics 10.
Pour les autres contrats, il faudra se tourner vers le Par ailleurs, le Conseil chinois pour la promotion du commerce in-
règlement Rome I 7 ou, pour ceux conclus avant le ternational accepte de délivrer des certificats de force majeure aux
17 décembre 2009, la convention de Rome de 1980 8. sociétés chinoises dont l’activité serait affectée par le Covid-19 11.
Là aussi, il sera nécessaire de rechercher en pre- Le ministère du Développement économique italien a également
mier lieu la loi choisie par les parties, de manière prévu que les chambres de commerce italiennes puissent délivrer
expresse ou tacite et, à défaut d’accord, de mettre des certificats similaires 12.
en œuvre les critères objectifs prévus par ces ins- Ces prises de position ne semblent toutefois pas pouvoir lier les ju-

Dossier
truments. ridictions françaises, qui restent libres de déterminer si, au regard
Si le droit français régit le contrat commercial en des circonstances du litige dont elles seraient saisies, les éléments
cause, il convient d’analyser comment sa conception permettent de caractériser l’existence d’un cas de force majeure 13,
de la force majeure et de l’imprévision peuvent ap- surtout lorsque tant le lieu d’exécution que le droit applicable
préhender le Covid-19 et ses conséquences. pointent vers la France.
À cet égard, il est intéressant de rappeler que la jurisprudence
française a écarté à de multiples reprises la caractérisation d’un
■■ L’impact du Covid-19 sous le cas de force majeure en cas d’épidémie. Ainsi, à titre d’exemple :
■■ la cour d’appel de Paris, appelée à juger d’un cas d’annulation de

prisme de la force majeure voyage en raison d’une épidémie de peste dans une région voisine d’une
escale prévue, a refusé la qualification de force majeure, en soulignant
Le 28 février 2020, Bruno Le Maire, ministre de l’Éco- que « l’épidémie ne présentait aucun caractère de certitude ou de gra-
nomie et des Finances, a déclaré que le Covid-19 vité suffisante, qu’aucune consigne n’avait été donnée aux compagnies
aériennes ou aux agences de voyages pour éviter la région en cause,
(6) Convention des Nations unies sur les contrats de vente et qu’en tout état de cause la protection contre un risque de contagion
internationale de marchandises. pouvait être assurée par la prise d’un traitement antibiotique préventif et
(7) Règl. CE no 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations qu’un médecin accompagnait le groupe de voyageurs » 14 ;
contractuelles, JOUE, no L. 177, 4 juill. (Rome I).
■■ dans un arrêt du 29 décembre 2009, la cour d’appel de Saint-Denis de
(8) Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations
contractuelles, JOCE, no C. 27, 26 janv. La Réunion a considéré que le caractère imprévisible d’une épidémie
(9) B. Le Maire, « Coronavirus et monde du travail : réunion avec les de chikungunya faisait défaut, car celle-ci avait débuté quatre mois
partenaires sociaux », 28 févr. 2020. avant la signature du contrat en question 15 ;
(10) Ministry of Finance, Department of Expenditure, Procurement Policy ■■ dans un arrêt du 22 novembre 2010, la cour d’appel de Nancy a
Division, No. F. 18/4/2020-PPD, 19 févr. 2020 (contrats publics pour l’achat de
bien et la fourniture de services) ; Ministry of New & Renewable Energy, Grid jugé que la dengue en Martinique ne pouvait pas être qualifiée de
Solar Power Division, No. 283/18/2020, 20 mars 2020. force majeure, dès lors qu’elle n’était ni imprévisible, en raison de
(11) V. http://en.ccpit.org/info/info_40288117668b3d9b0170671f67f30 son caractère récurrent dans la région, ni irrésistible, au vu des
716.html. Le premier certificat de force majeure semble avoir été
délivré à une société de fabrication dans la province de Zhejiang qui
mesures de protection individuelle qui peuvent être mises en place,
avait affirmé ne pas pouvoir respecter ses obligations contractuelles à des symptômes (« forte fièvre accompagnée de maux de tête, de
l’encontre de Peugeot, pour un montant d’environ 4 millions de dollars courbatures et d’asthénie pouvant durer plusieurs semaines ») et
(G. Lee, « China offers force majeure escape clause for factories that
de l’absence de complications dans la majorité des cas 16 ;
breach supply contracts as coronavirus shutdowns leave assemblies
■■ dans un arrêt du 8 janvier 2014, la cour d’appel de Besançon a
idle », South China Morning Post, 3 févr. 2020. Il semblerait qu’au début
du mois de mars, le China Council for the Promotion of the International écarté la qualification de force majeure en présence d’une épidémie
Trade (CCPIT) avait déjà délivré environ 5 000 certificats de ce type. de grippe H1N1, dès lors que ladite épidémie avait été « largement
(12) Circolare MISE no 0088612, 25 mars 2020. Ces certificats, tout
comme ceux délivrés par le CCPIT, ne sauraient néanmoins être
annoncée et prévue, avant même la mise en œuvre de la réglemen-
interprétés comme contenant un avis juridiquement contraignant, tation sanitaire » 17 ;
bien que pouvant être utilisés comme moyen de preuve en cas de ■■ dans un arrêt du 17 mars 2016, la cour d’appel de Paris, appe-
contentieux. V., concernant les certificats du CCPIT, A. Discours, S. Qu
lée à statuer sur les conséquences de l’épidémie de virus Ebola,
et J. Buhart, « L’impact du Covid-19 sur l’exécution des contrats. Étude
comparative droit chinois / droit français », JCP 2020. 329. ne s’est pas prononcée sur la qualification de force majeure d’un
(13) À titre d’exemple et de comparaison, la Cour de cassation a souligné tel événement, mais a retenu qu’il n’existait pas de lien de causa-
que la qualification administrative de catastrophe naturelle, donnée par lité entre cette épidémie et la prétendue impossibilité d’exécuter
arrêté à un événement, ne confère pas nécessairement audit événement,
vis-à-vis des parties à un contrat de droit privé, le caractère de force
l’obligation contractuelle. Ainsi, elle a affirmé que « le caractère
majeure (Civ. 3e, 24 mars 1993, no 91-13.541, RTD civ. 1993. 595, obs. avéré de l’épidémie qui a frappé l’Afrique de l’Ouest à partir du mois
P. Jourdain). Bien entendu, les déclarations et qualifications des autorités de décembre 2013, même à la considérer comme un cas de force
nationales et des organisations internationales ne manqueront pas d’être
majeure, ne suffit pas à établir ipso facto que la baisse ou l’absence
invoquées par les parties se prévalant de l’existence d’un cas de force
majeure comme des indices de son existence. de trésorerie invoquée par la société appelante lui serait imputable,
(14) Paris, 25 sept. 1998, no 96/08159. Toutefois, ce précédent est faute d’éléments comptables » 18 ;
sans doute assez distant de l’épidémie actuelle, ayant conduit à la ■■ la cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 29 mars 2016, s’est abs-
suspension brutale des transports aériens, V. infra.
tenue de retenir, à nouveau s’agissant de l’épidémie de virus Ebola,
(15) Saint-Denis de La Réunion, 29 déc. 2009, no 08/02114.
(16) Nancy, 22 nov. 2010, no 09/00003.
la qualification de force majeure et a affirmé que « la propagation
(17) Besançon, 8 janv. 2014, no 12/02291. du virus Ebola en Afrique de l’Ouest et la présence du djihadisme
(18) Paris, 17 mars 2016, no 15/04263. au Sénégal ne rendent pas l’exécution des obligations du preneur
(19) Paris, 29 mars 2016, no 15/05607. impossible » 19 ;

Avril 2020 AJ Contrat


Covid-19 et contrat Dossier
178

la cour d’appel de Basse-Terre, dans un arrêt du 17 décembre


■■ débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu
2016 rendu à propos du virus chikungunya, a retenu que « cette épi- lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne
démie ne peut être considérée comme ayant un caractère imprévi- peuvent être évités par des mesures appropriées, em-
sible et surtout irrésistible puisque, dans tous les cas, cette maladie pêche l’exécution de son obligation par le débiteur » 28.
soulagée par des antalgiques est généralement surmontable (les Selon les cas de figure, le Covid-19 ou tout au moins
intimés n’ayant pas fait état d’une fragilité médicale particulière) et les mesures mises en œuvre par les différents gou-
que l’hôtel pouvait honorer sa prestation durant cette période » 20. vernements semblent remplir les conditions d’ex-
Toutefois, plusieurs arrêts récents – rendus précisément au sujet tériorité, d’imprévisibilité et d’irrésistibilité et sont
du Covid-19 – retiennent la qualification de force majeure 21 : donc susceptibles de caractériser un cas de force
■■ dans plusieurs arrêts de mars 2020, la cour d’appel de Douai a in- majeure au sens de l’article 1218 du code civil 29.
diqué que l’annulation d’un vol par les autorités italiennes « en rai-
son du risque de pandémie liée au coronavirus » 22, « en raison des Un événement échappant
événements sanitaires liés au coronavirus » 23 ou encore « en rai- au contrôle du débiteur
son de la situation sanitaire due à la propagation du coronavirus » 24
constituait un cas de force majeure ; En ce qui concerne la condition tenant à l’existence
■■ dans un arrêt du 12 mars 2020, la cour d’appel de Colmar a retenu d’un « événement échappant au contrôle du débi-
que l’absence à l’audience d’une personne faisant l’objet d’une ré- teur », en fonction des circonstances, l’émergence
tention administrative était due à un cas de force majeure, en raison et la propagation du Covid-19, qui a été considérée
de la présence, dans le centre de rétention, d’une autre personne par l’OMS comme une urgence de santé publique de
atteinte de Covid-19 25 ; portée internationale, puis une pandémie et/ou les
■■ dans deux arrêts rendus le 16 mars 2020, la cour d’appel de Colmar mesures étatiques qui ont suivi (interdiction de dé-
a souligné que « la situation [liée au Covid-19] demeure très évolutive, placement, interdiction de vente de certains produits
avec l’imminence possible de mesures de confinement, et marquée médicaux, fermeture d’établissements, etc.) pour-
d’ores et déjà par un passage au stade 3 impliquant une circulation raient être considérées comme remplissant cette
active du virus, de surcroît dans les départements du Haut-Rhin et du condition.
Bas-Rhin, qui constituent des foyers particulièrement notables de l’épi- Quant au Covid-19 stricto sensu, il semble en effet
démie, caractérisée par un degré de contagion important et de nature à difficile de considérer qu’il n’échapperait pas au
faire courir des risques réels et suffisamment sérieux à l’ensemble des contrôle du débiteur.
personnels requis pour assurer la tenue de l’audience en présence du Certaines des mesures étatiques qui ont été adoptées
retenu », pour en déduire que ces circonstances « revêtent le caractère pour lutter contre la propagation du Covid-19 semblent
de la force majeure, étant extérieures, imprévisibles et irrésistibles » 26 ; également pouvoir avoir un impact sur différents
■■ dans deux arrêts du 23 mars 2020, la cour d’appel de Colmar a re- types de contrats et devoir être considérées comme
tenu l’existence d’un cas de force majeure en raison « de la pandémie échappant au contrôle du débiteur. À titre d’exemple,
Covid-19 en cours et des mesures de confinement prises par l’autorité un certain nombre d’arrêtés ont été pris, depuis dé-
publique » 27. but mars 2020, en vue d’interdire les rassemblements
Les derniers arrêts cités, certes relatifs à des cas assez spécifiques au-delà d’un certain seuil 30 ou encore afin d’ordonner
de rétention administrative, permettent d’avoir un premier aperçu
de l’appréciation qui pourrait être portée par les juridictions fran-
çaises au sujet de la qualification
de force majeure du Covid-19 et (20) Basse-Terre, 17 déc. 2018, no 17/00739.
Certaines des mesures étatiques de ses conséquences en présence (21) Douai, 4 mars 2020, no 20/00395 ; Douai, 5 mars 2020, nos 20/00400
et 20/00401 ; Colmar, 12 mars 2020, no 20/01098 ; Colmar, 16 mars 2020,
qui ont été adoptées pour d’un contrat commercial. no 20/01142 ; Colmar, 16 mars 2020, no 20/01143 ; Colmar, 23 mars 2020,
lutter contre la propagation du Au vu de l’ampleur et de la ra- no 20/01206 ; Colmar, 23 mars 2020, no 20/01207.

Covid-19 semblent également pidité de la propagation du (22) Douai, 4 mars 2020, no 20/00395.
Covid-19, des conséquences (23) Douai, 5 mars 2020, no 20/00400.
pouvoir avoir un impact sur (24) Douai, 5 mars 2020, no 20/00401.
différents types de contrats et graves et potentiellement mor-
telles de celui-ci, mais égale- (25) Colmar, 12 mars 2020, no 20/01098.
devoir être considérées comme (26) Colmar, 16 mars 2020, no 20/01142 ; Colmar, 16 mars 2020, no 20/01143.
ment des mesures très strictes
échappant au contrôle du (27) Colmar, 23 mars 2020, no 20/01206 ; Colmar, 23 mars 2020, no 20/01207.
et sans précédent prises par de
débiteur (28) Cet article est applicable aux contrats conclus à partir du 1er oct.
nombreux pays ainsi que de son 2016, mais il sera néanmoins possible de se référer à la jurisprudence
impact délétère sur l’économie, rendue sous l’empire du droit antérieur quant à l’interprétation des
critères d’imprévisibilité, d’extériorité et d’irrésistibilité. Pour les
il est en effet fort probable que contrats conclus avant le 1er oct. 2016, il est nécessaire de se référer à
les juridictions françaises se montrent réceptives et favorables à l’ancien article 1148 du code civil, aux termes duquel « [il] n’y a lieu à
prendre en considération les difficultés rencontrées par les parties aucuns dommages et intérêts lorsque, par suite d’une force majeure
ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire
à un contrat commercial qui en serait affecté, sous réserve bien
ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit ». Il convient
entendu des circonstances particulières d’espèce. par ailleurs de noter que l’article 79 de la convention de Vienne sur les
Il convient donc d’analyser si le Covid-19 et/ou les mesures éta- contrats de vente internationale de marchandises prévoit qu’une partie
tiques prises afin de limiter sa propagation et ses conséquences n’ayant pas exécuté une obligation sera exonérée de responsabilité
si elle prouve que « cette inexécution est due à un empêchement
pourraient constituer un cas de force majeure en présence d’un indépendant de sa volonté et que l’on ne pouvait raisonnablement
contrat commercial et, dans l’affirmative, d’en déterminer les ef- attendre d’elle qu’elle le prenne en considération au moment de la
fets sur ce contrat. conclusion du contrat, qu’elle le prévienne ou le surmonte ou qu’elle
en prévienne ou surmonte les conséquences ».
(29) La force majeure étant une notion de droit, les juges du fond
L’existence d’un cas de force majeure apprécieront souverainement les faits de l’espèce, mais la Cour de
cassation pourra en contrôler la qualification. V. Rép. civ., vo Force
majeure, par F. Gréau, juin 2017, no 25 ; F.-X. Testu, Contrats d’affaires,
Dalloz, 2010, no 114.12.
Aux termes de l’article 1218 du code civil, « [il] y a force majeure en (30) Arr. du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte
matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du contre la propagation du virus Covid-19, JO 15 mars, texte no 16.

AJ Contrat Avril 2020


Dossier Covid-19 et contrat
179

la fermeture au public de tous les commerces jugés sence d’une épidémie de chikungunya, celle-ci ayant débuté avant la
non indispensables 31. Or la fermeture d’un commerce signature du contrat en question 34.
qui serait imposée par arrêté semble de nature à être Le Covid-19 étant une forme nouvelle de virus, pour laquelle n’existe
qualifiée par les juges français d’événement échap- à ce jour aucun vaccin, cette condition sera selon toute vraisemblance
pant au contrôle du débiteur 32. satisfaite pour tous les contrats conclus/renouvelés/reconduits avant
janvier 2020. La situation semble en effet pouvoir être distinguée de
Un évènement qui ne pouvait être celle qui avait été soumise à la cour d’appel de Nancy relative à un
raisonnablement prévu lors de cas d’épidémie récurrente de dengue 35 ou encore de celle soumise à
la conclusion du contrat la cour d’appel de Besançon relative à la grippe H1N1, qui avait été
« largement annoncée et prévue » 36.
L’analyse du critère tenant à l’existence d’un événe- En revanche, divers débats seront susceptibles de surgir à l’égard
ment qui « ne pouvait être raisonnablement prévu lors des contrats conclus/renouvelés/reconduits après cette date. En
de la conclusion du contrat » dépendra largement du effet, à partir de quel moment sera-t-il possible de considérer que
moment de conclusion du contrat ou des dates de re- l’événement aurait pu être raisonnablement prévu ? De l’apparition
nouvellement ou de tacite reconduction de celui-ci, du Covid-19 en Chine ? De la détection du premier cas de contami-
qui font naître un nouveau contrat 33. nation en Europe, voire en France ? De l’une ou l’autre des décla-

Dossier
C’est précisément en raison de l’absence d’imprévi- rations de l’OMS ? Un auteur a souligné qu’il faudrait prendre en
sibilité que la cour d’appel de Saint-Denis de La Réu- considération le « moment auquel à la fois l’existence et l’ampleur de
nion a écarté la qualification de force majeure en pré- l’épidémie ont été portées à la connaissance des contractants ou ne
pouvaient l’ignorer » 37.

Un événement empêchant l’exécution d’une obligation et dont


(31) Arr. du 15 mars 2020 complétant l’arrêté du 14 mars 2020 portant
diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus
les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées
Covid-19, JO 16 mars, texte no 2.
(32) V., par ex., Amiens, 20 déc. 2016, no 15/01482. En fonction des circonstances, l’apparition du Covid-19 et/ou les
(33) C. civ., art. 1214, al. 2 : « [L]e renouvellement donne naissance à un mesures étatiques qui ont suivi peuvent empêcher l’exécution d’une
nouveau contrat dont le contenu est identique au précédent mais dont
la durée est indéterminée » ; C. civ., art. 1215 : « [L]orsqu’à l’expiration obligation contractuelle. Le Covid-19 s’est en effet révélé avoir des
du terme d’un contrat conclu à durée déterminée, les contractants conséquences potentiellement létales et a entraîné une série de me-
continuent d’en exécuter les obligations, il y a tacite reconduction. sures restrictives sans précédent, limitant les déplacements, impo-
Celle-ci produit les mêmes effets que le renouvellement du contrat ».
(34) Saint-Denis de La Réunion, 29 déc. 2009, no 08/02114.
sant le confinement et la fermeture d’établissements, ainsi que de
(35) Nancy, 22 nov. 2010, no 09/00003. En particulier, la cour d’appel de frontières.
Nancy a estimé que (i) cette maladie virale, dite « grippe tropicale », D’emblée, il est important de souligner que le niveau d’exigence de
très répandue, a été décrite pour la première fois en 1779 et sévit l’article 1218 du code civil est particulièrement élevé et nécessite que
régulièrement depuis le début des années 1980 dans l’ensemble de
la zone intertropicale, (ii) le phénomène épidémique présentait un
l’exécution de l’obligation soit impossible 38. Si l’exécution de ladite
caractère récurrent notamment dans les Antilles françaises, et (iii) la obligation est simplement rendue plus difficile ou plus onéreuse,
survenance au cours du mois d’août 2007 et dans les mois suivants de cela ne permettra pas de caractériser l’existence d’un cas de force
nombreux cas de dengue, jusqu’à aboutir au dépassement du seuil
épidémique, n’était pas un phénomène nouveau. Elle en a conclu que
majeure, puisque des moyens alternatifs auraient pu être mis en
« l’épidémie survenue au cours de l’année 2007 ne présentait donc pas œuvre pour respecter les engagements contractuels.
un caractère imprévisible ». C’est pour cela que la force majeure ne devrait normalement pas
(36) Besançon, 8 janv. 2014, no 12/02291. trouver à s’appliquer à l’égard d’une obligation de payer une somme
(37) J. Heinich, « L’incidence de l’épidémie de coronavirus sur les
d’argent 39.
contrats d’affaires : de la force majeure à l’imprévision », D. 2020.
Chron. 611. Ainsi, si l’obligation contractuelle se heurte à une décision étatique
(38) V., par ex., Paris, 29 mars 2016, no 15/05607, qui écarte la qui en rend l’exécution impossible (comme en cas d’impossibilité de
qualification de force majeure au sujet du virus Ebola, car ce dernier voyager dans un pays à la suite de l’annulation des vols pour des rai-
n’avait pas rendu l’exécution des obligations impossible. Il reste, par
sons sanitaires), l’existence d’un cas de force majeure semble pou-
ailleurs, important de démontrer le lien de causalité entre l’événement
et l’impossibilité d’exécuter le contrat (V., à cet égard, Paris, 17 mars voir être caractérisée, à condition toutefois que les autres conditions
2016, no 15/04263, dans lequel la cour d’appel a retenu qu’il n’existait soient également réunies.
pas de lien de causalité entre l’épidémie d’Ebola et la prétendue
En revanche, si l’exécution de l’obligation reste possible, par exemple
impossibilité d’exécuter l’obligation contractuelle).
(39) À cet égard, la Cour de cassation a pu affirmer que « le débiteur en remplaçant la marchandise, en déplaçant la production à d’autres
d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut sites, ou encore en faisant appel à des mécanismes alternatifs d’ap-
s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure » provisionnement, la force majeure ne sera pas caractérisée.
(Com. 16 sept. 2014, no 13-20.306, D. 2014. 2217, note J. François ; Rev.
L’impossibilité d’exécuter une obligation risque de générer des effets
sociétés 2015. 23, note C. Juillet ; RTD civ. 2014. 890, obs. H. Barbier ;
JCP E 2014. 1117, note V. Mazeaud ; RDC 2015. 21, obs. Y.-M. Laithier). en cascade en cas de chaîne contractuelle. Dans ce cas-là, les condi-
On considère traditionnellement qu’il est impossible, ou à tout le moins tions de la force majeure devront être appréhendées et démontrées
très difficile, d’invoquer avec succès la force majeure si l’obligation
contrat par contrat, sans se livrer à une appréciation globalisante.
litigieuse porte sur une chose fongible. L’impossibilité d’exécuter une
telle obligation ne pourra en effet être le cas échéant démontrée que
dans des cas très rares et spécifiques, tenant par exemple à un incident
technique empêchant la réalisation d’un ordre de virement avant la Les conséquences en cas de force majeure
date convenue ou à une maladie empêchant le débiteur d’honorer
son engagement. Les juridictions françaises se montrent toutefois
particulièrement strictes à cet égard. V. Civ. 3e, 19 sept. 2019, no 18- Quelle que soit la durée de l’événement de force majeure, celui-ci a
18.921, AJDI 2019. 819 ; JCP N 2020. 24, obs. S. Piedelièvre, dans lequel pour effet d’exonérer le débiteur placé dans l’impossibilité d’exécuter sa
la force majeure a été écartée en cas de maladie cardiaque invoquée
par un débiteur afin de justifier le défaut de comparution devant le
prestation de sa responsabilité 40. À cet effet exonératoire, s’ajoutent des
notaire pour signer un acte authentique de vente. conséquences qui varient en fonction de la durée de l’empêchement.
(40) C. civ., art. 1231-1 : « [L]e débiteur est condamné, s’il y a lieu, Aux termes du second alinéa de l’article 1218, en effet, « si l’empêche-
au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution ment est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins
de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie
pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure ». F. Gréau, que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si
préc., no 12. l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les

Avril 2020 AJ Contrat


Covid-19 et contrat Dossier
180

parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions pré- du code civil 51. De la même manière, l’émergence
vues aux articles 1351 et 1351-1 » 41. et la propagation du Covid-19, tout comme les me-
Ainsi, si l’impossibilité d’exécuter l’obligation contractuelle n’est sures législatives ou gouvernementales prises par
que temporaire, l’exécution de l’obligation en question sera uni- les différents États, sont en principe susceptibles
quement suspendue, sans que cela engage la responsabilité du de remplir ce critère.
débiteur. En d’autres termes, les obligations qui ne peuvent être Toutefois, l’article 1195 du code civil exige que ce
exécutées seront reportées et devront être réalisées dès que la changement de circonstances ait été imprévisible au
situation le permettra (par exemple lorsque le pic de l’épidémie moment de la formation du contrat. Cette exigence
sera passé et que l’interdiction de circuler ou d’ouvrir certains étant analogue à celle prévue en matière de force
établissements non essentiels sera levée) 42. L’effet suspensif majeure, l’appréciation du juge à cet égard devrait
sera néanmoins écarté lorsque le retard justifiera la résolution donc être similaire 52.
du contrat.
En revanche, en cas d’empêchement définitif, le contrat sera ré- Une exécution excessivement onéreuse
solu de plein droit, sans que la responsabilité du débiteur puisse
être engagée à cet égard 43, et les parties auront le droit, le cas Le changement de circonstances doit rendre l’exé-
échéant, de réclamer la restitution des contreparties contrac- cution « excessivement onéreuse ». Une telle
tuelles déjà exécutées 44. condition est donc moins exigeante que celle rela-
tive à la force majeure, pour laquelle il est néces-
saire de démontrer que l’exécution de l’obligation
■■ L’impactdu Covid-19 sous le en question était devenue impossible.
Pour l’heure, et en raison de son caractère récent,
prisme de l’imprévision la jurisprudence n’a pas encore eu à se pronon-
cer à notre connaissance sur l’interprétation des
L’article 1195 du code civil, applicable aux contrats conclus après
le 1er octobre 2016, permet désormais à une partie de demander,
sous certaines conditions, la renégociation du contrat et, en cas
de refus ou d’échec des négociations, de saisir un juge afin de lui (41) L’article 1351 du code civil dispose que « [l]’impossibilité
d’exécuter la prestation libère le débiteur à due concurrence lorsqu’elle
demander de réviser le contrat ou d’y mettre fin 45. procède d’un cas de force majeure et qu’elle est définitive, à moins
Cette disposition, très récente, n’a, à notre connaissance, pas qu’il n’ait convenu de s’en charger ou qu’il ait été préalablement mis
encore trouvé à s’appliquer dans le cadre d’un contentieux 46. Le en demeure ». L’article 1351-1 du code civil prévoit pour sa part que
« [l]orsque l’impossibilité d’exécuter résulte de la perte de la chose due,
Covid-19 pourrait donc constituer un terreau fertile pour les pre- le débiteur mis en demeure est néanmoins libéré s’il prouve que la
mières applications en la matière. perte se serait pareillement produite si l’obligation avait été exécutée.
D’emblée, il sera remarqué que l’article 1195 du code civil est de Il est cependant tenu de céder à son créancier les droits et actions
attachés à la chose ».
nature supplétive 47, de sorte que les parties pourraient en avoir
(42) V., par ex., Civ. 3e, 22 févr. 2006, no 05-12.032, D. 2006. 2972, obs.
exclu la mise en œuvre avec une Y. Rouquet, note S. Beaugendre ; AJDI 2006. 640, obs. M.-P. Dumont ;
clause expresse en ce sens 48 ou RTD civ. 2006. 764, obs. J. Mestre et B. Fages, dans lequel la Cour de

Le changement de circonstances de manière tacite eu égard à la cassation retient que « la force majeure n’exonère le débiteur de ses
obligations que pendant le temps où elle l’empêche de donner ou
doit rendre l’exécution nature du contrat 49. de faire ce à quoi il s’est obligé ». En l’espèce, un délai de neuf mois
En l’absence d’exclusion d’appli- s’était écoulé entre la fin de l’évènement (tempête) et l’exécution de
« excessivement onéreuse ». Une
cation de cet article, il est néces- l’obligation.
telle condition est donc moins (43) La responsabilité pour rupture de relations commerciales établies
saire d’analyser si le Covid-19
exigeante que celle relative à la ne pourra pas non plus être engagée si elle résulte d’un cas de force
ou les mesures étatiques qui
force majeure, pour laquelle il ont été prises afin d’en limiter
majeure, en application de l’article L. 442-1, II, du code de commerce.
À cet égard, V. Paris, 12 sept. 2019, no 17/16758, dans lequel la rupture
est nécessaire de démontrer que la propagation pourraient être était due à une nouvelle contrainte légale.
l’exécution de l’obligation en invoqués au titre du mécanisme (44) C. civ., art. 1229, al. 3. Avec un facteur de complexité inéluctable
question était devenue impossible de l’imprévision et, dans l’affir-
que les parties et/ou la juridiction compétente devront appréhender si
le contrat a été partiellement exécuté. Si les prestations sont divisibles
mative, avec quels effets. et périodiques, la résolution jouera de manière non rétroactive et donc
sans restitutions.
(45) O. Deshayes, T. Genicon et Y.-M. Laithier, Réforme du droit des
Les conditions de l’imprévision contrats, du régime général et de la preuve des obligations, LexisNexis,
2018, art. 1195.
(46) Ou à tout le moins n’a pas donné lieu à des décisions publiées.
Aux termes de l’article 1195 du code civil, une situation d’im- (47) Rapport au président de la République relatif à l’ordonnance
no 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du
prévision sera caractérisée en présence d’un « changement de
régime général et de la preuve des obligations, JO 11 févr., texte no 25 :
circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat » qui « Comme l’implique la rédaction retenue, ce texte revêt un caractère
« rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui supplétif, et les parties pourront convenir à l’avance de l’écarter
n’avait pas accepté d’en assumer le risque ». pour choisir de supporter les conséquences de la survenance de telles
circonstances qui viendraient bouleverser l’économie du contrat ».
(48) L’article 1195 n’est pas applicable en matière d’obligations
Un changement de circonstances imprévisible résultant d’opérations sur les titres et les contrats financiers (C. mon.
fin., art. L. 211-40-1) et a été exclu en présence d’un régime légal
spécial prévoyant des dispositions en matière de révision contractuelle
Cette notion inscrite à l’article 1195 du code civil est susceptible
(V., à cet égard, Versailles, 12 déc. 2019, no 18/07183, concernant le
de s’appliquer à une pluralité d’hypothèses, tenant par exemple statut des baux commerciaux).
à un changement de circonstances de nature économique, juri- (49) Paris, 16 févr. 2018, no 16/08968 (contrat de swap, ayant une
dique ou encore politique 50. nature aléatoire).
Ainsi, une crise entraînant une chute dans le prix de certaines (50) T. Revet, « Le juge et la révision du contrat », RDC 2016. 373,
spéc. no 10.
matières premières, une innovation rendant une technologie ob-
(51) J. Heinich, « Le défi : la confiance dans les relations d’affaires »,
solète ou une modification législative devraient pouvoir consti- Gaz. Pal. 12 juin 2017, no 296, p. 66.
tuer un changement de circonstances au sens de l’article 1195 (52) T. Revet, « Le juge et la révision du contrat », RDC 2016. 373.

AJ Contrat Avril 2020


Dossier Covid-19 et contrat
181

termes « exécution excessivement onéreuse » de l’ar- seraient en télétravail.


ticle 1195 du code civil 53. Le Covid-19 et/ou les mesures étatiques qui en ont suivi pourraient avoir
La notion d’exécution rendue excessivement onéreuse (ou avoir eu) comme conséquence de rendre l’exécution excessivement
fait également l’objet de débats en doctrine, certains au- onéreuse. À cet égard, il serait possible d’envisager le cas dans lequel le
teurs prônant une application large de l’article 1195 du contrat ne pourrait être exécuté qu’en recourant à des moyens alterna-
code civil, en présence d’une simple « dévalorisation du tifs excessivement coûteux.
prix que peut recevoir le créancier » 54 ou d’une « diminu-
tion de la contrepartie » 55.
On peut également se demander si la notion d’exécu-
Les conséquences de l’imprévision
tion excessivement onéreuse trouverait à s’appliquer au
cas d’un contrat qui aurait sensiblement perdu de son En cas de changement de circonstances reconnu comme constitutif
intérêt économique pour l’une des deux parties 56. À titre d’un cas d’imprévision, l’article 1195 du code civil instaure une approche
d’exemple, on pourrait envisager le cas d’un contrat qui par phases 57, prévoyant :
perdrait de son intérêt en raison de la crise, tel qu’un ■■ en premier lieu, une demande de renégociation formulée par une par-

contrat de services de restauration pour les entreprises tie à l’adresse de son contractant ;
ayant dû suspendre leur activité ou dont les employés ■■ en cas de refus de renégocier, ou d’échec de renégociation, les parties

Dossier
peuvent convenir de la résolution du contrat ou demander au juge de
procéder à son adaptation ;
(53) Il est toutefois intéressant de se référer à l’arrêt de la Cour de
■■ à défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande
cassation du 17 févr. 2015, dans lequel la Cour a approuvé une cour d’appel
d’avoir écarté l’existence d’une situation ayant altéré fondamentalement d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin 58.
l’équilibre des prestations, au sens de l’article 6.2.2 des principes À la différence de la force majeure, la partie souhaitant se prévaloir de
Unidroit. Dans cette affaire, le demandeur avait démontré que ses
fournisseurs avaient augmenté leurs prix de entre 4 % et 16 %, mais avait
l’article 1195 du code civil devra continuer à exécuter le contrat, l’impré-
« simplement » évoqué une diminution de 58 % de sa marge brute sans vision ne produisant pas d’effet suspensif.
avoir rapporté la preuve de l’augmentation du coût de l’exécution de ses La partie qui souhaiterait saisir le juge, ou le cas échéant l’arbitre, pour
obligations (Com. 17 févr. 2015, no 12-29.550). L’article 6.2.2 des principes
Unidroit prévoit qu’« [il] y a hardship lorsque surviennent des événements
demander la révision ou la résiliation du contrat devra donc analyser la
qui altèrent fondamentalement l’équilibre des prestations, soit que le coût clause de règlement des différends prévue par le contrat 59.
de l’exécution des obligations ait augmenté, soit que la valeur de la contre- Par ailleurs, si le juge français est compétent, il devra être tenu compte
prestation ait diminué, et a) que ces événements sont survenus ou ont été
du fait que, dans le contexte actuel de crise sanitaire, les juridictions
connus de la partie lésée après la conclusion du contrat ; b) que la partie
lésée n’a pu, lors de la conclusion du contrat, raisonnablement prendre de françaises ne peuvent être saisies que de contentieux « essentiels »,
tels événements en considération ; c) que ces événements échappent au à savoir principalement certains contentieux de nature pénale, les
contrôle de la partie lésée ; et d) que le risque de ces événements n’a pas été procédures relatives aux entreprises en difficulté, ainsi que les réfé-
assumé par la partie lésée ».
(54) B. Fages, Droit des obligations, LGDJ, 2019, no 351.
rés civils et commerciaux et les procédures sur requête, sous réserve
(55) P. Malaurie, L. Aynès et P. Stoffel-Munck, Droit des obligations, LGDJ, d’urgence 60, ce qui révèle un autre intérêt et un attrait supplémentaire
2018, no 764. du recours à l’arbitrage 61. Les premières étapes, non contentieuses,
(56) Il est également possible de s’interroger sur la possibilité de se de l’article 1195 du code civil revêtent donc une importance toute par-
prévaloir, dans ce cas de figure, de l’article 1186 du code civil, aux termes
ticulière dans le contexte actuel et, en particulier, dans les prochaines
duquel le contrat est caduc si l’un des éléments essentiels disparaît.
(57) L’article 1195 du code civil dispose, en effet, que « [si] un changement semaines.
de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend Lorsque les tribunaux seront à nouveau pleinement opérationnels, la
l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté crainte pour certaines parties de voir leur accord adapté et/ou révisé
d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du
par le juge pourrait même les inciter, dans certains cas, à trouver une
contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant
la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties solution à l’amiable 62.
peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions
qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de
procéder à son adaptation. À défaut d’accord dans un délai raisonnable, le
juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la ■■ L’impact du Covid-19 sous le prisme
date et aux conditions qu’il fixe ».
(58) Le recours au juge est ainsi prévu comme ultimum subsidium et afin
d’inciter les parties à négocier, face au « risque d’anéantissement ou de
des stipulations contractuelles et des
révision du contrat par le juge » (rapport au président de la République
préc.). Toutefois, le texte n’instaure pas de véritable hiérarchie entre les
moratoires légaux ou réglementaires
deux mécanismes prévus (révision ou résiliation). Si le juge a un libre choix
entre l’une et l’autre des solutions, il sera néanmoins tenu par les demandes
Certaines stipulations contractuelles pourraient permettre aux parties
des parties et pourra bien entendu rejeter l’éventuelle demande de révision
(ou résiliation) et confirmer le statu quo s’il estime que les conditions de d’appréhender juridiquement les difficultés créées par la situation de
mise en œuvre des mécanismes prévus par le texte ne sont pas réunies. crise actuelle. Même pour les contrats conclus avant l’émergence du
(59) À cet égard, il sera également nécessaire de respecter les éventuelles Covid-19, les parties peuvent en effet avoir prévu des clauses visant à
phases préalables obligatoires de médiation ou conciliation, sous peine
d’irrecevabilité de sa demande (V. jurisprudence citée supra, note 2).
régir contractuellement la survenance d’événements imprévisibles af-
(60) Or le juge des référés n’est pas compétent pour procéder à une fectant le contrat.
révision du contrat (V., à titre d’exemple, Paris, 13 déc. 2017, no 17/11076). Par ailleurs, la mise en œuvre de certaines clauses contractuelles peut
(61) De nombreuses institutions arbitrales comme la Chambre de commerce être temporairement paralysée, afin de tenir compte des difficultés
internationale (CCI) et la London Court of International Arbitration (LCIA) d’exécution résultant de l’état d’urgence sanitaire.
ont récemment confirmé (i) qu’il était possible de déposer de nouvelles
requêtes d’arbitrages en ligne, (ii) qu’elles étaient opérationnelles et qu’elles
s’étaient organisées pour assurer une continuité de leurs activités et services
et que (iii) l’administration des procédures arbitrales se poursuivait donc à Les clauses contractuelles de force majeure
distance et ce même si les bureaux desdites institutions étaient fermés. À cet et d’imprévision à l’épreuve du Covid-19
égard et à titre d’exemple, l’un des auteurs de cet article confirme que la
Cour internationale d’arbitrage de la CCI a approuvé une sentence finale le et des mesures étatiques en résultant
20 mars 2020 dans un dossier où il intervient comme conseil.
(62) Le rapport au président de la République relatif à l’ordonnance no 2016- Les parties à un contrat commercial peuvent avoir prévu des aména-
131 du 10 février 2016 (préc.) indique, à cet égard, que « [l]’imprévision a
[…] vocation à jouer un rôle préventif, le risque d’anéantissement ou de gements contractuels permettant d’appréhender le Covid-19 et/ou les
révision du contrat par le juge devant inciter les parties à négocier ». mesures étatiques visant à en limiter la propagation.

Avril 2020 AJ Contrat


Covid-19 et contrat Dossier
182

Les règles relatives à la force majeure n’étant pas d’ordre public 63, les terme ou de l’échéance pour tout « acte, recours, action
parties ont la possibilité d’inclure dans leur contrat une clause visant à : en justice, formalité, inscription, déclaration, notification
■■ modifier la définition légale prévue par l’article 1218 du code civil, afin ou publication » prescrit par la loi ou le règlement, de-
de la restreindre ou l’étendre, par exemple en indiquant expressément vant être réalisé pendant la période juridiquement proté-
que la condition d’imprévisibilité n’est pas requise ; gée 66. À cet égard, le délai légalement imparti pour agir
■■ prévoir une liste, limitative ou purement indicative, d’événements court de nouveau à compter de la fin de cette période,
devant être automatiquement considérés comme constitutifs de force dans la limite de deux mois 67. Il en est de même pour les
majeure. Les parties pourraient notamment avoir inclus ou exclu ex- paiements prescrits par la loi ou le règlement en vue de
pressément l’épidémie ou la pandémie des événements constitutifs de l’acquisition ou de la conservation d’un droit.
la force majeure ; À défaut de toute précision textuelle en ce sens, il y a lieu
■■ ou modifier les effets de la force majeure, en introduisant une obli- de s’interroger si une telle ordonnance sera considérée
gation de renégocier le contrat, une durée de suspension maximale du comme une loi de police au sens du droit international
contrat ou encore la prise en compte d’un délai supplémentaire après la privé, devant par conséquent s’appliquer également à
suspension avant de recommencer à exécuter le contrat. l’égard de contrats qui ne seraient pas soumis au droit
En présence de pareilles clauses, il sera nécessaire de les interpréter français mais dont le débiteur serait établi en France ou
afin de déterminer si le Covid-19 et/ou les mesures prises par les auto- dont l’obligation litigieuse s’exécuterait en France.
rités publiques peuvent constituer un cas de force majeure au sens du
contrat en cause.
De même, les parties peuvent écarter le mécanisme de l’imprévision ***
prévu à l’article 1195 du code civil – ce qui semble assez courant en pra-
tique – ou en aménager les modalités, par exemple en modifiant ses Il ressort de ce qui précède que les parties n’ayant pas
conditions d’application ou en remplaçant la saisine du juge par le re- été en mesure d’exécuter leurs obligations, en raison
cours à un expert. du Covid-19 et/ou des mesures étatiques prises afin de
Dans les contrats de cession d’actions, de fusion ou de financement gérer et d’endiguer la pandémie, auront potentiellement
de projets, les parties peuvent également avoir prévu des clauses MAC à leur disposition une série d’instruments juridiques et
(material adverse change), visant à ériger en condition suspensive la la situation actuelle risque de donner lieu à un nombre
non-réalisation de certains événements entre le signing et le closing 64 conséquent de contentieux devant les tribunaux judi-
de l’opération. La possibilité d’appréhender le Covid-19 par le biais de ciaires ou arbitraux.
ces clauses dépendra de leur rédaction, notamment au regard de la Face à une épidémie hautement évolutive qui s’est trans-
description de l’événement et du seuil retenu. formée en pandémie et qui, en l’espace de trois mois, a
Pour l’ensemble de ces clauses, il sera nécessaire d’en vérifier les pu se propager à la quasi-totalité de la planète, le facteur
conditions de mise en œuvre (en particulier, la nécessité de procéder à temps sera également crucial dans la sphère juridique.
une notification, dans quels délais et avec quel contenu). En l’absence de Les conditions d’application des textes et protections au
procédure particulière, le débiteur devra agir de bonne foi, en notifiant titre de la force majeure et de l’imprévision dépendent en
la survenance de l’événement imprévu dès qu’il peut raisonnablement effet de la date de conclusion du contrat ; la possibilité de
anticiper des problèmes d’exécution. continuer à exécuter les obligations contractuelles sera
quant à elle considérablement affectée par la durée des
mesures gouvernementales restrictives.
La paralysie de certaines clauses Au-delà des principes juridiques, l’impact du Covid-19
contractuelles par l’effet de l’ordonnance sera fortement tributaire des circonstances de chaque
no 2020-306 du 26 mars 2020 cas d’espèce, ainsi que des stipulations contractuelles
convenues et les parties ont tout intérêt à analyser dès
Par ordonnance no 2020-306 du 26 mars 2020, le gouvernement a ins- à présent leurs accords afin d’appréhender et gérer au
tauré une « période juridiquement protégée », allant du 12 mars 2020 mieux leurs risques tout en étant particulièrement vigi-
à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de lantes lors de la négociation et la conclusion de nou-
l’état d’urgence sanitaire déclaré par la loi du 23 mars 2020. veaux contrats.
Pendant cette période, et afin de tenir compte des difficultés d’exé-
cution pouvant résulter de la situation exceptionnelle créée par
le Covid-19, l’ordonnance a prévu des dispositions permettant de (63) J. Julien, in Ph. le Tourneau (dir.), Dalloz action Droit de la responsabilité
« paralyser » certaines clauses contractuelles ayant pour objet de « sanc- et des contrats, régimes d’indemnisation, 2018/2019, no 214.12.

tionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé », à savoir (64) C’est-à-dire entre la signature du protocole d’accord et la conclusion de
l’accord.
les clauses résolutoires, clauses pénales et clauses de déchéance 65. (65) Ord. no 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais
En vertu de cette ordonnance : échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures
■■ en présence d’une clause résolutoire, clause pénale ou clause de pendant cette même période, JO 26 mars, art. 4. Sont notamment exclues de
ces dispositions les obligations financières des articles L. 211-36 et suivants du
déchéance qui aurait dû produire ou commencer à produire ses effets code monétaire et financier et les garanties y afférentes.
pendant la période protégée, celles-ci ne prendront effet qu’un mois (66) Ord. du 25 mars 2020, art. 2. L’article 2234 du code civil, dans sa
après la fin de ladite période, si le débiteur n’a pas exécuté son obliga- rédaction issue de la loi no 2008-561 du 17 juin 2008, dispose pour sa part
tion entre-temps ; que « la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans
l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la
■■ les clauses pénales ayant commencé à courir avant le 12 mars 2020
convention ou de la force majeure ». Parmi les précédents de neutralisation
voient leurs effets suspendus pendant la période protégée et repren- des délais en raison de circonstances exceptionnelles, on peut par exemple
dront effet dès le lendemain de la fin de ladite période. citer la loi du 14 juill. 1915 (Première Guerre mondiale), l’ordonnance du
29 juin 1962 (guerre d’Algérie) ou la loi du 31 juillet 1968 (événements de
Par ailleurs, dans le cas d’un contrat ne pouvant être résilié que durant mai 1968).
une période déterminée ou automatiquement renouvelé en l’absence de (67) Ord. du 25 mars 2020, art. 2. Ainsi, à titre d’exemple, si un délai de
dénonciation dans un délai déterminé, cette période ou délai seront pro- prescription quinquennale venait à expirer pendant la période juridiquement
longés de deux mois après la fin de ladite période, s’ils expirent pendant protégée, ce délai va courir encore pendant les deux mois qui suivent la fin
du délai d’un mois suivant la cessation de l’état d’urgence et le demandeur
la période protégée. pourra donc agir dans ce délai sans que son action puisse être déclarée
L’ordonnance précitée prévoit également un mécanisme de report du prescrite.

AJ Contrat Avril 2020


Dossier Covid-19 et contrat
183

Observations sur l’impact du Covid-19


en droit bancaire et financier

par Kevin Magnier-Merran


Maître de conférences en droit privé, représentant de l’axe droit des affaires, Institut François Gény

1. Un droit à l’épreuve. Le marasme économique consiste en la mise en place d’un mécanisme de garantie de l’État
causé par la crise du Covid-19 est déjà comparé à la des prêts consentis par des établissements de crédit à hauteur de
crise qu’a connue le monde en 1929. Ces quelques 300 milliards d’euros 3. L’économiste n’est pas loin pour rappeler

Dossier
lignes, qu’un flot de nouvelles mesures concrètes au juriste que si le cadre juridique est plus ou moins posé, le suc-
et directement inspirées par la crise sanitaire pour- cès attendu d’un tel mécanisme dépendra évidemment de la pro-
raient rendre rapidement obsolètes, ont pour objectif pension des banques à dispenser du crédit, même si la garantie
avant tout de prendre le pouls du secteur bancaire et étatique devrait les inciter à maintenir leur flux en la matière. Tout
financier à l’heure du début de la crise. Notre droit autant que les entreprises devront trouver un intérêt au mécanisme
bancaire et financier passe assurément un test de en survivant à cette période complexe, puis, dans l’affirmative, en
réactivité : ses sources, classiques ou plus souples, solliciter du crédit. Ce sont là les conditions indispensables pour
sont à l’œuvre. Le droit bancaire et financier est mo- que cette institution de crise fasse sens. Si la mise sous tension
bilisé, car il s’agit de sauver et d’adapter. d’une telle garantie ne manquera pas d’interroger encore dans les
prochains temps, quelques observations peuvent déjà être formu-
lées au sujet du cadre juridique mis en place. D’ailleurs, le législa-
■■ Sauver
teur entrevoit déjà la nécessité d’ajustements éventuels puisqu’un
comité de suivi, placé auprès du Premier ministre, reste, selon ce
même article 6, « chargé de veiller au suivi de la mise en œuvre
2. Garantir et soutenir. Face à un tel bouleverse- et à l’évaluation des mesures de soutien financier aux entreprises
ment, l’État doit venir garantir le financement d’une confrontées à l’épidémie de Covid-19 ».
activité économique qui tentera de traverser le pire. 5. Entreprises et prêts concernés. Le mécanisme mis en place ne
Tous ses relais doivent alors être en mesure de pou- pourra profiter qu’aux « entreprises non financières immatriculées
voir soutenir les mesures envisagées. en France » 4. L’arrêté d’application du 23 mars 2020 5 précise en
son article 3 que sont concernées les entreprises de toute taille,
quelle que soit leur forme juri-
Garantir dique (notamment sociétés, com-
merçants, artisans, exploitants Des questionnements quant
3. Banque et vie de la Nation : de l’anecdote à une agricoles, professions libérales, au type d’opérations de crédit
mesure emblématique. Pour des raisons sanitaires micro-entrepreneurs, associa- couvertes par ce mécanisme
évidentes, l’arrêté du 15 mars 2020 1 portant diverses tions et fondations ayant une ac- exceptionnel ne manqueront
mesures relatives à la lutte contre la propagation du tivité économique), à l’exception pas de se poser rapidement. La
virus Covid-19 est venu préciser les modalités de des sociétés civiles immobilières, loi et l’arrêté visent l’hypothèse
fermeture des établissements recevant du public et des établissements de crédit et du « prêt ». Qu’est-ce à dire ?
non indispensables à la vie de la Nation. Les activités des sociétés de financement.
bancaires (de même que les activités financières et Le même article dispose encore
d’assurances) ont alors fait figure d’exception, parmi que les entreprises concernées ne doivent pas faire l’objet de l’une
quelques autres activités, notamment alimentaires. des procédures prévues aux titres II, III et IV du livre VI du code de
Si ce détail peut sembler anecdotique, il démontre commerce, à savoir une sauvegarde, un redressement ou une liqui-
une fois de plus le levier essentiel qu’est la banque dation judiciaire. Quant aux prêts concernés, le texte offre d’abord
dans une économie à l’arrêt. La banque doit conti- une certitude : la garantie de l’État concerne uniquement les prêts
nuer d’assurer ses fonctions quotidiennes évidentes. octroyés entre le 16 mars 2020 et le 31 décembre 2020 6. Mais des
Dans un environnement troublé, elle est porteuse de questionnements quant au type d’opérations de crédit couvertes
paix sociale et c’est à la réalisation de cette mission que par ce mécanisme exceptionnel ne manqueront pas de se poser
l’État l’investit. Il entend même se tenir à ses côtés. rapidement. La loi et l’arrêté visent l’hypothèse du « prêt ». Qu’est-
4. Mécanisme de garantie de l’État. En effet, l’article ce à dire ? Il est vrai que le ministre a indiqué qu’il sera destiné à
6 de la loi du 23 mars 2020 de finances rectificative permettre « de soulager la trésorerie des entreprises et des pro-
pour 2020 2 porte une mesure emblématique qui fessionnels qui subissent le choc lié à l’urgence sanitaire ». Cette fi-
nalité semble exclure les crédits d’investissement, même si des dé-
tournements de cette garantie seront malheureusement possibles.
(1) Arr. du 15 mars 2020, JO 16 mars, texte no 2. Autre interrogation : faut-il entendre le « prêt » de manière littérale
(2) L. no 2020-289 du 23 mars 2020, JO 24 mars. ou peut-on estimer que la catégorie plus large des opérations de
(3) X. Delpech, « Coronavirus : le mécanisme de prêts garantis par l’État
opérationnel », D. actu. 24 mars 2020.
crédit est ici visée ? Ramené à la pratique bancaire, le prêt classique
(4) L. du 23 mars 2020, art. 6, I. comme seul outil de soutien aux entreprises est décevant à l’heure
(5) Arr. du 23 mars 2020, JO 24 mars, texte no 10. où les techniques de crédit sont particulièrement variées. Si les cré-
(6) L. du 23 mars 2020, art. 6, I. dits par remise immédiate des fonds sont assurément éligibles au

Avril 2020 AJ Contrat


Covid-19 et contrat Dossier
184

mécanisme nouveau, quid des crédits avec remise éventuelle des automaticité est bien en effet la marque de fabrique de
fonds ou encore du crédit par signature ? Il en va de la même inter- la garantie autonome. S’agissant d’une telle garantie,
rogation pour les crédits avec mobilisation de créances, lesquels puisqu’elle demeure une sûreté, l’État disposerait alors
sont fondamentalement conçus pour financer un besoin de tréso- d’un recours après paiement contre le donneur d’ordre,
rerie… Sans oublier, enfin, les crédits dits assimilés, tels que le cré- à savoir le débiteur. La piste du mécanisme assurantiel
dit-bail et la location assortie d’une option d’achat. L’avenir nous n’est pas pour autant à proscrire. La garantie en cause,
dira rapidement si la pratique a opté pour une analyse littérale et sui generis, pourrait s’apparenter à une opération d’as-
donc exagérément restrictive du prêt ou si une lecture plus exten- surance-crédit. L’État s’engagerait alors pour couvrir le
sive du dispositif est permise. En l’état, une interprétation extensive risque de l’insolvabilité du débiteur et le prendre in fine
du « prêt » s’impose. à sa charge. Le contexte économique et l’esprit du texte
6. Cahier des charges. La loi de finances rectificative pour 2020 du plaident plutôt en faveur de cette dernière analyse. Là
23 mars 2020, complétée par l’arrêté du même jour, apporte des encore, des précisions sont attendues.
précisions sur les caractéristiques des prêts éligibles à la garan- 8. Octroi de la garantie. La taille de l’entreprise est ici
tie 7. Elle indique qu’ils doivent répondre à un cahier des charges déterminante. S’agissant des crédits consentis aux en-
défini par l’arrêté précité du 23 mars 2020. Sur ce point, la loi pose treprises qui emploient, lors du dernier exercice clos,
déjà un cadre plus ou moins précis. Les prêts doivent ainsi compor- au moins 5 000 salariés et ont un chiffre d’affaires an-
ter un différé d’amortissement minimal de douze mois ainsi qu’une nuel supérieur à 1,5 milliard d’euros, la garantie sera
clause donnant à l’emprunteur la faculté, à l’issue de la première octroyée sur la base d’un arrêté – individuel – du mi-
année, de les amortir sur une période additionnelle calculée en nistre chargé de l’Économie. Pour toutes les autres
nombre d’années, selon son choix et dans la limite d’un nombre entreprises, les crédits octroyés bénéficieront de la
maximal d’années précisé par le même arrêté. Aussi, les concours garantie de l’État dès lors qu’ils rempliront les condi-
totaux apportés par l’établissement prêteur à l’entreprise concer- tions du cahier des charges et sur simple notification
née ne doivent pas avoir diminué, lors de l’octroi de la garantie, à Bpifrance Financement SA. L’arrêté du 23 mars 2020
par rapport au niveau qui était le leur le 16 mars 2020. Pour ré- apporte des précisions sur le formalisme auquel doit
pondre à ces exigences, l’arrêté précise que sont éligibles les prêts obéir cette notification : l’établissement prêteur qui
qui présentent l’ensemble des caractéristiques suivantes : un dif- souhaite faire bénéficier de la garantie de l’État l’entre-
féré d’amortissement minimal de douze mois ; une clause donnant prise emprunteuse est tenu de notifier « à Bpifrance
aux emprunteurs la faculté, à l’issue de la première année, de les Financement SA de l’octroi de ce prêt via un système
amortir sur une période additionnelle d’un, deux, trois, quatre, ou unique dédié et sécurisé reposant sur un format de fi-
cinq ans. On notera également qu’une même entreprise ne peut chier standardisé, que met à disposition de l’établisse-
bénéficier de prêts couverts par la garantie de l’État pour un montant ment prêteur Bpifrance Financement SA dans le cadre
total supérieur à un certain plafond. Pour les entreprises créées à d’une convention conclue entre ces derniers » 12.
compter du 1er janvier 2019, la masse salariale en France estimée sur 9. Mise en jeu de la garantie : incombance et dé-
les deux premières années d’activité ; pour les entreprises créées chéance. L’établissement prêteur devra, selon l’ar-
avant le 1er janvier 2019, 25 % du chiffre d’affaires 2019 constaté ou, rêté précité, démontrer, en cas de demande de mise
le cas échéant, de la dernière année disponible. En effet, dans les cas en jeu de la garantie, « qu’après l’octroi du prêt cou-
où Bpifrance Financement SA, chargée de la gestion du dispositif de vert par cette garantie, le niveau des concours qu’il
la garantie d’État, reçoit la notification de plusieurs prêts consen- détenait vis-à-vis de l’emprunteur était supérieur au
tis à une même entreprise, la garantie de l’État est acquise dans niveau des concours qu’il apportait à ce dernier à la
l’ordre chronologique d’octroi de ces prêts, et à condition que leur date du 16 mars 2020, corrigé des réductions inter-
montant cumulé reste inférieur au plafond ci-dessus. Le contrat de venues entre ces deux dates et résultant de l’échéan-
prêt peut prévoir que son remboursement devienne immédiatement cier contractuel antérieur au 16 mars 2020 ou d’une
exigible en cas de détection, postérieurement à l’octroi du prêt, du décision de l’emprunteur » 13. Autrement dit, l’éta-
non-respect du cahier des charges et « notamment en raison de la blissement prêteur a ici une incombance pour pou-
fourniture, par l’emprunteur, d’une information intentionnellement voir revendiquer plus tard le bénéfice de la garantie :
erronée à l’établissement prêteur ou à Bpifrance Financement SA » 8. il se doit de démontrer l’absence de diminution du
7. Nature de la garantie. La garantie étatique, exclusive de toute montant des concours après le 16 mars 2020. Et s’il
autre sûreté ou garantie 9, couvre à la lecture de la loi le rembour- est question d’une incombance, la sanction de la dé-
sement du crédit, à la fois en principal, intérêts et accessoires 10, chéance n’est pas loin : la diminution du montant des
mais la nature de celle-ci, clé de voûte du dispositif, n’est pas préci- concours à la suite du 16 mars 2020 est une cause de
sée. Si elle semble revêtir les caractéristiques d’une sûreté person- déchéance de la garantie. La sanction est radicale et
nelle, cette maladresse pourrait faire hésiter entre la qualification vise à dissuader l’établissement prêteur de réduire
de cautionnement et de garantie autonome. Bien plus, on pourrait son offre de crédit 14. La sanction est heureuse et
se demander s’il ne s’agit pas pour l’État de prendre le pari d’un permettra sans doute d’assurer le succès du méca-
mécanisme assurantiel. S’il s’agit d’une sûreté personnelle, l’éta-
blissement de crédit sera plus enclin à prêter en présence d’une
garantie autonome, dont on connaît le régime avantageux, notam- (7) L. du 23 mars 2020, art. 6, III.
ment parce que le garant ne peut opposer aucune exception tenant (8) Arr. du 23 mars 2020, art. 5.
à l’obligation garantie, ainsi que le prévoit l’article 2321, alinéa 3, (9) Arr. du 23 mars 2020, art. 1er.
du code civil. Il s’agirait alors de mettre à l’œuvre « un mécanisme (10) L. du 23 mars 2020, art. 6, II.
(11) Rép. com., vo Garantie à première demande, par S. Piedelièvre, no 1.
de paiement automatique où le garant ne s’engage pas à payer la
(12) Arr. du 23 mars 2020, art. 4.
dette principale à la charge du donneur d’ordre, mais où il s’en- (13) Arr. du 23 mars 2020, art. 2.
gage à payer au bénéficiaire une somme d’argent sur la demande (14) B. Freleteau, Devoir et incombance en matière contractuelle,
de ce dernier » 11. L’État s’engagerait donc ici sur le mode rigoureux LGDJ, 2017, p. 438 : « La déchéance entraîne un effet particulièrement
de la garantie autonome, à en croire également le communiqué de sévère en ce que ce n’est pas la faculté d’agir en défense du droit qui
est perdue par le contractant, mais le droit substantiel dont l’exercice
presse du ministère de l’Économie qui indique que « la garantie était conditionné. De par sa gravité, la déchéance présente ainsi
couvrira de manière automatique tous les prêts de trésorerie ». Cette l’intérêt d’être dissuasive du manquement à l’incombance […] ».

AJ Contrat Avril 2020


Dossier Covid-19 et contrat
185

nisme : l’idée n’est autre que celle de favoriser les quant au réaménagement des crédits moyen et long terme pour les
entreprises dans un contexte de crise, et donc de fa- clients de Bpifrance et pour lesquels elle garantit que les rééchelon-
voriser le crédit. Les concours, pour être garantis, ne nements se feront automatiquement. La banque publique d’investis-
doivent pas diminuer justement en période de crise, sement propose aussi un crédit par mobilisation de créances : contrai-
soit après le 16 mars 2020. L’arme de la déchéance, rement à l’affacturage classique qui laisse au factor une faculté de
fortement dissuasive, est nécessaire. sélectionner les factures, Bipfrance propose au titre d’un tel crédit la
10. Montant garanti. La garantie ne couvre pas la mobilisation de toutes les factures en rajoutant un crédit de trésorerie
totalité du prêt, mais un pourcentage de celui-ci qui de 30 % du volume mobilisé. Elle assure également la suspension du
dépend encore de la taille de l’entreprise bénéfi- paiement des échéances des prêts accordés par Bpifrance à comp-
ciaire : 90 % pour les entreprises qui, lors du dernier ter du 16 mars. Ces mesures de crise consistent également pour elle
exercice clos, ou si elles n’ont jamais clôturé d’exer- à proposer une série de prêts de soutien à la trésorerie pour les en-
cice, au 16 mars 2019, emploient en France moins de treprises qui traversent « un moment difficile lié à la crise sanitaire
5 000 salariés et réalisent un chiffre d’affaires infé- Covid-19 » 18 dont les modalités semblent adaptées au contexte. Ces
rieur à 1,5 milliard d’euros ; 80 % pour les autres en- prêts, bénéficiant d’une aide d’État
treprises qui, lors du dernier exercice clos, réalisent et soumis à la règle de minimis, se-
un chiffre d’affaires supérieur à 1,5 milliard d’euros et ront consentis sans sûretés réelles L’idée est d’inciter à emprunter
en ces temps difficiles en

Dossier
inférieur à 5 milliards d’euros ; 70 % pour les autres et/ou personnelles. L’idée est d’in-
entreprises. Le montant indemnisable, c’est-à-dire citer à emprunter en ces temps sachant qu’aucune garantie
celui qui est pris en charge par la garantie de l’État, difficiles en sachant qu’aucune ga- sur les actifs de la société ou
« correspond à la perte constatée, le cas échéant, rantie sur les actifs de la société ou de son dirigeant ne sera prise
postérieurement à l’exercice par l’établissement prê- de son dirigeant ne sera prise par par l’établissement de crédit
teur de toutes les voies de droit amiables et éventuel- cet établissement. prêteur
lement judiciaires, dans la mesure où elles auront pu 12. Rôle du médiateur du crédit.
normalement s’exercer, et à défaut, l’assignation au- Pour rappel, la Médiation du cré-
près de la juridiction compétente en vue de l’ouverture dit est adossée à la Banque de France ; elle est conduite sur tout
d’une procédure collective, faisant suite à un événe- le territoire, dans le respect des règles de confidentialité et du se-
ment de crédit » 15. Enfin, la garantie sera tarifée à un cret bancaire, par 105 médiateurs du crédit qui sont les directeurs
coût qui se veut modique et qui dépend de la taille de de la Banque de France en métropole et les directeurs des instituts
l’entreprise et de la maturité du prêt 16. d’émission outre-mer. Son intervention auprès des établissements
financiers repose sur un accord de place établi entre l’État, la Banque
de France, les instituts d’émission outre-mer, la Fédération bancaire
Soutenir française (FBF) et l’Association française des sociétés financières
(ASF). Dans un communiqué de presse du 23 mars dernier, Bruno Le
11. Rôle de Bpifrance : soutenir et proposer. Créée Maire, ministre de l’Économie et des Finances, et François Villeroy de
le 1er janvier 2013 – elle a en réalité succédé à l’éta- Galhau, gouverneur de la Banque de France, ont décidé la mise en
blissement Oséo – et présente dans chaque région, place d’un comité de crise sur la question du crédit inter-entreprises
Bpifrance est une banque publique d’investissement. pour répondre aux cas les plus difficiles et désamorcer une tendance
Elle jouera un rôle de premier plan dans ce méca- à la cessation ou au retard de paiement. Le médiateur du crédit en
nisme de garantie. En effet, l’État la charge, pour son prend la tête, à côté du médiateur des entreprises, et associera les
compte, en son nom et à titre gratuit, de l’adminis- fédérations d’entreprises (Association française des entreprises
tration du dispositif : suivi des encours et des prêts privées [Afep], Confédération des petites et moyennes entreprises
garantis, perception des commissions de garantie, [CPME], Mouvement des entreprises de France [Medef], Union des
vérification, en cas d’appel de la garantie, que les entreprises de proximité [U2P]), les chambres consulaires, ainsi que
conditions définies dans le cahier des charges sont la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de
remplies et paiement des sommes dues, rembour- la répression des fraudes (DGCCRF). Ce « comité de crise permet-
sées par l’État dans des conditions fixées par une tra de traiter en temps réel les cas les plus graves de détérioration
convention qu’il conclut avec le ministre chargé de du crédit inter-entreprises et d’encourager, au travers de leurs re-
l’Économie 17. Au-delà de cette mission de garantie, présentants, les entreprises de toutes tailles et de tous secteurs
Bpifrance tient à faire savoir, sur son site internet, à fluidifier leurs relations commerciales, en veillant à la santé des
qu’elle entend favoriser la prolongation des garanties petites et moyennes entreprises, plus fragiles en général que les
classiques des crédits d’investissement, pour accom- grandes entreprises sur l’état de leur trésorerie » 19 Le comité de
pagner les réaménagements opérés par les banques, crise a notamment pour mission de rappeler les moyens dont dis-
sans frais de gestion. D’autres slogans, auquel un ave- posent le médiateur des entreprises et le médiateur du crédit pour
nir très proche donnera peut-être un contenu concret, résoudre certaines difficultés. Surtout, le médiateur a tenu d’ores et
sont mis en avant. Ainsi assure-t-elle de ses efforts déjà à prendre sa place dans le processus de renégociation des cré-
dits conclus avant la date fatidique du 16 mars 2020, même si son
poids demeure limité. Dans sa rubrique « Actualités », le médiateur
indique en date du 18 mars 2020 que, pour répondre le plus rapide-
(15) Arr. du 23 mars 2020, art. 6, al. 3. ment possible aux entreprises qui ont des difficultés de financement
(16) Arr. du 23 mars 2020, art. 7.
avec leurs banques, pour les demandes liées à la crise du Covid-19,
(17) L. du 23 mars 2020, art. 6, VI.
(18) https://www.bpifrance.fr/ la médiation du crédit met en place une procédure accélérée pour sa
(19) Banque de France, « Mise en place d’un comité de crise face à la saisine. Un formulaire spécifique intitulé « CriseCovid-19 – Saisine
situation de dégradation des délais de paiement », communiqué de de la médiation du crédit » est créé 20. Le même jour, le médiateur
presse du 23 mars 2020. se faisait également le relais des mesures exceptionnelles liées à la
(20) https://mediateur-credit.banque-france.fr/saisir-la-mediation/vous- crise sanitaire en explicitant les mesures gouvernementales 21.
allez-saisir-la-mediation-du-credit
(21) Banque de France, « Mesures exceptionnelles liées à la crise 13. Rôle de la FBF. De son côté, dans trois communiqués de presse
sanitaire », régulièrement actualisé. successifs, la FBF a voulu témoigner de la mobilisation complète des

Avril 2020 AJ Contrat


Covid-19 et contrat Dossier
186

banques françaises face à la crise du Covid-19. Deux d’entre eux, à les opérateurs de marché, ils doivent prendre garde
savoir les communiqués des 6 22 et 17 23 mars 2020, sont largement aux éventuels conflits d’intérêts (avec les autres per-
consacrés au plan d’urgence économique et l’institution y rappelle sonnes présentes au domicile), aux risques éven-
son plein investissement dans la mise en place du mécanisme du tuels de latence entraînant une difficulté à surveiller
prêt garanti par l’État. Il convient d’isoler le communiqué de presse les activités de trading en temps réel. Puis, dans un
du 15 mars 2020, qui par les nombreuses lignes directrices qu’il communiqué du 28 février 2020, le régulateur fi-
contient, s’avère plus intéressant 24. Si le communiqué de presse est nancier a rappelé certaines règles d’information qui
un outil de soft law et qu’il est en ce sens a priori dépourvu de por- s’appliquent aux sociétés cotées dans le contexte de
tée normative, il n’est pas moins en mesure d’exercer une influence l’épidémie de coronavirus 28. Est en jeu ici la transpa-
en raison de l’autorité de l’institution dont il émane. À ce titre, est-il rence des acteurs sur leur exposition aux incidences
seulement nécessaire de rappeler que la FBF est l’organisation pro- de cette épidémie. Le régulateur met l’accent sur
fessionnelle qui représente toutes les banques installées en France… le règlement abus de marché 29 qui, rappelons-le,
La FBF y indique ainsi que les banques « seront à côté des entre- exige des émetteurs qu’ils rendent publique, dès
prises pour les accompagner dans cette période exceptionnelle », que possible, toute information privilégiée qui les
« examineront avec une attention particulière les situations indivi- concerne directement ou indirectement, c’est-à-dire
duelles » et « rechercheront notamment au cas par cas les solutions toute information non publique, à caractère pré-
adaptées aux besoins de financement court terme ». Les directives cis, et susceptible d’influencer de façon sensible le
sont données. Plus encore, de façon concrète, plusieurs mesures, cours. Une recommandation apparaît clairement au
articulées avec les dispositifs publics exceptionnels de soutien aux sein du communiqué : l’AMF indique, en effet, qu’« il
entreprises, ont été décidées par les établissements bancaires et est recommandé que les émetteurs réévaluent pé-
apparaissent au sein du communiqué : mise en place de procédures riodiquement son impact [de l’épisode que nous
accélérées d’instruction de crédit pour les situations de trésorerie connaissons] connu et anticipé sur l’activité et les
tendues, dans un délai de cinq jours, et une attention particulière perspectives quant à son caractère significatif et/ou
pour les situations d’urgence, report jusqu’à six mois des rembour- son montant ». Demain, l’Autorité veillera au respect
sements de crédits pour les entreprises, suppression des pénalités de cette préconisation…
et des coûts additionnels de reports d’échéances et de crédits des 16. Informer le public : adapter la participation.
entreprises et, enfin, relais des mesures gouvernementales, dans Par deux communiqués successifs, en date des 6 et
le cadre des échanges avec les clients, communication et explica- du 27 mars 2020, l’AMF entend porter une attention
tion des mesures de soutien public (report d’échéances sociales ou particulière à l’exercice, par les actionnaires, de leurs
fiscales, mécanisme de garantie publique comme BPI…). Il est sans prérogatives dans le cadre des assemblées générales
doute trop tôt pour que la FBF investisse des instruments véritable- de sociétés cotées. En date du 6 mars, alors que l’am-
ment contraignants, tels que les normes professionnelles de la FBF, pleur de la crise sanitaire n’était sans doute pas en-
les bons usages professionnels ou encore les préconisations. Ces core assez mesurée, l’AMF rappelait aux actionnaires
dernières, d’usage souple, qui, des sociétés cotées qu’il leur était possible de voter
Dans le cadre de leurs missions contrairement aux normes pro- aux assemblées générales sans y être physiquement
fessionnelles et aux bons usages, présents 30. Elle recommandait déjà de recourir mas-
respectives de protection de
n’ont pas à être transmises à sivement aux outils numériques comme le formulaire
l’épargne et des clients des
l’Autorité des marchés financiers de vote en ligne ou encore le vote sur Internet via une
secteurs de la banque et de
(AMF) ou à l’Autorité de contrôle plateforme de vote sécurisé. Dans son second com-
l’assurance, les régulateurs prudentiel et de résolution (ACPR), muniqué du 27 mars 2020, soit deux jours après que
appellent le public à la plus pourraient être bientôt mobilisées l’ordonnance du 25 mars 2020 contenant plusieurs
grande vigilance face au risque dans un tel contexte. dispositions pour simplifier et adapter les règles de
d’escroqueries dans le contexte convocation, d’information, de réunion et de délibé-
de l’épidémie de Covid-19 et de ration des assemblées générales a été adoptée 31, le
repli des marchés financiers
■■ Adapter
régulateur va beaucoup plus loin en attirant l’attention

14. Poursuivre sous d’autres formes et interdire. Le 23 mars


2020, Robert Ophèle, actuel président de l’AMF, déclarait depuis (22) FBF, « Coronavirus : mobilisation pour les TPE et PME », info-presse
son compte LinkedIn que la « fermeture des marchés n’[était] pas du 6 mars 2020.
d’actualité » 25. Pour autant, le secteur bancaire et financier, pour (23) FBF, « Coronavirus : les banques mettent en œuvre le plan
d’urgence économique », communiqué de presse du 17 mars 2020.
résister à la crise et surtout assurer ses missions essentielles de
(24) FBF, « Coronavirus : mobilisation totale des banques françaises.
veille et de protection, doit s’adapter. Il est tout autant question de Des modalités simples et concrètes au service des entreprises. »,
poursuivre certaines activités que d’interdire certaines pratiques. communiqué de presse du 15 mars 2020.
(25) V. également : Robert Ophèle (AMF) : « Je ne vais pas fermer des
marchés qui fonctionnent », lesechos.fr, 17 mars 2020.
Poursuivre (26) Communiqués de presse du 9 et du 25 mars respectivement pour
l’ACPR et l’AMF.
(27) AMF, « Continuité des activités de marché en période de
15. Informer les professionnels du secteur bancaire et financier : coronavirus – L’AMF précise ses attentes », actualité du 19 mars 2020.
adapter l’activité. Si les régulateurs entendent maintenir leur acti- (28) AMF, « L’autorité des marchés financiers rappelle certaines règles
d’information qui s’appliquent aux sociétés cotées dans le contexte de
vité et le faire savoir 26, ils n’ont pas tardé à apporter des précisions l’épidémie de coronavirus », communiqué du 28 févr. 2020.
aux opérateurs en les incitant fortement à prendre des mesures (29) Règl. UE no 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du
appropriées leur permettant de respecter leurs obligations dans 16 avr. 2014, JOUE, no L. 173, 12 juin.
des conditions opérationnelles mais dégradées du fait du contexte (30) AMF, « Communiqué de presse relatif aux assemblées générales
de sociétés cotées », 6 mars 2020.
sanitaire. Dans sa rubrique « Actualités », l’AMF a précisé ses at-
(31) Ord. no 2020-321 du 25 mars 2020, JO 26 mars, sur laquelle
tentes en la matière en date du 19 mars 2020 27. L’AMF rappelle V. X. Delpech, « Coronavirus : la continuité du fonctionnement des
notamment que si aucune disposition n’interdit le télétravail pour groupements assurée », D. actu. 27 mars 2020.

AJ Contrat Avril 2020


Dossier Covid-19 et contrat
187

des épargnants sur le fait que, dans le contexte actuel profil de l’emprunteur, etc.). Cette mission de protection va sans
de crise sanitaire, les assemblées générales se tien- doute se densifier dans les semaines à venir.
dront à huis clos, hors la présence des actionnaires 32.
En effet, en vertu de l’ordonnance précitée, les socié-
tés sont exceptionnellement autorisées à tenir leur
Interdire
assemblée générale sans que leurs actionnaires – et
les autres personnes ayant le droit d’y assister, telles 18. Désamorcer la volatilité. Dans une décision du 17 mars 2020 34,
que par exemple les commissaires aux comptes et les le président de l’AMF a décidé de l’interdiction des positions courtes
représentants des instances représentatives du per- nettes et cela jusqu’au 16 avril 2020, pour tenter de juguler le ma-
sonnel – ne soient physiquement présents. Afin d’as- rasme boursier causé par la crise sanitaire. Précisément, il s’agit, au
surer une information appropriée des actionnaires visa du règlement (UE) no 236/2012 du 14 mars 2012 35 sur la vente à
dans ce contexte exceptionnel, l’AMF encourage les découvert et certains aspects des contrats d’échange sur risque de
émetteurs à suivre une série très dense de bonnes crédit, mais également de l’article L. 421-16, II du code monétaire
pratiques visant toutes à la meilleure information pos- et financier, d’interdire toute prise de position courte nette et tout
sible des actionnaires. accroissement d’une position courte nette sur les titres de capital
17. Mettre en garde le public. Par un communiqué des émetteurs dont les actions sont admises aux négociations sur

Dossier
commun du 26 mars 2020, l’AMF et l’ACPR mettent une plateforme de négociation française et pour lesquelles l’AMF
en garde le public « contre les risques d’arnaques est l’autorité compétente. L’interdiction n’est toutefois pas absolue
dans le contexte de l’épidémie de coronavirus » 33. puisqu’en sont exclues la création ou l’augmentation de positions
Dans le cadre de leurs missions respectives de courtes nettes au travers d’instruments financiers indiciels ou de
protection de l’épargne et des clients des secteurs paniers d’actions lorsque les actions objet de la décision repré-
de la banque et de l’assurance, les régulateurs ap- sentent moins de 50 % de la composition de l’indice ou du panier. Le
pellent le public à la plus grande vigilance face au président de l’AMF justifie sa décision à la lumière des événements
risque d’escroqueries dans le contexte de l’épidé- défavorables liés à la propagation du virus Covid-19 qui représentent,
mie de Covid-19 et de repli des marchés financiers. d’après les termes mêmes de la décision, une « menace sérieuse
L’AMF et l’ACPR soulignent que des offres faites au pour la confiance des marchés ». L’interdiction est évidemment
public sont susceptibles d’épouser diverses formes, à saluer. La pratique de la vente à découvert consiste à parier sur
telles que des propositions de placements présentés la baisse future d’un titre boursier et à vendre des actions sans les
comme une valeur refuge au travers de biens tan- détenir en vue de profiter d’une baisse des cours. Elle est dès lors
gibles (tels que l’or, les métaux précieux, les grands considérée comme spéculative et risquée en période de crise bour-
crus ou whiskies, etc.), des faux produits bancaires sière dès lors qu’elle pourrait entraîner mécaniquement à la baisse
ou d’assurance cumulant des caractéristiques très des titres déjà fortement malmenés.
attractives (rendement élevé et absence de risque, 19. Espérer. Les instruments bancaires et financiers mobilisés
rapidité de souscription et absence de vérification du pour l’heure sont nombreux et d’intensité variable. Ils visent, par
des méthodes différentes, allant de l’obligation à l’information, en
passant par l’incitation, à orienter les conduites. Certaines seront
(32) AMF, « Covid-19 : l’AMF informe les actionnaires et les sociétés nouvelles, d’autres adaptées, renouvelées sous une autre forme,
cotées des mesures exceptionnelles prises pour l’organisation des
assemblées générales », communiqué de presse du 27 mars 2020. tandis que certains comportements, notamment en matière bour-
(33) AMF et ACPR, « L’AMF et l’ACPR mettent en garde le public contre sière, sont momentanément prohibés. Il est pour autant impossible
les risques d’arnaques dans le contexte de l’épidémie de coronavirus », d’y voir une structure d’ensemble. L’urgence est là. Le recours mas-
communiqué de presse du 26 mars 2020.
sif aux instruments souples, tels que le communiqué de presse, en
(34) AMF, « Décision du 17 mars 2020 relative à la prorogation de
l’interdiction des positions courtes nettes », mesure d’intervention du
témoigne. Pour autant, ces instruments seront assurément des
17 mars 2020. outils précieux de mesure des comportements, dans les temps dif-
(35) JOUE, no L. 86, 24 mars. ficiles à venir.

Covid-19 et contrat public


par Jean-David Dreyfus
Professeur de droit public à l’Université de Paris (Faculté Sociétés et Humanités), avocat au Barreau de Paris
(D4 avocats)

« À l’impossible, nul n’est tenu. » Cette règle de bon la commande publique a prévu un certain nombre de procédures de
sens s’applique aussi aux contrats passés par l’Ad- passation assouplies en cas d’urgence.
ministration. La puissance publique se montre exi- D’ores et déjà, on peut relever une baisse significative des avis de
geante à l’égard de ses partenaires mais on trouve marché lancés par les pouvoirs adjudicateurs même si l’épidémie
en droit des contrats publics plusieurs théories ap- de coronavirus n’est pas le seul facteur perturbant (on pense aux
plicables en cas d’aléas extraordinaires ou d’événe- élections municipales). Avec une moyenne de 1 379 annonces pas-
ments venant bouleverser l’exécution, qui peuvent sées par tous les acheteurs publics (hôpitaux, collectivités locales,
bénéficier à la partie privée. Par ailleurs, le code de État, etc.) captées quotidiennement sur l’intégralité des sources de

Avril 2020 AJ Contrat


Covid-19 et contrat Dossier
188

diffusion 1, la différence est importante avec les 2 203 passées en Le recours aux théories de la
2014, année des précédentes municipales 2. force majeure et de l’imprévision
Il convient de distinguer le traitement des contrats publics en cours
de celui des contrats publics à venir. S’agissant du Covid-19, dès le 28 février 2020, le mi-
nistre de l’Économie et des Finances a indiqué que
l’État allait considérer le coronavirus comme un cas
■■ Les contrats publics en cours de force majeure pour les entreprises. « Ce qui veut
dire que pour tous les marchés publics de l’État, si
jamais il y a un retard de livraison de la part des PME
et des entreprises, nous n’appliquerons pas de péna-
L’application des stipulations contractuelles lités », a-t-il expliqué.
Dans un courrier adressé à l’association des maires
Le premier réflexe du juge est d’appliquer les stipulations de France, le ministre a invité les collectivités locales,
contractuelles. C’est ce qu’a fait le tribunal administratif de dans le cas où leurs contrats se trouvent impactés
Lille 3 au sujet de la grippe H1N1. C’est donc au sein des marchés par la crise du coronavirus, à invoquer la « force ma-
eux-mêmes qu’il faut aller chercher pour mesurer les consé- jeure » et ainsi « suspendre l’exécution des marchés
quences financières. concernés ». Encore faut-il s’assurer que les cahiers
Dans cette affaire, la communauté d’agglomération de La Porte des clauses particulières à chaque marché per-
du Hainaut avait lancé une procédure d’appel d’offres afin d’orga- mettent la décision de suspendre l’exécution 5.
niser des séjours internationaux de découverte durant l’été 2009 Dans la négative, il convient alors d’examiner ce que
pour les jeunes âgés de 18 à 25 ans résidant sur son territoire. prévoient les cahiers des clauses administratives gé-
Le lot no 1 de ce marché portant sur un séjour au Mexique avait nérales (CCAG). Deux possibilités sont envisagées :
été attribué à l’association Loisirs et Vacances de la Jeunesse ■■ prolongation du délai d’exécution en cas de force

dont le contrat lui a été notifié majeure 6 ;


le 27 mars 2009. Toutefois, par ■■ résiliation du marché en cas de force majeure
78
.
De nombreux marchés publics une décision en date du 20 mai Comme l’indiquait déjà la circulaire du 20 novembre
sont conclus sous forme 2009, le président de la com- 1974 relative à l’indemnisation des titulaires de mar-
d’accords-cadres à bons de munauté d’agglomération de La chés publics en cas d’accroissement imprévisible
commande sans minimum. Porte du Hainaut avait prononcé de leurs charges économiques 9 : « Lorsque la force
Les acheteurs pourront dès la résiliation de ce marché, esti- majeure est reconnue, le titulaire du marché peut,
mant que le risque sanitaire lié sans être tenu au paiement d’une indemnité, obtenir
lors s’abstenir de passer des
à l’épidémie de grippe désignée la résiliation de son contrat. Par ailleurs, si la force
commandes aux entreprises
H1N1 rendait impossible son majeure, sans rendre définitivement impossible
titulaires concernées
exécution. L’association avait l’exécution du contrat, l’a retardée pendant un cer-
alors adressé, par lettre en date tain temps, le titulaire peut :
du 26 juin 2009, une facture d’un ■■ prétendre à l’exonération des pénalités de retard pour

montant de 126 720 € correspondant selon elle au montant des la fraction du retard imputable à la force majeure ;
pénalités d’annulation qu’elle estimait lui être dues en vertu de ■■ et, s’il poursuit l’exécution du contrat, demander

l’article 7 de l’acte d’engagement. qu’il lui soit fait application de la théorie de l’impré-
Le tribunal relève que l’article 7 prévoit que l’indemnisation pré- vision lorsque ce retard aura entraîné le bouleverse-
vue est subordonnée à l’émission préalable d’un ordre de service, ment de l’économie de son contrat. »
lequel a pour objet en vertu de l’article 3 du cahier des clauses Dans tous les cas, il faut être en présence d’un cas de
administratives particulières de déterminer les dates définitives force majeure, c’est-à-dire d’un événement étranger
de départ et de retour, ainsi que le nombre de partants ; que à l’auteur du dommage, imprévisible dans sa survenance,
l’article 2 de l’acte d’engagement prévoit également que, « pour
chaque lot et chaque départ, un ordre de service sera envoyé par
lettre recommandée avec accusé de réception, au plus tard 45 (1) Chiffres du 16 mars 2020.
jours calendaires avant le départ [qui précisera] le nombre défi- (2) https://wanao.com/2020/03/23/limpact-du-coronavirus-sur-les-marches
-publics/
nitif de jeunes partants [et] les dates de départ et de retour ainsi
(3) TA Lille 8 avr. 2014, no 1102672.
que les lieux de rassemblement […] ».
(4) https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/fiche
Or aucun ordre de service n’avait été adressé à l’association -passation-marches-situation-crise-sanitaire.pdf
Loisirs et Vacances de la Jeunesse. Pour le juge, , le stade très (5) CE 7 juin 2010, n° 316528. Considérant que si l’article 1.2. du cahier
avancé auquel serait parvenue l’organisation des séjours ne des clauses administratives particulières du marché prévoient que
l’administration se réserve la possibilité de diminuer ou d’augmenter
saurait suffire pour considérer que ces séjours auraient été dans le cadre des marchés d’entretien la liste des espaces verts à
commandés. L’association requérante n’était donc pas fondée à entretenir sans qu’aucune réclamation de l’entreprise ne puisse
réclamer le versement d’une somme de 126 720 € au titre des être élevée, cette clause autorise la personne publique à faire
varier le périmètre d’exécution du contrat, mais non à en suspendre
pénalités d’annulation du marché, sur le fondement des stipula-
l’application ; qu’elle est sans incidence sur le paiement du prix
tions de l’article 7 de l’acte d’engagement. contractuellement prévu ; que la société Horizons Verts 2000 est
Dans la fiche publiée le 19 mars 2020 sur la passation et l’exé- ainsi fondée à soutenir que la ville ne pouvait refuser de lui verser les
règlements mensuels correspondant aux mois d’octobre et novembre
cution des marchés publics en situation de crise sanitaire 4, la
1998.
direction des affaires juridiques du ministère des Finances rap- (6) CCAG fournitures courantes et CCAG prestations intellectuelles,
pelle qu’un acheteur n’a pas forcément une obligation contrac- art. 13.3.1.
tuelle de commander des prestations. De nombreux marchés (7) CCP, art. L. 2195-2 ; CCAG FCS et PI, art. 31.1, al. 2.
publics sont conclus sous forme d’accords-cadres à bons de (8) CCAG, art. 31.3 du PI. Arrêt de l’exécution des prestations : lorsque
l’arrêt de l’exécution des prestations est prononcé en application de
commande sans minimum ; les acheteurs pourront dès lors
l’article 20, le pouvoir adjudicateur résilie le marché. La résiliation
s’abstenir de passer des commandes aux entreprises titulaires n’ouvre droit pour le titulaire à aucune indemnité.
concernées. (9) JO 30 nov.

AJ Contrat Avril 2020


Dossier Covid-19 et contrat
189

irrésistible dans ses effets et extérieur à l’objet qui celles relatives aux pénalités contractuelles, prévues par le code
a subi le dommage 10. On peut avoir quelques doutes de la commande publique ainsi que les stipulations des contrats
à ce sujet. publics ayant un tel objet ».
S’agissant de la situation d’imprévision 11, dans l’hy- L’« ordonnance coronavirus et contrats publics » adoptée le 25 mars
pothèse où certaines circonstances économiques 2020 17 pose plusieurs règles générales. Deux figurent dans son ar-
ont entraîné le bouleversement de l’économie du ticle 1er, une dans son article 6.
contrat, les juridictions ont admis que l’Administra- Il s’agit tout d’abord des contrats concernés : ses dispositions sont
tion participe sous forme d’une indemnité aux pertes applicables aux contrats soumis au code de la commande publique
subies, sans pour autant garantir un bénéfice au ti- ainsi qu’aux contrats publics qui n’en relèvent pas 18, en cours ou
tulaire. L’imprévision concerne essentiellement les conclus durant la période courant du 12 mars 2020 jusqu’à la fin de
contrats de concession 12. l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars
Les éléments constitutifs de l’imprévision sont au 2020, augmentée d’une durée de deux mois. L’ordonnance impose
nombre de trois 13. Il faut que l’événement perturbateur : ensuite une analyse au cas par cas de la situation dans laquelle se
■■ n’ait pu raisonnablement être prévu par le titulaire trouvent les cocontractants de l’Administration qui devront justifier
du marché ; la nécessité de recourir à ses dispositions spéciales. Enfin, le texte
■■ qu’il ait été indépendant de la volonté du titulaire prévoit qu’en cas de difficultés d’exécution du contrat, ses disposi-

Dossier
du marché ; tions s’appliqueront « nonobstant toute stipulation contraire, à l’ex-
■■ qu’il ait occasionné des charges supplémentaires, ception des stipulations qui se trouveraient être plus favorables au
généralement qualifiées d’« extra-contractuelles » titulaire du contrat ».
parce que non prévues lors de la conclusion du contrat, L’ordonnance comporte les mesures d’assouplissement des règles
entraînant le bouleversement de son économie. applicables à l’exécution des contrats publics qui serait compro-
Le principe général reste que la convention fait la loi mise du fait de l’épidémie de Covid-19, afin, selon le rapport au pré-
des parties et qu’il ne peut être dérogé à ce principe sident de la République, de ne pas pénaliser les opérateurs écono-
par le juge du contrat qu’en cas d’aléa extraordinaire 14. miques et de permettre la continuité de ces contrats.
Lorsque le bouleversement de l’économie du contrat Concrètement, les contrats dont la durée d’exécution arrive à
est établi, le titulaire du marché peut obtenir une échéance pendant cette période peuvent être prolongés au-de-
indemnité. Mais la théorie de l’imprévision n’a là de la durée maximale fixée par le code de la commande pu-
pas d’application en matière de retard et de délais blique 19. Toutefois, dans tous les cas, la durée de cette prolon-
d’exécution. Comme le relève G. Jèze 15, « toute im- gation ne peut excéder celle de la période prévue à l’article 1er,
prévision, qui ne s’analyse pas en un cas fortuit ou augmentée de la durée nécessaire à la remise en concurrence à
de force majeure ou en fait de l’administration en- l’issue de son expiration.
traînant une impossibilité absolue d’exécution dans Autre disposition pour ne pas cette fois bloquer l’Administra-
les délais fixés, n’est pas une cause justificative du tion : les autorités contractantes sont autorisées à s’approvi-
retard ». sionner auprès de tiers nonobstant d’éventuelles clauses d’ex-
clusivité. Sachant que l’exécution du marché de substitution ne
peut être effectuée aux frais et risques du titulaire.
L’ordonnance ad hoc Comme certains opérateurs économiques vont être empêchés
du 25 mars 2020 d’honorer leurs engagements contractuels du fait de l’épidé-
mie, des mesures sont également prises pour faire obstacle
La loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à aux clauses contractuelles relatives aux sanctions pouvant être
l’épidémie de Covid-19 16 a autorisé le gouvernement infligées au titulaire et prévoir les modalités de son indemni-
à prendre une ordonnance, dans un délai de trois sation en cas de résiliation du contrat ou d’annulation de bons
mois, « adaptant les règles de passation, de délais de de commande. Pour les contrats de concession, l’ordonnance
paiement, d’exécution et de résiliation, notamment reconnaît à l’entreprise concessionnaire, lorsque le concédant,
sans suspendre le contrat en modifie significativement les mo-
dalités d’exécution, le droit à une indemnité 20.
Sont enfin assouplies les règles d’exécution financières des
(10) CE 8 juin 1966, Min. des Travaux publics et des Transports,
Lebon 383. contrats de la commande publique, notamment en permettant
(11) CE 30 mars 1916, n° 59928, Compagnie du Gaz de Bordeaux, aux acheteurs de verser des avances d’un montant supérieur
Lebon 125. au taux maximal de 60 % prévu par le code de la commande
(12) V. par ex. CE 21 oct. 2019, Sté Alliance, n° 419155. publique.
(13) V. aussi CCP, art. L. 6, 4°.
(14) CE 9 nov. 1921, n° 65293, Société commerciale des carbures, RD
publ. 1921. 494. Délais de paiement
(15) Théorie générale des contrats de l’administration, t. 2, Giard,
1932, p. 303.
(16) L. no 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à Dans une période aussi tourmentée, il est essentiel que les per-
l’épidémie de covid-19, JO 24 mars, art. 11, I, 1°, f).
sonnes publiques respectent leurs délais de paiement. Aux termes
(17) Ord. no 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures
d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution
de l’article L. 2192-10 du code de la commande publique, « les
des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats pouvoirs adjudicateurs, y compris lorsqu’ils agissent en tant
publics qui n’en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de qu’en adjudicatrices, paient les sommes dues en principal en
l’épidémie de covid-19, JO 26 mars.
exécution d’un marché dans un délai prévu par le marché ou,
(18) Tous les contrats publics conclus par les acheteurs publics ne sont
en effet pas des marchés publics ou des contrats de concession. à défaut, dans un délai fixé par voie réglementaire et qui peut
(19) Ord. du 25 mars 2020, art. 4 : « Les contrats arrivés à terme être différent selon les catégories de pouvoirs adjudicateurs ».
pendant la période mentionnée à l’article 1er peuvent être prolongés Ce délai est fixé à trente jours pour les pouvoirs adjudicateurs,
par avenant au-delà de la durée prévue par le contrat lorsque
y compris lorsqu’ils agissent en tant qu’entité adjudicatrice.
l’organisation d’une procédure de mise en concurrence ne peut être
mise en œuvre ». En application de l’article L. 2192-12 du code de la commande
(20) Ord. du 25 mars 2020, art. 6, 6°. publique, « le retard de paiement est constitué lorsque les

Avril 2020 AJ Contrat


Covid-19 et contrat Dossier
190

sommes dues au créancier, qui a rempli ses obligations légales lais exigés par les procédures ouvertes, restreintes
et contractuelles, ne sont pas versées par le pouvoir adjudica- ou négociées avec publication […]. Les circonstances
teur à l’échéance prévue au contrat ou à l’expiration du délai de invoquées pour justifier l’urgence impérieuse ne
paiement ». doivent en aucun cas être imputables au pouvoir ad-
Un tel retard donnera droit, de manière automatique, au verse- judicateur » 25.
ment des intérêts moratoires et de l’indemnité forfaitaire pour Les pouvoirs adjudicateurs dérogeant au principe de
frais de recouvrement, dans un délai de quarante-cinq jours base du Traité sur le fonctionnement de l’Union eu-
suivant la mise en paiement du principal 21. ropéenne qu’est la transparence, la Cour de justice
exige que le recours à cette procédure reste excep-
tionnel. Toutes les conditions sont interprétées de
■■ Les contrats publics à venir manière restrictive 26.
L’urgence impérieuse est circonscrite aux phéno-
mènes extérieurs, imprévisibles et irrésistibles pour
l’acheteur, comme par exemple une catastrophe
Les contrats dont la passation naturelle (tempête Xynthia en 2009, inondations ou
est déjà engagée séismes, etc.), la nécessité d’engager la recherche
de victimes d’une catastrophe aérienne ou menaçant
L’ordonnance précitée du 25 mars 2020 permet en premier lieu de la sécurité des personnes.
prolonger les délais de réception de réception des candidatures et Par ailleurs, certaines procédures spécifiques
des offres. Elle énonce, en son article 2, que, pour les contrats sou- peuvent être utilisées pour les marchés exigeant
mis au code de la commande publique, sauf lorsque les prestations le secret ou nécessitant des mesures particulières
objet du contrat ne peuvent souffrir d’aucun retard, les délais de de sécurité. C’est ainsi qu’en 2009 les marchés de
réception des candidatures et des offres dans les procédures en fourniture de vaccins contre le virus H1N1 avaient été
cours sont prolongés d’une durée suffisante, fixée par l’autorité passés par l’établissement de préparation et de ré-
contractante, pour permettre aux opérateurs économiques de pré- ponse aux urgences sanitaires en application de l’ar-
senter leur candidature ou de soumissionner. La personne publique ticle 3, 7° du code des marchés publics en vigueur.
dispose donc d’une certaine marge de manœuvre. Dans le code de la commande publique, l’article
En second lieu, elle permet de façon plus générale aux acheteurs L. 2512-3 reprend ces dispositions : « Sont soumis
d’aménager les modalités de mise en concurrence, tout en posant aux règles définies au titre II les marchés publics qui
une limite : le respect du principe d’égalité de traitement des candi- exigent le secret ou dont l’exécution doit s’accompa-
dats. Aux termes de l’article 3 de l’ordonnance, « lorsque les moda- gner de mesures particulières de sécurité confor-
lités de la mise en concurrence prévues en application du code de mément aux dispositions législatives ou réglemen-
la commande publique dans les documents de la consultation des taires en vigueur ou pour lesquels la protection des
entreprises ne peuvent être respectées par l’autorité contractante, intérêts essentiels de l’État l’exige, à condition que
celle-ci peut les aménager en cours de procédure dans le respect cette sécurité ou cette protection ne puisse pas être
du principe d’égalité de traitement des candidats ». garantie par d’autres moyens ».
La notion d’intérêts essentiels de l’État n’est définie
par aucun texte. Il n’est pas possible de déterminer
Les futures procédures de passation avec précision et de manière exhaustive les contrats
concernés, mais il peut s’agir de marchés mettant en
Les acheteurs publics peuvent, vu le contexte actuel, bénéficier jeu des intérêts économiques ou de santé publique.
d’un cadre assoupli pour les passations de contrats à venir. Ainsi, en cas de guerre, de calamité publique, d’épi-
Afin de répondre à leurs besoins urgents (biens et services essen- démie ou de menace d’épidémie, la vaccination ou
tiels à la gestion de la crise sanitaire ou à la continuité de la vie la revaccination antivariolique peut être rendue obli-
économique de la Nation), ils disposent de deux moyens. gatoire par décret ou par arrêtés préfectoraux pour
■■ En cas d’empêchement d’une entreprise titulaire d’un marché toute personne, quel que soit son âge 27. La com-
essentiel à fournir les prestations contractuelles, l’Administration mande de vaccins antivarioliques afin de répondre à
peut en premier lieu lui substituer toute autre entreprise sans que cette obligation entrerait donc dans ce cadre.
cela ne constitue une faute contractuelle 22.
■■ Les acheteurs publics peuvent en second lieu appliquer les délais

réduits de publicité 23 dans le cadre d’une mise en concurrence. Ils (21) CCP, art. R. 2192-36.
peuvent aussi mettre en œuvre la procédure dite sans publicité ni (22) V. par exemple art. 48 du CCAG Travaux 2009.
mise en concurrence préalable en cas d’urgence impérieuse 24, ce (23) CCP, art. R. 2161-8, 3°.
qui implique que plusieurs conditions cumulatives soient remplies. (24) CCP, art. R. 2122-1.
Les pouvoirs adjudicateurs peuvent passer des marchés publics en (25) Dir. no 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 févr.
recourant à une procédure négociée sans publication d’un avis de 2014 sur la passation des marchés publics, art. 31, § 1, c).

marché « dans la mesure strictement nécessaire, lorsque l’urgence (26) V., par ex. CJCE 10 avr. 2003, aff. C-20/01 et C-28/01, Commission c/
Allemagne, pt 28, AJDA 2003. 2146, chron. J.-M. Belorgey, S. Gervasoni
impérieuse, résultant d’événements imprévisibles pour les pou- et C. Lambert ; RDI 2003. 271, obs. M. Degoffe et J.-D. Dreyfus.
voirs adjudicateurs en question, n’est pas compatible avec les dé- (27) CSP, art. L. 3111-8.

AJ Contrat Avril 2020


Dossier Covid-19 et contrat
191

Coronavirus et contrat de travail


par Grégoire Duchange
Maître de conférences à l’Université Panthéon-Assas

« Il n’est pas permis de ne pas être pour la société ce que l’on doit être. […] Celui qui, loyalement, énergiquement, accomplit
son devoir professionnel, trouve dans cet effort même un soutien contre les coups du sort les plus pénibles ; il a conscience
que sa vie, sans charmes pour lui, conserve de l’utilité pour les autres. »
R. von Jhering, L’évolution du droit (Der Zwecht im Recht)

Vue d’ensemble. Le contenu du contrat de travail, contre des consentements. Voilà qui suffit à expliquer l’essentiel du

Dossier
qui porte sur une activité économique, est large- particularisme de la matière, notamment le pouvoir de l’employeur
ment indéterminé au moment de la rencontre des (de donner des ordres ou d’établir des règles) et l’effet impératif
consentements. Des techniques propres au contrat de la convention collective, qui ne sont autres que des techniques
de travail, au premier rang desquelles le pouvoir de de détermination du contenu contractuel 3. Une autre particularité,
l’employeur et la négociation collective, permettent en lien avec l’explication précédente, tient aux rapports de la loi et
d’adapter ce contenu contractuel au cours du temps. du contrat de travail. On a parfois
De même, la loi nouvelle s’applique habituellement de pu dire, pour expliquer l’applica-
manière immédiate aux contrats de travail en cours tion immédiate de la loi nouvelle Pour les salariés concernés
sans égard aux prévisions (fort évanescentes) des aux contrats de travail en cours par le maintien du travail au
parties. Ces particularités rendent le contrat de travail (celle-ci est tellement systéma- sein des locaux de l’entreprise,
fortement adaptable en période de crise ; le législa- tique que les spécialistes de droit certaines contraintes doivent
teur du moment n’a pas hésité, dans l’urgence, à les du travail ne se posent en géné- être respectées, en particulier
exploiter pour lutter contre le coronavirus. ral même pas la question), que la le respect des « mesures
Droit du travail, droit commun et droit de la crise. situation des salariés relevait da- barrières », lesquelles peuvent
Le contrat de travail n’est pas un contrat comme les vantage d’un « statut » que d’un rendre nécessaire une certaine
autres et, comme tel, il réagit de manière spécifique « contrat » . Les salariés signent
4
adaptation de l’organisation de
aux périodes de crise. Le lecteur pourra faire cette pourtant bien un contrat de tra-
l’entreprise
expérience : dans les manuels de droit du travail 1, vail. Mais il s’agit d’un contrat
le mot « imprévision » est étranger à l’index et, si la dont le contenu demeure, au mo-
force majeure est évoquée – encore qu’assez furti- ment de la rencontre des consen-
vement –, c’est uniquement à propos de la rupture tements, largement indéterminé. Lorsqu’une loi ultérieure vient
du contrat du travail et non d’« empêchements tem- s’appliquer au contrat de travail, les prévisions des parties n’en sont
poraires » qui pourraient justifier, à suivre l’article donc pas vraiment bouleversées puisque, de prévisions, il n’y avait
1218 du code civil, la suspension des obligations. guère, contrairement à ce que peut laisser entendre la formule doc-
Comment l’expliquer ? Les modèles-types de contrat trinale (qui vaut pour le droit commun) selon laquelle le contrat est
sur lesquels raisonne le code civil, soit qu’ils portent un « acte de prévision » 5. Ces particularités du contrat de travail,
sur une chose (cas du contrat de vente), soit qu’ils si elles permettent, de façon générale, une certaine adaptation aux
portent sur une action (cas du contrat d’entreprise), contraintes inhérentes à la vie économique et sociale, se révèlent
doivent avoir un contenu « déterminé ou détermi- avec d’autant plus d’acuité en période de crise, notamment celle,
nable » 2. Le contrat de travail peut difficilement res- sanitaire, que nous traversons. Pouvoir de l’employeur, convention
pecter – ou avec une rigueur moindre – cet impératif collective, application de la loi nouvelle : ces trois piliers usuels
de détermination ab initio de son contenu. Il ne porte, fournissent un appui pour combattre (juridiquement) le corona-
en effet, ni sur une chose ni sur une action mais, à virus. Législateurs et praticiens ne s’en privent pas, qu’il s’agisse
l’instar du contrat de société, sur une activité écono- de travailler ou de ne pas travailler. Seront, à cet égard, évoqués les
mique, ce qui rend son contenu au grande partie in- derniers décrets et ordonnances publiés au Journal officiel qui, à
déterminé (et indéterminable) au moment de la ren- peine dévoilés, doivent être commentés et appliqués, sans toujours
disposer du recul nécessaire. Mais à législation d’urgence, doctrine
d’urgence 6.
(1) V. par ex. G. Auzero, D. Baugard et E. Dockès, Droit du travail,
33e éd., coll. « Précis », Dalloz, 2020.
(2) C. civ., art. 1163. ■■ Travailler
(3) V. sur ce point notre article, « La modification unilatérale du contrat
de travail par l’employeur », AJ contrat 2020, à paraître.
(4) V. en ce sens l’ouvrage classique de P. Roubier, Le droit transitoire, En entreprise. Travailler dans les locaux l’entreprise paraît rele-
rééd. Dalloz, 2008, p. 429 s.
ver du principe en période « normale », de l’exception pendant la
(5) V. not. H. Lécuyer, « Le contrat, acte de prévision », in L’avenir du
droit, Mél. F. Terré, Dalloz-PUF-Jurisclasseur, 1999, p. 643 s. crise sanitaire en cours. Le décret no 2020-293 du 23 mars 2020
(6) L’auteur remercie vivement Monsieur François Sèbe, chef du service énonce ainsi qu’est interdit le déplacement de toute personne hors
« relations individuelles de travail » de l’Union des industries et des métiers de son domicile à l’exception des déplacements pour certains mo-
de la métallurgie (UIMM), pour ses précieuses informations techniques.
tifs, notamment les « trajets entre le domicile et le ou les lieux
(7) Décr. no 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales
nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de
d’exercice de l’activité professionnelle et déplacements profession-
l’état d’urgence sanitaire, JO 24 mars, art. 3. nels insusceptibles d’être différés » 7. Le texte n’est toutefois pas

Avril 2020 AJ Contrat


Covid-19 et contrat Dossier
192

parfaitement clair. À suivre les injonctions gouvernementales telles habituels de carence de trois jours (pour le versement
que la presse les diffuse, le télétravail ne serait « pas une option » des indemnités journalières de sécurité sociale) et
lorsqu’il est possible. Ce n’est pourtant pas ce qu’affirme le décret. de sept jours (pour le versement du complément
Certes, les déplacements professionnels doivent être « différés » employeur) sont supprimés 13. C’est là une traduc-
lorsque cela est possible. Mais le trajet jusqu’au lieu de travail est envi- tion de l’injonction « l’État paiera » du président de
sagé comme une exception au principe du confinement, sans qu’il soit la République. Dans une veine proche, la condition
distingué selon que le télétravail peut ou non être mis en place compte d’ancienneté d’un an pour bénéficier du complément
tenu des particularités de la fonction en cause. En arrière-plan, il y employeur n’est, dans les circonstances en cause,
a là comme une hésitation quant à la stratégie à suivre face au co- plus requise 14. Par ailleurs, précision plus novatrice,
ronavirus : imposer un confinement maximal, dans l’optique d’un rè- un arrêt de travail peut être obtenu – et donner lieu
glement rapide de la crise sanitaire, ou assurer autant que possible à indemnisation dans les conditions sus-évoquées
le maintien de l’activité des entreprises, en vue d’une limitation de la – au motif de la nécessité pour un parent de garder
crise économique et sociale à venir 8. On pourrait sur ce point objec- un enfant âgé de moins de 16 ans, et ce pendant la
ter que, lorsque le télétravail est envisageable, l’on ne voit guère pour durée de fermeture de l’établissement scolaire de
quelle raison l’employeur ne le mettrait pas en place, puisqu’il peut celui-ci 15. Ces assouplissements doivent sans doute,
par là concilier le maintien de l’activité économique et la sécurité dont dans l’ensemble, être considérés avec précaution.
il est, de manière générale, débiteur à l’égard de ses salariés 9. Plus Être confiné ou avoir un enfant au domicile ne donne
qu’aux injonctions gouvernementales, c’est ainsi à l’obligation de pru- pas droit à un arrêt de travail automatique. Est en
dence des chefs d’entreprise qu’il faut ici se fier. Quoi qu’il en soit, pour effet rappelée l’exigence, même si dans des circons-
les salariés concernés par le maintien du travail au sein des locaux de tances particulières, d’une « impossibilité de conti-
l’entreprise, certaines contraintes doivent être respectées, en particu- nuer à travailler » 16. Qu’est-ce à dire ? Celui qui doit
lier le respect des « mesures barrières » 10, lesquelles peuvent rendre demeurer au domicile pour garder un enfant ne peut
nécessaire une certaine adaptation de l’organisation de l’entreprise. manifestement pas venir travailler dans les locaux
Les salariés pourront-ils tenter de se soustraire à leur obligation de de l’entreprise. Mais quid de l’autre parent ? Et quid
travailler au nom de leur « droit de retrait » ? L’article L. 4131-1 du de celui qui peut bénéficier d’un passage en télé-
code du travail évoque à ce titre une « situation de travail dont [le sala- travail ? Les caisses primaires d’assurance maladie
rié] a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave risquent d’être vigilantes sur ce point. Là encore, les
et imminent pour sa vie ou sa santé ». L’exercice du droit de retrait doit mesures liées au confinement général de la popula-
donc être circonstancié. L’épidémie de coronavirus constitue un risque tion ne doivent pas, semble-t-il, faire oublier la né-
général qui n’est pas propre à une entreprise ou un poste de travail cessité d’anticiper dès à présent les conséquences
donné. Sauf contexte particulier (par exemple en cas de non-respect financières de la crise sanitaire actuelle et des crises
manifeste des mesures barrières), économiques et sociales à venir.
les conditions d’exercice du droit Les congés et l’activité partielle. « Il faut solder les
Un droit spécial de la sécurité
de retrait ne paraissent ainsi pas congés payés avant une mise au chômage partiel par
sociale adapté au coronavirus
remplies. l’employeur », entend-on parfois de la bouche de sa-
se met progressivement en À domicile. Le télétravail fait au- lariés inquiets. Non. Mais il est vrai que l’employeur
place. Pour les personnes jourd’hui l’objet d’une législation dispose, en sus de la législation relative au chômage
bénéficiant d’un arrêt de travail relativement précise, ce qui s’avère partiel, d’une certaine marge de manœuvre relative
lié au coronavirus, les délais particulièrement opportun face à aux congés payés pour faire face au coronavirus. En
habituels de carence de trois la crise sanitaire en cours. Sa mise temps normal, l’employeur peut déjà, sous réserve
jours (pour le versement des en place fait en principe l’objet d’un d’un délai de prévenance fixé par accord collectif,
indemnités journalières de accord collectif, d’une charte unila- modifier l’ordre et la date des départs 17. À défaut
sécurité sociale) et de sept térale de l’employeur ou, à défaut, d’accord collectif, le délai en question est d’un mois
jours (pour le versement du d’un accord individuel avec chaque « sauf circonstances exceptionnelles », ce qui ouvre
complément employeur) sont salarié concerné 11. Le cas échéant, la voie à une mesure d’adaptation propre à la crise
supprimés les conditions de mise en œuvre sanitaire en cours 18. Il faut toutefois croire que la
du télétravail telles que précisées marge de manœuvre précédente n’était pas suffi-
par l’accord collectif ou la charte sante puisque le législateur vient d’étendre à nouveau
doivent être respectées, étant précisé que l’employeur et le salarié le champ des dérogations apportées aux règles nor-
conservent en principe leur liberté d’accepter ou non la demande de
l’autre. Une disposition légale prévoit toutefois, sur ce point, qu’« en
cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidé- (8) En ce sens, V. égal. Ord. no 2020-323 du 25 mars 2020 portant
mesures d’urgence en matière de congés payés, de durée du travail
mie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut
et de jours de repos, JO 26 mars, art. 6, autorisant les employeurs de
être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu « secteurs d’activités particulièrement nécessaires à la sécurité de la
nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et Nation et à la continuité de la vie économique et sociale » à déroger
garantir la protection des salariés. » 12 Autrement dit, l’employeur tient aux règles applicables en matière de durée maximale de travail et de
repos quotidien (les salariés concernés pourront notamment travailler
là le fondement d’une lex epidemia qui lui permet d’imposer unilatéra- jusqu’à 12 heures par jour et 60 heures par semaine).
lement au salarié le passage en télétravail. Celle-ci se manifeste éga- (9) C. trav. art. L. 4121-1.
lement lorsque le salarié est dispensé de son obligation de travailler. (10) Décr. no 2020-293 du 23 mars 2020, art. 2.
(11) C. trav., art. L. 1222-9.
(12) C. trav., art. L. 1222-11.
(13) Décr. no 2020-73 du 31 janv. 2020, JO 1er
■■ Ne pas travailler
févr., art. 1er ; Décr.
no 2020-193 du 4 mars 2020, JO 5 mars, art. 1er.
(14) Ord. no 2020-322 du 25 mars 2020, JO 26 mars, art. 1er.
(15) Décr. no 2020-73 du 31 janv. 2020, art. 1er.
L’arrêt de travail. Un droit spécial de la sécurité sociale adapté au (16) Décr. no 2020-73 du 31 janv. 2020, art. 1er.
coronavirus se met progressivement en place. Pour les personnes (17) C. trav., art. art. L. 3141-15.
bénéficiant d’un arrêt de travail lié au coronavirus, les délais (18) V. C. trav., art. L. 3141-16.

AJ Contrat Avril 2020


Dossier Covid-19 et contrat
193

malement applicables en matière de congés payés. la crise en cours, des sacrifices sont demandés aux salariés. En
Il est ainsi prévu, au nom des conséquences du co- demandera-t-on un jour, juste retour, aux apporteurs de capitaux,
ronavirus, qu’un accord d’entreprise ou de branche autres tributaires de cet « intérêt de l’entreprise » 21 ?
peut, dans la limite de six jours de congé et sous Quoi qu’il en soit, ces mesures propres aux congés payés sont uti-
réserve d’un délai de prévenance d’un jour franc, lement complétées par le possible recours par l’entreprise au dis-
décider de la prise de congés – y compris avant la positif d’activité partielle (le « chômage partiel »). Celui-ci permet
période normale de prise – ou modifier leur date, les au salarié d’être dispensé de son obligation de travailler tout en
règles habituelles en matière de fractionnement fai- étant indemnisé (en partie) par l’employeur, ce dernier recevant lui-
sant, par ailleurs, également l’objet d’un assouplis- même une allocation (en principe moindre) financée par l’État et par
sement 19. Dans le même ordre d’idées, une prise de Pôle emploi. La mise en œuvre du dispositif suppose, de manière
congés, dans la limite de dix jours, peut être imposée générale, de pouvoir justifier d’une fermeture d’établissement ou
au salarié par dérogations aux règles normalement d’une diminution d’activité 22, et ce pour divers motifs dont le plus
applicables en matière de dispositifs de réduction large est constitué par des « circonstances exceptionnelles » 23. On
du temps de travail (les « JRTT »), de conventions pourrait, ici, s’interroger sur l’articulation de cette mécanique avec
de forfait en jours et de compte épargne-temps 20. celle de la force majeure. La notion de « circonstances exception-
On notera, à cet égard, que le législateur prend ici le nelles » est plus large que l’événement imprévisible, irrésistible et

Dossier
soin de justifier ces mesures par « l’intérêt de l’en- extérieur propre à la force majeure 24. Mais il peut arriver que les
treprise ». D’un point de vue technique, la précision deux se rejoignent. Le dispositif spécial du droit du travail doit-il
n’était pas indispensable. Mais on aurait sans doute alors primer sur celui, général, du code civil ? Il appartiendra (peut-
tort d’en sous-estimer la force symbolique. Face à être) aux tribunaux de trancher. Pour l’heure, le législateur adapte
la législation relative à l’activité partielle aux contraintes du mo-
ment. Outre l’extension du dispositif à des salariés qui en étaient
(19) Ord. no 2020-323 du 25 mars 2020, art. 1er. jusqu’alors exclus 25, le législateur accélère la procédure (le délai
(20) Ord. no 2020-323 du 25 mars 2020, art. 2 à 4. de décision implicite d’acceptation est ramené de 15 à 2 jours) 26,
(21) En ce sens, le ministre de l’Économie a « invité » (mesure de soft étend les possibilités de demandes rétroactives (pour le cas des
law ?) les entreprises bénéficiant d’une mesure de chômage partiel à « circonstances exceptionnelles »), allonge la durée du dispositif
ne pas verser de dividendes à leurs actionnaires.
(de 6 à 12 mois) et augmente le montant de l’allocation versée
(22) C. trav., art. L. 5122-1.
(23) C. trav., art. R. 5122-1. par l’État à l’employeur (qui, la plupart du temps, ne subira plus
(24) V. C. civ., art. 1218. de reste à charge) 27. Les entreprises doivent toutefois demeurer
(25) V. Ord. no 2020-346 du 27 mars 2020, qui évoque notamment vigilantes quant à la justification de leurs demandes d’activité
les salariés employés par des particuliers employeurs, les assistants partielle. L’Administration est, d’ores et déjà, attentive à la possi-
maternels ainsi que les salariés employés par des entreprises ne
bilité pour certains salariés de travailler depuis leur domicile ; le
comportant pas d’établissement en France.
(26) Décr. no 2020-325 du 25 mars 2020, art. 1er. combat contre le coronavirus ne nous exonérera pas, sur ce point
(27) Décr. no 2020-325 du 25 mars 2020, art. 2. comme sur d’autres, de quelques dissensions quant à la manière
de le mener.

Covid-19 et bail commercial


par Sébastien Regnault
Avocat au Barreau de Paris, Opéra Avocats Associés

Mercredi 11 mars 2020, l’Organisation mondiale de la Dimanche 16 mars 2020, le décret no 2020-260 2 portant réglementa-
santé (OMS) qualifie l’épidémie de Covid-19 de pandémie. tion des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation
Samedi 14 mars 2020, un arrêté portant diverses me- du virus Covid-19 restreint le déplacement de toute personne hors de
sures relatives à la lutte contre la propagation du virus son domicile et un arrêté 3 complète l’arrêté du 14 mars 2020.
Covid-19 énonce que certains commerces ne peuvent Mardi 17 mars 4 et jeudi 19 mars 2020 5, deux arrêtés supplémen-
plus accueillir du public jusqu’au 15 avril 2020. taires complètent l’arrêté du 14 mars 2020.
Dimanche 15 mars 2020, un arrêté 1 complète celui de Vendredi 20 mars 6 et samedi 21 mars 7, deux nouveaux arrêtés com-
la veille et publie une annexe listant les commerces plètent encore l’arrêté du 14 mars 2020.
qui peuvent continuer à recevoir du public. Lundi 23 mars 2020, l’article 11 de la loi no 2020-290 d’urgence
pour faire face à l’épidémie de Covid-19 autorise le gouvernement
à prendre par ordonnances, dans un délai de trois mois à compter
(1) JO 16 mars, texte no 2. de la publication de la présente loi, toute mesure, pouvant entrer
(2) JO 17 mars, texte no 2.
en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020, afin de faire
(3) JO 17 mars, texte no 18.
(4) JO 18 mars, texte no 18. face aux conséquences économiques, financières et sociales de la
(5) JO 20 mars, texte no 19. propagation de l’épidémie de Covid-19 et aux conséquences des
(6) JO 21 mars, texte no 10. mesures prises pour limiter cette propagation, en prenant toute
(7) JO 22 mars, texte no 6. mesure « permettant de reporter intégralement ou d’étaler le

Avril 2020 AJ Contrat


Covid-19 et contrat Dossier
194

paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité af- aux locaux au bénéfice des micro-entreprises, au
férents aux locaux professionnels et commerciaux et de renoncer sens du décret no 2008-1354 du 18 décembre 2008
aux pénalités financières et aux suspensions, interruptions ou ré- relatif aux critères permettant de déterminer la
ductions de fournitures susceptibles d’être appliquées en cas de catégorie d’appartenance d’une entreprise pour les
non-paiement de ces factures, au bénéfice des microentreprises, besoins de l’analyse statistique et économique, dont
au sens du décret no 2008-1354 du 18 décembre 2008 relatif aux cri- l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie.
tères permettant de déterminer la catégorie d’appartenance d’une L’article 4 de l’ordonnance no 2020-316 du 25 mars
entreprise pour les besoins de l’analyse statistique et économique, 2020 dispose : « Les personnes mentionnées à l’ar-
dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie ». ticle 1er ne peuvent encourir de pénalités financières
Lundi 23 mars 2020, le décret no 2020-293 8 prescrivant les mesures ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’as-
générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans treinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause
le cadre de l’état d’urgence sanitaire restreint encore un peu plus pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance,
les déplacements de toute personne hors de son domicile. ou d’activation des garanties ou cautions, en raison
Mercredi 25 mars 2020, l’ordonnance no 2020-316 9 relative au paie- du défaut de paiement de loyers ou de charges loca-
ment des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents tives afférents à leurs locaux professionnels et com-
aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affec- merciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle
tée par la propagation de l’épidémie de Covid-19 édicte des règles et les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-
exceptionnelles concernant les loyers professionnels et commer- 12 du code de commerce. Les dispositions ci-des-
ciaux au profit des personnes physiques et morales de droit privé sus s’appliquent aux loyers et charges locatives dont
exerçant une activité économique qui sont susceptibles de bénéfi- l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars
cier du fonds de solidarité mentionné à l’article 1er de l’ordonnance 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la
no 2020-317 du 25 mars 2020 10 portant création d’un fonds de so- date de cessation de l’état d’urgence sanitaire décla-
lidarité à destination des entreprises particulièrement touchées ré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 précitée ».
par les conséquences économiques, financières et sociales de la Les personnes visées par l’article 1er de ladite or-
propagation de l’épidémie de Covid-19 et des mesures prises pour donnance sont les suivantes : « Peuvent bénéficier
limiter cette propagation. des dispositions des articles 2 à 4 les personnes phy-
Lundi 30 mars 2020, le décret siques et morales de droit privé exerçant une activité
no 2020-371 11 définit lesdits béné- économique qui sont susceptibles de bénéficier du
Les commerçants se ficiaires. fonds de solidarité mentionné à l’article 1er de l’or-
tournent naturellement Mardi 31 mars 2020, le décret donnance no 2020-317 du 25 mars 2020 […]. Celles
no 2020-378 12 définit plus pré- qui poursuivent leur activité dans le cadre d’une pro-
vers leur(s) bailleur(s) afin
cisément les bénéficiaires des cédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou
d’alléger provisoirement
dispositions des mesures affé- de liquidation judiciaire peuvent également bénéfi-
leurs charges d’exploitation
rentes aux loyers et aux charges cier de ces dispositions au vu de la communication
dans l’espoir de traverser le locatives. d’une attestation de l’un des mandataires de justice
cataclysme. Les règles de droit Les activités commerciales sont désignés par le jugement qui a ouvert cette procédure.
auxquelles ils sont confrontés ainsi prises dans une tornade Les critères d’éligibilité aux dispositions mention-
sont malheureusement qui se renforce jour après jour et nées ci-dessus sont précisés par décret, lequel dé-
complexes et peu adaptées et les conduit vers des champs in- termine notamment les seuils d’effectifs et de chiffre
l’ordonnance du 25 mars 2020 connus et insoupçonnés jusqu’à d’affaires des personnes concernées ainsi que le
vient troubler les repères peu. Un des premiers réflexes lé- seuil de perte de chiffre d’affaires constatée du fait
gitimes des commerçants et des de la crise sanitaire ».
chefs d’entreprise est de préser- Il apparaît instantanément que les bénéficiaires des
ver leur trésorerie et de trouver un ballon d’oxygène face à un virus dispositions de l’ordonnance sont potentiellement
s’attaquant aux voies respiratoires. Ainsi, ils se tournent naturel- plus nombreux que ceux visés par l’article 11, I, 1°,
lement vers leur(s) bailleur(s) afin d’alléger provisoirement leurs g, de la loi du 23 mars 2020, puisque celui-ci ne visait
charges d’exploitation dans l’espoir de traverser le cataclysme. Les pas les personnes poursuivant leur activité dans le
règles de droit auxquelles ils sont confrontés sont malheureuse- cadre d’une procédure de sauvegarde, de redresse-
ment complexes et peu adaptées et l’ordonnance du 25 mars 2020 ment judiciaire ou de liquidation judiciaire.
vient troubler les repères. Les personnes physiques et morales susceptibles de
Il convient de distinguer le cas des preneurs bénéficiant des dispo- bénéficier du fonds de solidarité sont celles remplis-
sitions de cette ordonnance, de celui des preneurs ne bénéficiant sant les conditions cumulatives définies par les ar-
pas desdites dispositions et ne pouvant plus accueillir de public en ticles 1er et 2 du décret no 2020-371 du 30 mars 2020.
vertu des mesures administratives et de ceux ne disposant pas non Il ne s’agit toutefois pas là des bénéficiaires des
plus desdites dispositions et échappant à cette interdiction ou à tout mesures relatives au paiement des loyers et des
empêchement d’exploiter. charges locatives, puisque le décret no 2020-378 du
31 mars 2020 prévoit que bénéficieront de celles-ci
les personnes remplissant les conditions et les cri-
■■ Les preneurs bénéficiant des tères définis aux 1o et 3o à 8o de l’article précité et
aux 1o et 2o de l’article 2 susvisé. Autrement dit, les
dispositions de l’ordonnance
du 25 mars 2020
(8) JO 24 mars, texte no 7.
(9) JO 16 mars, texte no 16.
L’article 11, I, 1°, g, de la loi du 23 mars 2020 a autorisé le gou- (10) JO 26 mars, texte no 39.
vernement à prendre par ordonnances toute mesure permettant de (11) JO 31 mars, texte no 29.
reporter intégralement ou d’étaler le paiement des loyers afférents (12) JO 1er avr., texte no 26.

AJ Contrat Avril 2020


Dossier Covid-19 et contrat
195

bénéficiaires des mesures relatives au paiement des paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux
loyers et des charges locatives sont les personnes : professionnels et commerciaux. Le texte ne vise pas les actions en
- dont l’activité a débuté avant le 1er février 2020 (1o), résiliation judiciaire du bail, ce qui devrait être sans portée, tant une
- dont l’effectif est inférieur ou égal à dix salariés (3o), telle action paraît sans chance de succès dans le contexte actuel,
- dont le montant du chiffre d’affaires constaté lors du puisqu’il est hautement improbable qu’elle franchisse l’obstacle du
dernier exercice clos est inférieur à un million d’eu- pouvoir d’appréciation du juge. Par ailleurs, le texte vise uniquement
ros et pour celles n’ayant pas encore clos d’exercice, les loyers et les charges et ne porte donc pas sur les taxes et im-
le chiffre d’affaires mensuel moyen sur la période pôts qui auraient pu être appréhendés prorata temporis, ni les autres
comprise entre la date de création de l’entreprise et sommes pouvant être dues au titre du bail, telles des contributions
le 29 février 2020 est inférieur à 83 333 euros (4o), à un fonds marketing. Si l’ordonnance ne prévoit pas de report ou
- dont le bénéfice imposable augmenté le cas d’étalement des loyers et des charges afférents à la période qu’elle
échéant des sommes versées au dirigeant, au titre définit par ailleurs, de facto elle aboutira à cette situation. En effet,
de l’activité exercée, n’excède pas 60 000 euros au le défaut de paiement des loyés et de charges est quasiment sans
titre du dernier exercice clos et pour celle n’ayant sanction, puisque la seule action restant offerte au bailleur est l’ac-
pas encore clos un exercice, le bénéfice imposable tion en paiement, laquelle, si elle devait être intentée, aboutirait très
augmenté le cas échéant des sommes versées au di- probablement à des délais de paiement sur le fondement des articles

Dossier
rigeant est établi, sous leur responsabilité, à la date 1244-1 ancien et 1343-5 nouveau du code civil.
du 29 février 2020, sur leur durée d’exploitation et Le texte neutralise les stipulations contractuelles afférentes aux
ramené sur douze mois (5o), pénalités financières, intérêts de retard, dommages-intérêts et as-
- dont le dirigeant majoritaire n’est pas titulaire, au treinte, ainsi que la mise en œuvre des « garanties ou cautions »
1er mars 2020, d’un contrat de travail à temps complet dont pourrait disposer le bailleur, ce qui, du fait du caractère géné-
ou d’une pension de vieillesse et n’a pas bénéficié, au ral de la notion de « garantie » devrait inclure le dépôt de garantie.
cours de la période comprise entre le 1er mars 2020 et Le nouveau dispositif s’applique également nonobstant les disposi-
le 31 mars 2020, d’indemnités journalières de sécurité tions de l’article L. 622-14, 1° du code de commerce prévoyant que
sociale d’un montant supérieur à 800 euros (6o), l’inexécution, en cas de résiliation du bail par décision de l’adminis-
- qui ne sont pas contrôlées par une société com- trateur judiciaire, peut donner lieu à des dommages et intérêts au
merciale au sens de l’article L. 233-3 du code de profit du bailleur, dont le montant doit être déclaré au passif, ainsi
commerce (7o), que de celles de l’article L. 622-14, 2° afférentes à la demande de
- et, lorsqu’elles contrôlent une ou plusieurs so- résiliation ou à la constatation de la résiliation du bail pour défaut
ciétés commerciales au sens de l’article L. 233-3 de paiement des loyers et charges afférents à une occupation pos-
du code de commerce, la somme des salariés, des térieure au jugement d’ouverture, au terme d’un délai de trois mois
chiffres d’affaires et des bénéfices des entités liées à compter dudit jugement. De même, il s’applique indépendam-
respectent les seuils fixés aux 3o, 4o et 5o. ment des dispositions de l’article L. 641-12 relatives à la résiliation
Encore faut-il que ces personnes : 1o aient fait l’ob- du bail dans le cadre de la liquidation judiciaire.
jet d’une interdiction d’accueil au public et ; 2o aient Enfin, les dispositions ci-dessus s’appliquent aux loyers et charges
subi une perte de chiffre d’affaires d’au moins 50 % locatives dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars
durant la période comprise entre le 1er mars 2020 et 2020, lendemain de l’annonce de la pandémie par l’OMS, et l’expi-
le 31 mars 2020 : ration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état
- par rapport à la même période de l’année précédente, d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020
- ou, pour les entreprises créées après le 1er mars précitée. À ce jour, il est prévu que l’état d’urgence sanitaire prenne
2019, par rapport au chiffre d’affaires mensuel fin le 24 mai 2020. Les dispositions susvisées s’appliquent donc aux
moyen sur la période comprise entre la date de créa- loyers et charges locatives dont l’échéance de paiement intervient
tion de l’entreprise et le 29 février 2020 ; entre le 12 mars et le 24 juillet 2020. Le délai de deux mois après la
- ou, pour les personnes physiques ayant bénéficié date de cessation de l’état d’urgence témoigne de la volonté de per-
d’un congé pour maladie, accident du travail ou ma- mettre aux entreprises concernées de sortir dans les meilleures
ternité durant la période comprise entre le 1er mars conditions possibles de la crise.
2019 et le 31 mars 2019, ou pour les personnes mo- Il restera à déterminer si les bénéficiaires des dispositions de l’or-
rales dont le dirigeant a bénéficié d’un tel congé pen- donnance no 2020-316 du 25 mars 2020 pourront ou non invoquer
dant cette période, par rapport au chiffre d’affaires les dispositions du droit commun étudiées ci-après et si celles-ci
mensuel moyen sur la période comprise entre le pourront ou non se cumuler.
1er avril 2019 et le 29 février 2020.
Le cumul des différentes conditions, dont celle re-
■■ Les preneurs ne pouvant plus
lative à la perte de chiffre d’affaires de 50 %, aura
probablement pour effet, à ce jour, de limiter sen-
siblement le nombre de personnes bénéficiant des accueillir de public en vertu
dispositions protectrices relatives au loyer et aux
charges locatives. de mesures administratives
Par ailleurs, alors que l’article 11, I, 1o, g, de la loi du relatives à la lutte contre la
23 mars 2020 visait le report intégral ou l’étalement
du paiement des loyers, l’ordonnance ne vise expres- propagation du virus Covid-19
sément ni le report, ni l’étalement. En effet, l’excep-
tionnelle protection offerte par l’ordonnance permet- Les preneurs ayant été contraints de cesser leurs activités à comp-
tra de ne pas encourir de pénalités financières ou ter du 15 mars 2020 devraient être fondés à opposer à leurs bailleurs
intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, respectifs le fait qu’ils n’assurent plus leur obligation de délivrance.
d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou Ces derniers ne manqueront pas de justifier leur défaillance non
de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activa- fautive en se prévalant d’un événement de force majeure. Il ne fait
tion des garanties ou cautions, en raison du défaut de aucun doute que la crise sanitaire et les mesures administratives

Avril 2020 AJ Contrat


Covid-19 et contrat Dossier
196

qu’elle a provoquées constituent un cas de force majeure pour les possible de satisfaire l’obligation de délivrance) dû à un
bailleurs. Il s’agit bien, selon les critères antérieurs à l’entrée en vi- cas de force majeure. Dans ce cas, le débiteur, c’est-
gueur de la réforme du droit des contrats, d’événements extérieurs à-dire le bailleur, serait partiellement libéré. Quant
aux bailleurs, imprévisibles et irrésistibles, ou, selon les critères de au preneur, nonobstant l’absence de texte, il pourrait,
l’article 1218 nouveau du code civil, d’événements qui échappent à comme l’envisage M. F. Gréau, du fait de l’interdépen-
leur contrôle, qui ne pouvaient être raisonnablement prévus lors dance des obligations, être partiellement libéré de son
de la conclusion des contrats (à condition qu’ils aient été conclus obligation de paiement du loyer « à due concurrence ».
avant, probablement le 11 mars 2020, date de déclaration de la pan- Cela paraît conforme à l’esprit des textes. À cet égard,
démie par l’OMS) et dont les effets ne peuvent être évités par des il s’agit de la solution à laquelle aboutit l’article 1223
mesures appropriées, lesquels empêchent l’exécution de l’obliga- nouveau du code civil en cas d’inexécution fautive du
tion de délivrance des locaux pour la destination contractuelle. débiteur. Ajoutons que l’article 1722 du code civil pré-
Les preneurs titulaires de baux signés postérieurement au 1er oc- voit par ailleurs l’hypothèse, en cas d’incendie par cas
tobre 2016 et interdits d’exploiter par mesures administratives fortuit, d’une diminution du prix en cas de destruction
relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19 pour- partielle. De même, l’article 20-1 de la loi du 6 juillet
ront invoquer en premier lieu l’exception d’inexécution introduite 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs confère
aux articles 1219 et 1220 nouveaux du code civil. Elle ne permettra au juge le pouvoir de réduire ou suspendre le loyer, et
pas aux preneurs d’anéantir leur obligation de paiement du loyer même la durée du bail, jusqu’à l’exécution de travaux
correspondant à la période litigieuse, puisqu’elle a uniquement des permettant de rendre le logement décent, étant rappe-
effets provisoires et temporaires. Elle aura donc uniquement pour lé que le principe de l’obligation du bailleur de fournir
effet de suspendre l’obligation de paiement dont il s’agit, ce qui un logement décent est inscrite dans l’article 1719-1 du
conduira à un report de l’obligation de paiement. code civil et renvoie donc à l’obligation de délivrance.
Les preneurs qui espéreront obtenir, non un simple report de l’obli- Cela serait également légitime au regard de la situation
gation de payer le loyer, mais un anéantissement de ladite obliga- de fait exceptionnelle des preneurs. Il convient toute-
tion, devront établir que la force fois d’afficher la plus grande prudence face à cette lec-
majeure permettrait de libérer ture et cette application de l’article 1351 du code civil.
Sera-t-il admis que la pandémie
partiellement les bailleurs et leur Cependant, gageons que la situation exceptionnelle
de Covid-19 et les mesures
permettrait corrélativement de entraînera une application des textes nouveaux condui-
administratives qu’elle a les libérer partiellement, ce qui sant à une réduction du prix résultant d’un cas de force
provoquées constituent une est loin d’être acquis. majeure en l’absence de faute du débiteur.
impossibilité définitive et À cette fin, ils pourraient se tour- La situation exceptionnelle créée par le Covid-19
partielle pour les bailleurs ner vers les dispositions de l’ar- pourrait également conduire à avoir recours à l’article
d’exécuter leur obligation de ticle 1351 nouveau du code civil, 1223 nouveau du code civil, applicable a priori en cas
délivrance les libérant « à due applicables en cas de force ma- de force majeure, bien que celui-ci semble manifeste-
concurrence » ? Cela pourrait jeure, qui pourraient – très éven- ment s’appliquer à l’inexécution fautive du débiteur. Or
être envisagé tuellement – fonder en l’espèce le l’incapacité des bailleurs à remplir leur obligation de
tandem inexécution partielle non délivrance n’est pas fautive. Quoi qu’il en soit, en cas
fautive du bailleur/libération par- d’application hardie de ce texte, il pourrait être envisa-
tielle du preneur. Celui-ci dispose que « [l]’impossibilité d’exécuter gé de dispenser les preneurs d’une mise en demeure
la prestation libère le débiteur à due concurrence lorsqu’elle procède des bailleurs du fait du caractère irréversible de l’ab-
d’un cas de force majeure et qu’elle est définitive, à moins qu’il n’ait sence de délivrance de locaux.
convenu de s’en charger ou qu’il ait été préalablement mis en de- Encore faudra-t-il en toute hypothèse que les parties
meure ». À cet égard, il est enseigné qu’« au-delà de la seule sus- n’aient pas renoncé dans leur bail à se prévaloir de
pension, un autre aménagement permettant d’assurer la pérennité la force majeure, l’article 1351 précité prévoyant ex-
du contrat est possible, même s’il n’est pas nécessairement simple à pressément cette faculté (« à moins qu’il n’ait conve-
mettre en œuvre. Il n’est pas évoqué à l’article 1218, alinéa 2, du code nu de s’en charger »).
civil (signe d’une mauvaise organisation des nouveaux textes entre la S’agissant des preneurs titulaires de baux conclus
définition et les effets de la force majeure), mais à l’article 1351 sur antérieurement au 1er octobre 2016, date d’entrée en
les conséquences de « l’impossibilité d’exécuter ». Ce texte prévoit vigueur de la réforme du droit des obligations, la si-
en effet que l’impossibilité définitive d’exécuter due à une force ma- tuation est encore plus délicate. Le non-respect fautif
jeure libère le débiteur « à due concurrence », reconnaissant ainsi la de l’obligation de délivrance conduisait à une libéra-
possibilité d’une libération seulement partielle 13. Cela suppose d’être tion partielle de l’obligation de payer le loyer. La Cour
en présence d’un contrat divisible dans lequel l’exécution seulement de cassation a ainsi jugé que « le bailleur ne peut ré-
partielle présente une réelle utilité pour le créancier ; à défaut, il fau- clamer le paiement des loyers et accessoires dès lors
drait en revenir à la solution de la libération complète. La force ma- qu’il a fourni au preneur un local non conforme » 15.
jeure n’est ici pas temporaire, mais définitive et partielle. Bien que le Idem sur le fondement de dispositions particulières,
texte n’ait pas pris soin de le préciser, cette libération partielle doit comme l’article 1733 du code civil 16. En revanche, les
s’accompagner de celle du créancier pour son obligation corrélative chances d’obtenir une libération partielle de l’obliga-
à raison de l’interdépendance des obligations (il aurait fallu claire- tion de paiement étaient très faibles en l’absence de
ment étendre à l’article 1218 du code civil [inexécution non imputable faute du débiteur. En effet, les possibilités d’invoquer
au débiteur] la solution de la réduction du prix de l’article 1223 du une inexécution partielle du bailleur du fait d’un cas
code civil [inexécution imputable au débiteur]) » 14.
Sera-t-il admis que la pandémie de Covid-19 et les mesures adminis-
tratives qu’elle a provoquées constituent une impossibilité définitive et
partielle pour les bailleurs d’exécuter leur obligation de délivrance les (13) Pour une solution proche à propos du bail, V. C. civ., art. 1722.
(14) Rép. civ., vo Force majeure, par F. Gréau, no 104.
libérant « à due concurrence » ? Cela pourrait être envisagé, puisqu’il
(15) Civ. 3e, 14 févr. 2012, n° 11-10.559 ; V. égal. Civ. 3e, 12 mai 2015,
pourrait être considéré que nous sommes en présence d’un empê- n° 14-10.838 ; Civ. 3e, 20 déc. 2018, n° 17-28.527.
chement partiel et définitif (il est définitivement et partiellement im- (16) Toulouse, ch. 3, sect. 1, 19 oct. 2004, no 03/02810.

AJ Contrat Avril 2020


Dossier Covid-19 et contrat
197

de force majeure afin d’obtenir une libération par- ■■ Les preneurs échappant à
tielle de l’obligation de paiement étaient difficiles
sous l’empire des anciennes dispositions. Si la Cour l’interdiction de recevoir du public
de cassation avait admis la réduction de l’obligation ou à tout empêchement d’exploiter
en 2003 17, elle avait ensuite jugé que « la fausseté
partielle de la cause ne peut entraîner la réduction de Diverses catégories de preneurs échappent à l’impossibilité d’ex-
l’obligation » 18. ploiter leur activité durant la pandémie de Covid-19. Il s’agit tout
L’absence de cause résultant d’un cas de force ma- d’abord des commerçants non concernés par l’interdiction de re-
jeure aboutissait ainsi, en principe, à une nullité ou cevoir du public, dont la liste est donnée par l’arrêté précité du
une résolution du contrat et non au constat d’une 15 mars 2020. Il s’agit également des preneurs relevant des activi-
inexécution partielle non fautive du débiteur pou- tés tertiaires titulaires de baux à usage de bureaux. Ces preneurs
vant conduire à une libération partielle du créancier. peuvent en principe poursuivre leur activité puisque, nonobstant les
Il pourrait toutefois être envisagé que la notion de mesures de précaution assenées avec force par la parole publique
cause soit revisitée à l’aune des nouvelles dispo- et les professionnels de la santé, les « trajets entre le domicile et
sitions de l’article 1351 du code civil et des consé- le ou les lieux d’exercice de l’activité professionnelle » ne sont pas
quences susvisées qui pourraient en découler, afin interdits.

Dossier
de permettre aux preneurs empêchés de bénéficier Ces preneurs ne pourront donc se prévaloir de l’impossibilité des bail-
d’une libération partielle de leur obligation de payer leurs d’assurer leur obligation de délivrance. Ils se tourneront donc,
le loyer « à due concurrence ». À défaut, ces der- en premier lieu, vers la notion de force majeure avec les difficultés
niers pourront toujours se tourner vers la jurispru- déjà largement exposées par de nombreux commentaires et notes. En
dence relative à l’exception d’inexécution antérieure effet, s’il est acquis que les anciens critères d’imprévisibilité et d’exté-
au 1er octobre 2016 afin d’obtenir une suspension de riorité sont réunis, le critère de l’irrésistibilité pourrait être source de
leur obligation et un report du loyer. difficultés. Effectivement, un événement de force majeure ne doit pas
En définitive, les preneurs ne pouvant plus accueillir de rendre l’exécution difficile, voire très difficile, mais impossible. L’article
public en vertu de mesures administratives relatives à 1218 nouveau du code civil indique ainsi que l’événement de force ma-
la lutte contre la propagation du virus Covid-19 pour- jeure « empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. » À cet
raient tenter d’obtenir l’anéantissement de leur obliga- égard, il était classiquement jugé que « le débiteur d’une obligation
tion de payer leur loyer et la provision de charges y af- contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de
férente à la période durant laquelle ils ne pourront plus cette obligation en invoquant un cas de force majeure » 19. La jurispru-
accueillir de public en se fondant principalement sur dence récente, probablement influencée par la multiplication des épi-
l’article 1351 nouveau du code civil, voire sur l’article démies 20 s’est semble-t-il assouplie dans son appréhension du critère
1223 nouveau, lesquels pourraient, le cas échéant, irri- de l’irrésistibilité dans de telles circonstances 21.
guer l’ancien droit. À tout le moins, car il faut se mon- Il sera toutefois possible de soutenir que ces réserves doivent être
trer très prudent sur les chances d’obtenir l’anéantis- balayées en raison de la violence du choc inédit que subissent les
sement temporaire de l’obligation de payer le loyer, ils entreprises. À titre d’exemple, est-il raisonnable de penser qu’un
pourraient obtenir une suspension de ladite obligation hôtel ayant une clientèle de touristes ou d’affaires, qui a le droit de
sur le fondement de l’exception d’inexécution. recevoir du public en vertu des mesures administratives, mais dont
En outre, les preneurs ne pouvant plus accueillir de les clients, qui sont confinés chez eux en France ou à l’étranger et
public en vertu de mesures administratives relatives qui, pour ces derniers, ne sont plus en mesure de franchir les fron-
à la lutte contre la propagation du virus Covid-19 tières qui ferment les unes après les autres, devrait être en mesure
pourraient également invoquer la force majeure à de faire face à ses obligations, dont celle de payer son loyer, alors
laquelle ils sont confrontés afin, d’une part, de se que son activité est quasiment à l’arrêt, dans certains cas depuis
délier de leur éventuelle obligation contractuelle plusieurs semaines ? Faudra-t-il se faire juge au cas par cas de
de maintenir une activité dans les locaux et, d’autre la trésorerie de l’exploitant ? Dans ce cas, conviendra-t-il d’appré-
part, de solliciter une suspension de l’obligation de cier les raisons d’une faible trésorerie, les politiques de gestion de
payer leur loyer. Il est renvoyé sur ce point aux déve- la trésorerie de ses filiales par un groupe, etc., ou l’intérêt géné-
loppements ci-après concernant la force majeure et ral et la préservation des entreprises et donc des emplois ne de-
les preneurs échappant à l’interdiction de recevoir du vraient-ils pas conduire à une application sensiblement plus souple
public ou à tout empêchement d’exploiter, lesquels de la notion de force majeure et adaptée à la situation systémique ?
ne disposent pas de l’argument fondé sur l’obligation Autrement dit, ne devrait-il pas être considéré avec souplesse, voire
de délivrance du bailleur. mansuétude, que, dans de nombreux cas, la violence du choc sera
Enfin, le contrat n’étant en principe pas suspendu, le irrésistible pour les preneurs ?
preneur devrait continuer à avoir la garde des locaux. Si le critère d’irrésistibilité devait être acquis, quel serait l’effet de
En particulier, le preneur mono-occupant devrait la force majeure sur l’obligation de payer les loyers ?
maintenir la gestion technique de l’immeuble durant L’article 1218 nouveau du code civil prévoit que si l’empêchement de
la période d’interdiction d’exploitation. payer le loyer est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspen-
due à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution
du contrat. L’obligation de payer le loyer sera donc « suspendue ».
Or que signifie la suspension de l’obligation de paiement ? Est-ce
à dire qu’elle est anéantie ou seulement reportée ? D’aucuns ont
(17) Civ. 1re, 11 mars 2003, n° 99-12.628, Bull. civ. I, no 67. tenté la comparaison avec les articles L. 1226-1 à L. 1226-9 du code
(18) Civ. 1re, 31 mai 2007, n° 05-21.316. du travail qui prévoient le régime de la suspension du contrat de
(19) Com. 16 sept. 2014, n° 13-20.306, Cappelletti c/ Sté Banque travail, durant laquelle le salarié n’est pas rémunéré. Or il s’agit là
populaire provençale et Corse. de dispositions particulières d’un droit (très) spécial, qui sont sans
(20) SRARS en 2002, H1N1 en 2009/2010, EBOLA depuis 2014, MERS portée en l’espèce.
en 2015.
(21) Paris, 17 mars 2016, no 15/04263 ; Bourges, 21 mai 2010,
L’article 1218 nouveau du code civil prévoit expressément la sus-
no 09/01290 ; Toulouse, 3 oct. 2019, no 19/01579. pension de l’obligation « à moins que le retard qui en résulterait ne

Avril 2020 AJ Contrat


Covid-19 et contrat Dossier
198

justifie la résolution du contrat ». Il est donc envisagé que le retard Face à des bailleurs récalcitrants, les preneurs échap-
d’exécution de l’obligation suspendue pourrait in fine justifier la ré- pant à l’impossibilité d’exploiter leur activité durant la
solution du contrat, ce qui implique que l’exécution suspendue soit pandémie de Covid-19 pourraient également se tourner,
une obligation qui doive être exécutée. Par conséquent, en cas de en second lieu, vers les articles 1244-1 ancien et 1343-5
force majeure, l’obligation de paiement du loyer n’est en principe nouveau du code civil afférents aux délais de paiement.
pas anéantie, mais simplement reportée. Ce fondement paraît en définitive le plus adapté et le
À la suite de la publication de l’ordonnance no 2020-316 du 25 mars plus simple, puisqu’il paraît acquis qu’en cas de litige,
2020, la question de la durée de la suspension est susceptible de se les bailleurs n’échapperont pas à l’imposition de délais
poser. L’article 1218 nouveau du code civil prévoit que si l’empêche- par le juge.
ment est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue. A prio- En dernier lieu, les preneurs pourraient invoquer l’ar-
ri, la suspension dure le temps de l’empêchement. L’article 4 de cette ticle 1195 nouveau du code civil relatif à l’imprévision.
ordonnance prévoit que ses dispositions protectrices s’appliquent aux Nous laisserons toutefois ces dispositions de côté, non
loyers et charges locatives dont l’échéance de paiement intervient pas puisqu’il est fréquent que les parties y aient re-
entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la noncé, mais parce qu’elles paraissent inadaptées tant
date de cessation de l’état d’urgence sanitaire. Ainsi, à l’aune de ces leur mise en œuvre est complexe. Il serait peut-être
dispositions, ne pourrait-il être soutenu que la suspension de l’obli- plus simple et plus efficace de se fonder sur la notion
gation de paiement doive durer non pas le temps de l’empêchement, de bonne foi et de se prévaloir de la mauvaise foi du
mais le temps que l’empêchement cesse de produire ses effets, le dé- bailleur qui refuserait d’adapter le contrat, ce que l’ar-
lai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire ticle 1195 nouveau du code civil ne devrait pas interdire.
pouvant dans ce cas servir de référence ? La brutalité des événements Les preneurs pourraient ainsi exhumer le célèbre arrêt
actuels conduira-t-elle à une telle interprétation ? Huard du 3 novembre 1992 de la chambre commerciale
Quoi qu’il en soit, les preneurs sont vivement invités à se rapprocher de la Cour de cassation qui, en « l’absence de tout cas
de leurs bailleurs afin de négocier l’aménagement de leur obliga- de force majeure », a considéré que le fournisseur qui
tion de payer le loyer et un étalement amiable. Il apparaît que tout avait privé son distributeur des moyens de pratiquer
conflit est à prohiber en raison des inconnues et des aléas juridiques des prix concurrentiels n’avait pas exécuté le contrat
susvisés. De surcroît, les preneurs ont intérêt à éviter une situation de bonne foi 22.
conflictuelle qui pourrait conduire leurs bailleurs à faire jouer les ga-
ranties de paiement autonomes dont ils pourraient disposer, alors
que le contexte se caractérise d’ores et déjà pour nombre d’entre eux (22) Com., 3 nov. 1992, n° 90-18.547, Société française des pétroles BP
par une extrême précarité. c/ Huard, Bull. civ. IV, no 338 ; RTD civ. 1993. 124, obs. J. Mestre.

Les organisateurs sportifs et le coronavirus


par Frédéric Buy
Agrégé des Facultés de droit, professeur à l’Université d’Aix-Marseille

L’épidémie de coronavirus n’épargne personne et met, entre du 9 mars interdisant tout rassemblement mettant
autres, le monde du sport en émoi. Les annulations et reports, sine en présence de manière simultanée plus de 1 000
die ou à date plus ou moins fantaisiste, se sont multipliés ces der- personnes jusqu’au 15 avril 3 ; arrêté du 13 mars
nières semaines : Ligue 1 et Ligue 2 (suspension « jusqu’à nouvel interdisant tout rassemblement, réunion ou activité
ordre »), Roland-Garros (reporté en septembre), Euro de football mettant en présence de manière simultanée plus
(reporté l’an prochain), Mondiaux en salle d’athlétisme (repoussés de 100 personnes en milieu clos ou ouvert jusqu’au
également en 2021), NBA (suspendue pour « au moins » un mois), 15 avril 4 ; arrêté du 15 mars interdisant aux éta-
etc. 1 La plus grande compétition planétaire est elle-même ajour- blissements sportifs couverts d’accueillir du public
née : après avoir joué la montre, le Japon et le CIO ont finalement jusqu’au 15 avril 5 ; décrets du premier ministre por-
accepté le report des JO d’été. tant mesures de confinement jusqu’au 31 mars, puis
L’avenir est incertain, mais il est déjà possible de poser un premier jusqu’au 15 avril 6. Et il faudra probablement ajouter
regard juridique sur la situation. Quel est donc, pour les organisa- à la liste lorsque ces lignes seront publiées.
teurs sportifs, l’impact sportif, financier et contractuel, que peut L’arrêt des compétitions est donc, actuellement, iné-
avoir la crise du Covid-19 ? vitable. Il est toutefois important de rappeler qu’en

■■ Impact sportif (1) V. Coronavirus : le monde du sport à l’arrêt ou à huis clos, lesechos.
fr, 16 mars 2020.
(2) JO 5 mars, texte no 15.
Les décisions des autorités publiques ont progressivement et (3) JO 10 mars, texte no 16.
(4) JO 14 mars, texte no 27.
inexorablement impacté la tenue des compétitions sur le territoire
(5) JO 16 mars, texte no 2.
français : arrêté du 4 mars interdisant jusqu’au 31 mai les ras- (6) Décr. no 2020-260 du 16 mars 2020, JO 17 mars ; Décr. n° 2020-293
semblements en milieu clos de plus de 5 000 personnes 2 ; arrêté du 23 mars 2020, JO 24 mars.

AJ Contrat Avril 2020


Dossier Covid-19 et contrat
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dehors du champ temporel et matériel des inter- celle-ci. L’une des grandes questions est de savoir si les clubs pro-
dictions administratives, la décision de maintenir fessionnels ont intérêt à placer leurs salariés en position d’activi-
les compétitions appartient aux seuls organisateurs té partielle (ancien chômage partiel), dans des conditions qui sont
sportifs. Certes, le code du sport indique que « les désormais assouplies 12. L’idée est simple : l’employeur verse au
fédérations sportives sont placées sous la tutelle du salarié dont le contrat est suspendu, pour chaque heure chômée,
ministre chargé des Sports » 7. Mais le ministre doit une indemnité correspondant à 70 % de sa rémunération brute, et
seulement s’assurer de la légalité des actes des fé- obtient en retour une allocation versée par l’État. Compte tenu du
dérations ; il ne s’agit, en aucun cas, d’un contrôle plafonnement de l’allocation (70 % de 4,5 SMIC), un tel dispositif
d’opportunité 8. semble a priori plus adapté aux « administratifs » qu’aux joueurs à
On pourrait en revanche imaginer – mais nous gros revenus. Les clubs l’ont pourtant largement plébiscité 13. Il faut
n’avons pas connaissance de divergences sur ce dire qu’il n’est pas sans attrait, l’indemnité d’activité partielle étant
point – des difficultés de gouvernance interne qui exonérée de cotisations de sécurité sociale 14. Dans le contexte ac-
surviendraient au sein même d’une discipline. Quid, tuel, l’effet d’aubaine, parfois chiffrable à plusieurs millions, parait
par exemple, si une ligue professionnelle décidait, en insensé 15. Nous verrons ce qu’en dira l’Administration, qui doit tout
tant que délégataire de l’organisation de la compéti- de même accorder son autorisation.
tion, de l’annulation ou du report de cette dernière, En tant qu’organisateurs de spectacles, les organisateurs sportifs

Dossier
mais que la fédération s’y opposait ? La question pourront aussi jouer la carte des assurances. On sait, en effet, que
s’est déjà posée en d’autres circonstances. Elle de- les frais de remboursement et les pertes en billetterie, redevances
vra être tranchée à la lumière de la jurisprudence TV, publicitaires, etc., sont ordinairement garantis par des assu-
Ligue nationale de rugby : « La fédération ne sau- rances « annulation » ou « pertes d’exploitation » 16. Le problème
rait intervenir dans la réglementation et la gestion est que toutes les assurances ne couvrent pas l’origine épidémique
de cette compétition et réformer, le cas échéant, les de l’annulation ou du report 17. Les plus mal habillés penseront
décisions prises par la ligue dans l’exercice de cette à souscrire ce genre de garantie à l’avenir, le risque étant assu-
compétence, que si ces décisions sont contraires aux rable 18. Mais à condition, bien sûr, que les assureurs le veuillent
statuts de la fédération ou portent atteinte aux inté- bien…
rêts généraux dont la fédération a la charge » 9. Nous
verrions alors ce que recouvre « l’intérêt général »
■■ Impact contractuel
de la discipline.

■■ Impact financier Si l’activité contractuelle des organisateurs sportifs est fortement


affectée par l’épidémie de Covid-19, il serait hâtif d’en déduire que
la force obligatoire des contrats conclus (avec les diffuseurs, spon-
Il est pour l’heure très difficile à évaluer, mais il sors, joueurs, abonnés, etc.) sera, de ce fait, nécessairement flétrie.
sera lourd. D’ores et déjà, l’absence de recettes de En l’état des mesures d’exception adoptées par le gouvernement,
billetterie se fait durement sentir du côté des clubs, les organisateurs défaillants peuvent essentiellement compter
puisqu’on sait que ces dernières « servent de tréso- sur un mécanisme de paralysie de certaines clauses de rigueur
rerie quotidienne » 10. (clauses pénales, clauses résolutoires, clauses de déchéance) 19.
En tant qu’entreprises, les organisateurs sportifs C’est intéressant mais cela reste limité : les créanciers pourront
peuvent bien sûr profiter des mesures exception- réactiver leurs clauses d’ici quelques mois et, surtout, ne sont nul-
nelles qui ont été adoptées par le gouvernement lement privés de la possibilité
en application de la loi d’urgence pour faire face à de recourir, dès à présent, aux Quid des décisions actuelles
l’épidémie de Covid-19 11, ou concomitamment à sanctions unilatérales de l’inexé-
de report des compétitions ?
cution.
Elles sont bien sûr inévitables
Dans ces conditions, et puisque
(7) C. sport, art. R. 131-1. le droit commun reste en principe
et les contrats conclus avec
(8) V. en ce sens, F. Canu et O. Keraudren, « Mission relative au applicable, la grande question du
les diffuseurs, sponsors ou
modèle sportif français : état des lieux des relations entre l’État et le
moment doit être posée : les or- abonnés, sont en principe
mouvement sportif », rapport déc. 2017, sports.gouv.fr, p. 33.
ganisateurs peuvent-ils ouvrir le suspendus tant que
(9) CE 12 avr. 2017, n° 409537, Ligue nationale de rubgy.
parapluie de l’imprévision 20 ou de l’empêchement peut être,
(10) C. Lepetit, Interview, leparisien.fr, 10 mars 2020.
(11) L. no 2020-290 du 23 mars 2020. la force majeure 21 ? Dans bien des pour l’organisateur, considéré
(12) Décr. n° 2020-325 du 25 mars 2020, JO 26 mars ; Ord. n° 2020-346 cas, la réponse se trouvera dans comme temporaire
du 27 mars 2020, JO 28 mars. le contrat lui-même, puisqu’on
(13) Coronavirus : foot et chômage partiel, un cocktail légal mais sait que la liberté contractuelle
détonnant, lesechos.fr, 25 mars 2020.
(14) C. trav., art. L. 5428-1. permet à chacun de déterminer la part de risque qu’il entend as-
(15) Coronavirus : foot et chômage partiel, un cocktail légal mais sumer. Au-delà, il ne semble pas que la piste de l’imprévision soit
détonnant, article préc. la plus intéressante, car le temps de la procédure de révision, et
(16) V. F. Buy, J.-M. Marmayou, D. Poracchia et F. Rizzo, Droit du sport, l’obligation de poursuivre l’exécution du contrat tant que celle-ci
5e éd., LGDJ, 2018, no 1134.
n’est pas achevée, s’accommodent assez mal de l’urgence de la si-
(17) L. Mayaux, « Coronavirus et assurance », JCP 2020. 295.
tuation.
(18) Ibid.
(19) Ord. n° 2020-306 du 25 mars 2020 portant prorogation des délais Reste l’hypothèse de la force majeure. Le problème, on le sait, est
échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des qu’il est impossible de répondre abstraitement. Les déclarations
procédures pendant cette même période, art. 4, JO 26 mars. des autorités politiques ou sanitaires n’influencent qu’à la marge
(20) C. civ., art. 1195. la qualification de force majeure, et le juge reste seul compétent
(21) C. civ., art. 1218. pour apprécier son existence, au terme d’une analyse qui ne peut
(22) Pour une première illustration, V. Colmar, 6e ch., 12 mars 2020,
n° 20/01098, degaullefleurance.com, obs. L. Grymbaum (l’arrêt admet
qu’être circonstanciée 22. On rappellera que la force majeure se dé-
la force majeure). finit comme 1° un événement échappant au contrôle du débiteur,

Avril 2020 AJ Contrat


Covid-19 et contrat Dossier
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2° qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion doit prouver que l’événement rend impossible la
du contrat, 3° dont les effets ne peuvent être évités par des mesures poursuite de l’exploitation de l’entreprise 28. Au de-
appropriées, et 4° qui empêchent l’exécution de son obligation par meurant, si un club prend l’initiative de rompre le
le débiteur. On ne peut que renvoyer, sur l’ensemble de la question, contrat avant l’échéance « en raison d’un sinistre re-
à l’excellente étude de notre collègue Julia Heinich récemment pu- levant d’un cas de force majeure », le joueur a droit
bliée dans les colonnes du Recueil 23. Nous nous contenterons ici à une indemnité compensatrice dont le montant est
d’évoquer, pêle-mêle, une série de questions pratiques. égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au
Quid des organisateurs qui, dans les premiers temps, ont, sans in- terme du contrat 29.
jonction des pouvoirs publics, par simple précaution, décidé de la Quid, enfin, des contrats de joueurs qui devaient
tenue de matchs à huis clos ? A priori, ces organisateurs n’étaient prochainement arriver à échéance ? Les clubs pour-
pas empêchés d’exécuter les contrats de billetterie et d’abonne- ront-ils compter sur eux à l’occasion des matchs re-
ment. Reste à savoir si l’impossibilité d’exécution ne renvoie pas à portés ? A priori non. Même à supposer que la force
l’effet de la force majeure, plutôt qu’à l’une de ses conditions 24. On majeure soit retenue à raison d’un empêchement
serait alors amené à se demander si les effets de l’épidémie (c’est- temporaire, le problème est que la suspension du
à-dire le huis clos) étaient évitables. Dans l’absolu, oui. Mais l’on ne contrat de travail ne fait pas obstacle à l’échéance
serait pas étonné, compte tenu du caractère unique de la crise, que du terme 30. On pourrait essayer de « sauver » les
les juges accueillent favorablement l’application par les organisa- contrats conclus, non de date à date, mais « pour la
teurs du principe de précaution 25. durée de la saison ». Mais le code du sport précise
Quid des décisions actuelles de report des compétitions ? Elles que la durée d’une saison sportive est fixée à douze
sont bien sûr inévitables et les contrats conclus avec les diffuseurs, mois 31. La conclusion d’un avenant semble dès lors,
sponsors ou abonnés, sont en principe suspendus tant que l’em- et en toute hypothèse, nécessaire.
pêchement peut être, pour l’organisateur, considéré comme tem-
poraire. S’ils ne peuvent réclamer la restitution des sommes déjà ***
versées, les cocontractants peuvent en revanche procéder au gel Les organisateurs sportifs sont aujourd’hui confron-
des paiements, lesquels reprendront dès lors que la force majeure tés à leur plus grand défi, et les juristes seront là
aura cessé. C’est à ce moment-là que les cocontractants pourront, pour les aider à le surmonter. Mais le temps d’après
le cas échéant, se faire rembourser une partie du prix payé. On ne doit déjà être pensé, et celui-ci leur appartient entiè-
peut toutefois exclure que, pour certains d’entre eux, le contrat rement. La crise a révélé les fragilités d’un modèle
perde toute utilité en raison de la date du report (par ex. un abonné sportif et économique, national et mondial, qui est,
marseillais muté à Paris). Dans un tel cas, la suspension cesse et à l’évidence, dépassé. Au mois achèvera-t-elle de
le contrat est résolu 26. convaincre qu’il faut en assainir les fondations 32.
Quid des décisions à prendre au jour de la levée des interdictions ?
Certains organisateurs décideront de rejouer immédiatement,
d’autres favoriseront le huis clos, d’autres préféreront encore annu-
ler tout ou partie de la compétition. Mais ce dernier scénario pourrait (23) J. Heinich, « L’incidence de l’épidémie de coronavirus sur les
contrats d’affaires : de la force majeure à l’imprévision », D. 2020.
présenter un risque. Les diffuseurs et sponsors ne seront-ils pas en Chron. 611.
droit, en effet, de reprocher à l’organisateur de ne pas avoir limité (24) En ce sens, G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des
les effets de la force majeure ? Il faudra probablement distinguer obligations, 2e éd., Dalloz, 2018, no 622.
selon le type de compétition : la marge de manœuvre de l’organi- (25) V. J. Heinich, art. préc.
sateur d’un championnat saisonnier n’est pas la même que celle de (26) C. civ., art. 1218, al. 2.
(27) V. Coronavirus : reporter les JO-2020, un énorme casse-tête pour
l’organisateur d’une compétition courte, type Grand Chelem de ten- les organisateurs, lesechos.fr, 24 mars 2020.
nis. La « lourdeur » de l’évènement (nombre de prestataires, taille (28) Soc. 12 févr. 2003, n° 01-40.916, Sté La Belle créole c/ Mme Chitic.
et nombre des enceintes louées...) devra être également prise en (29) C. trav., art. L. 1243-4, al. 1er.
compte : on ne déplace pas un évènement mondial, tel que les Jeux (30) C. trav., art. L. 1243-6. Notons que la règle s’applique aussi en cas
olympiques, comme on déplace une compétition régionale 27. de chômage partiel (v. supra).

Quid des contrats de joueurs ? La force majeure est ordinairement (31) C. sport, art. L. 222-2-4.
(32) V. en ce sens C. Lepetit, in L. Favre, Après le virus, la révolution ?,
très difficile à plaider dans les rapports de travail, car l’employeur letemps.ch, 29 mars 2020.

AJ Contrat Avril 2020

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