Vous êtes sur la page 1sur 20

CONCLUSION GENERALE

307
308
L’ensemble des résultats des études sédimentologique, géochimique
thermochronologique et géomorphologique permet d’arriver à un modèle global de
formation et de migration/progradation du mégafan du Pastaza depuis le Miocène.
D’un point de vue plus général, ce travail permet de montrer qu’un mégafan peut
avoir une architecture complexe intégrant plusieurs sous-ensembles se succédant
ou juxtaposés et une histoire plus longue que ne le laisserait supposer la seule
observation des éléments les plus récents même spectaculaires et bien
individualisés.

Rappel des conclusions des chapitres précédents

Etude sédimentologique

D’un point de vue sédimentologique, l’étude du remplissage néogène du Bassin


Oriente nous a permis de proposer un modèle de progradation vers l’est d’un
système alluvial contrôlé par la croissance de chevauchements associés à la
propagation du front oriental des Andes équatoriennes.

Pendant le premier stade d’évolution, durant l’Oligocène – Miocène inférieur, la


Formation Chalcana se dépose dans le Bassin Oriente. Elle est caractérisée par
une sédimentation fine de grandes plaines d’inondation et lagunes associées à
des rivières méandriformes comparables aux systèmes de sédimentation actuels
du bassin amazonien (p.e. Aalto et al., 2003). A cette époque, le Bassin Oriente
est considérée comme la foredeep depozone du système de bassin d’avant-pays
et elle reflète une faible activité tectonique de la chaîne.

Le deuxième stade se développe durant le Mio-Pliocène et il est caractérisé par


une accélération de la tectonique. Les formations Arajuno et Chambira indiquent
un remplissage sédimentaire de type molassique alimenté par l’érosion de la
chaîne. Dans ce modèle, la Formation Chambira représente la partie proximale du
système alluvial, tandis que la Formation Arajuno représente la partie distale. Ce

309
système débouchait vers l’est dans les séries plus distales (Fm. Curaray) du
« marine mega-lake » de Pebas (Wesselingh et al., 2002).

Globalement, pendant le Néogène, l’augmentation de la pente des rivières du


système alluvial indique que le relief de la zone d’alimentation des sédiments était
dans un état de « pre-steady state ». Les résultats que nous avons obtenus, sont
en accord avec la plupart des études de la Cordillère andine en Equateur, ainsi
qu’avec les études plus récentes du bassin d’avant-pays du nord du Pérou
(Marañon).

Etude géochimique

Les analyses géochimiques et des compositions isotopiques en Nd et en Sr des


sédiments néogènes à actuels montrent que depuis l’Oligocène supérieur, les
sédiments du Bassin Oriente ont expérimenté une altération non stationnaire.
Cette altération non stationnaire implique une alimentation continue en sédiments
« frais » du système de bassin d’avant-pays. La géochimie de ces sédiments
montre des caractéristiques géochimiques andésitiques à basiques bien
marquées à partir du Miocène. Ils sont dérivés de protolithes plus basiques que
ceux dont sont issus les sédiments du bassin d’avant-pays amazonien péruvien et
bolivien. On remarque aussi une évolution temporelle des compositions chimiques
des sédiments équatoriens : les sédiments quaternaires les plus récents ont les
compositions les plus basiques. Ceci implique une source plus basique au
Quaternaire qui semblerait montrer une diminution de la différenciation crustale au
cours du temps.

Etude thermochronologique

Les analyses thermochronologiques et les modélisations 1D des mouvements


verticaux ont permis de mieux contraindre l’histoire néogène du Bassin Oriente.

310
Sur sa bordure ouest, le granite d’Abitagua qui chevauche le bassin, a commencé
à être exhumé à partir de ~15,7 Ma, ce qui peut être considéré comme le début du
fonctionnement du chevauchement. Son taux d’exhumation augmente dans le
temps et est compris entre 0,18 et 0,3 mm/an. Le taux d’exhumation calculé dans
le Dôme du Napo pour la fin du Néogène est comparable.

Globalement, du moins pendant une grande partie du Miocène, le Bassin Oriente


se comporte comme un bassin d’avant-pays classique (DeCelles & Gilles, 1996),
où se développent les trois zones de dépôts. L’érosion de la bordure orientale du
bassin souligne la montée du forebulge, qui semble se situer dans la continuité de
l’Arche d’Iquitos qui correspond au forebulge du Bassin Marañon (Roddaz et al.,
2005a).

Il existe une différence entre les parties nord et sud du Bassin Oriente. Au nord,
les données de thermochronologie mettent en évidence une érosion et un
soulèvement généralisés du bassin durant la fin du Néogène. Ces données ne
permettent pas de donner un âge précis du début de ce soulèvement. Dans sa
partie sud, les modélisations montrent que le bassin reste subsident dans sa zone
de foredeep tout au long de son histoire néogène et récente ; c’est probablement
dans cette région que se situe la ou une des « cuisines » de génération des
hydrocarbures du Bassin Oriente.

Etude géomorphologique.

Les résultats essentiels de l’étude géomorphologique concernant l’évolution du


cône du Pastaza sont les suivants :

1 – Un glacis d’érosion s’est formé sur le piémont de la Cordillère Occidentale, et


a été recouvert localement de formations volcaniques depuis ~10-9 Ma. La
Formation Pisayambo, âgée de 10 à 6 Ma, et la Formation Altar d’âge <= 3,5
Ma (Lavenu et al., 1992), ont recouvert cette surface à l’ouest de l’actuelle

311
cordillère orientale. Leur partie supérieure a été incisée par des cours d’eau
transversaux issus de la Cordillère Occidentale, le paléo-Napo, le Pastaza et
le paléo-Palora, ou leurs tributaires.
2 - Cette surface a été faiblement érodée avec une vitesse d’exhumation très lente
entre ~20 et 2 Ma (cf. Chapitre VI) puis transportée et soulevée dans son
ensemble par un rejeu du Chevauchement Subandin pour former la cordillère
orientale. La préservation de cette surface et l’incision de la cordillère
orientale par le Pastaza (>2500 m) permettent d’estimer une vitesse de
surrection entre 1 et 1,5 mm/an. Si on la compare à celle d’autres chaînes
actives sur la même échelle de temps, cette vitesse de surrection est
analogue à celle de la Finisterre range, en Papouasie Nouvelle Guinée (1-2
mm/an, Abbott et al., 1997 ; Hovius et al., 1998), supérieure à celle des
Apennins (0,5 mm/an, Alvarez, 1999), légèrement inférieure à celle du
Wheeler Ridge en Californie (3-3,5 mm/an, Medwedeff, 1992 ; Burbank et al.,
1996) et surtout très inférieure à celle des Alpes du Sud de Nouvelle Zélande
(10 mm/an, cf. Batt, 2001).
3 – La surrection de la cordillère orientale s’est accompagnée par la défaite du
paléo-Napo et du paléo-Palora et la capture de leurs tributaires par le
Pastaza. La Formation Mera qui se forme à l’exutoire du Pastaza est ainsi
alimentée par les volcans récents à tendance basaltique de la Cordillère
Occidentale, de la Dépression Interandine et l’ouest de la cordillère orientale,
ce qui est confirmé par la signature géochimique des dépôts de Mera (cf.
Chapitre IV).
4 – Le retrochevauchement d’Abitagua a été actif durant le dépôt de la Formation
Mera avec dépôt de strates en onlap sur le haut structural correspondant au
coin extrusif (Bès de Berc et al., 2005).
5 – La disposition d’ensemble divergente des cours d’eau sur le plateau de Puyo
est à relier au basculement vers l’amont de ce plateau sous l’effet de la
propagation du Chevauchement Frontal Subandin dans le rentrant entre les
dômes de Cutucú et du Napo. Des diversions et avulsions plus locales sont
dues à la propagation de chevauchements locaux.

312
6 – La reconnaissance de vallées abandonnées sur le plateau de Puyo permet de
montrer que les cours d’eau majeurs transversaux, et en particulier le
Pastaza, alimentaient les cours d’eau les plus importants du haut bassin
amazonien avant d’être décapités par le basculement amont du plateau de
Puyo.

L’ensemble des données permet de discuter plusieurs aspects de la formation du


cône : l’histoire de la construction du cône et ses relations avec la tectonique
active, la géométrie du cône et son organisation dans l’espace, la localisation du
cône par rapport aux structures actives et les relations mutuelles entre la
formation du cône (et les vallées qui l’alimentent) et la localisation des structures
actives. Il permet aussi de préciser l’évolution néogène du Bassin Oriente et ses
relations avec la bassin amazonien, et d’en tirer certaines conclusions sur son
système pétrolier.

Histoire de la construction du cône

Les résultats rappelés ci-dessus amènent à distinguer plusieurs stades dans


l’histoire de la construction du cône du Pastaza : un stade pré-Miocène,
immédiatement antérieur à la formation du cône ; un stade Mio-Pliocène,
correspondant à la phase initiale de formation du cône dans des conditions de
calme tectonique relatif et de très faible exhumation ; un stade pléistocène
inférieur à moyen supérieur (jusqu’au Dernier Maximum Glaciaire), marqué par la
surrection de la cordillère orientale à une vitesse moyenne ; un stade pléistocène
supérieur marqué par le début de la propagation du Chevauchement Frontal
Subandin ; un stade holocène et actuel où la construction du cône se produit dans
les conditions d’une tectonique active avec des vitesses de surrection élevées.

Cette histoire peut être résumée à l’aide du schéma de la Fig. 1.

313
A l’Oligocène supérieur – Miocène inférieur, entre ~24 et 17 Ma, la Formation
Chalcana se dépose dans l’avant pays de la Cordillère Occidentale. Le réseau
hydrographique est composé de rivières méandriformes/anastomosées se
développant sur de grandes plaines d’inondation, avec de fréquentes avulsions,
abandon de méandres et lagunes, analogue au système amazonien actuel. La
pente faible indique une surrection limitée de la Cordillère Occidentale et/ou une
distance importante du relief. La subsidence indique que l’on se situait plutôt dans
la zone de foredeep du bassin d’avant-pays.

Au Miocène-Pliocène, entre ~14 et 2 Ma, le cône alluvial se développe avec le


dépôt des Formations Chambira/Arajuno, représentant un remplissage de type
molassique dont le bassin d’alimentation se situait dans la Cordillère Occidentale.
Au front de la Cordillère Occidentale, un glacis d’érosion se forme (surface de
Pisayambo). L’amont du glacis, a été d’abord recouvert par l’apex du cône alluvial
comme le suggèrent les paléocourants de la Formation Chambira (Christophoul et
al., 2002 ; cf. Chapitre III). Vers ~10-9 Ma des formations volcaniques (Fm.
Pisayambo) se déposent en même temps que l’apex du cône migre vers l’est.
L’ensemble de l’évolution sédimentaire traduit une augmentation de pente qui
s’explique par la propagation des chevauchements de la Cordillère Occidentale.
En même temps, dans l’avant pays, la propagation du chevauchement d’Abitagua
exhume le granitoïde et sa couverture meso-cénozoïque (cf. données
thermochronologiques du Chapitre V) pour former un relief local au front duquel se
développent des discordances progressives (« growth strata » et « growth
offlaps ») (Fm. Chambira, coupe de Talag ; cf. Chapitre III). L’analyse
géochimique montrant la tendance andésitique et « paléozoïque » des sédiments
confirme qu’ils venaient en grande partie de la Cordillère Occidentale et/ou du
piémont (Dépression Interandine et surface de Pisayambo actuelles). En aval, les
dépôts continentaux du cône passent aux séries plus distales de la Fm. Curaray
du « Pebas like-marine megalake ». A partir de ~6 Ma, âge du sommet de la
Formation Pisayambo (Barberi et al., 1988), les formations volcaniques et le reste
de la surface sont ensuite incisés mais faiblement par des cours d’eau
transversaux plus ou moins sinueux, ce qui montre qu’un système linéaire se

314
substitue progressivement au système aréolaire et/ou distributif, mais avec une
pente qui reste faible. Vers 3,5 Ma, une nouvelle formation volcanique (Fm. Altar)
se dépose (Lavenu et al., 1992) sans perturber sensiblement le réseau
antécédent.

Fig. 1 : Reconstitution de la progradation du système alluvial au front oriental de la chaîne


andine (explication dans le texte).

315
Du Pléistocène inférieur au Pleistocène moyen-supérieur (~2-1,5 Ma – 0,02 Ma),
se produit la surrection de la Cordillère Real sous l’effet du Chevauchement
Subandin transportant en bloc le substratum métamorphique, la Formation
Pisayambo et la surface d’érosion peu dégradée. A l’ouest, dans ce qui devient
maintenant la Dépression Interandine, se forment une série de plis et
chevauchements syn-sédimentaires âgés de ~2 à 1,5 Ma (Lavenu et al., 1992,
1996) dont le plus oriental, le pli de Pisayambo, est transporté par le
Chevauchement Subandin. Cela indique que la propagation du Chevauchement
Subandin doit être légèrement plus récente que la formation des plis et
chevauchements de la Dépression Interandine et pourrait donc, en fait, être plus
jeune que 1,5 Ma. Cette durée de 2 à 1,5 Ma pour la propagation du
Chevauchement Subandin est du même ordre que celles déjà mises en évidence
pour la propagation de chevauchements individuels et sous bassins associés (cf.
Burbank & Raynolds, 1988 ; Abbot et al., 1997 ; Alvarez, 1999 ; Christophoul et
al., 2003, parmi d’autres) et implique une vitesse de surrection moyenne pour une
chaîne active (~1-1,5 mm/an). La surrection de la cordillère orientale décapite le
paléo-Napo et le paléo-Palora. Le cours amont et les tributaires de ces rivières
sont capturés par le Pastaza, ce qui augmente sa puissance et lui permet d’inciser
la cordillère en surrection (cf. modèle de Horton & DeCelles, 2001). Sur le piémont
de la cordillère orientale en train de se former, le matériel provenant du versant est
de la Cordillère Occidentale, des volcans de la Dépression Interandine et de
l’ouest de la cordillère orientale alimentent le cône de Mera, comme le montre la
signature géochimique plus basaltique de la Formation Mera. Cette interprétation
est également confirmée par la présence de galets d’affinité andésitique-
basaltique. La propagation du rétro-chevauchement d’Abitagua et la montée du
coin extrusif, conduit au fond de la vallée du Pastaza, à la formation d’un bassin
« piggy back » dans la dépression entre le Chevauchement Subandin et le rétro-
chevauchement d’Abitagua (bassin de Santa Inés, Bès de Berc et al., 2005). Sur
le bord est de ce bassin, les couches se disposent en onlap sur le haut structural
granitique, montrant ainsi la surrection du coin intrusif pendant l’incision. La
présence de galets granitoïdes confirme que la cordillère d’Abitagua alimentait la

316
Formation Mera. Cet épisode marque donc l’abandon de l’apex du cône mio-
pliocène de Chambira/Arajuno et l’installation du cône pléistocène de Mera.

Vers la fin du Pléistocène, après le Dernier Maximum Glaciaire dont le climat aride
a permis la formation de la surface durcie de Puyo-Villano, la propagation du
Chevauchement Frontal Subandin provoque la surrection du piémont de la
cordillère orientale. Cette propagation s’accompagne d’une série de méga-
glissements de terrain qui coupent et décalent la surface d’érosion durcie initiale
pour former les plateaux de Puyo et Villano. Ce mécanisme conduit à l’abandon
de l’apex du cône de Mera. La déformation et le basculement vers l’amont du
plateau de Puyo conduisent à faire diverger l’ensemble du réseau de part et
d’autre d’une culmination est – ouest et le long du rebord du plateau. Les rivières
issues de la cordillère qui coulaient dans l’avant pays amazonien sont maintenant
déconnectées de la cordillère mais elles sont alimentées en matériel frais par les
glissements de terrain. Cet évènement donne au réseau de drainage sa forme
actuelle. Le décalage des plateaux de Puyo et Villano montre que la vitesse de
surrection depuis le Dernier Maximum Glaciaire est au moins de 25 mm/an (Bès
de Berc et al., 2005).

A l’Holocène et jusqu’à aujourd’hui, l’incision du plateau de Puyo est marquée par


la formation de terrasses d’ablation (Bès de Berc et al., 2005) indiquant une
surrection continue à une vitesse minimum de 10 à 15 mm/an. L’incision affecte
aussi le bord occidental du plateau de Villano alors que la formation systématique
de terrasses d’aggradation commence à une centaine de Kilomètres du plateau.

Organisation et construction du cône

Le cône du Pastaza dans son ensemble présente une forme parallélogrammique,


avec une grande diagonale de ~600 Km et une surface de ~170 000 Km2, limité
au nord et au nord-est par le Napo, à l’est par le forebulge d’Iquitos et le bassin du
Rio Nanay, à l’ouest par le bassin du Rio Morona et au sud par le Rio Marañon. Le

317
lobe actuellement actif est le cône du Pastaza sensu stricto, tel que défini par
Räsänen et al. (1992). Le flanc nord (rios Tiputini, Yasuni et Curaray) est lui aussi
actif comme le montre la vitesse de dépôt allant jusqu’à 5 mm/an calculée pour
l’Holocène sur les carottes du parc du Yasuni (Weng et al., 2002), à la confluence
du Rio Yasuni avec le Napo, mais ne présente pas la structure d’un lobe ou d’un
cône de second ordre. Au centre, le bassin du Rio Tigre présente une disposition
d’abord divergente puis convergente avant de rejoindre le Marañon ; et ne peut
donc pas être considéré comme un lobe actif bien que l’aggradation soit largement
prédominante.

Le lobe actif (cône du Pastaza sensu stricto) présente une surface de 60 000 km2
(Räsänen et al., 1992 et Fig. I.15), largement supérieure à celle du mégafan de la
Kosi souvent considéré comme l’exemple type de mégafan au front d’une chaîne
active. Il obéit, en outre, à tous les critères d’un mégafan tels que définis par Leier
et al. (2005), avec un corps sédimentaire en forme d’éventail, un réseau de
drainage de type distributif, l’évidence de chenaux abandonnés en position
divergente ou arquée. Le critère accessoire proposé par Leier et al. (2005) que la
rivière principale ne reçoit pas de tributaire une fois qu’elle est sortie du front
topographique n’est pas respecté ici, mais ne l’est pas d’avantage par la Kosi. Ce
critère est d’ailleurs contradictoire avec les avulsions de la rivière principale qui
font que cette rivière principale recoupera les drains adjacents. Le cône du
Pastaza sensu stricto est donc un mégafan, ce qui contredit les conclusions de
Leier et al. (2005) qui postulent qu’il n’existe pas de mégafan dans la zone
intertropicale. Si l’on prend le cône dans sa totalité, à une échelle de temps plus
grande, sa surface est encore plus grande (~160 000 km2), le caractère distributif
encore plus apparent et les rivières sont aggradantes (à l’exception de la zone en
incision liée au basculement local du plateau de Villano) dans un contexte
subsident. Il s’agit donc aussi d’un mégafan. Comme il est probable que le climat
a peu changé depuis ~10 Ma, il y a de fortes chances que ce « super mégafan »
s’est lui aussi formé en zone intertropicale.

318
Ce travail montre aussi qu’un mégafan associé à une chaîne active peut prendre
pour se former un temps >=15 Ma, ce qui est considérablement plus long que le
temps (1-3 Ma) que mettent pour se développer les sous-bassins associés à la
propagation de chevauchements individuels. A cette échelle de temps, un
mégafan est une structure complexe qui intègre une succession de cônes dont les
caractéristiques, notamment la géométrie et la direction d’écoulement changent
avec le temps et dans l’espace, en particulier en fonction des vitesses de
surrection des fronts orogéniques qui les ont provoqués. La migration vers l’aval
de l’apex du mégafan peut se faire progressivement par suite d’une augmentation
continue de la pente topographique (Mio-Pliocène). Cette migration peut aussi se
faire brutalement, avec abandon de toute la partie apicale du cône initial, par suite
de la propagation d’un chevauchement majeur et de la création d’un nouveau
cône au front de ce chevauchement majeur (Pléistocène inférieur, Pléistocène
terminal).

Une des caractéristiques notables du cône du Pastaza est l’importance de son


volume par rapport à la surface du bassin d’alimentation. On considère souvent
que le volume du mégafan est proportionnel à la surface du bassin d’alimentation
(p.e. Horton & DeCelles, 2001). Récemment, Leier et al. (2005) arrivent à la
conclusion d’une indépendance totale entre surface du bassin d’alimentation et
formation d’un mégafan. La comparaison entre le mégafan du Pastaza, même
réduit au cône du Pastaza actuel (cône du Pastaza sensu stricto tel que défini par
Räsänen et al., 1992) et le cône de la Kosi, montre à l’évidence que ce n’est
effectivement pas toujours le cas.

Sur la Fig. I.15, il apparaît nettement que, même en admettant que l’épaisseur du
cône de la Kosi est deux ou trois fois plus grande que celle du cône du Pastaza, le
volume du premier est nettement inférieur au volume du second alors que la
surface du bassin d’alimentation du premier est supérieure. Cette disproportion est
encore plus grande si l’on considère la totalité du mégafan du Pastaza. L’origine
de cette disproportion entre les cônes du Pastaza et de la Kosi dépasse le cadre

319
de ce travail. On peut cependant proposer quelques directions vers où conduire
une étude future.

Tout d’abord, il est probable que le bassin d’alimentation des cours d’eau
transverses de l’Equateur au Mio-Pliocène était beaucoup plus large que
maintenant, ce qui implique qu’un raccourcissement considérable a été
accommodé par la Cordillère Occidentale. On peut envisager en outre que la
Cordillère Occidentale des Andes équatoriennes qui alimente le Pastaza est dans
un état topographique stationnaire avec une vitesse d’exhumation élevée. La zone
sommitale de la Cordillère Occidentale est à une altitude de 4000 – 4200 m,
semblable à celle de la cordillère orientale après sa surrection, on peut envisager
que cette altitude représente l’altitude de référence (cf. Burbank & Anderson,
2001, p. 137 – 138, fig. 7-5). Cette altitude a été probablement atteinte dans la
Cordillère Occidentale depuis au moins le dépôt de la Fm. Chambira, et l’état
topographique stationnaire pourrait donc avoir été atteint il y a 9-10 Ma. La vitesse
de surrection de la Cordillère Occidentale depuis cette époque n’est pas connue et
on peut envisager qu’elle a été élevée étant donnée la nécessité d’un
raccourcissement important de la Cordillère Occidentale. Il est cependant peu
probable que cette vitesse de surrection ait été beaucoup plus grande que celle du
massif de l’Everest, puisque, sur des durées comparables, des vitesses
d’exhumation moyennes de 3 mm/an ont été trouvées pour l’Everest (Searle et al.,
2003) et des vitesses entre 4 et 6 mm/an pour d’autres massifs au nord du MCT
(p.e. Nanga Parbat ; Zeitler, 1985).

On ne peut pas non plus envisager une vitesse d’érosion moins forte dans
l’Everest soumis à la mousson et à des précipitations annuelles plus fortes que
celles du versant ouest de la Cordillère Occidentale d’Equateur relativement
protégée des vents de l’Atlantique par la cordillère orientale. Le volume nettement
plus grand du cône du Pastaza pourrait s’expliquer par une durée plus grande de
l’érosion dans des conditions de topographie stationnaire. Cela est possible pour
l’ensemble du cône depuis le Miocène, mais pas pour le cône du Pastaza sensu
stricto (le cône « actuel ») qui naît au niveau du Chevauchement Frontal

320
Subandin. Cependant, les méga-glissements de terrain associés à ce
chevauchement sont capables de mobiliser une quantité importante de matériel
plus rapidement que la diffusion (ruissellement) ou l’incision fluviatile (Hovius et
al., 1997, 1998).

Il est possible aussi que le transit des sédiments passant par le cône de la Kosi
pour aller dans le golfe du Bengale ait été plus rapide que celui des sédiments du
cône du Pastaza piégés par la zone subsidente au pied du forebulge d’Iquitos
(Roddaz et al., 2005a), dont une plus faible partie rejoindra l’Amazone. Le
volcanisme des Andes, qui est en bonne partie à l’origine des sédiments pourrait
aussi en partie expliquer le plus grand volume du cône du Pastaza. Le matériel
apporté par les volcans étant d’origine endogène, il constitue une « matière
ajoutée » au bilan érosion – dépôt qui devient ainsi un système ouvert où les
apports extérieurs prédominent sur la production interne (érosion).

Relations entre formation du cône et localisation des structures tectoniques

Un autre point soulevé par l’étude sédimentologique et l’étude morpho-structurale


est que les cônes alluviaux à toutes les échelles sont associés ici à des rentrants
structuraux alors que ce n’est pas toujours le cas ailleurs. Par exemple, le
mégafan de la Kosi dans l’Himalaya est situé dans un saillant entre les rentrants
de l’Indus et du Brahmapoutre (voir carte in Summerfield, 1991, p. 423). A
l’échelle des Andes équatoriennes, la culmination axiale du plateau de Puyo et du
plateau de Villano, à l’apex du cône actuel, se situe dans le rentrant formé par la
« Dépression du Pastaza » entre les dômes de Cutucú et du Napo (cf. Chapitre
VI ; Fig. 1 b, c). A l’échelle du plateau de Puyo, l’anticlinal du Mirador qui se situe
à l’apex du cône pléistocène (Mera), se forme dans un « rentrant » régional de la
cordillère orientale entre le coin extrusif de la cordillère d’Abitagua, au nord du
Pastaza, et le saillant formé par les chevauchements interpénétrés du bassin du
Llushin (cf. Chapitre VI ; Figs. 4, 15). De même, les chevauchements naissants
proches du Palora et associés au cône secondaire pléistocène du Sangay se

321
forment dans un rentrant local de plus faibles dimensions (cf. Chapitre VI ; Fig.
30).

L’importance des rentrants dans la localisation des plis sur chevauchements a été
soulignée par Burbank dans le Kirghizstan (Burbank et al., 1999). Ces auteurs
suggèrent que la propagation de nouveaux chevauchements serait due à un
déficit de déformation dans une zone préalablement épargnée. A l’échelle de
l’Equateur, c’est le cas de la zone entre les culminations antiformales de Cutucú et
du Napo. A l’échelle du plateau de Puyo, c’est le cas du pli du Mirador. Ce
mécanisme peut donc assez bien expliquer la localisation des plis sur
chevauchement à culmination axial marquée mais pas leur association avec le
cône alluvial.

La localisation de gorges creusées par des cours d’eau sur les culminations
axiales d’anticlinaux en train de croître a amené Alvarez (1999) à se demander si
le creusement des gorges et l’enlèvement local de matière qu’il entraîne ne
facilitait pas la croissance d’une culmination axiale. Un tel mécanisme a été décrit
il y a plus de vingt ans mais dans une revue à faible diffusion, pour des anticlinaux
se formant dans l’axe de grand canyons (Huntoon et al., 1982). Ce mécanisme
s’apparente – à une autre échelle – à l’allègement érosif (« erosional unloading »)
invoqué pour expliquer la croissance post-tectonique de reliefs (par exemple,
Heller et al., 1988 ; Burbank, 1992 ; Catuneanu et al., 1997, 2000 ; Christophoul et
al., 2002a). Dans notre cas, l’incision par le Pastaza d’une profonde vallée pourrait
avoir permis ou facilité la formation du pli du Mirador à courte longueur axiale et à
culmination axiale marquée. Il est plus difficile d’attribuer à l’incision par le Pastaza
la localisation de la culmination transverse des plateaux de Puyo et Villano. En
effet, même si le Pastaza avait creusé là une vallée quand il coulait en direction
ouest – est, la profondeur de cette vallée n’était sûrement pas plus grande que
celle de sa vallée actuelle et vraisemblablement très insuffisante pour localiser la
propagation du Chevauchement Frontal Subandin. On peut toutefois envisager un
déchargement dynamique dû à la surcharge imposée de part et d’autre de la
« Dépression du Pastaza » par les culminations antiformales de Cutucú et du

322
Napo. Cette surcharge a créé ponctuellement une flexion négative sous les dômes
qui peut avoir généré une flexion positive (vers le haut) entre eux, de la même
manière que la surcharge par un prisme chevauchant entraîne vers l’avant la
formation d’un bourrelet périphérique (voir par exemple, Beaumont et al., 1993).
S’il semble évident que cette culmination ait été le résultat de la propagation du
Chevauchement Frontal Subandin, la flexion positive même faible aurait pu, lors
de la propagation de ce chevauchement, provoquer le développement d’un pli
avec culmination axiale marquée.

Dissymétrie nord-sud du Bassin Oriente

Les données thermochronologiques et leurs modélisations montrent qu’il existe


une différence entre les parties nord et sud du Bassin Oriente (cf. Chapitre V). Au
nord, les données mettent en évidence une érosion et un soulèvement généralisés
du bassin durant la fin du Néogène (probablement à partir de 10 Ma). Dans sa
partie sud, les modélisations (cf. Chapitre V) montrent que le bassin reste
subsident dans sa zone de foredeep tout au long de son histoire néogène et
récente. Cette dissymétrie du bassin est bien prononcée actuellement, comme le
montre la carte d’épaisseur des sédiments néogènes du Bassin Oriente (Fig. 2) et
la géométrie du cône alluvial du Pastaza (cf. Fig. I.14). Le soulèvement de la
partie septentrionale du Bassin Oriente est probablement à relier avec le
soulèvement de la Cordillère Orientale de Colombie (Fig. 2) qui s’est mise en
place à partir de la fin du Miocène moyen (Hoorn et al., 1995). C’est aussi durant
cette période que disparaît progressivement le « Pebas marine-like megalake »
qui était connecté au Miocène moyen avec la mer des Caraïbes (Wesselingh et
al., 2002 ; Roddaz et al., 2005a). Le Bassin Oriente est un des bassins pétroliers
les plus prolifiques du système subandin (Dashwood & Abbotts, 1990 ; Mathalone
& Montoya, 1995 ; Rivadeneira & Baby, 2004). L’évolution de son système
pétrolier est mal comprise car ses roches mères crétacées sont en grande partie
immatures (Dashwood & Abbotts, 1990) et n’ont pas généré d’hydrocarbures dans
les limites du bassin actuel. Les reconstitutions de l’histoire proposée ci-dessus

323
excluent l’idée d’une migration E-W d’hydrocarbures durant le Néogène à partir
d’une « cuisine » de génération occidentale avant le soulèvement de la Cordillère
Orientale. En effet, il n’y a aucune évidence de subsidence et d’enfouissement
néogènes assez importants au niveau de la Dépression Interandine ou de la
Cordillera Real pour produire une telle « cuisine ». Au Néogène, la zone de
génération d’hydrocarbures est plutôt à rechercher dans l’approfondissement de la
partie sud-ouest du Bassin Oriente et dans le Bassin Marañon du Pérou. La
modélisation Genex du puits Bobonaza (Fig. 3) confirme que dans cette partie du
bassin, la base de la Formation Napo (un des principaux niveaux de roche mère
reconnu, Rivadeneira, 2004) rentre en fenêtre de génération d’huile à partir de ~5
Ma, ce qui est en accord avec les résultats de Dashwood & Abbots (1990). C’est
probablement à ce niveau que se situe la limite septentrionale de la cuisine
néogène. La dissymétrie et la remontée du Bassin Oriente vers le nord ont été à
l’origine d’une migration sud-nord des hydrocarbures, du Bassin Marañon vers le
Bassin Oriente, où ils sont restés en partie piégés dans des structures
compressives crétacées et éocènes.

324
Figure 2 : MNT des Andes équatoriennes et carte isobathe de la base du Néogène du
Bassin Oriente. On voit qu’au nord du Oriente se développe la Cordillère Orientale de
Colombie.

Figure 3 : Puits Bobonaza en fenêtre de génération de pétrole à partir de la limite


Miocène-Pliocène (parie sud du Bassin Oriente)

325
326

Vous aimerez peut-être aussi