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Processus électoral

et démocratisation au Niger

I L est communément admis en


science politique que les élec-
tions sont une condition nécessaire
un système multipartisan qu’une
nouvelle constitution devrait consa-
crer. Alors que les débats se focali-
mais non suffisante de la démocra- saient sur le programme des partis,
tie. Dans les pays africains, elles ont les dénonciations réciproques, l’ori-
surtout été analysées comme m e gine ethnique des candidats, le pro-
formalité cynique D,un rituel des-
(( cessus démocratique a failli, à cha-
tiné à légitimer le pouvoir des auto- que consultation, être r,emis en
crates nés des partis uniques ou des cause par l’impréparation et l’inex-
régimes militaires. Du coup, les périence des structures étatiques P
élections n’ont jamais pu constituer gérer des élections ouvertes dans le
un enjeu important du fait de la respect strict des règles élémentai-
quasi-absence de compétition. L’avé- res de la démocratie.
nement du multipartisme a permis L’objet de cet article est de met-
de se rendre compte de la faiblesse tre en évidence ces faiblesses à tra-
des technologies électorales générées vers le processus électoral tel qu’il
par les régimes monopartisans. Ce s’est déroulé au Niger. Loin d’être
déficit technologique peut être illus- simpliste, cet objet est déterminant
tré par les difficultés multiples ren- si l’on en croit les contestations que
contrées dans la conduite du proces- subissent les nouveaux élus de la
sus démocratique. dernière génération issue de la
Au Niger, comme dans beau- vague de démocratisation qui déferle
coup de pays africains, la Confé- depuis quelques années sur le con-
rence nationale souveraine tenue à tinent. Le processus électoral au
partir du 29 juillet 1991 a permis Niger a couvert plusieurs consulta-
d’instituer un pouvoir de transition tions : un référendum en décembre
dont le but principal était de con- 1992, des élections législatives en
duire le processus démocratique à février 1993 et des élections prési-
son terme par l’organisation d’éllec- dentielles en février et mars 1993.
tions concurrentielles libres dans
(( )) Il serait impossible ici de l’étudier

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exhaustivement. On se contentera tis qui voulaient s’en assurer le con-
plus modestement, pour illustrer trôle à travers la désignation de
notre propos, de relever quelques leurs membres, afin d’en influencer
séquences, parmi les plus significa- les travaux. Une fois ces institutions
tives, mais toutes aussi déterminan- mises en place, au nombre des
tes les unes que les autres pour tâches qu’elles doivent exécuter,
montrer la vulnérabilité à laquelle figurent la popularisation du projet
le processus électoral a été conti- constitutionnel, le découpage électo-
nuellement soumis. ral, puis l’identification des élec-
A la première étape de ce pro- teurs. Cette dernière opération peut
cessus se trouve le choix du mode être décomposée en deux épisodes :
de scrutin. On sait que ce choix l’établissement des listes électorales
n’est jamais dépourvu d‘arrière- et la distribution des cartes d‘élec-
pensées politiques et le Niger n’a teur.
pas échappé à cette règle. A ce La campagne pour la populari-
niveau, les débats ont opposé les sation de la constitution en vue du
partisans de la représentation pro- référendum a occupé une place de
portionnelle qui voyaient par là un choix dans le déroulement du pro-
moyen d’assurer à leurs formations cessus. Ailleurs, il a suffi parfois
politiques une représentation mini- que les médias s’en chargent. Ici,
male à l’Assemblée nationale, et les en raison de certaines données
partisans du scrutin majoritaire qui sociologiques relatives à la culture
tablaient sur leur assise politique politique (non accès à la langue
locale pour conquérir le pouvoir française, caractère exogène du Ian-
$Etat. gage politique, rapport à la culture
En second lieu arrive la mise en démocratique), il a fallu que les
place des organes de gestion du hommes politiques descendent dans
processus électoral. Ici, les princi- l’arène pour expliquer le contenu de
pales institutions du régime de tran- la constitution et ses implications.
sition, à savoir le HCR (Haut con- Le point d’achoppement ne s’est
seil de la République) et le gouver- pas situé au niveau du débat sur les
nement, s’étaient respectivement institutions, leur équilibre, etc. Les
dotés d‘organes propres. Le HCR débats les plus houleux ont surtout
installa la COSUPE (Commission ét$ provoqués par la nature de
de Supervision et de contrôle des l’Etat, telle que la nouvelle consti-
élections) dont la mission fondamen- tution la proposait. Les associations
tale fùt le contrôle des élections. De islamigues se sont mobilisées con-
son côté, le gouvernement s’est vu tre 1’Etat laïc proposé par le pro-
confier la tâche d’assurer l’organi- jet, en menant une campagne qui a
sation matérielle des opérations élec- failli conduire à son rejet, sans le
torales à travers la CNE (Commis- compromis auquel elles sont parve-
sion nationale des élections). Là, les nues avec le pouvoir de transition,
enjeux se situent au niveau de la à savoir le remplacement du mot
délimitation du champ de leurs laïc par non confessionnel n.
((

compétences ainsi que du choix de Concernant le découpage électo-


leurs membres. Malgré les attribu- ral, il faut reconnaître que les limi-
tions clairement définies de chacune tations du nombre des circonscrip-
de ces institutions, en dépit de leur tions, pour les élections législatives,
indépendance proclamée, elles n’ont aux sept départements administratifs
pas pu échapper aux luttes des par- et à la communauté urbaine de Nia-

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... . .. .. ,

mey a fait rebondir l’inépuisable Après l’élaboration laborieuse


débat sur la représentation des des listes électorales, l’idée vint de
minorités ethniques à l’Assemblée l’informatiser. La tâche fut ardue en
nationale. En effet, le doute a per- raison du délai très limité qui n’a
sisté sur les capacités du scrutin de d’ailleurs pas empêché le report des
liste départemental à permettre à élections, de l’inexpérience de la
des candidats issus de certains grou- structure chargée de l’informatisa-
pes ethniques minoritaires sur le tion et du manque de moyens maté-
plan national d’espérer obtenir des riels qu’il fallait mobiliser au plus
sièges de députés. Dans le traite- vite. Un doute persistant a conti-
ment de ce problème extrêmement nuellement pesé sur cette opération
sensible, le pouvoir de la transition sur laquelle planait les risques de
a réagi par la création de huit cir- fraude, de sabotage, de trucage et
conscriptions spéciales, censées de partialité des principaux respon-
représenter un certain nombre de sables de la direction de l’informa-
groupes ethniques à qui on deman- tique. L’objet ultime de l’opération
dait d‘élire un député chacun au d’informatisation était la confection
scrutin uninominal majoritaire à un des cartes d‘électeur qui devaient
tour. Une telle décision ne fit pas être disponibles dans toutes les vil-
l’unanimité au niveau des forces les, villages et hameaux du Niger
politiques engagées dans les batail- avant les échéances électorales.
les électorales tant pour des ques- Cette distribution a posé d’énormes
tions de divergence idéologique sur difficultés liées à l’acheminement
la construction nationale, que pour des cartes à leurs destinataires. On
des raisons d’opportunité politique sait que beaucoup d‘électeurs n’ont
car ne disposant pas de la même pas pu voter faute de disposer de
assise électorale dans les nouvelles leur carte à temps, ce qui consti-
circonscriptions. tuait en soi un potentiel de contes-
Concernant les listes électorales, tation, donc de mise en doute des
on aurait pu penser qu’il serait suf- résultats des élections.
fisant de s’appuyer sur les résultats L’implantation des bureaux de
du dernier recensement de 1988 vote a généré des difficultés de tous
pour parvenir à une liste acceptée ordres nées de leur insuffisance et
par tous les acteurs en présence. de leur localisation. Du reste, on
Compte tenu des désaccords sur la sait que certains électeurs ayant
fiabilité de ces listes, il a fallu en pourtant leurs cartes n’ont pas pu
confectionner de nouvelles. Ce ne participer au vote, faute de n’avoir
fut guère une tâche facile si l’on pas pu trouver leur bureau ou
considère la mobilité de l’électorat encore dissuadés par la distance qui
(flux migratoire, déplacement tem- les en séparait. I1 faut ajouter à ce
poraire, nomadisme) et l’étendue du problème un autre tout aussi déter-
territoire dont on sait qu’il est minant, à savoir l’organisation
insuffisamment encadré sur le plan interne des bureaux de vote. En
administratX Par ailleurs, on notera effet, la composition de ces bureaux
des éléments de conjoncture liés a été faite dans le souci de repré-
non seulement à l’insufi2ance des sentativité des différentes forces
moyens financiers de 1’Etat mais politiques en présence, afin d’éviter
aussi à l’insécurité provoquée dans ou de réduire les contestations éven-
certaines parties du pays par la tuelles qui remettraient en cause les
rébellion armée touarègue. résultats du scrutin. De nombreux

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- __ - - - ___ - - -.-.

procès verbaux ont été contestés problèmes restent en suspens


dans tel bureau de vote par tel compte tenu des difficultés nées de
parti. I1 s’agit là d’une pratique qui la traduction en langues nationales
est loin d’être exceptionnelle. du langage politique inventé par les
Toujours, au niveau de la pro- partis pour communiquer avec
cédure électorale, on a pu identifier l’électorat.
plusieurs obstacles parmi lesquels Les multiples reports de date
on relèvera les difficultés soulevées des consultations électorales aux-
par le vote par procuration et le quels on a assisté, met en exergue
choix des candidats en lice. Concer- l’importance du calendrier électoral.
nant le vote par procuration, on a A priori, une telle question parais-
observé un décalage entre les dispo- sait banale, mais les hésitations et
sitions du code électoral et les réa- les controverses suscitées n’avaient
lités sociologiques. Alors que le pas manqué de la transformer en
code électoral s’évertue à préciser enjeu de lutte entre les différents
dans les moindres détails les condi- protagonistes. D’abord, on notera
tions dans lesquelles est admis le les débats publics qui ont opposé le
vote par procuration, des difficultés gouvernement et le HCR à propos
évidentes sont apparues dans sa de la détermination de l’organe
mise en œuvre. Pour illustrer ce compétent pour f t n r le calendrier
propos, on peut donner quelques électoral. Par leur indécision, ces
exemples significatifs. Selon le code organes ont créé une ambiance de
électoral, une procuration, pour être suspicion. En effet, les forces poli-
valable, doit être légalisée. Quand tiques se sont mises à douter de la
on connaît la distance qui existe volonté réelle de ces organes à orga-
entre les électeurs et les services niser les échéances électorales et de
administratifs, on ne peut pas être leur intention réelle de respecter les
surpris de la vacuité d‘une telle dis- clauses de l’acte 21 de la Confé-
position dont les effets sont discri- rence nationale qui interdisait à Cer-
minatoires. Le second exemple qui taines personnalités d‘être candida-
a défrayé la chronique a trait au tes aux élections présidentielles.
vote des femmes en relations matri- Certains partis politiques sont allés
moniales de polygamie. Combien de jusqu’à organiser des manifestations
conjoints ne se sont-ils pas présen- publiques pour exiger non seule-
tés le jour du vote avec les cartes ment le respect de l’acte 21 mais
d’électeur de leurs épouses, et le aussi la publication d’un calendrier
plus souvent sans procuration, dans électoral définitif. I1 s’est ensuite
l’intention d‘accomplir le devoir posé le problème de la chronologie
d’électeur en lieu et place de ces des consultations électorales après le
dernières. référendum. Fallait-il organiser les
L’autre obstacle nous entraîne élections présidentielles avant les
de plain-pied dans les questions législatives ou le contraire ? Là
liées à la distance culturelle et à la encore, que de divergences avant
compétence politique. Dans un qu’on arrivât à un consensus sur
environnement où l’analphabétisme l’organisation des législatives avant
domine, il a fallu inventer des les présidentielles.
signes de reconnaissance pour cha- On pourrait penser que l’adop-
que parti afin de permettre à la tion d‘un calendrier électoral large-
majorité des électeurs d’identifier le ment accepté sfiirait à conduire le
parti de son choix. Et là encore, des processus à son terme. Loin s’en

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faut. Une autre étape réside dans la porte les observateurs internatio-
validation des résultats du scrutin. naux invités en grande pompe et
On a pu identifier deux types de présents massivement sur le terrain.
validation : une première institu- Loin d’être une simple mise en
tionnalisée à travers la COSUPEL scène, les opinions qu’ils émettent
et la Cour suprême. La COSUPEL sur les résultats en particulier et sur
proclame les résultats provisoires et le vote en général donnent un
la Cour suprême les entérine ou cachet de légitimation qui résorbe
non en leur donnant une valeur les possibilités de contestation en
juridique. Ici, le problème fut celui augmentant le capital de crédibilité
des délais légaux requis pour vali- des résultats.
der et proclamer le résultat des élec- On pourrait encore identifier
tions. L’exemple le plus édifiant d’autres séquences non moins
concerne l’élection présidentielle. La importantes. Mais l’objectif recher-
constitution prescrit des délais ché ici, au-delà de l’objectivation
stricts de 14 jours entre le premier des enjeux qui parsèment le proces-
et le second tour de ces élections. sus électoral, était aussi d‘attirer
Des confusions existent sur la déter- l’attention des chercheurs en science
mination du moment à partir politique sur des objets inhabituels.
duquel courent les 14 jours. Faut-il On sait que bien des recherches se
compter à partir de la date du pre- sont intéressées à la sociologie élec-
mier tour ou à partir de la date de torale (analyse des résultats électo-
publication des résultats officiels par raux et des modes de scrutin).
la Cour suprême? La réponse à Cependant, peu d’intérêt a été
cette question a donné lieu à de accordé à l’étude des processus élec-
véritables batailles juridico-politiques toraux qui impliquent non seule-
qui ont conduit la Cour suprême, ment une analyse des politiques
pour faire baisser la tension créée, publiques électorales dans leur
à accélérer l’examen des résultats dynamique agissante, mais aussi les
provisoires afin de hâter la procé- enjeux qui les sous-tendent et les
dure. luttes qu’elles génèrent.
Une seconde forme de valida-
tion doit être retenue du fait de son
caractère spécial aux pays du tiers- Ali Illiassou
monde. I1 s’agit de la caution qu’ap- Mahaman Tidjani Alou

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