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du bassin-versant
Cédric Gaucherel
Dans L’Espace géographique 2003/3 (tome 32), pages 265 à 281
Éditions Belin
ISSN 0046-2497
ISBN 2701134471
DOI 10.3917/eg.323.0265
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EG
Indicateurs d’environnement
2003-3
p. 265-281
Per tinence
de la notion d’indicateur
pour la caractérisation
du bassin-versant
Cédric Gaucherel
Laboratoire régional de télédétection (LRT), Centre IRD,
Route de Montabo, BP 165, 97323 Cayenne Cedex
Introduction
RÉSUMÉ.— La notion d’indicateur permet ABSTRACT.— Use of indicators for
souvent de contourner la mesure difficile characterising catchment areas.— The
La communauté scientifique tente
d’un paramètre physique et se révèle riche concept of indicator can often be a way
pour la caractérisation spatiale du bassin- around the difficulty of measuring a
depuis longtemps de décrire pré-
versant. Une revue des indicateurs utilisés à physical parameter and is extremely useful cisément les bassins-versants de la
ce jour nous a suggéré un classement for the spatial characterisation of catchment planète (Horton, 1945, Lueder,
arbitraire fondé sur les quatre dimensions areas. A review of the indicators used to
1959). Dès les années 1970,
spatio-temporelles de cet objet date has led to an arbitrary classification
géographique. Les indicateurs profitent based on the four spatio-temporal l’Unesco rédigeait un guide inter-
notamment aux modélisations du bassin- dimensions of this geographical object. national des pratiques en matière
versant, aux estimations de ses risques Indicators are particularly useful for de recherche sur les questions de
d’inondations et de la qualité de ses eaux modelling a catchment area, assessing the
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La notion d’indicateur
Beaucoup de disciplines scientifiques intègrent des paramètres physiques au sein de
modèles reproduisant plus ou moins précisément un phénomène naturel. Depuis plus
d’une décennie, une nouvelle approche, plus conceptuelle, voit le jour : elle exploite le
potentiel des « indicateurs », notamment pour décrire le bassin (Pieri, 1995). Les indi-
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Les données
Nous avons choisi d’illustrer ces propos par une étude du réseau hydrographique de la
Guyane française. Nous avons eu l’occasion de contribuer à un vaste projet porté par la
Direction régionale de l’Environnement (DIREN) de Guyane sur la qualité des cours
d’eau du département français (Gaucherel, 2001). Dans le but d’une comparaison
régionale et de la construction ultérieure d’un indice biologique de qualité de l’eau,
nous avons ainsi développé et exploité des indicateurs longitudinaux et surfaciques de
dix bassins du plateau des Guyanes. Une réflexion préliminaire sur les dimensions des
indicateurs adaptés à la Guyane permet en effet de réduire le champ de l’étude.
Le relief de la Guyane est peu accentué et son terrain d’une grande uniformité.
Le sol de ses bassins-versants est généralement composé de latérite sur une cuirasse
ferralitique, tandis que la végétation est constituée de forêt primaire ou secondaire
(Rudant, 1996). Ces considérations réduisent donc l’intérêt des indicateurs verticaux
et latéraux. D’une façon générale, nous nous sommes concentré sur les indicateurs
issus du réseau hydrographique, principale donnée (précise et homogène) à notre dis-
position.
Ces indicateurs verticaux et latéraux auraient, de plus, nécessité de nombreuses
données (telles que des images satellitales haute résolution) et ont peu de chance
d’évoluer rapidement dans le temps. Enfin, les seuls modèles numériques de terrain
(MNT) existant sur la Guyane à ce jour sont celui du BRGM à très larges mailles
(~ 50km) et d’autres au contraire très précis (~ 50m) mais très localisés, souvent réalisés
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Indicateurs linéaires
Certains descripteurs spatiaux sont autant incontournables que simples à concevoir,
comme les indicateurs longitudinaux de longueur, sinuosité et courbure des bras de
cours d’eau (Riazanoff, 1994). Un bras de rivière est sa partie coincée entre une
source et une confluence ou entre deux confluences. Deux méthodes distinctes pou-
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voisins de part et d’autre. Ce paramètre est modulable et a été optimisé pour notre
comparaison.
Notons que l’arête et la diagonale d’un pixel n’ayant pas la même longueur, la
définition de la longueur d’un cours d’eau n’est possible que parce que l’on moyenne
dans toutes les directions du plan les erreurs causées par la forme carrée du pixel. Ces
valeurs des indicateurs en chaque point du plan peuvent ensuite être interpolées et
former une surface visualisable en 3D, ou en 2D à l’aide d’une échelle de couleurs ou
de niveaux de gris (fig. 2). Nous faisons implicitement ici l’hypothèse qu’une telle
VAR (2)
VAR (2)
nent les indicateurs dont sont
issues les cartes. Cette constata-
tion rappelle d’ailleurs que les
informations véhiculées par les
indicateurs sont exploitables de
deux façons que nous avons Longueur des cours d'eau Longueur des cours d'eau
combinées pour notre étude VAR (1) VAR (1)
comparative des bassins de
Fig. 3/ Distribution des longueurs des bras de cours d’eau
Guyane : (en centaines de mètres) des bassins Saut Bief (à gauche), vu sur la figure 2,
• soit globalement en examinant et la partie guyanaise de Langata Biki (à droite), bassin plus étendu
la distribution de leurs valeurs (environ 65 000 km2)
sur l’ensemble des bassins
(cette étape ne nécessite pas d’interpolation spatiale) (fig. 3). Pour cette étape seront
systématiquement calculés les deux premiers moments statistiques de chaque indica-
teur : la moyenne, symbolisée par le suffixe [1] et l’écart-type [2], puis le coefficient de
variation [cv], rapport du second sur le premier. Une étude additionnelle (non pré-
sentée) a montré que les moments d’ordre 3 et 4, l’asymétrie et l’aplatissement, n’ont
pas apporté d’informations nouvelles, ni modifié la classification finale ;
• soit localement en interprétant les fluctuations observées en un endroit comme
l’influence combinée de facteurs physiques déjà mentionnés. À l’échelle de la Guyane,
une telle carte peut renseigner efficacement sur les tendances et gradients locaux
(fig. 4). Cette démarche demande une étroite collaboration avec les thématiciens,
nous y reviendrons.
La comparaison entre bassins-versants des indicateurs linéaires a été réalisée à
l’échelle optimale d’observation (pixels de 1 ha), mais la courbure renseignera diffé-
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Tabl. 1/ Liste non exhaustive des indicateurs spatiaux qui peuvent décrire un bassin-versant
Longitudinaux Latéraux Surfaciques Verticaux, volumiques
Longueur, courbure ou sinuosité Largeur du cours d’eau Densité des points du réseau Coupe du talweg ou du sommet
des bras de cours d’eau Distribution d’îlots traversés (ou des confluences) de la végétation (lit, rives et
Directions et parallélisme (pour les cours tressés) Surface du bassin en amont vallée)
des mêmes segments Variations de la constitution de chaque point du réseau Concavité de la surface
Angles de confluence, taux du sol Lignes isochrones (temps à différentes échelles
de bifurcation Distances au cours d’eau ou de réponse) Volume en amont de chaque
Valeurs ou rapport des valeurs pourcentage de : Pentes ou expositions en point du réseau (par
hiérarchiques (selon • végétation riveraine, 2 dimensions (pas différentes méthodes)
différentes méthodes) zones inondables ou seulement le long du drain) Volume emprisonné par une
Nombre ou fréquence inondées Superficies des inondations partie du bassin (isochrone
d’apparition d’une • cultures ou d’autres ou occupation du sol par exemple) et une surface
particularité (confluence, surfaces anthropisées État hydrique des sols, de référence (plane ou
sauts le long du lit, etc.) Plus généralement : différentes rugosités comme le géoïde à grandes
Proportion d’un type de substrat degré d’asymétrie de ces de surface longueurs d’onde)
du lit (sable, gravier, roche, indicateurs, entre les berges
etc.) gauche et droite
Les indicateurs sont arbitrairement regroupés par dimensions spatiales. Comme mentionné dans le texte, il ne faut pas omettre d’ajouter
toutes les combinaisons, synthèses de « second ordre » (tels que isotropie, fractalité, hétérogénéité, etc.) de la plupart de ces indicateurs et
leur évolution temporelle. Cette classification permet de suggérer de nouveaux indicateurs spatiaux potentiels (indiqués en gras).
des surfaces (Deroin, 1997) ou d’une façon générale, lorsqu’ils traduisent l’occupation
du sol (Burrough, 1998). Comme le montre notre exemple, la télédétection aéroportée
ou satellitale propose donc un des outils les plus attrayants, synthétique et économique
avant tout autre qualité, pour la description des bassins-versants.
D’autres indicateurs (verticaux et volumiques) intégrant la troisième dimension
peuvent se révéler précieux pour des bassins au relief accentué : c’est le cas des alti-
tudes et des pentes, des différents volumes et cubatures, etc. (tabl. 1). Ils peuvent
caractériser globalement le bassin ou être calculés localement en chacun de ses points,
en prenant en compte ce qui le surplombe (comme le volume en amont de chaque
point du réseau hydrographique ou la pente, en chaque point et pas seulement le long
du drain, Charleux, 2001). L’altitude, et en particulier celle des zones inondées pour
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Fusion d’indicateurs
C’est la caractérisation et la comparaison régionale des bassins-versants de Guyane,
dans une étude pluridisciplinaire plus large, qui a motivé nos travaux sur les indica-
teurs spatiaux. Ainsi, nous avons d’abord choisi de ne pas interpréter localement les
cartes obtenues, de garder les quatre indicateurs précédemment cités et d’exploiter
leurs distributions statistiques globales (les deux premiers moments de la distribution
de leurs valeurs sur le bassin et le coefficient de variation). L’analyse peut également
être faite sur les L-moments de la distribution pour donner les mêmes résultats quali-
tatifs (Pilon, 1991). Nous avons réduit le nombre de descripteurs à l’aide de la tech-
nique d’analyse en composantes principales (ACP), qui peut être vue comme une
projection du nuage de points de l’hyperespace formé par les variables initiales sur des
axes appropriés à la concentration des informations (pour un exemple Carr, 1999).
Le premier axe (ou la première composante) est celui qui contient le plus d’informa-
tions (de variance), quantité qui décroît ensuite plus ou moins rapidement avec les
autres composantes. Une décroissance rapide réduit avantageusement le nombre de
paramètres à conserver.
Pour les quatre indicateurs retenus, l’écart-type n’a jamais apporté d’information
additionnelle, contrairement au coefficient de variation. Nous ne l’avons donc pas
retenu. La moyenne et le coefficient
de variation des longueurs (L1 et Lcv)
contribuent de façon complémentaire Tabl. 2/ Liste des 7 indicateurs finaux retenus pour la caractérisation
aux deux principales composantes des des 11 bassins-versants de la Guyane française
bassins de Guyane. Ces dernières Stations Débit L1 Lcv S1 D1 Dcv C1 Indice
recèlent à elles seules 99 % de l’infor- Langa-Tabiki 1 798 7,828 1,550 1,585 4,037 0,294 4,250 0,21
mation, c’est-à-dire de la variance Saut Maripa 917 8,789 1,268 1,662 3,560 0,326 4,271 0,17
Maripasoula 820 5,111 1,498 2,817 4,005 0,287 3,581 -0,36
totale de cet indicateur. La seule
Camopi 462 9,582 1,032 1,650 3,457 0,300 4,286 -0,07
moyenne de la sinuosité (S1) suffit à
Antécum-Pata 391 7,656 0,956 1,549 4,012 0,268 4,221 -0,30
expliquer la première composante de Saut Athanase 391 7,679 1,033 1,715 30878 0,365 4,267 0,30
l’ACP qui recèle 97,1 % de la Saut Sabbat 321 6,790 1,122 1,509 4,248 0,301 4,245 0,00
variance totale de cet indicateur. Un Pierrette 237 8,411 0,905 1,584 3,945 0,332 4,302 0,11
même raisonnement per met de Dégrad Roche 176 8,226 0,863 1,484 3,663 0,291 4,253 -0,30
Saut Bief 109 18,089 0,762 1,702 2,547 0,340 4,408 0,23
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composantes) et la moyenne de la
courbure (99,6 % pour la première composante). Des pourcentages aussi élevés
s’expliquent par le faible nombre d’indicateurs surtout (3) et de bassins-versants
(10) utilisés dans les ACP : ils permettent de les réduire efficacement. Une der-
nière ACP sur les sept variables restantes, si l’on inclut les débits moyens des
bassins, montre leur relative indépendance, à une redondance près (les moyennes
des sinuosités et densités sont anti-corrélées avec la moyenne des longueurs).
Nous n’avons pourtant pas réduit le (faible) nombre d’indicateurs caractérisant
les dix bassins de Guyane, qui ont été calculés indépendamment et contiennent
a priori des informations distinctes sur les cours d’eau guyanais (tabl. 2).
Ces résultats peuvent contribuer à la construction d’un indice physique de caracté-
risation spatiale des cours d’eau de Guyane qui permet une première classification des
bassins-versants. Nous avons adopté pour son calcul l’approche du Programme des
Conclusion
La démarche de caractérisation du bassin-versant profite à plusieurs applications, de
la modélisation hydrologique à la comparaison, en passant par des études plus spéci-
fiques de prévisions d’inondations ou de surveillance de la qualité des eaux. Nous
avons illustré notre propos par une des applications potentielles : une comparaison des
particularités spatiales des principaux bassins-versants de la Guyane française. Des
analyses en composantes principales puis par ensembles ont permis de retenir les indi-
cateurs les plus pertinents et de regrouper les bassins aux comportements spatiaux
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