Vous êtes sur la page 1sur 22

VOTRE DOCUMENT SUR LABASE-LEXTENSO.

FR

​Les deux faces d'un vieux débat : l'article 11


de la Constitution est-il une voie de révision
constitutionnelle ?
Issu de Revue du droit public - n°6 - page 1547
Date de parution : 01/11/2023
Id : RDP2023-6-012
Réf : RDP nov. 2023, p. 1547
Auteur :
Par Guillaume Glénard, Professeur de droit public, Université d'Artois

SOMMAIRE
I. — LA FACE VISIBLE : LA CONTROVERSE INSTITUTIONNELLE

A. — Une inconstitutionnalité patente


B. — Des objections non convaincantes
II. — LA FACE MASQUÉE : LES PRINCIPES EN CAUSE
A. — Le primat du principe démocratique ou l’impossible contrôle de la loi référendaire
B. — Le contrôle du projet de loi référendaire : l’incertain compromis libéral
Lorsque, le 20 septembre 1962, le général de Gaulle annonça son intention de soumettre sur le fondement de
l’article 11 de la Constitution au référendum le projet de loi constitutionnelle relative à l’élection du président de la
République au suffrage universel, il provoqua une tempête. Contournés, les parlementaires se cabrèrent. Alors
que le président du Sénat, Gaston Monnerville, parla de « forfaiture »1, l’Assemblée nationale, outrée par ce qu’elle
considérait comme une violation de la Constitution, vota le 2 octobre une motion de censure et renversa le
gouvernement Pompidou2. La polémique se focalisa ainsi sur une question de procédure : l’article 11 est-il une
voie de révision alternative à celle de l’article 89 de la Constitution ? La doctrine juridique ne fut alors pas en reste
et livra à l’histoire constitutionnelle de la Ve République l’une de ses grandes joutes. Assez naturellement,
l’attention se porta à la fois sur la lettre et sur l’articulation des dispositions en cause. Si les arguments tirés du
texte de la Constitution permirent à la plupart de conclure sans hésitation à l’inconstitutionnalité du référendum
du 28 octobre 1962, ils ne produisirent guère d’effet. Convaincu de la pertinence de la démarche, le général de
Gaulle la réitéra en avril 1969. Il le put faute d’arbitre véritable. Non point tant qu’il se considérât lui-même
comme tel conformément à l’article 5, mais parce que nul autre n’osa en arborer le titre. La compétence que le
Conseil constitutionnel préféra décliner eut pour conséquence d’introduire un hiatus dans notre droit
constitutionnel. Une loi constitutionnelle irrégulièrement adoptée reçut une application dès 1965 sans autre
conséquence que celle d’une participation des électeurs à la hauteur de l’innovation. En recourant à un
raisonnement purement formel, la première élection du président de la Ve République au suffrage universel
direct aurait pourtant pu être considérée comme invalide. Il n’en fut rien, et nul d’ailleurs ne s’aventura à le
soutenir.
Il n’en demeure pas moins que cette situation créa un embarras du côté de la doctrine en raison de la tension qui
la sous-tendait, celle d’un fait démocratique que personne ne pouvait et ne souhaitait contester, et la prise en

1/22
compte d’une préoccupation émergente, celle du renforcement du principe libéral dont la création du Conseil
constitutionnel fut interprétée a posteriori comme la manifestation. Si les institutions de la Ve République
n’ignorent pas le libéralisme ainsi qu’en témoigne la mention dans le préambule de la Constitution de 1958 de la
Déclaration de droits de l’homme de 1789, celui-ci n’a cependant pas été au centre de l’attention de leurs
fondateurs. Ce qui importe d’abord au général de Gaulle en 1958, c’est la restauration de l’autorité de l’État à
partir de l’établissement d’un régime constitutionnel légitime3. Cela supposait de constituer « un pouvoir et un
gouvernement »4 reposant sur une légitimité nationale – l’État gaullien est un État-nation – et une légitimité
démocratique – le gouvernement légitime est celui qui a la confiance du peuple5. À l’origine, il est donc surtout
question de renforcer le pouvoir de l’État et non de le limiter6. Les référendums constituants de 1962 et 1969 se
sont parfaitement inscrits dans cette perspective : solidifier la présidence de la République (1962) ; rétablir le lien
de confiance entre le peuple et son guide (1969). Les critiques qu’ils ont suscitées peuvent rétrospectivement
s’analyser comme des réactions de type libéral. Le président de la République ne peut user de la voie de l’article 11
à sa guise parce que justement la Constitution a vocation à limiter le pouvoir de l’État. Or, la « juridicisation de la
Constitution »7, conséquence du rôle que s’attribue le Conseil constitutionnel à partir de 1971, et son corollaire, la
prégnance croissante de la notion d’État de droit sur les esprits, entrent en conflit avec la légitimité nationale et
démocratique des origines. Jean-Marie Denquin l’a justement remarqué : « l’utopie des droits fondamentaux est
[…] construite – et l’on retrouve ici l’inspiration profonde du constitutionnalisme libéral – sur une méfiance de
principe envers la démocratie » dans son sens premier, à savoir un « gouvernement du peuple ». Certes, d’aucuns
ont cru trouver dans la « démocratie par le droit » la formule conciliatrice : la démocratie serait un régime qui «
fonde et garantit » le règne des libertés fondamentales. Or, cette coexistence n’efface pas la tension entre les
termes. Dans ce second sens, la démocratie est en effet « présentée comme la valeur suprême à l’aune de laquelle
doit être jugée, éventuellement écartée, la démocratie au premier sens »8. Bref, le droit a vocation à être le tuteur
du peuple. Pour le dire de manière plus policée, le peuple gouverne dans le cadre du droit, par conséquent dans
le respect des droits fondamentaux.
Ainsi, ce vieux débat portant sur la question de savoir si l’article 11 de la Constitution est une voie de révision
comporte deux faces. La première est celle, visible, de la controverse institutionnelle. Elle a donné lieu à de vifs
échanges sur le sens qu’il convenait de donner aux dispositions en cause de la Constitution (I). La seconde est
celle mettant en jeu des principes, mais passée à l’arrière-plan, masquée qu’elle a été par l’éclat de la
controverse (II).

I. — LA FACE VISIBLE : LA CONTROVERSE INSTITUTIONNELLE


Une lecture raisonnable de la Constitution de 1958 ne laisse guère de place au doute. Tout référendum
constituant organisé sur le fondement de l’article 11 ne peut être qu’inconstitutionnel. L’assertion n’appelle pas un
raisonnement compliqué ou subtil. Une analyse simple suffit à emporter la conviction (A). Si les gaullistes et
quelques rares auteurs soutinrent le contraire, leur argumentation demeure spécieuse au mieux byzantine (B).

A. — Une inconstitutionnalité patente


À qui veut bien procéder à une analyse de bon sens, l’article 11 n’est pas une voie de révision constitutionnelle. Le
titre XVI – initialement titre XIV9 – porte « De la révision » et contient un unique article – l’article 89 – dont le seul
objet est de fixer la procédure de révision constitutionnelle10. Nulle autre disposition ne traite explicitement de la
révision sinon l’article 85 aujourd’hui abrogé, lequel instituait, « par dérogation à la procédure prévue à
l’article 89 », une voie spéciale de révision des dispositions de l’ancien titre XII portant « De la communauté »11. Il
s’en déduit par un raisonnement a contrario des plus classiques que la révision de la Constitution s’opère, sauf
dérogation expresse, dans le seul cadre de l’article 89. Or, l’article 11 ne comporte aucune mention dérogatoire à
l’article 8912 , alors même qu’il est inclus dans un titre – le titre II consacré au président de la République – sans
lien avec la révision constitutionnelle. À supposer, comme on l’a prétendu, que l’absence de renvoi ne résoudrait
nullement le problème puisqu’au contraire elle le poserait13, il faudrait néanmoins expliquer préalablement
pourquoi le constituant aurait pris la peine de mentionner une dérogation dans un cas et pas dans l’autre. De
plus, si les dispositions des articles 11 et 89 établissaient des procédures de révision parallèles, n’aurait-il pas été
2/22
naturel à défaut de dérogation expresse qu’elles soient évoquées « soit dans les articles différents mais successifs
d’un même titre, soit, mieux encore, dans les alinéas d’un seul et même article »14 ? Cette analyse, qui s’impose
naturellement à la lecture du texte, est celle du Conseil constitutionnel15, celle du Conseil d’État16 et celle qui a
réuni la quasi-totalité des juristes17 et qui, les passions apaisées, n’est plus aujourd’hui discutée18.

Cette interprétation est corroborée par l’étude des termes employés dans les deux dispositions. Alors que
l’article 11 recourt à l’expression a priori large de « projet de loi » – ce qui à première vue n’exclut pas plus un projet
de loi constitutionnelle qu’un projet de loi ordinaire ou organique –, l’article 89 évoque un « projet de révision ».
Certes, un projet de révision est un projet de loi19 puisque son adoption en fait une loi constitutionnelle.
Cependant, la différence de vocabulaire n’est ni fortuite ni sans incidence car à ces deux mots ou groupes de
mots ne correspondent pas un même régime juridique. Elle renvoie en cela à deux notions distinctes. En premier
lieu, sur le plan purement lexical, cette différence s’inscrit dans le fil de la tradition constitutionnelle française,
laquelle n’use, pour évoquer la procédure de modification de la Constitution, d’autre mot que celui de «
révision »20. Jamais il n’est question de loi ou de projet de loi du moins sans autre précision. Lorsque ces mots
sont, dans la Constitution de 1946, utilisés pour décrire la procédure de révision, il leur est attaché un qualificatif
qui les distingue de la loi ordinaire : l’article 90, qui fixe la procédure de révision, prévoit que celle-ci débute par
l’adoption d’une « résolution », se poursuit par l’élaboration d’un « projet de loi portant révision de la
Constitution » voté dans les formes prévues pour la « loi ordinaire », s’achève par son adoption par référendum ou
par l’Assemblée nationale, avant que le texte soit promulgué comme « loi constitutionnelle ». Ainsi, toujours la
révision fut lexicalement distinguée de la loi. Et si la Constitution est une loi, elle n’est jamais qu’une loi
constitutionnelle, distincte de la loi, c’est-à-dire de la loi ordinaire. La Constitution de 1958 est fidèle à cet
héritage 21.
En second lieu, ce lexique constitutionnel ne se réduit pas à une simple question de vocabulaire. Il appelle en
effet l’application de régimes juridiques distincts. Dans le texte fondateur de la Ve République, la « révision » est
soumise aux limites imposées au pouvoir constituant : celles mentionnées à l’article 89 lui-même (atteinte à
l’intégrité du territoire ; forme républicaine de gouvernement), celles prévues à l’article 7 (vacance de la
présidence de la République ; empêchement définitif du président de la République). L’une et l’autre de ces
dispositions interdisent dans les cas qu’elles énumèrent non pas tout projet de loi, mais toute « révision »22. Cela
n’est donc pas un hasard ; il y a là une notion. Plus encore, si l’article 11 constituait une dérogation implicite à
l’article 89, il le serait également à l’égard de l’article 7 et s’en trouverait affranchi des limitations posées par l’un
et l’autre. Si en vérité s’agissant des limitations de l’article 7, la question est résolue par le fait que ce dernier
interdit durant la période d’intérim au président du Sénat d’exercer les attributions de l’article 11, s’agissant de
l’article 89, cela n’aurait pas de sens. Pourquoi serait-il possible de modifier la Constitution par une procédure et
non par une autre si la France était envahie comme elle l’a été en juin 1940 ? Comment expliquer qu’on pourrait
changer de forme de gouvernement dans un cas et non dans l’autre23 ? Nul n’a répondu. Deux objections
pourraient toutefois être envisagées. La première consisterait à affirmer qu’un référendum, en raison de sa
nature, ne serait jamais matériellement limité, y compris lorsqu’il est organisé sur le fondement de l’article 89.
Néanmoins, cela supposerait que le constituant ait précisé que la voie de l’article 89 est contingentée seulement
dans l’hypothèse où la révision est adoptée par le Congrès, ce qui n’est pas le cas. La seconde serait de considérer
que l’article 11 ne dérogerait implicitement qu’aux dispositions de l’article 89 régissant la procédure stricto sensu.
Les limitations du pouvoir constituant se trouveraient ainsi hors du champ de la dérogation. À cet égard,
l’article 89 aurait une portée générale s’étendant à toute révision quelle que soit la procédure requise. Cela
manquerait de cohérence. Pourquoi la dérogation ne serait-elle que partielle et pas totale ? Sans doute, cette
opinion pourrait s’appuyer sur l’ancien article 85 qui, dérogeant expressément à l’article 89, permettait la révision
sous réserve du respect des limites énoncées par ce dernier. En effet, le champ de la dérogation de l’article 85 ne
portait que sur la procédure puisqu’il disposait : « Par dérogation à la procédure prévue à l’article 89, les
dispositions du présent titre qui concernent le fonctionnement des institutions communes sont révisées par des
lois votées dans les mêmes termes par le Parlement de la République et par le Sénat de la Communauté. » Il
pourrait alors être soutenu qu’à l’instar de l’article 85, l’article 11 n’est qu’une dérogation de procédure. Toutefois,
pour que l’argument d’analogie soit valable, il faudrait pouvoir étendre la règle prévue pour une situation à une
situation semblable non prévue 24. Or, puisque l’article 85 énonce explicitement une dérogation que l’article 11 ne

3/22
mentionne pas, il ne peut être inféré de la circonstance que le premier circonscrit le champ de la dérogation à la
seule procédure qu’il en irait de même du second. Cela d’autant plus que dès lors que l’article 11 ne fixe d’autres
limites au référendum constituant que celles relatives aux matières qu’il énumère (organisation des pouvoirs
publics, etc.), il peut raisonnablement en être déduit qu’aucune autre limite ne s’impose. Toute autre
interprétation confinerait à l’absurde. Elle supposerait d’imaginer que sur une question aussi importante que la
révision constitutionnelle, le constituant serait resté flou : il aurait négligé de préciser que l’article 11 institue une
procédure dérogatoire à celle de l’article 89 alors qu’il l’a fait à l’article 85, et n’aurait donné aucune indication sur
l’application ou la non-application des limites énoncées à l’article 89 au référendum de l’article 11. On dit parfois
que les juristes ont de l’imagination, mais ce serait dépasser les bornes du raisonnement juridique le plus hardi
que de croire qu’il aurait pu en être ainsi, d’autant plus que les travaux préparatoires à la Constitution ne livrent
aucun indice contraire25.

Cette intention « en creux » du constituant a d’ailleurs fait l’objet d’une actualisation lors de la révision du
23 juillet 2008. Celle-ci a modifié l’article 61 de la Constitution en y insérant un mécanisme de contrôle de
constitutionnalité préalable des propositions de loi référendaire d’initiative partagée avant toute poursuite de la
procédure26. La raison de cette innovation a été clairement explicitée ; il s’agit de prévenir toute violation de la
Constitution, plus particulièrement des libertés constitutionnelles, que la jurisprudence de 1962 ne permettrait
pas de censurer après la votation27. Or, à partir du moment où le référendum d’initiative partagée et le
référendum d’initiative présidentielle portent sur les mêmes objets28, la circonstance que l’objet du premier ne
peut être contraire à la Constitution signifie implicitement mais nécessairement que l’objet du second ne peut
l’être davantage. Pourquoi l’occasion n’a-t-elle alors pas été saisie pour le dire explicitement ? Simplement parce
que l’on n’a pas souhaité rouvrir un vieux débat29. Quoi qu’il en soit, à cette argumentation juridique à la fois
classique et simple, du moins dans son premier développement, il a été opposé des arguments bien souvent
spécieux ou byzantins dont les seuls mérites auront été de montrer que la Constitution aurait gagné à être plus
précisément rédigée.

B. — Des objections non convaincantes


Dans son allocution télévisuelle du 20 septembre 1962, le général de Gaulle justifia le recours au référendum de
l’article 11 pour modifier la Constitution au regard de la lettre du texte et de l’esprit des institutions. Si la parole du
fondateur de la Ve République ne saurait être prise à la légère, elle ne saurait non plus l’être pour argent
comptant. Car derrière un plaidoyer en apparence convaincant, les arguments se révèlent juridiquement peu
solides. Preuve en est les difficultés éprouvées par les quelques rares auteurs qui, pour les étayer, n’ont guère
réussi qu’à s’enferrer dans de vains raisonnements.

1. L’impasse des arguments tirés de la lettre de la Constitution


Se référant au texte même de la Constitution dont il a profité d’une certaine « ambivalence »30, le général de
Gaulle déclara le 20 septembre : « le président de la République peut proposer au pays, par voie de référendum,
“tout projet de loi” – je souligne : “tout projet de loi” – “portant sur l’organisation des pouvoirs publics”, ce qui
englobe, évidemment, le mode d’élection du président »31. Autrement dit, puisque l’article 11 n’adjoint pas
d’adjectif restrictif au mot « loi », celle-ci peut être de nature législative, organique ou constitutionnelle. Par
ailleurs, dès lors que ce projet de loi peut porter sur les pouvoirs publics, qu’au nombre des pouvoirs publics
figure le président de la République, toute disposition constitutionnelle intéressant ce dernier peut donc être
modifiée par la voie de l’article 11. Emboîtant le pas du Général, une doctrine minoritaire s’est focalisée sur
l’article 11 et a opposé plusieurs objections à l’argumentation simple retenue par la plupart des auteurs
précédemment exposée.

La première objection est celle bien connue formulée par Pierre Lampué. Elle porte sur la valeur de la loi
mentionnée à l’article 11. Parce que nul ne contesterait que l’article 11 ne viserait pas seulement les lois ordinaires
mais également les lois organiques et que l’article 46 prévoit une procédure spéciale à l’égard de ces dernières, il
faudrait admettre qu’il permettrait tout autant de déroger à cette autre procédure spéciale qui est celle fixée par
l’article 89 pour réviser la Constitution. En d’autres termes, si l’article 11 ne concernait pas les lois

4/22
constitutionnelles, il en irait de même des lois organiques puisqu’il ne déroge pas plus explicitement à l’article 46
qu’à l’article 8932. Ainsi, la formule « tout projet de loi […] englobe[rait] a priori l’ensemble des actes de ce genre,
partant les projets de loi de révision puisqu’aussi bien ceux-ci n’en sont pas exclus »33. Cela serait d’autant plus
vrai que si les lois organiques étaient exclues du domaine de l’article 11, ce dernier « deviendrait à peu près sans
application » lorsque serait en cause l’organisation des pouvoirs publics34. En dépit de sa « vive ingéniosité
technique »35, l’argumentation n’est pas convaincante. D’une part, elle repose sur une affirmation non
démontrée dont toute l’autorité tient à ce que nul ne contesterait que l’article 11 déroge à l’article 46. Cela ne
tombe pourtant pas sous le sens. Pas plus qu’il ne parle de projet de révision ou de loi constitutionnelle, l’article 11
n’évoque littéralement un projet de loi organique, alors même que la Constitution désigne la loi ordinaire par le
seul substantif « loi » et la loi organique par le même substantif mais toujours flanqué de l’adjectif « organique ». Il
en va d’ailleurs de même des « lois de finances » dont l’adoption est également soumise à une procédure spéciale
(art. 47). Ainsi, chaque fois que l’adoption d’une loi requiert une procédure dérogatoire à la procédure législative
ordinaire, la loi est qualifiée. Il est en cela possible d’en déduire que lorsque dans la Constitution il est question
d’un projet de loi, il s’agit a priori d’une loi ordinaire. Si l’article 11 visait d’autres types de loi, on peut légitimement
penser qu’il aurait précisé : tout projet de loi ou de loi organique. Par conséquent, il ne peut être soutenu que
l’article 11 autorise l’adoption d’une loi organique par référendum au motif que celui-ci porte sur « tout projet de
loi ». Sur le plan lexical, l’argument ne tient pas. D’autre part, l’exclusion des lois organiques du champ de
l’article 11 ne priverait pas d’intérêt le référendum portant sur l’organisation des pouvoirs publics, dès lors que ces
derniers relèvent aussi de la loi ordinaire. Que l’on songe aux pouvoirs publics décentralisés que sont les
collectivités locales à propos desquelles l’article 34 prévoit que la loi ordinaire « détermine les principes
fondamentaux […] de la libre administration […], de leurs compétences et de leurs ressources » et l’article 72 que,
dans « les conditions prévues par la loi », elles « s’administrent librement par des conseils élus ». Que l’on songe
plus précisément au statut de l’Algérie qui en 1958 occupait évidemment l’esprit du général de Gaulle et l’a
conduit à décider du référendum du 8 janvier 1961 lequel portait justement sur une loi relative à «
l’autodétermination des populations algériennes et l’organisation des pouvoirs publics en Algérie avant
l’autodétermination ». Bien que la constitutionnalité de cette loi soit discutable notamment en ce qu’elle opère
une distinction entre les populations algériennes et pieds-noirs pour réserver aux premières et à leurs
représentants « les responsabilités relatives aux affaires algériennes, tant par l’institution d’un organe exécutif et
d’assemblées délibérantes ayant compétence pour l’ensemble des départements algériens, que par celle
d’organes exécutifs et délibérants régionaux et départementaux appropriés »36, elle atteste qu’il y a matière à
référendum pour organiser le cadre législatif ordinaire de ces pouvoirs publics que sont les collectivités
territoriales. L’objection de Pierre Lampué est donc bâtie sur du sable, faute que la prémisse sur laquelle elle se
fonde ait fait l’objet d’autre chose qu’une affirmation gratuite et infirmée par la pratique. Pour autant, tout cela
ne signifie pas que la loi organique n’entre pas dans le champ de l’article 11 mais pour la raison inverse de celle
conduisant à soutenir que la loi constitutionnelle n’y entre pas37. En effet, l’article 46 s’insère dans un ensemble
de textes regroupés sous le titre IV de la Constitution qui traitent pour l’essentiel de la procédure d’adoption des
lois autres que constitutionnelles38, alors que l’article 89 porte exclusivement sur la procédure de révision,
laquelle comporte qui plus est une procédure référendaire spécifique. Quoi qu’il en soit, la circonstance que
l’expression « tout projet de loi » inclut les lois organiques, n’implique pas qu’elle englobe les lois
constitutionnelles. Ces dernières sont de fait expressément régies par une procédure autonome et distincte de
celle de l’article 45. En revanche, l’article 46 n’établit pas une procédure autonome de la procédure ordinaire
puisqu’il précise que, sous réserve des particularités qu’il énonce, la « procédure de l’article 45 est applicable ». On
le voit, l’objection de Pierre Lampué conduit à des raisonnements compliqués où arguments et contre-
arguments s’enchaînent dans une dialectique qui débouche sur une seule certitude : son opinion ne tient pas39.

La seconde objection porte sur la matière que recouvre la notion de « pouvoirs publics » au sens de l’article 11.
Chacun s’accorde à considérer, observe François Goguel, que sont de tels pouvoirs le président de la République,
l’Assemblée nationale et le Sénat, et qu’un texte relatif à l’élection de ces pouvoirs relève « à la fois de la
Constitution […], de lois organiques et de lois ordinaires ». Ce faisant, l’expression « tout projet de loi » renverrait
indifféremment à ces trois catégories de lois. L’argument est fallacieux. Dans une constitution écrite et rigide,
l’objet de la loi ne détermine pas sa valeur dans la hiérarchie des normes. En l’occurrence, ce n’est pas parce que
l’organisation des pouvoirs publics peut résulter de ces trois types de lois, que les règles qui régissent les pouvoirs
5/22
publics auxquelles se réfère l’article 11 relèvent nécessairement de ces mêmes trois types de lois. Il faut au
préalable s’interroger sur la signification des mots « tout projet de loi » de sorte qu’en fonction de la réponse, il
soit possible d’en conclure que ce sont des dispositions législatives ordinaires, organiques ou constitutionnelles
qui sont susceptibles d’être modifiées par référendum. Or, on l’a vu, la loi qu’évoque l’article 11 à travers
l’expression « tout projet de loi » est une loi ordinaire, voire organique. Cela étant, à supposer même que la notion
d’organisation des « pouvoirs publics » puisse indiquer la valeur de la loi référendaire qui s’y rapporte, il s’avère
que son analyse n’emporte pas la conviction. Une première difficulté tient à ce que les « pouvoirs publics » ne
sont nulle part définis ou énumérés. On ignore donc de prime abord s’il s’agit de pouvoirs publics
constitutionnels ou autres. Toutefois, la Constitution de 1958 semble opérer une distinction à cet égard.
L’article 16 évoque en effet les « pouvoirs publics constitutionnels », ce dont il pourrait être déduit a contrario que
les « pouvoirs publics » de l’article 11 ne sont pas constitutionnels faute d’être qualifiés. L’argument n’est
cependant pas péremptoire car inversement il pourrait être soutenu que, l’article 11 n’opérant pas une
qualification restrictive contrairement à celle retenue par l’article 16, les « pouvoirs publics » qu’il mentionne sont
notamment constitutionnels. Cette interprétation s’inscrit d’ailleurs dans la tradition constitutionnelle française
qui tend à désigner par « pouvoirs publics » les pouvoirs constitutionnels : législatif, exécutif et judiciaire40. Le
rapprochement effectué des articles 11 et 16 ne met finalement en lumière que la réversibilité des arguments.
Selon la branche de l’alternative privilégiée, les pouvoirs publics mentionnés englobent ou non les pouvoirs
publics constitutionnels. Une réponse ne se trouverait-elle finalement pas dans la partie du texte de l’article 11 qui
subordonne l’organisation d’un référendum afin d’autoriser la ratification d’un traité à la condition que celui-ci ne
soit pas « contraire à la Constitution » ? Cette précision fait écho à l’article 54 qui dispose qu’un traité déclaré par
le Conseil constitutionnel contraire à la Constitution ne peut être ratifié que sous réserve d’une révision préalable.
Ce faisant, elle permet d’assurer un régime juridique uniforme en matière de ratification des traités quelle que
soit la procédure utilisée. Il en résulte qu’un référendum portant sur la ratification d’un traité ne peut être
constituant. Or justement, observe Pierre Lampué, puisque l’article 11 ne prévoit rien de similaire à propos des
pouvoirs publics, c’est qu’a contrario il inclut dans son champ les pouvoirs publics constitutionnels41. À leur
égard, le référendum peut donc être constituant. Cependant, ce n’est pas parce qu’il est spécifié qu’un traité
ratifié ne doit pas être contraire à la Constitution que cela signifie que d’une manière générale une loi
référendaire peut régulièrement l’être, c’est-à-dire que le référendum est susceptible d’être constituant. S’il en
allait autrement, il faudrait admettre qu’une loi parlementaire peut méconnaître la Constitution puisqu’il n’existe
pas, la concernant, de restriction analogue à celle indiquée à l’article 54. Par conséquent, il ne saurait se déduire
de la circonstance que seuls les traités non contraires à la Constitution peuvent faire l’objet d’un référendum
autorisant leur ratification, que les pouvoirs publics que mentionne l’article 11 sont possiblement des pouvoirs
publics constitutionnels. En outre, opter pour l’une ou l’autre de ces deux interprétations ne conduit pas à une
conclusion également certaine. Retenir la première branche – les pouvoirs publics concernés sont non
constitutionnels – confirmerait de manière définitive que le référendum de l’article 11 ne saurait être constituant.
En revanche, pencher pour la seconde – les pouvoirs publics concernés sont notamment constitutionnels –
n’exclurait pas que la loi référendaire soit limitée à la réglementation des seuls aspects infra-constitutionnels de
l’organisation des pouvoirs constitutionnels. Il en résulte qu’aucun argument n’est là encore véritablement
convaincant. Ainsi, le débat s’enlise à ne pas vouloir considérer les choses simplement : la révision de la
Constitution est prévue par les dispositions du titre XVI et de son unique article 89. Cette conclusion n’est pas
infirmée par les arguments tirés de l’esprit du texte.

2. Le caractère spécieux des arguments fondés sur l’esprit de la Constitution


Dans son allocution du 20 septembre 1962, s’interrogeant sur la meilleure voie pour « que le pays exprime sa
décision », le général de Gaulle répondit : « par la plus démocratique, la voie du référendum. C’est aussi la plus
justifiée, car la souveraineté nationale appartient au peuple et elle lui appartient évidemment, d’abord, dans le
domaine constituant. »42 C’était en appeler à l’esprit de la Constitution, plus précisément à « l’esprit général du
système démocratique » qu’elle organise43 et, à l’arrière-plan, à la légitimité populaire. La démarche avait
indéniablement cette force pour elle, mais sur le plan juridique, le bât blesse44. Les juristes qui ont appuyé
l’argumentation présidentielle ont, de fait, été contraints à bien des contorsions. Le cœur du système
démocratique de la Ve République se trouve en son article 3 selon lequel la « souveraineté nationale appartient
6/22
au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » À ne se reporter qu’à ce seul énoncé,
on serait néanmoins bien en peine de savoir qui sont les représentants et quels sont leurs moyens d’action, ni qui
décide d’un référendum et comment. L’article 3 pose donc un principe qui implique pour son application
d’autres dispositions en déclinant les modalités. Le peuple exerce par conséquent la souveraineté par la voie du
référendum certes, mais seulement dans les conditions fixées par les articles 11 et 8945, tout comme par la voie
de ses représentants dans les conditions fixées notamment aux articles 39 et suivants ainsi que 89. L’esprit
renvoie finalement à la lettre. Invoquer l’un sans l’autre revient en l’occurrence à jouer la légitimité contre la
légalité, ce qui permet de contourner la question constitutionnelle mais non de la trancher. Peut-être conscient
de la faiblesse juridique des arguments présidentiels, François Goguel a surenchéri. Si « les procédures de
l’article 89 étaient les seules permises pour modifier la Constitution, dit-il, il en résulterait en ce domaine une
pleine et entière souveraineté du Parlement, au moins pour s’opposer à toute révision. » Une telle souveraineté
parlementaire serait « incompatible avec l’article 3 de la Constitution »46. L’argumentaire laisse perplexe. D’une
part, la souveraineté parlementaire supposerait qu’au Parlement seul revienne le pouvoir de faire et de ne pas
faire. Or, l’article 89 permet seulement aux parlementaires de participer à la procédure, voire d’empêcher la
révision comme le concède d’ailleurs Goguel du bout des lèvres, aucunement d’y procéder seuls. D’autre part, en
posant que la souveraineté est exercée par ses représentants, donc notamment par le Parlement, l’article 3
renvoie, comme on l’a vu, nécessairement à d’autres dispositions pour en fixer les modalités. Il ne dit donc rien de
la façon dont le Parlement exerce la souveraineté puisqu’il appartient à d’autres dispositions de le préciser, et au
nombre desquelles figure l’article 89. Ainsi, à supposer même que l’article 89 ait conféré au Parlement la totale
maîtrise de la révision, cela ne serait contraire ni à la lettre ni à l’esprit de l’article 3. Ce dernier ne fonde aucune
compétence ; il n’exprime qu’un principe qui ne se concrétise qu’à travers les dispositions qui le mettent en
œuvre47. S’il en allait autrement, il autoriserait la tenue d’un référendum en toute matière selon des modalités
non définies sinon par des organisateurs eux-mêmes non déterminés. Cela rendrait inutile l’existence même des
articles 11 et 89. Symétriquement, les représentants auto-désignés devraient alors eux aussi pouvoir agir en toute
matière et en dehors de toute procédure autre que celle qu’ils se donneraient… La Constitution serait une
anomie !
Après le président de la République, ce fut au tour du Premier ministre, Georges Pompidou, d’invoquer l’esprit
des institutions. Devant l’Assemblée nationale, il fit valoir que, dans la mesure où l’article 89 permet au Parlement
de procéder à une révision constitutionnelle « contre le gré de l’exécutif et sans son concours » bien qu’à la
condition que le peuple soit saisi, l’exécutif doit également pouvoir saisir le peuple d’un projet élaboré « en
dehors du Parlement », d’où l’article 11. Ce serait là non « pas rompre, mais rétablir l’équilibre des pouvoirs »48. Le
propos laisse songeur. D’abord, parce que le Premier ministre disposait d’un contre-pouvoir par la maîtrise alors
totale de la fixation de l’ordre du jour prioritaire. Ensuite, parce que Pompidou contourne grossièrement la
difficulté en ignorant la question préalable, à savoir si l’article 11 est une voie de révision49. Seule une réponse sur
ce point permet en effet de déterminer quel équilibre des pouvoirs institue la Constitution. Le prétendu esprit
des institutions se heurte là encore à la lettre du texte. Dans la même veine, le Premier ministre ajoutait qu’en
outre priver l’exécutif du recours à l’article 11 donnerait au Sénat le pouvoir de bloquer toute révision
constitutionnelle50 . L’affirmation ne manque pas d’étonner tant le « veto » du Sénat a été assumé par les auteurs
de la Constitution puisque l’article 89 prévoit expressément que la révision ne peut être adoptée par le Congrès
ou par référendum qu’à la suite d’un texte voté dans les mêmes termes par les deux assemblées51. Cette faculté
reconnue à la chambre haute n’a d’ailleurs rien d’unique. L’article 46 la lui accorde aussi notamment à l’égard des
« lois organiques relatives au Sénat ». Selon François Goguel, cette objection se retournerait contre ses auteurs. Il
serait « en effet certain qu’une loi organique relative au Sénat peut être adoptée par un référendum de l’article 11,
car elle porte sur l’organisation des pouvoirs publics. Pourquoi le droit de veto résultant pour le Sénat de
l’article 89 ne pourrait-il pas être aboli par le jeu de l’article 11, tout comme celui résultant de l’article 46 ? »52. La
contre-objection appelle trois remarques. Primo, à une analyse simple, elle oppose un raisonnement alambiqué.
L’embarras est patent. Secundo, elle glisse sur le point d’achoppement. La question n’est pas de savoir si une loi
concernant le Sénat est relative à l’organisation des pouvoirs publics, mais si une telle loi peut être adoptée par
référendum lorsqu’elle porte sur l’organisation constitutionnelle de cette assemblée. Bref, on l’a déjà dit, les
matières sur lesquelles porte le référendum de l’article 11 ne préjugent pas en elles-mêmes de la valeur de la loi
référendaire. Tertio, elle repose sur l’affirmation que l’article 11 permettrait de soumettre un projet de loi
7/22
organique au référendum. Quand bien même est-ce le cas ainsi qu’on l’a vu, le constituant a très bien pu décider
de réserver en toute hypothèse l’exigence du consentement du Sénat à la seule révision de la Constitution en
raison de sa caractéristique propre, à savoir « d’être une loi possédant une puissance renforcée » qui « limite […] la
compétence législative »53, ce qu’il a consacré en l’occurrence en ayant prévu un titre dédié à la révision.
En conclusion, rien ne permet de dire que l’équilibre des pouvoirs serait rompu si l’article 11 n’était pas une voie
de révision. Au contraire, à l’aune de la notion de séparation des pouvoirs, il est cohérent que plus la valeur de la
loi est élevée dans la hiérarchie des normes, plus les conditions de son adoption ont vocation à être strictes. Si
une constitution écrite constitue une loi possédant une puissance renforcée, n’est-ce pas que sa révision appelle
un certain consensus qui ne peut résulter que de l’établissement d’une balance des pouvoirs dans l’ordre de la
fonction constituante ? Au fond, la position de l’exécutif en 1962 est très rousseauiste54. Ce qui importe à ses
yeux, c’est la volonté du peuple qui, dès lors qu’elle est exprimée de manière directe, est suprême, donc
incontrôlable.

II. — LA FACE MASQUÉE : LES PRINCIPES EN CAUSE


En se focalisant sur l’aspect institutionnel de la question de la constitutionnalité ou de l’inconstitutionnalité du
recours au référendum de l’article 11 pour opérer une révision de la Constitution, la controverse de 1962/1969 a
laissé dans l’ombre un pan pourtant essentiel du débat. À dire vrai, il ne pouvait guère en aller autrement avant le
septennat de Valéry Giscard d’Estaing. Celui-ci est en effet le point de départ d’une évolution majeure des
institutions de la Ve République caractérisée par le renforcement de la préoccupation libérale. L’exigence
croissante de respect de l’État de droit à laquelle la décision Liberté d’association du 16 juillet 197155 permettait
assurément de répondre grâce à la réforme du 29 octobre 1974 sur la saisine du Conseil constitutionnel, met
progressivement au premier plan de la scène politico-constitutionnelle le principe libéral. Le contraste avec la
période gaullienne où domine le principe démocratique soulève une problématique inédite : que valent les
principes libéraux lorsque d’une manière ou d’une autre le peuple s’exprime directement ? Les règles de l’État de
droit sont-elles à même d’endiguer le flot de la volonté populaire ? Il pourrait être répondu que, par définition, le
cadre juridique s’impose dans une démocratie par le droit puisque les citoyens sont censés ne jamais s’exprimer
que conformément à la législation en vigueur. Ce serait néanmoins ignorer la difficulté puisqu’en pratique il
s’avère que le peuple intervient parfois en dehors des procédures constitutionnelles. Les référendums
constituants de la décennie écoulée en témoignent. Pour autant, en dépit du procès en plébiscite fait au général
de Gaulle56, ils ont donné lieu à une manifestation authentiquement démocratique alors même que leur
inconstitutionnalité n’est pas contestable. On en revient ainsi à l’observation de Jean-Marie Denquin évoquée en
introduction : les principes démocratiques et libéraux peuvent coexister mais ils ne s’articulent pas toujours
harmonieusement. En 1962 et 1969, le principe démocratique s’est imposé au détriment du principe libéral. En
s’estimant incompétent pour juger de la constitutionnalité d’une loi référendaire, le Conseil constitutionnel a pris
acte que l’État de droit ne peut que céder devant la volonté du Souverain lui-même. Son absence de contrôle
n’était pas tant un refus qu’une impossibilité, conséquence de l’intervention directe du peuple et donc du primat
du principe démocratique (A). Toutefois, avec l’évolution libérale des institutions de la Ve République, des auteurs
vont suggérer d’établir un contre-pouvoir au sein de la procédure de l’article 11 afin de permettre, à défaut de
contrôler la volonté du peuple, de contrôler les organes étatiques compétents pour en appeler à lui. Si la
jurisprudence prétorienne par laquelle le Conseil constitutionnel s’est reconnu compétent pour connaître des
recours dirigés contre le décret présidentiel soumettant un projet de loi au référendum, a fait naître dans la
doctrine l’espoir d’un possible rééquilibrage, à l’analyse, la perspective d’un compromis entre le principe
démocratique et le principe libéral apparaît incertaine (B).

A. — Le primat du principe démocratique ou l’impossible contrôle de la loi


référendaire
Le référendum du 27 avril 1969 a démontré au moins une chose. La controverse qui a entouré la votation de 1962
n’a pas convaincu le général de Gaulle de l’inconstitutionnalité du recours à l’article 11 pour réviser la Constitution.
Le seul obstacle qui aurait pu le dissuader de réitérer aurait été une déclaration d’inconstitutionnalité de la loi
8/22
référendaire approuvée le 28 octobre 1962. Celle-ci n’a pas eu lieu. Plus encore, elle ne pouvait avoir lieu sans
méconnaître le principe démocratique sur lequel la Constitution de 1958 est bâtie. Non point qu’une loi
démocratiquement adoptée ne puisse être soumise à un contrôle de constitutionnalité, mais elle ne peut
conséquemment l’être lorsque son adoption se déroule dans le cadre d’une procédure de démocratie directe57.
Le principe démocratique prime alors toute autre chose. Le Conseil constitutionnel ne s’y est pas trompé lorsqu’il
a choisi de décliner sa compétence afin de ne pas entrer en conflit avec la volonté exprimée directement par le
peuple souverain (1). Au-delà des motifs qu’il a énoncés, d’autres considérations justifient la position retenue. Car
l’impossibilité de contrôler une loi référendaire tient aussi à ce que n’étant pas un pouvoir, le peuple échappe à
tout contre-pouvoir susceptible de l’empêcher. Le juge constitutionnel n’a alors pas de prise. Dès lors que le corps
des citoyens et citoyennes intervient en dehors des mécanismes juridico-libéraux établis, le principe
démocratique se déploie dans un espace constitutionnel a-libéral (2).

1. L’incompétence du Conseil constitutionnel


Saisi par le président du Sénat sur le fondement de l’alinéa 2 de l’article 61 de la Constitution, le Conseil
constitutionnel s’est cependant, par sa décision n° 62-20 DC du 6 novembre 1962, estimé incompétent pour
contrôler une loi référendaire qui lui était soumise. Bien que Gaston Monnerville, non sans excès, en ait conclu
qu’ainsi « le Conseil constitutionnel venait de se suicider »58, cette jurisprudence est compréhensible. Le Conseil
est parti du postulat que sa compétence « est strictement délimitée » par la Constitution et l’ordonnance du
7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, et qu’il « ne saurait donc être appelé à se
prononcer sur d’autres cas que ceux qui sont limitativement prévus par ces textes ». Or, constata-t-il à raison,
l’article 61 ne précise pas « si cette compétence s’étend à l’ensemble des textes à caractère législatif, qu’ils aient
été adoptés par le peuple à la suite d’un référendum ou qu’ils aient été votés par le Parlement, ou si, au contraire,
elle est limitée seulement à cette dernière catégorie ». Assez naturellement, l’incertitude du texte littéral appelait
à s’interroger sur l’« esprit de la Constitution ». Considérant à cet égard que cette dernière l’avait érigé en « organe
régulateur de l’activité des pouvoirs publics », il put alors logiquement en déduire, compte tenu de cette
prémisse, « que les lois que la Constitution a entendu viser dans son article 61 sont uniquement les lois votées par
le Parlement et non point celles qui, adoptées par le Peuple à la suite d’un référendum, constituent l’expression
directe de la souveraineté nationale ». Puis, afin de conforter son interprétation, il ajouta qu’aucune disposition de
la Constitution ou de la loi organique ne lui attribue la compétence d’examiner la constitutionnalité d’une loi
référendaire : l’article 11 de la Constitution « ne prévoit aucune formalité entre l’adoption d’un projet de loi par le
peuple et sa promulgation » ; l’article 60 ne lui confie d’autre mission que de veiller « à la régularité des opérations
de référendum » et d’en proclamer les résultats ; l’article 17 de la loi organique « ne fait état que des “lois adoptées
par le Parlement” » ; et l’article 23 de la même loi prévoit que lorsqu’une disposition déclarée inconstitutionnelle
n’est pas inséparable du reste de la loi contrôlée, le président de la République soit promulgue la loi à l’exception
de ladite disposition, soit peut « demander aux chambres une nouvelle lecture ». Sans doute aurait-il pu être
objecté qu’en n’évoquant que les « lois » sans autre précision, l’alinéa 2 de l’article 61 de la Constitution n’exclut
pas les lois référendaires. L’argument a du poids. Pourtant, l’absence de qualification plaide plutôt en faveur de la
seule loi adoptée par le Parlement. Si tel n’avait pas été le cas, comment imaginer que la Constitution ne l’eût
expressément indiqué s’agissant d’un enjeu aussi considérable qu’une loi adoptée directement par le peuple ?
L’ordonnance du 7 novembre 1958 n’est donc pas allée au-delà de l’article 61. N’est pas moins fondée la
conception stricte de sa compétence que le Conseil constitutionnel tira de sa qualité alors unanimement
reconnue d’organe régulateur des pouvoirs publics 59 comme on le verra.

Trente ans plus tard, dans un contexte juridique bien différent, le Conseil constitutionnel va confirmer sa position
de fond. La décision Liberté d’association et la révision de 1974 ouvrant sa saisine aux parlementaires ont en effet
provoqué le déclin de son rôle de régulateur des pouvoirs publics au profit d’une mission de contrôle de la
constitutionnalité des lois et de protection des libertés fondamentales qui, d’anecdotique à l’origine, est devenue
essentielle. Cette évolution majeure du droit constitutionnel de la V e République aurait pu conduire à un
changement de pied jurisprudentiel. Il n’en a rien été. Tout au plus, la décision Traité de Maastricht III du
23 septembre 199260 abandonne en guise d’actualisation la référence à la régulation des pouvoirs publics. Pour
le reste, le Conseil confirme le caractère « strictement » délimité par la Constitution de sa compétence qui ne

9/22
peut être précisée que par la loi organique, tout en relevant que c’est désormais « au regard de l’équilibre des
pouvoirs établi par la Constitution » qu’il faut en déduire que les lois visées à l’article 61 ne sont que celles « votées
par le Parlement et non point celles […] adoptées par le Peuple français ». La ligne demeure donc celle de 1962 :
l’expression directe par le peuple de sa souveraineté fait obstacle à tout contrôle de constitutionnalité de la loi
référendaire61. Le primat démocratique de cette jurisprudence a été de nouveau confirmé en 2014 dans le cadre
de la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité. Dans sa décision Province Sud de Nouvelle-
Calédonie, le Conseil constitutionnel, après avoir repris mot pour mot le considérant de la décision Maastricht III,
en déduit « qu’aucune disposition de la Constitution ou d’une loi organique prise sur son fondement ne [lui]
donne compétence […] pour se prononcer sur une question prioritaire de constitutionnalité aux fins d’apprécier
la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit d’une disposition législative adoptée par le Peuple
français par la voie du référendum »62. Alors même que ce dispositif typiquement libéral de protection des
libertés fondamentales qu’est la « QPC » aurait pu l’ébranler, le Conseil constitutionnel n’a pas cillé. Prudemment,
il a préféré rester sur la touche plutôt que d’affronter le peuple. Rien n’est ainsi en mesure de s’opposer au
principe démocratique dès lors que le peuple s’exprime par la voie du référendum. Le principe libéral de l’État de
droit ne peut alors que céder, tout comme est inopérant le principe tout aussi libéral de la séparation des
pouvoirs.

2. Introuvable pouvoir, impossible contre-pouvoir


Aux yeux du général de Gaulle, la controverse suscitée par l’usage de l’article 11 n’avait guère d’intérêt à partir du
moment où la révision constitutionnelle se trouverait revêtue de la légitimité populaire manifestée par le vote
positif du peuple63. Cette opinion aussi peu juridique qu’éminemment politique fut pourtant reprise par
plusieurs juristes. Raymond Janot le reconnut sans détour : « Étant donné que cette question a été portée devant
le peuple souverain et que celui-ci a dit “oui”, le raisonnement juridique qui consiste à dire non a été, de fait,
anéanti »64. Jacques Chapsal n’affirma pas autre chose : « le jour où un président de la République déciderait de
soumettre directement à la Nation une révision constitutionnelle, sans passer par le préalable parlementaire de
l’article 89, il serait très difficile pour ses adversaires de faire admettre au peuple souverain qu’on n’a pas le droit
de le consulter de la sorte : argument – ou arguties – juridiques seraient emportés comme fétus de paille, et seules
compteraient la portée politique de l’opération et la confiance ou la défiance que les Français voudraient
manifester à leur président » 65. Quant à Léo Hamon, il ne cacha pas moins le fond de sa pensée. Il suffit, dit-il, «
d’imaginer la situation psychologique qui se serait créée si la haute instance avait décidé […] que 20 millions de
Français s’étaient déplacés sur une erreur juridique et pour rien et qu’un texte adopté par 62 % des votants
contre 38 % devait cependant être tenu pour non avenu. Une telle situation […] aurait mis dans la plus mauvaise
posture une instance qui serait apparue comme en opposition ouverte avec la volonté populaire clairement
manifestée et décomptée. »66 Cette façon de voir, observe Gérard Conac, porte « la marque de l’existentialisme
juridique : la Constitution est ce que le peuple, sollicité par le président, en fait. En adoptant un texte qui pouvait
lui être contraire, le souverain ne viole pas la Constitution. Il la crée. »67 Car de manière ultime ce qui prévaut
n’est rien d’autre qu’un principe de légitimité68 dont la base juridique – l’article 3 de Constitution – ne doit pas
faire illusion en ce qu’elle n’est que la caution d’un fait accompli.

Cela étant, cette doctrine est-elle aussi « existentialiste » que veut bien le croire Gérard Conac ? Si d’un côté
l’argument de la légitimité démocratique tient assurément du fait accompli, il recouvre de l’autre une insigne
réalité juridique : dans la Constitution, le peuple n’est pas un pouvoir. N’étant pas un pouvoir, il échappe au
domaine d’application du principe de la séparation des pouvoirs, dès lors il ne connaît pas de contre-pouvoir. Léo
Hamon en a eu tôt l’intuition sans toutefois en tirer vraiment les conséquences. Commentant la décision de 1962,
il remarqua que le Conseil constitutionnel, en se qualifiant d’organe régulateur des pouvoirs publics pour en
déduire qu’il ne pouvait complètement statuer sur une loi référendaire, a implicitement refusé de reconnaître le
peuple comme un pouvoir public. Ce faisant, poursuivit-il, il « rejoint le langage de la pratique courante où le
terme de “pouvoirs publics” désigne les organes constitués, déjà délégataires de la souveraineté nationale – et
non la nation souveraine elle-même ». Ainsi, la régulation des pouvoirs publics « ne peut inclure le contrôle de ce
qui les domine »69. Le raisonnement pèche néanmoins par ceci qu’il ne porte pas l’analyse au-delà de la
jurisprudence sinon à un usage non démontré. De fait, il n’est nulle part écrit que les pouvoirs publics sont des

10/22
organes constitués ayant reçu une délégation de la Nation et que le peuple n’est pas l’un d’eux. Sa conception du
pouvoir trouve néanmoins un solide fondement dans l’article 16 de la Déclaration de 1789 dont on peut tirer deux
enseignements. En premier lieu, le principe de la séparation des pouvoirs n’a jamais eu pour objet le peuple, mais
seulement des organes distincts devant être agencés de telle manière qu’ils n’excèdent pas les bornes de leurs
attributions délimitées par la Constitution. Historiquement, le peuple n’est donc pas un pouvoir au sens de
l’article 16. L’argument ne serait-il toutefois pas un peu daté ? Il pourrait en effet être soutenu que le principe de
la séparation des pouvoirs formulé en 1789 doit être lu à l’aune de la Constitution de 1958 et qu’alors, du fait de
l’institution du référendum, le peuple à l’instar du Parlement est un pouvoir législatif70. L’objection se heurte en
réalité à la notion même de pouvoir au sens de l’article 16. Car, en second lieu, le peuple ne peut être qualifié de
pouvoir en raison de la définition même de celui-ci, à savoir qu’il est une émanation de la Nation souveraine. Seul
l’organe qui tient son autorité d’une délégation de la Nation, c’est-à-dire concrètement de la Constitution,
constitue un pouvoir 71. Or, une délégation supposant un délégant et un délégataire, le peuple ne peut être à la
fois l’un et l’autre72. Cela ne signifie pas qu’il ne peut revêtir différentes qualités, que ce soit celle de constituant
ou celle de législateur, mais demeurant toujours le même peuple, il n’a nul besoin de délégation pour agir. Le
général de Gaulle semble bien n’avoir pas compris les choses autrement lorsqu’il confiait à Alain Peyreffite à
propos du référendum d’octobre 1962 : « Le peuple français est souverain. La souveraineté vient de lui. Il la détient
tout entière. Il peut la déléguer, mais il la possède. »73 Par conséquent, si la Constitution dispose que le Souverain
peut légiférer par la voie du référendum, ce n’est pas parce qu’elle lui accorderait une délégation pour ce faire,
mais parce qu’elle prévoit que, dans certains cas, certains organes constitutionnels peuvent appeler le peuple à
exercer lui-même la souveraineté soit pour réviser la Constitution soit pour adopter une loi. Et parce qu’il l’exerce
lui-même, il ne la délègue pas, c’est-à-dire qu’il ne donne pas de pouvoir. Qualifier le peuple de pouvoir aurait en
cela été une erreur. Le Conseil constitutionnel a donc eu raison, comme l’a vu Léo Hamon, de refuser de le
reconnaître comme tel.

En revanche, les conséquences que l’éminent auteur en tire sont discutables. Selon lui, la hiérarchie des normes
n’aurait alors plus de sens. Il s’en explique : « Une idée de hiérarchie intervient ici, non plus entre la Constitution,
la loi et le règlement, mais entre les expressions directe et indirecte (par des “représentants” qui sont les “pouvoirs
publics”) de la souveraineté nationale. »74 Ainsi, poursuit Jean-Marie Garrigou-Lagrange, le peuple, quoique «
pouvoir constitué […] présente en pratique les caractères du pouvoir constituant originaire »75. De tels propos
reviennent à nier l’idée même de Constitution76. D’une part, le référendum étant organisé en vertu d’une
Constitution existante et n’ayant pas pour objet d’en créer une nouvelle, il ne mobilise pas le pouvoir constituant
originaire77, ni même d’ailleurs le pouvoir constituant institué puisque l’article 11 n’est pas une voie de révision78.
D’autre part, ce n’est pas parce que la loi est adoptée par le peuple qu’elle échappe à l’empreinte de la
Constitution. Tout dépend de la valeur de cette loi. Une loi référendaire portant sur le domaine législatif ne revêt
pas en raison de son mode d’adoption une valeur constitutionnelle. S’il en allait autrement, elle serait hors
d’atteinte des pouvoirs constitués et deviendrait pour eux intangible. Pourtant, rien n’interdit au Parlement, le cas
échéant réuni en Congrès, d’abroger ou de modifier une loi référendaire, puisque formellement les lois
parlementaires et référendaires sont d’égale valeur79. Le référendum ne crée donc pas une hiérarchie des
volontés parallèle à la hiérarchie des normes. Au fond, cette doctrine est une tentative de justification qui inverse
l’ordre du raisonnement juridique : ce n’est pas la norme qui permet la qualification des faits, mais des faits qui
pour les besoins de la cause déterminent une norme permettant en retour de régulièrement les qualifier. Cela
s’appelle un fait accompli, celui-là même évoqué précédemment. Il est vrai que ce tour de passe-passe permet
de présenter comme constitutionnel ce qui ne l’est pas au prétexte qu’il serait embarrassant de reconnaître que,
le référendum du 28 octobre 1962 étant inconstitutionnel faute d’avoir été organisé sur la base de l’article 89, la
loi du 6 novembre 1962 relative à l’élection du président de la République au suffrage universel l’était tout autant.
Ce n’est cependant pas parce que la violation de la Constitution est gênante dans ses conséquences, ou plutôt
dans son absence de conséquence, qu’il faut se résigner à faire comme si elle n’avait pas eu lieu80 ou bien
imaginer une coutume constitutionnelle de régularisation comme l’a fait le Doyen Vedel sans convaincre81 ou
encore une convention de la Constitution qui n’apparaît en tout état de cause pas établie faute d’une
reconnaissance suffisamment large des acteurs intéressés82. L’illégalité d’un texte n’a d’ailleurs jamais empêché
sa mise en vigueur… à moins qu’un juge n’en dispose autrement. Et c’est bien ici le cœur du problème. Une loi
référendaire n’a pas de juge et ne saurait en avoir dès lors que le peuple n’est pas un pouvoir. Nul ne peut lui faire
11/22
contrepoids. Il en résulte que l’argument de la légitimité, aussi puissant soit-il, ne doit pas occulter le solide
ancrage juridique de la position du Conseil constitutionnel, à savoir que le peuple n’étant pas un pouvoir, il n’a
pas face à lui de contre-pouvoir et sa loi échappe à tout contrôle juridictionnel. La conséquence en est qu’une loi
constitutionnelle peut être inconstitutionnelle, non pas parce qu’une hiérarchie des volontés se substituerait à la
hiérarchie des normes établie, mais seulement parce qu’aucun contre-pouvoir n’est susceptible de la neutraliser
avant ou après son entrée en vigueur. C’est la raison pour laquelle si un frein devait être institué, il ne pourrait
l’être qu’en amont du vote de la loi référendaire. Tel est ce que le courant libéral a proposé en guise de
compromis.

B. — Le contrôle du projet de loi référendaire : l’incertain compromis libéral


La réception constitutionnelle du principe libéral en France s’est effectuée au moyen du légicentrisme : le droit
est garanti par la loi. Dans cette perspective, on pourrait considérer que la loi référendaire pas moins que la loi
parlementaire a vocation à assurer la garantie des droits de l’homme. Ce n’est en réalité pas le cas. À l’origine,
dans le constitutionnalisme français, la loi garantit le droit de deux manières alternatives ou cumulatives : d’une
part, en séparant les pouvoirs par le jeu des poids et des contrepoids, d’autre part, en faisant en sorte que la loi
soit le résultat d’une délibération rationnelle, par conséquent, du vote d’une assemblée de représentants. Les
Républicains retinrent surtout la seconde possibilité83. Le référendum n’avait donc pas lieu d’être, d’autant que
le bonapartisme va à leurs yeux irrémédiablement le disqualifier. C’est en fidèles héritiers de cette tradition que
les parlementaires contestataires de 1962 se posèrent en vigie de la liberté. L’un des motifs de la motion de
censure votée contre le gouvernement Pompidou en témoigne : l’organisation du référendum ouvre « une brèche
par laquelle un aventurier pourrait passer un jour, pour renverser la République et supprimer les libertés ». En
d’autres termes, le peuple, toujours prêt à se laisser subjuguer, ne serait pas digne de confiance pour décider lui-
même d’autre chose que du choix de ses représentants. Sans doute parce que ni en 1962 ni en 1969 le
référendum ne porta sur les libertés publiques, ce risque n’a pas préoccupé la doctrine. Dans un premier temps
du moins car l’évolution des institutions, sous l’effet conjugué de la jurisprudence Liberté d’association et de la
révision de 1974, a conduit les auteurs à reconsidérer les choses à l’aune du principe libéral et de ce double
mouvement que celles-ci ont enclenché : le déclin du légicentrisme au profit du juge érigé en gardien de la
Constitution et son corollaire, la prééminence des droits l’homme devenus libertés fondamentales. Le
constitutionnalisme moderne s’impose à partir de là dans son acception stricte, celle qui l’identifie à
l’établissement d’un contrôle de constitutionnalité des lois84. Dans ce contexte où la préoccupation libérale à
voir les droits fondamentaux effectivement et toujours respectés devient prédominante dans toute la société, la
jurisprudence de 1962 apparaît de plus en plus comme un anachronisme. L’État de droit n’y trouve pas son
compte. Seulement, ses partisans même les plus inconditionnels butent sur la difficulté rencontrée par le Conseil
constitutionnel : le primat du principe démocratique. Ils ne peuvent envisager davantage qu’un compromis
libéral et admettre en échange d’un encadrement de la procédure référendaire le maintien de l’immunité
juridictionnelle de la loi référendaire.
Dans son discours prononcé devant le Conseil constitutionnel le 8 novembre 1977, le Président Giscard d’Estaing,
évoquant la procédure de révision de la Constitution, ne mentionna d’autres dispositions que celles de
l’article 89 : « Aucune révision de la Constitution, affirma-t-il, n’est possible que si elle est d’abord votée en termes
identiques par l’Assemblée nationale et le Sénat »85. Ignoré, l’article 11 se voyait implicitement dénier le statut de
voie de révision de la Constitution. Curieusement, Georges Vedel douta du sens de la parole présidentielle. Selon
lui, le chef de l’État aurait « seulement voulu rappeler […] que, quand les Chambres interviennent, la résistance du
Sénat à la révision est invincible. Dans cette interprétation, l’article 11 n’est pas écarté, mais simplement mis entre
parenthèses, car il n’appartient pas au sujet traité. »86 Autrement dit, le président de la République aurait
volontairement laissé dans le flou la question de l’article 11. Cela semble néanmoins peu probable compte tenu
de la différence de contexte avec celui des années 1960. Et le Doyen Vedel en avait parfaitement conscience
puisqu’il introduisait son propos par des considérations sur l’État de droit et l’essor du contrôle de
constitutionnalité depuis 197487. Il n’est en cela pas étonnant que Valéry Giscard d’Estaing n’ait pas évoqué
l’article 11 comme voie de révision tant cela cadrait mal avec le libéralisme qu’il défendait, et dont l’ouverture de
la saisine du Conseil constitutionnel était l’une des manifestations. Il y a davantage lieu de penser que, dans son

12/22
esprit, une modification de la Constitution ne doit pas être adoptée par un simple référendum décidé par le seul
exécutif, mais au terme d’une procédure libérale, c’est-à-dire par la mobilisation de différents organes, comme
cela doit l’être dans un gouvernement modéré au sens où Montesquieu l’entendait. Or, dans cette perspective,
l’article 89 est assurément une disposition libérale, et en tout cas incontestablement plus libérale que ne pourrait
l’être celle de l’article 11. Si le Président Giscard d’Estaing n’inclinait ainsi probablement pas à recourir à l’article 11
pour réviser la Constitution, il demeure que la vertu, aussi louable soit-elle, ne suffit pas à prévenir les abus.
Pourtant, pas plus qu’aucun de ses successeurs, il n’a apparemment songé à circonscrire le pouvoir que cette
disposition donne au chef de l’État. Rien n’interdit à un président de la République de s’inscrire dans les pas du
général de Gaulle88. Si flou il y a pu avoir dans son propos, il se trouve dans cette absence de résolution à
modifier l’article 11.

Ce n’était cependant point faute de compromis envisageable avec la jurisprudence constitutionnelle. En 1993, le
comité consultatif pour la révision de la Constitution présidé par le Doyen Vedel suggérait que le président de la
République ne puisse, sur proposition du Premier ministre ou des assemblées parlementaires, décider d’un
référendum sur le fondement de l’article 11 « qu’après constatation par le Conseil constitutionnel de sa conformité
à la Constitution » 89. La décision de 1962 sans être directement contredite s’en serait trouvée neutralisée. Bien
que le mécanisme fût de nouveau suggéré en 2007 par la commission Balladur90, le vœu demeura pieux. La
révision du 23 juillet 2008 n’aborda pas ce point. Néanmoins, elle marqua une évolution. Reprenant l’idée glissée
par ces deux commissions d’un référendum d’initiative partagée91, le Congrès l’entérina avec son volet libéral,
celui d’un contrôle préalable de constitutionnalité de la proposition de loi référendaire d’initiative partagée. Nul
ne souhaitant rouvrir le vieux débat relatif à la possibilité pour le président de la République de recourir à
l’article 11 pour réviser la Constitution 92, on en resta là.
Était-il cependant nécessaire d’étendre explicitement le contrôle préalable de constitutionnalité au projet de loi
référendaire d’initiative présidentielle ? L’évolution de la position du Conseil constitutionnel sur la compétence
que lui confère l’article 60 de la Constitution a conduit à se demander si celui-ci ne s’est pas reconnu ce que le
Constituant ne lui a pas attribué. Aux termes de cette disposition : « Le Conseil constitutionnel veille à la
régularité des opérations de référendum »93. Il n’est donc pas a priori question de contrôle de la décision de
recourir au référendum mais seulement de s’assurer du bon déroulement des opérations de vote en amont de
manière consultative et en aval dans le cadre d’un contentieux. Telle fut l’interprétation retenue à l’origine par la
décision Regroupement familial du 23 décembre 196094 sur le fondement des dispositions des articles 47 et 50
de l’ordonnance portant loi organique du 7 novembre 1958 précisant l’article 6095. Cependant, la décision
Hauchemaille du 25 juillet 200096 a procédé à un revirement. Se prononçant cette fois directement sur la base
de l’article 60, le Conseil constitutionnel y a affirmé sa compétence pour statuer sur le décret décidant de
soumettre un projet de révision au référendum. La nouvelle lecture de ce texte a suscité chez plusieurs auteurs
l’espoir qu’elle constitue un palliatif au refus opposé depuis 1962 de contrôler la constitutionnalité des lois
référendaires. Le Conseil serait en cela susceptible, a-t-on fait valoir, de vérifier si un projet de loi que le chef de
l’État envisage de soumettre au référendum entre bien dans le champ matériel de l’article 1197, et même de «
censurer une décision du président de la République qui tenterait d’organiser un référendum de révision
constitutionnelle qui ne respecterait pas les limites circonstancielles ou de fond qui découlent notamment de
l’article 89 »98.
L’interprétation ne concéderait-elle pas trop à un prisme libéral tant il serait étonnant que par le biais d’un
contentieux relatif aux actes préparatoires au référendum la jurisprudence de 1962 s’en trouve contingentée au
détriment du principe démocratique ? De prime abord, la réponse apparaît devoir être négative. Si jusqu’alors le
Conseil d’État acceptait d’examiner les recours dirigés contre le décret relatif à l’organisation du référendum, il
qualifiait en revanche d’acte de gouvernement le décret décidant de soumettre un projet de loi au référendum,
soustrayant par conséquent celui-ci à tout contrôle juridictionnel99. En choisissant d’examiner désormais ces
deux types de décret, donc en ne retenant pas la qualification d’acte de gouvernement pour le décret décidant
d’un référendum, le Conseil constitutionnel semble avoir franchi un cap. En l’espèce, le requérant avait argué que
le décret n° 2000-655 du 15 juillet 2000 décidant de soumettre un projet de révision de la Constitution au
référendum sur le fondement de l’article 89 était au regard de l’article 19 de la Constitution entaché d’illégalité en
ce qu’il n’était pas contresigné par tous les ministres responsables. À partir du moment où le Conseil admettait la

13/22
recevabilité d’un grief tiré d’un vice de forme, il y avait tout lieu de penser qu’il en irait de même pour les deux
autres griefs de légalité externe que sont le vice de procédure et l’incompétence de l’auteur de l’acte mais aussi
pour tous griefs de légalité interne. Cependant, 5 ans plus tard, dans ses décisions Hauchemaille et Meyet du
24 mars 2005 100 et Hauchemaille et Le Mailloux du 25 mai 2005101, le Conseil constitutionnel se montra réservé
à l’occasion de recours dirigés contre le décret n° 2005-218 du 9 mars 2015 soumettant à référendum le projet de
loi relatif à la ratification du Traité établissant une Constitution pour l’Europe. Invité par les requérants à se
prononcer sur la constitutionnalité du traité qui y était annexé, il l’examina seulement pour conclure à sa non-
contrariété « en tout état de cause ». Cette « formule d’évitement »102 lui permit de statuer sur le traité sans avoir
à trancher la question de la recevabilité du grief, donc de son office. Les commentaires officiels de ces deux
décisions sont tout à fait clairs sur ce point. À la question : « le Conseil constitutionnel, quoique compétent pour
connaître du décret de convocation, ne pouvait-il tenir pour irrecevable le grief tiré de l’inconstitutionnalité du
traité annexé à ce décret ? », le commentateur de la décision Hauchemaille et Meyet observe qu’en dépit de la
jurisprudence Hauchemaille de juillet 2000, il y a matière à s’interroger. Car « eu égard au fait que les procédures
de vérification de la constitutionnalité des traités sont prévues, à titre exclusif, par les articles 54 et 61 de la
Constitution », il pourrait être opposé « aux prétentions du requérant une exception de recours parallèle », et ce
d’autant que les autorités susceptibles d’effectuer un tel recours sont limitativement énumérées par la
Constitution103. Inversement, ajoute le commentateur de la décision Hauchemaille et Le Mailloux, l’irrecevabilité
opposée au grief tiré de l’inconstitutionnalité du projet de loi référendaire « pourrait être regardée comme
fermant arbitrairement, et dans les cas les plus graves pour l’État de droit, la voie de recours ouverte par la
jurisprudence Hauchemaille de juillet 2000 »104. C’est la raison pour laquelle, concluent les deux commentaires
officiels, « le Conseil a fait l’économie de cette […] très délicate question en jugeant, en tout état de cause » que le
traité n’était pas inconstitutionnel105. À dire vrai, au regard des espoirs que la jurisprudence Hauchemaille de
2000 a soulevés, l’attentisme du Conseil qui lui a succédé ne peut que décevoir les libéraux, et même les
inquiéter tant les arguments évoqués dans le premier commentaire officiel entrent en résonance avec le
considérant de principe de cette jurisprudence que reprennent les décisions de 2005. On y lit : « en vertu de la
mission générale de contrôle de la régularité des opérations référendaires qui lui est conférée par l’article 60 de la
Constitution, il appartient au Conseil constitutionnel de statuer sur les requêtes mettant en cause la régularité
d’opérations à venir dans les cas où l’irrecevabilité qui serait opposée à ces requêtes risquerait de compromettre
gravement l’efficacité de son contrôle des opérations référendaires, vicierait le déroulement général du vote ou
porterait atteinte au fonctionnement normal des pouvoirs publics ». Il en résulte que le contrôle a une triple
finalité et qu’il est conditionné par l’atteinte à l’une d’elles. La question est alors de savoir si l’inconstitutionnalité
du projet de loi référendaire est susceptible de concrétiser une atteinte. Les deux premières finalités ne
paraissent pas pouvoir justifier un contrôle du contenu du projet de loi référendaire. Une inconstitutionnalité du
texte de loi n’a pas a priori d’incidence sur l’efficacité du contrôle des opérations référendaires ou le déroulement
du vote106. La troisième en revanche pourrait être opérante. En effet, en décidant sur la base de l’article 11 de
soumettre au peuple un projet de loi constitutionnelle, le président de la République interdirait à l’Assemblée
nationale et au Sénat de se prononcer sur celui-ci au mépris de l’article 89, ce qui caractériserait
incontestablement une atteinte au fonctionnement normal des pouvoirs publics. Cependant, pour pouvoir
constater cette atteinte, encore faudrait-il savoir si le contrôle se limite au décret – comme semble le suggérer le
premier commentaire – ou s’étend à son annexe – comme semble y inviter le second 107. Dans la première
hypothèse, cela signifierait qu’un référendum organisé sur la base de l’article 11 pourrait être constituant sans que
le juge puisse s’y opposer. Le grief tiré de l’inconstitutionnalité du projet de loi serait irrecevable ou inopérant.
Dans la seconde hypothèse, il en irait bien entendu différemment. Le décret décidant du référendum pourrait
être censuré au motif que le texte de loi référendaire ayant pour objet de modifier irrégulièrement la Constitution
caractériserait une atteinte au fonctionnement normal des pouvoirs publics tel que prévu par l’article 89. En cet
état, il n’est donc pas certain que la décision Hauchemaille ait placé sur la porte conduisant au référendum le
verrou dont l’absence désole les libéraux108. Pour qu’il le soit, le Conseil constitutionnel devrait faire fi de
plusieurs objections considérables. Primo, il lui faudrait affirmer que l’article 60 lui permet d’aller au-delà du
contrôle des actes préparatoires du référendum stricto sensu. Il est vrai qu’à cet égard il a montré qu’il était
capable de se reconnaître une compétence contentieuse que ce texte ne lui attribue pas. Secundo, il devrait
forcer la Constitution puisque celle-ci prévoit qu’il exerce son contrôle de constitutionnalité d’un texte de loi

14/22
seulement dans le cadre des articles 54, 61 et 61-1. Or, caractériser le dysfonctionnement des pouvoirs publics le
contraindrait à porter son regard sur le projet de loi référendaire en dehors de ce cadre. Tertio, si pour les projets
de loi référendaire il pourrait faire valoir que justement l’article 61 n’institue qu’un contrôle de la loi et non d’un
projet de loi et que, ce faisant, ne disant rien du contrôle préalable de ce dernier il ne l’interdit pas, ce serait
néanmoins établir une limite non prévue à une prérogative importante du président de la République et donc
s’engager dans un conflit frontal avec celui-ci. Quarto, il lui reviendrait d’ignorer que le constituant n’a pas, à
l’occasion de la révision de 2008, étendu au projet de loi référendaire d’initiative présidentielle le contrôle
préalable de la proposition de loi référendaire d’initiative partagée, ce dont il peut être déduit a contrario qu’il ne
l’a pas souhaité s’agissant du premier.

Cela étant, le Conseil constitutionnel pourrait le moment venu dépasser ces objections en estimant qu’en 2008 le
constituant, justement en ne rouvrant pas le débat relatif à l’usage de l’article 11 pour réviser la Constitution, n’a
pas tranché et, ainsi, lui a laissé les mains libres pour déterminer s’il peut étendre son contrôle au projet de loi
référendaire à l’instar de ce que prévoit la Constitution pour les propositions de loi référendaire. Il pourrait
d’autant plus y être tenté que, réalisé sur le fondement de l’article 60 de la Constitution, son contrôle ne porterait
pas en tant que tel sur le projet de loi référendaire puisque son objet direct serait de vérifier l’atteinte ou non au
fonctionnement normal des pouvoirs publics. Cela lui permettrait de sauver quelque peu les apparences en
n’ajoutant formellement rien à l’article 61, alinéa 1er qui borne le contrôle préalable aux seules propositions de loi
référendaire. Une telle extension du champ de son contrôle supposerait toutefois qu’il soit saisi d’un recours
contentieux dirigé contre le décret présidentiel lui permettant de jouer à temps le rôle de contrepoids au pouvoir
du chef de l’État. À défaut d’un tel contentieux ou s’il ne statuait pas à temps, la loi référendaire même
inconstitutionnelle continuerait de bénéficier d’une immunité. En cela, la jurisprudence Hauchemaille ni ne
neutraliserait la décision de 1962 ni, par voie de conséquence, n’étoufferait le principe démocratique au nom de
l’État de droit, mais scellerait un compromis libéral en créant un espace politico-constitutionnel permettant au
Conseil constitutionnel d’exercer un contre-pouvoir au vu des circonstances. Saisi d’un recours, il pourrait alors
soit censurer le décret avant la tenue du référendum dans l’hypothèse où le projet de loi serait attentatoire aux
libertés fondamentales, soit, dès lors que le projet de loi ne porterait pas atteinte aux valeurs libérales de la
Constitution, laisser le référendum se dérouler puis, s’inspirant de la jurisprudence du Conseil d’État109, déclarer
qu’il n’y a pas lieu à statuer. Dans cette perspective, l’absence d’extension en 2008 du mécanisme de contrôle
préalable de la constitutionnalité des propositions de loi référendaire aux projets n’apparaît pas inopportune.
Elle évite un verrouillage des institutions là où il peut s’avérer plus sage de laisser les organes constitutionnels
apprécier les circonstances et agir en conséquence afin soit d’éviter de créer des situations de très fortes tensions,
soit d’être à même d’y répondre pragmatiquement. Le droit y perdrait peu au bénéfice de la préservation de
l’équilibre politico-constitutionnel entre les principes démocratique et libéral. Il demeure que s’engager dans
cette voie ne serait pas chose facile pour le Conseil constitutionnel tant le fait de contrecarrer la décision du
président de la République d’en appeler au peuple l’exposerait inévitablement à la critique de se comporter en
un gouvernement des juges.
1 – (1) Cité par Conac G. et Le Gall J., « Article 11 », in Luchaire F., Conac G. et Prétot X., La Constitution de la
République française, 3e éd., 2009, Economica, p. 429.

2 – (2) Le motif de la motion de censure est clair : « Considérant qu’en écartant le vote [du projet de loi
constitutionnelle] par les deux chambres le président de la République viole la Constitution dont il est le
gardien », cité dans Maus D., Les grands textes de la pratique institutionnelle de la Ve République, 1995, Doc. fr.,
p. 214.

3 – (3) V. Beaud O., « À la recherche de la légitimité de la Ve République », Droits 2006, n° 44, p. 78.

4 – (4) Ibid., p. 79.

5 – (5) Ibid., p. 75, 80-81 et 86.

6 – (6) Ibid., p. 79 ; et O. Jouanjan, qui relève qu’entre la loi et les droits, la Ve République prend à l’origine
clairement le parti de la première, « Le Conseil constitutionnel est-il une institution libérale ? », Droits 2006, n° 43,
p. 84 et 85.
15/22
7 – (7) Beaud O., « À la recherche de la légitimité… », art. préc., p. 80.

8 – (8) Denquin J.-M., « Situation présente du constitutionnalisme. Quelques réflexions sur l’idée de démocratie
par le droit », Jus politicum n° 1, p. 19 et 20, https://juspoliticum.com/article/Situation-presente-du-
constitutionnalisme-Quelques-reflexions-sur-l-idee-de-democratie-par-le-droit-25.html.

9 – (9) La modification résulte de l’article 4 de la loi constitutionnelle n° 92-554 du 25 juin 1992 et de l’article 3 de la
loi constitutionnelle n° 93-952 du 27 juillet 1993.

10 – (10) Cette analyse est celle qui motive la motion de censure du 4 octobre 1962 : « Considérant que la
Constitution […] prescrit formellement dans un titre spécial qu’une proposition de révision devra être : 1° Votée
par les deux chambres du Parlement ; 2° Approuvée par un référendum, le peuple français ayant été éclairé par
les débats parlementaires », cité in Maus D., « Les grands textes… », art. préc., p. 214.

11 – (11) Titre devenu titre XIII en vertu de l’article 3 de la loi constitutionnelle n° 93-952 du 27 juillet 1993, avant
d’être abrogé par l’article 14 de la loi constitutionnelle n° 95-880 du 4 août 1995.

12 – (12) En ce sens, v. Berlia G., « Le problème de la constitutionnalité du référendum du 28 octobre 1962 »,


RDP 1962, p. 938 et 939 ; Conac G. et Le Gall J., « Article 11 », art. préc., p. 432 ; et, résumant le débat, Raynaud P. et
Fombeur P., AJDA 1998, chron., p. 968.

13 – (13) Prélot M. et Boulouis J., Institutions politiques et droit constitutionnel, 10e éd., 1987, Dalloz, p. 645.

14 – (14) Berlia G., « Le problème de la constitutionnalité… », art. préc., p. 938.

15 – (15) Avis (officieux) défavorable du 2 octobre 1962 adopté par 7 voix contre 2,in Mathieu B., Machelon J.-P.,
Mélin-Soucramanien F., Rousseau D. et Philippe X., Les grandes délibérations du Conseil constitutionnel. 1958-
1986, 2e éd., 2014, Dalloz, p. 109.

16 – (16) Avis négatif adopté en 1962 à la quasi-unanimité de l’Assemblée générale du Conseil d’État, v. Conac G. et
Le Gall J., « Article 11 », art. préc., p. 430 – CE, ass., 30 oct. 1998, M. Sarran, M. Levacher et autres : Lebon, p. 369 ;
RFDA 1998, p. 962 et 1081, concl. Maugüé C. ; AJDA 1998, p. 962, chron. Raynaud F. et Fombeur P.

17 – (17) V. sur ce point Chapsal J., « Propos sur le référendum », in Mélanges en hommage à Maurice Duverger,
1987, PUF, p. 56 ; Prélot M. et Boulouis J., Institutions politiques…, op. cit., p. 645 et 647.

18 – (18) V. par ex. Baranger D., Beaud O., Denquin J.-M., Wachsmann P., « La candidate du Rassemblement
national veut dynamiter la démocratie libérale en faisant appel au peuple », Le Monde 14 avr. 2022 ; et
Cohendet M.-A., « Il est plus que temps d’établir le référendum d’initiative citoyenne », Le Monde 10 oct. 2023.

19 – (19) V. en ce sens G. Conac et J. Le Gall, qui nuancent cependant la portée de l’argument en observant que, «
en sens inverse, il faut souligner que le dernier alinéa de la Constitution de 1958 identifie sans détour la
Constitution à une loi, puisqu’il précise que la présente loi sera exécutée comme Constitution de la République et
de la Communauté », « Article 11 », art. préc., p. 432. Pour leur part, M. Prélot et J. Boulouis considèrent l’argument
peu convaincant dès lors qu’en parlant de « projet de loi », l’article 11 n’exclut en rien les projets de loi de révision,
Institutions politiques…, op. cit., p. 645.

20 – (20) Les constitutions françaises qui prévoient une procédure de révision ne recourent pas à l’expression de
projet de loi, mais n’évoquent que la révision, v. Const. 1791, titre VII ; Const. 1795, art. 336 et s. ; Const. art. 111.
L’article 8 de la loi du 25 février 1875 relative à l’organisation des pouvoirs publics en fait de même. Certes, il
mentionne les « lois constitutionnelles » mais non pas pour évoquer l’acte de révision – il n’est question à ce sujet
que de la « révision » ou d’une « résolution » –, mais pour évoquer les lois constitutionnelles en vigueur, c’est-à-dire
les trois lois de 1875.

21 – (21) V. Const., art. 89 et 42 et v. infra, B.

22 – (22) L’article 7 in fine le fait indirectement par renvoi à l’article 89 : « Il ne peut être fait application ni des

16/22
articles 49 et 50 ni de l’article 89 de la Constitution durant la vacance de la présidence de la République ou
durant la période qui s’écoule entre la déclaration du caractère définitif de l’empêchement du président de la
République et l’élection de son successeur. » Cette disposition a été créée par la loi constitutionnelle n° 62-1292
du 6 novembre 1962.

23 – (23) V. en ce sens l’intervention de M. Gilbert-Jules lors de la séance du Conseil constitutionnel du 2 octobre


1962, in Mathieu B. et al., Les grandes délibérations…, op. cit., p. 103.

24 – (24) V. sur l’analogie, Terré F., Introduction générale au droit, 1991, Dalloz, p. 329.

25 – (25) Sur l’insignifiance des travaux préparatoires, v. not. Lampué P., « Le mode d’élection du président de la
République et la procédure de l’article 11 », RDP 1962, p. 932 et 933.

26 – (26) L’alinéa 4 de l’article 11 modifié précise : « Les conditions de sa [la proposition de loi référendaire
d’initiative partagée] présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le respect des
dispositions de l’alinéa précédent sont déterminées par une loi organique ». L’article 45-2 de l’ordonnance du
7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose que ce dernier vérifie « qu’aucune
disposition de la proposition de loi n’est contraire à la Constitution ».

27 – (27) V. Hyest J.-J., Rapport fait au nom de la commission des Lois du Sénat sur le projet de loi
constitutionnelle, adopté par l’Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République,
Doc. Sénat, 11 juin 2008, rapport n° 387, p. 67 et 170, www.senat.fr/rap/l07-387/l07-3871.pdf . Il s’agit aussi de
conforter l’immunité de la loi référendaire, en permettant d’éviter qu’une telle loi puisse « faire l’objet de
l’exception d’inconstitutionnalité ouverte désormais à l’article 61-1 de la Constitution », id., p. 67, v. aussi p. 46. Cet
ajout résulte d’un amendement sénatorial, id., p. 67.

28 – (28) L’alinéa 3 de l’article 11 modifié prévoit que le référendum d’initiative partagée porte « sur un objet
mentionné au premier alinéa », lequel alinéa énumère les objets possibles du référendum d’initiative
présidentielle sur proposition du Premier ministre ou des assemblées.

29 – (29) Dans son rapport précité, p. 171, le sénateur Hyest a été sans détour : « Il a semblé souhaitable à votre
commission qu’un tel contrôle puisse intervenir sur les propositions de loi avant qu’elles ne soient soumises à
référendum. En revanche, elle a exclu que ce contrôle porte sur les projets de loi afin d’éviter d’ouvrir le débat sur
la possibilité, pour le président de la République, de recourir à l’article 11 pour réviser la Constitution ».

30 – (30) Ambivalence qui résulte des expressions « tout projet de loi » et « organisation des pouvoirs publics »,
v. Savonitto F., Les discours constitutionnels sur la « violation de la Constitution » sous la Ve République, 2013,
LGDJ, p. 88.

31 – (31) Gaulle (de) C., Discours et messages, 1970, Plon, t. 4, p. 24.

32 – (32) Lampué P., « Le mode d’élection… », art. préc., p. 933 ; dans le même sens, Goguel F., « De la conformité du
référendum du 28 octobre 1962 à la Constitution », in Mélanges en hommage à Maurice Duverger, 1987, PUF, p. 119
et 120. V. aussi, pour une synthèse des débats, Raynaud P. et Fombeur P., chron. préc., p. 968.

33 – (33) Prélot M. et Boulouis J., Institutions politiques…, op. cit., p. 645.

34 – (34) Lampué P., « Le mode d’élection… », art. préc., p. 933. V. aussi F. Goguel, qui part du même postulat en
considérant que l’organisation des pouvoirs publics renvoie à des dispositions constitutionnelles, organiques et
ordinaires, « De la conformité du référendum… », art. préc., p. 116.

35 – (35) Chevallier J.-J., Histoire des institutions et des régimes politiques de la France de 1789 à nos jours, 6e éd.,
1981, Dalloz, p. 756.

36 – (36) L. n° 61-44, 14 janv. 1961, art. 2.

37 – (37) Telle a été d’ailleurs la position en 1958 de la commission constitutionnelle du Conseil d’État, que rappelle

17/22
René Cassin lors de la séance du Conseil constitutionnel du 2 octobre 1962, in Mathieu B. et al., Les grandes
délibérations…, op. cit., p. 102.

38 – (38) Du moins dans sa rédaction applicable jusqu’à la loi constitutionnelle n° 2008-274 du 23 juillet 2008
dont l’article 17 modifie l’article 42 de la Constitution, qui dispose désormais en son alinéa 2 : « la discussion en
séance des projets de révision constitutionnelle, des projets de loi de finances et des projets de loi de
financement de la sécurité sociale porte, en première lecture devant la première assemblée saisie, sur le texte
présenté par le gouvernement ». Cette modification renforce donc l’importance des titres comme éléments
d’interprétation des articles, d’autant que l’article 45 de cette même loi de 2008 a modifié l’article 89 qui renvoie
à l’article 42. Ces deux dispositions ne se comprennent par conséquent pas l’une sans l’autre.

39 – (39) P. Lampué ne prétend d’ailleurs pas que sa démonstration serait péremptoire, puisqu’il concède au bout
du compte qu’il n’y a pas en réalité « une explication logique » au « concours de procédures et de compétences »
qu’il identifie, « Le mode d’élection… », art. préc., p. 935.

40 – (40) Plusieurs constitutions françaises emploient les termes de « pouvoirs publics » pour désigner les pouvoirs
constitutionnels, v. Const. 1791 (titre III) ; Const. 1848 (ch. III) ; L., 25 févr. 1875 relative à l’organisation des pouvoirs
publics et L., 16 juill. 1875 sur les rapports des pouvoirs publics.

41 – (41) Lampué P., « Le mode d’élection… », art. préc., p. 934 ; dans le même sens, Goguel F., « De la conformité du
référendum… », art. préc., p. 121.

42 – (42) Gaulle (de) C., Discours…, op. cit., t. 4, p. 23.

43 – (43) Conac G. et Le Gall J., « Article 11 », art. préc., p. 430.

44 – (44) Il est vrai que, comme le note A. Le Divellec, « le cœur du dessein constitutionnel du Général se situait
beaucoup plus sur le plan de l’éthique du pouvoir et de la démocratie que sur un plan institutionnel stricto sensu.
Son “esprit” de la Constitution passait avant les institutions et les mécanismes formels d’organisation du pouvoir »,
« Le prince inapprivoisé. De l’indétermination structurelle de la présidence de la Ve République (simultanément
une esquisse sur l’étude des rapports entre “droit de la Constitution” et système de gouvernement) », Droits 2006,
n° 44, p. 125.

45 – (45) Ainsi que l’article 88-5 créé par la loi constitutionnelle n° 2005-204 du 1er mars 2005.

46 – (46) Goguel F., « De la conformité du référendum… », art. préc., p. 115 et 116.

47 – (47) V. en ce sens l’intervention de René Cassin lors de la séance du Conseil constitutionnel du 2 octobre 1962,
in Mathieu B. et al., Les grandes délibérations…, op. cit., p. 102.

48 – (48) JOAN CR 1962, p. 3223, cité par Berlia G., « Le problème de la constitutionnalité… », art. préc., p. 937 et 938.

49 – (49) En ce sens, v. Prélot M. et Boulouis J., Institutions politiques…, op. cit., p. 645.

50 – (50) Propos rapportés par Berlia G., « Le problème de la constitutionnalité… », art. préc., p. 942 ; et Goguel F., «
De la conformité du référendum… », art. préc., p. 121 et 122.

51 – (51) V. Berlia G., « Le problème de la constitutionnalité… », art. préc., p. 943.

52 – (52) Goguel F., « De la conformité du référendum… », art. préc., p. 122.

53 – (53) Carré de Malberg R., Contribution à la théorie générale de l’État, 1920, Sirey, rééd. 1962, CNRS, t. 2, p. 582,
note 10.

54 – (54) Il aurait pu faire siennes ces phrases de J.-J. Rousseau : « il est contre la nature du corps politique que le
Souverain s’impose une loi qu’il ne puisse enfreindre. Ne pouvant se considérer que sous un seul et même
rapport il est alors dans le cas d’un particulier contractant avec soi-même : par où l’on voit qu’il n’y a ni ne peut y
avoir nulle espèce de loi fondamentale obligatoire pour le corps du peuple, pas même le contrat social », Du

18/22
contrat social, in Œuvres complètes, t. III, 1964, Gallimard, La Pléiade, p. 362.

55 – (55) Cons. const., 16 juill. 1971, n° 71-44 DC.

56 – (56) V. Denquin J.-M., Référendum et plébiscite, 1976, LGDJ, p. 197 et s.

57 – (57) Bien sûr, une constitution peut prévoir un tel contrôle, mais dans un système démocratique il est
incohérent qu’un organe constitutionnel dispose d’une faculté d’empêcher les décisions du peuple souverain.

58 – (58) Cité par Domingo L., Gaïa P., Guerrini M., Mélin-Soucramanien F., Oliva É. et Roux A., Les grandes
décisions du Conseil constitutionnel, 20e éd., 2022, Dalloz, p. 204.

59 – (59) Cette qualité particulière tient au fait – cela est bien connu – que le Conseil constitutionnel a été conçu
comme une instance de rationalisation du parlementarisme, v. Favoreu L., « Le Conseil constitutionnel régulateur
de l’activité normative des pouvoirs publics », RDP 1967, p. 12 et 13.

60 – (60) Cons. const., 23 sept. 1992, n° 92-313 DC.

61 – (61) V. le compte rendu de la séance du Conseil constitutionnel du 22 septembre 1992, qui est clair sur ce
point, p. 12 et s., www.conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/2018-11/pv1992-09-22-23.pdf.

62 – (62) Cons. const., 25 avr. 2014, n° 2014-392 QPC.

63 – (63) Conac G. et Le Gall J., « Article 11 », art. préc., p. 430.

64 – (64) Cité par Raynaud P. et Fombeur P., chron. préc., p. 969.

65 – (65) Chapsal J., « Propos sur le référendum », art. préc., p. 56. La référence à la coutume constitutionnelle que
Chapsal évoque juste avant le propos cité ne doit pas tromper sur la véritable justification retenue.

66 – (66) Hamon L., note sur la Cons. const., 6 nov. 1962, D. 1963, Jur., p. 400.

67 – (67) Conac G. et Le Gall J., « Article 11 », art. préc., p. 430.

68 – (68) Ibid., p. 451.

69 – (69) Hamon L., note préc., p. 399.

70 – (70) C’est l’opinion de L. Favoreu, qui estime que l’expression « pouvoirs publics » désigne « habituellement
l’exécutif et le Parlement. Mais dans les systèmes de démocratie directe ou semi-directe, on peut songer à y
englober le peuple, dans la mesure où il est appelé à exercer parfois le pouvoir législatif », « Le Conseil
constitutionnel régulateur… », art. préc., p. 31.

71 – (71) V. Glénard G., « La notion de pouvoir dans l’œuvre de l’Assemblée constituante de 1789 », RDP 2022, p. 789.
L’idée que le pouvoir suppose une délégation se retrouve dans la Constitution de 1848, v. art. 18, 20 et 43.

72 – (72) Déléguer à soi-même ne reviendrait d’ailleurs à rien d’autre que d’exercer soi-même, donc à ne pas
déléguer.

73 – (73) Peyreffite A., C’était de Gaulle, 2022, Gallimard, Quarto, p. 228.

74 – (74) Hamon L., note préc., p. 399. V. aussi pour une position similaire, Garrigou-Lagrange J.-M., « Le
dédoublement constitutionnel. Essai de rationalisation de la pratique référendaire de la Ve République »,
RDP 1969, p. 667 à 669 ; et Prévost J.-F., « Le droit référendaire dans l’ordonnancement juridique de la Constitution
de 1958 », RDP 1977, p. 13 et 14.

75 – (75) Garrigou-Lagrange J.-M., « Le dédoublement constitutionnel… », art. préc., p. 668.

76 – (76) Georges Berlia a critiqué l’opinion selon laquelle « dès lors que la procédure retenue aboutit à recueillir le
verdict populaire, elle devrait être réputée démocratique », ce qui purgerait l’utilisation du référendum de

19/22
l’article 11 de toute inconstitutionnalité, « Le problème de la constitutionnalité… », art. préc., p. 943. De même, J.-
L. Quermonne et D. Chagnollot ont considéré que de telles positions, auxquelles certains auteurs se sont
rapportés pour défendre le recours à l’article 11, reviennent « à nier la portée de toute Constitution rigide, dès lors
que le Peuple s’est démocratiquement prononcé », Le gouvernement de la France sous la Ve République, 4e éd.,
1991, Dalloz, p. 66.

77 – (77) V. en ce sens, Berlia G., « Le problème de la constitutionnalité… », art. préc., p. 944 et 945. Certes, selon
O. Beaud, la révision de 1962 est un « acte constituant », c’est-à-dire de souveraineté relevant donc du pouvoir
constituant, en ce qu’il constitue une « rupture constitutionnelle » en transformant un régime mixte en un régime
« dominé par l’institution présidentielle », La puissance de l’État, 1994, PUF, Léviathan, p. 383 et 384. Cependant, à
notre sens, la révision de 1962 est davantage un parachèvement qu’une rupture en ce qu’elle ne fait
qu’institutionnaliser par l’élection au suffrage universel direct la légitimité du président de la République. En
outre, elle ne fait pas disparaître le caractère mixte du régime, ainsi qu’en témoignent les trois cohabitations et,
récemment, l’absence de fait majoritaire.

78 – (78) Si F. Goguel a pu estimer à raison qu’il n’est nullement question en l’occurrence de pouvoir constituant
originaire, c’est à tort qu’il soutient qu’on se trouve en présence de deux pouvoirs constituants « distincts », l’un
institué par l’article 11, l’autre par l’article 89, « De la conformité du référendum… », art. préc., p. 124.

79 – (79) Ainsi que l’a confirmé le Conseil constitutionnel dans la décision Cons. const., 9 janv. 1990, n° 89-265 DC,
Loi portant amnistie d’infractions commises à l’occasion d’événements survenus en Nouvelle-Calédonie.

80 – (80) Sur ce point, v. Savonitto F., Les discours constitutionnels…, op. cit., p. 13 et s. C’est ainsi qu’un tel refus de
considérer la violation conduit J. Chapsal à affirmer que le référendum de 1962 a eu comme conséquence « la
validité erga omnes de toute loi qui “adoptée par le peuple à la suite d’un référendum, constitue l’expression
directe de la souveraineté nationale” (décision du Conseil constitutionnel du 6 novembre 1962 […]) », « Propos sur
le référendum », art. préc., p. 56.

81 – (81) C’est Léo Hamon qui, semble-t-il, a été le premier à évoquer une coutume née, selon lui, du référendum
de 1962, de la promulgation de la loi référendaire et de la décision d’incompétence du Conseil constitutionnel,
note préc., p. 400. Mais ce sont des articles du Doyen Vedel qui ont provoqué un débat, « Le droit, le fait, la
coutume… », Le Monde 27 juill. 1968, et « Le droit par la coutume », Le Monde 22-23 déc. 1968. Cette opinion n’a
suscité que désapprobation, v. Chevallier J., « La coutume et le droit constitutionnel français », RDP 1970,
notamment p. 1396 et 1411 ; Duverger M., « L’article 11. La carte forcée », Le Monde 22-23 déc. 1968 ; Hauriou A., «
Contre le viol des constitutions », Le Monde 9-10 mars 1969 ; Prélot M., « Sur une interprétation “coutumière” de
l’article 11 », Le Monde 15 mars 1969 ; Petot J., « Faut-il réviser la Constitution de 1958 ? », RDP 1985, p. 1488 ; plus
récemment, Baranger D., Beaud O., Denquin J.-M., Wachsmann P., « La candidate… », art. préc. ; Conas G. et
Le Gall J., « Article 11 », art. préc., p. 436.

82 – (82) V. Avril P., Les conventions de la Constitution, 1997, PUF, Léviathan, p. 133.

83 – (83) Les propos que tient Paul Raynaud le 4 octobre 1962 à l’Assemblée nationale lors du débat sur la motion
de censure s’inscrivent parfaitement dans le fil de cette tradition : « Pour nous Républicains, la France est ici et
non ailleurs […]. Depuis 1789, les représentants du peuple, si décriés aujourd’hui, savent bien qu’ils ne sont, pris
isolément, que des porte-parole modestes, précaires, faillibles, vilipendés souvent. Mais ils savent aussi
qu’ensemble ils sont la nation et qu’il n’y a pas d’expression plus haute de la volonté du peuple que le vote qu’ils
émettent après une délibération publique. », v. « Paul Reynaud et Georges Pompidou (4 octobre 1962) », AN,
www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-discours-parlementaires/paul-reynaud-et-
georges-pompidou-4-octobre-1962.

84 – (84) V. Raynaud P., « Constitutionnalisme », in Alland D. et Rials S., Dictionnaire de la culture juridique, 2003,
Lamy-PUF, Quadrige, p. 266.

85 – (85) Cité par Vedel G., « Des rayons et des ombres », Le Monde 10 nov. 1977. Pour leur part, G. Conac et J. Le Gall
relèvent que ce discours « a pu être considéré comme une renonciation implicite à utiliser l’article 11 pour réviser
20/22
la Constitution », « Article 11 », art. préc., p. 435 et 436. J. Petot est plus catégorique : Giscard d’Estaing considérait
que seul l’article 89 permet la révision, « Faut-il réviser […] ? », art. préc., p. 1489.

86 – (86) Vedel G., « Des rayons… », art. préc.

87 – (87) Ibid.

88 – (88) Alors qu’en juillet 1977, François Mitterrand indiquait que si la gauche était amenée à réviser la
Constitution, elle ne le ferait que par la voie de l’article 89 (Petot J., « Faut-il réviser […] ? », art. préc., p. 1489), il
soutint en 1988, dans un entretien sur les institutions, qu’en vertu d’un usage établi, l’article 11 est une voie de
révision concurrente à celle de l’article 89 (Pouvoirs 1988, n° 45, p. 138).

89 – (89) Rapport remis au président de la République le 15 février 1993 par le comité consultatif pour la révision
de la Constitution : JO 15 févr. 1993, p. 2549 et 2550. L’idée était dans l’air depuis plusieurs années, v. par ex.
Prévost J.-F., « Le droit référendaire… », art. préc., p. 47.

90 – (90) V. le rapport du comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des


institutions de la Ve République, proposition n° 67, JO 30 oct. 2007, p. 17728 et 17729.

91 – (91) Respectivement rapport Vedel préc. et rapport Balladur, préc.

92 – (92) V. rapport Hyest préc., p. 171.

93 – (93) La loi constitutionnelle n° 2002-276 du 28 mars 2003 a ajouté les mots « prévues aux articles 11 et 89 » et
la loi constitutionnelle n° 2005-204 du 1er mars 2005, les mots « et au titre XV ».

94 – (94) Cons. const., 23 déc. 1960, n° 60-2 REF ; v. dans le même sens la décision Cons. const., 23 déc. 1960, n° 60-
3 REF, Centre républicain. Cette jurisprudence a été à l’époque critiquée par la doctrine ; pour une synthèse,
v. Favoreu L. et Philip L., Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, 6e éd., 1991, Sirey, p. 101 et s., et
Prévost J.-F., « Le droit référendaire… », art. préc., p. 32 et 33.

95 – (95) L’article 47 dispose : « Le Conseil constitutionnel peut présenter des observations concernant la liste des
organisations habilitées à user des moyens officiels de propagande », et l’article 50 : « Le Conseil examine et
tranche définitivement toutes les réclamations. Dans le cas où le Conseil constitutionnel constate l’existence
d’irrégularités dans le déroulement des opérations, il lui appartient d’apprécier si, eu égard à la nature et à la
gravité de ces irrégularités, il y a lieu soit de maintenir lesdites opérations, soit de prononcer leur annulation
totale ou partielle. »

96 – (96) Cons. const., 25 juill. 2000, n° 2010-21 REF.

97 – (97) V. Domingo L. et al., Les grandes décisions…, op. cit., p. 211 et 212 ; Fatin-Rouge Stefanini M., « Le
référendum et la protection des droits fondamentaux », RFD const. 2003, n° 53, p. 96 ; id., chron., AIJC 2000, n° 16,
p. 709 ; Ghévontian R., « Conseil constitutionnel – Conseil d’État : le dialogue des juges », RFDA 2000, p. 1007 – CE,
ass., 1er sept. 2000, Larrouturou, Meyet et autres : RFDA 2000, p. 996, concl. Savoie H.

98 – (98) Fatin-Rouge Stefanini M., « Le référendum… », art. préc., p. 96 et 97.

99 – (99) CE, 29 avr. 1970, Comité des chômeurs de la Marne et sieur Le Gac : Lebon, p. 279.

100 – (100) Cons. const., 24 mars 2005, n° 2005-31 REF.

101 – (101) Cons. const., 25 mai 2005, n° 2005-37 REF.

102 – (102) Fatin-Rouge Stefanini M., « Vingt-cinq ans de débats et de réformes sur les référendums en France :
entre apparences et réalités », RFD const. 2014, n° 100, p. 915.

103 – (103) Commentaire de la décision du 24 mars 2005 : CCC 2005, n° 18, p. 4 et 5, www.conseil-
constitutionnel.fr/sites/default/files/as/root/bank_mm/commentaires/cahier18/ccc_240305_hauchemaille_meyet.

21/22
pdf.

104 – (104) Commentaire de la décision du 25 mai 2005 : CCC 2005, n° 19, p. 1 et 2, www.conseil-
constitutionnel.fr/sites/default/files/as/root/bank_mm/commentaires/cahier19/ccc_2005_250505_hauchemaille_
mailloux.pdf.

105 – (105) Commentaires de la décision du 24 mars 2005, préc., p. 5 et de la décision du 25 mai 2005, préc., p. 1.

106 – (106) Notamment, une autorité qui décide de soumettre au peuple un projet de loi inconstitutionnel peut le
faire selon des modalités régulières d’organisation du référendum et de vote, et inversement.

107 – (107) Sur cette question, le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, est demeuré prudent dans
son discours du 5 octobre 2023 (p. 4). Il s’est en effet borné à indiquer que « la jurisprudence donne désormais
expressément compétence au Conseil constitutionnel pour, en amont, contrôler notamment la validité du décret
de convocation des électeurs et donc la régularité de la question posée ». Il n’a donc rien dit de la possibilité de
contrôler ou non la constitutionnalité du texte de loi annexé au décret, ce qui est compréhensible car cela aurait
été préjugé de la position du Conseil, www.conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/2023-10/2023-10-04-
allocution-laurent-fabius.pdf.

108 – (108) D. Chagnollaud et A. Baudu considèrent pour leur part que la décision Hauchemaille permet le
contrôle des annexes du décret décidant du référendum, Droit constitutionnel contemporain, 2, La Constitution
de la Ve République, 10e éd., 2022, Dalloz, p. 586 et 587. L. Domingoet al. estiment de leur côté avec prudence
qu’une ouverture est possible, Les grandes décisions…, op. cit., p. 211 et 212.

109 – (109) CE, ass., 27 oct. 1961, Le Regroupement national : Lebon, p. 594 : « que, postérieurement à l’introduction
de [la] requête, le peuple français a adopté et le président de la République promulgué la loi du 14 janvier 1961,
publiée au Journal officiel du 15 janvier 1961, concernant l’autodétermination des populations algériennes […] ;
qu’à compter de cette dernière date, le juge de l’excès de pouvoir ne peut plus se prononcer sur la légalité des
actes administratifs constituant le préliminaire obligatoire du référendum, sans qu’il soit porté une appréciation
sur la validité de la loi précitée ; qu’il s’ensuit que la légalité de l’arrêté et des décisions attaqués n’est plus
susceptible d’être discutée par la voie contentieuse » ; v. aussi CE, 10 mai 1989, Front calédonien : Lebon, p. 123.

22/22

Vous aimerez peut-être aussi