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GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

FRANZ WEIDENREICH

Weidenreich, Franz (1873-1948), anthropologue et anatomiste


allemand, généralement considéré comme l’un des chercheurs les
plus éminents dans l’étude de l’évolution humaine. Weidenreich
est né à Edenkoben, en Allemagne. Il obtint un diplôme de
médecine à l’université de Strasbourg en 1899, puis fut nommé
professeur d’anatomie à Strasbourg (1904-1918) et Heidelberg
(1921-1924), puis à l’université de Chicago en 1934. À
Strasbourg, il publia de nombreux écrits traitant du sang et se
passionna progressivement pour l’étude de l’anatomie du
squelette, en particulier des ossements fossiles. Il publia une
analyse des fossiles humains trouvés sur le site d’Ehringsdorf en
Allemagne en 1927.
Contraint par le gouvernement nazi à abandonner son poste à
Francfort, en 1935, Weidenreich devint professeur d’anatomie
au collège de médecine de l’Union de Pékin. Là, il fut à même
d’étudier les restes d’hominidés extraits des sédiments d’une
grande grotte proche du village de Zhoukoudian (Choukoutien).
Ces fossiles, connus sous le nom de Sinanthropus pekinensis,
appartiennent au groupe des Homo erectus. Des monographies
extrêmement détaillées de Weidenreich sur ces fossiles
exceptionnels furent publiées entre 1936 et 1943, et prirent
d’autant plus d’importance qu’ils disparurent pendant l’occupation
de la Chine par les Japonais lors de la Seconde Guerre mondiale.
Aujourd’hui encore, ces descriptions précises sont considérées
comme inégalées dans le domaine de l’anthropologie physique.
Weidenreich passa le reste des années de guerre à New York,
travaillant à l’American Museum of Natural History.

ARNOLDVAN GENNEP

1 PRÉSENTATION

Van Gennep, Arnold (1878-1957), ethnologue français, connu


pour son travail sur les rites de passage et auteur d’un travail
monumental sur le folklore français.
Les travaux d’Arnold Van Gennep, par la somme de connaissances
accumulées, les idées nouvelles avancées, les pistes de
recherche dégagées, constituent un jalon essentiel dans
l’histoire des théories anthropologiques modernes.

2 UN PARCOURS SINGULIER

Né à Ludwigsburg, en Allemagne, Arnold Van Gennep grandit


entre son père d’origine française et sa mère néerlandaise.
Après le divorce de ses parents, il suit sa mère en Savoie, où elle
se remarie avec un chirurgien. Bien que sa scolarité se déroule
successivement à Lyon, Paris, Nice puis, enfin, Chambéry, il fait
de la Savoie son pays d’adoption, et en parcourt la campagne
durant son temps libre, passionné par la préhistoire savoyarde et
les civilisations lacustres. Dès son enfance, il manifeste un don
certain pour les langues, et en parle six dès l’adolescence.
Non-conformiste, le jeune Arnold Van Gennep délaisse la
Sorbonne et s’inscrit à l’École des langues orientales (aujourd’hui
Inalco) pour étudier l’arabe, ainsi qu’à l’École pratique des hautes
études, où il étudie la linguistique générale, l’arabe ancien,
l’égyptologie et la religion des peuples non civilisés et islamiques.
Parallèlement à sa formation universitaire (1894-1897), il
commence à publier ses premiers articles, sur la numismatique,
ce qui l’amène ensuite à se pencher sur les marques de propriété.
En 1897, il se marie et, pour assurer sa situation après avoir
rompu avec sa famille, accepte un poste de professeur de
français en Pologne. Durant les quatre années de son séjour, il
apprend le russe et le polonais. De retour à Paris, en 1901, il
obtient le poste de chef des traductions au ministère de
l’Agriculture.

3 .UN OUVRAGE CAPITAL, LES RITES DE PASSAGE

Durant ces années au ministère de l’Agriculture, Arnold Van


Gennep se passionne pour les problèmes qui agitent le monde de
l’anthropologie et de la sociologie, notamment le totémisme, la
magie, le tabou, et les formes originelles de la religion ; il publie
ainsi Tabou et Totémisme à Madagascar (1904), puis Mythes et
Légendes d’Australie (1905), ouvrages dans lesquels il
appréhende le tabou comme institution sociale, et non plus
seulement comme institution religieuse. Cherchant à dresser un
bilan des recherches sur le totémisme, il publie en 1920 l’État
actuel du problème totémique, qualifié quarante ans plus tard
par Claude Lévi-Strauss de « chant du cygne des spéculations
sur le totémisme ».
Dès 1908, Arnold Van Gennep décide de vivre de ses articles,
conférences et traductions. En 1909, il publie les Rites de
passage, livre capital pour l’auteur lui-même (« comme un
morceau de ma chair et le résultat d’une sorte d’illumination
interne qui mit subitement fin à des sortes de ténèbres où je me
débattais depuis près de dix ans ») et avancée marquante dans la
compréhension des sociétés humaines. Analysant ces rites qui
accompagnent les changements rythmant la vie humaine, comme
le changement d’état, de situation sociale, d’âge, ainsi que les
cérémonies périodiques, saisonnières, comme le carnaval ou les
cérémonies agricoles de l’automne, Arnold Van Gennep montre
que les rites de passage sont universellement structurés selon
les trois stades successifs de la séparation, de la marge et de
l’agrégation, chacun des stades de la séquence pouvant être
d’importance variable. Il insiste également sur le passage «
matériel », souvent présent dans les cérémonials, comme par
exemple le passage d’un seuil, d’un portique, d’une frontière, d’un
cours d’eau… Cette analyse, qui ouvre la voie à une nouvelle
interprétation de ces rites communs à toutes les sociétés, est
néanmoins remise en cause dès l’année suivante, notamment par
Marcel Mauss qui la qualifie de « randonnée à travers l’histoire
et l’ethnographie » (in l’Année sociologique, 1910). Néanmoins,
dans les années 1950, certains éléments sont repris et
complétés, par les anthropologues britanniques Max Gluckmann
(1911-1975) et Victor Turner (1920-1983).

4 L’ŒUVRE D’UNE VIE

En 1912, Arnold Van Gennep obtient la chaire d’ethnographie et


d’histoire comparée des civilisations à l’université de Neuchâtel
(Suisse). Il participe alors à la réorganisation du Musée
d’ethnographie de la ville et est également à l’initiative du
premier congrès international d’ethnologie et d’ethnographie qui
s’y déroule en juin 1914. Mais en 1915, il est expulsé de Suisse en
raison d’un article polémique mettant en cause la neutralité du
pays par rapport à l’Allemagne, et revient à Paris, où il réintègre
le ministère de l’Agriculture. Il retrouve son indépendance au
début des années 1920, pour une série de conférences aux
États-Unis.
À partir de 1922, il se consacre entièrement à sa passion pour
l’ethnographie de la France, et à son folklore. Sans soutien
institutionnel, il récolte une masse importante de matériaux,
dans tout le pays (reprenant également les collectes des
folkloristes du XIXe siècle), et les ordonne selon la théorie des
rites de passage qu’il a développée. Arnold Van Gennep
s’intéresse particulièrement aux zones folkloriques
(géographiques et historiques) et tente, en vain, d’en déterminer
les lois de formation. Il détermine néanmoins que « les
phénomènes collectifs dits folkloriques évoluent dans un plan
autonome qui est indépendant de la géographie, de l’organisation
politique, de l’organisation diocésaine, de la différenciation
économique, du dialecte […] ». De sa collecte, il tire six grandes
monographies régionales, et surtout le Manuel du folklore
français contemporain, sur lequel il travaille jusqu’à la fin de sa
vie. Il reçoit pour la première fois, vers 1950, une bourse du
CNRS, mais ce soutien financier ne lui permet pas d’achever son
Manuel avant sa mort en 1957.

SIR EDWARD BURNETT TYLOR

1 PRÉSENTATION

Tylor, sir Edward Burnett (1832-1917), anthropologue


britannique, dont les travaux ont fondé l’anthropologie
culturelle.

2 UN BRILLANT AUTODIDACTE

Né à Camberwell, dans l’agglomération de Londres, Edward


Burnett Tylor grandit dans une famille de quakers, et ne peut
étudier à l’université, réservée aux fidèles de l’Église anglicane.
Atteint de tuberculose, il part en convalescence en Amérique
centrale, où il se découvre un intérêt marqué pour les cultures
étrangères.
À la faveur d’une rencontre avec l’ethnologue britannique Henry
Christy lors de ses pérégrinations, il accompagne celui-ci au
Mexique pour un périple de six mois, dont, à son retour en
Angleterre, il tire son premier livre Anahuac, or Mexico and the
Mexicans, ancient and modern (« Anahuac, ou le Mexique et les
Mexicains, anciens et modernes », 1861). Ses travaux ultérieurs,
tels Researches into the Early History of Mankind («
Recherches sur les débuts de l’histoire de l’humanité », 1865),
Primitive culture (la Civilisation primitive, 1871) et Anthropology:
an Introduction to the Study of Man and Civilisation («
Anthropologie : une introduction à l’étude de l’homme et de la
civilisation », 1881), lui permettent d’obtenir le poste de
conservateur du musée d’Oxford puis, en 1884, celui de lecteur
de l’université d’Oxford. En 1896, il est nommé professeur et
devient le premier titulaire de la chaire d’anthropologie de
l’université d’Oxford, qu’il conserve jusqu’en 1909. Président de
l’Anthropological Society (future Royal Anthropological Society),
il est anobli par le roi George V en 1912.

3 DES AVANCÉES FONDATRICES

3.1 Une nouvelle conception de la culture

C’est par l’ouvrage la Civilisation primitive (1871) que Tylor laisse


une empreinte profonde dans cette science jeune qu’est
l’anthropologie. Avec sa définition de la culture, ancrée dans la
théorie évolutionniste, il propose de fait un objet d’étude
universel : « La culture est un ensemble complexe qui comprend
les connaissances, les croyances, l’art, le droit, la morale, les
coutumes et toutes les autres aptitudes et habitudes qu’acquiert
l’homme en tant que membre d’une société ».
Cette définition, qui insiste sur le rôle primordial de
l’apprentissage, induit également une étude comparative « des »
cultures humaines. Tylor est le premier à aborder les faits
culturels dans leur ensemble et leur systématisme ; il prend ainsi
ses distances avec la théorie « radicale » de l’évolution linéaire,
incarnée par Lewis Morgan. Considérant que l’intellect humain
est universel, il défend l’idée de stades d’évolution plutôt que
d’une nature différente entre sociétés « primitives » et sociétés
« civilisées ».

3.2 L’« inventeur » de l’animisme

Tylor se penche sur la religion, plus précisément sur l’origine de


la religion, et crée le terme animisme (du latin anima, « âme »)
pour désigner ce qu’il considère comme la forme primitive de la
croyance. Dans une perspective évolutionniste, il cherche à
mettre en évidence des stades d’évolution culturelle, dégageant
également le concept de « survivances » — des vestiges de
stades culturels antérieurs qui n’ont plus de signification — pour
expliquer la pérennité d’éléments « archaïques » dans des
systèmes élaborés. Cette théorie des survivances est complétée
par l’idée de la diffusion entre cultures (le diffusionnisme), piste
féconde développée plus tard par Franz Boas et A. L. Kroeber.

3.3 Une méthodologie « scientifique »

La méthodologie de Tylor vise à étudier le plus grand nombre de


cultures pour en comparer les formes. Il développe donc une
méthodologie originale et rigoureuse, en s’appuyant notamment
sur la méthode des probabilités empruntée à la statistique :
collecte large et systématique des documents et des faits,
analyse comparative, et recherche des corrélations et des
fréquences des faits. Cette démarche donne à l’anthropologie
une base scientifique fondée sur une analyse rigoureuse qui, bien
que largement critiquée par la suite, est devenue un outil
fondamental de l’anthropologie.

LOUIS-VINCENT THOMAS

Thomas, Louis-Vincent (1922-1994), ethnologue français,


spécialiste de l'Afrique et créateur de la thanatologie.
Né à Paris, Louis-Vincent Thomas entreprend des études de
philosophie à la Sorbonne avant de partir pour Dakar où il
enseigne dans le secondaire de 1948 à 1958. Nommé professeur
de philosophie et de sociologie à l'université de Dakar, il est
ensuite élu doyen (1965-1968). Il travaille sur les Diola de la
Casamance (les Diola, 1959), menant une étude sociologique qui
se veut également ethnographique. Dans un cadre privilégié qui
voit émerger une nouvelle Afrique avec l'indépendance de
nombreux pays, il opte pour l'ethnologie et l'étude des systèmes
de pensée (religions, mythes) qui permettent de « saisir le fait
humain du dedans ». Il se spécialise sur la mort en Afrique et
sur les systèmes de parenté. Rentré en France après vingt ans
de travail sur le terrain, il est nommé professeur à la Sorbonne
en 1968. Père de la thanatologie, il a écrit Anthropologie de la
mort (1975) son œuvre principale ; il est aussi l’auteur de Cinq
essais sur la mort africaine (1968), Mort et pouvoir (1978) et la
Mort africaine (1982).

GEZA ROHEIM

Róheim, Géza (1891-1953), anthropologue et psychanalyste


américain d’origine hongroise, auquel on doit l’introduction des
concepts psychanalytiques dans la recherche anthropologique. Il
est le principal représentant de l’ethnopsychanalyse, avec
Georges Devereux.
Né à Budapest dans une famille aisée de commerçants, Géza
Róheim suit des études classiques de philosophie et
d’anthropologie à Leipzig et à Berlin, avant de se passionner pour
la psychanalyse et les travaux de Sigmund Freud, Karl Abraham,
Otto Rank et Sandor Ferenczi. Il est analysé par ce dernier puis
par Wilma Kovacs entre 1915 et 1916. En 1919, il devient
titulaire de la chaire d’anthropologie à l’université de Budapest.
Tout en étudiant et pratiquant la psychanalyse, il mène des
recherches en anthropologie qui font l’objet de sa première
publication, le Totémisme australien (1925), ouvrage dans lequel
il s’inspire des travaux de Melanie Klein.
À partir de 1928, il effectue avec sa femme un voyage
ethnographique de près de quatre années en Somalie, en
Australie, en Mélanésie et en Californie. Il conclut à
l’universalité du complexe d’Œdipe, contrairement à Bronislaw
Kasper Malinowski qui pensait que celui-ci n’existait pas dans les
sociétés matrilinéaires. Il publie ses observations en 1932 dans
un article intitulé Psychanalyse des types culturels primitifs,
qu’il reprendra dans sa vaste synthèse Psychanalyse et
anthropologie (1950).
Juif, il s’exile à New York en 1938. Il travaille au Worcester
State Hospital sur un cas de schizophrénie décrit dans Magie et
schizophrénie, ouvrage publié après sa mort, en 1955. Pratiquant
et enseignant la psychanalyse, il publie Origine et fonction de la
culture (1943), Héros phalliques et symboles maternels dans la
mythologie australienne (1945), la Guerre, le Crime et l’Alliance
(1945). Sa dernière enquête sur le terrain concerne les indiens
Navajos, en 1947, année où il fonde une revue annuelle
d’anthropologie psychanalytique, la Psychanalyse et les sciences
sociales.
En 1953, après la mort de sa femme, il se laisse mourir dans un
hôpital, et s’éteint le jour de la publication de son livre intitulé
les Portes du rêve.

PAUL RIVET

Rivet, Paul (1876-1958), médecin, anthropologue, ethnologue et


homme politique français.
Ancien élève de l’école militaire de Lyon d’où il sort diplômé en
1897, il est médecin d’une expédition française de géodésie
envoyée en Équateur entre 1901 et 1906. Là, il collecte des
matériaux d’histoire naturelle, d’archéologie, de linguistique et
d’ethnographie pour son étude sur les populations des pays
andins (Ethnographie ancienne de l’Équateur, 1912).
En 1925, il fonde avec Lucien Lévy-Bruhl et Marcel Mauss
l’Institut d’ethnologie de l’université de Paris, dont il devient dès
1926 le secrétaire général. Après avoir été élu professeur
d’anthropologie au Muséum national d’histoire naturelle en 1929,
il obtient du gouvernement français les subventions nécessaires
pour construire, en remplacement du musée du Trocadéro, le
musée de l’Homme en 1937.
En dehors des activités propres à ses centres d’intérêt (la
métallurgie et la linguistique des Amérindiens), il est un homme
politique actif qui sera à la fois député socialiste du Ve
arrondissement de Paris en 1920, membre du réseau de la
Résistance du musée de l’Homme dirigé par Boris Vildé, puis de
nouveau député socialiste à la Libération.
Son ouvrage sur les Origines de l’homme américain (1943), où il
défend l’idée d’un peuplement récent de l’Amérique par des
populations océaniques, a été particulièrement remarqué.

ALFRED REGINALD RADCLIFFE BROWN


1 PRÉSENTATION

Radcliffe-Brown, Alfred Reginald (1881-1955), anthropologue


britannique, chef de file modéré du fonctionnalisme.
Alfred Radcliffe-Brown est l’artisan de l’évolution décisive de
l’anthropologie britannique, et contribue notamment à fonder
l’anthropologie sociale avec Evans-Pritchard. Pédagogue réputé
et conférencier brillant, il a également formé une grande partie
des anthropologues de son époque.

2 UN PROFESSEUR GLOBE-TROTTER

Né à Birmingham (en Angleterre), Alfred Reginald Radcliffe-


Brown étudie l’anthropologie à l’université d’Oxford (Trinity
College) puis de Cambridge. Il part entre 1906 et 1908
effectuer une enquête de terrain dans les îles Andaman (alors
colonies britanniques), puis étudie les Aborigènes d’Australie
occidentale (1910-1913). Il publie les résultats de ses enquêtes
dans The Andaman Islanders (« les habitants des îles Andaman
», 1922) et The Social Organization of Australian Tribes («
l’organisation sociale des tribus australiennes », 1931). Après un
bref mais fructueux retour à Birmingham, où il donne des
conférences très suivies en anthropologie sociale, il poursuit sa
carrière à l’étranger, d’abord comme directeur de l’éducation
dans le royaume de Tonga en Polynésie britannique (1916), puis à
la chaire d’anthropologie du Cap (Union sud-africaine) de 1921 à
1925. Il retourne en Australie pour organiser le département
d’anthropologie de l’université de Sidney, où il enseigne de 1926
à 1931, puis part enseigner en Chine, à l’université Yenching
(Pékin), de 1931 à 1937.
Enfin, de retour en Angleterre, il occupe jusqu’à sa retraite, en
1946, le premier poste de professeur d’anthropologie sociale à
l’université d’Oxford — durant les années de guerre, il est
détaché deux ans à l’université de São Paulo. Mais la retraite
n’arrête guère ses activités de pédagogue, et c’est ainsi qu’il
continue à enseigner en Égypte (Alexandrie, 1947-1949), en
Afrique du Sud (Grahamstown, 1951-1954), puis à Manchester et
à Londres. Couvert d’honneurs académiques et professionnels,
président du Royal Anthropologic Institute et de l’Association of
British Social Anthropologists, il est un artisan infatigable de la
promotion de sa discipline.

3 UN FONCTIONNALISTE MODÉRÉ

Au début du XXe siècle, l’anthropologie est marquée par le


courant évolutionniste, le diffusionnisme et l’historicisme, et
l’introduction de la psychologie. Radcliffe-Brown se construit
théoriquement en opposition à ces trois propositions théoriques,
radicalement au début de sa carrière, mais de manière plus
modérée à la fin de sa vie, reconnaissant notamment l’apport de
l’histoire dans la compréhension des institutions, et celui de la
psychologie dans la compréhension du fonctionnement de
l’individu. À la suite de Bronislaw Malinowski, auquel on l’associe
souvent, il est partisan d’un fonctionnalisme modéré.
Convaincu que les systèmes sociaux sont naturels, Radcliffe-
Brown entreprend d’élaborer une nouvelle théorie des sciences
sociales — une « science naturelle et théorique de la société » —
, basée sur l’analogie entre organismes biologiques et systèmes
sociaux. Il s’appuie pour cela sur les travaux du philosophe
britannique Herbert Spencer et sur l’œuvre du sociologue
français Émile Durkheim, partisan de l’utilisation de méthodes
scientifiques pour l’étude des sociétés. Les deux monographies
de Radcliffe-Brown, ainsi que les articles réunis dans Structure
et fonction dans la société primitive (Structure and Function in
the Primitive Society, 1952) et Method in Social Anthropology
(« méthodes de l’anthropologie sociale », 1958) tentent ainsi de
constituer cette science.
L’œuvre théorique de Radcliffe-Brown, ainsi que sa pratique de
terrain, est violemment attaquée de son vivant, puis tombe dans
l’oubli. Néanmoins, Radcliffe-Brown a exercé une influence
considérable sur l’anthropologie britannique, et a formé un
nombre important d’anthropologues dans le monde entier.

ARMAND DE QUATREFAGES DE BREAU

Quatrefages de Bréau, Armand de (1810-1892), naturaliste et


anthropologue français, célèbre pour ses travaux sur l'anatomie
du crâne. Tout d'abord zoologue, il fut nommé à la chaire
d'anthropologie et d'ethnologie du Muséum national d'histoire
naturelle (1855). À ce titre, il se trouva lié aux découvertes de
Boucher de Perthes, fondateur de la science préhistorique, qui
avait mis au jour des vestiges d'instruments de silex dans le lit
de la Somme en 1844. Ses travaux sur l'anatomie du crâne
(Crania ethnica, en collaboration avec Hamy, 1882) soutenaient la
thèse monogéniste (toutes les races descendaient d'une même
souche, dolichocéphale pour l'Europe) contre les polygénistes
qui, comme Paul Broca, affirmaient qu'elles avaient plusieurs
origines. Disciples de Cuvier, les monogénistes admettaient tout
au plus un transformisme limité et la théorie de l'évolution
darwinienne les rendaient sceptiques. En énonçant la théorie de
la migration forcée des dolichocéphales indigènes (Lapons,
Finnois, Basques) poussés par des Ariens brachycéphales,
devenus par la suite les Nordiques (Allemands, Saxons, etc.), ils
ne créèrent pas à proprement parler la « question arienne »,
mais des linguistes y trouvèrent peut-être un point de départ
pour l'élaboration d'idées qui eurent les développements
dramatiques que l'on connaît.
JOHN WESLEY POWELL

Powell, John Wesley (1834-1902), ethnologue et géologue


américain, explorateur et administrateur gouvernemental, qui
établit la première classification majeure des langues
amérindiennes et réalisa un travail inédit sur les montagnes
Rocheuses.
Powell est né à Mount Morris (État de New York). Quand sa
famille déménagea dans l'Illinois, il effectua de longs voyages
solitaires sur l'Ohio et le Mississippi, et se passionna pour le
monde de la nature. Après ses études aux collèges Oberlin et
Wheaton et son service dans l'armée de l'Union lors de la guerre
de Sécession, il devint professeur de géologie à l'Illinois
Wesleyan College en 1865 et enseigna par la suite à l'Illinois
Normal University. En 1867 et 1868, il conduisit des expéditions
géologiques dans le Colorado et l'Utah. L'année suivante, avec
l'aide du gouvernement, il explora les canyons du Colorado. Entre
1870 et 1879, il poursuivit ses travaux sur la région des
montagnes Rocheuses.
Powell étudia les Amérindiens qu'il rencontra au cours de ses
voyages et, en 1879, il fut nommé directeur de l'US Bureau of
Ethnology. De (1881 à 1892), il assuma la direction de l'US
Geological Survey, qui devint un organisme de grande notoriété.
En 1891, il publia la première carte classifiant de façon
exhaustive les cinquante-huit familles de langues qu'il avait
reconnues chez les Amérindiens des États-Unis et du Canada.
Les principaux ouvrages de Powell comprennent Explorations of
the Colorado River of the West (« Explorations du fleuve
Colorado, dans l'Ouest », 1875), An Introduction to the Study
of Indian Languages (« Introduction à l'étude des langues
amérindiennes », 1877) et Report on the Lands of the Arid
Region of the United States (« Rapport sur les terres de la
région aride des États-Unis », 1878).
LEWIS HENRY MORGAN

1 PRÉSENTATION

Morgan, Lewis Henry (1818-1881), ethnologue américain, dont les


travaux sont à la base de l’anthropologie moderne.
Connu pour ses recherches sur la parenté et sa théorie de
l’évolution de l’humanité, Lewis Henry Morgan est également le
premier à collecter directement des données, ce qui fait de lui le
premier ethnologue « de terrain ».

2 UN ENGAGEMENT PERSONNEL

Né dans l’État de New York, Lewis Henri Morgan étudie le droit


et débute comme conseiller juridique pour une compagnie de
chemins de fer à Rochester. Il s’engage en politique et, au sein
du Parti républicain, devient député puis sénateur. Il s’établit
ensuite, en 1844, comme avocat à Rochester. Son intérêt pour
l’anthropologie naît de sa rencontre avec un Amérindien Seneca
dans un club littéraire ; il organise une enquête sur la
confédération des Iroquois, dont la tribu Seneca est l’une des
cinq nations, et défend la tribu contre une compagnie qui
cherche à la déposséder d’une partie de ses terres. Adopté en
1846 par le clan Faucon, il partage la vie de ses membres
pendant plusieurs années, et est nommé Ta-ya-da-o-wh-kuh,
c’est-à-dire « celui qui vit entre les deux ». C’est à partir de ses
observations durant cette période qu’il conçoit et publie, en
1851, The League of the Ho-de-no-sau-nee or Iroquois, une
étude sur la structure sociale et l’organisation politique de la
confédération iroquoise ; cette description précise et détaillée
de la société Seneca est considérée comme la première
ethnographie des Amérindiens d’Amérique du Nord. Tandis que
ses prédécesseurs, parfois surnommés ethnologues « de
chambre », se contentaient d’analyser des données récoltées par
d’autres, Lewis Morgan, qui collecte les données directement,
est le premier ethnologue « de terrain ».

3 L’UN DES FONDATEURS DE L’ANTHROPOLOGIE MODERNE

3.1 Les systèmes de parenté


À partir de 1859, Lewis Morgan élargit ses recherches sur la
parenté et réalise une vaste enquête, en recueillant lui-même
des données auprès de soixante-dix tribus amérindiennes ;
constatant une similitude entre les systèmes de parenté, il fait
diffuser un questionnaire dans le monde entier. L’ouvrage
Systems of Consanguinity and Affinity of the Human Family («
Système de consanguinité et d’affinité dans les familles
humaines »), publié en 1871, est la première tentative de
classification et de comparaison des systèmes de parenté. Il y
distingue deux systèmes majeurs, descriptif et classificatoire.
Dans les systèmes descriptifs, les termes de parenté désignent
exactement la relation (fille, père, mère, oncle, cousin, etc.) ;
dans les systèmes classificatoires, les termes de parenté, peu
nombreux et simples, désignent des catégories indépendamment
de la proximité de la relation.
Cherchant à trouver l’universel, dans une technique de travail
fondée sur la comparaison d’éléments sélectionnés comme
constitutifs d’une société à tout moment, Lewis Morgan dégage
quatre stades de l’évolution du modèle de la famille : la famille
consanguine, dans laquelle l’individu, partie prenante du groupe,
reconnaît quelques liens élémentaires de parenté ; le mariage
collectif, d’où dérivent les premiers interdits, justifiés par la
consanguinité biologique (inceste) ; le mariage polygame, fondé
sur l’instauration de lignages patri- ou matrilinéaires ; le mariage
monogame, qui repose sur un système descriptif. Selon la théorie
évolutionniste de Lewis Morgan, le passage au mariage individuel
marque ainsi le passage de la sauvagerie à la civilisation.
Sa théorie est largement critiquée par la suite, notamment car
elle se heurte au problème de la traduction et des équivalences,
méconnaissant ainsi la portée des mots utilisés. Lewis Morgan a
cru que les systèmes descriptifs étaient l’apanage des sociétés
occidentales, les plus « évoluées » dans la perspective
évolutionniste. Néanmoins, en montrant que les sociétés se
différencient selon la structure des liens de parenté, il ouvre
une voie nouvelle et fonde l’une des branches majeures de
l’anthropologie moderne, l’étude des systèmes de parenté.

3.2 La théorie évolutionniste

Lewis Morgan s’inscrit dans le courant évolutionniste des


sociétés humaines, inspiré par la théorie d’Auguste Comte sur les
trois étapes de développement d’une société (théologique,
métaphysique, et positive ou scientifique), ainsi que par les
travaux d’Herbert Spencer (lui-même fortement influencé par
Jean-Baptiste de Lamarck). Aux fondements de ces théories se
trouvent les deux conceptions opposées de Hobbes et de
Rousseau, lesquels, quoique s’opposant sur la « nature » de la
société humaine primitive (chaotique pour Hobbes, idéale pour
Rousseau), défendent l’idée d’une évolution d’un état naturel à un
état non-naturel, de manière linéaire, et dont la civilisation
occidentale moderne représente le degré le plus élevé.
C’est dans la Société archaïque (Ancient Society, or researches
in the lines of human progress from savagery through barbarism
to civilization, 1881) que Morgan développe sa théorie de
l’évolution humaine : s’appuyant sur les découvertes de
l’archéologie historique, il propose une hiérarchisation de
l’évolution des sociétés selon le développement des techniques et
outils. L’histoire de l’humanité se serait déroulée en trois stades,
la sauvagerie, la barbarie et la civilisation, eux-mêmes divisés en
trois stades. Au stade inférieur de la sauvagerie, l’homme est
cueilleur ; au stade moyen, il est cueilleur et pêcheur, et
maîtrise le feu ; au stade supérieur, l’homme maîtrise également
la chasse, grâce à la fabrication d’armes. Au stade inférieur de
la barbarie, l’homme crée la poterie et vit d’élevage ; au stade
moyen, l’homme possède des rudiments d’agriculture, et sait
construire un habitat durable ; au stade supérieur, l’homme
maîtrise la métallurgie. Vient ensuite la civilisation, marquée par
l’apparition de l’écriture alphabétique, l’agriculture à grande
échelle, puis le développement de l’industrie.
La théorie de Morgan, pour controversée qu’elle soit -
notamment par Edward Burnett Tylor, qui met l’accent sur le
développement de systèmes cognitifs, et par les diffusionnistes
(particulièrement Franz Boas) -, a permis une avancée
considérable de l’anthropologie.

MARGARET MEAD

Mead, Margaret (1901-1978), anthropologue américaine, célèbre


pour ses études des sociétés non-industrialisées et pour ses
travaux d'anthropologie sociale. Née à Philadelphie, Margaret
Mead fit ses études au Barnard College et à l'université
Columbia. En 1926, elle devint conservateur assistant
d'ethnologie à l'American Museum of Natural History de New
York, et occupa ensuite les fonctions de conservateur associé
(1942-1964) et de conservateur (1964-1969). Elle fut directrice
de recherche en cultures contemporaines à l'université Columbia
de 1948 à 1950, puis professeur adjoint d'anthropologie après
1954. En septembre 1969, elle fut nommée professeur et chef
du département de sciences sociales au Liberal Arts College de
l'université Fordham au Lincoln Center à New York. Elle a aussi
participé à différentes commissions gouvernementales et
internationales et prit des positions controversées sur certains
problèmes sociaux modernes.
Lors de plusieurs expéditions sur le terrain, Margaret Mead
mena des recherches remarquables en Nouvelle-Guinée, aux îles
Samoa et à Bali. Une grande partie de son travail fut consacré à
l'étude des structures d'éducation des enfants dans les
différentes cultures. Elle analysa aussi de nombreux problèmes
de la société contemporaine américaine, en particulier ceux qui
concernent les jeunes. Ses intérêts étaient variés, et
comprenaient l'éducation des enfants, l'adolescence, les
comportements sexuels, le caractère et la culture américaine.
Les principaux ouvrages de Margaret Mead sont Mœurs et
Sexualité en Océanie (tiré de deux ouvrages parus
respectivement en 1928 et 1935), L'un et l'autre sexe, les rôles
d'homme et de femme dans la société (1949), Soviet Attitudes
Toward Authority (1951), New Lives for Old (1956), Culture and
Commitment : A Study of the Generation Gap (1970), ainsi que
ses mémoires, Blackberry Winter (1972).

MARCEL MAUSS

1 PRÉSENTATION
Mauss, Marcel (1872-1950), anthropologue et sociologue
français qui a contribué à la création de l'école ethnologique
française.

2 FORMATION ET CARRIÈRE

Né à Épinal, neveu et disciple d’Émile Durkheim, Marcel Mauss


étudie à l'université de Bordeaux (agrégation de philosophie),
puis à l'École pratique des hautes études de Paris (EPHE), avant
d'y être nommé titulaire de la chaire d’« histoire des religions
des peuples non civilisés » en 1901, intitulé qu’il récuse dans sa
leçon inaugurale. Durant cette période, il rédige son Essai sur la
nature et la fonction du sacrifice (1899), ainsi que De quelques
formes primitives de la classification (1901). En 1925, il fonde
l'Institut d'ethnologie (qu’il dirigera jusqu’en 1939), puis obtient
une chaire de sociologie au Collège de France en 1931. Figure
centrale du cercle d'intellectuels et de scientifiques réunis
autour de la revue l'Année sociologique, fondée par Émile
Durkheim, il en assure la direction éditoriale à la mort de son
oncle.

3 LE « FAIT SOCIAL TOTAL »

Moins désireux de développer un système théorique qu’Émile


Durkheim, Marcel Mauss ne s'en inscrit pas moins dans la
continuité de la sociologie durkheimienne. Illustrant l'idée de «
fait social » par des études concrètes, il s'attache à montrer
comment un seul phénomène significatif donne à voir les
structures sociales sous-jacentes dans leur totalité. Il met ainsi
en évidence le rôle central d’une forme de don (le potlatch) chez
certaines populations nord-américaines. Étendant son hypothèse
aux sociétés antiques (Une forme ancienne du contrat chez les
Thraces, 1921), il formule l’idée selon laquelle le potlatch serait
la forme fondamentale de l’échange, qui se serait
progressivement dégradée dans les sociétés modernes ; c’est
l’Essai sur le don, forme archaïque de l'échange (1923-1924),
ouvrage qui rassemble une somme considérable de données
ethnographiques et historiques, et qui vaut à Marcel Mauss la
célébrité. Le « don » (ou plus précisément le triptyque « donner,
recevoir, rendre ») s'insère, au sein des sociétés archaïques,
dans un système « social total » (impliquant des facteurs
religieux, économiques, politiques, familiaux et juridiques) qu’il
contribue à structurer et à faire exister. Le « social » (et les
formes qu’il prend en un lieu précis) n’est donc plus une donnée,
mais une catégorie qui mérite bel et bien d’être conceptualisée
en tant que telle.
Cette posture permet à Marcel Mauss d’appréhender de façon
fine les rapports entre le collectif et l’individuel, entre la
contrainte et la liberté, et donc de traiter de questions tant
anthropologiques que psychologiques. C’est là d’ailleurs son
principal point de rupture avec Émile Durkheim qui, traitant « les
faits sociaux comme des choses », établit une différence de
nature qui fonde la spécificité de l’objet sociologique.

4 DIVERSITÉ ET PROLONGEMENTS DE L’ŒUVRE DE MARCEL


MAUSS

Bien qu’il ne réalise jamais lui-même d’études de terrain, Marcel


Mauss aborde, dans ses ouvrages et articles, des questions
étonnamment variées : la mort, les « techniques du corps »
(c’est-à-dire la façon dont une société impose à l’individu un
certain usage de son corps), la magie et la transe… À la fin de sa
carrière, il se concentre plus particulièrement sur des
interrogations méthodologiques et publie un Manuel
d’ethnographie (1947) ainsi que Sociologie et anthropologie
(1950).
L'œuvre de Marcel Mauss a été une source d'inspiration décisive
tant pour l'anthropologie structurale de Claude Lévi-Strauss que
pour de nombreux travaux issus du courant anti–utilitariste.

MARC AUGE

1 PRÉSENTATION
Augé, Marc (né en 1935), anthropologue français, pionnier de
l’anthropologie des mondes contemporains.

2 UN ANTHROPOLOGUE AFRICANISTE
Né à Poitiers, Marc Augé intègre l’École normale supérieure
(ENS) avant d’obtenir son agrégation de lettres. Il commence sa
carrière au début des années 1960 comme directeur de
recherche au sein de l’Office de la recherche scientifique et
technique outre-mer (ORSTOM, aujourd’hui IRD); il y demeure
jusqu’en 1970 et publie en 1969 le Rivage alladian. Organisation
et évolution des villages alladian, une étude d’un peuple côtier de
Côte d’Ivoire. Il rejoint alors l’EHESS (École des hautes études
en sciences sociales) où il occupe le poste de directeur d’études
— et dont il assure la direction de 1985 à 1995. Il effectue de
nombreuses missions en Afrique, particulièrement au Togo et en
Côte d’Ivoire (Théorie des pouvoirs et idéologie. Étude de cas en
Côte d’Ivoire, 1975). Parmi ses travaux importants, citons
également Pouvoirs de vie, pouvoirs de mort. Introduction à une
anthropologie de la répression (1977), Symbole, fonction,
histoire. Les interrogations de l’anthropologie (1979) et Génie du
paganisme (1982). Les travaux de recherche de Marc Augé se
caractérisent rapidement par l’importance accordée à la
perception de l’autre, et à sa place dans la société postmoderne.

3 UN NOUVEAU CHAMP D’ÉTUDES : LES MONDES


CONTEMPORAINS

Marc Augé diversifie au début des années 1980 ses champs


d’étude, pour s’intéresser aux mondes contemporains — un
champ de recherche traditionnellement dévolu à la sociologie. Il
en fait bientôt son principal objet de recherche, et contribue à
établir le monde de la modernité, de la globalisation, comme
objet d’étude anthropologique. Marc Augé dirige le Centre
d’anthropologie des mondes contemporains au sein de l’EHESS
depuis sa création en 1993.
Après quelques terrains d’étude en Amérique du Sud, Marc Augé
revient en France et publie successivement la Traversée du
Luxembourg (1985) et un Ethnologue dans le métro (1986),
s’intéressant ainsi à son environnement le plus proche. Avec Non-
Lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité
(1992), il tente d’analyser les rapports que l’individu entretient
avec ces lieux de passage anonymes que sont les transports et
leurs lieux d’échange (échangeurs, gares, aéroports), mais aussi
les hôtels anonymes et les supermarchés, tout ce qui ne relève
pas de la demeure, du domicile, du lieu ; cette réflexion est
approfondie de manière plus théorique avec Pour une
anthropologie des mondes contemporains (1994).
Avec les Formes de l’oubli (2001), Marc Augé livre, sous une
forme faussement simple, une réflexion anthropologique sur
l’oubli et son corollaire, la mémoire, et sur la manière dont l’oubli
est appréhendé par chaque culture pour produire des formes
socialisées. Il complète cette réflexion par le Temps en ruine
(2003), devenu une référence pour l’anthropologie du temps. En
2006, il publie le Métier d’anthropologue : sens et liberté, une
version remaniée d’une conférence donnée à l’EHESS.

4 LE PASSAGE AU ROMAN

Marc Augé s’essaie au roman en 2005, avec la Mère d’Arthur, et


explique ainsi sa démarche : « Le passage au roman, ce n’est pas
une rupture. Pas plus que ne l’était le passage des lettres à
l’ethnologie, ou le passage de l’Afrique aux non-lieux de la
surmodernité. C’est un infléchissement. Dans toutes les
situations que l’anthropologue est amené à décrire, il y a l’amorce
de mille romans possibles. » Le roman, construit sur la
disparition d’un professeur d’université, joue à égarer le lecteur
à travers un labyrinthe de pistes et d’indices.
BRONISLAW MALINOWSKI

1 PRÉSENTATION

Malinowski, Bronislaw, (1884-1942), anthropologue britannique


d’origine polonaise, théoricien de la méthode de l’observation
participante.
Bronislaw Malinowski est le fondateur du fonctionnalisme, qui
affirme que les institutions humaines doivent être examinées
dans le contexte global de leur culture. Il reste jusqu’à
aujourd’hui l’une des influences majeures de l’anthropologie
culturelle britannique et américaine, malgré de nombreuses
remises en cause.

2 DES MATHÉMATIQUES AUX ÎLES TROBRIAND

Né à Cracovie (en Pologne), Bronislaw Kaspar Malinowski suit des


études scientifiques, et obtient en 1908 un doctorat de
mathématiques et sciences physiques à l’université de Cracovie.
Il part ensuite pour Leipzig, où il se tourne vers l’anthropologie,
notamment au travers des travaux de James Frazer et de sa
rencontre avec le psychologue Wilhelm Wundt. Il s’établit à
Londres en 1910, où il s’inscrit à la London School of Economics
et travaille en liaison avec un pionnier de l’anthropologie « de
terrain », Charles G. Seligman (1873-1940) ; il rencontre
également les anthropologues Alfred Radcliffe-Brown et Edvard
Westermarck.
En 1914, avec l’aide de Charles Seligman, il participe à une
expédition en Nouvelle-Guinée : après un premier séjour chez les
Mailu, au sud de l’île, il séjourne ensuite dans l’archipel des
Trobriand (situé au nord-est de l’île) de 1915 à 1918. Il se livre à
une étude très précise de la culture trobriandaise, dont il rend
compte dans deux ouvrages, les Îles Trobriand (The Trobriand
Islands, 1915) et surtout son chef-d’œuvre, qui l’impose comme
une figure majeure de l’ethnologie : les Argonautes du Pacifique
occidental (Argonauts of the Western Pacific. An Account of
Native Enterprise and Adventure in the Archipelagoes of
Melanesian New Guinea, 1922). Il y décrit un mécanisme original
d’échange économique entre les îles de l’archipel, la kula.
Bronislaw Malinowski commence à enseigner à l’université de
Londres en 1924 et devient professeur d’anthropologie sociale
en 1927. Entre 1939 et 1942, il est professeur associé à
l’université Yale. Ses recherches sur la formation de la culture
humaine l’amènent à voyager en Afrique du Sud et en Afrique de
l’Ouest, en Amérique centrale (Mexique) et dans certaines
régions des États-Unis. Il meurt avant d’avoir pu utiliser les
notes prises lors de son terrain, entre 1940 et 1941, chez les
Zapotèques d’Oaxaca (Mexique).

3 UN APPORT ESSENTIEL À L’ANTHROPOLOGIE SOCIALE ET


CULTURELLE
3.1 Une nouvelle méthode : l’observation participante

Bronislaw Malinowski, lors de ses terrains en Mélanésie, met en


œuvre une méthode particulière d’observation, énoncée plus d’un
siècle auparavant par la Société des observateurs de l’homme,
une société savante fondée à la fin du XVIIIe siècle par le
groupe des Idéologues : l’observation participante (dite aussi «
méthode de l’observateur participant », de l’anglais participant-
observer). Le principe essentiel de cette méthode a été défini
par le philosophe De Gerando : « Le premier moyen pour bien
connaître les sauvages est en quelque sorte de devenir l’un deux.
» Dans l’application de ce principe, l’observation participante
requiert donc tout d’abord de l’ethnologue de se défaire de sa
propre culture, de ses préconceptions et préjugés ; il lui faut
ensuite qu’il s’intègre au groupe étudié, en en apprenant la langue
et en en partageant la vie quotidienne ; les faits relatés doivent
l’être dans le cadre d’un constat, et non pas d’une information
rapportée ; enfin, l’ethnographe doit distinguer entre la coutume
théorique, la coutume réellement pratiquée, et l’interprétation
faite par le groupe de cette coutume.

3.2 Un nouveau schéma d’intelligibilité : le fonctionnalisme

L’analyse que conduit Bronislaw Malinowski sur la culture des îles


Trobriand est à la base de sa théorie dite fonctionnaliste,
explicitée et étayée tout au long de son œuvre. Concevant la
culture comme un phénomène universel, il veut définir un schéma
d’interprétation qui permette une étude comparative des
sociétés et surtout qui prenne en compte tous les faits. Ses
monographies, qui rompent avec le style ampoulé et
muséographique des études ethnologiques contemporaines par
l’abondance de détails, le style alerte et la diversité des données
présentées, sont des supports efficaces au service de sa théorie
fonctionnaliste : l’étude d’une société doit prendre en compte
tous les éléments et tenter de leur donner une cohérence, l’idée
maîtresse étant que tous ces faits fassent sens les uns par
rapport aux autres. Dans cette collecte exhaustive des faits, il
est ainsi amené à traiter de sujets rarement abordés, comme la
sexualité (la Sexualité et sa répression dans les sociétés
primitives [Sex and Repression in Savage Society, 1927]) ; la Vie
sexuelle des Sauvages du Nord-Ouest de la Mélanésie [The
Sexual Life of Savages in North-Eastern Melanesia, 1929]) ; il
est d’ailleurs l’un des premiers anthropologues à s’intéresser à la
sexologie, notamment auprès du médecin Havelock Ellis, pionner
dans ce domaine, et à mêler anthropologie et psychanalyse. Il
défriche également le champ juridique (le Crime et la coutume
dans les sociétés primitives in Trois essais sur la vie sociale des
primitifs [Crime and Custom in Savage Society, 1926]).
Bronislaw Malinowski s’intéresse également aux relations que des
cultures différentes nouent entre elles, et sur la manière dont
interagissent les modèles et structures de chacune (dégageant
le concept d’acculturation) ; la conséquence méthodologique est
de permettre à l’ethnologie de saisir et d’analyser, de manière
dynamique, les conflits et tensions d’une société, et la façon
dont celle-ci s’y ajuste. Plusieurs livres traitent de cette
problématique, en particulier les Jardins de corail (Coral
Gardens and their Magic, 1935), les Dynamiques de l’évolution
culturelle (The Dynamics of Culture Change, posth. 1945) et
Magic, Science and Religion (« magie, science et religion »,
posth. 1948).
Critiqué par les structuralistes, notamment par Claude Lévi-
Strauss, le fonctionnalisme connaît un renouveau dans les années
1950, notamment avec le sociologue américain R. K. Merton.

LUCIEN LÉVY BRUHL

Lévy-Bruhl, Lucien (1857-1939), philosophe et ethnologue


français, qui étudia la « mentalité primitive ».
Lévy-Bruhl étudia à l'École normale supérieure et enseigna à la
Sorbonne de 1899 à 1927. En 1917, il prit la direction de la
Revue philosophique et fonda l'Institut d'ethnologie en 1925.
Lévy-Bruhl est principalement connu pour ses travaux
d'ethnologie portant sur les mentalités des peuples dits alors «
primitifs ». Son travail sur la morale est à l'origine de son
intérêt pour cette question. Il publia en effet la Morale et la
Science des mœurs en 1903, où il critique la conception
traditionnelle de la morale qui se fonde sur l'identité de la
nature humaine à travers les cultures. Lévy-Bruhl défend au
contraire l'idée d'une relativité de la nature humaine et soutient
que celle-ci est déterminée par la société dans laquelle vit un
individu. Il propose de remplacer la morale par une science
positive des mœurs fondée sur l'observation des comportements
et des représentations.
Cette enquête le conduisit à formuler l'hypothèse qu'il y a des
types de mentalité spécifiques à des cultures données, et que
ces différents types de mentalité sont exclusifs les uns des
autres. Il examina cette hypothèse en procédant à une
comparaison entre les mentalités rationalistes des sociétés
occidentales et les mentalités des sociétés dites « primitives »,
dans un ensemble de six livres qui constituent le cœur de son
œuvre : les Fonctions mentales dans les sociétés inférieures
(1910), la Mentalité primitive (1922), l'Âme primitive (1927), le
Surnaturel et le Naturel dans la mentalité primitive (1931), la
Mythologie primitive (1935) et l'Expérience mystique et les
Symboles chez les primitifs (1931).
Selon Lévy-Bruhl, les peuples « primitifs », c'est-à-dire ceux qui
ne possèdent pas l'écriture, raisonnent en suivant des principes
différents de ceux que suit la mentalité rationaliste. Les «
peuples primitifs » disposent d'un système de représentations
communes, qui sont caractérisées par une absence de séparation
entre le naturel et le surnaturel. Selon Lévy-Bruhl, ces
représentations sont non conceptuelles, mystiques, et ne sont
pas liées logiquement entre elles. Le principe fondamental de la
mentalité « primitive » est la « loi de participation », qui est la
négation du principe de non-contradiction. De nombreuses
critiques conduisirent Lévy-Bruhl à nuancer ses positions à la fin
de sa vie, tel qu'on peut le voir notamment dans ses célèbres
Carnets.

CLAUDE LÉVI-STRAUSS

1 PRÉSENTATION
Lévi-Strauss, Claude (1908– ), anthropologue français dont les
travaux sur la prohibition de l’inceste, les structures sociales de
la parenté et les règles du mariage ont profondément marqué
l’anthropologie moderne.

2 LA FORMATION

Né à Bruxelles, Claude Lévi-Strauss poursuit ses études à Paris


où il obtient, en 1931, l’agrégation de philosophie. Après quelques
années d’enseignement en France, il est nommé auprès de la
mission universitaire de São Paulo, au Brésil où, de 1935 à 1938,
il effectue plusieurs missions ethnographiques (dans le Mato
Grosso, puis en Amazonie).
Durant la Seconde Guerre mondiale, il quitte la France pour les
États-Unis, où il occupe divers postes jusqu’en 1948 (enseignant,
conseiller culturel auprès de l’Ambassade de France). Peu après
son retour en France, il passe avec succès son doctorat (les
Structures élémentaires de la parenté, 1949) et présente sa
thèse complémentaire (la Vie familiale et sociale des Indiens
nambikwara). Simultanément, il devient sous-directeur du musée
de l’Homme et directeur d’études à l’École pratique des hautes
études (Ve section). En 1973, il est élu à l’Académie française.
Jusqu’en 1982, date à laquelle il prend sa retraite, il occupe
diverses fonctions : professeur au Collège de France (à partir de
1959), directeur du Laboratoire d’anthropologie sociale (fondé
par lui-même en 1960) ; responsabilités à travers lesquelles il
marque plusieurs générations de chercheurs qu’il forme et initie
à l’anthropologie structurale. Il a raconté la naissance de sa
vocation d’anthropologue et ses premières expéditions chez les
Indiens du Brésil dans Tristes Tropiques (1955), journal de bord
ethnographique aux tonalités littéraires et philosophiques, et
autobiographie intellectuelle.

3 L’ANTHROPOLOGIE STRUCTURALE
Qu’il s’agisse des peuples de l’Afrique, des Amériques ou de
l’Europe, l’anthropologie contemporaine reconnaît le fait de la
diversité culturelle, la pluralité des groupes sociaux, des
civilisations et des systèmes d’organisations dont les
différences tiennent à des circonstances géographiques,
historiques et sociologiques. L’une des questions majeures qui
sous-tend l’œuvre de Lévi-Strauss est de savoir comment
appliquer à des ordres de faits culturellement disparates une
méthode de connaissance permettant de dégager une unité de
structure anthropologique entre les représentations humaines et
leurs manifestations institutionnelles. Il n’est pas question de
gommer les différences entre les sociétés humaines, mais de
contribuer à mettre au jour des mécanismes d’interactions entre
les hommes et leur milieu, de saisir les modalités du passage de
la nature à la culture humaine pour comprendre ce qui constitue
l’unité de l’homme.
Dans cette perspective, un article de Lévi-Strauss fait date : «
l’Analyse structurale en linguistique et en anthropologie »
(1945), repris dans Anthropologie structurale I (1958), où il
formule les principes fondamentaux de sa méthode de
recherche. Inspiré par les travaux de la linguistique —
notamment par ceux de Nicolas Troubetskoï et de Roman
Jakobson avec qui il se lie d’amitié — Lévi-Strauss postule que
les faits sociaux sont structurés par un ensemble de
déterminations inconscientes qui s’articulent de manière à
former un système organisé. Chacun des éléments de ce système
ne se définit que dans la relation qu’il entretient avec les autres
; l’analyse structurale consiste donc à dégager les lois générales
qui régissent ces relations. Telle est la méthode appliquée dans
son maître ouvrage, les Structures élémentaires de la parenté
(1949), où sont analysées les formes prototypiques de l’alliance
matrimoniale. Il s’agit pour Lévi-Strauss de montrer que, sous la
diversité des systèmes de parenté propres à chaque société, il
existe des règles universelles. Ainsi en est-il de l’interdit
concernant l’inceste qui, dans toutes les sociétés et de manière
diversement codifiée, conditionne les relations d’alliance
matrimoniale.

4 LES MYTHOLOGIQUES

L’application de l’analyse structurale à l’étude des mythes est


centrale dans l’œuvre de Lévi-Strauss. Les mythes sont une
forme du récit qu’il faut considérer comme un instrument
intellectuel à partir duquel les sociétés formulent des réponses
originales à des questions que se pose l’humanité en général
(origine du monde, de l’Homme, phénomènes astronomiques,
météorologiques, etc.).
L’objectif fixé par les quatre volumes des Mythologiques (le Cru
et le Cuit, 1964 ; Du miel aux cendres, 1966 ; l’Origine des
manières de table, 1968 ; l’Homme nu, 1971) est de comprendre
les mécanismes de construction de la pensée mythique ; mais
c’est aussi une véritable plongée dans les catégories les plus
fondamentales de la pensée symbolique. Cette vaste enquête
prolonge, en quelque sorte, l’étude des systèmes de parenté qui
sont aussi des systèmes de symboles offrant un terrain
privilégié pour saisir la spécificité de l’esprit humain.
Conjointement, à travers l’analyse structurale, la recherche de
Lévi-Strauss amène à cette constatation majeure : tout système
mythologique est le reflet d’une structure sociale indissociable
d’un système de valeurs déterminé. Étudier et comparer les
mythes, c’est découvrir comment, dans une société donnée, les
techniques, l’art, les croyances religieuses, l’économie,
l’organisation politique, les liens de parenté sont des aspects
interdépendants de la vie sociale et constituent des domaines qui
se répondent à des niveaux différents d’une même structure.
Dans cette ligne, avec le Totémisme aujourd’hui (1962) et la
Pensée sauvage (1962), Lévi-Strauss montre que, loin d’être
l’expression d’une mentalité primitive et arbitraire de l’Homme,
les mythes traduisent des opérations de pensée complexes et
fournissent des modèles logiques à travers lesquels les sociétés
dites « traditionnelles » structurent leurs représentations du
monde et d’elles-mêmes.

5 UN HUMANISTE DANS LE SIÈCLE

En 1952, sur une commande de l’Unesco, Lévi-Strauss rédige un


texte intitulé Race et Histoire (repris dans Anthropologie
structurale II, 1973) qui donne au structuralisme la dimension
d’un nouvel humanisme. Mettant à profit les acquis de la
réflexion ethnologique, Lévi-Strauss récuse l’idéologie raciste en
remettant en cause le préjugé d’une relation entre l’apparence
physique d’un individu et ses dispositions morales, et l’idée d’une
hiérarchisation des « races » fonction de leurs productions
culturelles. C’est pourquoi Lévi-Strauss rejette la notion de «
progrès » liée à l’histoire et au développement technique de la
civilisation occidentale, parce qu’elle « implique l’idée que
certaines cultures, en des temps et en des lieux déterminés,
sont supérieures à d’autres, puisqu’elles ont produit des œuvres
dont ces dernières se sont montrées incapable de produire » (De
près et de loin, 1988). On ne saurait donc se pencher sur le
problème de « l’inégalité des races humaines » sans aborder le
problème de la diversité entre des cultures humaines qui
conditionne la perception d’une différence de « nature » entre
les groupements humains.
Enfin, il est absurde de décréter qu’une culture est « supérieure
» à une autre, car dans l’humanité aucune société ne s’est
développée à l’écart des autres : aucun groupement social n’étant
jamais absolument endogène, il est le produit historique
d’échanges et de relations « interhumaines », au cours
desquelles ont fusionné des influences culturelles variées.

ROBERT LOWIE

Lowie, Robert (1883-1957), anthropologue américain.


Né à Vienne, il émigre avec sa famille à New York en 1893, et il
entre à l’université Columbia où il devient le disciple de Franz
Boas. En 1921, il est nommé professeur d’anthropologie à
l’université de Californie à Berkeley, titre qu’il gardera jusqu’à sa
retraite en 1950.
S’étant livré, de 1910 à 1916, à des études de terrain chez les
Indiens Crow (Indiens des plaines) qui lui ont permis d’enrichir
ses connaissances dans le domaine de l’organisation sociale et
politique, il remet en question, dans son ouvrage Primitive
Society (1920), les tendances à la théorisation abusive et
notamment l’évolutionnisme finaliste de Lewis Henry Morgan. À
l’origine de la méthode comparative, critique du diffusionnisme,
on a aussi pu le considérer comme un précurseur du
structuralisme.
Après avoir tenté de retracer la genèse de la centralisation du
pouvoir dans les sociétés sans État, il fait paraître Social
Organization (1948), qui actualise Primitive Society, et se
consacre, avec The German People : a Social Portrait to 1945 et
Toward Understanding Germany (1954) à l’étude de l’Allemagne
et de l’Europe.

MICHEL LEIRIS

1 PRÉSENTATION
Leiris, Michel (1901-1990), écrivain et ethnologue français dont
l’œuvre autobiographique, en partie fondée sur la psychanalyse,
utilise le langage comme un procédé d’investigation.

2 LE SURRÉALISME

Né à Paris, Michel Leiris connaît une enfance bourgeoise passée


dans le quartier d’Auteuil. Après une formation classique puis de
brèves études scientifiques, il fréquente les surréalistes,
collabore à la revue d’art, d’archéologie et d’ethnographie
Documents (1929-1934) et écrit ses premiers poèmes dont «
Simulacre » (1925), marqué par l’influence de Max Jacob. Deux
ans plus tard, il passe au récit avec le Point cardinal, texte
surréaliste et onirique. À cette même époque, il fait la
connaissance du peintre André Masson avec lequel il se lie
d’amitié. Du surréalisme — mouvement auquel il participe dès
1924 —, il retient l’importance accordée aux rêves, au hasard et
aux rencontres verbales fortuites.
Son unique roman, Aurora, écrit dans les années 1920 mais publié
en 1946, se développe à partir de jeux sur l’homonymie : le nom
du personnage éponyme se transforme en « Horrora », « Or-aura
», « Eau-Rô-Râh », marques graphiques des métamorphoses
successives de l’héroïne. L’année 1929 marque une rupture dans
l’itinéraire de Michel Leiris. Sa collaboration à la revue
Documents, dirigée par Georges Bataille, entraîne une brouille
avec André Breton et l’éloigne du surréalisme.

3 L’ETHNOLOGIE

Nommé secrétaire archiviste d’une mission ethnologique qui le


mène de Dakar à Djibouti entre 1931 et 1933, Michel Leiris
témoigne de son expérience dans l’Afrique fantôme (1934),
journal de voyage où, désabusé, il se met en marge d’une
ethnologie officielle trop inspirée par la politique coloniale. Cet
ouvrage voit naître deux pratiques conjuguées en un seul et
même livre : l’autobiographie et l’ethnologie. Ce texte ouvre la
voie à l’entreprise autobiographique de l’écrivain qui, tout en se
consacrant à la littérature, poursuit ses recherches sur les
sociétés primitives au musée de l’Homme et au CNRS, soutient
sa thèse sur la Langue secrète des Dogons (1939) et fonde avec
Roger Caillois et Georges Bataille le Collège de sociologie en
1936. Militant, pour lequel « toute poésie vraie est inséparable
de la Révolution », Michel Leiris est un ardent défenseur des
mal-logés et des populations immigrées, et un sympathisant des
révolutions cubaine et chinoise.

4 LE PROJET AUTOBIOGRAPHIQUE

La grande œuvre de Michel Leiris reste son autobiographie, dont


le premier volume, l’Âge d’homme (1939), est écrit après une
psychanalyse entreprise pour « mettre à nu certaines obsessions
», vaincre une angoisse de l’impuissance intellectuelle et sexuelle
et une obsession du suicide. Michel Leiris qualifie l’Âge d’homme
de « photomontage ». Il y livre ses souvenirs d’enfance, ses
terreurs, ses rêves, ses fantasmes.
Cet ouvrage préfigure la tétralogie de la Règle du jeu qu’il rédige
pendant plus de trente ans. Les quatre tomes de cette œuvre
monumentale, Biffures (1948), Fourbis (1955), Fibrilles (1966)
et Frêle Bruit (1976), portent eux aussi la marque de la
psychanalyse dans l’importance accordée à la sexualité.
Renonçant au récit chronologique pour une écriture sinueuse
tirant parti des jeux verbaux et des lapsus, l’autobiographie de
Michel Leiris doit aussi à l’influence surréaliste des débuts,
tandis qu’il emprunte sa méthode de travail à l’ethnologie (fiches
d’observation, montage ultérieur) et met l’accent sur
l’importance du sacré dans l’évocation de son expérience
personnelle. Celle-ci, toujours rattachée au mythe, a vocation
universelle. La passion de Michel Leiris pour le langage donne la
tonalité de l’ensemble de sa production.

RICHARD LEAKEY

Leakey, Richard (1944- ), paléoanthropologue kenyan, fils de


Louis et de Mary Leakey, né à Nairobi. Il conduisit sa première
expédition scientifique (à West Natron, Tanzanie) à l'âge de 19
ans et a depuis lors mené des expéditions dans divers sites du
Kenya, notamment dans la basse vallée de l'Omo, en Éthiopie. Les
fouilles menées par Leakey sur les rives du lac Turkana, au nord
du Kenya, aboutirent aux découvertes d'un grand nombre
d'hominidés, et à une révision spectaculaire des théories sur les
débuts de l'évolution humaine. Ces découvertes comprirent un
certain nombre de crânes et autres ossements très anciens du
genre Homo, et le tout premier crâne d'Australopithecus
robustus. L'une des découvertes les plus spectaculaires fut le
squelette presque complet d'un adolescent, découvert en 1984 à
Nariokotome, sur la rive ouest du lac Turkana. Avec une datation
d'environ 1,6 million d'années, il s'agit du squelette le plus
complet datant de cette époque. En 1983, Leakey participa à une
autre découverte capitale : la mâchoire, les dents et des
fragments de crâne vieux de 17 millions d'années du
Sivapithecus, l'ancêtre commun possible des humains et des
singes.

MARY LEAKEY

Leakey, Mary (1913-1996), paléontologue britannique, célèbre


pour ses découvertes fondamentales en paléontologie, qui ont
fait considérablement progresser la compréhension de l’évolution
humaine.
Fille d’un peintre paysager, Mary Leakey naît en Angleterre et
voyage à l’étranger durant une grande partie de son enfance. Elle
découvre l’anthropologie à l’âge de onze ans, à l’occasion d’une
visite des sites préhistoriques de Dordogne. Elle suit plus tard
des cours d’anthropologie et de géologie à University College, à
Londres, et se spécialise dans l’étude des outillages lithiques.
Elle participe à des fouilles en Angleterre et, en 1931, mène une
étude de la culture clactonian dans l’Essex. Elle participe ensuite
aux expéditions du paléontologue Louis Leakey en Afrique, et
l’épouse en 1936.
Dans les gorges de l’Olduvai (Tanzanie) en 1959, Mary Leakey
fait une découverte capitale : un crâne de zinjanthrope
(Zinjanthropus) vieux de 1,8 million d’années, qui révèle pour la
première fois la grande ancienneté des hominidés en Afrique. À
Laetoli, également en Tanzanie, elle découvre en 1975 des restes
fossiles d’Homo habilis, considéré comme le premier
représentant du genre Homo. En 1979, elle met au jour les
empreintes fossilisées, datant de 3,6 millions d’années, d’un
hominidé.

LOUIS SEYMOUR LEAKEY

Leakey, Louis Seymour (1903-1972), paléoanthropologue et


préhistorien kenyan d’origine anglaise, connu pour ses
découvertes d’hominidés fossiles.
Fils de missionnaires anglais, Louis Leakey est né à Kabete, au
Kenya, et est élevé parmi le peuple kikuyu. Il écrit plus tard une
étude complète sur leur culture. Leakey suit ses études à
l’université de Cambridge, où il obtient un doctorat
d’anthropologie. À l’âge de vingt ans, il interrompt ses études
universitaires pour revenir en Afrique, en tant que membre d’une
expédition d’étude de reptiles fossiles menée par le British
Museum au Tanganyika (aujourd’hui partie principale de la
Tanzanie).
À partir de 1926, Leakey conduit des campagnes de prospections
archéologiques dans l’Olduvai, les gorges d’une rivière du
Tanganyika, où il met au jour des fossiles importants et des
outils préhistoriques. En 1948, il annonce la découverte au Kenya
d’un crâne datant d’environ 20 millions d’années, qu’il appelle
Proconsul africanus.
Le nom de Louis Leakey est également associé à deux
découvertes capitales réalisées par sa femme et partenaire de
travail, Mary Leakey : les vestiges fossiles du zinjanthrope
(Zinjanthropus), datant d’environ 1,8 million d’années, trouvés à
Olduvai en 1959, et d’Homo habilis (« homme habile »), mis au
jour en 1960, considéré comme le premier représentant du genre
Homo (2 millions d’années) et le premier véritable fabricant
d’outils. L’importance de ces fossiles dans le monde de
l’anthropologie physique est universellement reconnue.
Dans les dernières années de sa carrière, Leakey s’intéresse de
plus en plus au comportement des primates. Il aide à mettre en
place des projets de recherche d’avant-garde, tels ceux de Jane
Goodall, qui travaille sur les chimpanzés de Gombe en Tanzanie ;
de Dian Fossey, qui étudie les gorilles de montagne du Rwanda ;
et de Birute Galdikas Brindamour, qui réalise des recherches sur
les orangs-outans du Sarawak en Indonésie.

EDMUND RONALD LEACH

1 PRÉSENTATION

Leach, Edmund Ronald (1910-1989), anthropologue britannique.

2 .DE LA MÉCANIQUE À L’ANTHROPOLOGIE


Né à Sidmouth (Angleterre), Edmund Ronald Leach se forme
d’abord en mathématiques et mécanique ; il part travailler
comme ingénieur dans une entreprise en Chine, durant quatre
ans. Il s’essaie à l’ethnologie lors d’un séjour chez les Yami (sur
l’île de Batel Tobago, à Taïwan) et, en 1935, à son retour en
Grande-Bretagne, il entreprend d’étudier l’anthropologie à la
London School of Economics, avec notamment comme
professeurs Bronislaw Malinowski et Alfred R. Radcliffe-Brown.
Un court séjour chez les Kurdes (1938) lui permet d’écrire son
premier ouvrage, Social and Economics Organisation of the
Rawanduz Kurds (1941).
Son second terrain, perturbé par la Seconde Guerre mondiale,
prend place chez les Kachin de Birmanie — Leach sera incorporé
à l’armée birmane durant la guerre.
Anthropologue reconnu, Edmund Leach enseigne l’anthropologie à
la London School de 1947 à 1953, puis à Cambridge (1953-1978),
jusqu’à sa retraite.

3 ENTRE ANTHROPOLOGIE POLITIQUE, CULTURELLE ET


SOCIALE

À la suite de son séjour en Birmanie, Leach publie les Systèmes


politiques des hautes terres de Birmanie. Analyse des structures
sociales kachin (Political Systems of Highland Burma. A Study of
Kachin Social Structure, 1954), où il expose sa théorie
dynamique de l’anthropologie sociale : critiquant le
fonctionnalisme de Radcliffe-Brown, il met en lumière
l’importance du conflit dans l’équilibre des systèmes sociaux. En
effet, il considère que la réalité empirique est toujours
caractérisée par un état d’instabilité (à la différence du modèle
construit par l’ethnologue, qui illustre un équilibre idéal, mais
fictif) et que, par conséquent, des changements structurels sont
perpétuellement induits par la dynamique sociale (Georges
Balandier fait de ce constat la base de ses recherches sur
l’anthropologie dynamique). Le deuxième livre important de Leach
est issu d’un séjour à Ceylan (l’actuel Sri Lanka) ; intitulé Pul
Eliya, a Village in Ceylon (« Pul Eliya, un village de Ceylan », 1961),
il décrit le fonctionnement d’une communauté, particulièrement
les processus d’appropriation et de transmission des terres, en
relation avec les liens de parenté et les stratégies
matrimoniales.
Enfin, dans Rethinking Anthropology (Critique de l’anthropologie,
recueil d’articles écrits de 1940 à 1959, publié en 1961), Leach
remet en cause la méthodologie de la discipline, et prône la
recherche de lois générales plutôt que la collecte systématique
(qualifiant les fonctionnalistes comme Radcliffe-Brown de «
collectionneurs de papillons anthropologiques »). À la recherche
de modèles formels, qui ne soient plus susceptibles d’être taxés
d’ethnocentrisme, il se penche sur les catégories rituelles
indigènes et les formes d’expression rituelles (Culture and
Communication, 1976 ; l’Unité de l’homme, recueil d’articles,
1980). Parfois proche de la théorie structuraliste de Lévi-
Strauss, notamment par son intérêt pour les modèles formels, il
s’en écarte toutefois, et souligne dans un essai leurs différences
fondamentales (Claude Lévi-Strauss, 1970).
Edmund Leach a développé tout au long de son œuvre une pensée
originale, indépendante, et qui a nourri bon nombre de débats
théoriques — son humour ravageur et agressif lui attirant la
sympathie ou l’antipathie de ses pairs, mais rarement
l’indifférence.

ALFRED LOUIS KROEBER

Kroeber, Alfred Louis (1876-1960), anthropologue américain


dont les travaux portent sur l'anthropologie physique et
linguistique, l'archéologie et l'ethnologie. Né à Hoboken, dans le
New Jersey, il fit ses études à l'université Columbia. Il enseigna
à l'université de Californie de 1901 à 1946, et devint professeur
d'anthropologie en 1916. Il fut aussi successivement
conservateur puis directeur du musée anthropologique de
l'université de 1908 à 1946. Kroeber mena un certain nombre
d'expéditions de recherches sur les Indiens d'Amérique, en
particulier dans le sud-ouest des États-Unis, et participa à des
expéditions au Mexique en 1924 et 1930, et au Pérou en 1925,
1926 et 1942. Il fut l'une des autorités les plus éminentes pour
ce qui concerne les langues, les religions et les cultures des
peuples amérindiens. Il eut une grande influence sur la
planification et l'exécution du travail de terrain anthropologique
aux États-Unis et sur l'enseignement de cette matière dans les
universités américaines, en grande partie grâce à son manuel
intitulé Anthropology (1923, mis à jour en 1948). En 1917 il fonda
l'American Anthropological Society. Parmi les autres ouvrages
de Kroeber figurent Handbook of Indians of California (1925),
Peruvian Archaeology (1944) et Style and Civilization (1957).

ABRAM KARDINER

Kardiner, Abram (1891-1981), psychiatre, psychanalyste et


anthropologue américain, un des principaux fondateurs de
l’anthropologie culturelle.
Né à New York en 1891, Abraham Kardiner fit des études à
l’université Cornell, rejoignit Freud à Vienne en 1921, puis
travailla en tant que psychanalyste à l’Institut psychanalytique
de New York, tout en enseignant l’anthropologie et la psychiatrie
à Cornell, puis à Columbia. Dès 1922, s’intéressant aux relations
entre culture et personnalité, il créa un séminaire consacré aux
sociétés primitives, où se noua un dialogue entre psychiatrie et
anthropologie. Il chercha à analyser l’impact de la culture d’une
société donnée sur les individus qui la composent.
L’Individu dans la société. Essai d’anthropologie psychanalytique
(1939, traduction française 1969) et l’ouvrage collectif The
Psychological Frontiers of Society (1945) présentent les
résultats de ses recherches. Il y développe la notion de
personnalité de base, représentant l’individu moyen d’une
société, construite à partir des institutions primaires — en
premier lieu, l’éducation —, qui transmettent les valeurs que la
société se donne pour fondamentales. C’est là la marque de la
culture sur l’individu. À l’inverse, les institutions secondaires,
comme les croyances religieuses, reflètent la personnalité de
l’individu et expriment ses réactions à l’influence des institutions
primaires.
En 1955, Abraham Kardiner fonda sa propre clinique
psychanalytique. De 1961 à 1968, il enseigna à l’université Emory
d’Atlanta.

JOSÉ MARIA ARGUEDAS

1 PRÉSENTATION

Arguedas, José María (1911-1969), écrivain et ethnologue


péruvien, l'une des figures majeures du mouvement indigéniste
latino-américain, promoteur d'un métissage des cultures andine
d'origine quechua et urbaine d'origine européenne.

2 UNE VOCATION INDIGÉNISTE


2.1 Le refuge quechua

José María Arguedas est né à Andahuaylas, au cœur de la région


andine la plus déshéritée du Pérou, dont les paysages et les
personnages peuplent son œuvre. La mort de sa mère, alors qu’il
n’a que trois ans, et les nombreuses absences de son père,
avocat, l’obligent à vivre avec sa belle-mère, riche propriétaire
terrienne, et le poussent à chercher refuge parmi les paysans
indiens de la région, dont il assimile le langage — le quechua —,
les croyances et les valeurs. (Voir aussi Amérindiens).

2.2 L’engagement

Admis, en 1931, à la faculté de Lettres de l’université San


Marcos de Lima, il éprouve une grande difficulté à s’adapter à la
vie urbaine. À la mort de son père, il est obligé de subvenir à ses
besoins et est engagé comme employé des postes à Lima. En
1937, après avoir participé à une manifestation d’étudiants
d’extrême gauche protestant contre la venue d’un envoyé de
Mussolini, il est emprisonné à El Sexto, prison de Lima, où il
côtoie des criminels et des assassins ainsi que des militants
politiques qui lui inspirent quelques années plus tard un court
roman, El Sexto (1961).

2.3 De l’étude du folklore à l’ethnologie

Devenu professeur en 1939, il se marie et commence à


s’intéresser à l’ethnologie. En 1947, il est nommé conservateur
général du folklore au ministère de l’Éducation nationale.
Dépressif, il cesse son activité et en profite pour suivre des
études d’anthropologie. Il enseigne alors le quechua puis est
nommé directeur de l’Institut d’études ethnologiques du musée
de la Culture. Il publie la revue Folklore Americano. Sa thèse sur
les communautés espagnoles et péruviennes lui permet de
voyager en Europe en 1958. De retour au Pérou, il prend la
direction de la chaire d’ethnologie à l’université de San Marcos.
Docteur en ethnologie, en 1963, il sillonne les routes d’Amérique
latine, prend la tête de la maison de la culture du Pérou (1963),
du musée national d’Histoire (1964), du département de
Sociologie de La Molina (1968).
2.4 Constat d’un déracinement

Il fonde et publie également plusieurs revues et participe à de


nombreux colloques littéraires. Divorcé en 1965, il se remarie en
1968. Ne voulant pas renoncer à la tradition indigène, il vit dans
sa propre chair l’expérience de tout Andin déraciné. N’étant
jamais tout à fait parvenu à surmonter ce déchirement culturel,
malgré sa réussite professionnelle et souffrant de dépression
nerveuse, il se suicide en 1969.

3 UNE ŒUVRE INDIGÉNISTE


3.1 Une défense indigéniste modérée

Dans son recueil de nouvelles Eau (Agua, 1935), dans son premier
roman Yawar fiesta (1941), comme dans le recueil Diamants et
Silex (Diamantes y Pedernales, 1954), Arguedas exprime la
tendresse qu’il voue aux populations andines et la profonde
connaissance qu’il a de l’âme indienne, fustigeant dans le même
temps et avec la même force l’asservissement et la misère
auxquels les réduit la voracité des propriétaires terriens blancs,
les latifundistes. Ce faisant, soucieux d’éviter le
conventionnalisme de la littérature indigéniste de dénonciation, il
s’efforce d’offrir de la vie andine une vision aussi juste que
possible, par le biais d’une approche plus intériorisée. Ces
précautions, il les justifie par le souci de ne pas verser dans un
racisme inversé. Arguedas reste ainsi modéré et ne tombe pas
dans la problématique marxiste et anti-impérialiste d’auteurs
plus virulents comme José Carlos Mariátegui (1894-1930, l’un
des principaux penseurs marxistes latino-américains) ou Ciro
Alegría (auteur très engagé politiquement), tous deux «
indigénistes ».
3.2 Une œuvre lyrique entre mythe et réalité

D’une œuvre abondante, on retiendra principalement trois


romans : les Fleuves profonds (Los ríos profundos, 1956), Tous
sangs mêlés (Todas las sangres, 1964) et le Renard d’en haut et
le Renard d’en bas (El zorro de arriba y el zorro de abajo, 1971),
un roman / journal intime que son suicide a laissé inachevé.
De ces trois titres, les Fleuves profonds est peut-être celui qui
exprime le mieux tout le lyrisme et la profondeur du monde
mythique des indigènes, son unité cosmique avec la nature et la
persistance de ses traditions magiques. Ce roman parvient en
effet à montrer toute la variété, toute la richesse cachée d’un
Pérou andin engagé dans un intense processus de métissage.
Dans Tous sangs mêlés, roman foisonnant aux personnages
innombrables, Arguedas fait le récit de l’affrontement que se
livrent d’un côté les latifundistes, soutenus, mais aussi de plus en
plus remplacés par les grands groupes économiques, et les
populations indigènes de l’autre. Au-delà de l’intrigue proprement
dite, c’est bien sûr la disparition d’un monde, celui de la société
rurale indienne, attachée à ses racines (mais qui adhère aussi,
pour une partie d’entre elle, au progrès, seule solution pour
sortir de la stagnation) et la naissance d’un monde nouveau que
l’auteur évoque.
D’autres récits, enfin, comme El Sexto (1961), La agonía de Rasu
Ñiti (1962) et Amor mundo (1967), complètent sa vision du
monde. Considéré parfois comme l’un des maîtres d’un nouveau
réalisme magique, il devient après son suicide une figure
mythique pour de nombreux intellectuels et mouvements
impliqués dans le même combat politique en faveur des
populations andines.

FRANÇOISE HÉRITIER
Héritier, Françoise (1933- ), anthropologue française.
Née à Veauche, Françoise Héritier a été directeur d'études à
l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Elle a
été nommée en 1983 professeur au Collège de France à la chaire
d’étude comparée des sociétés africaines.
Auteur de travaux sur les Samo du Burkina dans le cadre du
laboratoire de Lévi-Strauss, elle a mis en évidence la faculté de
toute société à organiser sa reproduction pour ne pas
contrevenir aux normes qui régissent la personne et l'Univers.
Ses recherches sur la terminologie et sur les lois de la parenté
ont pris pour point de départ le système omaha (terminologie qui
spécifie le mariage d'un homme avec une femme, avec la sœur du
père de celle-ci, comme avec la fille du frère de la même femme)
et ses prohibitions, dont l'inceste est l'infraction la plus grave
et la plus lourde de conséquences quant à l'équilibre de la
société. C'est ainsi qu'elle a porté ses recherches sur les
systèmes complexes (liberté du choix du conjoint, hormis
l'inceste proprement dit) et semi-complexes (interdits divers
sans mariage préférentiel spécifique imposé). Elle est
notamment l'auteur de l'Exercice de la parenté (1981), les
Systèmes semi-complexes (1990), les Systèmes complexes
(1991), De l'inceste (1994) et Deux sœurs et leur mère (1994).

ARTHUR HOCART

Hocart, Arthur (1883-1939), anthropologue britannique.


Né à Etterbeck (Belgique), il passe son enfance à Guernesey où
son père s’est installé comme pasteur. Il étudie l’histoire au
collège Exeter d’Oxford de 1902 à 1906 et fait la connaissance
d’Edward Evan Evens-Pritchard. Par la suite, il part à Berlin
étudier la philosophie et la psychologie. En 1908-1909, il est
membre de l’expédition de recherches que P. S. Trust dirige
avec le médecin et ethnologue britannique William Halse Rivers
aux îles Salomon. Il devient directeur d’école dans l’une des îles
Fidji de 1909 à 1912 et se consacre alors à l’anthropologie.
Enseignant au collège universitaire de Londres de 1932 à 1934, il
remplace Evens-Pritchard à la chaire de sociologie de l’université
du Caire de 1935 à sa mort.
Refusant le courant fonctionnaliste alors dominant, il fait
aujourd’hui figure de précurseur car ses travaux font une large
place aux institutions sociales (les Castes, 1936), aux rituels
(Rois et courtisans, 1979), ainsi qu’aux échanges cérémoniels (le
Mythe sorcier, 1973). Il nous a laissé également des études
importantes et précises sur les îles Fidji et sur Ceylan (actuel
voir Sri Lanka).

MARCEL GRIAULE

Griaule, Marcel (1898-1956), ethnologue français, célèbre pour


ses recherches consacrées aux Dogon. Homme de terrain, il a su
valoriser ses recherches auprès du public et des institutions.
Né à Aisy-sur-Armançon (Yonne), Marcel Griaule est l’élève de
Marcel Mauss et du linguiste Marcel Cohen. En 1927, il obtient
un premier diplôme d'amharique et commence ses recherches en
Abyssinie (1928-1929). En 1931, il est élu secrétaire-général
adjoint de la Société des africanistes (créée la même année) et
profite de la grande Exposition coloniale pour organiser la
mission Dakar-Djibouti (1931-1933). Celle-ci rompt avec les
expéditions classiques — mettant en avant essentiellement
l'exploration — et permet de mener une étude en profondeur
des populations et des mentalités. Assisté de Michel Leiris,
chargé de tenir le « journal » de la mission, il traverse le pays
dogon au Mali ; les habitants, au centre de ses recherches, sont
le motif d'un très long séjour sur le terrain qui reste un modèle
du genre.
Denise Paulme et Deborah Lifchitz font partie de la mission
suivante en pays dogon (mission Sahara-Soudan, 1935). Germaine
Dieterlen (1903-1999), sa disciple et sa continuatrice, est
associée à la mission Sahara-Cameroun (1936-1937). En 1941,
Marcel Griaule remplace Marcel Cohen à l'INLCOV (École des
langues orientales), interdit de cours en raison des lois
antisémites, et occupe, l'année suivante, la chaire
d'ethnographie qui vient d'être fondée à la Sorbonne.
C'est en 1946-1947, au cours d'une mission dans la vallée du
Niger, consacrée à l’étude des cosmologies dogon et bambara et
des sociétés bozo et kouroumba, qu'il fait sa désormais célèbre
rencontre avec Ogotemmêli ; les trente-quatre jours d'entretien
au cours desquels Ogotemmêli raconte la cosmologie et la
mythologie dogons donnent lieu, en 1948, à la publication du récit
Dieu d'eau, entretiens avec Ogotemmêli, un ouvrage grand public
qui met à mal toute idée préconçue sur la simplicité supposée de
la pensée africaine. Le livre montre toute la richesse des mythes
dogons, qui n’a rien à envier à celle des Grecs.
Outre de nombreuses publications scientifiques, Marcel Griaule
a relaté sa première mission en Abyssinie dans un récit de
voyage, les Flambeurs d'hommes (1934) et publié plusieurs
autres ouvrages sur l'art des Dogon et sur leur système de
pensée, notamment les Masques dogons (1938) et le Renard pâle,
en collaboration avec Germaine Dieterlen (1965). Son œuvre a
contribué au développement d’une école ethnologique fondée sur
l'étude des cosmologies propres à chaque peuple.

MARCEL GRANET

Granet, Marcel (1884-1940), sinologue et importante figure de


l’École de sociologie française.
Né à Luc-en-Diois (Drôme), il intègre l’École normale supérieure
en 1904 et passe l’agrégation d’histoire trois ans plus tard. En
1911, il profite d’une mission du ministère de l’Instruction
publique pour parfaire ses connaissances de la Chine ancienne.
Travaillant à partir de différents corpus contenant les plus
anciens documents sur l’« Empire du Milieu », il reconstitue
cette société de manière sociologique et ethnographique. En
effet, au lieu de focaliser son attention sur l’histoire
événementielle, comme le font la plupart de ses contemporains, il
analyse dans ses ouvrages les Fêtes et Chansons anciennes de la
Chine (1919), les Danses et Légendes de la Chine ancienne (1926)
ou bien encore les Catégories matrimoniales et Relation de
proximité dans la Chine ancienne (1953).
Élu directeur d’études pour les religions de l’Extrême-Orient à
l’École pratique des hautes études en 1913, puis professeur à
l’Institut des langues orientales, il a été chargé du cours de
civilisation chinoise à la Sorbonne et a dispensé son
enseignement à l’Institut national des langues et civilisations
orientales vivantes (INLCOV).

SIR JAMES GEORGE FRAZER

1 PRÉSENTATION

Frazer, sir James George (1854-1941), anthropologue


britannique, pionnier de l’anthropologie religieuse.
James George Frazer est notamment l’auteur du Rameau d’or,
une étude monumentale sur les croyances et rites des peuples
primitifs et antiques du monde entier, qui a connu un succès
important auprès du grand public.

2 UN CHERCHEUR PASSIONNÉ

Né à Glasgow (Écosse), James George Frazer grandit au sein


d’une famille luthérienne profondément croyante. Il commence
ses études à l’université de Glasgow, où il étudie les lettres
grecques et latines. Puis, admis à Trinity College (université de
Cambridge) et conformément à la volonté de son père, il fait son
droit mais ne donne aucune suite professionnelle à cette
formation. Il soutient par ailleurs une thèse sur Platon en 1879.
Sa découverte de l’anthropologie se fait par l’intermédiaire de
l’ouvrage d’Edward Tylor, la Civilisation primitive (Primitive
Culture, 1871). Il rencontre également à Cambridge
l’anthropologue et orientaliste William Robertson Smith,
spécialiste des religions des peuples sémitiques ; ce dernier lui
commande, pour l’Encyclopaedia Britannica dont il est alors l’un
des éditeurs, les articles « Tabou » et « Totémisme ». Cette
expérience incite James Frazer à se vouer au travail
intellectuel, et est à l’origine de son monumental travail sur les
mythes et les religions, le Rameau d’or (The Golden Bough: A
Study in Comparative Religion, dont deux premiers volumes sont
publiés en 1890). Son mariage en 1896 avec une Française, qui,
dévouée, gère pour lui les aspects matériels (pensions, honneurs)
et la diffusion de ses recherches (notamment en effectuant des
traductions vers le français), lui permet de se consacrer
totalement à sa science. Bien que restant un ethnologue « de
cabinet », Frazer est conscient de l’importance cruciale des
données collectées par les chercheurs de terrain, et entretient
avec certains d’entre eux une abondante correspondance ; il
rédige même un manuel à l’intention des ethnographes,
Questions on the Customs, Beliefs and Languages of Savages («
Questions sur les mœurs, croyances et langages des sauvages »,
1907).
Nommé chargé de cours (fellow) à Trinity College en 1879, il y
enseigne jusqu’à la fin de sa vie ; il occupe par ailleurs la chaire
d’anthropologie sociale à l’université de Liverpool de 1907 à
1908. Anobli en 1914, Frazer connaît une renommée importante,
nationale et internationale, et surtout en dehors du cercle
anthropologique, et il donne de nombreuses conférences. Frappé
de cécité en 1931, il meurt dix ans plus tard, à l’âge de 87 ans —
sa femme s’éteint quelques heures plus tard, considérant « sa
tâche […] terminée ».

3. LE PÈRE DE L’ANTHROPOLOGIE RELIGIEUSE


3.1 Le Rameau d’or, une œuvre monumentale

Le Rameau d’or est publié en plusieurs étapes : la première


édition de 1890 comprend deux volumes, la seconde édition
(1900) trois volumes, et la troisième édition (1911-1915), douze
volumes. En 1935 paraît le treizième et dernier volume. Il est
subdivisé en plusieurs sous-volumes : le Roi magicien dans la
société primitive (The Magic and The Evolution of Kings) ; Tabou
ou les périls de l’âme (Taboo and the Perils of The Soul) ; le Dieu
qui meurt (The Dying God) ; Adonis. Atys et Osiris ; Esprit des
blés et des bois (Spirits of the Corn and of the Wild) ; le Bouc
émissaire (The Scapegoat) ; Balder le Magnifique (Balder the
Beautiful). Frazer se livre à une exploration des croyances,
rites, mythes et religions des peuples de l’Antiquité et des
sociétés primitives, compilant nombre de données du monde
entier (ce qui vaut à l’œuvre d’être qualifiée par Marcel Mauss
d’« encyclopédie des faits religieux »). Cet ouvrage a connu un
vif succès auprès du grand public, et, quoique fort critiqué pour
ses partis pris théoriques, a inspiré jusqu’à aujourd’hui nombre
d’anthropologues et de mythologues. Il est également à l’origine
de l’anthropologie religieuse.
Frazer prend pour point de départ un mythe de la Rome
archaïque : sur les bords du lac Nemi, le prêtre-roi, au service
de la déesse Diane, y est un esclave fugitif, qui vit près d’un
arbre sacré. Dès les premiers signes de faiblesse, un rituel
particulier préside à la succession du prêtre-roi : le «
remplaçant » (qui doit également être un esclave fugitif) ne peut
occuper la place qu’après avoir arraché un rameau de l’arbre
sacré, puis tué son prédécesseur. Ce mythe, dont Frazer
interroge le sens (pourquoi sacrifier le roi ? pourquoi couper une
branche d’arbre ?), joue le rôle de fil conducteur, et permet à
Frazer de chercher à découvrir le fonctionnement de la pensée
primitive et des rituels magiques. Il théorise ainsi l’évolution des
sociétés en trois stades : la pensée magique, la pensée religieuse
et la pensée scientifique. Pour lui, le rite est le versant pratique
du mythe, tout comme la technique est le versant pratique de la
science.

3.2 Une théorie de la magie originale

Frazer expose également dans le Rameau d’or une théorie


originale de la magie. Il définit d’abord un premier grand
principe de la magie, le principe de sympathie ; la magie agit à la
fois par ressemblance et par imitation — par exemple, la fumée
d’un feu rappelle les nuages devant le soleil, et c’est pourquoi,
pour faire venir les nuages et la pluie, les Zuñi (un peuple du
Nouveau Mexique) pratiquent un feu cérémoniel. Frazer dégage
aussi deux autres lois pour tenter d’expliquer la causalité de
l’action magique ; la magie homéopathique, qui opère par
similitude (« tout semblable appelle le semblable », c’est-à-dire,
par exemple, le feu est semblable au soleil, ou l’ennemi est
incarné dans une figurine), tandis que la magie contagieuse joue
sur la pérennité spirituelle du contact (« les choses qui ont été
en contact continuent d’agir l’une sur l’autre à distance »,
expliquant ainsi pourquoi une rognure d’ongle, un cheveu,
continuent à être efficaces pour agir sur un ennemi). Frazer
dégage également des concepts comme la symbolique du pouvoir,
le dieu qui meurt, le transfert du mal, le bouc émissaire, qui sont
jusqu’à aujourd’hui des objets d’études en anthropologie.
4 POSTÉRITÉ DE L’ŒUVRE

Le Rameau d’or est très vivement critiqué par les anthropologues


: théoriquement dépassé (la théorie anthropologique de
l’évolutionnisme, en vogue au moment du début de la rédaction,
dans les années 1890, est complètement obsolète lorsque paraît
le dernier tome du Rameau en 1920), et inexact — notamment
par une absence de contextualisation des éléments et faits, qui
interdit d’en tirer une signification culturelle et sociale. La
théorie de la magie est remise en cause très tôt par Henri
Hubert et Marcel Mauss (Esquisse d’une théorie générale de la
magie, 1902-1903).
Mais le Rameau d’or a également fécondé l’imaginaire occidental
et nourri les réflexions d’auteurs comme Rudyard Kipling, Ezra
Pound, William Butler Yeats, James Joyce, Ludwig Wittgenstein,
et enrichi les travaux de Sigmund Freud sur le totémisme. Le
psychanalyste et anthropologue Géza Róheim reprend quant à lui
les thèses du Rameau d’or pour les relire au regard de la
psychanalyse.

5 AUTRES ÉTUDES

Frazer, quoique absorbé dans son œuvre majeure, publie d’autres


ouvrages, tels Sur les traces de Pausanias à travers la Grèce
ancienne (Pausanias and Other Greek Sketches, 1898), Totemism
and Exogamy (« Totémisme et exogamie », 1910), très daté dans
son appréhension du totémisme. Le Folklore dans l’Ancien
testament (Folk-Lore in the Old Testament, 1918) appréhende le
récit biblique comme un matériau ethnographique, susceptible
d’être comparé à d’autres sources de témoignages. Mythes sur
l’origine du feu (Myths of The Origin of Fire, 1930) et la Crainte
des morts dans la religion primitive (The Fear of the Dead in
Primitive Religion, 1933), ses derniers ouvrages, restent fidèles
à la méthodologie de Frazer, fondée sur l’étude comparée.

SIR RAYMOND WILLIAM FIRTH

Firth, sir Raymond William (1901-2002), anthropologue néo-


zélandais.
Né à Auckland, Raymond Firth rédige une thèse sur l’industrie
de la viande congelée en Nouvelle-Zélande et suit les séminaires
de Tawney et de Malinowski. Ses travaux sur les Maoris
(Economic Psychology of the Maori en 1925 et The Primitive
Economics of the New Zealand Maori en 1927) et sur les
Tikopias des îles Salomon font sa renommée. Il retournera
d’ailleurs à maintes reprises sur cette île (1952, 1966 et 1972)
et publiera We, the Tikopia : A Sociological Study of Kinship in
Primitive Polynesia (seconde édition de 1961). De 1930 à 1932, il
enseigne l’anthropologie à l’université de Sydney et est nommé
également professeur à la London School of Economics de
l’université de Londres. En 1939, il se rend en Malaisie avec sa
femme, Rosemary Upcott, dans le but d’étudier une communauté
de pêcheurs. De son séjour, il fera paraître Malay Fishermen.
Their Peasant Economy (1946).
Critique du structuralo-fonctionnalisme, il s’intéresse à
l’adaptation des individus au quotidien et distingue le concept
d’organisation sociale de celui de structure sociale. Prompt à
dénoncer l’exploitation de l’homme (Famine, 1986), il est aussi
l’un des fondateurs des paradigmes de base en anthropologie
économique. Raymond Firth a été anobli en 1973.

SIR EDWARD EVAN EVENS-PRITCHARD

1 PRÉSENTATION
Evans-Pritchard, sir Edward Evan (1902-1973), anthropologue
britannique, pionnier de l’anthropologie politique.
Edward Evans-Pritchard occupe une place décisive dans
l’anthropologie africaniste, et dans la constitution de
l’anthropologie politique, notamment par ses recherches sur les
sociétés sans État. Il peut par ailleurs être considéré comme le
fondateur de l’école structurale britannique.

2. UN AFRICANISTE ET UN PÉDAGOGUE INFLUENT

Né à Crowborough (en Angleterre), Edward Evan Evans-


Pritchard suit d’abord des études d’histoire moderne à
l’université d’Oxford, puis étudie l’anthropologie à la London
School of Economics de Londres, où il obtient son doctorat en
1927 — élève puis collaborateur de Claude Gabriel Seligman, il
prend le relais du vieux professeur dans ses recherches auprès
des populations sud-soudanaises. De 1926 à 1940, il entreprend
ainsi une longue série de voyages d’études au Soudan, tout en
enseignant épisodiquement dans les universités de Londres et du
Caire (1932-1934). Il suit également des cours à l’université de
Londres, notamment ceux des anthropologues G. Elliott Smith et
W. J. Perry. En 1940, le gouvernement britannique utilise Evans-
Pritchard et sa connaissance des peuples sud-soudanais pour
lutter contre l’armée italienne en Éthiopie ; de 1942 à 1944, il
conseille l’administration militaire britannique en Cyrénaïque, et
étudie parallèlement la confrérie musulmane des Senoussis. À
l’issue de la guerre, il est nommé professeur d’anthropologie
sociale à l’université d’Oxford — où il succède à Reginald
Radcliffe-Brown. Il donne en 1950 une série de conférences à la
BBC, touchant ainsi un large public dans son entreprise de
vulgarisation — les conférences sont publiées en recueil sous le
titre Anthropologie sociale (Social Anthropology, 1956). Evans-
Prichard (surnommé « EP » par ses élèves et ses collègues)
enseigne à Oxford jusqu’à la fin de sa carrière, en 1970 ; il est
anobli en 1971.

3 UNE VIE D’AFRICANISTE

Son premier ouvrage, Sorcellerie, oracles et magie chez les


Azandé (Witchcraft, Oracles and Magic among the Azande,
1937) va à l’encontre de nombreuses thèses développées par
l’ethnologue français Lucien Lévy-Bruhl sur la mentalité des «
primitifs » et leur mode de raisonnement « prélogique », que
Lévy-Bruhl oppose à la mentalité rationaliste des sociétés
occidentales. Evans-Prichard démontre avec force détails que
les croyances en apparence irrationnelles relatives à la
sorcellerie ou à la divination sont en fait systématiquement liées
entre elles : les croyances procèdent d’une fonctionnalité proche
d’une forme de rationalité caractéristique de la civilisation
occidentale. En fait, la magie et la sorcellerie remplissent chez
les Azandé une fonction psychologique en les rassurant sur leur
destin, et permettent également la régulation des conflits
sociaux.
Evans-Pritchard est surtout connu pour sa trilogie sur les Nuer,
un peuple de pasteurs nomades du Sud soudanais ; lorsqu’il y
arrive, en 1930, le pays nuer sort de plusieurs répressions
britanniques, et l’anthropologue ne gagnera jamais la confiance
de la population, considéré « non seulement comme un étranger,
mais comme un ennemi ». Il leur consacre cependant une
centaine d’articles et trois ouvrages. Dans les Nuer, description
des modes de vie et des institutions politiques d’un peuple
nilotique (The Nuer: A Description of the Modes of Livelihood
and Political Institutions of a Nilotic People, 1940), il montre que
ceux-ci s’organisent d’après un système souple de segmentation,
où les hommes se réunissent en groupes, ou en unités plus
grandes, selon un ordre hiérarchique, en fonction de la nature de
l’événement qui les préoccupe. Son ouvrage Parenté et Mariage
chez les Nuer (Kinship and Marriage Among the Nuer, 1951)
constitue une étude particulièrement riche des procédures et
des pratiques relatives à la parenté et à la vie familiale. Dans la
Religion nuer (Nuer Religion, 1956), recueil d’essais sur
différents aspects de la cosmologie et du symbolisme des Nuer,
il s’efforce de montrer que les croyances religieuses de ce
peuple jouent un rôle déterminant dans sa symbolique sociale,
notamment dans le système politique d’« anarchie ordonnée ». Il
montre en particulier l’importance du temps (temps cyclique des
travaux agricoles, temps linéaire des moments forts de la vie
sociale, comme le renouvellement tous les dix ans des classes
d’âge) dans la coordination des relations sociales.
Evans-Pritchard poursuit toute sa vie son travail de recherche
sur les Nuer et les Azandé ; il revient en particulier à ses
travaux avec les Azandé à la fin de sa vie et publie plusieurs
recueils (The Zande Trickster [« l’escroc zandé »], 1967 ; The
Azande: History and Political Institution [« les Azandé : histoire
et institutions politiques »], 1971 ; Man and Woman among the
Azande [« l’homme et la femme chez les Azandé »], 1974).

4 UNE PENSÉE ORIGINALE


4.1 Le fondateur de l’anthropologie politique

Evans-Pritchard publie en 1940, en codirection avec


l’anthropologue britannique Meyer Fortes, l’ouvrage collectif
Systèmes politiques africains (African Politican Systems).
Partant de ses travaux sur les Nuer, l’ouvrage tente, pour la
première fois, de classifier les systèmes politiques ; dans le
contexte colonial anglo-saxon, caractérisé par l’indirect rule —
gouvernement à travers les institutions existantes —, la
connaissance des habitudes et coutumes politiques locales
constitue un enjeu important. Evans-Pritchard distingue deux
types d’organisation : les sociétés avec État (disposant d’un
appareil administratif) et les sociétés sans État, régies par des
règles complexes basées sur les lignages, les classes d’âge, les
sociétés secrètes… Il constate que dans ces sociétés règne
comme une « anarchie ordonnée », les alliances se faisant tantôt
selon le lignage tantôt selon le territoire ; les groupes sont ainsi
souvent remodelés, par scission ou fusion, et peuvent également
s’affilier à un ensemble plus large. Evans-Pritchard dégage le
concept de « distance structurale » afin d’expliquer le
fonctionnement des sociétés segmentaires : la structure est
pour lui une réalité mentale, et non plus une traduction directe
de l’organisation sociale.
En désaccord avec Bronislaw Malinowski, mais surtout avec
Alfred Radcliffe-Brown, sur la conception d’une anthropologie
comme une « science naturelle des sociétés », les théories qu’il
développe dans Systèmes politiques africains sont en rupture
avec la théorie fonctionnaliste ; véritable révolution
conceptuelle, le passage « de la fonction à la signification » est
parallèlement balisé en France par Claude Lévi-Strauss et le
structuralisme.

4.2 Entre anthropologie et histoire

Evans-Pritchard conçoit l’anthropologie comme une branche des


sciences humaines, et recommande aux anthropologues de faire
la jonction entre les cultures, dans une perspective
comparativiste. La dimension historique étant pour lui
indissociable d’une étude synchronique, il s’oppose à l’approche
de ses prédécesseurs Malinowski et Radcliffe-Brown et défend
le lien entre anthropologie et histoire : il confère ainsi à
l’histoire un rôle important dans l’explication des processus de
changement culturel, tel que décrit dans The Sanussi of
Cyrenaica (« Les Senoussis de Cyrénaïque », 1949), ou dans
l’article « Anthropologie et histoire » (in les Anthropologues
face à l’histoire et la religion [Theories of Primitive Religion],
1965). De plus, il défend la connaissance de « terrain » comme
préalable à l’édification de théories, et affiche tout au long de
son œuvre un scepticisme certain à l’égard de l’existence de lois
universelles relatives aux comportements culturels.
L’influence déterminante de ses travaux et le grand nombre
d’étudiants qu’il a formés à Oxford font d’Edward Evans-
Pritchard une figure éminente de l’anthropologie britannique.

LOUIS DUMONT

Dumont, Louis (1911-1998), anthropologue français.


Ses recherches sur les castes indiennes ont mis en lumière leurs
caractéristiques fondées sur la notion de pureté plutôt que sur
celle de pouvoir. Elles s'inscrivent dans les études faites par
ailleurs, depuis les années soixante, sur l'analyse des systèmes
de pensée et leurs corrélations. Il est l'auteur de plusieurs
ouvrages : Homo hierarchicus. Le Système des castes et ses
implications, 1966 ; Homo æqualis, Genèse et épanouissement de
l'idéologie économique, 1977 ; l'Idéologie allemande, 1992.

PIERRE CLASTRES

Clastres, Pierre (1934-1977), anthropologue français connu pour


ses travaux sur l’anthropologie politique des sociétés
amérindiennes sans État. Né à Paris, de formation philosophique,
Pierre Clastres fut également un homme de terrain : il accomplit
de 1963 à 1974 diverses missions en Amérique du Sud. Son
premier séjour l’amena chez les Indiens Guayakis du Paraguay,
population alors presque inconnue, qui ignorait l’agriculture. Il en
fit le récit dans sa Chronique des Indiens Guayakis. En 1965, il
séjourna chez les Indiens Guaranis du Paraguay dont il récolta
les paroles adressées aux dieux (le Grand Parler, 1974).
L’essentiel de la pensée de Pierre Clastres est développé dans la
Société contre l’État (1974) et les Recherches d’anthropologie
politique (1980), recueils d’articles publiés entre 1962 et 1977.
Il y critique l’analyse ethnocentrique des sociétés primitives
étudiées uniquement à la lumière de l’histoire occidentale.
L’affirmation courante selon laquelle ces sociétés ne connaissent
pas de pouvoir politique et sont prisonnières d’une économie de
subsistance masque, selon lui, leur rationalité originale.
Il montre, au contraire, que leur organisation est fondée sur la
destruction volontaire des risques d’inégalité en supprimant tout
surplus de production et en attribuant l’autorité politique à un
chef soumis à des devoirs, mais ne jouissant d’aucun droit. Il
propose alors une distinction de nature entre sociétés à pouvoir
coercitif et sociétés à pouvoir non coercitif.

PAUL HENRY CHOMBART DE LAUWE

Chombart de Lauwe, Paul-Henry (1913-1998), sociologue


français, notamment reconnu pour ses études de sociologie
urbaine.
Né à Cambrai, Paul Chombart de Lauwe fit des études
d’ethnologie et de psychologie. En 1940, il s’engagea dans la
Résistance et rejoignit deux ans plus tard les forces aériennes
en Afrique du Nord. En 1945, il mena, au Centre national de la
recherche scientifique (CNRS), ses premiers travaux sur
l’espace urbanisé, en s’appuyant sur des prises de vue aériennes.
Il fonda en 1949 le Groupe d’ethnologie sociale, et s’intéressa
particulièrement au milieu ouvrier. En 1952, le groupe publia un
ouvrage sur Paris et son agglomération. De nombreuses enquêtes
sociologiques aboutirent à la publication de la Vie quotidienne
des familles ouvrières (1956). En 1959, le groupe devint le
Centre d’ethnologie sociale, que Paul Henry Chombart de Lauwe
dirigea jusqu’en 1980.
En 1960, il entra à l’École des hautes études en sciences sociales
(EHESS), où il dirigea un séminaire sur les transformations de la
vie sociale et les processus d’interaction individus-groupes-
société. Puis, après Mai 68, il orienta ses recherches sur les
mouvements sociaux et le rôle des intellectuels.
Paul Henry Chombart de Lauwe est l’un des précurseurs de la
sociologie urbaine en France. S’appuyant sur l’ethnologie et la
psychosociologie, il s’intéressa au devenir des sociétés
industrialisées à travers les transformations sociales et les
processus de domination qu’elles génèrent. Parmi ses principaux
ouvrages, citons : Des hommes et des villes (1965) ; Pour une
sociologie des aspirations (1969) ; la Culture et le Pouvoir (1975)
; la Fin des villes. Mythe ou réalité ? (1982).

MICHEL DE CERTEAU

Certeau, Michel de (1925-1986), historien et anthropologue


français dont les recherches portent sur la construction des
objets d’étude de l’historiographie, de la théologie et de la
psychanalyse.
Né à Chambéry, Michel de Certeau poursuivit des études de
lettres et de philosophie, puis entra en 1950 dans la Compagnie
de Jésus. Docteur en science des religions, fortement influencé
par Henri Sonier de Lubac, membre de l’École freudienne de
Paris (jusqu’à sa dissolution en 1980), il enseigna successivement
à l’Institut catholique de Paris, à l’université de Paris VII, puis à
l’université de San Diego et à l’École des hautes études en
sciences sociales. Mai 68 lui inspira des réflexions sur l’évolution
du savoir (la Prise de parole, 1968).
Michel de Certeau montra que l’historiographie tend à mettre en
relief un ensemble cohérent d’événements en omettant des
éléments qui iraient à l’encontre de sa cohésion. Dans l’Absent de
l’histoire (1973), il cherche à rendre justice aux versants oubliés
du passé, notamment à la tradition orale, généralement ignorée
au profit des sources écrites.
La psychanalyse, qui attache une importance primordiale au
passé de l’individu, notamment à l’enfance qui détermine la
personnalité de l’adulte, considère que les événements
historiques appartiennent à l’« enfance de l’humanité ». Cette
métaphore, utilisée par de nombreux penseurs, de Hegel à
Auguste Comte, se retrouve notamment dans les travaux de
Freud consacrés à l’analyse des textes du XVIIe siècle qu’il
présente comme des témoignages d’un état naïf de la société.
Dans l’Écriture de l’histoire (1975) et dans la Fable mystique
(1982), Michel de Certeau met en évidence les ambiguïtés d’une
telle image. La vocation de la pensée, affirme-t-il, est
d’échapper à la tentation de tout conquérir, pour laisser
s’exprimer la Culture au pluriel (1980).

ROGER CAILLOIS

1 PRÉSENTATION

Caillois, Roger (1913-1978), anthropologue et poète français,


dont l’œuvre véhicule une réflexion sur l’imaginaire, sur le mythe
et sur le sacré.

2. UN ITINÉRAIRE INTELLECTUEL TRÈS RICHE

Né à Reims, Roger Caillois entre à l’École normale supérieure et


obtient l’agrégation de grammaire en 1936. Il rejoint le groupe
surréaliste en 1932, pour s’en séparer trois ans plus tard, en
publiant Procès intellectuel de l’art, où il exprime son désaccord
avec André Breton au sujet du merveilleux.
Plus tard, il se rapproche de Georges Bataille et, avec celui-ci et
Michel Leiris, fonde en 1938 le « Collège de sociologie », lieu de
réflexion anthropologique transdisciplinaire orienté sur la
question des rapports de l’Homme et du sacré. La même année, il
publie le Mythe et l’Homme et, l’année suivante, fait paraître
l’Homme et le Sacré, textes qui prolongent les travaux du
Collège de sociologie.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, il vit en Amérique du Sud,
où il fonde l’Institut français de Buenos Aires, et se consacre à
la traduction d’auteurs latino-américains, notamment Pablo
Neruda, Antonio Porchia et Jorge Luis Borges. Il crée également
la revue Lettres françaises, qui soutient la Résistance.
Après la guerre, de 1948 à 1971, il devient chef de division
chargé des affaires culturelles à l’Unesco, organisme avec le
soutien duquel il fonde une revue interdisciplinaire, Diogène
(1952). Parallèlement il s’efforce de promouvoir en France la
littérature sud-américaine en créant la collection « la Croix du
Sud » aux éditions Gallimard (1948).
Il consacre ensuite divers essais à l’écriture poétique (Art
poétique, 1958 ; Approches de la poésie, 1978), à l’esthétique
(Esthétique généralisée, 1962), à l’imaginaire onirique
(l’Incertitude qui vient des rêves, 1956 ; Pierres, 1966 ;
Approches de l’imaginaire, 1974), au fantastique (Au cœur du
fantastique, 1965) et au jeu (les Jeux et les Hommes, 1958).
En 1971, Roger Caillois est reçu à l’Académie française. Il a
laissé une autobiographie, le Fleuve Alphée, qui a été publiée en
1978.
3 UNE ŒUVRE À LA CROISÉE DE LA POÉSIE ET DE LA
SCIENCE
L’œuvre de Roger Caillois est tout à fait originale et
indépendante dans l’histoire de la pensée française du XXe
siècle. Si elle hérite du surréalisme son inclination pour
l’imaginaire, elle s’efforce d’en repenser les thèmes à la lumière
d’une investigation scientifique afin de « déchiffrer
l’indéchiffrable ».
Effectuant l’inventaire des formes du monde minéral et animal,
cette œuvre est à la recherche d’une unité derrière la
multiplicité des formes. Veillant à dépasser les cloisonnements
des sciences spécialisées, elle convoque les sciences « diagonales
» pour proposer une approche complexe du monde. Attentive aux
symétries, aux dissymétries, aux cohérences et aux
récurrences, elle effectue des analogies entre les différentes
parties du réel et tente d’en dessiner les structures.
L’œuvre de Roger Caillois, quoique érudite, n’est pas animée par
un esprit rationaliste : elle mêle regard poétique, goût des mots
et rigueur du style. Conjuguant science, poésie et philosophie,
l’approche de Caillois aboutit à ce qu’on a pu appeler un «
mysticisme de la matière » : « Je parle des pierres : algèbre,
vertige et ordre ; des pierres hymnes et quinconces ; des
pierres, dardes et corolles, orée du songe, ferment et image. »
(Pierres, 1966).
Cette approche précise, rigoureuse, du monde et de l’imaginaire
provient chez Caillois d’un profond refus de la « littérature » —
il est proche en cela de Georges Bataille — et d’une grande
méfiance à l’égard du langage. Élève de Marcel Mauss et de
Georges Dumézil, il associe sociologie et anthropologie du sacré
dans sa compréhension de l’Homme.
Admirateur de Descartes et de Montesquieu, Caillois est
également l’un des premiers écrivains français à s’être intéressé,
en tant qu’essayiste, au roman policier (Puissances du roman,
1941).

FRANZ BOAS

Boas, Franz (1858-1942), anthropologue et ethnologue américain


d'origine allemande.
Né à Minden, il fit ses études à Heidelberg, Bonn et Kiel. En
1883-1884, il entreprit une exploration scientifique en arctique
dans la terre de Baffin, où il vécut avec les Inuits. Deux ans plus
tard, il émigra aux États-Unis et effectua le premier d'une série
de voyages destinés à l'étude des Kwakiutls et autres peuples
indigènes de Colombie-Britannique. En 1899, il devint le premier
professeur d'anthropologie de l'université Columbia, où il
enseigna jusqu'en 1937. Il organisa et participa à l'expédition du
Jesup North Pacific de 1902, qui lui permit d'envisager
l'existence d'un lien entre les cultures du nord de l'Asie et
celles du nord-ouest des États-Unis.
Les travaux anthropologiques de Boas sont devenus des
classiques du genre. Il insistait sur la nécessité de recherches
empiriques et descriptives, se méfiant des systématisations et
des classifications arbitraires. Par ses contributions
extrêmement diverses, il a également démontré la nécessité
d'étudier une culture sous tous ses aspects, au nombre desquels
il faut compter la religion, l'art, l'histoire, la langue, les
caractéristiques physiques du peuple, mais également le poids
des expériences individuelles. En montrant que les prétendus «
types raciaux » ne sont pas des caractéristiques stables, il
aboutit à une critique radicale du concept de « race pure », et
de l'opposition traditionnelle du primitif et du civilisé. Il est
l'auteur de la Croissance des enfants (1896), l'Esprit de
l'homme primitif (1911), Anthropologie et Vie moderne (1928) et
Race, langage et culture (1940).

JOHANN FRIEDRICH BLUMENBACH

Blumenbach, Johann Friedrich (1752-1840), naturaliste,


physiologiste et anthropologue allemand né à Gotha, qui fit ses
études aux universités d'Iena et de Göttingen. Il devint
professeur de médecine à l'université de Göttingen en 1776 et,
en tant qu'enseignant, exerça une grande influence pendant plus
de cinquante ans. Considéré comme un des fondateurs de
l'anthropologie physique, Blumenbach fut parmi les premiers à
envisager l'anatomie comparée d'un point de vue scientifique.
Son Manuel d'anatomie comparée (1805) expose les résultats de
ses études portant sur les crânes de divers peuples. Blumenbach
se fit le champion de la théorie de l'unité de l'espèce humaine
qu'il classifia en cinq catégories résolument arbitraires :
caucasienne, mongole, malaise, américaine et éthiopienne. La
théorie de Blumenbach ainsi que les classifications raciales
qu'elle inspira au XXe siècle furent démenties par les
recherches scientifiques.

RUTH BÉNÉDICT

Benedict, Ruth (1887-1948), anthropologue américaine, née à


New York, formée au Vassar College et à l'université Columbia.
Elle effectua son travail de terrain le plus important dans les
réserves de différentes tribus d'Amérindiens entre 1922 et
1939. Jouissant d'une grande autorité en tant qu'ethnologue
spécialisée dans l'étude des Amérindiens, Ruth Fulton Benedict
acquit aussi une grande notoriété grâce à ses travaux en
anthropologie culturelle. Parmi ses principaux ouvrages figurent
Patterns of Culture (« Modèles culturels », 1934), Zuñi
Mythology (« Mythologie zuni », 1935), Race : Science and
Politics (« Race : science et politique », 1940) et The
Chrysanthemum and the Sword : Patterns of Japanese Culture
(« Le chrysanthème et le sabre : modèles culturels au Japon »,
1946).

GREGORY BATESON

1 PRÉSENTATION
Bateson, Gregory (1904-1980), anthropologue et ethnologue
américain d’origine britannique.
Fondateur de l’école de Palo Alto en Californie, il a développé la
notion de double-bind (« double contrainte ») sur l’origine de la
schizophrénie, et reste célèbre pour son approche théorique de
la communication.

2 L’EXPLORATION ÉPISTÉMOLOGIQUE

Né à Grantchester, près de Cambridge, Gregory Bateson est le


fils du biologiste William Bateson. Passionné de science et de
pensée scientifique, il étudie la biologie à l’université de
Cambridge avant de se tourner vers l’anthropologie, sous la
direction de Bronislaw Malinowski et d’Alfred Radcliffe-Brown.
À partir de 1927, il poursuit des études sur le terrain en
Nouvelle-Guinée. En 1929 et 1930, il étudie en particulier les
comportements individuels et les systèmes de communication au
sein de la tribu Iatmul, où il rencontre sa future femme,
l’anthropologue Margaret Mead. Avec elle, il poursuit son travail
à Bali (1936-1938), où il entreprend d’utiliser les outils
cinématographique et photographique pour son analyse des
comportements.
C’est dans la Cérémonie du Naven (Naven, 1936) qu’il livre son
analyse des rituels de travestissement Iatmul célébrant les
premiers exploits des jeunes enfants. Sa description des faits
ethnographiques se double d’une analyse sur la nature de leur
explication, dans laquelle l’interprétation sociologique
s’accompagne d’une étude de leurs aspects cognitifs (qui
constituent ce qu’il appelle l’eidos) et émotionnels (l’ethos).

3. UNE NOUVELLE APPROCHE DE LA COMMUNICATION


Ces premières recherches d’analyse des processus sociaux
amènent Gregory Bateson à développer une nouvelle conception
des sociétés par leur prisme fondamental, la communication.
Dans Communication: the social matrix of psychiatry (coécrit
avec le psychiatre Jurgen Ruesh et paru en 1951), il développe
les grands axes de sa réflexion. Pour lui, la communication est
l’ensemble des interactions (verbales ou comportementales) qui
relient les membres d’un système (famille, collègues de travail,
société, etc.). On ne peut comprendre la nature des
comportements d’une personne qu’en analysant la nature de ses
interactions sociales.
Ce principe, selon lequel tout comportement est communication,
va servir de base essentielle aux concepteurs des thérapies
familiales systémiques : un comportement pathologique, comme
l’anorexie d’une adolescente, est révélateur des problèmes de
communication au sein du système familial. Pour soigner
l’individu, porteur du symptôme familial, il faut donc modifier les
relations entretenues par les membres du système.
Dans les années 1950, les conceptions de Gregory Bateson
trouvent un écho important auprès de chercheurs d’horizons
disciplinaires différents, qui se rassemblent autour de lui à Palo
Alto, une petite ville près de San Francisco. Ceux qui forment «
le collège invisible » échangent et poursuivent la réflexion et les
travaux de Gregory Bateson, notamment sur deux points
fondamentaux et complémentaires : la communication paradoxale
et la double contrainte.

4 COMMUNICATION PARADOXALE ET DOUBLE


CONTRAINTE

Pour Gregory Bateson, toute communication renvoie donc à deux


niveaux : son contenu propre et la nature de la relation des
personnes qui communiquent. Dans la plupart des cas, les deux
niveaux sont en adéquation. En cas de discordance entre les
deux (par exemple, quand une personne dit « je t’écoute » à une
autre tout en focalisant son attention sur autre chose), la
communication est perturbée. Gregory Bateson considère que ce
type de communication, dite paradoxale, peut avoir des
conséquences très négatives sur la santé psychologique s’il est
répété. Parmi les paradoxes principaux, on trouve l’injonction
paradoxale et la double contrainte. Par injonction paradoxale, il
faut entendre un ordre contenant en lui-même une contradiction.
L’exemple le plus célèbre est la consigne « sois spontané » : être
spontané par obéissance n’a plus rien de spontané.
La double contrainte est l’un des principaux concepts de Gregory
Bateson. Dès les années 1940, avec Margaret Mead, il cherche à
comprendre le comportement des enfants de Bali en analysant
leurs relations avec leurs parents. Les deux anthropologues
s’aperçoivent que les relations mère-enfant impliquent des
comportements paradoxaux de la part de la mère, celle-ci
incitant son enfant à exprimer ses émotions tout en rejetant ce
type de comportement. L’enfant n’étant pas autorisé à dire son
malaise, il se retire de ces échanges pour échapper à cette
double contrainte. En 1956, il publie avec D.D. Jackson, J. Haley
et J.H. Weakland (des membres importants du collège invisible)
un article au retentissement si grand dans le monde de la
psychopathologie que ses effets sont encore sensibles
aujourd’hui. Fondé sur les observations de Gregory Bateson et
de Margaret Mead sur les enfants balinais, et inspiré de la
cybernétique, Vers une théorie de la schizophrénie (Toward a
theory of schizophrenia) avance que la schizophrénie infantile a
pour origine les doubles contraintes imposées par la mère dans la
communication avec son enfant, et l’impossibilité pour l’enfant de
métacommuniquer (c’est-à-dire de communiquer sur la
communication).
5 UNE ÉCOLOGIE DE L’ESPRIT

L’ouvrage le plus important de Gregory Bateson est un recueil


d’articles écrits entre les années 1930 et les années 1960. Publié
en 1972, Vers une écologie de l’esprit (Steps to an ecology of
mind) est la synthèse de ses travaux et de ses conceptions. Qu’il
s’agisse de sa théorie de la communication, de l’analyse de la
schizophrénie, des processus d’apprentissage ou de la dynamique
des sociétés, tous ses sujets tendent à un seul et même objectif
: l’analyse de l’« écologie de l’esprit », c’est-à-dire l’ensemble des
relations qui relient l’individu à son environnement physique et
social. La pensée de Gregory Bateson, très influente encore de
nos jours, est aussi celle du changement, individuel (en
psychothérapie) ou sociétal, par la modification des règles et
des interactions qui composent chaque système.

ROGER BASTIDE

Bastide, Roger (1898-1974), anthropologue français, auteur


d’une œuvre éclectique dépassant les frontières traditionnelles
des sciences humaines.
Roger Bastide est né dans une famille protestante de Nîmes.
Agrégé de philosophie, il partit en 1938 enseigner la sociologie à
l’université de São Paolo. Il s’était déjà intéressé aux questions
de sociologie religieuse et au dialogue entre sociologie et
psychanalyse. Le Brésil lui fournit un terrain ethnographique
d’une grande richesse et il étudia en particulier un rite afro-
brésilien le « Candomblé », un culte au cours duquel les initiés
sont possédés par des dieux venus d’Afrique.
Il interpréta ce rituel de façon originale, comme une réponse
des Afro-Brésiliens à leur acculturation. Roger Bastide fut à cet
égard l’un des premiers ethnologues à proposer l’étude
sociologique de phénomènes considérés jusque-là comme
purement psychologiques tels la transe, le rêve ou la folie. Ainsi,
dans Sociologie des maladies mentales, il montre que la
définition de la folie et les manières de la traiter varient selon
les sociétés.
En 1959, il fut nommé professeur d’ethnologie et de sociologie
religieuse à la Sorbonne. Dans les dernières années de sa vie, il
dirigea le Centre de psychiatrie sociale et le Laboratoire de
sociologie de la connaissance où il forma de nombreux étudiants.
Il a laissé une œuvre très riche, orientée autour de trois thèmes
: l’ethnologie religieuse, l’acculturation et les rapports entre
inconscient et société.

ADOLF BASTIAN

Bastian, Adolf (1826-1905), anthropologue et médecin allemand,


qui tenta de démontrer le caractère universel de certaines
croyances populaires. Né à Brême, Bastian fit ses études aux
universités de Berlin, Heidelberg et Prague. Dès 1850, il voyagea
à travers l'Asie, l'Afrique, l'Australie et l'Amérique du Nord et
du Sud, et, en 1860, il publia Der Mensch in der Geschichte («
L'homme dans l'histoire »), une étude anthropologique qui en fit
une figure de proue du diffusionnisme. Auteur prolifique, il
publia près de soixante ouvrages qui accordent un rôle primordial
à la psychologie dans l'interprétation de l'histoire des cultures
et apportent une contribution à l'étude comparative de
différentes cultures.

Par Fabien Bekale

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