Vous êtes sur la page 1sur 24

Gana Fall

Docteur en Histoire.

Histoire générale du Sénégal ( Géo 1241) 2e semestre L1 Géo Cohorte 2

La Chefferie indigène : les hommes à tout faire de l’administration coloniale au

Sénégal (1854 -1914).

Résumé du cours : La chefferie traditionnelle en tant qu’intermédiaire entre l’administration


coloniale et les administrés semble être la solution pour le triomphe de l’hégémonie coloniale.
Ainsi, pour éviter l’existence d’un « État dans un État », le pouvoir colonial s’employa, pour
assurer le contrôle strict du commandement indigène, à démanteler les grands
commandements territoriaux (provinces), à supprimer les titres traditionnels et à morceler
leurs prérogatives. Ce fut dans ce cadre aussi que le commandement autochtone, au fur et à
mesure était rajeuni et formé dans des écoles coloniales, cadres d’aliénation culturelle au
service de la France.
Les chefs indigènes, recrutés et payés par l’administration qui pouvait les révoquer à tout
moment, devinrent de dévoués auxiliaires, et non les porte-paroles ou les défenseurs de leurs
administrés.
La chefferie indigène, après l’appui militaire apporté au Pouvoir colonial contre les résistants
sénégalais fut également exécutrice de toutes les mesures impopulaires dans les protectorats
comme le maintien de l’ordre, du travail forcé, de la réquisition des impôts…
Le commandant de cercle, bien qu’isolé, resta comme l’écrit le professeur Kizerbo, le vrai
« dieu de la brousse ».. Le peuple muselé, lui témoigna respect et le salut militaire. Avec
l’éclatement du Premier Conflit mondial, le commandement indigène réussit la performance
de mobiliser hommes et ressources économiques pour voler au secours de la France et à
maintenir la tranquillité dans la colonie. Avec un personnel européen d’encadrement d’une
insuffisance presque endémique même auSénégal (42 administrateurs en 1916), la preuve est
ainsi faite que sans le bon vouloir des chefs indigènes, la domination coloniale serait une
utopie. (42 administrateurs en 1916),
Le Syllabus ou les objectifs visés consistent à montrer la colonisation au Sénégal et
ailleurs en Afrique avec de faibles moyens et un personnel européen d’encadrement très
limité mais qui, s’appuyant sur un personnel autochtone cantonné au bas de l’échelle
administrative réussira à faire triompher l’hégémonie coloniale.
1
Gana Fall
Docteur en Histoire.

Trois décennies ont suffi à la France pour parachever la conquête coloniale en Afrique de
l’Ouest. Les résistances religieuses, aristocratiques, forestières ou villageoises sont
complètement démantelées. Partout, même là où les souverains ont préféré s’exiler, des
interlocuteurs en place, reconnaissent l’autorité française et signent des traités d’allégeance ou
de protectorat. Les anciennes royautés ou autres entités politiques traditionnelles (théocratie et
démocratie rurale) sont démantelées et à la place, substituées par des cercles sous le contrôle
de commandants français. Pour des raisons diverses, la France, dans le cadre de
l’administration territoriale, est obligée de recourir à des chefs indigènes installés au bas de
l’échelle administrative dans les cantons et les villages. Réduits à de simples intermédiaires
entre le commandant de cercle et les administrés ou les populations, les chefs indigènes sont
formés, payés et sanctionnés en cas de manquements dans le travail. En tant qu’auxiliaires, ils
accompagnèrent l’armée régulière dans tous les combats de conquête et de pacification du
Sénégal et des autres colonies de la France en Afrique occidentale. Recrutés comme
fonctionnaires durant la domination coloniale, ils sont assignés à des tâches réputées
impopulaires comme le maintien de l’ordre, le renseignement, la perception des impôts, le
recrutement pour les besoins militaires comme économiques appelés impôt en nature ou le
travail forcé etc. Ainsi, malgré les vicissitudes de l’administration directe, base de
l’organisation politique et administrative de la colonisation française, la nature de la chefferie
indigène sera profondément modifiée sans pour autant arriver à remettre en question son
existence en tant que classe sociale et leader surtout en milieu rural.

1 La chefferie indigène dans le dispositif colonial au Sénégal.

1.1 La chefferie : rôle d’intermédiation entre l’administration et la population


La cellule de base de l’administration est le cercle qui, implanté d’abord au Sénégal, sera
généralisé à toute l’A.O.F. La chefferie dans le cercle, est cantonnée au bas de l’échelle
administrative comme chefs de provinces, de cantons et de villages. Là aussi, les différentes
circulaires sont explicites sur le rôle et la place de la chefferie indigène.

2
Gana Fall
Docteur en Histoire.

Selon Bugeaud : « Nous devons gouverner directement les populations mais de haut et non
1
dans les rouages inférieurs. » La conception est la même, dans le temps et dans l’espace
donc aussi bien au Sénégal qu’au Soudan. La circulaire de 1917 du gouverneur général Van
VollenHoven énonce :« qu’ils (les chefs) n’ont aucun pouvoir propre, d’aucune espèce car il
n’y a pas deux autorités dans le cercle, l’autorité française et l’autorité indigène, il n’y en a
qu’une, seul, le commandant de cercle commande, il est seul responsable ».2
Le chef indigène n’est qu’un instrument, un auxiliaire. Il doit jouer un rôle de courroie de
transmission entre l’autorité supérieure et les masses. A ce titre, ila comme mission de
répercuter et d’appliquer les décisions du sommet à la base, en somme assurer le triomphe de
l’hégémonie coloniale. Il est dans l’obligation d’utiliser son prestige et son autorité sur les
populations pour réaliser ce dessein.
Cependant, des problèmes ne manquent pas de surgir entre les administrateurs et les chefs
indigènes, relevant essentiellement de considérations sociologiques. En effet, l’autorité du
chef est surtout fonction de ses troupes, donc d’une escorte armée alors que le prestige dépend
en grande partie deses moyens (finances, troupeaux, esclaves etc.) pour tenir un standing de
vie correspondant à son rang social. Cela était valable pour tous, que ce fût les chefs
coutumiers ou les nouveaux promus, sans légitimité aucune mais arrivés à ce stade à la suite
de récompenses pour services rendus à la France. Ces derniers cherchent à légitimer leur
pouvoir en épousant des garmi (princesses) ou en parrainant l'éducation de jeunes garmi. 3 Or,
l’administration coloniale ne met pas entre les mains de la chefferie plutôt administrative, les
moyens qu’il faut pour parfaire ses missions. Elle bénéficie d’un salaire annuel en plus des
ristournes sur l’impôt et des amendes infligées par les cadis. Les chefs indigènes se mettent
ainsi, pour s’en sortir, à tondre les populations, leur demandant de l’argent en dehors de
l’impôt, en les mettant à l’amende dont ils conservent les montants, ou même en faisant piller
leurs basses-cours et leurs greniers. Ils détournent les deniers aussi de l’État colonial, en
faisant des recensements incomplets pour s’approprier une partie de l’impôt récupéré sur les
contribuables non déclarés au commandant de cercle. Le déficit de contrôle du commandant
de cercle sur les chefs indigènes donne une autre dimension du rôle de ces derniers en tant

1
Circulaire du Gouverneur général, Alger, le 17 septembre 1844.
2
.Circulaire du Gouverneur général Van Vollenhoven au sujet des chefs Indigènes, J.O AOF, 18 août1917.
3
A.R S : 13G50. Dossiers de chef Demba War Sall, 22 novembre 1897.
3
Gana Fall
Docteur en Histoire.

qu’écran entre les indigènes et lui. Au demeurant, le pouvoir de contrôle du commandant est
difficile en raison de la multiplication des intermédiaires (chef de province, de canton, de
village) et de la toute-puissance du chef de province, de qui dépendent directement les chefs
de cantons et de villages. Pour pallier à ces manquements et réaliser un meilleur contrôle des
chefs, le Pouvoir colonial procédera à plusieurs réformes du commandement indigène.

1.2 Les restructurations du commandement indigène.


Avec l’autonomie financière votée en 1900, l’urgence des réformes s’impose d’autant plus
que comme le rappellent les innombrables circulaires, la promotion du chef du cercle passe
donc par ses capacités à faire passer ses instructions, et à les faire appliquer par les
populations. Or, sans la chefferie indigène, il a les mains liées. Ainsi, pour se rapprocher
davantage des administrés, ces principales mesures seront appliquées dans le commandement
indigène.

1.2.1 Le démantèlement des grands commandements Indigènes


Après la conquête militaire, certains chefs, en reconnaissance pour services rendus, sont
placés à la tête des provinces. Ils continuent ainsi à porter le titre traditionnel de chef dans
leurs contrées. Ainsi en est-il du Teigne du Baol, du Bourba au Djolof, et du Bour au
Sineetc.Certains portaient le titre de chef des provinces sérères comme Sanor NDiaye, ou de
chef de la fédération du Cayor à l’image de Demba War Sall. Au Soudan aussi Aguibou, le
frère d’Ahmadou, hérite d’un grand commandement territorial, celui de Macina avec le titre
de fama. Mais Archinard explique que c’est essentiellement dans le but « de constituer une
marche solide qui ne retiendrait pas trop son attention et lui servirait de base, soit en
direction du Mossi, soit vers la boucle du Niger. »4 L’explication donnée par Archinard
semble montrer que les privilèges donnés à certains chefs africains restent provisoires et
obéissent souvent à des stratégies politiques ayant, comme soubassement essentiel, le rapport
de force. En effet, Lat Dior, de retour du Rip, avec le titre de simple chef de canton de Guet
au Cayor réussit, profitant de la guerre Franco-allemande de 1870 – 71, à se faire introniser
damel du Kayoor par l’administration coloniale5. Le titre pompeux de chef ou de président de
la confédération du Kayoor attribué à Demba War Sall s’explique tout simplement par le fait

4
B.C.A.F. Renseignements coloniaux février 1914, pp 68-75.
5
Voir aussi moniteur du Sénégal et dépendance, 1886, p-309.
4
Gana Fall
Docteur en Histoire.

que, c’est grâce surtout à son action que les Français réussissent à venir à bout de Lat Dior qui
finit par tomber à Dekhelé en 18866
L’autopsie du commandement territorial après les premières expériences, révèle un
« monstre » administratif avec les chefs de province qui parviennent à garder intact leur
prestige et leur autorité, à s’enrichir à la fois sur le dos des populations et de l’État colonial.
Ainsi, au lieu d’être un instrument réel au service de la colonisation, ce commandement
indigène semblait plutôt être un écran entre la population et le pouvoir colonial. Aussi,
assiste-t-on à un tir groupé de la part des administrateurs (commandant de cercle, lieutenant-
gouverneur, Gouverneur général) en direction des chefs de ces grands commandements
territoriaux. Les griefs qui reviennent souvent dans les différentes circulaires à partir de 1900,
surtout celles du lieutenant-gouverneur Camille GUY ou du Gouverneur général William
Ponty,portent sur le fait que la structure territoriale ne facilite pas une transmission et
l’exécution rapide des ordres du commandant de cercle. Cette instance centralise entre les
mains d’un seul personnage les pouvoirs de tous les petits chefs du groupe, rend ces chefs trop
influents et mal surveillés et fait d’eux, un écran entre le commandant et les populations mais
aussi entre le commandant et les autres chefs (cantons et villages).
L’objectif visé est d’enlever les barrières que ces chefs avaient dressées entre les sujets et
l’administration française. Celle-ci voudrait se rapprocher davantage de ces administrés et
pense que les grands commandements indigènes constitueraient un rouage à faire sauter. On
cherche à faire du canton, le rouage administratif véritable du commandement indigène. La
tendance à l’administration directe comme modèle de l’administration française reste vivace
car fortement influencée par une tradition jacobine et napoléonienne, comme le dit le
Maréchal Lyautey dans une circulaire du 18 novembre 1920 : « Nous avons l’administration
directe dans la peau » (Frémeaux 1995 :74-75). Ainsi, les chefs supérieurs révoqués ou
décédés ne sont plus remplacés et des cantons se substituent à leurs provinces. En 1895, à la
mort de Ibra Fatim Sarr, chef de province de M’Baor Guéoul, le commandement est divisé en
petits cantons.7 Salmon Fall révoqué en 1902 comme chef supérieur du Baol occidental ne
sera plus tard intégré dans l’administration que comme simple chef de canton du M’Bayard8.

6
Moniteur de Sénégal et dépendances, 1886, p-30(lettre d’allégeance de Demba War au gouverneur Genouille).
7
A.R.S : 13 G50. Dossier Ibra Fatim SARR 1894-1895.
8
A.R.S 13 G 51. Bulletins individuels de notes, dossier Salmon FALL ; 18 août 1902.
5
Gana Fall
Docteur en Histoire.

A la mort de Demba War Sall en 1902, le titre de chef de la confédération des provinces du
Cayor est supprimé. L’administrateur du cercle explique cette décision par le fait que : « ce
titre était une sinécure et ne servait qu’à retarder la transmission et l’exécution de ses
ordres ».9Au Cayor, de six (6) provinces en 1888, on se retrouve à trois (3) provinces en 1911
10
et même à deux (2) seulement en 1923. En 1907, Camille Guy, lieutenant-gouverneur du
Sénégal appuie le démantèlement des grands commandements et la suppression des titres de
11
chefs supérieurs. Le titre de bourba Djolof est remplacé par celui de chef de province dès
1900 en attendant la disparition de cette entité au profit du canton après la démission de
Bouna Ndiaye en 1935 (Robinson 1988 :5). Au Sine aussi, la province du bour Coumba
N’Doffène est supprimée après sa mort le 26 mars 1926, de même que celle de
N’Doukoumane après le décès du Bëlëp, Ibrahima Ndao le 7 octobre 1935 (Ibidem). Le
morcellement de l’administration locale est aussi approuvé par le Gouverneur général William
Ponty. Il préconise dans sa circulaire du 22 septembre 1909, la suppression des
commandements indigènes « purement territoriaux et calqués sur les anciennes principautés
locales ».12 Cette politique d’émiettement territorial et de suppression des titres de chefs
traditionnels comme des titres de chefs supérieurs s’accompagne également d’autres mesures
comme la réduction de l’assiette financière des chefs.

1.2.2 Réduction de l’assiette financière des chefs


Alors que la solde annuelle du chef supérieur pouvait atteindre 40.000 Francs (cas d’Abel El
Kader des provinces Sérères), celle des chefs de canton oscillait seulement entre 1.000 et
13
3.000 francs par an. Au niveau des ristournes aussi, les chefs supérieurs recevaient des
remises entre 30 et 20 %, contre 5 % pour les chefs de cantons nouvellement promus par
l’arrêté de 1907.14Ainsi, les anciens impôts comme le « kubal » et « l’assaka » sont supprimés
et remplacés par la capitation.15La disparition des chefs supérieurs procurait au gouvernement
local une économie de 60.000 francs sur les salaires et de 100.000 francs sur les remises

9
A.R S : 2 D 14 (3), Rapport du cercle du Kayoor, 1903.
10
A.R.S : 2 G 23 (66) sur la réforme de 1923.
11
A.R.S : 13 G 71 : Camille Guy à Gouverneur général 1er juin 1907.
12
A.R.S circulaire du Gouverneur général William Ponty sur la politique indigène, 22 septembre 1909.
13
A.R.S : 13 G 71 Lieutenant-gouverneur du Sénégal à Gouverneur Général AOF, 1 er juin 1907.
14
A.R.S: 13 G 71 :Lieutenant-gouverneur du Sénégal à Gouverneur Général AOF, 1 er juin 1907.
15
A.R.S : 2 G 2 – 40 : Rapport politique Tivaouane, janvier 1902.
6
Gana Fall
Docteur en Histoire.

qu’on allouait sur les impôts.16La volonté de l’administration consiste à transformer la


chefferie coutumière en une chefferie administrative. Cependant, elle continue à se heurter à
la résistance des chefs locaux qui n’entendent pas renoncer à leur prestige et standing social et
cherchent par tous les moyens de compléter leurs revenus d’où la nécessité aussi de mieux les
contrôler.

1.2.3 Un meilleur contrôle des chefs indigènes


Pour un meilleur contrôle territorial, il est demandé aux commandants de cercle, de mettre
l’accent sur les renseignements, d’être moins bureaucrates et d’employer des palliatifs comme
les tournées (Delavignette 1939 :123). Dans cette optique, des indigènes lettrés sont placés à
côté des chefs locaux pour les seconder et s’occuper du secrétariat. Le Président de la
confédération du Cayor Demba War Sall sera remplacé par son secrétaire et neveu Macodou
Sall, fils de son frère Bounama à la tête du Guet en 1902.17
L’autre innovation est la nomination de résidents pour surveiller les chefs, les contrôler et les
empêcher de voler l’État et de commettre trop d’exactions sur leurs administrés.
L’interprèterésident Fara Biram LO en poste successivement au Djolof, puis au Cayor, ne
s’entendait ni avec Samba Laobé Penda, ni avec son successeur Bouna Ndiaye, encore moins
avec Demba War. Il a beaucoup contribué à l’arrestation et à l’exil de Samba Laobé Penda
par le biais de rapports accablants, l’accusant de razzia sur les Peul, de recensement
incomplet, de détournements d’impôts et de soumission à Ahmadou Bamba. 18
Enfin, le commandant peut aussi s’appuyer sur ses collaborateurs immédiats que sont les
interprètes, les gardes de cercles et même les instituteurs pour mieux contrôler les faits et
gestes des chefs indigènes.19La ramification de renseignements de ces pôles multiples permet
ainsi au commandant d’établir des fiches sur les chefs du cercle mais aussi de procéder à des
rapports demandant au lieutenant-gouverneur de les récompenser ou de les sanctionner, soit
en les maintenant à leur poste soit en les révoquant.
Pour la seule année 1907, treize (13) chefs de canton furent révoqués ou licenciés par le
gouverneur du Sénégal pour « exactions, détournement et abus de pouvoir et quatre d’entre

16
A.R.S 13 G 71 : Camille Guy à Gouverneur général 1er juin 1907.
17
A.R S : 1 C 13 G 50 : Dossiers du chef Demba War Sall.
18
A.R.S : Dossier Bamba, Avril 1903, pièce n°14.
19
L’instituteur ou l’écrivain public rédige en général les réclamations des populations contre leurs chefs.
7
Gana Fall
Docteur en Histoire.

eux sont traduits devant les tribunaux de cercle ».20Certains connurent la prison et même
l’exil au Gabon en l’occurrence Sidya Léon Diop du Walo en 1869, Samba Laobé Penda du
Djolof,ou Amadou Fall du Cayor, le fils d’Ibra Fatim Sarr en 1904.21La pression
administrative devint très pesante sur les chefs indigènes avec le commandant de cercle qui
multipliales interventions et les sanctions allant du blâme, aux remontrances, amendes et
même à des humiliations publiques comme la restitution de biens volés.22Bref, des chefs
locaux n’en pouvant plus, finirent tout simplement par démissionner. C’est le cas de Madiama
Fall du Lah en 1905.23L’histoire retint aussi d’autres chefs qui choisirent l’exil24 ou qui, pour
des convictions religieuses (conversion à l’Islam) préférèrent mettre fin à leur carrière.25Les
mutations et les révocations fréquentes, de même que les humiliations publiques ternirent
l’image de marque du chef et discréditaient la fonction aux yeux des administrés. Ces
administrés restèrent les témoins oculaires de la déchéance du chef. En effet celui-ci est obligé
de plus en plus de réduire sa suite, de diminuer les festins ou de s’endetter d’une manière
inconsciente. En 1896, les Bours Sine et du Saloum devaient chacun entre 60.000 F à 65.000
F, les 2/3 (deux tiers) à des commerçants et le reste à de tierces personnes.26 Salmon Fall,
ancien chef de canton du M’Bayard, ne laissaen héritage à sa mort que 180F, soit l’équivalent
de son traitement mensuel et des dettes s’élevant à 6993,70 F.27

1.2.4 Lamodernisation dans le commandement territorial Indigène en matière de personnel


Arès la réforme territoriale substituant de plus en plus, les cantons aux provinces, de même
que la suppression des titres traditionnels, voilà que l’autorité coloniale chercha aussi à
remplacer l’ancienne chefferie traditionnelle signataire des traités de protectorat. Elle était
jugée vieille, illettrée et très jalouse de ses intérêts personnels au détriment de l’hégémonie
coloniale. Cet dans ce cadre de substitution que Faidherbe créa «l’école des otages» le 5 mars

20
A.R.S 13 G 71, pièce 63 ; Réformes des pays de protectorat, 1er juin 1907.
21
Samba Laobé Penda, arrêté le 10 août 1895 et exilé au Gabon, ne rentre au Sénégal qu’en 1906.
22
A.R S : 2 D13 –7 Administrateur cercle de Thiès à Lieutenant-Gouverneur Sénégal.
En 1914 presque tous les chefs de cantons des provinces Sérères sont l’objet de poursuites administratives.
23
A R.S 2 G 5 – 8 Lieutenant -gouverneur à Gouverneur général AOF, le 29 décembre 1905.
24
En Basse Casamance surtout, des chefs de villages émigrent en Guinée Portugaise ou en Gambie.
25
Cas de Sidy SENE du canton de Mbayar, remplacé après sa démission par François Gueye ancien tirailleur.
26
A.R.S : 2 D 13-7 Administrateur de Thiès à Gouverneur, novembre 1910.
27
A.R.S : 2 D 8 –1 Administrateur Cercle de Sine Saloum, avril 1903.
8
Gana Fall
Docteur en Histoire.

1861 et qui, fermée en 1871 fut ré-ouverte en mars 1892 sous le nom de « école des fils de
chefs et des interprètes ».28 Les chefs vaincus ou signataires des traités d’allégeance, devaient
envoyer un de leurs fils à Saint Louis et le confier à l’administration coloniale. Ces enfants,
gages de reconnaissance et de soumission à l’autorité coloniale étaient recueillis, élevés et
formés pour constituer un relais sûr de la succession de la génération de la résistance.
L’école coloniale permit ainsi de former des chefs dont la naissance constitua dans le milieu
indigène des gages de respect et de considération. Comme le dit le gouverneur Lamothe en
présidant la cérémonie de réouverture de l’école en 1893, « Il s’agit d’imprégner de
civilisation française, les cerveaux des jeunes gens, qui sont dans un milieu que la tradition
entoure de considération, et d’un respect atavique pour en faire plus tard, des collaborateurs
actifs de notre commandement territorial »(Peter1930 :229). Ainsi avec un programme
scolaire bien sélectionné mettant l’accent sur la glorification de la France et de la race
blanche, une discipline axée sur le respect de la hiérarchie, du chef, et de ses instructions, les
jeunes aristocrates, endoctrinés, devinrent cette seconde génération, apte à perpétuer chez les
administrés l’inclination à l’obéissance coloniale. Parmi ces princes intellectuels, on pouvait
citer le groupe des « 9 » envoyés à l’école franco-arabe de Tunisie tels Abdoul Salam Kane,
fils de Cheickh Mamadou de Magama (Fouta Toro), Bouna Ndiaye, fils d’Albouri du Djolof,
Mbakhane Diop, fils de Lat Dior et d’autres fils de chefs du Walo, du Ndiambour, du Cap
Vert qui partagèrent les mêmes honneurs(Robinson op. cit :5). Certains de ces princes,
séjournèrent même en France comme Samba Yomb, Meïssa Cellé, Salmon Fall, Ndiaga
Diop, Bouna Ndiaye, Insa Ba, M’Bakhane Diop, Hameth Fall et Céllè Ndiaye. La France
pouvait compter sur ces princes dévoués à la cause coloniale et qui allièrent le prestige et
l’usage du français. Comme illustration, on peut citer la lettre du jeune Ndiogou BA à son
directeur en 1895 : « Je sais bien que vous vouliez faire de moi un homme utile et dévoué à la
France. Soyez tranquille, j’en serai digne en m’appliquant de toutes mes forces à l’école afin
de pouvoir servir la France ».29 Grâce à la deuxième génération, acquise à la cause coloniale,
sachant lire et écrire le français, le pont était désormais bien établi avec les commandants de
cercle. Ainsi, Bouna Ndiaye pourtant fils d’Alboury, selon l’administrateur du Djoloff « n’est
pas aimé de ses sujets qui le trouvent trop français. Avec plus d’expérience et plus d’énergie,

28
A.R S : J 7 : École des fils de chefs : organisation et fonctionnement 1892 - 1903.
29
A.R.S : Lettre de Ndiogou DIOP à son directeur, j-7, année 1895.
9
Gana Fall
Docteur en Histoire.

30
il arrivera à se faire respecter. » Pratiquement au niveau de toutes les circulaires, le
jugement sur les chefs resta identique ; à savoir que : «celui qui est proche de ses administrés
est mauvais contrairement au bon chef, proche du commandant donc loyal à son
égard ». (Delavignette op cit :134).
Le morcellement territorial avec les cantons et la recherche de l’efficacité expliquèrent le
recrutement d’une autre nature avec des gens ne jouissant d’aucune légitimité traditionnelle
dans le commandement indigène. Il s’agit d’anciens tirailleurs, de spahis, d’employés
domestiques, des officiers, d’interprètes promus pour leur fidélité et leur capacité à s’exprimer
en français. Avec ces collaborateurs, on se passa des interprètes et le travail ne pouvait que
gagner en efficacité. Faidherbe ne disait-il pas que « Le jour où tous les chefs parleraient et
écriraient le français, la conquête et la pacification seraient terminées ».31
L’autre atout pour l’administrateur fut que, ces anciens militaires et policiers étaient habitués
à recevoir des ordres et à les exécuter sans «réfléchir». Ils avaient une manière bien militaire
d’administrer leurs cantons en usant de tous les moyens, allant même jusqu’à la bastonnade et
l’humiliation publique pour se faire respecter et mettre tout le monde « au pas ».
Les mutations de personnel restèrent fréquentes au Sénégal, et des chefs « étrangers » sont
rencontrés dans tous les cercles traduisant une volonté des autorités à donner au
commandement territorial, une vocation nationale. En répondant à une pétition signée par 102
notables fustigeant la présence des chefs étrangers au Cayor (avec l’arrêté de 1911, 6 chefs
sur 12 étaient étrangers), le gouverneur dans une lettre datée le 5 février répond en ces
termes : « Qu’appellent-ils étrangers se demande-t-il ? Des indigènes du fleuve, du Baol, du
Cayor, du Sénégal en un mot. N’ont-ils pas tous la même patrie ? En France, les gens du
nord ne sont-ils pas aussi bien gouvernés par les gens du Midi et inversement... Ce sont
d’anciens militaires ayant donné maintes fois des preuves de leur dévouement à la France et
qu’il est équitable de récompenser. » 32
La diversité dans le recrutement des chefs créa des rivalités entre les jeunes et les vieux, les
intellectuels et les illettrés, les étrangers et les légitimistes.Il s’y ajouta des problèmes liés au
tracé des frontières et la mobilité des populations surtout, des nomades qui n’hésitèrent pas à

30
A.R.S : Cercle de Louga –Rapport du 4e trimestre 1899. 2 D 9 (5).
31
A.R.S : J.7. Rapport sur le fonctionnement du collège des fils des chefs et des Interprètes –26 mai 1892.
32
A.R.S: 2 D 14 (6). Lettre du gouverneur à Meïssa M’Baye, cercle de Tivaouane, correspondance 1912 – 1915.
10
Gana Fall
Docteur en Histoire.

passer d’un canton à l’autre pour échapper au recensement, à la prescription, à l’impôt et


autres obligations. Ce fut dans ce cadre que s’expliquèrent les incidents de Ndiougoup, village
frontalier entre le Djolof et la province de Guett dans le Cayor où une guerre allait opposer
Macodou Sall, neveu de Demba War Sall à Bouna N’Diaye n’eût été l’intervention prompte
des administrateurs de Tivaouane et de Louga en avril 1913 (Clédor 1931 :23). Ces rivalités
furent d’ailleurs exacerbées avec le morcellement du pouvoir indigène.

1.2.5 Le morcellement de l’autorité des chefs indigènes


Avec l’avènement de William PONTY à la tête de la Fédération de l’A.O.F, on assista au
renforcement du pouvoir du commandant de cercle et des chefs de village au détriment de
celui des chefs de province et de canton. Les chefs de provinces et même de cantons étaient
écartés de certaines attributions administratives comme la perception de l’impôt de capitation.
Ponty, partant de l’idée selon laquelle « autant d’intermédiaires, autant de voleurs »,
demanda que le recensement comme la perception des impôts soient confiés directement aux
chefs de village sous la direction immédiate et le contrôle vigilant des commandants de
cercles, ou des fonctionnaires européens placés sous leurs ordres, qui opéreront les
versements sans aucune immixtion des chefs de cantons ou de provinces.33 Le recrutement
était également placé sous la responsabilité des commandants de cercle. C’était à eux ou à
leurs subordonnés européens de préparer à l’avance les populations au régime nouveau. Ainsi,
à la chefferie indigène des provinces et de cantons, Ponty parla de leur laisser des tâches
secondaires, de peu d’importance, à savoir renseigner l’autorité sur les évènements, fournir
des indications sur la situation économique sanitaire des cercles et coopérer avec la police de
la circonscription. Cependant, il convient de noter que le Sénégal n’est pas l’Algérie et que les
administrateurs ne peuvent jamais se substituer à la base au commandement indigène.
D’ailleurs, les tâches administratives sont si diverses et si ingrates que l’administration ne
peut que s’appuyer sur des intermédiaires locaux pour réaliser ses objectifs coloniaux.

2 Le travail administratif des chefs locaux

33
A.R.S : 2 D 14 – 11 : Lettres directives du Gouverneur général Ponty au lieutenant gouverneur du Sénégal,
Dakar, le 14 septembre 1912.
11
Gana Fall
Docteur en Histoire.

Les chefs africains, spoliés de toute souveraineté étaient utilisés à des tâches de toutes sortes
sur le plan administratif. Ces corvées sont de surcroît réputées les plus impopulaires.

2.1 La chefferie indigène durant la conquête et la pacification coloniale

2.1.1 L’appui des auxiliaires aux troupes coloniales


La conquête coloniale n’a jamais été une guerre opposant des troupes blanches d’une part à
des troupes noires ; d’autre part, non seulement les armées régulières coloniales étaient
formées d’Européens et d’Africains (tirailleurs, spahis, marins) mais encore l’administration
coloniale a toujours fait appel à des auxiliaires noirs, mobilisés et commandés par des chefs
Indigènes. D’ailleurs, au-delà de la puissance technique matérielle, les guerres coloniales
apparaissent surtout comme des guerres expéditionnaires et d’effectifs. Faidherbe beaucoup
plus que sur les troupes régulières noires peu nombreuses au début, semble avoir compté sur
les sbires pour renforcer les colonnes en opération. « Un texte de 1859, la constitution du
waalo », permet de comprendre ce qu’il faut attendre. Il est imposé à tous les hommes âgés de
plus de vingt et un (21) ans, de prendre les armes sur réquisition du gouverneur. Les groupes
de combat ainsi formés, sont encadrés par les chefs de village et les chefs de cercle et placés
sous le commandement du souverain du Waalo ou d’un officier du bureau des affaires
indigènes. D’après les calculs faits par Yves Saint-Martin, ces dispositions permettent à
Faidherbe, de mobiliser, le cas échéant, des effectifs considérables : 1500 hommes dans la
campagne de juillet- décembre 1857 contre les hommes d’Al hadjj Omar, ce qui aboutit à la
levée du blocus de Médine ; 6 000 hommes (dont 2 000 cavaliers) d’octobre à décembre 1865
dans les campagnes du Rip et du Saloum (Yves, 1980, p48).
Il apparaît ainsi que les premiers auxiliaires combattant avec les troupes régulières viennent
des Quatre Communes. C’est d’abord avec ces forces indigènes que Faidherbe soumet le
Waalo en 1859 après avoir battu le Fouta en 1854 à Dialmath (Barrow 1974 :452). Après le
contrôle français sur le fleuve, les troupes auxiliaires cette fois ci, renforcées de Walo-Walo et
de Toucouleurs aux côtés des tirailleurs menèrent des expéditions destinées à la conquête des
États du Sud permettant de relier Saint-Louis à Dakar après l’annexion de la partie

12
Gana Fall
Docteur en Histoire.

occidentaledu Cayor en 1864. Amadou Cheikhou est vaincu par les Français soutenu par Lat
Dior et ses hommes à la bataille de Samba Sadio en février 1875.34
La Casamance est conquise à la suite d’expéditions répétitives débarquant chaque fois un
nombre impressionnant d’auxiliaires venus des Quatre Communes. Ces forces
expéditionnaires s’appuient également sur les troupes régulières basées à Carabane et à
Sédhiou mais surtout sur les auxiliaires sous le commandement du chef du firdu Moussa
Molo.Ce dernier est pratiquement dans tous les coups destinés à liquider les résistances en
Casamance.35
Durant la pacification, les officiers continuèrent encore à s’appuyer sur des forces irrégulières
importantes, mobilisées sous la responsabilité de leurs chefs. Grâce à l’appui des chefs, le
colonel Dodds avec de faibles troupes régulières, réussit à pacifier la colonie, ce qui permet
aux troupes mobilisées au Soudan de progresser normalement sans se soucier de leurs
arrières. Ainsi la pacification après la réputation que s’est faite l’armée noire, fut des plus
faciles. Le plus clair du temps, elle n’a même pas besoin de combattre. Dans l’expédition du
Djolof contre Albouri, la colonne composée de 482 soldats dont une soixantaine de Spahis est
complétée par les contingents du Ndiambour, du Cayor et du Walo soit 1380 auxiliaires. Les
autres chefs, Guedel M’Bodj du Saloum, Ousmane Gassi du Boundou et Ibra Almami de
Bogue cherchèrent à barrer la route à Alboury. Quand la colonne atteignit Yang Yang, le
36
bourba l’avait déjà quitté la veille le 22 mai 1890 pour Nioro au Soudan. En 1887 Saër
Maty qui s’attaquait à Guedel Mbodj, roi du Saloum et allié des français, était obligé aussi de
se réfugier en Gambie, avant l’arrivée de la colonne commandée par le colonel Coronat.37En
1884, dans les mêmes conditions, Abdoul Bocar, chef du Bosséa, est obligé de fuir devant la
colonne de Dodds mais est tué par les maures près de Kaédi. Avec Mamadou lamine Dramé
en 1887, se termine la pacification du Sénégal à l’exception de la Basse Casamance. Il est
aussi vaincu surtout grâce à l’appui des troupes du Boundou et du Ouli (soit 3000
auxiliaires). 38

34
Moniteur africain, 3, 1875, page 217.
35
A.R.S : 13 G 374. Rapport de Forestier, 25 Août 1900.
36
A.R.S : 2 D 9 – 4, cercle de Louga, correspondance du commandant de cercle avec les chefs indigènes, 1890.
37
J.O. : Sénégal, avril 1887, page 207.
38
J.O. : Sénégal, 2 – 17 avril 1887, page389
13
Gana Fall
Docteur en Histoire.

Le recours aux chefs sénégalais et à leurs troupes s’accentue encore avec la conquête du
Soudan et de la Mauritanie. Au Soudan, le chef toucouleur Mademba, compagnon
d’Archinard, participe avec ses hommes à la prise de Bandiangara au printemps de 1893 et
aux différentes expéditions contre Samory, Tieba de Sikasso et autres (Méniaud 1931 : 156).
En Mauritanie également, on retient surtout, le chef toucouleur Baïla Biram War, descendant
d’une famille prestigieuse, celle des Almamys du Fouta. Ancien élève des fils de chefs, il est
nommé interprète à 20 ans à Bakel, puis à 28 ans chef de canton du Lao et à ce titre,
accompagne à la tête de son goum, le colonel Gouraud durant la campagne de l’Adrar (1909).
Il se distingue encore, 3 ans plus tard avec la colonne de Patey dans le Hodh (Marty 1921 :
302).Si l’appel aux auxiliaires revêt un caractère coercitif (obligation faite aux chefs de
fournir des contingents), il est important de reconnaître que le facteur incitatif reste un
élément déterminant dans la mobilisation des populations (Mordacq op. cit :22).En effet,
après chaque combat victorieux, lebutin est partagé entre les chefs qui ont droit à des parts
plus importantes ; les 4/5e des prises et le reste à l’État.39 Cette forme de participation des
auxiliaires à la conquête et à la restauration de l’ordre colonial est plus conforme aux réalités
sociologiques des Sénégalais. En effet, elle permet aux chefs et à leurs troupes surtout
composées de musulmans et d’hommes libres, réfractaires à la vie des camps militaires, de
participer à des expéditions périodiques et de rentrer chez eux, chargés de butins ( esclaves et
bétail).40Le recours aux auxiliaires ne s’arrêta qu’avec la fin de la pacification en Afrique.
Avec la première Guerre mondiale, un recrutement de masse s’opéra singulièrement dans le
cadre des forces régulières.

2.1.2 Les chefs indigènes ; des agents politiques.


Quand Faidherbe devient gouverneur du Sénégal, une de ses premières préoccupations est de
réformer la direction des affaires extérieures. En effet, les renseignements politiques
permettent de sécuriser la minorité européenne car, « gouverner, c’est aussi prévoir ». Selon
Hubert Dechamps ; « Dans un pays où le conquérant n’est qu’une infime minorité, la question
primordiale est celle de la politique à suivre à l’égard des Indigènes » (Deschamps 1953 :
145).Ainsi, le renseignement politique vise d’une manière générale les chefs, les meneurs
d’hommes, en somme ceux qui exercent une influence sur les populations. Autant les chefs

39
Arrêté ministériel du 26 avril 1841, 29 mars 1842, Ménerville, pp 563 – 564.
40
Correspondance de Canard au Ministre de la marine et de la colonie, le 29 avril 1882, in J.O S du 7 mars 1882.
14
Gana Fall
Docteur en Histoire.

indigènes sont surveillés, autant ils doivent fournir tous les renseignements pouvant intéresser
le commandant sur leurs administrés quelques influents qu’ils soient, favorables ou
réfractaires au pouvoir colonial, à savoir des notables aristocratiques ou maraboutiques. Ils
doivent aussi signaler les étrangers suspects, de passage ou installés dans leurs cantons ou
provinces de même que toutes les manifestations pouvant troubler l’ordre. Ils sont donc
chargés de la surveillance politique et pour cela, doivent espionner et renseigner l’autorité
coloniale. M’Bahane DIOP, fils de Lat Dior, était chargé de la mission spéciale de recenser
tous les marabouts de la province du Baol oriental dont Serigne Bamba. Ainsi dit-il, « Ayant
été chargé d’une mission spéciale : je désire le voir, ainsi que tous les autres marabouts : je
ne voudrais en aucun prix retourner à Ndiourbel et rendre compte au résident, qu’il m’a été
impossible de voir le Serigne Amadou Bamba » insiste-t-il, pour rencontrer le marabout.41
L’administration n’hésite pas également à utiliser les chefs indigènes pour qu’ils s ‘espionnent
mutuellement. En février 1887, Alboury, soupçonné de vouloir constituer une vaste coalition
anti-française (ligue tidiane), est surveillé de près par Yamar M’Bodj du Walo sur instruction
du gouverneur du Sénégal.42 L’hostilité des chefs indigènes, alliés à la France comme Guedel
M’Bodj, frère de Yamar M’Bodj du Walo, de Demba War du Cayor et du bour Ndiambour à
son égard, est si manifeste, que craignant l’encerclement, Albouri finit par s’exiler au
Soudan.43 On retient également que si Samba Laobé Penda, frère et successeur d’Alboury au
Djolof est exilé, accusé de mauvaise volonté à reconnaître l’autorité française et de
collaboration, avec Cheickh Amadou Bamba, c’est parce qu’il est surtout victime des
accusations de son résident Fara Biram LO et du chef du Ndiambour Ibrahima Ndiaye(Dièye
1995 : 54). D’ailleurs, Bouna Ndiaye, le fils d’Alboury qui succède à son oncle Samba Laobé
Penda, n’échappe pas à la surveillance d’un autre chef en l’occurrence Yamar M’Bodj du
Walo. Le gouverneur Chaudié explique cette décision du fait de sa jeunesse (19 ans) ; « j’ai
cru devoir lui laisser exercer sa souveraineté, tout en le faisant encadrer par le chef supérieur
du Walo, Yamar M’Bodj qui l’aiderait par ses conseils et exercerait provisoirement une sorte
de haute surveillance sur ses actes sans pouvoir jamais se substituer à lui » (Ba 1982 :36).

41
A.R.S : Dossier Ahmadou Bamba, lettre n° 13 du 25 avril 1903.
42
A.R.S : cercle de Louga-Djolof correspondance avec les Indigènes. J.D, pièces 1887, pièce n°2 du gouverneur
à Yamar Mbodj, février 1887.
43
A.R.S : Rapport de la colonne Dodds, 2 D 9-4. Correspondance du commandant de cercle avec les chefs
indigènes 1890.
15
Gana Fall
Docteur en Histoire.

Malgré le nombre peu élevé d’Européens dans les cercles, en dépit de leur isolement par
rapport aux centres de décision que sont les communes, l’inexistence dans ces contrées de
camps militaires, le service de renseignements reste donc le fil conducteur qui permet la
sécurité, la stabilité sociale et le maintien du système colonial sur l’ensemble de la colonie.

Chaque chef indigène est le chef de la police dans sa localité et chargé du rétablissement de
l’ordre en cas de troubles. Il faut retenir que, par rapport à ses administrés, le chef parait bien
armé pour faire triompher l’hégémonie coloniale. En effet, la conquête et la pacification
étaient suivies partout par une politique de désarmement des populations.En revanche, chaque
chef détient une cour plus ou moins nombreuse, entretient des chevaux et une escorte armée.
En abusant de ses pouvoirs, il peut arrêter, juger et emprisonner qui il veut.44 Partout, on
continue à utiliser les châtiments corporels pour écraser ses rivaux, sanctionner une faute
administrative ou même réprimer tous ceux qui s’opposent à la façon de faire des chefs
indigènes. Certains commandants de cercle, pour des raisons multiples, cautionnent carrément
les abus de leurs subordonnés, expliquant la peur des victimes à faire des réclamations ou à
envoyer des pétitions signées. Le commandant de cercle de Thiès ne disait-il pas que: « le
chef de canton, Samba Laobé était son fils et gare à ceux qui oseraient l’accuser d’exactions,
qu’ils recevraient une bonne correction » car ajoutait-il, les administrés devaient « s’incliner
sous l’autorité de leur chef sans murmure ».45

C’est, imbus de ces pouvoirs, que les chefs indigènes interviennent pour réprimer toutes les
manifestations hostiles à leur encontre et au système colonial. Dans le Saloum oriental, en
avril 1901, une guerre sainte (certainement la dernière au Sénégal) est déclenchée par le
marabout Peul Diouma Ndiaye SOW et ses fidèles qui s’attaquent à la résidence de Malème :
mais il est tué quelques jours plus tard dans une bataille par le Béleup de N’Doukoumane,
Ibrahima Ndao.46Bouna Alboury également au Djolof, obligé de faire face en 1887 à un vaste
mouvement de désobéissance dirigée par Mayébé Fall, chef des esclaves de la couronne
comme aussi à la contestation Peule avec Pathé Gallo et Demba Jinda en septembre 1905,
sera tiré d’affaire grâce à l’intervention de la troupe de Saint-Louis, entrainant l’arrestation de

44
A.R.S : 13 G 384, Instruction adressée le 12 septembre 1917 par le Gouverneur général au Lieutenant
Gouverneur à la suite de sa tournée en Casamance.
45
A.R.S : 13 G 332 correspondance départ Sine Saloum 1901.
46
A.R.S : 13 G 332 Correspondance départ, Sine Saloum 1901.
16
Gana Fall
Docteur en Histoire.

Mayébé Fall et la fuite des agitateurs peuls dans le Ferlo à Ngassé Jaabé dans le cercle de
Matam.47Dans certaines provinces comme au Djolof et au Ndiambour, les chefs ont eu à
souffrir de l’influence du Schaikh Ahmadou Bamba. Si, Samba Laobé Penda se soumet à lui
en adhérant à la nouvelle confrérie, par contre le Bour du Ndiambour, Ibrahima Ndiaye,
jugeant que l’autorité du marabout porte ombrage à son pouvoir et son prestige, sollicite
l’intervention de l’autorité coloniale.48C’est en le chargeant et à tort de prêcher la
désobéissance chez des talibés, de stocker des armes et de préparer la guerre sainte que le
marabout, arrêté le 10 août 1895, sera exilé au Gabon environ pour sept ans.(Ba1982 :54).
Dans la seconde arrestation du marabout en 1903 et son exil en Mauritanie, on note
l’implication de différents chefs indigènes, pour lui barrer la route au cas où il essaierait de
s’enfuir.49 Le commandement indigène reste exclusif et n’admet aucune résistance contre son
pouvoir, qu’elle soit violente ou passive. L’aristocratie de l’esprit (le marabout) est
particulièrement visée comme c’est le cas au Rip avec Abdoulaye Niasse qui, en butte aux
tracas exercés par Mandiaye, chef de province et fils de Mamou N’Dari, finit par se réfugier
en Gambie en 1901. Le marabout est soupçonné d’être impliqué dans le soulèvement de
Diouma Ndiaye Sow dans le Saloum. D’ailleurs, Mandiaye BA, après la fuite du marabout
s’acharne sur Taïba Niassène (village de culture et d’études fondé par Mamadou Niasse) dont
la grande mosquée est incendiée.50

L’administration confie aussi aux chefs indigènes, la surveillance et la garde de tous les
prisonniers politiques assignés à résidence en attendant qu’ils se repentent. Le résistant du
Djolof, Mayébé Fall confié à la garde de Yamar Mbodj du Walo depuis 1897 n’est autorisé à
rentrer qu’en 1955.51 De même, Fodé Sylla, résistant de la Casamance, capturé le 11 mars
1894 est confié à la garde de Demba War Sall, président du conseil des chefs du Cayor. Retiré
à Sakh, il meurt quelque temps après, dans la nuit du 19 au 20 septembre de la même année. 52
Shaikh Ahmadou Bamba, de retour une fois encore d’exil, cette fois-ci de la Mauritanie en
1907, loin de retrouver la liberté, est assigné en résidence à Thiéyène, distant de 35 Kilomètre

47
A.R.S : 2 D 9-5 Cercle de Louga. Rapport du 4e trimestre 1899.
48
A.R.S 1 G 136 du 19 mars 1889.
49
A.R.S : Dossier Bamba, juin 1903, pièce n° 39 Il s’agit des chefs du Walo et du Ndiambour.
50
A.R.S : 1 G 283 : Étude sur le cercle de Nioro du Rip par le lieutenant Chaudron, septembre 1901.
51
A.R.S : 2 D 9-5 cercle de Louga, Rapport du 4e trimestre 1899.
52
A.R.S : 13 G 375, dossier Fodé Sylla, mars 1894.
17
Gana Fall
Docteur en Histoire.

de Yang Yang sous le contrôle de Bouna Ndiaye qui reçoit l’ordre de le surveiller et de rendre
compte de ses agissements, et ceux de son entourage. La répression des influences contraires
et même l’exil de l’aristocratie de l’esprit sont loin de régler les problèmes dans les cercles.
L’influence des marabouts, mêmes isolés, ne fait que s’accentuer, démontrant ainsi la
nécessité pour le colonisateur de gagner le cœur des populations.

La conquête morale est loin malgré tout, d’être effective.Au niveau des résultats, le Sénégal se
classe en tête de l’AOF, suivi de loin par la Guinée et la Haute - Volta comme bénéficiant
d’un commandement indigène bien organisé et structuré. Il y a ensuite les colonies comme le
Dahomey, le Soudan et la Côte d’Ivoire qui ne disposent que d’une administration
rudimentaire, et enfin la Mauritanie et le Niger qui, selon le même rapport, n’ont enregistré
aucun acquis.53 La politique des « races » indexant la nomination de chefs étrangers, donc
inaptes traditionnellement à commander les populations sous leur autorité ne constitue-t-elle
pas un aveu de l’échec de la conquête morale?Le Gouverneur général william Ponty,
reconnaît en 1910, l’absence quasi totale de soumission des populations du Sénégal malgré
ses propositions et la dégradation continuelle de l’état d’esprit des populations de l’intérieur54.

2.2 Le rôle économique des chefs Indigènes


La mobilisation des populations obéit à une certaine continuité, car après la conquête, les
indigènes doivent assurer l’équipement, le service des étapes et le ravitaillement. La
population constitue encore la manne financière permettant d’assurer la gestion administrative
et la mise en valeur de la colonie.

2-2-1 Les chefs Indigènes et la mobilisation des ressources financières :


La loi métropolitaine des finances de 1900 supprime les subventions aux colonies, obligées
désormais de vivre sur leurs propres ressources. Seulement le recouvrement de l’impôt est
précédé par une tâche aussi importante à savoir le recensement des populations. Si le
recensement est réalisé dans les Quatre Communes par les soins du maire, dans les territoires
de protectorat, en revanche ce sont les chefs indigènes qui assurent le travail ou en
collaboration avec des fonctionnaires européens. Ils doivent signaler les populations

53
A.N.F : section outre mer, carton 537 : Affaires politiques 1929, AOF.
54
A.N.F : section outre mer, carton 537 : Affaires politiques 1929, AOF.
18
Gana Fall
Docteur en Histoire.

respectives de leurs cantons et villages, déterminer les différents groupes religieux, ethniques,
les hommes et les femmes, les hommes libres et les captifs, les vieux les adultes, les enfants…
et recenser les richesses de chaque localité.55
L’importance du recensement s’explique par rapport à l’impôt. Les travaux d’Abdoulaye
Touré montre que l’impôt jusqu’en 1914 (période étudiée ici) alimente l’essentiel du budget
du Sénégal, les recettes de douane complétant le reste(Touré 1991 :145).D’autre part, les
territoires de protectorat assurent plus que les territoires d’administration directe, la part la
plus importante du budget du Sénégal.
Enfin, il est à noter que le taux de l’impôt ne cesse d’augmenter, en même temps que la
population ; cela entraîne un budget constamment en hausse, dépassant même la plupart du
temps les prévisions (24 fois sur 34 ans c’est-à-dire entre 1905 et 1939)(Touré op. cit :147).
Cet impôt personnel est complété par d’autres sources provenant d’amendes diverses pour
cause de mise en fourrière, de décision judiciaire… En outre, les chefs indigènes sont donc
comptables aussi des principaux changements socio-économiques qui s’opèrent dans les pays
de protectorat et qui sont fortement liés à l’impôt. La forte fiscalité est destinée à inciter cet
indigène à cultiver l’arachide et à délaisser progressivement les cultures de subsistance.
L’indigène est transformé en colon ; car il doit défricher, peupler, cultiver et vendre
l’arachide. Les chefs indigènes intéressés par ces changements qui s’opèrent, cherchent même
à imposer le développement de la culture arachidière dans leurs localités. Le chef Ndary Kani
Touré du Sabakh est considéré comme un bon chef selon l’administrateur du cercle car : « il
exige de chacun de ses administrés la possession d’un champ d’arachide » (Mbodj 1973 :
225-241).Les dossiers de certains chefs révèlent de grands précurseurs de la culture
d’arachide dans leurs zones de commandement. C’est le cas de Bounama Sall, frère de Demba
War « qui aime et protège l’agriculture dans sa province. Ce chef est très riche et très
cultivé ».56 Il y a aussi le Bour Sine, chef supérieur des provinces du Sine et chef de canton de
Diakhaw depuis 1898 qui,nous dit-on « a beaucoup usé de son influence pour aider au
développement de la culture de l’arachide (Ba 1982 :151).

55
ANSOM : papiers privés -Noirot 148 AP3, dossier I pièce I : « Lettre de Noirot à Guedel M’Bodj du 2- 81891.
56
A.R.S : 2 G 1 (118), Administrateur de Tivaouane. Rapport politique, 3 e trimestre, 1898.
19
Gana Fall
Docteur en Histoire.

2.2-2 Les chefs Indigènes et la mobilisation des ressources humaines


La mise en valeur de la colonie conduit encore l’administration coloniale à solliciter le
concours des chefs indigènes pour diriger à partir de 1900, la main d’œuvre Indigène vers la
construction et l’entretien des voies de communication. La prestation consiste à réclamer aux
contribuables, outre l’acquittement de l’impôt versé en espèces, un nombre défini de jours de
travail au profit des chantiers publics d’intérêt local. Ainsi à la fin de chaque hivernage, les
chefs indigènes sont interpellés par le commandant de cercle pour l’exécution d’un
programme de construction et d’entretien d’un réseau routier pour chaque circonscription. Les
chefs de province ou de canton répartissent les travaux entre les différents villages qui
fournissent les prestataires. Ils s’occupent aussi de la surveillance et de l’exécution des
travaux. Par le travail forcé, des pistes, des ponts, des puits, des gites d’étape, des lignes
télégraphiques…voient le jour dans toute la colonie (Fall 1994 :336).
Le développement des routes au Sénégal entraîne nécessairement le recul du portage et à long
terme sa disparition dans certaines régions enclavées comme la Casamance et le sud-est de la
colonie.57 L’hégémonie commerciale de la côte se renforce avec le drainage des produits de
l’intérieur de la colonie vers les ports et l’inondation des marchés des pays de protectorats de
marchandises importées comme le riz, les tissus, le matériel de construction, le sucre, de
l’huile etc. De même se développent les relations commerciales entre les régions, ce qui
accentue la dépendance des régions enclavées sur les escales implantées le long des voies
ferrées Dakar-Saint-Louis et Thiès-Kayes. Le développement des infrastructures de
communication favorise l’accélération de la vitesse, le déplacement des hommes, des
marchandises et des idées, et par conséquent, la mainmise française sur le pays. Même, s’il est
difficile de quantifier financièrement la prestation ; toutefois, à titre indicatif, sur le budget de
1937, cet impôt en nature est évalué à 6.950.000 francs alors que l’impôt de capitation est
chiffré à 3.008.811,50 francs soit plus du double.58 Le changement fondamental qui s’opère
avec le développement de la culture arachidière et des équipements de transport, c’est le
glissement du poumon économique au centre-ouest avec le renforcement des villes portuaires
comme Kaolack, Rufisque et Dakar au détriment de Saint-Louis

57
A.R.S. : J.O.S année 1937, p 625.

58
A.R.S : J.O année 1937, p 625.

20
Gana Fall
Docteur en Histoire.

Conclusion
La chefferie traditionnelle en tant qu’intermédiaire entre l’administration coloniale et les
administrés semble être la solution pour le triomphe de l’hégémonie coloniale. Mais, pour
éviter l’existence d’un « État dans un État », le pouvoir colonial s’employa, pour assurer le
contrôle strict du commandement indigène, à démanteler les grands commandements
territoriaux, à supprimer les titres traditionnels et à morceler leurs prérogatives. C’est dans ce
cadre aussi que le commandement, au fur et à mesure est rajeuni et formé dans des écoles
coloniales, cadres d’aliénation culturelle au service de la France. Pour montrer qu’il reste le
maître du jeu, le pouvoir colonial n’hésite pas à faire appel et à nommer à des fonctions de
chefs, des anciens militaires ou des domestiques connus pour leur fidélité et leur dévouement
à la cause coloniale. Les chefs indigènes, recrutés et payés par l’administration qui peut les
révoquer à tout moment, deviennent de dévoués auxiliaires, et non les porte-parole ou les
défenseurs de leurs administrés. Tous les chefs qui ont cherché à protéger les populations ont
vu leur carrière abrégée et ont été destitués pour « incapacité » ou manque de caractère. Par
la terreur et la pression financière, la chefferie indigène assure son commandement et préserve
son prestige et ses intérêts. Elle est aussi exécutrice de toutes les mesures impopulaires dans
les protectorats et empêche l’indigène d’avoir une meilleure perception du phénomène
colonial et de pouvoir faire la part entre ce qui est officiel et ce qui relève de l’abus. Par sa
position d’écran et ses méthodes d’administration, elle perpétue chez les populations
l’inclination à l’obéissance aux autorités coloniales et au respect de la hiérarchie.
Le commandant de cercle, bien qu’isolé, reste comme l’écrit le professeur Kizerbo, le
vrai « dieu de la brousse » (Ki-Zerbo 1972 :432). Le peuple muselé, lui témoigne respect et le
salut militaire. Avec l’éclatement du Premier Conflit mondial, le commandement indigène
réussit la performance de mobiliser hommes et ressources économiques pour voler au secours
de la France. Il volera encore au secours de l’administration coloniale après la Grande Guerre
pour contrecarrer les Originaires au niveau du Conseil Colonial en donnant un frein à l’élan
contestataire qui les anime. Dans la Colonie, la coalition des forces conservatrices que
constituent l’élite aristocratique et l’administration coloniale, les bonnes relations avec le
pouvoir maraboutique et la pacification de la Casamance œuvrent dans l’ensemble pour une
longue période de paix sociale et d’exploitation économique.Avec un personnel européen
d’encadrement d’une insuffisance presque endémique même auSénégal (42 administrateurs en

21
Gana Fall
Docteur en Histoire.

1916), la preuve est ainsi faite que sans le bon vouloir des chefs indigènes, la domination
coloniale serait une utopie.(Thiamop.cit :123

Bibliographie.
BA (O): Ahmadou Bamba face aux autorités coloniales (1889-1927), Abbéville, 1982.

Barrows. L.C: le général Faidherbe,the Maurel From and cy and French expansion in
Sénégal, Ph. D. 1974 University of California XXIe , 974 p, dactyl

Barry (B) : La Sénégambie du XVe au XIXe s, traite négrière, Islam, conquête coloniale :
Paris, Harmattan, 1988.

Becker (C), M’baye (S) et Thioub (I) : (Sous la direction de ) : A-O-F, Réalités et héritages –
Sociétés ouest africaines et ordre colonial, 1895-1960, Dakar, Direction des Archives du
Sénégal, 1997-2 volumes

Brunschwig (H) : Noirs et Blancs dans l’Afrique française, Paris, Flammarion, 1983.

Clédor (A.D) : Essais sur l’histoire du Sénégal, la bataille de Guilé, 2e édition, revue et
corrigé. Imprimerie du gouvernement 1931

Delavignette (R.) : Les vrais chefs de l’Empire, Paris Gallimard : 1939, 263 p

Deschamps Hubert : Les méthodes et les doctrines coloniales de la France du XVIe siècle à
nos jours. Arnaud et Colin – Paris 1953, p 145.

Dieye (Cheickh Abdoulaye) : l’exil au Gabon : période coloniale 1895-1902, sur les traces
d’Ahmadou Bamba, ed Ndigal, 1995.

Fall (Babacar) : le travail forcé en AOF.1900-1946, cas du « Sénégal, de Guinée et du Soudan


», thèse de doctorat 3e cycle 336 pages,U.C.A.D, 1994.

Fall (Gana) : Le rôle des Sénégalais dans l’administration coloniale, 1854-1920, Thèse de
doctorat 3éme cycle, U.C.A.D. juillet 2005.

22
Gana Fall
Docteur en Histoire.

Frémeux. (J) : l’Afrique à l’ombre des épées 1830-1930, S.H.A.T, 1995, 2 vol.

Gentil (A) : Soldat du Sénégal, du colonel Schmaltz au général Faidherbe, 1816-1865,


S.L..n.d, 4°, 210 pages dactyl.

Gillier (commandant) : La pénétration en Mauritanie, Genthner, Paris, 1926.

Gueye (Mbaye) : les transformations des sociétés wolof et serer de l’ère de la conquête à la
mise en place de l’administration coloniale 1854-1920, thèse d’État, UCAD, année 1989-
1990.

Mbodj (Mohamed) : 1973, un exemple d’économie coloniale : le Sine Saloum (Sénégal) de


1887-1940, thèse de 3e cycle, université de Paris VII.

Ndiaye (Serigne Bamba) : la mise en place du réseau routier au Sénégal 1900- 1940,
mémoire de maîtrise, U.D, 1977.

Niang Bath : Essai sur l’histoire du courrier postal et des lignes télégraphiques au Sénégal
(1850-1900), 1976-77 mémoire de maîtrise, Dakar.
Peter (G) : l’effort Français au Sénégal, Paris, 1930 Edition de Bocard, p 229.

Ramond, (M) : La main d’œuvre dans les colonies, thèse de doctorat, Paris,
1902.

Robinson (D.W) : « La mise en place d’une hégémonie coloniale au Sénégal » in Revue


Historien géographes du Sénégal p 5, avril 1988.

Robinson (D) et Triaud (J .L) : Le Temps des marabouts ; Itinéraires et stratégies islamiques
en A-O-F v-1880-1960, Karthala, 1997, 577 p.

Saint Martin (Y) : la formation territoriale de la colonie du Sénégal, thèse lettres, université
de Nantes, 1980.

Saint Martin(Y) : L’Empire toucouleur et la France, un demi-siècle de relations


diplomatiques (1850-1871), thèse de 3e cycle, Université de Dakar, 1967, 8° ,482 pages.

Thiam (M’baye) : La chefferie traditionnelle wolof face à la colonisation. Les exemples du


Jolof et du Kajor, 1900-1945, Université de Dakar, 1986, 393 pages.

Thiam (Iba Der) : l’évolution politique et syndicale au Sénégal colonial 1840-1936, thèse de
doctorat d’État, Université de Paris, Panthéon Sorbonne, 1977.

23
Gana Fall
Docteur en Histoire.

Touré (Abdoulaye) : un aspect de l’exploitation coloniale en Afrique: Sénégal, thèse de


doctorat de 3e cycle, 1991, U.C.A.D.

Van Vollenhoven (Joast) : Une âme de chef, Paris, 1920

Vigné d’octon(P) : la gloire du sabre (1900) réédité, Paris, Quintet, 1984, 153 p, pp 49-50

Zuccarelli (François) : « De la chefferie traditionnelle au canton, Évolution du canton colonial


au Sénégal », 1855-1960. Cahiers d’Études Africaines, n°50, vol 13,1973, pp 213-288. -

24

Vous aimerez peut-être aussi