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des interactions constantes avec son environnement, notamment la famille. Chez les
jeunes enfants, les travaux de Bowlby (1978) ou encore ceux de Brazelton (2003) ont
révélé à quel point l’environnement social et affectif était vital pour l’enfant en
devenir. Cet environnement comprend bien entendu les relations interpersonnelles
mais aussi la régularité des interactions verbales et non verbales. Ainsi, selon la
théorie de l’attachement, la répétition quotidienne de relations interpersonnelles
sécurisantes entre le bébé et ses parents permet l’établissement d’une relation
d’attachement sécure, essentielle au développement de l’enfant.
Dans le cas ci-dessus de M. P., nous étions convenus d’organiser des entretiens
psychologiques à son domicile durant les semaines où ses enfants se trouvaient
chez leur mère (M. et Me P. étaient séparés et avaient une garde alternée). Or,
durant les premières semaines du suivi, je me suis aperçue de la présence des
enfants en arrivant au domicile de Monsieur pour le 3e entretien. La semaine
en question avait fait l’objet d’un échange en commun accord avec les parents
et M. P., ayant l’habitude des visites à domicile éducatives parfois en présence
de ses enfants, n’avait pas perçu la nécessité de me prévenir. Bien que déjà
présente sur les lieux, j’ai fait le choix d’annuler cet entretien en lui expliquant
la spécificité de nos entretiens : il s’agissait notamment d’aborder des pans de
sa vie personnelle complexes dont l’information auprès de ses enfants, si elle
s’avérait parfois indiquée, devait se faire de façon réfléchie et précautionneuse.
Or la disposition du domicile ne permettait pas de garantir la confidentialité de
nos échanges et, par conséquent, les précautions nécessaires à l’égard des
enfants.
De la même façon, j’ai indiqué aux enfants que les entretiens que je proposais à
leur père étaient un lieu de réflexion personnelle pour celui-ci, hors de la
présence d’une tierce personne sans préparation préalable, d’où l’annulation de
celui-ci.
M. P. a semblé comprendre cette démarche de rappel du cadre d’entretien
psychologique. Cela n’a pas entravé la relation de confiance en cours (au
contraire) et a permis qu’il m’informe au préalable lorsque la situation s’est
reproduite quelques semaines plus tard afin de trouver rapidement un nouveau
rendez-vous d’entretien.
En fonction des différents éléments recueillis durant cette évaluation, il peut être 21
nécessaire de rédiger un écrit décrivant l’état développemental de l’enfant lorsque
celui-ci est compromis et pourrait nécessiter une séparation temporaire de l’enfant
d’avec ses parents (en référence à la loi décrite ci-dessus). Cet écrit est alors adressé
au mandataire de la mesure éducative ou parfois directement au juge des enfants
qui décidera d’un éventuel placement. Conformément au Code de déontologie, le
psychologue doit indiquer le mandataire auquel l’écrit est adressé. Dans ce type de
situation, il est de la responsabilité du psychologue du développement de faire part
de ses observations de façon claire et accessible afin d’étayer ces professionnels dans
leur mission de protection de l’enfant comme l’indique la loi et dans le respect du
Code de déontologie. Ces écrits sont bien entendu différents des notes de travail
personnelles que le psychologue rédige afin d’assurer le suivi dans une continuité.
La capacité d’évolution des parents dans la prise en compte des besoins de leur 25
enfant peut donc passer par le soutien d’au moins une de ces dimensions. C’est à ce
titre, et tout en mettant en perspective l’état développemental de l’enfant, que le
psychologue du développement peut indiquer la nécessité d’un relais parental rapide
dans l’intérêt de l’enfant ou la pertinence d’une mesure en milieu ouvert.
À l’inverse, des relations parentales conflictuelles, voire violentes, sont des facteurs 29
de risque majeur de lien d’attachement insécure (Savard, 2010). La violence
conjugale est à ce titre un élément très important à prendre en compte dans cette
évaluation par le psychologue du développement. En effet, la violence du donneur de
soins va effrayer l’enfant. Qu’il soit directement menacé ou non, l’enfant est donc
maintenu par ce dernier dans un contexte de peur. Si l’autre parent est attentif à la
détresse de l’enfant et peut y répondre de façon rassurante et protectrice, l’impact
sur la sécurité affective de l’enfant sera minimisé. Cependant, dans la grande
majorité des cas, le parent victime se trouve souvent trop préoccupé à gérer ses
propres émotions et ne dispose plus de cette capacité à l’égard de son enfant. La
visite à domicile peut clairement fournir au psychologue un cadre d’observation en
contexte particulièrement riche dans cette pratique évaluative.
Cette évaluation peut aussi passer par la planification avec la famille d’un temps 30
spécifique d’observation lors d’un moment du quotidien familial. Il s’agit d’une
observation durant laquelle le psychologue est en retrait. L’entretien n’a lieu qu’a
posteriori (les précautions cliniques liées à ce type de pratique sont présentées dans la
partie suivante de ce chapitre).
Cet outil d’observation « neutre » peut être une indication lorsque les parents 35
manifestent la difficulté de partager leur attention entre tous leurs enfants,
notamment lorsqu’il s’agit d’une grande fratrie, ou de jeunes enfants. Ils expriment
souvent dans ce cas l’impression d’une jalousie et/ou rivalité entre les enfants qui les
empêche d’attribuer du temps à chacun ou encore la difficulté de proposer une
activité familiale, régulièrement entravée par des conflits entre enfants.
L’observation en retrait du psychologue peut alors permettre d’identifier pour
chaque enfant ses initiatives d’interaction et ses stratégies d’ajustement
individuelles. Ces points seront rapportés aux parents et potentiellement aux
enfants.
Dans l’intervention à domicile, la pratique d’une observation active est aussi un outil 37
intéressant, particulièrement pour le jeune enfant. Elle consiste notamment à
mettre en mots l’état émotionnel du bébé ou du jeune enfant pour aider le parent à
décrypter les signaux non verbaux de l’enfant. Il s’agit de soutenir cette capacité chez
les parents afin qu’ils répondent de façon appropriée aux besoins spécifiques et
évolutifs de leur enfant quel que soit son âge. Cela peut aussi permettre de soutenir
la capacité d’accordage affectif du parent (c’est-à-dire la capacité d’adapter
l’intensité, le rythme et la forme de ses émotions à ceux de l’enfant) par une mise en
mots préalable de la part du psychologue des expressions émotionnelles de l’enfant.
Prêter des émotions ou des intentions au jeune enfant en train d’interagir permet
souvent au parent de se saisir de ces propositions pour adapter sa réponse et parfois
la dimension émotionnelle de celle-ci. Lorsque ce n’est pas le cas, il peut être
intéressant de proposer un entretien avec le parent a posteriori de la situation
d’observation active pour soutenir sa fonction réflexive.
Pour les plus jeunes, il peut s’agir aussi de participer activement à l’interaction 39
parent-bébé pour favoriser les réajustements des maladresses interactives au cours
des protoconversations notamment. Cela permet au bébé d’expérimenter ces
ajustements de la part de l’adulte et d’attirer l’attention du parent sur ces derniers
tout en échangeant avec eux sur la variété possible de modalités interactives. Pour
rappel, la qualité des interactions précoces est un prédicteur de la sécurité
d’attachement, c’est pourquoi ces dernières sont un support de travail essentiel. En
effet, selon la théorie de l’attachement, les expériences interactives quotidiennes du
bébé s’inscrivent dans sa mémoire et forment ce que l’on appelle des modèles
internes opérants (MIO, Miljkovitch, 2001). Il s’agit de modèles mentaux qui guident
l’enfant dans sa manière de percevoir les relations interpersonnelles mais aussi de se
conduire. Ils l’aident à comprendre et à interpréter le comportement de son
entourage et à explorer le monde. Bien que ces modèles soient dynamiques et
puissent évoluer tout au long de la vie de l’enfant, ces expériences interactives
précoces, dont celles vécues avec le psychologue, ont un effet majeur dans le
développement de l’enfant, car « une fois son MIO en place, l’enfant a tendance à
percevoir les événements qu’il vit à travers ceux qu’il a déjà connus. Ce qui peut le
conduire à traiter l’information de façon biaisée (…) et mal le guider dans ses
nouvelles relations » (Miljkovitch 2010).
Enfin, la pratique de l’activité conjointe est un support d’entretien parent-enfant 40
particulièrement indiqué dans le même objectif. En effet, l’activité conjointe est un
processus inhérent au jeu créé à deux. Elle inclut une dimension émotionnelle par le
partage vécu durant le jeu. Il s’agit d’une activité essentielle au développement du
langage et de la théorie de l’esprit chez l’enfant, d’où l’intérêt de permettre au parent
de la pratiquer régulièrement avec son enfant.
Illustration clinique : il s’agit d’une mère isolée qui a une grande fille de 7 ans et
un bébé de 8 mois (Naelle) qui bénéficient d’une mesure d’aide éducative à
domicile. Cette mère avait été accueillie dans un foyer mère-enfant durant les
premières années de vie de son aînée et a bénéficié de différentes mesures
d’aide (notamment pour des actes usuels du quotidien). Pour autant, dès la
naissance de sa seconde fille, des inquiétudes ont émergé (une chute du bébé,
manque de soins médicaux, inadéquation des rythmes de sommeil et
d’alimentation). Une nouvelle mesure d’aide a été sollicitée avec comme double
objectif le soutien parental de cette maman mais aussi l’évaluation de sa
capacité à intégrer les conseils prodigués afin de tendre à une autonomie
familiale. Le cas échéant, la perspective d’un placement serait envisagée pour
permettre un relais éducatif et affectif durable auprès des deux enfants.
Madame avait des difficultés d’expression orale importantes, notamment en
lien avec une mauvaise maîtrise de la langue française. Elle avait donc
développé une stratégie compensatoire consistant à acquiescer quasi
systématiquement aux propos des professionnels. Cela entravait l’expression
personnelle de ses besoins et rendait donc incontournable une évaluation
précise de ses besoins de soutien et de ceux de ses enfants. Nous avons donc
décidé d’organiser un temps de synthèse avec les professionnels intervenant
déjà en amont afin de recueillir leurs observations et j’ai proposé un premier
entretien à domicile visant à observer de façon plus précise les modalités
interactives mère-bébé.
Lors de cet entretien, j’ai pu observer que Madame n’utilisait qu’un seul type
d’interaction : le contact tactile et les stimulations psychomotrices. Elle
n’utilisait aucun objet pour interagir avec sa fille (malgré la présence de jouets
dans le parc à côté). Plus inquiétant, de nombreuses dysrégulations interactives
ont eu lieu : Madame n’identifiait pas les expressions comportementales de
fatigue de Naelle ou encore ses tentatives de mettre fin à l’interaction trop
stimulante (détournement du regard, cri plaintif). Cette observation était à
mettre en lien avec celles rapportées lors de la réunion de synthèse : une grande
fatigue observée chez ce bébé qui pouvait faire des siestes de plus de 4 heures à
la crèche tandis que les professionnels intervenant à domicile ne la voyaient
jamais dormir, hormis sur le dos de sa mère de façon très ponctuelle, alors
qu’ils faisaient le même constat de grande fatigue. J’ai donc proposé à Madame
différents entretiens à domicile pour travailler sur ces dysrégulations
interactives et soutenir la sensibilité maternelle.
J’ai fait le choix de débuter ces entretiens par des supports de jeu ludiques pour
faciliter la relation et la mise en confiance de Madame et de Naelle. J’utilisais
différents jouets à disposition dans le parc pour proposer d’autres pratiques
interactives à Madame afin de lui permettre de jouer autrement avec sa fille.
Madame a réussi à utiliser un jouet dont elle détournait la fonction en le
mettant sur sa tête ainsi que sur celle de Naelle pour faire comme un chapeau.
Cette activité est devenue une activité conjointe avec un partage émotionnel
adapté et a été réutilisée spontanément la fois suivante par Madame. Ensuite,
nous avons procédé à un nouveau temps de jeu mais cette fois en installant
Naelle dans le parc car Madame avait entre-temps exprimé qu’elle ne pouvait
pas y laisser sa fille sans qu’elle ne pleure. Bien qu’elle semblât avoir compris
son utilité sécuritaire (lorsqu’elle était occupée à cuisiner par exemple), elle
n’osait donc pas l’utiliser de peur que Naelle ne pleure. Ainsi Naelle et Madame
ont expérimenté un temps de jeu dans cette configuration, ce qui a permis à
Naelle de ne plus demander, à peine posée, d’en sortir par des pleurs. En outre,
sur un principe de guidance parentale, nous avons échangé avec Madame au
sujet de la fonction des pleurs dans le système de communication du bébé afin
de lui permettre de se rassurer face à cette expression de Naelle.
Il s’agissait de soutenir les capacités d’ajustement de Madame et sa sensibilité
maternelle afin d’aider à la construction d’un lien d’attachement sécure par des
réponses adaptées de cette dernière aux signaux de Naelle. Étant donné la
difficulté de communication orale de Madame, le soutien de sa fonction
réflexive semblait moins pertinent. Lors d’une protoconversation entre
Madame et Naelle, j’ai souligné auprès d’elle les comportements non verbaux de
Naelle par des formulations telles que : « Tiens ça y est tu commences à
fatiguer. C’était bien le jeu avec maman mais là tu nous montres que tu es
fatiguée c’est ça ? » Ou encore : « On dirait que tu veux changer de jeu ? Ou
peut-être veux-tu découvrir le jouet un peu toute seule ? » Très attentive à mes
propos, Madame a alors proposé à sa fille un temps d’arrêt dans le jeu et même
un temps de massage du cuir chevelu. La même initiative à prêter des ressentis
à Naelle (qui manifestait sa détente à ce moment-là) a permis à Madame
d’identifier l’intérêt de ce geste comme une aide à l’endormissement. En
valorisant le fait que sa fille semblait apprécier et peu à peu s’apaiser, Madame
a intégré cette pratique dans son quotidien et notamment comme rituel
d’endormissement.
Au fil des entretiens à domicile, nous avons observé une évolution de la qualité
des interactions mère-fille et une appropriation des modélisations interactives
par Madame au quotidien. Ces observations ont été confortées par les
différents professionnels prenant en charge Naelle, notamment à la crèche où
ils ont noté une disparition des difficultés d’endormissement, une meilleure
capacité de jeu et d’exploration par elle-même ainsi qu’une diminution du
besoin de Naelle d’être constamment dans les bras d’un adulte.
Le fait d’effectuer ces entretiens interactifs au domicile familial favorise la répétition 41
en autonomie par le parent et l’enfant dans ce même lieu. C’est pourquoi, si ces
accompagnements peuvent se faire potentiellement au sein d’un bureau avec
différents supports relationnels, il peut être plus opportun de les proposer au
domicile familial afin de faciliter leur apprentissage et leur généralisation à
l’environnement principal de vie de l’enfant.
Dans le cas d’une enfant de 6 ans dont les parents présentaient des signes de
déficience intellectuelle, l’alternance d’entretiens psychologique individuels
réguliers auprès de cette enfant et d’entretiens ponctuels en présence de
l’éducateur auprès des parents à domicile a permis une guidance parentale
intégrant des conseils éducatifs et le soutien contextualisé et régulier de leur
sensibilité parentale. En effet, ces parents étaient en demande de conseils
éducatifs mais leur application n’était jamais continue, arrêtée par un
comportement d’opposition de leur fille ou par un état de fatigabilité
professionnelle de Madame, ou encore du fait d’un autre conseil émanent d’un
proche. Or, après évaluation, cette enfant présentait de nombreux signes
d’insécurité affective en lien notamment avec une compréhension parentale
des signaux de détresse qu’elle pouvait émettre (par exemple, l’opposition au
coucher le soir) et l’imprévisibilité des réponses parentales (un comportement
accepté un jour était puni le lendemain). Il était donc nécessaire de tenter
rapidement de soutenir un réajustement parental plus sécure. À défaut, une
séparation pourrait être envisagée pour permettre à cette petite fille de
bénéficier des réponses adaptées à ses besoins affectifs.
L’alternance de cadres de rendez-vous a permis de soutenir la capacité des
parents de comprendre les comportements de leur fille et d’ajuster leurs
réponses de façon durable, appuyés par le soutien régulier de l’éducatrice
durant les visites à domicile qu’elle menait en présence de l’enfant. À noter que
ce dispositif n’était possible qu’après l’établissement d’une relation de
confiance avec l’enfant en entretien individuel.
Pour conclure, retenons que la pratique de l’entretien à domicile est un outil clinique 47
riche. Cette richesse de l’outil est indéniable si et seulement si la pratique de
l’entretien clinique à domicile est utilisée de manière réfléchie. Cette pratique doit
s’effectuer dans le cadre d’une réflexion déontologique systématique, à la fois en
amont mais aussi en aval de son application. Lorsque de telles précautions sont
respectées, la pratique de l’entretien clinique à domicile permet alors de mettre au
profit des différents acteurs des connaissances relatives au développement de
l’enfant dans une approche globale caractérisée par le soutien respectueux de
l’enfant et de sa famille.
Points clés
Plan
1. Entretien psychologique à domicile et déontologie
1.1 Le consentement éclairé et la construction d’une relation de confiance
1.2 Construire un cadre d’entretien hors du bureau
Bibliographie
Références bibliographiques
Brazelton, T.B. (2003). Les moments clés dans le tissage des liens entre le bébé et les
parents, Journal de Pédiatrie et de Puériculture, 16 (2), 78-80.
Sparrow, S.S., Cicchetti, D.V. et Balla, D.A. (2015). Vineland-II Échelle d’évaluation du
comportement socio-adaptatif de Vineland. Paris : éditions du Centre de Psychologie
Appliquée.
Auteur
Lucie Girard
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