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Chapitre 5.

Une clinique du développement de l’enfant à


domicile
Lucie Girard
Dans 12 interventions en psychologie du développement (2019),
pages 99 à 119

Chapitre

L a psychologie du développement de l’enfant souligne l’importance des


environnements dans lesquels gravite l’enfant. Elle défend que le
développement est la résultante des caractéristiques individuelles de l’enfant et
1

des interactions constantes avec son environnement, notamment la famille. Chez les
jeunes enfants, les travaux de Bowlby (1978) ou encore ceux de Brazelton (2003) ont
révélé à quel point l’environnement social et affectif était vital pour l’enfant en
devenir. Cet environnement comprend bien entendu les relations interpersonnelles
mais aussi la régularité des interactions verbales et non verbales. Ainsi, selon la
théorie de l’attachement, la répétition quotidienne de relations interpersonnelles
sécurisantes entre le bébé et ses parents permet l’établissement d’une relation
d’attachement sécure, essentielle au développement de l’enfant.

Le cadre d’intervention du psychologue prévoit dans certaines situations l’accès au 2


domicile familial. Le domicile constituant le lieu des relations interpersonnelles
quotidiennes de l’enfant, il s’agit alors, comme nous le montrons ici, d’un outil
potentiel de soutien développemental de l’enfant et de l’adolescent.

Ainsi, les accompagnements éducatifs renforcés à domicile proposés dans le cadre 3


de la prévention et de la protection de l’enfance font partie de ces cadres
d’intervention. Ils sont de plus en plus courants depuis la réforme de la Protection de
l’enfance de 2007. Les accompagnements proposés à la famille sont très variés. Ils
intègrent à présent des dimensions psychologiques autant que socio-éducatives.
C’est dans ce contexte que la pratique du psychologue auprès d’enfants et de leurs
parents à leur domicile se questionne.
Nous nous intéresserons plus particulièrement ici à la clinique du psychologue du 4
développement dans le cadre de mesure de milieu ouvert en prévention (type Aide
Éducative à Domicile Renforcée) et en protection de l’enfance (type Soutien pour le
Maintien à Domicile).

1. Entretien psychologique à domicile et déontologie

Il s’agit avant tout de réfléchir à cette pratique relativement au code de déontologie 5


qui régit la profession et permet au psychologue de construire un cadre d’entretien
adapté en évitant le risque de confusion avec d’autres pratiques de professionnels
qui peuvent aller eux aussi à la rencontre des enfants et de leur famille à domicile.

1.1 Le consentement éclairé et la construction d’une relation


de confiance
La mise en place de rencontres à domicile avec des professionnels est inhérente aux 6
mesures d’accompagnement éducatif de prévention et de protection de l’enfance en
milieu ouvert. Ce type de rendez-vous est à ce titre accepté de fait par les familles
lors de la demande d’accompagnement. On peut ainsi postuler un accord de principe
de la famille concernant la généralisation de ce cadre de rencontres aux entretiens
psychologiques inhérents à la mesure. Pour autant, le consentement éclairé sous-
entend une clarté d’informations permettant à la famille d’identifier notamment
l’objectif ainsi que la ou les modalité(s) d’accompagnement proposés par le
psychologue. Ces éléments étant différents pour l’éducateur et le psychologue, il est
déontologiquement important de présenter et de questionner spécifiquement la
présence du psychologue à domicile préalablement à l’intervention. Le fait que les
mesures soient par principe des accompagnements à domicile ne doit en effet pas
pousser à faire l’économie d’une réflexion relative à la pertinence ou non d’un
entretien à domicile. La visite à domicile est un outil au service de la clinique et non
un cadre d’entretien systématisé pour le psychologue intervenant dans ces mesures
éducatives. Le psychologue doit identifier une plus-value de ce cadre d’entretien
pour l’enfant ou le(s) membre(s) de la famille concerné(s) avant de leur en faire la
proposition.

Le vécu subjectif de ce cadre d’entretien est toujours à questionner auprès de la ou 7


des personne(s) concernée(s) par cet entretien. En effet, certaines personnes
peuvent vivre la présence d’un psychologue au sein de leur domicile de façon très
intrusive tandis que d’autres se sentiront plus en confiance dans un lieu déjà connu
et rassurant pour eux. Il est nécessaire de garantir à la personne le choix quant au
lieu de l’entretien, ainsi que la possibilité de changer d’avis à la suite d’un premier
entretien. Ainsi, questionner la personne sur son ressenti en amont et en aval de
l’entretien participe de l’établissement d’une relation de confiance, essentielle à la
construction d’une alliance thérapeutique ultérieure. Cette précaution, valable pour
tout entretien psychologique, est incontournable dans le cadre d’entretiens
psychologiques à domicile.

En prenant en compte ces précautions (inhérentes à « la prudence et au 8


discernement » dont doit faire preuve le psychologue selon le Code de déontologie
(2012), l’entretien psychologique à domicile peut amplement favoriser la confiance
des personnes méfiantes à l’égard des psychologues car il rend le psychologue
accessible, tant sur le plan symbolique que géographique (dans le cas de personnes
isolées et en grande précarité par exemple). L’entretien psychologique à domicile
participe dès lors d’une démarche d’« aller vers » et non d’attendre la demande de la
personne en souffrance. La personne, rassurée par le lieu (contrairement au bureau
inconnu du psychologue) ainsi que possiblement par cette démarche volontaire du
psychologue vers elle, peut donc être plus encline à s’exprimer librement et
authentiquement face à cette personne inconnue que représente au préalable le
psychologue.

Un père, Monsieur P., se montre réfractaire aux professionnels de soin et


d’éducation de façon globale. Il avait refusé de collaborer avec les intervenants
de la précédente mesure éducative concernant ses enfants, ainsi que de suivre
les indications de suivi psychologique qui lui avaient été conseillées (en lien
avec son mal-être durable et ses antécédents de consommation importante
d’alcool). Ma présence lors de l’entretien de présentation de la mesure
éducative puis lors d’une visite à domicile avec l’éducatrice référente a permis à
M.P. d’accepter d’essayer des entretiens psychologiques individuels visant
initialement une réflexion au sujet de sa fonction paternelle.
Comme il refusait de se rendre à mon bureau, nous avons élaboré ensemble un
cadre de rendez-vous psychologiques réguliers à son domicile pour débuter.
Ces entretiens à domicile ont permis d’aborder son histoire personnelle,
jalonnée de nombreux facteurs de risque d’insécurité affective, et de mettre en
évidence progressivement des fragilités émotionnelles importantes entravant
sa sensibilité paternelle. Au bout d’environ 3 mois, grâce à la relation de
confiance établie, M. P. a accepté d’expérimenter un entretien dans mon
bureau. Ce fut pour lui une expérience particulièrement angoissante malgré
tout : il a eu besoin de sortir à deux reprises fumer une cigarette durant
les 45 minutes habituelles d’entretien. En soutenant l’expression de ce vécu
subjectif complexe, nous avons pu convenir d’une alternance d’entretiens à
domicile et au bureau quelque temps afin de tendre vers des entretiens
réguliers exclusivement au sein du service.
Cette démarche progressive a favorisé la construction d’une relation de
confiance permettant une réflexion personnelle et paternelle constructive de la
part de Monsieur P. Au bout de 5 mois, les entretiens avaient lieu
exclusivement au sein de mon bureau et étaient honorés de façon assidue. M. P.
a d’ailleurs accepté un relais vers le CMP de secteur à l’échéance de la mesure
marquant la fin de ce suivi de plus de 8 mois.

1.2 Construire un cadre d’entretien hors du bureau


« Le psychologue définit ses limites propres compte tenu de sa formation et de son 9
expérience » (Code de déontologie, 2012). Ainsi, il n’est pas question de proposer un
cadre d’entretien au domicile d’une personne seulement parce qu’elle le demande ou
parce qu’il s’agit du cadre d’intervention habituel d’autres professionnels. Le cadre
de l’entretien psychologique est spécifique et sous la responsabilité du psychologue
qui le propose. La capacité de réfléchir la pratique de l’entretien et son cadre garantit
la bienveillance clinique et le respect du secret professionnel du psychologue à
l’égard de la personne qui en bénéficie.

L’entretien à domicile ne se déroule pas à n’importe quel moment ni dans n’importe 10


quelle pièce du domicile. Le cadre spatial et temporel est donc à définir avec la
personne concernée. Il est nécessaire aussi de préciser avec elle le ou les objectifs de
cet entretien et les personnes qui y participeront, et pas obligatoirement celles
présentes au domicile.

Par exemple, si l’entretien concerne un parent, il est indispensable de convenir d’un 11


horaire où celui-ci est seul à son domicile, ou dans une pièce à part, tandis que les
enfants sont occupés dans leur chambre, ou encore à l’extérieur en présence d’un
autre adulte si leur âge le nécessite. Il est de la responsabilité du psychologue
d’annuler un entretien lorsque les conditions requises ne sont pas présentes, tout en
expliquant les raisons de cette décision.

Dans le cas ci-dessus de M. P., nous étions convenus d’organiser des entretiens
psychologiques à son domicile durant les semaines où ses enfants se trouvaient
chez leur mère (M. et Me P. étaient séparés et avaient une garde alternée). Or,
durant les premières semaines du suivi, je me suis aperçue de la présence des
enfants en arrivant au domicile de Monsieur pour le 3e entretien. La semaine
en question avait fait l’objet d’un échange en commun accord avec les parents
et M. P., ayant l’habitude des visites à domicile éducatives parfois en présence
de ses enfants, n’avait pas perçu la nécessité de me prévenir. Bien que déjà
présente sur les lieux, j’ai fait le choix d’annuler cet entretien en lui expliquant
la spécificité de nos entretiens : il s’agissait notamment d’aborder des pans de
sa vie personnelle complexes dont l’information auprès de ses enfants, si elle
s’avérait parfois indiquée, devait se faire de façon réfléchie et précautionneuse.
Or la disposition du domicile ne permettait pas de garantir la confidentialité de
nos échanges et, par conséquent, les précautions nécessaires à l’égard des
enfants.
De la même façon, j’ai indiqué aux enfants que les entretiens que je proposais à
leur père étaient un lieu de réflexion personnelle pour celui-ci, hors de la
présence d’une tierce personne sans préparation préalable, d’où l’annulation de
celui-ci.
M. P. a semblé comprendre cette démarche de rappel du cadre d’entretien
psychologique. Cela n’a pas entravé la relation de confiance en cours (au
contraire) et a permis qu’il m’informe au préalable lorsque la situation s’est
reproduite quelques semaines plus tard afin de trouver rapidement un nouveau
rendez-vous d’entretien.

La réflexion doit aussi porter sur le choix de la pièce du domicile où s’effectue 12


l’entretien. Pour respecter la vie privée de la famille et son intimité, il apparaît
opportun d’utiliser la pièce de vie, à savoir le salon ou la cuisine selon l’organisation
du domicile. Il est souhaitable d’éviter les pièces plus intimes telles que les chambres.
Cela peut faire l’objet d’un échange préalable avec la personne concernée.

De même, l’indication de la garantie du secret professionnel lors de l’entretien est à 13


prendre en compte comme dans l’exemple ci-dessus. L’idéal est de choisir un horaire
de rendez-vous où seules les personnes concernées par l’entretien sont présentes au
domicile. Cependant, lorsque ce n’est pas possible, il est indispensable de préciser la
nécessité que les autres membres de la famille respectent le temps d’entretien, en ne
rentrant pas dans la pièce choisie par exemple. À nouveau, si cette condition ne peut
être garantie ou si le psychologue a le sentiment qu’elle n’est pas respectée par les
différents membres présents au domicile, il est de sa responsabilité de suspendre
l’entretien et de le différer à un autre moment, voire dans un autre lieu que le
domicile.

2. Pratique de l’évaluation à domicile : entre cadre légal


de la prévention/protection de l’enfance et clinique du
psychologue du développement

Le travail du psychologue en milieu ouvert répond essentiellement aux objectifs 14


d’évaluation et de soutien, notamment en matière de développement de l’enfant et
de la parentalité. Si ces deux objectifs et les deux dimensions qu’ils visent peuvent
parfois apparaître contradictoires, il s’agit pour le psychologue de constamment
tenter de les conjuguer, comme la loi le précise, « dans l’intérêt suprême de
l’enfant ».

2.1 Ce qui est prévu par la loi (14 mars 2016)


« La politique publique de protection de l’enfance a pour enjeu le développement de 15
l’enfant. Sa priorité est d’intervenir dans les familles lorsque le développement de
l’enfant y est “compromis” ou risque de l’être, c’est-à-dire lorsque divers contextes
contribuent à l’absence de satisfaction de certains besoins désignés comme
“fondamentaux, donnant à craindre pour la survie physique ou psychique des
enfants”. » La protection de l’enfance vise à présent à « soutenir son développement
physique, affectif, intellectuel et social » (loi du 14 mars 2016). Ainsi, les compétences
d’évaluation et les connaissances théorico-cliniques du psychologue du
développement sont directement sollicitées par le cadre légal et législatif de la
protection de l’enfance ; sa connaissance du développement de l’enfant et des outils
d’observation et d’évaluation lui donne ici toute sa place.

La loi de 2016, en favorisant la prise en compte des besoins de l’enfant, souligne 16


l’importance de faire une « évaluation plus systématique de la situation » de l’enfant.
Outre l’évaluation globale des différentes sphères du développement de l’enfant que
la loi vise à soutenir, l’évaluation de la dimension affective revêt un intérêt
particulier dans ce cadre d’intervention. La « Démarche de consensus sur les besoins
fondamentaux de l’enfant en protection de l’enfance » de février 2017 conclut en effet
à la primauté du besoin de sécurité sur tous les besoins primaires chez les enfants
relevant de la protection de l’enfance : un « méta-besoin de sécurité ».

Ce méta-besoin se conceptualise aisément à l’aune de la théorie de l’attachement 17


développé par J. Bowlby (1978) sur le besoin d’attachement du bébé, puis de l’enfant
et de l’adolescent, à une ou plusieurs figures quotidiennes. Il est alors important de
ne pas confondre le fait d’être attaché affectivement et l’attachement répondant au
besoin de sécurité de l’enfant. Ce besoin correspond à celui d’établir des relations
affectives stables avec des personnes ayant la capacité et étant disposées à porter
attention aux besoins de l’enfant et à s’en soucier. La question de l’attachement n’est
donc pas celle de l’amour mutuel d’un parent et de l’enfant mais bien du sentiment
de sécurité affective procuré par le(s) parent(s) à son ou à leur enfant.

2.2 La mise en pratique par le psychologue du développement


Le travail d’évaluation du psychologue dans le cadre de ces mesures éducatives à 18
domicile est d’évaluer la qualité du lien d’attachement de l’enfant avec ses parents et
son impact sur le développement de l’enfant, afin de le soutenir dans cet
environnement quotidien. Le cas échéant, un placement peut être sollicité pour
tenter de fournir à l’enfant un environnement comprenant de nouvelles relations
sécurisantes lorsque celles qui lui sont proposées à domicile sont insécures.

Il s’agit de ce fait pour le psychologue du développement d’être attentif aux indices 19


d’insécurité affective chez l’enfant (troubles du sommeil durables, difficulté de
séparation, hypervigilance…), aux troubles émotionnels (anxiété majeure, difficulté
de régulation émotionnelle par rapport à l’âge), aux comportements sociaux
inadaptés (retrait, agressivité, comportements phobiques…) tout en les différenciant
d’indicateurs de troubles du développement tels que les Troubles Envahissants du
Développement, ou encore à l’existence éventuelle d’indices d’attachement
désorganisé (la peur du parent, les comportements contradictoires de l’enfant en sa
présence, une compliance excessive à son égard… ; Main, 1988). En parallèle, le
psychologue prend aussi en compte les ressources personnelles de l’enfant qui
constituent des facteurs de protection (imaginaire, capacité d’explorer, d’apprendre
à l’école, de jouer, humour ; Manciaux, 2001) et ses stratégies pour faire face (coping)
à un environnement insécure.

Pour ce faire, le recueil de multiples observations du comportement de l’enfant dans 20


différents contextes (domicile familial, scolaire, entretien, etc.) de façon directe ou
rapportée (par l’éducateur, les parents, les professionnels scolaires, d’insertion ou
encore de soin intervenant auprès de l’enfant) est une étape indispensable à cette
évaluation. Bien entendu, le clinicien du développement peut utiliser des outils
psychométriques validés. Sa formation lui permet de choisir les outils adaptés à l’âge
de l’enfant et au domaine nécessaire à évaluer.

En fonction des différents éléments recueillis durant cette évaluation, il peut être 21
nécessaire de rédiger un écrit décrivant l’état développemental de l’enfant lorsque
celui-ci est compromis et pourrait nécessiter une séparation temporaire de l’enfant
d’avec ses parents (en référence à la loi décrite ci-dessus). Cet écrit est alors adressé
au mandataire de la mesure éducative ou parfois directement au juge des enfants
qui décidera d’un éventuel placement. Conformément au Code de déontologie, le
psychologue doit indiquer le mandataire auquel l’écrit est adressé. Dans ce type de
situation, il est de la responsabilité du psychologue du développement de faire part
de ses observations de façon claire et accessible afin d’étayer ces professionnels dans
leur mission de protection de l’enfant comme l’indique la loi et dans le respect du
Code de déontologie. Ces écrits sont bien entendu différents des notes de travail
personnelles que le psychologue rédige afin d’assurer le suivi dans une continuité.

En parallèle, l’autre axe d’évaluation essentiel concerne la sécurité du lien 22


d’attachement parent-enfant. Cette évaluation regroupe deux niveaux : les parents et
l’enfant. Elle peut aussi faire l’objet d’un écrit lorsque cela est nécessaire ou, le plus
souvent, fournir des objectifs d’entretiens psychologiques.

2.3 Du point de vue des parents


Le psychologue du développement doit s’intéresser aux compétences psychologiques 23
qui sous-tendent la parentalité, notamment la capacité de caregiving des parents
(Rabouam, Moralès-Huet et Miljkovitch, 2006). Il s’agit de « l’ensemble des soins
physiques et affectifs donnés à l’enfant et la capacité des parents à prodiguer du
réconfort quand ils perçoivent que l’enfant est en situation de danger » (rejoindre
l’enfant, le consoler, le bercer…). Deux dimensions particulières du caregiving sont
très corrélées avec la sécurité du lien d’attachement parent-enfant, et donc
particulièrement intéressantes à évaluer :

« la sensibilité parentale » : la capacité à percevoir et interpréter correctement 24


les signaux émis par l’enfant afin d’y répondre de façon adaptée. Autrement
dit, la capacité du parent à se questionner sur les sentiments possibles de son
enfant et sur leur raison, à être à l’écoute de ceux-ci pour l’aider à les
comprendre et à les contrôler. Cette capacité est aussi en lien avec la
disponibilité physique, émotionnelle et mentale du parent, c’est-à-dire le fait
de rester en alerte quant aux signaux de l’enfant ;
« la fonction réflexive » : la capacité du parent à percevoir et distinguer ses
propres états mentaux de ceux de son enfant, à comprendre les états
psychologiques qui sous-tendent leurs propres réactions et comportements
auprès des enfants ainsi que ceux de ces derniers.

La capacité d’évolution des parents dans la prise en compte des besoins de leur 25
enfant peut donc passer par le soutien d’au moins une de ces dimensions. C’est à ce
titre, et tout en mettant en perspective l’état développemental de l’enfant, que le
psychologue du développement peut indiquer la nécessité d’un relais parental rapide
dans l’intérêt de l’enfant ou la pertinence d’une mesure en milieu ouvert.

2.4 Du point de vue de l’enfant


Il s’agit essentiellement d’observer les comportements émotionnels de l’enfant à 26
l’égard de ses parents lors de moments de séparation ou de réunion (Main, 1986). On
relève les recherches ou non de proximité physique, la capacité de l’enfant à chercher
du réconfort auprès de son parent, l’existence d’une confiance en l’aide que celui-ci
peut lui apporter et la capacité de l’enfant à utiliser le parent comme base de sécurité
pour explorer des lieux, personnes, objets étrangers. On note aussi la capacité
exploratoire de l’enfant en référence à l’équilibre nécessaire entre système
exploratoire et système d’attachement (Bowlby, 1978). Lorsque l’enfant avancera en
âge, l’évaluation portera aussi sur ses représentations de l’attachement – notamment
par l’utilisation des Histoires à compléter de Bretherton puis de l’Inventaire
d’attachement parent-adolescent traduit par Larose et Boivin.

2.5 Concernant l’anamnèse


Il s’agit de questionner les différentes expériences de séparation (séparation 27
physique précoce liée à une hospitalisation par exemple, à une adoption, etc., mais
aussi séparation émotionnelle liée à une dépression maternelle, un trouble
psychiatrique chez un parent, etc.), les expériences de perte, de deuil, de violence,
voire d’abus vécues par les parents ainsi que celles subies par l’enfant.
Enfin, en cas de séparation parentale, outre la prise en compte de l’expérience de 28
séparation physique et émotionnelle induite pour l’enfant qui ne peut plus être, ou
très peu, avec ses deux parents en même temps, il est aussi intéressant d’évaluer le
coparenting, c’est-à-dire la capacité des parents à établir une relation de coopération
dans l’objectif de s’occuper de l’enfant (Rabouam, 2010). En effet, en cas de
séparation, les capacités individuelles de caregiving peuvent être mises à mal alors
que la capacité des parents à être dans un soutien mutuel des comportements de
soin à l’égard de l’enfant rend plus efficace le caregiving de chacun.

À l’inverse, des relations parentales conflictuelles, voire violentes, sont des facteurs 29
de risque majeur de lien d’attachement insécure (Savard, 2010). La violence
conjugale est à ce titre un élément très important à prendre en compte dans cette
évaluation par le psychologue du développement. En effet, la violence du donneur de
soins va effrayer l’enfant. Qu’il soit directement menacé ou non, l’enfant est donc
maintenu par ce dernier dans un contexte de peur. Si l’autre parent est attentif à la
détresse de l’enfant et peut y répondre de façon rassurante et protectrice, l’impact
sur la sécurité affective de l’enfant sera minimisé. Cependant, dans la grande
majorité des cas, le parent victime se trouve souvent trop préoccupé à gérer ses
propres émotions et ne dispose plus de cette capacité à l’égard de son enfant. La
visite à domicile peut clairement fournir au psychologue un cadre d’observation en
contexte particulièrement riche dans cette pratique évaluative.

Lors d’un entretien à domicile parents-enfant (qui faisait suite à deux


entretiens à mon bureau), j’ai pu observer l’absence d’écoute de la mère à
l’égard de sa fille dans un contexte quotidien. Cela contrastait avec le contexte
de rendez-vous au bureau du service qui forçait quelque peu son attention.
Cette mère était en effet installée dans un fauteuil, à l’écart du canapé où se
trouvaient le père et la fille de 9 ans, mais à proximité de l’ordinateur. Son
regard alternait entre ma direction lorsque je prenais la parole et celle de
l’ordinateur lorsque sa fille s’exprimait. Ce changement de cadre d’entretien
était lié aux difficultés de déplacement de la mère, confrontée à des soucis
majeurs de santé. Alors que sa fille avait déjà exprimé lors des précédents
entretiens son regret de ne plus partager de temps avec sa mère tandis que
cette dernière explicitait des raisons liées à la dégradation de sa santé, on
pouvait observer que la perte de ces moments de partage ne se réduisait pas à
cela. La sensibilité de Madame à l’égard des comportements de sa fille était
visiblement très fragile. En outre, les parents exprimaient des attentes vis-à-vis
de leur fille en termes d’autonomie dans l’habillage, la toilette, l’alimentation,
etc., disproportionnées par rapport à son âge.
Nous avons ainsi pu travailler lors des entretiens suivants l’idée de soutenir le
regard de la mère sur sa fille. Il s’agissait aussi que cette mère puisse
progressivement identifier les moments de détresse de son enfant, notamment
lorsqu’elle faisait face à des tâches trop complexes. Puis, il a été possible de
permettre à toutes les deux d’envisager sans crainte d’oppositions d’autres
supports interactifs quotidiens en adéquation avec les fragilités actuelles de
Madame, en permettant notamment à chacune d’anticiper la durée des
interactions mutuelles. Cela a aussi eu comme effet de réduire les difficultés de
cette petite fille pour se rendre à l’école le matin (cette dernière ayant réussi à
exprimer qu’il s’agissait pour elle d’un moyen de rester avec sa mère afin de
pouvoir passer des moments ensemble). On connaît, d’une manière générale, la
fréquence d’absentéisme scolaire causée par l’insécurité de l’enfant en famille.

Cette évaluation peut aussi passer par la planification avec la famille d’un temps 30
spécifique d’observation lors d’un moment du quotidien familial. Il s’agit d’une
observation durant laquelle le psychologue est en retrait. L’entretien n’a lieu qu’a
posteriori (les précautions cliniques liées à ce type de pratique sont présentées dans la
partie suivante de ce chapitre).

3. Les outils cliniques du travail à domicile

À partir de cette évaluation préalable, le travail de soutien consiste à proposer des 31


accompagnements adaptés aux besoins développementaux des enfants et, de ce fait,
individualisés et variés. Plus particulièrement, l’objectif de soutien des interactions
enfant-parents représente une mission majeure dans ce cadre de mesure de
protection de l’enfance à domicile afin de favoriser des relations parents-enfants
plus sécures et harmonieuses. Le psychologue peut intervenir de façon plus ou
moins directe sur ces interactions pour soutenir le lien.

Cela va de l’observation à une modélisation interactive auprès des parents, en 32


passant par une guidance parentale (l’observation active ou encore la vidéo-
rétroaction). Dans tous les cas, la contextualisation de ces observations et réflexions
au sein du domicile familial représente un atout majeur afin d’en favoriser
l’appropriation par les familles.

Le psychologue du développement pratique régulièrement l’observation. Cet outil, 33


qui n’est pas réservé au recueil de données de recherche, revêt un intérêt clinique
majeur dans sa fonction d’évaluation mais aussi de soutien psychologique. Cela
s’impose particulièrement dans l’accompagnement des jeunes enfants mais aussi
dans le contexte de rendez-vous au domicile familial. Les différentes connaissances
du développement de l’enfant ou encore celle des caractéristiques d’une interaction
socioaffective représentent des guides d’observation et des indicateurs essentiels
d’évaluation de la qualité des interactions de l’enfant avec son environnement
familial.
Le psychologue peut proposer une observation en contexte, c’est-à-dire ici, au sein 34
du domicile familial, visant à observer les interactions de chacun des membres de la
famille. Dans ce cas, le psychologue doit faire preuve d’une attitude bienveillante et
en retrait afin d’influencer le moins possible les interactions observées. Il est
nécessaire en amont de préciser et d’expliciter la démarche pour obtenir le
consentement éclairé de la famille mais surtout pour aider chacun à ne pas se sentir
jugé par ce temps d’observation particulier. Cet outil nécessite donc une relation de
confiance déjà établie. Enfin, il s’agira de procéder à un temps d’entretien afin
d’effectuer une restitution des observations effectuées auprès de la famille et
d’amorcer une réflexion à ce sujet.

Cet outil d’observation « neutre » peut être une indication lorsque les parents 35
manifestent la difficulté de partager leur attention entre tous leurs enfants,
notamment lorsqu’il s’agit d’une grande fratrie, ou de jeunes enfants. Ils expriment
souvent dans ce cas l’impression d’une jalousie et/ou rivalité entre les enfants qui les
empêche d’attribuer du temps à chacun ou encore la difficulté de proposer une
activité familiale, régulièrement entravée par des conflits entre enfants.
L’observation en retrait du psychologue peut alors permettre d’identifier pour
chaque enfant ses initiatives d’interaction et ses stratégies d’ajustement
individuelles. Ces points seront rapportés aux parents et potentiellement aux
enfants.

Cette observation peut aussi être outillée, notamment par l’utilisation du 36


questionnaire du Vineland (Sparrow, Cicchetti et Balla, 2015) afin d’organiser le récit
des observations des parents et/ou du psychologue. Dans ce cas, son utilisation n’a
pas un objectif d’évaluation des comportements adaptatifs mais bien de support
d’observation et d’échange commun au sujet de l’enfant et de ses comportements.
L’objectif peut être de modifier les représentations parentales négatives ou rigides à
l’égard de l’enfant (on peut observer une évolution du discours présentant les
compétences et progrès de l’enfant après cette observation) ou encore de soutenir
leur sensibilité parentale car cet exercice nécessite qu’ils portent attention à de
nombreux comportements non verbaux du quotidien.

Dans l’intervention à domicile, la pratique d’une observation active est aussi un outil 37
intéressant, particulièrement pour le jeune enfant. Elle consiste notamment à
mettre en mots l’état émotionnel du bébé ou du jeune enfant pour aider le parent à
décrypter les signaux non verbaux de l’enfant. Il s’agit de soutenir cette capacité chez
les parents afin qu’ils répondent de façon appropriée aux besoins spécifiques et
évolutifs de leur enfant quel que soit son âge. Cela peut aussi permettre de soutenir
la capacité d’accordage affectif du parent (c’est-à-dire la capacité d’adapter
l’intensité, le rythme et la forme de ses émotions à ceux de l’enfant) par une mise en
mots préalable de la part du psychologue des expressions émotionnelles de l’enfant.
Prêter des émotions ou des intentions au jeune enfant en train d’interagir permet
souvent au parent de se saisir de ces propositions pour adapter sa réponse et parfois
la dimension émotionnelle de celle-ci. Lorsque ce n’est pas le cas, il peut être
intéressant de proposer un entretien avec le parent a posteriori de la situation
d’observation active pour soutenir sa fonction réflexive.

La pratique de la rétro-action-vidéo est un support intéressant pour des parents qui 38


ont besoin de temps pour réajuster leurs propositions interactives et les émotions
associées. Il s’agit de filmer la pratique de jeu ou d’activités entre parent et enfant
puis d’en regarder des extraits, a minima avec les parents, voire les enfants, pour
décoder les modalités interactives de chacun et tenter de faire émerger des
ajustements. Ces interactions filmées constituent donc un support d’observation et
de réflexion précieux pour la famille et le psychologue lorsqu’elles s’effectuent dans
les conditions nécessaires de bienveillance et de relation de confiance. Des études
indiquent sur ce point plusieurs intérêts (Tochon, 1996), notamment un rôle de
révélateur facilitant la prise de conscience de la personne et une meilleure qualité
d’observation et d’analyse. On remarque aussi une pertinence particulière pour des
familles avec peu de compétences d’introspection en facilitant le rappel des pensées
et des émotions associées aux actions effectuées durant leurs interactions par la
visualisation de celles-ci. Enfin, ce support peut potentiellement favoriser l’estime de
soi des parents en observant les caractéristiques positives de leur comportement et
modifier la perception qu’ils ont de leur enfant par cette même observation. Cela
nécessite que le psychologue attire l’attention des parents autant sur les
dysfonctionnements interactifs que sur les moments d’accordage lors de sa sélection
et du visionnage des séquences.

Pour les plus jeunes, il peut s’agir aussi de participer activement à l’interaction 39
parent-bébé pour favoriser les réajustements des maladresses interactives au cours
des protoconversations notamment. Cela permet au bébé d’expérimenter ces
ajustements de la part de l’adulte et d’attirer l’attention du parent sur ces derniers
tout en échangeant avec eux sur la variété possible de modalités interactives. Pour
rappel, la qualité des interactions précoces est un prédicteur de la sécurité
d’attachement, c’est pourquoi ces dernières sont un support de travail essentiel. En
effet, selon la théorie de l’attachement, les expériences interactives quotidiennes du
bébé s’inscrivent dans sa mémoire et forment ce que l’on appelle des modèles
internes opérants (MIO, Miljkovitch, 2001). Il s’agit de modèles mentaux qui guident
l’enfant dans sa manière de percevoir les relations interpersonnelles mais aussi de se
conduire. Ils l’aident à comprendre et à interpréter le comportement de son
entourage et à explorer le monde. Bien que ces modèles soient dynamiques et
puissent évoluer tout au long de la vie de l’enfant, ces expériences interactives
précoces, dont celles vécues avec le psychologue, ont un effet majeur dans le
développement de l’enfant, car « une fois son MIO en place, l’enfant a tendance à
percevoir les événements qu’il vit à travers ceux qu’il a déjà connus. Ce qui peut le
conduire à traiter l’information de façon biaisée (…) et mal le guider dans ses
nouvelles relations » (Miljkovitch 2010).
Enfin, la pratique de l’activité conjointe est un support d’entretien parent-enfant 40
particulièrement indiqué dans le même objectif. En effet, l’activité conjointe est un
processus inhérent au jeu créé à deux. Elle inclut une dimension émotionnelle par le
partage vécu durant le jeu. Il s’agit d’une activité essentielle au développement du
langage et de la théorie de l’esprit chez l’enfant, d’où l’intérêt de permettre au parent
de la pratiquer régulièrement avec son enfant.

Illustration clinique : il s’agit d’une mère isolée qui a une grande fille de 7 ans et
un bébé de 8 mois (Naelle) qui bénéficient d’une mesure d’aide éducative à
domicile. Cette mère avait été accueillie dans un foyer mère-enfant durant les
premières années de vie de son aînée et a bénéficié de différentes mesures
d’aide (notamment pour des actes usuels du quotidien). Pour autant, dès la
naissance de sa seconde fille, des inquiétudes ont émergé (une chute du bébé,
manque de soins médicaux, inadéquation des rythmes de sommeil et
d’alimentation). Une nouvelle mesure d’aide a été sollicitée avec comme double
objectif le soutien parental de cette maman mais aussi l’évaluation de sa
capacité à intégrer les conseils prodigués afin de tendre à une autonomie
familiale. Le cas échéant, la perspective d’un placement serait envisagée pour
permettre un relais éducatif et affectif durable auprès des deux enfants.
Madame avait des difficultés d’expression orale importantes, notamment en
lien avec une mauvaise maîtrise de la langue française. Elle avait donc
développé une stratégie compensatoire consistant à acquiescer quasi
systématiquement aux propos des professionnels. Cela entravait l’expression
personnelle de ses besoins et rendait donc incontournable une évaluation
précise de ses besoins de soutien et de ceux de ses enfants. Nous avons donc
décidé d’organiser un temps de synthèse avec les professionnels intervenant
déjà en amont afin de recueillir leurs observations et j’ai proposé un premier
entretien à domicile visant à observer de façon plus précise les modalités
interactives mère-bébé.
Lors de cet entretien, j’ai pu observer que Madame n’utilisait qu’un seul type
d’interaction : le contact tactile et les stimulations psychomotrices. Elle
n’utilisait aucun objet pour interagir avec sa fille (malgré la présence de jouets
dans le parc à côté). Plus inquiétant, de nombreuses dysrégulations interactives
ont eu lieu : Madame n’identifiait pas les expressions comportementales de
fatigue de Naelle ou encore ses tentatives de mettre fin à l’interaction trop
stimulante (détournement du regard, cri plaintif). Cette observation était à
mettre en lien avec celles rapportées lors de la réunion de synthèse : une grande
fatigue observée chez ce bébé qui pouvait faire des siestes de plus de 4 heures à
la crèche tandis que les professionnels intervenant à domicile ne la voyaient
jamais dormir, hormis sur le dos de sa mère de façon très ponctuelle, alors
qu’ils faisaient le même constat de grande fatigue. J’ai donc proposé à Madame
différents entretiens à domicile pour travailler sur ces dysrégulations
interactives et soutenir la sensibilité maternelle.
J’ai fait le choix de débuter ces entretiens par des supports de jeu ludiques pour
faciliter la relation et la mise en confiance de Madame et de Naelle. J’utilisais
différents jouets à disposition dans le parc pour proposer d’autres pratiques
interactives à Madame afin de lui permettre de jouer autrement avec sa fille.
Madame a réussi à utiliser un jouet dont elle détournait la fonction en le
mettant sur sa tête ainsi que sur celle de Naelle pour faire comme un chapeau.
Cette activité est devenue une activité conjointe avec un partage émotionnel
adapté et a été réutilisée spontanément la fois suivante par Madame. Ensuite,
nous avons procédé à un nouveau temps de jeu mais cette fois en installant
Naelle dans le parc car Madame avait entre-temps exprimé qu’elle ne pouvait
pas y laisser sa fille sans qu’elle ne pleure. Bien qu’elle semblât avoir compris
son utilité sécuritaire (lorsqu’elle était occupée à cuisiner par exemple), elle
n’osait donc pas l’utiliser de peur que Naelle ne pleure. Ainsi Naelle et Madame
ont expérimenté un temps de jeu dans cette configuration, ce qui a permis à
Naelle de ne plus demander, à peine posée, d’en sortir par des pleurs. En outre,
sur un principe de guidance parentale, nous avons échangé avec Madame au
sujet de la fonction des pleurs dans le système de communication du bébé afin
de lui permettre de se rassurer face à cette expression de Naelle.
Il s’agissait de soutenir les capacités d’ajustement de Madame et sa sensibilité
maternelle afin d’aider à la construction d’un lien d’attachement sécure par des
réponses adaptées de cette dernière aux signaux de Naelle. Étant donné la
difficulté de communication orale de Madame, le soutien de sa fonction
réflexive semblait moins pertinent. Lors d’une protoconversation entre
Madame et Naelle, j’ai souligné auprès d’elle les comportements non verbaux de
Naelle par des formulations telles que : « Tiens ça y est tu commences à
fatiguer. C’était bien le jeu avec maman mais là tu nous montres que tu es
fatiguée c’est ça ? » Ou encore : « On dirait que tu veux changer de jeu ? Ou
peut-être veux-tu découvrir le jouet un peu toute seule ? » Très attentive à mes
propos, Madame a alors proposé à sa fille un temps d’arrêt dans le jeu et même
un temps de massage du cuir chevelu. La même initiative à prêter des ressentis
à Naelle (qui manifestait sa détente à ce moment-là) a permis à Madame
d’identifier l’intérêt de ce geste comme une aide à l’endormissement. En
valorisant le fait que sa fille semblait apprécier et peu à peu s’apaiser, Madame
a intégré cette pratique dans son quotidien et notamment comme rituel
d’endormissement.
Au fil des entretiens à domicile, nous avons observé une évolution de la qualité
des interactions mère-fille et une appropriation des modélisations interactives
par Madame au quotidien. Ces observations ont été confortées par les
différents professionnels prenant en charge Naelle, notamment à la crèche où
ils ont noté une disparition des difficultés d’endormissement, une meilleure
capacité de jeu et d’exploration par elle-même ainsi qu’une diminution du
besoin de Naelle d’être constamment dans les bras d’un adulte.
Le fait d’effectuer ces entretiens interactifs au domicile familial favorise la répétition 41
en autonomie par le parent et l’enfant dans ce même lieu. C’est pourquoi, si ces
accompagnements peuvent se faire potentiellement au sein d’un bureau avec
différents supports relationnels, il peut être plus opportun de les proposer au
domicile familial afin de faciliter leur apprentissage et leur généralisation à
l’environnement principal de vie de l’enfant.

3.1 Les entretiens avec l’éducateur référent


Dans cette même perspective, il peut être pertinent de réfléchir à l’animation de 42
certains de ces entretiens par l’éducateur référent de la famille. En effet, ce dernier,
par sa présence très régulière auprès de la famille dans le cadre de mesures
renforcées (au moins une fois par semaine) peut être une ressource intéressante
pour soutenir la multiplication de ces expériences interactives quotidiennes entre
parent(s) et enfant et ainsi aider l’adoption de routines favorisant un attachement
sécure.

En effet, l’éducateur représente une sorte de fil rouge dans l’accompagnement, 43


tissant des liens entre tous les adultes (famille et professionnels) gravitant autour de
l’enfant. Il est détenteur des observations du quotidien confiées par les parents mais
aussi de celles de tous les milieux de vie dès lors que son intervention est guidée par
cette approche globale de l’enfant. Il est alors le mieux placé pour faciliter les liens
entre les observations d’entretiens psychologiques et celles des divers
environnements où évolue l’enfant, dans l’intérêt de celui-ci.

Sa présence en entretien, ou encore l’animation de l’entretien en binôme psycho- 44


éducatif, doivent bien entendu faire l’objet d’une réflexion et d’une définition des
rôles ainsi que du cadre de rendez-vous entre professionnels pour ensuite être
proposées à la famille de façon claire et en précisant l’objectif sous-jacent de
généralisation des apprentissages. Cette pratique nécessite donc des connaissances
théorico-cliniques solides afin de distinguer le rôle du psychologue de celui de
l’éducateur, au risque d’induire de la confusion chez la famille. Elle nécessite aussi la
définition de règles de co-animation et de confidentialité entraînant une réflexion
en amont et en aval de l’entretien. Il s’agit en effet d’en définir les objectifs, les
écueils et de réfléchir à de potentiels réajustements a posteriori pour l’entretien
suivant.

Dans le cas d’une enfant de 6 ans dont les parents présentaient des signes de
déficience intellectuelle, l’alternance d’entretiens psychologique individuels
réguliers auprès de cette enfant et d’entretiens ponctuels en présence de
l’éducateur auprès des parents à domicile a permis une guidance parentale
intégrant des conseils éducatifs et le soutien contextualisé et régulier de leur
sensibilité parentale. En effet, ces parents étaient en demande de conseils
éducatifs mais leur application n’était jamais continue, arrêtée par un
comportement d’opposition de leur fille ou par un état de fatigabilité
professionnelle de Madame, ou encore du fait d’un autre conseil émanent d’un
proche. Or, après évaluation, cette enfant présentait de nombreux signes
d’insécurité affective en lien notamment avec une compréhension parentale
des signaux de détresse qu’elle pouvait émettre (par exemple, l’opposition au
coucher le soir) et l’imprévisibilité des réponses parentales (un comportement
accepté un jour était puni le lendemain). Il était donc nécessaire de tenter
rapidement de soutenir un réajustement parental plus sécure. À défaut, une
séparation pourrait être envisagée pour permettre à cette petite fille de
bénéficier des réponses adaptées à ses besoins affectifs.
L’alternance de cadres de rendez-vous a permis de soutenir la capacité des
parents de comprendre les comportements de leur fille et d’ajuster leurs
réponses de façon durable, appuyés par le soutien régulier de l’éducatrice
durant les visites à domicile qu’elle menait en présence de l’enfant. À noter que
ce dispositif n’était possible qu’après l’établissement d’une relation de
confiance avec l’enfant en entretien individuel.

Cette pratique de l’entretien psycho-éducatif peut aussi s’utiliser ponctuellement 45


comme un moyen de faciliter l’établissement d’une relation de confiance en amont
d’une proposition d’entretien psychologique individuel. En effet, il est alors possible
de s’appuyer sur les éléments qu’un parent ou un adolescent a déjà confiés à
l’éducateur pour faire émerger une appropriation personnelle d’entretiens
psychologiques complémentaires. Dans le cas des enfants, la présence de l’éducateur
référent peut être indiquée durant un premier entretien comme personne
rassurante, parfois au même titre qu’un parent, face à l’étranger que représente le
psychologue.

Des approches théoriques complémentaires en psychologie du développement 46


soutiennent la pertinence de cette pratique comme de celle de l’entretien à domicile.
On peut notamment citer l’approche écologique de Bronfenbrenner (1979) qui
défend que l’environnement, au sens large, influence le développement de l’enfant.
Le sujet construit son environnement qui, par voie de retour, influe sur la
construction du sujet lui-même. Pour comprendre ces influences réciproques entre
le sujet et son environnement au sens large, Bronfenbrenner propose d’appréhender
ce dernier comme un ensemble de six systèmes emboîtés : l’ontosystème, le
microsystème, le mésosystème, l’exosystème, le macrosystème et le chronosystème.
Chacun contient des rôles, des normes et des règles qui peuvent influencer le
développement du sujet. Le microsystème, prioritaire pour l’intervention à domicile,
concerne le milieu immédiat et donc notamment les membres de famille, les
représentations familiales, les relations interpersonnelles mais aussi les
caractéristiques du milieu familial, du lieu de vie. Selon cette approche, toute
modification du microsystème a donc forcément des effets sur la personne et vice-
versa, en l’occurrence les modifications favorisées par les entretiens au domicile
familial influencent l’enfant ou l’adolescent ainsi que les membres de la famille.

Pour conclure, retenons que la pratique de l’entretien à domicile est un outil clinique 47
riche. Cette richesse de l’outil est indéniable si et seulement si la pratique de
l’entretien clinique à domicile est utilisée de manière réfléchie. Cette pratique doit
s’effectuer dans le cadre d’une réflexion déontologique systématique, à la fois en
amont mais aussi en aval de son application. Lorsque de telles précautions sont
respectées, la pratique de l’entretien clinique à domicile permet alors de mettre au
profit des différents acteurs des connaissances relatives au développement de
l’enfant dans une approche globale caractérisée par le soutien respectueux de
l’enfant et de sa famille.

Points clés

– L’intervention à domicile est un moyen d’action psychologique.


– L’intervention à domicile est une pratique professionnelle qui impose une
réflexion déontologique respectueuse de l’intimité des familles tout en
garantissant une certaine autonomie professionnelle pour la psychologue.
– L’intervention à domicile est une déclinaison du projet global
d’accompagnement de l’enfant.
– L’observation est une condition préalable à l’intervention.

Plan
1. Entretien psychologique à domicile et déontologie
1.1 Le consentement éclairé et la construction d’une relation de confiance
1.2 Construire un cadre d’entretien hors du bureau

2. Pratique de l’évaluation à domicile : entre cadre légal de la prévention/protection


de l’enfance et clinique du psychologue du développement

2.1 Ce qui est prévu par la loi (14 mars 2016)


2.2 La mise en pratique par le psychologue du développement
2.3 Du point de vue des parents
2.4 Du point de vue de l’enfant
2.5 Concernant l’anamnèse

3. Les outils cliniques du travail à domicile

3.1 Les entretiens avec l’éducateur référent

Bibliographie

Références bibliographiques

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La loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant et ses applications,


https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?
cidTexte=JORFTEXT000032205234&categorieLien=id

Auteur
Lucie Girard

Psychologue à l’Institut Départemental de l’Enfant, de la Famille et du Handicap pour


l’Insertion (Canteleu).

Mis en ligne sur Cairn.info le 11/01/2021 Imprimer


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https://doi.org/10.3917/dunod.brun.2019.03.0099

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