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et la diversité
0 Unesco 1974
ISBN g z - ~ - n o ~ o ~ z(Unesco)
-o
Préface
JACQUES BERQUE
A B D E L W A H A B BOUHDIBA
J O H N S O N PEPPER C L A R K
ALISTAIR C. CROMBIE
MIKHAIL A. D R O B Y C H E V
PETER HARPER
SHUICHI K A T 0
ANDRAS KOVACS
Cinéaste né en Hongrie en 1925,dont la réputation dépasse les frontières
de son pays. Ses films les plus importants sont : Les intraitables (1964), Les
jours glacés (1966) et Les murs (1968). A u moment de ce colloque, il pré-
parait un film sur les conséquences sociales de la révolution scientifique et
technologique.
Notes sur les auteurs et sur les participants 9
ALI LANKOANDÉ
JEROME Y. LETTVIN
M O C H T A R LUBIS
ALI A . M A Z R U I
JOSÉ G U I L H E R M E M E R Q U I O R
M. S. NARASIMHAN
NASSIF NASSAR
LEON ROZITCHNER
FRANÇOIS RUSSO
O. P. S H A R M A
FRIEDRICH H. T E N B R U C K
YAHIA W A N E
JERZY A. WOJCIECHOWSKI
RAMON XIRAU
I - Science et culture
1 Faut-ilrappeler que la connaissance que nous appelons aujour-
’ d’hui scientifique,caractérisée par la méthode expérimentale et
’
bJ
dans la mesure du possible par les ressources du langage de la
quantité,précédant ou accompagnant l’expérience,s’est dégagée
lentement de la nébuleuse de connaissances et de démarches par
laquelle l’homme a essayé de comprendre l’universet de se situer
en lui.
La philosophie,en tant qu’activitéréfléchieet critique,a émergé
des mythes cosmologiques, premières tentatives d’explication de
l’origine du monde et de l’histoire,en vue de soumettre à la raison
la part la plus rationalisable de l’expérience humaine. La pensée
scientifique, elle aussi, inaugurée par les rites de la magie et les
recettes empiriques, s’est délivrée peu à peu de l’imaginaire,du
désirable et de l’instinctuel, pour se soumettre au contrôle des
faits répétés, mesurés et prévus.
Mais alors que se distinguent ainsi philosophie et science
comme méthodes d’approchedifférentes,le monde,face à l’homme,
dans la multitude de ses aspects, propose cependant la même
unité complexe et compacte. Et réciproquement l’homme, face
au monde, sous toutes les latitudes, est semblable à lui-même,
avec l’ensemble de ses facultés,potentielles ou actualisées,selon
Liminaire 15
I
la diversité de ses points d’attache à l’univers.I1 développe ici
ses facultéscognitives,là ses facultéscréatrices,ailleurs ses facultés
ludiques,le plus souvent toutes à la fois mais en inégales propor-
tions, et sans jamais les disjoindre de ses facultés de sociabilité.
L’hypothèsed’une mentalité prélogique est depuis longtemps
abandonnée par les sociologues des pays développés. Quant aux
autres, on les étonnerait fort s’ils en étaient informés,et rien ne
les empêcherait de soupçonner leurs interlocuteurs de mentalité
postlogique,et plus généralement de préjugés colonialistes.Non,
la raison est bien la même partout, mais diversement appliquée
à l’univers. Et, ne constituant pas une faculté séparée, elle se
manifeste à travers tout le prisme des activités humaines. I1 s’agit
toujours d’un même thème à travers la richesse surprenante de
ses variations.
3 - Science et technologie
I1 ne faut pas s’étonner,néanmoins, que l’univers scientifique
s’étant désolidarisé de l’ensemble de la culture, aujourd’hui,
renvoie à l’hommeune image déformée de lui-même,si bien qu’une
profonde inquiétude s’est emparée de la conscience du xxe siècle.
Inquiétude salvatrice,peut-être,parce qu’elle prouve la résistance
de l’hommetotal à se laisser réduire à un seul aspect de lui-même.
La science a si vite écartelé les limites du cosmos,elle a déplacé
tant de frontières entre les ordres de la matière, de la vie, et du
psychisme, elle a tellement modifié le réseau des relations sociales
que l’homme ayant vu bouger tous ses repères en a perdu toute
sécurité existentielle. Par compensation et pour retrouver son
assurance,il se tourne vers une multitude de sécurités technolo-
giques. Alerté cependant par les agressions dont son autonomie
et sa liberté sont déjà victimes de la part de toutes les manipula-
tions que les pouvoirs scientifiques font subir à la nature et aux
sociétés,il est alors amené à opposer à la prétention d’universalité
de la science une mise en question radicale non seulement des
résultats de la technologie mais de la validité de tout savoir scien-
tifique. C’est pourquoi voici le lieu de considérer l’articulation
de la technologie à la science,autre point névralgique,après celui
de la relation de la science à la culture.
Liminaire 19
1 - Activité humaine
La science est inséparable de ses conditions historico-sociales,
mais, parmi celles-ci,lesquelles sont les plus favorables au pro-
grès ? Dans quelle mesure la conjoncture culturelle au sens large
-physionomie d’une société,idées qui la traversent, sensibilité,
goûts, intérêts, état de l’équipement disponible, situation des
chercheurs - aide-t-elleà la découverte ou la freine-t-elle?
2 - L‘idée de lu découverte
3 - Les méthodes
Quelles que soient leurs différences d‘une science à une autre,
comportent-elles un acte mental analogue ? Dépasser le donné
par le construit caractérise-t-il aussi bien les mathématiques,
26 Document de travail
5 - Universalité de la science
Qu’entendre au juste par cette expression? S’agit-ild’unevertu
intrinsèque qui serait l’apanagede la science,s’agit-ildes qualités
Présence de l’homme total dans I’activité scientifique 27
6 - La foi en la science
Optimisme scientifique et relativisme scientifique :cette double
possibilité semble désigner de la part des savants des attitudes
culturelles différentes,si bien qu’on pourrait y déchiffrer un élé-
ment de foi (de croyance). Toute généralisation ne suppose-t-elle
pas une affirmation dépassant le champ de l’expérience?Les mathé-
matiques sans nul doute échappent à cette généralisation parce
qu’ellespartent du général,et cela signifie aussi qu’elles sont davan-
tage une logique qu’une science (connaissance du monde), mais le
choix des postulats ou des principes fondamentaux révèle,tout de
même,l’arbitrage d’un jugement de commodité,de cohérence ou
d’esthétisme. Si donc,déjà en mathématiques,intervient une part
de subjectivité,faudra-t-ils’étonnerqu’on puisse parler, s’agissant
de physique, de biologie ou de théories générales, d’une certaine
foi en la science ? Et sans doute faudrait-ildistinguer une foi dans
l’acte par lequel s’énonceune loi et une foi dans l’élan conquérant
de la science globalement prise. D e plus, une distinction s’impose
entre la foi bien fondée du savant qui fait la science,et celle d’une
majorité qui reçoit la science et se contente de l’appliquer.
II Genèse et aventure
de la tension culture-science
2 - Au temps présent
Cela pourrait conduire à se demander si le capitalisme,la
structure des sociétés au X I X ~siècle, et plus généralement la phy-
sionomie politique des continents ainsi que leurs réactions au
X I X siècle
~ ne sont pas, en partie,attribuables à la démiurgie scien-
tifique des pays industrialisés,emportés par les tentations de leur
réussite bien au-delà de leurs frontières.
Certaines structures sociales ont payé le prix de cette coalition
de la science avec la puissance économique. D’où les malentendus
d’un prolétariatindustriel national et d’un prolétariat international
(du Tiers Monde) aux prises avec la science.
1 - Au niveau originel
La dialectique homme-natureest-elle semblable dans toutes les
cultures ? Qu’est-ce qui caractérise les cultures africaines, asia-
tiques par exemple,par comparaisonavec les culturesoccidentales :
32 Document de travail
IV Thérapeutique
pour une conciliation
V Conclusion : Avenir de la
tension culture-science
\
la technologie à une culture renouvelée? S’avance-t-ellevers une ‘ , .
tension croissante ?
Bergson avait déjà dit que l’univers scientifique était comme
un grand corps en quête d’un supplément d’âme. Ce supplément il
4
d’âme faut-ill’attendred’un nouveau bond de la science ou d’une3
plus profonde et plus universelle culture de l’homme? A fournir?
ce supplémentd’âmetoutes les cultures sont conviées ; l’effortqua-i
litatif à entreprendre par chacune d’elles est-il le même ? A quel
niveau de profondeur une convergence ou une complémentarité
serait-ellepossible ? Et la science,par sa circulation et son exten-
sion, ne pourrait-elley aider grâce aux multiples moyens dont elle
dispose déjà,et à d’autresmoyens en cours d’inventionpeut-être?
Etudes
et discussions
Introduction*
de ces jeunes gens que dans les yeux injectés de sang de nos admi-
nistrateurs,le reflet d’un monde qui n’est plus un vaste enchaîne-
ment de forces mais un immense puzzle, dont les diverses pièces,
produits du hasard ou de l’artifice, sont assemblées de façon
soit arbitraire, soit conventionnelle. Les puzzles deviennent vite
ennuyeux : c’est pourquoi de nombreux jeunes physiciens et chi-
mistes s’oriententvers la biologie,et de nombreux biologistes vers
la médecine et les sciences sociales, afin de retrouver l’homme.
Cependant la nature de l’homme a été elle aussi corrumpue par
l’esprit de l’époque,par ce même Antéisme propre à toutes les
sciences qui ne s’organisentpas autour d’une théorie centrale.Les
tests psychologiques,l’observationdes effets de la stimulation céré-
brale, la découverte de ((centres ))(de la souffrance ou du plaisir,
par exemple) dans le cerveau,les tentatives faites pour donner la
vue aux aveugles en greffant une sorte d’appareil de télévisionrudi-
mentaire dans le cerveau,les expériences relatives à la dynamique
de groupe, l’étude du processus d‘apprentissagechez l’enfant,en
un mot l’ensemble des activités entreprises de nos jours dans le
domaine de la psychologie et de ce qu’on appelle les sciences du
cerveau,tout cela concourt à représenter l’homme comme le pro-
duit du jeu d’une série de stimuli et de réponses, susceptible de
subir des modifications contingentes,mais qui reste un mécanisme
d’horlogeriedont on peut démonter les rouages. L’épistémologie
est devenue un terme incongru,et c’est à juste titre que les informa-
ticologues qualifient le cerveau de simple ((machine de chair ».
C‘est dans cette optique foncièrement matérialiste et détermi-
niste, qui ramène en fin de compte le fonctionnement de l’esprit
à un mécanisme cartésien, que le spécialiste des sciences sociales
entreprend d’agirsur les groupes humains.On s’efforcemême,dans
la répartition des tâches,d’appliquer les méthodes utilisées autre-
fois par les physiciens. Le psychologue est chargé de mettre en
lumière les caractéristiques propres de la particule sociale qu’est
l’homme,cependant que le sociologue étudie la thermodynamique
des masses, définit la température sociale,l’ordre social,l’équilibre
social,etc. Pour lui,l’hommeest un ensemble de propriétés qui ne
peuvent être déduites que de l’agrégat social. La dynamique de
groupe n’apas plus de senspour l’individuque la températurepour
une particule isolée.Selon des théories antérieures,comme celle de
l’âme tripartite de Platon,inversée par Freud,la société et I’indi-
vidu se reflètent mutuellement ; mais c’est là une conception idéa-
Présence de l’homme total dans l’activité scientifique 51
figurent certains des fanatiques les plus dangereux que l’on ait
connus depuis saint Siméon Stylite - les traits figés, l’œilvide,
collaborateursanonymes à l’élaborationde programmes qui feront
disparaître,comme s’il s’agissait de palimpsestes,une poésie que
nul d’ailleursne comprend plus. C’està eux que la vérité est révélée,
et dans leurs calculs comme dans les prières des pères du désert,
ncs libertés,nos amours,notre sexualité et notre science se trans-
formeront en une poussière de données sensorielles discontinues.
La science parle, et les pauvres seront marqués jusqu’à la
n-ièmegénération. La science parle,et pas un passereau ne tombe
sans que la machine ne le happe et ne relève son numéro d’identi-
fication.La culture sera préservée,dans cet empire apostolique,et
présentée pendant le week-end sur les murs du musée I.B.M.
Impérialisme culturel, me direz-vous? Mais non : nos machines
porteront la marque du pays qui les commandera.Dans l’ensemble,
les hommes n’auront pas tellement changé. Ils seront parvenus à
l’identité par l’uniformité,comme on l’a prédit. Cependant, de
même qu’aujourd‘huiles émigrés russes à Chicago,ils exécuteront
des danses ukrainiennes une fois par semaine au moins pour ne
pas oublier leur patrimoine. Nos représentants commerciaux,
dûment initiés aux tabous de votre tribu, passeront bientôt vous
voir, et vous ferez affaire avec eux,vous n’avez pas le choix. Tels
sont en effet le nouveau rationalisme,le nouveau messie, la nou-
velle Eglise et le nouvel âge des ténèbres que nous allons connaître.
Discussioiz
1 - Du Moyen Age
au xxe siècle
P A R A . c. CROMBIE”
les sages, les vertueux et ceux qui sont en bonne santé N (ibid.,
p. 55). Cette cité horrible,née de l’imaginationde l’Arabed’Harran
mais bien connue sous sa version latine en Europe,reflète-t-elleles
possibilités malfaisantes, latentes chez tous les hommes,que seule
une civilisation scientifique peut efficacement concrétiser? Elle a
probablement servi de modèle aux Utopies de Giordano Bruno et
de Tommaso Campanella à une époque florissante en utopies scien-
tifiques.Est-ce la volonté de puissance qui,à ses débuts,a poussé
l’occidentmoderne à la conquête,malgré un bagage intellectuel et
technique qui n’étaitpas pour l’essentielsupérieur à celui des Grecs
de l’Antiquité? Pourquoi les Européens se sont-ils servis de la
science pour leurs agressions contre la nature et l’humanité alors
que les sociétésde l’Antiquiténe l’avaientpas fait?Le docteurYates
poursuit ainsi :((I1 s’agit d’un mouvement de la volonté qui donne
véritablement naissance à un mouvement intellectuel.U n nouveau
centre d’intérêt naît, dans un climat d’excitation émotionnelle ;
l’intellect va dans la direction que lui a indiquée la volonté et il
s’ensuitde nouvelles attitudes,de nouvelles découvertes.Derrière
l’apparition de la science moderne, il y a eu une nouvelle orienta-
tion de la volonté face au monde, à ses merveilles et à ses phéno-
mènes mystérieux, une nouvelle aspiration et une nouvelle résolu-
tion de comprendre ces phénomènes et de s’enservir ))(p. 448).
Quoi qu’onpuisse dire des Anciens,les autres sociétésmodernes
n’ont pas été en reste d’agressivitélorsqu’elles ont acquis de l’occi-
dent des connaissances scientifiques et techniques.Mais l’historien
de la pensée peut être trop facilementtenté de considérer les moti-
vations en termes d’idées abstraites.Lorsque Francis Bacon,Mer-
senne et Descartes entreprirent de maîtriser l’art de faire des
miracles naturels,ils partageaient sans aucun doute avec les magi-
ciens la volonté d’accéderà la puissance par la connaissance,avec
cette différenceque la connaissance à laquelle ils s’intéressaientétait
rationnelle et scientifique. L’expression ((magie naturelle dési-
gnait la science expérimentale,.et ce depuis Roger Bacon au
XIIP siècle.Peut-êtrecela indique-t-ilune orientation durable de la
volonté. Cependant,la recherche du profit a certainement renforcé
cette orientation.Quelle était la rentabilité des inventions décrites
dans les histoires de la technologie,qui les utilisait,et dans quelle
mesure la recherche scientifique était-elleliée à des applications
utiles et profitables? Ce sont là des questions que devraient exa-
miner ensemble les spécialistes de l’histoireéconomique et socialeet
Du Moyen Age au Xx’ siècle 71
Bibliographie
Discussion
-
G. Monod-Herzen. M.Berque a posé la question de savoir si la
science risque de détruire les cultures, et jusqu’à quel point. Je pense
qu’il faudrait plutôt dire transformer, et que, si un passé disparaît,
c’est en fonction d‘un avenir qui peut fort bien être un progrès, I1 y a
un point sur lequel tout le monde peut se mettre d‘accord :c’est qu’il
existe une donnée des sciences, la méthode scientifique, qui peut être
adoptée sans aucun danger par n’importe quelle culture. I1 est certain
que la science risque de faire évoluer les cultures, mais d‘une manière
qui m e paraît naturelle. C e qui nous laisse espérer, pour l’avenir, la
constitution d‘une unité culturelle humaine. Quant à la forme des chan-
gements que la science peut faire subir aux cultures, eiie dépend essen-
tiellement de ce qui est accepté ou refusé par ceux qui reçoivent une
culture étrangère. Et ce qui est accepté ou refusé dépend de l’évolution
psychologique des individus, de la forme qu’elle a prise, et j’en citerai
un exemple assez frappant. Au lxe siècle, un savant arabe, Djabir, a
écrit un Traité des balances, qui est une préfiguration des idées de
Lavoisier. Djabir n’était pas moins intelligent que Lavoisier, et il dis-
posait de moyens assez comparables à ceux que l’on a eus plus tard en
Europe, mais l’idée de Lavoisier ne faisait pas partie de l‘univers qu’il
acceptait. D e sorte qu’il s’est arrêté à la porte.
Donc, au bout du compte, le problème de l’homme se ramène au
problème de l’homme total, de sa culture, c’est-à-direde son dévelop-
pement. L‘homme n’est pas statique. D e m ê m e qu’il n’y a pas de pays
développés qui ne soient plus en développement, il n’y a pas d’individu
qui ait fini d‘être un h o m m e parfait. Je crois donc que c’est vers l’avenir
qu’il faut diriger nos efforts pour arriver à concilier ce qui nous paraît
actuellement inconciliable.
-
H.Marcovitch. L‘existence m ê m e d‘une culture scientifique est
impensable au moins à notre époque, où la spécialisation croissante
isole de plus en plus les chercheurs et rend sans cesse plus difficile la
communication des résultats de leurs travaux.
-
M.S. Narasinhan. L a découverte n’est pas entièrement ration-
nelle ; elle va au-delà des limites de la raison, et l’imagination y joue un
rôle majeur.
Du M o y e n A g e au XX‘ siècle 83
L e volontarisme scientiJique
Lorsque,au X V I I Isiècle,
~ les intellectuelsont construitautour de
la science (en englobant dans ce terme les sciences de la nature et
les autres sciences) une croyance semi-religieuseselon laquelle les
hommes pourraient se racheter,individuellementet collectivement,
grâce à la science,ils ont également créé le problème ((de l’esprit
scientifique et des masses ». Ce problème est resté, depuis cette
époque,un de leurs sujets favoris.Lorsque les nations se sont lan-
cées dans la voie de l’industrialisation,elles ont dû vaincre l’igno-
rance et la résistance de la masse du peuple, étant donné qu’une
certaine familiarité avec la science, ses méthodes et ses résultats
devenait indispensable à la fois pour que la science progresse et
pour que les individus remplissent leur rôle dans la société.Tous
les pays en voie d’industrialisation étaient obligés d’adapter leur
système d’enseignementà ces besoins, et ils l’ont fait,fût-ceavec
parcimonie,hésitation ou retard.
Cependant, la résistance à la science a été surmontée et la
science jouit dans les pays développés d’une autorité illimitée. Les
changementsintervenusdans le travail,I’enseignementet les moyens
d‘information,de même que les succès manifestes de la science ont
amené les masses à accepter son autorité. De plus, de larges sec-
teurs de la population ont maintenant une compréhension rudimen-
taire de l’approchescientifiqueet leur attitudegénérale est au moins
conforme à la méthode scientifique,c’est-à-direexpérimentale,réa-
liste,pragmatique,empirique.L’écoleet le travail familiarisentune
proportion sans cesse croissante de la population avec les éléments
de la scienceou avec tel secteur de la science appliquée.La tendance
à la professionnalisation montre que la méthode et les connais-
Au temps présent dans les pays industrialisés 101
L e mouvement de contestation :
crise passagère ou signal d’alarme ?
Conclusions
Bibliographie
Il ne manque pas de publications sur les divers thèmes de cette étude. Mais
cette documentation est très dispersée,notamment en ce qui concerne les données
historiques et sociales. L a présente bibliographie ne peut que mentionner un
certain nombre d‘ouvrages qui traitent de façon plus ou moins approfondie
certains de ces thèmes.
Discussion
-
R. Xirau. Je ne suis pas entièrement d‘accord avec le professeur
Tenbruck. D’une part, je préférerais que l’on parle de ((civilisation
scientifique 1) plutôt que de (
(culture scientifique D. Ainsi se trouveraient
mieux prises en considération les conséquences sociales de l’impact de
Au temps présent dans les pays industrialisés 115
-
P.Biquard. Je voudrais souligner le rôle de la communauté scien-
tifique dont le professeur Tenbruck a parlé dans son étude. O n doit
rappeler la crise de conscience provoquée chez les savants par la décou-
verte de la fission nucléaire en 1938, lorsqu’ils se sont rendu compte de
l’utilisation militaire qui pouvait en être faite. Certains, tel Szilard,
auraient voulu que cette découverte demeurât secrète, mais d‘autres
savants, en particulier Frédéric Joliot-Curie, s’y opposèrent, déclarant
que l’on ne pouvait pas arrêter le progrès de la science et que, s’ils ont
des devoirs spéciaux à cet égard, les scientifiques ne sont pas les seuls
responsables des utilisations qui peuvent être faites de leurs découvertes.
Pour ce qui concerne la culture je voudrais citer cette définition de
Paul Langevin (1931) :
((Etre cultivé, c’est avoir reçu et développer constamment une initia-
tion aux différentes formes d‘activité humaine, indépendamment de
celles qui correspondent à la profession, de manière à pouvoir entrer
largement en contact, en communion avec les autres hommes. ) )
-
D.Dickson. I1 est impossible de séparer la science de l’usage qui
en est fait par la société. C e qui aujourd’hui mérite surtout notre atten-
tion, ce n’est pas la question des deux cultures, c’est-à-direl’opposition
entre la science et l’humanisme,mais le problème de la civilisation scien-
tifique.-Lemouvement antiscientifique actuel se présente c o m e une
Au temps présent dans les pays industrialisés 117
L‘infrastructure indispensable
Risques d’aliénation
L‘expérience nippone
Bibliographie
Discussion
-
N.Nassar. Tout en reconnaissant que le monde arabe d‘aujour-
d‘hui ressent très profondément le besoin de la science et de la techno-
logie, il faut noter que Son n’y perçoit pas une attitude vraiment favo-
rable à leur insertion dans les structures culturelles et sociales. Cet
état de choses est assez étonnant s’agissant d’une civilisation qui a un
si glorieux passé scientifique. I1 paraît dû d‘abord à une trop grande
influence de l’idéologie prophétique. I1 s’explique aussi par le sous-
développement de l’éducation, et par la domination de la culture
littéraire, principalement poétique, et aussi de la culture juridique qui
Au temps présent en dehors des pays industrialisés 127
1 - Au niveau originel
P A R J. B E R Q U E
L e problème
La méthode
Ce débat,on peut l’aborderde différentes façons.Celle que j’ai
choisie procède de l’observation et se veut radicale dans la mesure
où elle entend K prendre les choses à la racine D. Quelles choses ?En
premier lieu la vie d’une communauté concrète. Quelles racines ?
Celles que découvrent les relations élémentaires d’un groupe avec
son écologie.Lesinductionsainsi faitespourront,dans un deuxième
temps,se projeter sur des ensembles plus larges et plus complexes.
La justification de cette démarche n’est pas seulement métho-
dologique,pour autant qu’elle se propose d‘expliquer le plus par
le moins complexe,le plus par le moins médiat. Elle s’imposepar
sa liaison même au thème du débat qui nous est proposé. Ce thème
postule en effet une sorte de partage du comportement social entre
une ( (objectivité visant la pratique et la connaissance d’une part,
et d’autre part une ((subjectivité ))de sentiments,d’expressions,de
qualifications.Or,prenons-ygarde :considérer ces derniers aspects
comme la conséquence,ou mieux comme le ( (reflet N des premiers
ne ressortit pas à l’observation,mais à un choix philosophique.
Choix grave,puisqu’il impliquerait à terme une dévaluation de ce
qu’on appellerait,de façon assez étroite, cultures », par rapport à
ce que l’on appellerait,de façon non moins étroite, ((science N.
D’où, en définitive, le problème de savoir si la science,appelée à
modifier de plus en plus notre contexte matériel et nous-mêmes,
n’effacera pas à plus ou moins long terme la pluralité des cultures
du monde.
En fait,toute culture,celle des Aruntas comme celle des Anglais
ou des Chinois,comporte statutairement :
I) l’approfondissementdu milieu par la connaissance,
2) la transcription de cette connaissance en moyens d‘agir, et,
réciproquement,
3) les correspondances de ceci et de cela en ((qualité ))humaine
(contentons-nouspour l’instantde ce mot très vague), et encore
et surtout,
4) le réglage de ces correspondances entre catégories les plus
diverses. Ni la ((culture ) )ne peut se passer de I) et 2 ), ni la
science ))ne se conçoit ni n’agit indépendamment de 3) et
de 4). A l’échelle de la planète,dissocier l’une de ces tâches des
autres,opposer par exemple l’universalitéde la science à la frag-
Au niveau originel 137
Retour à la base
Discussion
Etude de cas :
LA SCIENCE ET LA TECHNIQUE
ET LES C H A N G E M E N T S SOCIO-CULTURELS
D A N S L’INDE R U R A L E
P A R O. P. S H A R M A
Cliangernents
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170 Sociologie de la tension aujourd'hui
Discussion
-
A. A. Mazrui. J’ai quelque difficulté à accepter la distinction entre
le noyau et la périphérie que le professeur Sharma a mise à la base de
son exposé. D’une part, ces deux concepts souffrent d’une certaine équi-
voque, Par a noyau ))d’une culture, doit-on entendre ce qui ne doit pas
changer ou bien ce qui n’a pas changé ? D’autre part, il conviendrait
d’être attentif au fait qu’il y a d‘étroites relations entre le noyau et la
périphérie.
O.P.Sharma.-Je n’ai jamais dit qu’en Inde il n’y avait pas d’arti-
culations entre le noyau et la périphérie.
Au niveau originel 173
-
P.Kirpal. J’ai été trés intéressé par l’exposé du professeur Sharma.
Mais je crois qu’il a trop tendance à généraliser en étendant à l’Inde
tout entière des observations qu’il a faites en milieu rural et dans une
région particulière.Or l’Inde est très pluraliste,extrêmement diverse dans
sa culture et dans ses structures sociales. D’autre part, on doit souligner
qu’en Inde c’est chez les élites que l’on trouve l’attachement le plus pro-
fond aux traditions. Enfin, je pense que l’évolution sociale en Inde se
fait plus rapidement et plus aisément qu’on ne l’a dit. Ainsi, aux récentes
élections, contrairement aux pronostics de la presse, la division en castes
a finalement joué un rôle assez faible.
2 - A u niveau de transition rapide
P A R M . A. DROBYCHEV
Notes bibliographiques
1. BARTHOLD,V. Kiil’turamusrrl’rnanstva.[La culture de l’Islam.]SoCienenija.
Vol. VI, p. 81. Moscou, 1966.
[Er~vres.]
2. MARX, K.L e capital. Critique de l’économie politique. Dans ; Marx, K.;
Engels, F. SoCieneniju. [Euvres.] Vol. XXIII,p. 498. Moscou, 1960.
SCIENCZ -7
194 Sociologie de la tension aujourd’hui
I - LA CONCEPTION D E L A C U L T U R E
C H E Z M A R X ET F R E U D
Conclusions
II - U N EXEMPLE,
LES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE
III - RUPTURE
D E L’ÉQUILIBRE N A T U R E - C U L T U R E
ou INTÉGRATION
IV - ÉLITES SCIENTIFIQUES
ET ANALPHABÉTISME CULTUREL :
RÉACTION DES M A S S E S
V - MODIFICATlONS CULTURELLES :
REJET O U ASSIMILATION D E LA SCIENCE
ET DE LA TECHNOLOGIE
VI - CRISE D E L’ÉDUCATION
ou C R I S E D E L A SOCIÉTÉ ?
Origines de la révolution
Spéc$cité de la contradiction
entre la culture et la scierice
dans le socialisme soviétique
Bibliographie
G.; DUBARLE,R.P.et al. L‘hommedevantla science.Rencontres
BACHELARD,
internationales de Genève. Neuchâtel,La Baconnière,1953.
BIRMAN, A. et al. Las reformas econdmicas de la Europa socialista. Buenos
Aires,CentroeditordeAmerican latina,1969.
FREUD, S.L e malaise dans la civilisation. [Dus Unbehagen in der Kultur.] Paris,
PressesUniversitairesde France,1971.
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Payot,1950.
GALBRAITH, J. K.L e nouvel Etat industriel. Paris,Gallimard,1968.
GARAUDY, R.Le grand tournant du socialisme. Paris,Gallimard,1969.
MARCUSE, H.L’homme unidimensionnel. Paris,Editionsde Minuit, 1968.
MARX,K.Fondements de la critique de l’économiepolitique. Vol. II.[Grundnisse
der Kritik der politischen Okonomie.] Paris,Anthropos, 1968.
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Produktion vorhergehen.] Guvres, Economie II. Paris, Gallimard, 1968.
(Coll.(< Pléiade N.)
-. L e capital. Paris,EditionsSociales,1950-1960.
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1969.
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PETRAS,J. La K armonia de intereses>) :ideologiade lasnacionesdominantes.
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Buenos Aires, V.a época,aiio VI,no 1, 1961.
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Gallimard,1955.
SIMONDON, G.D u mode d’existence des objets techniques.Paris,Aubier,1958.
VIGIER, J. P.; WAYSAND, G.Revolucidn cientijîca e imperialismo. La Havane,
1968.
Discussion
R. Habachi. -J’ai été vivement intéressé par l’exposétrès riche et
très dense du professeur Rozitchner.Marx et Freud constituentbien deux
symboles majeurs pour l’étudede la tension culture-scienceaujourd‘hui
228 Sociologie de la tension aujourd’hui
-
L. Rozitchner. Effectivement, le mot rationalité n’a pas toujours
le m ê m e sens dans m o n exposé. Mais on trouve cette diversité chez Marx
lui-même où elle procède de la dialectique suivante :la protestation révo-
lutionnaire qui vient des masses ouvrières fait apparaître l’irrationalité
du système qui leur est imposé au nom d‘une rationalité à laquelle doit
être substituée une rationalitéplus profonde, plus totale, qui montre aux
hommes l‘essence de leur vie et de leurs relations.
-
J. Y.Leitvin. Je ne saisis pas l’usage qui est fait dans cette discus-
sion du terme rationalité. Je demande que l’on appelle sentiment et non
rationalité ce qui n’est que sentiment. Pour moi, la rationalité est ce qui
permet d’aller de prémisses à des conclusions.
\
A un niveau très élaboré 229
-
L. Rozitchner. L e docteur Drobychev se livre à une généralisation
contestable :il y a d'autres formes de socialisme que celle que nous pré-
sente l'Union soviétique.
Je répondrai à M.Russo que le système de production n'est pas à
entendre au sens étroit d'une production uniquement économique, mais
d'une production d'hommes, c o m m e l'a précisé Marx dans les textes
cités.
M. Russo soutient que la distinction entre élites et masses se ren-
contre dans tous les systèmes économiques et sociaux, aussi bien socia-
listes que capitalistes. A cela je réponds que les relations entre élites et
masses ne sont pas les mêmes dans les systèmes capitalistes et dans les
A un niveau très élaboré 231
1 - Pays émetteurs
de science moderne
P A R J. G . MERQUIOR”
L’((existence technologique 1)
Les modes de vie de la société industrielle avancée ne sont que
la forme ultime d’une évolution culturelle éclose en Europe vers la
moitié du X V I Isiècle,
~ au moment où,dans un Occident qui avait
repoussé les dernières menaces de l’Islam,on assistait à la consoli-
dation de 1’Etat national, à la première lancée systématique de
l’économiecapitaliste,à l’inflexionde l’éthos chrétien dans le sens
d’un ((ascétismeintramondain ))(Weber) développé surtoutau sein
du calvinisme ou du catholicisme inspiré d’Ignacede Loyola, à la
création de la science moderne par Galilée et Newton et d’une
philosophie -inaugurée par Descartes -dont le but avoué était
d’harmoniser les grands concepts de l’ontologie classique avec la
nouvelle vision physico-mathématiquede l’univers.
Max Weber a cerné le noyau de cette évolution dans le terme,
aujourd’hui célèbre, de rationalisation. Si l’on admet qu’il y a
quatre grands types d‘action sociale :l’actionprincipalement régie
par l’obéissanceà la tradition,l’action régie par des pulsions affec-
tives ;l’actionrégie par la foi en des valeurs absolues ;enfin,l’action
rationnelle par rapport à la fin (zweckrational),analogue à l’action
logique de Pareto, tout se passe en effet comme si, depuis i’âge
moderne, la culture occidentale privilégiait le dernier type d’acti-
vité sociale; celui-ci tend de plus en plus à prédominer sur les
autres espèces de comportement,et à étendre son hégémonie à tous
les domaines de la société.Cet impérialisme de l’actionrationnelle-
par-rapport-à-la-fin, de l’actioninstrumentale ou pragmatique,sin-
gularise la culture de l’Occidentmoderne ;c’est lui qui engendre des
manifestationsaussi différentes que la science exacte ou la musique
polyphonique,la rationalisationpoussée du droit (préfigurée par le
monde romain) et la bureaucratie rationnelle des Etats nationaux
ou l’entreprisecapitaliste,avec sa comptabilitéprécise et son éthique
commerciale dépouillée de toute concession à l’affectivité.
Ainsi,bien qu’à l’origine elle ait été puissamment stimulée par
des conduites religieuses (les affinités de la sotériologie puritaine et
de l’espritcapitaliste sont connues), la rationalisation a donné lieu
à un recul général des formes d’action,de pensée et de sensibilité
attachées à des valeurs proprement religieuses ; elle s’est nourrie
d’un progressif ((désenchantement ))du monde, pour employer
l’heureuse expression de Schiller qu’affectionnait Weber. Intime-
236 Thérapeutique pour une conciliation
Bibliographie
Discussion
-
R. Habachi. Je suis heureux de voir un représentant du monde
étudiant apporter un tel témoignage.
-
A. A. Mazrui. C o m m e le thème de l'universalité de la science se
trouve au point de départ des réflexions de ce colloque, je souhaite que
l'on soit davantage attentif à deux perspectives complémentaires :l'uni-
versalité de la science, le caractère local des cultures. Mais une univer-
salité se dessine aussi dans le domaine des cultures en ce sens que le
monde tend à devenir une fédération de cultures, et qu'entre les cultures
les échanges se font sans cesse plus nombreux. Ayant fait des conférences
dans de nombreux pays, l'Inde, Singapour, les Etats-Unis, le Kenya
notamment, et ayant pu partout m e faire comprendre en parlant l'anglais,
j'ai été frappé par le développement de la compréhension mutuelle, ainsi
que par les intérêts et préoccupations très semblables des publics si
divers par la race et la culture avec lesquels j'ai été ainsi en contact. A
ce développement d'une telle culture mondiale, les sciences humaines
apportent une très efficace contribution. J'ajouterai cette importante
remarque :alors que les éléments esthétiques de la culture conservent le
plus souvent un caractère local, les éléments philosophiques et religieux
apparaissent beaucoup plus aisément universalisables.
-
A. Kovbcs. I1 y a une contradiction entre l'idée d'une autocritique
de la science et celle d'un contrôle de la recherche. A m o n avis, m ê m e
dans les scienceshumaines, il faut assurer la pleine liberté de la recherche.
D'ailleurs la science, par sa nature même, comporte toujours une auto-
critique. Si le savant était satisfait des résultats de sa recherche, il ne
chercherait plus. Mais, pour résoudre les problèmes que pose la science
à la société, il faut sortir du domaine de la science.
-
R. Habachi. Evidemment, la vérité ne doit faire peur à personne.
Aussi bien ne s'agit-il pas de suspecter la vérité scientifique,mais de dis-
tinguer la science de ses applications. C'est sur les applications de la
science beaucoup plus que sur la science elle-mêmeque doit porter l'auto-
critique. I1 reste cependant que, c o m m e il y a toujours un lien entre le
Pays émetteurs de science moderne 251
savoiret l'utilisation que l'on en fait,et que l'homme est toujours tenté
d'utiliser son savoir pour exercerun pouvoir,l'on ne peut pas ne pas se
soucier de la manière dont agissent les scientifiques.
M.S.Narasimhan. -Les spécialistesdes scienceshumainesne sont
pas enmesure decritiquerlascience.Au mieux,ilsaccèdentà uneversion
popularisée de la scienceet leursjugementsviennent trop tard -après
que la bombe atomique a éclaté.Seuls les scientifiquespourraient criti-
querlascience;maisen raisondelaspécialisationcroissantedessciences,
il devient de plus en plus difficilemême pour eux d'apprécier les consé-
quences éventuelles des découvertes scientifiques.
2 - Pays récepteurs
de science moderne
P A R A . BOUHDIBA
est une belle trop bien gardée !Qui dira combien les secrets et les
brevets nuisent à l’effort d’industrialisationdu Tiers Monde,com-
bien ils rendent sa production peu compétitive, peu rentable,et
combien finalement la dépendance risque par là même de se per-
pétuer indéfiniment.Ni les problèmes du développement,ni ceux
que pose l’affrontementde la science et de la culture ne peuvent
trouver de solution si la science demeure un domaine privé et non
un patrimoine universel.II y a là un champ d’actionimmense pour
l’Unesco et pour les autres organisations internationales. Pour
lutter contre cette utilisation abusive de la science, soit à des fins
de domination militaire, soit à des fins de spéculation industrielle,
l’Unescodevrait peut-êtreétudier les moyens propres à délimiter les
notions de brevet et de secret militaire.
La ((démystification ))et la ((psychanalyse ))de la science seront
d’autant plus aisées que nous aurons réussi à démonter le méca-
nisme de l’actescientifique.Car enfin beaucoup de nos techniciens,
de nos étudiants et même de nos savants,n’ayant pas directement
participé à l’élaborationdu savoir scientifique,ont tendance à le
croire issu de je ne sais quel génie mystérieux,de quelle grâce mira-
culeuse. Imbus d‘une idéologie positiviste, ils en sont restés à
Comte et à Poincaré. Ils croient que la science est sortie des cer-
veaux occidentaux comme jadis Minerve était sortie,tout armée et
casquée, du cerveau de Zeus.Ils ne se rendent pas compte que la
science n’est pas l’absolu mais le relatif, c’est-à-direqu’elle est
rationnelle et dialectique ou, si l’on préfère, ((surrationaliste 1).
Elle est dialogue continu du monde et de l’esprit et des savants
entre eux. Elle n’est pas définitive,elle n’est pas close. Elle est au
contraire ouverture et inachèvement. C e qui est acquis l’est provi-
soirement, en attendant d’être critiqué, remis en cause, élargi,
approfondi...C’est pour cela qu’il est absurde de penser que nos
sociétés sont venues trop tard. I1 y a des sociétés en retard,il n’y a
pas de sociétés tardives.
D’oùl’intérêt pédagogique et démystificateur de l’histoire des
sciences. Une découverte scientifique n’est qu’un moment de la
science.Non seulement l’histoiredes sciencespermet de reconnaître
et d’appréhender dans sa dimension tout humaine l’acte scienti-
fique,mais encore elle a l’incomparableavantage d’aider à situer
la sciencecomme effort de constructionet de réduction,non comme
((donnée ) )toute faite. L‘apprentissage de l’acte scientifique passe
par la répétition des actes scientifiques passés ; d’où l’importance
SCIENCE -
9
258 Thérapeutique pour une conciliation
place aux initiatives du présent. C’est pour cela que les cultures
closes se posent en adversaires irréductibles de la science et de la
modernité. Elles sont d’autant plus passéistes et archaïsantes que
parfois le modèle culturel qu’elles proposent,héros ou prophète,
est situé dans le passé. Les patterns culturels traditionnelss ont
d’abord une manière de renverser le cours du temps puisqu’ils
impliquent toujours que la grandeur,le bien, le vrai sont derrière
nous et non pas devant nous. C’est adopter d’embléeune attitude
à l’opposéde celle de la science.C’est aussi donner un semblant de
justification au comportement pseudo-progressistede tant de nos
jeunes acculturés,qui ne rêvent que de liquider la culture tradi-
tionnelle et les valeurs qu’elle véhicule et qu’ils ne peuvent guère
percevoir autrement que comme ((archaïques )), ((anciennes »,
((dépassées D.
C’est seulement dans ce contexte limité que la confrontation
entre la science et la culture peut paraître dramatique et sans issue.
Aussi nous faut-ilchanger notre perception des cultures tradition-
nelles et les démythifier à leur tour.Car,au fond,il s’agitpurement
et simplement d’unlegs à faire fructifier et non pas d’undouaire à
enfouir dans un coffre secret.Une culture n’estarchaïque que faute
de renouvellement. Les valeurs traditionnelles cessent de mordre
sur le réel parce qu’ellessont mises au service d’unestructuresociale
dont on a intérêt à maintenir les formes mystifiantes. Derrière les
cultures soi-disantspécifiqueset prétendument nationales,ce qui se
profile c’est trop souvent, hélas, l’exploitation d’une classe par
l’autre,d’une caste par une autre,d’un groupement social par un
autre. L’attachementexclusif à la culture originale n’est souvent
qu’une forme d’aliénation car, sous prétexte de (( spécificité »,
d’((authenticité D, de K respect de la tradition D, ce qu’on cherche à
maintenir, c’est la domination de l’homme sur la femme, des
adultes sur les jeunes ou des hommes des villes sur les paysans !La
perception de la culture qui en résulte est forcémenttruquée.Mais,
inversement,vouloir purement et simplementliquider la spécificité
culturelle du passé n’est guère plus sensé,car la science elle-même
est culturellement située.Ce qui compte en définitive,c’est le dia-
logue et non l’affrontementdes cultures.Et c’est en cela que réside
l’attitudeauthentiquementscientifique.
S’ilest vrai, en effet, qu’il y a une vraie et une fausse culture,
tout comme il y a une vraie et une fausse universalité,il est grand
temps de chercher à discerner dans l’héritage culturel le profond
262 Thérapeutique pour une conciliation
Bibliogsaphie
Discussion
M.S. Narasimhan. -U n e des manières les plus efficaces de démy-
thifier la science est de développer dans les pays peu avancés la recherche
fondamentale,et de faire en sorte qu’elle soit aussi autonome que pos-
sible. C o m m e l’a dit le professeur Bouhdiba, pour que la nature de la
science soit justement saisie, il importe d’insister davantage sur son
esprit que sur ses résultats.Cela suppose que les gouvernements ne voient
pas seulement la science dans une perspective de rentabilité.
Pays récepteurs de science moderne 265
-
J. Y.Lettvin. Je suis très heureux que cette question ait été sou-
levée. Ayant collaboré de longues années avec l‘historien des sciences
Georges de Santillana,j’ai acquis la conviction que l’histoiredes sciences
est une discipline d‘une grande portée culturelle. Mais elle ne doit pas
se limiter à rapporter les succès de la science. Elle doit aussi mettre en
évidence ses échecs, qui sont souvent beaucoup plus instructifs.
gories, d’autre part que les bénéfices que nous retirons actuellement de
la technologie ne doivent pas être obtenus au détriment des générations
futures.
2. L a technologie doit être développée dans le sens d’une meilleure
adaptation de l‘homme à la vie et de son épanouissement.
Enfin je souhaite que l’on révise profondément la conception actuelle
du développement de la technologie. A u lieu de développer à peu près
uniquement une technologie de grande échelle et visant le profit maximal,
il faudrait faire place à une technologie plus modeste et mieux adaptée
aux besoins et aux conditions locales. Sous cette dernière forme, la
technologie n’entrerait pas en conflit avec les cultures ;elle contribuerait
au contraire à leur sauvegarde,en m ê m e temps qu’elle les enrichirait.
1
P A R S. K A T 0
Elite Masses
1 U U
2 U P
3 P U
4 P P
Institutions
sociales Exemple
--.__________
Type de
6 ou 8 8
société
Caractéristiques de la science
Valeurs
et de la technologie
Bibliographie
différée -ce qui n’est d’ailleurs pas sans danger -il n’en va pas
de même ici, et l’on peut effectivement revoir,dès maintenant, la
notion d‘alphabétisation.
La tension entre la science et la culture nous paraît, en défini-
tive, moins un antagonisme irréductible qu’une étape du dévelop-
pement de toute société.La science ne peut régresser. Ou plutôt,
les hommes ne peuvent plus faire le projet utopique d’abandonner
les recherches scientifiques.L‘intégration de la science à la culture
mène donc forcément à un bouleversement de la culture - de
toutes les cultures. C‘est en cela que la science peut faciliter le
dialogue,qu’elle est un lien :la science -même ((exportée )) -
n’estjamais de la culture exportée ; science et technique sont uni-
versalisables,et peuvent être pratiquées par tous les hommes.Dans
cette communication,pourtant, il y a tension,et la tension vient
de ce que la science est véhiculée par une culture qui n’estjamais
universelle.Ainsi,il n’y a pas de science ((impérialiste ))ou com-
muniste », pas de science idéologique,mais il y a des idéologies du
développement scientifique,et ces idéologies sont inévitables.
En intégrant la science,la culture lui prête telle ou telle signi-
fication. C‘est pourquoi nous préférons l’expression : ajuster la
culture à la science,c’est-à-diredévelopper dans un même mouve-
ment technique et culturel,la société -c’est-à-direles hommes -
imprimant en dernier ressort sa direction à ce mouvement.
C’est que la foi en la science n’est pas autre chose que la foi
en l’homme. O n ne peut invoquer la nécessité d’un choix entre les
deux que si l’on s’entient à la séparation de l’humanismeclassique
entre les valeurs spirituelleset les valeurs matérielles.Cette distinc-
tion qui a envahi la vie quotidienne de tout l’occident chrétien
est-elle inévitable ? I1 serait par exemple intéressant de voir si elle
existait dans la culture africaine traditionnelle,ou si au contraire la
pratique religieuse,la pratiquemorale,la pratiquetechniqueétaient
en harmonie avec le rythme quotidien de la vie, sans rupture avec la
pratique sociale.
I1 n’en est pas moins vrai que la distinction existe et qu’on ne
peut l’araser sous le rouleau compresseur d’une propagande ultra-
scientifique. O n tire parfois argument de la baisse de la producti-
vité due au jeûne du Ramadan pour préconiser des vues ((matéria-
listes plus rentables. I1 nous semble cependant qu’on ne fait ici
qu’opposer l’idéologietechniciste à l’idéologiereligieuse et provo-
quer infailliblement une tension,la science étant présentée comme
Avenir de lii tension crrlture-science 299
Bibliographie
Discussion
AUTEURS ET PARTICIPANTS
REPRÉSENTANTS ou OBSERVATEURS
Organisation internationale
Organisation intergouvernementale
Autres organisations
BRITISH
SOCIETYFOR SOCIALRESPONSIBILITY
TNSCIENCE
:
M.David Dickson,secrétairegénéral.
CASA DE LA CULTURA EQUATORIANA (QUITO)
:
D‘ Luis Verdesoto-Salgado.
(FRANCE)
COMITÉ NATIONAL D’HISTOIREDES SCIENCES :
M.François Russo.
INTERNATIONALINQUIRERSON CULTURAL RELATIONSFOR THE FUTURE
:
M.Prem Kirpal.
PUGWASH CONFERENCES
ON SCIENCEAND WORLD AFFAIRS :
D‘Herbert Marcovitch,membre du Comité permanent du Mouve-
rient Pugwash.
Lubis, M., 57, 119-125,126, 228, Xirau, R.,58, 114,125, 150, 195,
267. 228,266.
mathématiques,74. cosmologie,62,63,64,65.
amoralisme de, 243. universel, univeusalisme, universa-
transfert,introductiondes,125, lité :
126,127,129,299. universel,domaineuniversel,207,
technocrates, 123-124,290. 209.
technocratie,296. universalisme, thèses universalis-
technologie,48,49,120. tes,135,223,245.
de conquête,212. universalité, 198, 206, 207, 208,
culturelle,212. 209, 213, 214, 215, 217, 222,
développement technologique. 225,250,261,265.
temps, 72,73,74,75. éléments universalisables,250.
Tiers Monde, 123, 127, 128, 130, non-universalité,213.
176,182,187,188,189,255,257, U.R.S.S.,Union soviétique,62,221-
258,259,265,268,293, 294. 227,290.
aide (assistance)aux pays du,294- origines de la révolution en,221-
295. 223.
développementde la culture dans utopie(s), 69,70,116,240,247,286.
le,181,182,187.
développementde la science dans valeirr(s), 88, 110,118, 121, 127,
le, 180,185,186. 156-157.198,220,246,247,249,
tolérance, 280. 261,262,265,266,271,272-273,
traditions,236. 274,276,278,279,280,281,282,
culturelles,265,282. 286,288,290,291.
orales en Afrique,266. centrales et valeurs marginales
travail, 48,96,205,222, 223, 246, (d’un système culturel), 156-
292. 157.
en équipes,288. collectives,269.
humain, 217. prométhéennes,239.
social,205,215,216. crise des, 237.
division sociale du, 141,209. jugement de, 214.
finalit6 du, 217. vie, 75,77,269.
organisation du,292. organisme(s) vivant(s), 71,74.
socialisationdu,288. qualité de la vie, 240.
Tunisie,265. le vécu, 114,133, 151.
Turkménie, 188. violence, 207,219,220.
vrai, vériié(s) :
Unesco, 230, 231, 249, 257, 265, vrai,209.
266,300. vérité(s), 45,63,67,91,114,148,
univers,cosmos, cosmologie : 208, 210, 215, 216, 217, 219,
univers,49,55,56,64,68,78,236. 220,225,250,253.
modèle fonctionnel de, 47.
cosmos,236. r( Welfare State )). 238.
Table
Préface 5
Notes sur les auteurs et sur les participants 7
Liminaire 13
Document de travail 23
Etudes et discussions
1. Présence de l’homme total dans l’activité scientifique,
par J. Y.Lettvin 43
II. Genèse et aventure de la tension culture-science:
1. D u Moyen Age au xxe siècle,par A. C. Crombie 61
2. Au temps présent dans les pays industrialisés,
par F.H.Tenbruck 85
3.Au temps présent en dehors des pays industrialisés,
par M.Lubis 119
III. Sociologie de la tension aujourd’hui :
I. A u niveau originel,par J. Berque 133
Etude de cas,l’Inde,par O.P. Sharma 155
2. Au niveau de transition rapide,par M.A.Drobychev 175
3. A un niveau très élaboré,par L.Rozitchner 197
IV. Thérapeutique pour une conciliation :
1. Pays émetteurs de sciencemoderne,par J. G.Merquior 233
2. Pays récepteurs de science moderne,par A. Bouhdiba 253
V. Conclusion :avenir de la tension culture-science 271
1. par S. Kat0 271
2. par A. Lankoandé 285
Conclusions et suggestions des participants au colloque 301
Liste des participants 305
Index 309
Imprimé en France, à Vendôme
Imprimerie des Presses Universitaires de France
Edit. no 32 804 -Imp. no 23 827
Dépôt légal. - 1" édition : le' trimestre 1974