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2020 à julio cham


QUE SAI S-J E ?

Le contentieux
électoral
FRANCIS DELPÉRÉE
Professeur à l'Université catholique de Louvain
DU M Ê M E A U T E U R

Droit constitutionnel, 2 vol., Bruxelles, Larcier, 1980-1989.


Chroniques de crise, Bruxelles, CRISP, 1983.
Recueil des Constitutions européennes (en collaboration avec M. Verdus-
sen et K. Biver), Bruxelles, Bruylant, 1994.
Les droits politiques des étrangers, coll. « Q u e sais-je?», n° 2993, Paris,
PUF, 1995.
Code constitutionnel (en collaboration avec D. Renders), Bruxelles, Bruy-
lant, 1996.
La Cour d'arbitrage (en collaboration avec A. Rasson-Roland), Bruxelles,
Larcier, 1997.

ISBN 2 13 048833 1

Dépôt légal — 1 édition : 1998, avril


© Presses Universitaires de France, 1998
108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris
INTRODUCTION

Comment résoudre les litiges auxquels l'élection


peut donner lieu ? Faut-il confier aux nouveaux élus le
soin de statuer sur leur propre sort ? Faut-il laisser au
juge le soin de régler ces contestations ? Dans quelles
conditions et selon quelles procédures résoudre ces
litiges ? Le contentieux électoral s'efforce de répondre à
ces questions.
Un tel contentieux traite, en effet, des litiges qui sont
relatifs au processus électoral. Ces différends ne nais-
sent pas en un jour - celui du scrutin. Ils s'inscrivent
dans un processus, c'est-à-dire un ensemble d'opéra-
tions - qui s'enchaînent les unes aux autres - et qui
concourent à la sélection des élus. Ces opérations se
réalisent avant, pendant ou après le scrutin.
Le contentieux électoral se donne un premier objet.
Il entend vérifier la régularité externe de l'élection. Il
faut s'assurer du bon accomplissement des formes, des
procédures et des opérations qui l'accompagnent. Le
contrôle reste ici, pour une part, à la surface de l'opé-
ration électorale. Il n'en est pas moins essentiel. Si les
formes - parfois les plus élémentaires - ne sont pas res-
pectées, qui peut garantir la validité de l'élection ?
Le contentieux électoral s'assigne aussi une
deuxième fonction. Il s'agit de vérifier la régularité
interne, cette fois, de l'élection. Il faut s'assurer de la
validité des résultats et de la qualité des élus. Ce
contrôle va droit au cœur de l'opération politique que
représente l'élection. Il se saisit des bulletins de vote. Il
vérifie la qualité de la volonté qui s'y exprime. Il en tire
des conséquences précises. Le voici qui confirme, recti-
fie et parfois même annule les résultats du scrutin.
Une remarque s'impose, cependant. Les vérifications
de régularité - externe et interne - du processus électoral
ne composent pas l'ensemble du contentieux électoral. Il
y a place aussi pour des contentieux périphériques. En
principe, tout au moins, ils sont sans incidence sur les
résultats de l'élection. Ils ont trait à un ensemble d'évé-
nements qui se produisent à l'occasion du scrutin et qui
appellent censure. Le contentieux des délits électoraux
s'inscrit notamment dans cette perspective.
Dans cette introduction, il faut souligner l'intérêt
juridique et politique du contentieux électoral. Il
convient aussi d'en déterminer les thèmes essentiels. Il
faut encore en préciser le cadre géographique.

1. L'intérêt juridique de la question saute aux yeux.


La pierre de touche de la validité et de l'effectivité du
droit, en l'occurrence du droit électoral, c'est le
contrôle du juge.
Les interventions du juge peuvent relever de ce
que la doctrine juridique appelle parfois la macro-
constitutionnalité.
Le Conseil constitutionnel dégage, par exemple,
dans sa décision du 8 août 1985, la règle selon laquelle
la limitation des circonscriptions électorales doit s'opé-
rer sur des bases essentiellement démographiques. Ce
qui signifie que, sans aboutir à une stricte proportion-
nalité de la représentation, le législateur ne peut s'en
écarter que dans une mesure limitée, et en tenant
compte d'autres impératifs d'intérêt général (J. Gic-
quel, Droit constitutionnel et institutions politiques,
14 éd., p. 656). Sur l'ensemble de la question, Égalité
et droit de suffrage, Annuaire international de justice
constitutionnelle, 1989.
Elles peuvent aussi provoquer des analyses de micro-
constitutionnalité. Il faut alors entrer dans l'étude
systématique et détaillée des difficultés concrètes que
l'organisation de l'élection, son déroulement et la pro-
clamation de ses résultats peuvent susciter. Il faut,
en particulier, s'interroger sur le sort des personnes,
c'est-à-dire des électeurs, des candidats et des élus, au
cours et à l'issue du processus électoral.
Le contentieux électoral n'est, cependant, pas un
contentieux comme les autres. Le temps, l'espace, l'ac-
tion ne se présentent pas ici comme ailleurs.
• Ce contentieux s'inscrit avec précision dans le
temps. Il y a l'avant-élection. Il y a l'élection propre-
ment dite. Il y a l'après-élection. Le temps qui s'écoule
est mesuré. Il est étroitement limité. Il est scandé par
une ensemble d'opérations juridiques et matérielles
que postule l'organisation du scrutin.
Ce contentieux n'est pas intemporel. Il s'inscrit
autour de l'élection. Quelques mois avant, quelques
mois après... Et, en cours de la législature, le mutisme
du juge. En attendant une nouvelle élection... Et peut-
être un nouveau contentieux, lui aussi circonscrit avec
précision dans le temps.
• Ce contentieux s'inscrit dans l ' Ou, plus
exactement, dans une pluralité d'espaces. Il n'y a pas
qu'une élection. Il y en a plusieurs dans des circonscrip-
tions plus ou moins étendues. Communes, arrondisse-
ments, départements, provinces, régions, communau-
tés, État - en fonction des structures de chaque société
politique. Il y aura aussi plusieurs contentieux. Tous ne
présentent, cependant, pas les mêmes traits. Les cadres
géographiques mais aussi les enjeux politiques ne sont
pas identiques. Au sein d'un même État, l'organisation
et la procédure sont loin d'être uniformes.
L'on privilégie ici le contentieux qui peut s'ouvrir à
propos de la désignation des représentants de la
Nation. Mais, dans certains États, le contentieux
concerne aussi l'élection du président de la Répu-
blique. Il peut affecter les opérations de consultation
populaire et de référendum. Il peut toucher l'organisa-
tion des collectivités territoriales, à divers niveaux. Il
peut même s'exprimer aux dimensions d'un continent,
lorsqu'il s'agit de vérifier les pouvoirs des membres du
Parlement européen. A chaque échelon de pouvoir, un
contentieux spécifique est organisé.
• Le contentieux électoral interpelle directement le
juge. Il lui pose la question de la signification de son
action.
En termes de principes, les questions sont claires.
Elles sont directes aussi. De quel droit le juge va-t-il cen-
surer la volonté populaire ? Au nom de quelle légitimité
va-t-il se dresser contre le suffrage des citoyens, source
première de la légitimité, y compris de la sienne ? Pour-
quoi enfreindre aussi ouvertement les principes de la
séparation des pouvoirs et des fonctions ?
En termes techniques, d'autres questions apparais-
sent. Le juge va-t-il se livrer à des analyses de régula-
rité - dans un contentieux qualifié d'objectif? Lui
revient-il plutôt de se prononcer sur des droits politi-
ques - ceux des électeurs, ceux des éligibles, ceux des
élus ? Lui incombe-t-il de rétablir à tout prix la vérité
électorale ? Doit-il plutôt se contenter d'exercer, en
l'espèce, un contrôle marginal et prudent ?
Toutes questions qui ne peuvent manquer de placer le
juge au premier rang des acteurs de la scène électorale.
Mais entre la scène juridique et la scène politique, il n'y a
qu'un pas - certains l'ont d'ailleurs franchi... Bref, le
juge ne va-t-il perdre son âme en se fourvoyant dans le
domaine du contentieux électoral ? L'élection est peut-
être l'acte politique par excellence. Ne gagne-t-il pas à le
rester ? Pourquoi ne pas laisser à des politiques le soin
d'en vérifier la régularité et le bien-fondé ?
Une fois de plus, la place du juge dans la société
politique est de cette manière discutée. Lui revient-il
d'être le régulateur des activités politiques essentielles,
y compris celles qui se traduisent dans l'élection ? Lui
appartient-il plutôt de manifester quelque réserve à
l'égard des pouvoirs établis, en n'acceptant de censurer
que les infractions les plus graves ? Ou peut-être doit-il
déclarer forfait et laisser à d'autres, en l'espèce à ces
mêmes autorités publiques, le soin de recourir à des
formes d'auto-contrôle ?

2. Mirabeau disait du contentieux électoral qu'il


était « l'une des plus grandes questions politiques qui
nous aient été présentées» (cité par J.-P. Charnay).
Cette assertion ne saurait surprendre, même si, en
France comme ailleurs, « le contentieux électoral jouit
d'un médiocre prestige » (Ph. Ardant).
Il faut le reconnaître. Le droit électoral est souvent
ignoré, pour ne pas dire méprisé. Il relèverait de
l'ordre du politique, bien plus que de l'ordre du juri-
dique. A supposer même que le droit puisse se saisir de
quelques lambeaux du processus électoral, ses disposi-
tions sont ramenées aussitôt au rang de ces règles tech-
niques dont seuls quelques spécialistes, férus d'arith-
métique, détiendraient la maîtrise. Que dire alors du
contentieux électoral ? La sophistication et la techni-
cité sont portées au carré... L'intrusion dans le
domaine du politique est tout aussi évidente.
Ne faut-il pas en revenir à une conception plus réa-
liste des procédures électorales et de leurs phases
contentieuses ?
Des hommes et des femmes ont lutté pendant quel-
ques semaines, voire quelques mois. C'est le combat
politique. Ils se sont affrontés, souvent durement, en
paroles, en discours, parfois en actes. Pourquoi baisse-
raient-ils instantanément la garde ?
Certes, les urnes ont parlé, selon l'expression consa-
crée. Si les résultats ne répondent pas, cependant, aux
espérances, pourquoi les acteurs politiques ne cherche-
raient-ils pas à poursuivre jusque dans les enceintes de
justice les résultats que les urnes ne leur ont pas procu-
rés ? Ils chercheront dans le prétoire ce qu'ils n'ont pu
trouver dans l'isoloir.
Avant l'élection, les passions se sont exprimées. Elles
peuvent avoir développé des réflexes contentieux.
Après l'élection, le verdict des urnes, loin d'apaiser les
passions, peut les attiser. Un contentieux électoral se
développe dans la perspective, puis dans le prolonge-
ment d'une bataille électorale.
Il n'est pas dit que le juge puisse, en toutes circons-
tances, ramener la sérénité dans les esprits. S'il annule
les élections, il en suscite de nouvelles. Les adversaires
politiques seront sans doute plus prudents. Ils évite-
ront les maladresses ou les provocations. Mais l'inter-
vention du juge a cet effet curieux de relancer le débat
électoral. Et, qui sait?, cette campagne ouvrira peut-
être la voie à de nouvelles contestations.
Le contentieux électoral est parsemé d'embûches. Ces
difficultés ne doivent pas faire perdre de vue les avan-
tages qui s'attachent à ces vérifications. Les contrôles
permettent de donner à l'assemblée parlementaire des
assises solides. Ils lui confèrent une réelle légitimité.
Le citoyen ne saurait avoir confiance dans un Parle-
ment qui a été élu dans des conditions discutables. Il
ne saurait non plus manifester quelque crédit à un Par-
lement dont les membres voient vérifier leurs titres et
qualités dans des conditions discutables.
L'éminence de la fonction à remplir ne saurait faire
oublier les difficultés qui s'attachent à l'exercice de la
tâche... Les obstacles qui se présentent sur la route de
ceux qui s'adonnent à l'entreprise du contentieux élec-
toral ne doivent pas faire perdre de vue les enjeux
publics de la démarche...

3. De ce point de vue, trois questions méritent de


retenir l'attention.
Le contentieux électoral peut, d'abord, se dévelop-
per en amont de l'élection. Il s'agit du contentieux pré-
électoral (I).
Des questions litigieuses peuvent, en effet, surgir dès
la constitution des listes d'électeurs, dès le dépôt des
candidatures, dès les premiers moments de la cam-
pagne. Elles ne seront pas nécessairement réglées par
des autorités juridictionnelles. Des autorités politiques
et administratives sont le plus souvent associées au
règlement de ces difficultés.
Le contentieux électoral peut rebondir dès après
l'élection. Il s'agit du contentieux postélectoral (II).
Au lendemain de l'élection, en effet, d'autres
contrôles peuvent s'instaurer. Il s'agit alors, pour utili-
ser l'expression consacrée, de « vérifier les pouvoirs »
des élus. Au-delà de ces opérations ponctuelles, il
s'agit, plus fondamentalement, de s'interroger sur la
régularité de l'élection. Ici encore, des choix institu-
tionnels délicats doivent être opérés. L'assemblée elle-
même, le juge ordinaire, le juge constitutionnel doi-
vent-ils, par exemple, intervenir en ce domaine ?
La distinction entre les contentieux préélectoral et
postélectoral est délicate à établir. Il y a des questions
qui se posent avant l'élection mais dont l'examen est
reporté après. Il y a des questions qui mériteraient
d'être posées après l'élection mais dont l'examen va se
dérouler, sans appel, avant même le scrutin.
Qui plus est, d'autres contentieux peuvent surgir
durant la législature, notamment celui de l'inéligibilité
et celui des incompatibilités. La question est simple.
Un mandataire public qui a été régulièrement élu ne
doit-il pas être déchu de sa fonction parce qu'il est
privé, par exemple, suite à une condamnation pénale,
de ses droits politiques ou qu'il exerce une activité qui
ne se concilie pas avec les tâches de représentant de la
Nation ? En règle générale, ces litiges sont de la com-
pétence de l'autorité qui, au lendemain de l'élection,
vérifie les pouvoirs des nouveaux élus.
Pour la commodité de l'exposé, l'on retiendra néan-
moins la distinction cardinale entre le contentieux pré-
et postélectoral.
Troisième question. Le contentieux électoral se
développe selon des règles de procédure (III) qu'il
s'agit de rappeler.
Il y a des délais, des formes, des recours. Il y a des
décisions, des jugements, des arrêts. Les questions de
procédure contentieuse électorale sont trop souvent
méconnues, alors que de leur réponse dépend, pour
une bonne part, la solution qui sera apportée au litige.
Ces questions surgissent le plus souvent au cœur de
la campagne électorale. Elles sont traitées dans l'ur-
gence, sans qu'un examen attentif puisse toujours leur
être réservé. Ne mériteraient-elles pas, cependant, un
examen à tête reposée - notamment pour apprécier les
avantages et les inconvénients des solutions retenues ?
Elles font ici l'objet d'un examen particulier.

4. C'est à l'échelle de l'Europe des Quinze que l'on


traite du contentieux électoral. Cette Europe diversifiée
où huit États sur quinze connaissent le contrôle de
constitutionnalité des lois et où les autres affirment
encore la supériorité de la loi. Cette Europe diversifiée
où l'un des Etats, qui est en même temps le berceau du
parlementarisme, n'a toujours pas de Constitution.
Cette Europe diversifiée qui a, selon la tradition, pro-
cédé aux premières opérations de vérification des pou-
voirs mais qui, depuis lors, a été dépassée par d'autres
sociétés politiques. Cette Europe diversifiée qui pra-
tique, on ne peut l'oublier, diverses règles d'organisa-
tion des assemblées parlementaires - monocamérisme,
bicamérisme parfait, bicamérisme inégalitaire... - et
qui utilise différentes techniques électorales - depuis le
scrutin majoritaire à deux tours jusqu'à la proportion-
nelle pure et simple à la d'Hondt, depuis l'élection
directe jusqu'à l'élection médiate ou au second degré...
Avec cette question incidente. Y a-t-il, en matière de
contentieux électoral, des traditions constitutionnelles
communes ? La méthode de la vérification des pouvoirs

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par les assemblées parlementaires est née en Angleterre.
A-t-elle fait école sur le continent ? La méthode française
du contrôle par les autorités de justice constitutionnelle
a-t-elle essaimé dans d'autres Etats ? Sur le terrain des
procédures, mais aussi sur celui des solutions de fond, y
a-t-il des pratiques communes ? Dès aujourd'hui, pour
l'élection du Parlement européen, ces traditions sont-
elles reprises et amplifiées à l'échelle de l'Europe ?
Il ne faut pas occulter une réalité. Il y a quinze États.
En réalité, il y a seize institutions parlementaires. A
défaut de procédure électorale unifiée, cette réalité est
parfois oubliée. Ou, plus exactement, elle est camouflée
sous la forme d'un contrôle électoral qui va s'exercer à un
double niveau - dans l'État et dans l'Union européenne.
Il faut, en même temps, tenir compte d'une autre
réalité, celle du Conseil de l'Europe (Document 1).
Des élections ne sont pas instaurées à ce niveau. Des
règles de fond, par contre, sont établies - par exemple,
dans le premier protocole additionnel à la Convention
européenne des droits de l'homme, qui prescrit l'orga-
nisation, à des intervalles raisonnables, d'élections
libres. Des règles de procédure aussi, comme dans l'ar-
ticle 6 de la Convention européenne.
Ces dispositions déteignent par la force des choses
sur le contentieux électoral.

Document 1. — Le droit du Conseil de l'Europe


— Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des
droits de l'homme et des libertés fondamentales signé à Paris le
20 mars 1952, art. 3 : « Les hautes parties contactantes s'engagent
à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au
scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression
de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif. »
Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des liber-
tés fondamentales signé à Rome le 4 novembre 1950, art. 6:
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitable-
ment, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal
indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des
contestations sur ces droits et obligations de caractère civil, soit du
bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre
elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la
salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant
la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de
l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocra-
tique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie pri-
vée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée stricte-
ment nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances
spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts
de la justice. »

L a diversité des systèmes politiques a u t a n t q u e


celle d e s s y s t è m e s é l e c t o r a u x d o n n e n t à p e n s e r q u e le
r é g i m e d u c o n t e n t i e u x é l e c t o r a l n e s a u r a i t se p r é s e n -
ter, à l'échelle e u r o p é e n n e , d e m a n i è r e u n i f o r m e A u
c o n t r a i r e m ê m e . Il y a u n e a b s e n c e f l a g r a n t e d e t r a d i -
t i o n s c o m m u n e s d a n s ce d o m a i n e . P e u t - ê t r e e s t - c e l a
m a t i è r e o ù c h a q u e É t a t a f f i r m e - s i n o n a f f i c h e - ses
singularités. L a diversité de l'organisation institution-
nelle e n m a t i è r e d e c o n t e n t i e u x é l e c t o r a l t e n d à
a c c r o î t r e e n c o r e les d i f f é r e n c e s q u i e x i s t e n t et q u i s u b -
sistent d a n s l ' a m é n a g e m e n t de sociétés politiques
r é s o l u m e n t distinctes.
F a u t - i l s ' e n é t o n n e r o u t r e m e s u r e ? C ' e s t d a n s la
d é f i n i t i o n d e l ' o p é r a t i o n é l e c t o r a l e et d a n s celle d e s
c o n t r ô l e s q u i p e u v e n t l ' a f f e c t e r q u ' u n e s o c i é t é i n s c r i t le
p l u s s û r e m e n t la c o n c e p t i o n q u ' e l l e se fait d e la d é m o -
c r a t i e - p a s s e u l e m e n t d a n s ses p r i n c i p e s g é n é r a u x
m a i s a u s s i d a n s ses m o d a l i t é s c o n c r è t e s . C ' e s t d a n s d e s
dispositions constitutionnelles inscrites d a n s l'histoire
- le p l u s s o u v e n t a u t e r m e d ' â p r e s l u t t e s p o l i t i q u e s -
q u ' e l l e e x p r i m e r a ses c o n v i c t i o n s . D a n s ces c o n d i t i o n s ,
elle h é s i t e r a à y r e n o n c e r , f û t - c e a u c o n t a c t d ' a u t r e s
sociétés politiques qui o n t été c o n f r o n t é e s a u x m ê m e s
p r o b l è m e s qu'elle.

1. La matière de cet ouvrage a fait l'objet d'un exposé à l'occasion du


V I I I Cours international de justice constitutionnelle qui a été organisé,
en septembre 1996, à Aix-en-Provence par le P L. Favoreu.
Chapitre I

LE CONTENTIEUX
PRÉÉLECTORAL

L'élection a été décidée. La législature est échue. Ou


elle a été interrompue prématurément - par une
mesure de dissolution. Un à trois mois - quarante
jours maximum en Belgique, quatre-vingts au Portu-
gal... - séparent désormais du scrutin.
Le temps est compté. Un ensemble d'opérations
administratives doivent, dès ce moment, être mises en
route. Recensement des électeurs, convocation des
électeurs, appel aux candidats, enregistrement des
candidatures, aménagement des bureaux de vote,
impression des bulletins, organisation de la campagne
électorale...
Le temps est compté. Et, dans ce court laps de
temps, il n'est pas étonnant que les esprits s'échauffent.
Serai-je réélu ? Vais-je accéder à la députation ? Com-
ment convaincre efficacement les électeurs ? Comment
me protéger de mes ennemis et surtout, paraît-il, de
mes amis ? Quelle stratégie adopter? Comment éviter
les fausses manœuvres? Ai-je bien lu toutes les circu-
laires ministérielles ? On n'est jamais assez prudent...
Sans compter les questions proprement politiques.
Défendre le passé ou préparer l'avenir ? Quel pro-
gramme concevoir, défendre et mettre valeur ? Quelles
alliances privilégier ? Quels partenaires ménager ? Quel
gouvernement peut-être faut-il déjà préparer?

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Le temps est compté. Et voici quelques grains de
sable - des litiges, pour être clair - qui viennent, sinon
enrayer, du moins déranger la mécanique électorale.
D'un point de vue politique, ces contentieux naissants
vont peut-être alimenter une part du débat entre les par-
tis en lice. Tous les arguments sont bons en campagne
électorale. Un candidat traite son compétiteur de procé-
durier. Un autre tire profit d'une décision de justice qui
lui est favorable pour dénoncer la duplicité de son
adversaire. Un autre encore se plaint de la persécution
judiciaire dont il est l'objet et qu'il attribue à la peur
qu'il suscite chez ses concurrents. Et ainsi de suite...
Sur quoi portent ces litiges ? Ils portent sur trois
sujets au moins. Ils peuvent avoir trait aux listes élec-
torales : qui est effectivement électeur ?, certains élec-
teurs n'ont-ils pas été rayés indûment ?, d'autres n'ont-
ils pas été inscrits artificiellement?, ne s'apprête-t-on
pas à faire voter les morts ?, etc.
Les litiges peuvent aussi concerner les opérations
électorales : comment appeler les électeurs aux urnes,
quelles instructions convient-il de leur donner?, com-
ment vérifier la régularité des candidatures ?, comment
barrer la route à des candidats farfelus et à des listes
fantaisistes?, etc.
Plus globalement, les litiges peuvent s'inscrire dans
le contexte de la campagne électorale : comment per-
mettre la libre expression des idées et des projets poli-
tiques, dans les réunions publiques mais aussi à la
radio et à la télévision?, comment faire pour que le
débat se déroule, à tout instant, « à armes égales » ?,
comment préserver la liberté de vote de l'électeur?,
comment éviter le matraquage publicitaire ?, etc.
Toutes ces questions, on le devine, peuvent prêter à
contestation. Elles peuvent susciter des litiges d'autant
plus vifs qu'ils s'inscrivent dans une conjoncture poli-
tique agitée. Gagnent-elles à être examinées à chaud ?
Méritent-elles de recevoir réponse avant l'élection ?
Pourquoi ne pas attendre l'après-élection ? Quelle peut
être l'utilité du contentieux préélectoral ? En particu-
lier, quel sens peut revêtir l'intervention d'un juge ?
Deux écoles de pensée s'expriment à ce sujet. Elles
tendent à privilégier un régime de contrôle a priori ou,
au contraire, a posteriori.
• Dans la perspective du contrôle a priori, l'on tient
volontiers le raisonnement suivant. Mieux vaut préve-
nir que guérir. Il ne sert à rien de laisser se développer
un processus électoral dont il est établi, dès le départ,
qu'il se réalisera dans des conditions viciées ou faus-
sées. Il est inutile de laisser se multiplier des fraudes et
des irrégularités qui, il faut le présumer, auront une
influence non négligeable sur le déroulement du scru-
tin, et notamment sur la désignation des élus. Au
contraire, il faut tuer dans l'œuf ces irrégularités en
censurant, dès avant le scrutin, les violations de la loi
et en réprimant sans délai les infractions. Il faut
remettre le plus tôt possible l'opération électorale « sur
les rails ». Qui pourra s'en plaindre ?
• Dans la perspective du contrôle a posteriori, l'on
développe une autre argumentation. Il ne sert à rien de
chercher à régler dans la précipitation le contentieux
électoral. La matière est trop délicate pour autoriser
des jugements à l'emporte-pièce. Elle requiert un trai-
tement nuancé et minutieux qui ne pourra se concevoir
qu'à tête reposée. Dans ces conditions, mieux vaut
temporiser. Pourquoi ne pas attendre l'issue du scru-
tin ? Pourquoi ne pas procéder à ce moment - mais à
ce moment-là seulement -, et au vu des recours qui
auront été introduits et des argumentations qui auront
été développées, à l'examen des griefs ? Pourquoi ne
pas globaliser l'examen de tous les litiges que l'élection
a pu, à un moment ou à un autre, susciter ?
• Il n'est pas établi qu'une école de pensée doive
nécessairement l'emporter sur l'autre. Un partage des
tâches peut, en effet, s'établir.
Certaines irrégularités sont manifestes, elles sont
facilement identifiables, elles ne prêtent pas à contro-
verse. Elles vont sans doute faire l'objet tout de suite
d'un premier examen, voire d'une censure. D'autres,
au contraire, sont plus délicates à déceler, elles requiè-
rent des analyses plus minutieuses, elles ouvrent la
porte à de plus longues discussions. Elles seront enre-
gistrées sur le moment. Elles feront peut-être l'objet
d'une instruction. Elles ne seront, cependant, exami-
nées de manière approfondie qu'à l'issue du scrutin. Le
règlement du litige interviendra alors dans les semaines
qui suivent l'élection.
Ce double examen peut paraître de bonne méthode.
Il dégonfle le contentieux postélectoral, tout en réser-
vant aux autorités compétentes l'examen des questions
les plus importantes dont le contentieux préélectoral
n'a pu - ou n'a voulu - se saisir.
La question peut rebondir. Quel est le pouvoir qui,
dans l'État, est le mieux placé pour résoudre les litiges
qui méritent ce premier examen? Trois réponses vien-
nent aussitôt à l'esprit : le parlement, le gouvernement,
le juge. Chacune de ces formules institutionnelles pré-
sente des avantages. Peut-être aussi des inconvénients.
• Pourquoi ne pas s'adresser, par priorité, à l' Assem-
blée parlementaire elle-même? A l'assemblée défunte,
si l'on ose dire. La suggestion ne semble guère utile.
L'assemblée ne saurait, en effet, intervenir dans les
modalités de son remplacement. Elle ne saurait s'ériger
en juge des contestations qui s'élèvent à ce sujet.
Le contraste est significatif à souhait. L'assemblée
nouvelle va, dans certains États, jouer un rôle essen-
tiel dans le contentieux postélectoral. L'assemblée an-
cienne, elle, n'a aucune responsabilité au stade préélec-
toral. Faut-il s'en étonner ? Une assemblée dissoute
n'existe plus. Ni organiquement, ni fonctionnellement.
Certes, le système qui revient pour l'assemblée en voie
de renouvellement à assumer des tâches de transition, en
ce compris celles de la vérification des pouvoirs des nou-
veaux élus, est parfois préconisée. Il est utilisé notam-
ment dans les assemblées des collectivités locales. Il se
concilie peu avec le régime des Parlements qui ne sau-
raient décemment se survivre à eux-mêmes - avant et
surtout après l'élection qui vise à leur remplacement.
• A défaut de recourir à l'assemblée, comment ne
pas se tourner vers le gouvernement et son administra-
tion ? Ils assument, en cette période délicate, la conti-
nuité de l'exercice du pouvoir. Ils expédient les affaires
courantes. Ne doivent-ils pas, à ce titre, mettre en
route le processus électoral et assurer, à cette occasion,
les contrôles requis ?
Évidemment, le gouvernement peut paraître suspect.
Le plus souvent, il a été solidaire de l'assemblée qui
vient d'être dissoute (ou, en tout cas, de sa majorité). Il
est tributaire, jusque dans son existence, de la nouvelle
majorité qui se révélera dans les urnes.
Qu'on le veuille ou non, le rôle du gouvernement et
de l'administration est irremplaçable en matière électo-
rale. Ils maîtrisent un ensemble de services dont le
concours est requis pour assurer l'élection. Ils détien-
nent la fonction d'organisation. Les tâches de contrôle
viennent naturellement s'y adjoindre. L'important sera
sans doute de les limiter au strict nécessaire.
• Une troisième solution peut être préconisée. Si
l'on marque quelque réticence à accepter une interven-
tion trop présente du pouvoir politique et administratif
dans le domaine du contentieux préélectoral, pourquoi
ne pas se tourner vers le juge ? Il n'y a que l'embarras
du choix : le juge judiciaire, le juge répressif, le juge
administratif, le juge constitutionnel...
Encore faut-il montrer qu'une intervention juridic-
tionnelle puisse être profitable dans ce cas d'espèce. A
cette étape du processus électoral, quel rôle le juge
peut-il remplir ? Le mieux n'est-il pas qu'il attende,
comme tout le monde, les résultats du scrutin ? A vou-
loir intervenir à tout prix, ne va-t-il pas jouer à «la
mouche du coche » ?
D'un point de vue technique, les questions affluent
également. Le juge sera-t-il en mesure de développer
les techniques d'instruction et de jugement qui lui sont
habituelles ? Sera-t-il capable de statuer dans des délais
utiles ? Sera-t-il en mesure d'organiser un débat
contradictoire ? Sera-t-il à même d'intervenir dans les
conditions requises de neutralité et d'impartialité ?
Permettra-t-il aux parties à la cause d'utiliser les voies
de recours - ordinaires et extraordinaires ? A quoi
bon, somme toute, cette justice expéditive ?
• Ces questions institutionnelles ne peuvent être
perdues de vue. C'est, semble-t-il, une réponse équili-
brée, que le droit public des États européens leur
apporte.
Il y a, d'abord, la réponse de principe. En phase pré-
électorale, les contrôles politiques et administratifs sont
la règle. Ils ont, pour l'essentiel, un objet. Ils visent à
vérifier la régularité formelle du processus électoral.
Il y a, ensuite, la réponse qui fait figure d'exception.
En phase préélectorale, des contrôles juridictionnels
peuvent être organisés. Ils ont pour objet de préserver
les droits politiques fondamentaux des électeurs et des
candidats.
Le plus souvent, ces contrôles sont l'œuvre du juge
judiciaire ou administratif. De manière plus exception-
nelle, mais aussi plus spectaculaire, le juge constitu-
tionnel peut intervenir à ce stade de la procédure.

I. — Les contrôles politiques et administratifs

Comment expliquer que des autorités politiques et


administratives puissent intervenir, fût-ce à titre préli-
minaire, dans le processus électoral ? Comment
admettre qu'elles participent, de surcroît, à des tâches
de contrôle préventif?

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Sans vouloir caricaturer la situation, celle-ci se pré-
sente, à peu de choses près, comme suit. Je suis au pou-
voir. J'entends rester au pouvoir. Je suis donc à nouveau
candidat au pouvoir. Me voici, en même temps, chargé
de vérifier les opérations de renouvellement des tenants
du pouvoir. Me voici habilité à dire si d'autres peuvent
être candidats au pouvoir. Vraiment, suis-je le mieux
qualifié pour intervenir en ce domaine ?
Comment justifier le système qui confie à des autori-
tés politiques et administratives la tâche délicate du
contentieux préélectoral ? C'est une réponse diversifiée
que le droit électoral apporte à cette question. Elle varie
en fonction des modes d'intervention de ces autorités.
Celles-ci peuvent, en effet, exercer un contrôle direct, un
contrôle indirect et même un contrôle indépendant.

1. Le contrôle direct des autorités politiques et admi-


nistratives. — Les autorités publiques peuvent prendre
en charge directement le contrôle préalable de l'élec-
tion ou, en tout cas, de certains de ses aspects. Il s'agit
d'un contrôle technique et limité. Ce contrôle peut lui-
même prêter à censure.

A) Un contrôle technique. — La puissance publique


ne peut d'aucune manière se désintéresser de l'élection.
Elle assure l'enregistrement des électeurs, elle prépare
les documents électoraux, elle aménage les locaux où
se dérouleront les opérations de vote, elle rassemble le
matériel nécessaire à l'organisation du scrutin, elle ins-
talle les ordinateurs - si le vote est automatisé -, elle
transporte les urnes. Après l'élection, elle collecte les
données informatiques, elle collationne les bulletins,
elle communique - notamment via les médias - les
résultats de l'élection.
Sans intervention publique, l'élection n'a pas lieu. Il
faut rappeler, à ce propos, une donnée institutionnelle
élémentaire. Le corps électoral, en tant que tel, se
révèle - il faudrait peut-être écrire: se réveille... - le
jour de l'élection. Il n'a pas d'existence permanente. A
ce titre, il est dépourvu d'une administration qui lui est
spécifique. Il doit compter sur l'aide technique de
l'État ou des collectivités locales - qui, pour un temps,
affectent une part de leurs autorités, de leurs services et
de leurs personnels à l'organisation de l'élection.
Si telle est la réalité, comment empêcher que ces
mêmes autorités assument intelligemment leurs
tâches ? Comment éviter qu'elles procèdent, en cours
de route, à des vérifications, même élémentaires ? Les
formes sont-elles observées ? Les délais sont-ils respec-
tés ? Les procédures sont-elles suivies ?
Il faut le souligner. A ce stade, il n'y a pas à propre-
ment parler contentieux. Peut-être même le principal
intéressé, à savoir l'électeur, n'est-il pas au courant de
procédures de vérification qui se développent à son
insu. A défaut de contentieux, c'est de contrôle qu'il
s'agit en l'occurrence.

B) Un contrôle limité. — La fonction de contrôle qui


revient ainsi aux autorités politiques et administratives
est l'accessoire de leur fonction d'organisation. Elle
reste, pour une large part, dans l'orbite de l'adminis-
tration. C'est - pour utiliser une formule connue -
l'administration qui se contrôle elle-même.
Dans quel domaine ce contrôle s'exerce-t-il ? Un
domaine privilégié s'ouvre ici. L'administration dresse
la liste ou le registre des électeurs. Sans mauvais jeu de
mots, elle a aussi le droit de « redresser » ce document,
c'est-à-dire de corriger les informations erronées qu'il
contient.
Dans un cas, l'autorité publique se rend compte, au
moment où elle établit ses listes et ses répertoires,
qu'elle s'est trompée dans les opérations d'identifica-
tion d'un électeur, et elle rectifie d'office les irrégulari-
tés et les anomalies. Qui s'en plaindra ? Dans un autre
cas, et de manière plus contentieuse, le citoyen
s'adresse, dans une sorte de recours gracieux, à l'auto-
rité pour lui demander si sa décision n'eût pas dû être
différente. Il a été omis ou rayé à tort. Il est répertorié
selon des mentions incorrectes. Il a été inscrit dans
telle commune alors qu'il devait l'être ailleurs. Et ainsi
de suite. Si l'autorité de contrôle écoute ces récrimina-
tions et donne satisfaction à l'électeur, le contrôle
administratif produit directement des effets utiles.
Ce faisant, les autorités politiques et administratives
ne s'immiscent pas de manière outrancière dans la
lutte électorale. Elles ne faussent pas la tournure de la
campagne. Elles se situent aux premiers moments de
l'opération électorale. Elles veillent simplement à ce
que les prescriptions législatives qui ont trait à la régu-
larité externe du processus électoral soient, en toutes
circonstances, respectées.
Ce contrôle direct se manifeste tout particulièrement
au moment de l'établissement des listes électorales.
Pour leur établissement, les États européens recourent
à deux techniques différentes : celle de l'enregistrement
automatique et celle de l'enregistrement sur demande.
Il va sans dire que la première technique se com-
prend mieux là où l'électorat est conçu comme une
fonction qui doit être exercée et où le vote est, en
conséquence, obligatoire. La seconde s'inscrit plus
adéquatement dans la perspective d'un vote facultatif.
Mais les distinctions ne sont pas nécessairement aussi
tranchées.
En Autriche, les électeurs sont inscrits d'office sur les
registres qui sont établis par chaque commune. L'ins-
cription peut être modifiée à la demande des intéressés.
Même chose en Belgique où il revient aux autorités
municipales d'établir les listes électorales et d'en véri-
fier de manière permanente l'exactitude : « Le collège
des bourgmestre et échevins arrête la liste des électeurs
le quatre-vingtième jour qui précède celui de l'élec-
tion » ; « à la date à laquelle la liste des électeurs doit
être arrêtée, le collège des bourgmestre et échevins
porte à la connaissance des citoyens, par un avis publié
dans la forme ordinaire, que chacun peut jusqu'au
douzième jour précédant celui de l'élection, s'adresser
au secrétariat de la commune durant les heures de ser-
vice afin de vérifier si lui-même ou toute autre per-
sonne figure ou est correctement mentionné sur la liste.
Cet avis reproduit la procédure de réclamation et de
recours... ».
Au Danemark, le droit de vote n'est pas soumis à
une procédure d'inscription dont le citoyen devrait
prendre l'initiative. Comme le relève Eivind Smith, la
présence sur une liste préétablie est, cependant, une
condition pratique pour l'exercice effectif de ce droit.
En Italie, les électeurs sont inscrits automatique-
ment sur les listes électorales.
Au Portugal, les dispositions de la Constitution sont
explicites en ce domaine. Selon l'article 116, al. 2, «le
recensement électoral est gratuit, obligatoire, perma-
nent et unique pour toutes les élections au suffrage
direct et universel». Dès l'âge de 18 ans, les citoyens
dûment recensés reçoivent une carte d'électeur (Loi
électorale n° 14/79 pour l'élection de l'Assemblée de la
République).
En République fédérale d'Allemagne, les autorités
communales dressent une liste des électeurs qui doit
rester ouverte pendant trois semaines. Chaque électeur
est informé de son enregistrement et reçoit dès cet ins-
tant une carte d'électeur. Il dispose d'un droit de
recours.
Au Royaume- Uni, il revient aux autorités locales
de dresser, pour chaque circonscription, la liste des
électeurs.
La même règle prévaut en Suède.
Le système est tout différent en France. Selon l'ex-
pression de J. Charlot, «au lieu d'aller à l'électeur,
l'administration attend qu'il vienne à elle ». Elle se
contente d'ouvrir ses portes. Des demandes doivent
être introduites. Elles font l'objet d'un examen par une
commission administrative (qui est composée du maire
ou de son représentant, du délégué de l'administration
désigné par le commissaire de la République ou le
commissaire de la République adjoint et d'un délégué
désigné par le président du tribunal de grande ins-
tance). Si elles sont acceptées, les demandes sont maté-
rialisées par l'inscription sur la liste des électeurs.
La même situation prévaut en Espagne. Selon l'ar-
ticle 2 de la loi organique du 19 juin 1985 sur le régime
électoral général, l'exercice du droit de suffrage est
subordonné à un recensement préalable.
Elle est également de mise en Grèce. En effet, selon
l'expression de Phédon Végléris, « le droit de vote pré-
suppose la citoyenneté ». Celle-ci n'est effective que par
l'inscription au registre d'un dème ou d'une commune.
Nul n'est citoyen s'il n'est démote, c'est-à-dire citadin.
C'est au vu de cette appartenance que se fait l'inscrip-
tion sur le registre électoral. Un système de correction
des données est organisé.
En Irlande, les citoyens doivent également se faire ins-
crire comme électeurs. Des registres sont préparés par
les conseils de comtés ( County Councils) et les conseils
municipaux urbains (County Borough Corporations).

C) Un contrôle surveillé. — Le contrôle par des auto-


rités politiques et administratives a sa logique. Il a
aussi ses limites. Les tâches du contrôle direct peuvent
interférer avec l'exercice des droits politiques. Refuser,
par exemple, d'inscrire un citoyen au registre électoral
le prive aussitôt de ses droits politiques.
Dans un arrêt du 21 juillet 1988, le Tribunal consti-
tutionnel espagnol souligne la « connexion indisso-
ciable » qui existe entre le droit de suffrage et le recen-
sement électoral. Seuls sont électeurs et seuls sont
éligibles les citoyens qui sont recensés. L'inscription
sur la liste commande l'exercice des droits politiques.
Les décisions qui sont prises dans ce domaine don-
nent matière à des contentieux qui sortent de l'orbite
de l'administration active pour être confiés à des juri-
dictions - judiciaires (notamment en Belgique, en
Espagne, en France, au Luxembourg) ou administra-
tives, selon le cas.

2. Le contrôle des bureaux électoraux. — Dans plu-


sieurs États européens, le législateur a pris conscience
des risques que présentait une intervention trop directe
des autorités publiques dans le processus électoral. Il a
donc mis en place ce qu'il est permis d'appeler d'un
terme générique des bureaux électoraux. Il les charge de
tâches précises dans l'organisation de l'élection, mais
aussi dans le domaine du contentieux préélectoral.
Que sont les bureaux électoraux ? Ce sont les
organes - parfois rudimentaires, il est vrai, parfois
aussi plus construits et mieux organisés - du collège
électoral.
L'on utilise ici l'un des termes les plus anciens du
droit électoral. Il gagne à être pris dans son sens pre-
mier. Le collège électoral désigne l'ensemble des élec-
teurs d'un arrondissement - dont les limites géogra-
phiques ont été préalablement déterminées. Ces
citoyens sont réunis pour procéder, dans les termes
fixés par la loi, au choix d'un nombre lui aussi prédé-
terminé d'élus. Le collège n'existe évidemment que par
une sorte de fiction, le jour de l'élection. Telle est
même l'originalité de cette autorité publique. Elle
n'existe que par intermittence. Elle n'a pas de person-
nalité spécifique. Elle est pourvue d'organes embryon-
naires à savoir les bureaux électoraux.
La doctrine souligne avec insistance le caractère
administratif du collège électoral. Comme l'écrit
Ad. Esmein, « on n'a jamais proposé sérieusement de
faire de la nation un seul collège électoral élisant tous
les députés. On se heurterait à des obstacles insurmon-
tables. On est donc obligé de diviser le corps électoral
en un grand nombre de collèges particuliers. Mais, en
procédant à des élections séparées, chaque collège par-
ticulier n'agit point en vertu d'un droit propre et ne
fait point en son nom propre un acte de souveraineté ».
Le doyen Duguit est plus affirmatif encore. Il va jus-
qu'à écrire : « En droit, les circonscriptions électorales
ne sont rien. » Ce qui est peut-être excessif. De manière
plus nuancée, R. Carré de Malberg - qui rend compte
de cette controverse - souligne que le sectionnement
du corps électoral procède exclusivement de « l'impos-
sibilité matérielle d'assembler tous les citoyens en un
collège unique ». L'on relève néanmoins qu'à l'occa-
sion des élections européennes, le régime de la circons-
cription nationale a pu être établi. Les progrès de la
saisie informatisée d'un ensemble de données, y com-
pris électorales, enlèvent aussi une part de leur valeur
aux objections des éminents publicistes. Il reste qu'en
principe le vote a lieu sur place, par exemple à la com-
mune, ce qui requiert à tout le moins une organisation
déconcentrée du scrutin - même si le collationnement
des résultats se réalise de manière centralisée.
Le bureau est une administration particulière. Lui
aussi est investi de tâches organisationnelles. Il les
cumule avec des tâches spécifiques de contrôle, voire
de règlement de contentieux. C'est une administration
temporaire. Le bureau est constitué pour les besoins de
la campagne électorale. Il est appelé à disparaître dès
la proclamation des résultats électoraux. C'est aussi
une administration autonome. Le bureau est déchargé
de tout lien d'allégeance hiérarchique vis-à-vis du
ministre de l'Intérieur. C'est encore une administration
le plus souvent déconcentrée. Il est établi aux quatre
coins du territoire en fonction des structures et des
circonscriptions électorales.
Point essentiel. Le bureau exerce également un
contrôle technique et limité. Ce contrôle fait, lui aussi,
l'objet de vérifications externes.

A) Un contrôle technique. — Le bureau électoral se


situe à distance de l'administration. Le contrôle qu'il
exerce se distingue donc du contrôle direct qui est pris en
charge par des autorités politiques et administratives.
Cette distance peut être plus ou moins accentuée en
fonction de deux facteurs. D'une part, la présidence du
bureau est-elle confiée à un fonctionnaire ou à un
magistrat ? D'autre part, les partis politiques en lice
sont-ils associés, de manière officielle ou officieuse, aux
travaux du bureau ?
On ne saurait faire ici le tableau de l'organisation
administrative des élections dans les quinze pays de
l'Union européenne. Peut-être est-il permis de relever
quelques exemples significatifs.
En Autriche, la Constitution prescrit, dans son
article 26, l'organisation de commissions aux fins d'orga-
niser l'élection. Elles sont placées sous la présidence
d'un fonctionnaire. Il s'agit du préfet pour le Kreiswahl-
beworde (commission électorale de la circonscription)
ou du ministre de l'Intérieur pour la Commission électo-
rale suprême. Ces commissions comprennent des asses-
seurs qui sont désignés par les partis en compétition. Au
sein de la Commission électorale suprême, un quart des
assesseurs doivent être ou avoir été magistrat.
En Irlande et au Royaume- Uni, la préférence est égale-
ment donnée à des mécanismes administratifs. Les
contentieux relatifs aux listes de candidats sont tranchés
par des autorités administratives et non juridiction-
nelles. Des returning officers veillent à la régularité des
opérations et notamment à la validité des candidatures.
En République fédérale d'Allemagne, la loi confie le
soin de régler certains différends électoraux au fonc-
tionnaire chargé de l'élection dans le Land, pour les

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listes constituées à ce niveau et au coordonnateur fédé-
ral des élections ( Bundeswahlleiter) pour les listes pré-
sentées à l'échelon du Bund. Appel de leurs décisions
peut être formé devant les commissions électorales qui
siègent soit au niveau du Land, soit au niveau du
Bund. Enfin, il peut toujours être fait appel d'une déci-
sion de commission du Land devant la Commission
fédérale.
En Belgique (Code électoral, art. 94) et au Luxem-
bourg, par contre, la loi prescrit que les autorités judi-
ciaires soient associées étroitement au processus électo-
ral. Des magistrats (présidents des tribunaux de
première instance et juges de paix) assurent la direc-
tion des bureaux.
En Espagne, le système est manifestement différent.
Il n'est pas recouru, en l'espèce, à une institution pro-
visoire. L'administration électorale - qui a pour tâche
de garantir la transparence et l'objectivité du processus
électoral ainsi que le principe d'égalité - est confiée à
une autorité permanente - la Commission (Junta)
électorale centrale. Celle-ci est composée de huit
magistrats de la Cour suprême et de cinq professeurs
de droit ou de sciences politiques et de sociologie. Elle
doit répondre aux plaintes, réclamations et recours qui
lui sont adressés. La Junta présente un caractère très
« judiciarisé », pour employer le mot de F. Fernandez
Segado. Les bureaux (mesas) sont constitués dans les
circonscriptions ou dans leurs sections.
En France, une place à part doit être faite à la com-
mission de propagande. Cette commission est mise en
place dans chaque circonscription électorale. Elle com-
prend un magistrat désigné par le premier président de
la Cour d'appel, un fonctionnaire désigné par le com-
missaire de la République, un fonctionnaire désigné
par le trésorier payeur général et un fonctionnaire dési-
gné par la Direction départementale des postes et télé-
communications. Ses travaux se déroulent en présence
des candidats ou de leurs mandataires. Elle veille à ce
que les documents de propagande prévus par le Code
électoral parviennent aux électeurs. Elle assure l'im-
partialité de cette opération.

B) Un contrôle limité. — Dans chaque circonscrip-


tion, le bureau électoral a notamment pour tâche de
recueillir les candidatures - celles des individus ou celles
des listes. A cette occasion, il procède à de premiers
contrôles sur le fond. Il s'interroge sur la validité des
candidatures qu'il a reçues. Il statue notamment sur les
réclamations qui lui ont été adressées entre-temps.
Le bureau entre ici très avant dans le contrôle de la
régularité interne de l'élection. Il écarte des candidats.
Il en retient d'autres. Il refuse que des listes se présen-
tent aux suffrages des électeurs. Il accepte que d'autres
courent leur chance. Il engage le processus électoral
sur des voies qu'il contribue à baliser.
Quelles sont les difficultés qu'il rencontre à l'occa-
sion de l'examen des candidatures ? Elles sont essen-
tiellement de trois ordres.
• Première question. Le candidat à l'élection
répond-il aux conditions prescrites d'éligibilité ? Ce
contrôle peut paraître simple, voire élémentaire. Ai-je
ou non atteint l'âge requis ? Le contrôle peut aussi sus-
citer des difficultés juridiques, et donc des contro-
verses, qui ne pourront être résolues dans l'immédiat.
Ai-je bien la nationalité du pays où je prétends exercer
mes droits politiques ?
Dans cet esprit, le droit belge donne compétence au
bureau pour vérifier certaines conditions d'éligibilité
des candidats - en réalité, celles qui sont le plus com-
modes à contrôler. Il écartera, par exemple, le candi-
dat qui, au jour de l'élection, n'aura pas atteint l'âge
minimum ou qui ne jouira pas, à raison d'une décision
de justice, des droits politiques requis. Les autres
conditions d'éligibilité - nationalité et domicile -
feront l'objet de vérifications ultérieures. Un système
de réclamation est organisé contre les décisions du
bureau. La cour d'appel est amenée à en connaître. Ses
décisions ne sont susceptibles d'aucun recours.
• Deuxième question. Le candidat à l'élection peut-
il se prévaloir d'un minimum de représentativité ? A-t-il
l'appui d'un parti déjà représenté dans une assemblée ?
A défaut, bénéficie-t-il de l'appui d'un nombre suffisant
d'électeurs - appui que des signatures répertoriées sur
un acte de présentation viendront attester ?
Le législateur tient, en réalité, au candidat ce lan-
gage : «Vous êtes éligible. Vous pouvez briguer les suf-
frages des électeurs. Montrez, cependant, patte
blanche. Prouvez-moi que vous jouissez d'une noto-
riété suffisante. » Les codes électoraux déterminent la
manière d'établir, mais aussi de vérifier cette représen-
tativité naissante.
En République fédérale d'Allemagne, par exemple, les
candidatures doivent être soumises au président de la
commission électorale locale quarante-sept jours avant
l'élection. La commission procède à plusieurs vérifica-
tions. Elle s'assure, d'abord, que le candidat présenté
par ses amis politiques a donné son consentement. Elle
vérifie ensuite si la désignation du candidat est inter-
venue conformément aux lois et aux statuts du parti.
Elle s'assure encore que la présentation est signée par
les membres du comité directeur du parti.
Que se passe-t-il si une formation politique n'est pas
ou n'est plus présente à l'Assemblée ou si des candi-
dats indépendants entendent se présenter? Il convient
que des électeurs de la circonscription où ils posent
leur candidature les appuient.
Ces conditions ont été contestées devant la Cour
constitutionnelle fédérale. Les requérants considéraient
qu'elles violaient le principe de l'égalité des chances
des candidats et des partis. La Cour n'a pas suivi ce
raisonnement. Le régime différent qui prévaut pour les
partis établis et pour les partis nouveaux empêche, en
effet, la présentation de candidatures fantaisistes (B
VerfG, 1 août 1953, t. 3, p. 19).
Encore faut-il que les signatures qui figurent sur
l'acte de présentation soient valables.
A l'occasion des élections législatives qui se dérou-
lent en Belgique en 1995, le Front national dépose
diverses listes de candidats. Au Sénat, les listes doivent
être appuyées par les signatures de deux sénateurs sor-
tants - mais cette preuve n'est pas commode à rappor-
ter par les partis qui n'ont pas d'implantation parle-
mentaire - ou par celles de cinq mille électeurs.
Encore convient-il que ces signatures soient vala-
bles, qu'elles aient été recueillies dans des conditions
régulières, qu'elles soient répertoriées sur les formu-
laires ad hoc...
Le bureau électoral du collège français pour l'élec-
tion sénatoriale précise que «c'est aux déposants des
listes qu'il incombe d'accomplir en temps opportun,
toutes les démarches utiles permettant de satisfaire
aux exigences de la loi, en établissant prima facie la
qualité d'électeur des présentants ». Le bureau
observe que tel n'est pas le cas des listes présentées
par le FN. A la grande fureur du parti extrémiste, il
prononce l'irrecevabilité des candidatures présentées à
la Haute Assemblée.
Plutôt que de s'interroger sur ses propres négli-
gences, le Front national s'indigne de telles décisions.
Il entreprend de saisir du litige toute juridiction : la
Cour de cassation, le Conseil d'État, la Cour euro-
péenne des droits de l'homme, la Cour de justice des
Communautés européennes.... Pourquoi pas, tant
qu'à faire, la Cour d'arbitrage? C'est oublier que le
bureau, même s'il est présidé par un magistrat, n'est
pas une autorité de justice. C'est oublier que le bureau,
même s'il est associé à des opérations qui sont enga-
gées par le ministère de l'intérieur, n'est pas une auto-
rité administrative. Il est, comme on l'a indiqué, une
émanation du corps électoral.
La seule vérification possible est celle que prescrit la
Constitution. Chaque Chambre vérifie les pouvoirs de
ses membres. Elle juge, à ce moment, les contestations
électorales, que celles-ci surviennent avant, pendant ou
après le scrutin. Toute autre juridiction doit se déclarer
incompétente en la matière. C'est ce que fait le Conseil
d'État, dans deux arrêts des 8 et 17 mai (F. Delpérée,
« Crise sans crise (12 avril - 23 juin 1995) », Journal des
tribunaux, 1995, p. 657).
• Troisième vérification, mais plus exceptionnelle.
Le candidat à l'élection dispose-t-il d'une couverture
financière suffisante pour faire face aux dépenses de la
campagne électorale? N'entend-il pas profiter trop
commodément des moyens - administratifs, financiers,
audiovisuels... - que les pouvoirs publics mettent à la
disposition des candidats ou des listes ? Un régime de
caution est établi dans certains États.
C'est notamment le cas en Autriche. Les listes dépo-
sées par les partis doivent porter les signatures d'élec-
teurs inscrits dans la circonscription ou celles de dépu-
tés sortants. Une exigence supplémentaire est prescrite.
Les partis en compétition doivent également déposer
une somme d'argent.
En France, également, les candidats et les listes sont
tenus de déposer caution. Celle-ci leur est remboursée
pour autant qu'ils obtiennent un pourcentage minimal
de voix qui est fixé à 5 %. A défaut d'un tel score, la
somme reste acquise à l'État.
Selon le Conseil constitutionnel, l'article 4 de la
Constitution - qui permet aux partis et groupe-
ments politiques qui «concourent à l'expression du
suffrage » de se former et d'exercer « leur activité
librement » - « ne fait pas obstacle à ce que (la loi)
subordonne la restitution d'un cautionnement et le
remboursement des frais de propagande à l'obten-
tion d'un nombre minimum de suffrages » (CC,
23 mai 1979, Rec., p. 27).
En réalité, les conditions administratives et finan-
cières qui sont ainsi rappelées se donnent pour objet
d'éliminer une série de listes qui, dès le départ, n'ont
pas de chances d'obtenir des élus. Il s'agit de simplifier
le paysage électoral. Il s'agit d'aider l'électeur à « voter
utile ». La Cour constitutionnelle autrichienne a pré-
cisé que de telles règles ne devaient pas empêcher le
développement d'une campagne électorale ouverte,
équilibrée et sérieuse.
Prêterait, par exemple, à critique la disposition de la
loi électorale qui imposerait à la liste de candidats de
disposer d'un nombre de signatures plus important
que celui qui est requis pour l'attribution d'un siège.
Ou celle qui imposerait au candidat le dépôt d'une
caution à ce point importante qu'elle pourrait être
identifiée au paiement du cens. Des analyses précises
ou plus grossières de proportionnalité s'imposent en
cette matière.

C) Un contrôle organisé. — Les décisions des


bureaux électoraux ne peuvent être sans appel. Des
droits politiques sont en question, à la faveur de l'ad-
mission ou du refus de candidats isolés ou groupés.
Des recours sont à nouveau organisés à ce niveau. Le
juge judiciaire - comme en Belgique - ou administratif
- comme en Espagne ou en France - peut être sollicité
d'intervenir.

3. Le contrôle d'autorités indépendantes. — Le


recours à des autorités administratives indépendantes
manifeste une plus grande prudence encore à l'égard
de l'intervention des autorités publiques dans le pro-
cessus préélectoral.
Il contribue à distendre encore plus les liens avec
l'administration active. Il permet d'approfondir cer-
taines investigations que postulent les tâches du
contentieux préélectoral. Il rend possible l'aménage-
ment d'un contentieux qui est aux frontières de la fonc-
tion administrative et de la fonction juridictionnelle.
Le contrôle s'exerce ici dans un troisième domaine.
Il n'y a plus lieu de s'interroger sur la qualité des élec-
teurs ou sur celle des candidats. Il faut, par contre, se
demander si la campagne électorale elle-même répond
aux exigences démocratiques.

A) Un contrôle autonome. — Dans quelques États


européens, des autorités indépendantes sont consti-
tuées. Elles ne sont pas nécessairement établies aux
seules fins du contentieux électoral. Mais leurs tâches
de contrôle prennent un relief particulier lorsqu'elles
s'appliquent à des litiges qui surviennent dans le cou-
rant d'une campagne électorale.
Un exemple est fourni par la loi française du 30 sep-
tembre 1986. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel a
pour mission générale de veiller au respect du caractère
pluraliste de l'expression des courants d'idées et d'opi-
nions. En période électorale, ces préoccupations sont
particulièrement vivaces. Le CSA adresse donc aux diffu-
seurs des recommandations en ce sens. Il y a plus. Le CSA
est investi d'une mission spécifique. Il fixe les condi-
tions de production, de programmation et de diffusion
des émissions qui sont prévues par l'article L. 167. 1
du Code électoral. Il désigne par exemple les modalités
d'intervention sur antenne des candidats ou des for-
mations politiques. Si ces recommandations ou pres-
criptions ne sont pas suivies, le CSA intervient auprès des
diffuseurs pour qu'ils assurent aux candidats et aux listes
en présence un traitement équitable.
Comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel dans
sa décision du 30 septembre 1986, cette institution
reste une autorité administrative. Ses actes peuvent
être soumis à un contrôle juridictionnel de légalité.

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2020 à julio cham
B) Un contrôle spécialisé. — Les autorités indépen-
dantes ne sont pas investies d'une tâche générale de
contrôle. Elles sont chargées de préserver, dans des
domaines particuliers, des intérêts publics qui sont
jugés dignes d'intérêt.
Le contrôle s'exerce, pour l'essentiel, dans trois
domaines.
Il y a le contrôle de la propagande - notamment
lorsqu'elle prend la forme d'émissions de radio et de
télévision. Il y a le contrôle des dépenses - puisqu'il est
établi qu'elles ont une influence déterminante sur les
comportements de l'opinion publique. Il y a encore le
contrôle des sondages - dont les résultats distillés à
quelques heures ou à quelques jours du scrutin peu-
vent compromettre le libre jugement de l'électeur.
• Chacun sait l'importance des moyens de communi-
cation audiovisuelle dans la compétition électorale.
Radio et télévision atteignent un large public, et donc une
majorité de votants. Elles donnent un écho saisissant
à des préoccupations, des intérêts, des idées politiques.
Elles peuvent aussi véhiculer des injures, des contre-
6vérités, des promesses fallacieuses. Des mesures de
contrôle peuvent s'imposer dès avant les élections. Peut-
être est-ce même à ce moment qu'elles sont véritablement
efficaces ? Elles peuvent avoir pour objet de modifier la
programmation des émissions de radio et de télévision.
Un exemple illustre le propos. Le mouvement
« Union et renouveau démocratique » saisit, en référé,
le Conseil d'État belge à la veille des élections du
21 mai 1995. Il conteste une décision du conseil d'ad-
ministration de l'établissement public de radiodiffusion
qui réserve les débats et tribunes de la campagne élec-
torale aux partis représentés dans les assemblées politi-
ques. Dans un arrêt du 16 mai, le Conseil d'État consi-
dère qu'« il est de l'essence d'un régime démocratique
que des formations politiques nouvelles puissent se
présenter utilement aux élections » et qu'elles le fassent
« dans les conditions d'égalité requises ». Le juge admi-
nistratif suspend la décision de la RTBF. Il lui ordonne
de permettre à l'URD de présenter les candidats de sa
liste, leurs idées et les programmes qu'ils entendent
défendre sur la chaîne radio, pendant trois minutes,
le 18 ou le 19 mai 1995. Ce qui est fait le jour même.
• Par le biais du financement des partis politiques,
d'autres formes de contrôle sont également conceva-
bles. Certes, à première vue, c'est au terme de la cam-
pagne électorale que la vérification des comptes aura
lieu. L'on se demandera alors si les sommes dépensées
ne dépassent pas les plafonds prescrits et si elles ont
servi à couvrir les frais de campagne autorisés.
Sur ces questions, Y.-M. Doublet, Le financement de
la vie politique, Paris, PUF, coll. «Que sais-je? », 1990,
n° 2550. Adde : Y.-M. Doublet et V. Marmorat, Droit
constitutionnel électoral. Le contentieux du finance-
ment des élections législatives, RFDC, 1994, p. 379.
Une hypothèse ne peut, cependant, être perdue de
vue. Dans certains États, le contrôle des dépenses de
campagne n'est pas dissocié du contrôle permanent
du financement des partis politiques. C'est le cas en
Belgique.
Une loi belge du 12 juillet 1994 règle le régime des
communications officielles des autorités publiques. Elle
charge notamment une commission composée de parle-
mentaires de la mission de contrôler « toutes les commu-
nications et campagnes d'information» des ministres
fédéraux et régionaux, et de vérifier si ces opérations ne
visent pas à promouvoir leur « image personnelle ».
A la veille d'une élection, un ministre fait savoir que,
durant les semaines qui viennent, il sera amené à orga-
niser diverses manifestations, foires et expositions.
Après avoir entendu le ministre intéressé, la commis-
sion rend une décision motivée. Elle impute à son
compte personnel les dépenses relatives à ces événe-
ments. En d'autres termes, ces mêmes dépenses ne
pourront plus être engagées durant la campagne élec-
torale qui va s'ouvrir... La décision est publiée au
Moniteur belge.
• Le contrôle des réglementations en matière de
sondages se justifie particulièrement avant le scrutin.
Certains électeurs sont les supporters de la victoire
annoncée. D'autres, au contraire, s'attachent à rectifier
dans l'isoloir le résultat qui est annoncé par les insti-
tuts de recherche sur les comportements de l'opinion
publique. Il n'est pas bon que le vote soit ainsi
influencé de l'extérieur.
Dans la mesure où les interdictions portent sur les
derniers jours de la campagne, les divulgations intem-
pestives risquent, cependant, d'échapper à toute forme
de contrôle a priori.
Sur la compatibilité de l'interdiction des sondages
pendant la dernière semaine de la campagne électorale
avec l'article 10 de la Convention européenne des
droits de l'homme, CE b, 17 février 1989, Journal des
procès, 1985, n° 71, obs. F. Jongen.

C) Un contrôle préliminaire. — Le contrôle exercé


par des autorités indépendantes précède l'intervention
du juge. Le caractère préliminaire d'un tel contrôle se
révèle à plusieurs égards.
• Ce contrôle s'exerce parfois selon des modalités
qui peuvent se comparer avec les interventions d'auto-
rités juridictionnelles. Les personnes concernées sont
entendues, les décisions prises sont motivées, des voies
de recours sont organisées.
Telle est, par exemple, la manière de travailler de la
commission parlementaire de contrôle des dépenses élec-
torales, en Belgique. Des recours sont pendants devant le
Conseil d'État et la Cour d'arbitrage.
• Ce contrôle reste un contrôle administratif. A ce
titre, il peut être lui-même soumis au contrôle du juge
de l'administration.
Des décisions du CSA relatives aux conditions de dif-
fusion des émissions de propagande électorale sont
déférées à la censure du Conseil d'État (RFDA, 1990,
p. 86, concl. A.-M. Leroy : « Le contrôle préalable per-
met d'organiser les élections sur des bases régulières,
évitant au juge de porter a posteriori une appréciation
évidemment très délicate sur l'influence que l'irrégula-
rité de l'acte préliminaire a pu avoir sur les résultats du
scrutin»). En 1993, par exemple, le juge administratif
annule la décision qui interdisait la diffusion d'un mes-
sage politique. Il s'agissait d'un message préparé par
le Parti des travailleurs et invitant à participer à
une réunion postélectorale au Zénith à Paris (RFDA,
1993, p. 506).
• Les autorités indépendantes peuvent être habili-
tées à saisir le juge de l'élection et à dénoncer les viola-
tions qu'elles ont pu constater. Mieux encore, à l'issue
du scrutin, le juge de l'élection pourra être lié par de
tels constats.
Le Conseil constitutionnel constate ainsi qu'est iné-
ligible l'élu qui, selon la Commission nationale des
comptes de campagne et des financements politiques,
n'a pas déposé, dans les délais requis, son compte de
campagne. Il peut déclarer inéligible celui qui a
dépassé le plafond fixé. Il garde, dans ce cas, la faculté
d'apprécier la gravité des faits et la sanction qui doit
les assortir.

II. — Les contrôles juridictionnels

Le contrôle politique a ses limites. Il ne saurait


régler de manière définitive le contentieux des droits
politiques. Il n'entre pas, pour l'essentiel, dans l'exa-
men de la régularité interne de l'élection. S'il convient
d'aller au-delà, le pouvoir exécutif va, de manière
générale, céder la place au juge. Il appartient à celui-ci
de régler, par des décisions revêtues de l'autorité de la
chose jugée, les premiers litiges préélectoraux. Mais de
quel juge va-t-il s'agir ?
L'on se trouve ici à la croisée des chemins. Jean-
Claude Masclet le souligne avec force : « La répartition
des compétences (juridictionnelles) en matière électo-
rale revêt une certaine complexité. Il y a même un véri-
table désordre. »
La complexité du paysage juridictionnel a des consé-
quences précises. Le citoyen, comme le candidat, peut
éprouver quelque peine à se retrouver dans le dédale juri-
dictionnel. Il peut s'étonner de voir éclore des jurispru-
dences discordantes - parfois sur des sujets essentiels - en
fonction du juge auquel il s'adresse. Il peut encore s'in-
quiéter de l'existence de ce que Ph. Ardant appelle des
angles morts dans l'œuvre de justice. Certaines questions
échappent à tout contrôle et donc à tout juge.
Dans l'état actuel du droit électoral, trois juges -
judiciaire, administratif, parfois même constitution-
nel - se bousculent - sans beaucoup de cohérence et
souvent dans un seul et même État - pour se saisir
d'une part du contentieux préélectoral.
Dès à présent, il faut poser cette question. Une
remise en ordre ne serait-elle pas nécessaire ? La sécu-
rité et la transparence juridiques sont à ce prix. La
validité des élections et de leurs résultats tout comme
la légitimité des élus en dépendent également

1. Le contrôle du juge judiciaire. — Pourquoi ne pas


s'adresser d'emblée au juge de droit commun, à savoir
au juge judiciaire ? Il est censé connaître de toute cause
litigieuse, en particulier de celles qui mettent en jeu les
droits de l'homme et du citoyen. Pourquoi ne connaî-
trait-il pas du contentieux préélectoral ?
Encore faut-il savoir comment le juge judiciaire sera
amené à intervenir en ce domaine et si ses décisions ne
risquent pas d'entrer en conflit avec d'autres décisions
de justice.
A) Le juge ordinaire. — Dans plusieurs États, le juge
judiciaire est considéré comme le juge de l'électorat. Il
lui revient d'apprécier la qualité dont dispose le citoyen
pour participer à l'élection. Ceci s'explique aisément. Le
contentieux électoral met en jeu des questions qui relè-
vent du droit commun. Domicile, résidence, statut
matrimonial, nationalité, état et capacité des per-
sonnes..., toutes questions dont le juge judiciaire a nor-
malement la maîtrise. Il se prononce alors sur le princi-
pal, mais aussi sur l'accessoire, c'est-à-dire l'électorat.
C'est le cas en Belgique - au niveau de l'appel -, en
France et au Luxembourg.

B) Le juge des référés. — Dans l'urgence, le juge


judiciaire peut aussi être saisi de questions qui mettent
en cause les droits et libertés des citoyens. Pourquoi
n'interviendrait-il pas dans ce moment particulier de
hâte que constitue la campagne électorale ?
Le contentieux d'urgence prend ici sa pleine significa-
tion. Une fois le scrutin achevé, la décision de justice n'a
plus qu'un intérêt rétrospectif. Par contre, intervenant
avant le scrutin et tranchant une difficulté née pendant
la campagne électorale, cette même décision présente un
intérêt évident.
Un candidat ou une formation politique se voit
refuser l'accès à des panneaux publics d'affichage. Il
s'adresse en vain aux autorités communales pour obte-
nir satisfaction. Il demande - mais sans succès - aux
autorités de contrôle des collectivités locales de censu-
rer une intervention aussi arbitraire. Pourquoi ne se

1. Les décisions de la commission chargée de réviser les listes électo-


rales peuvent être contestées devant le tribunal d'instance par les intéres-
sés, par tout électeur inscrit sur la liste électorale de la commune, par
le commissaire de la République ou par le commissaire de la Répu-
blique adjoint. Le tribunal de première instance statue en premier et
dernier ressort. Ses jugements ne peuvent faire l'objet que d'un pourvoi
en cassation.
tournerait-il pas vers le juge judiciaire pour voir recon-
naître ses droits, pour sauvegarder la liberté d'expres-
sion et pour préserver un libre débat démocratique ?
Le juge judiciaire peut faire œuvre utile en ce domaine.
Mais à certaines conditions néanmoins. Il convient qu'il
soit attentif à une juste pondération des intérêts privés
et publics. Il importe qu'il ne soit pas obnubilé par la
préoccupation de satisfaire le plaignant. Il faut qu'il
accepte d'entrer dans une analyse minutieuse des méca-
nismes électoraux. Il doit encore s'efforcer de resituer le
problème juridique dans son contexte politique et admi-
nistratif. Ce qui n'est pas toujours commode.
Voy. la décision de la présidente du tribunal de pre-
mière instance de Bruxelles, siégeant en référé, du
17 mai 1995 ( des procès, 1995, n° 284, p. 28,
obs. O. De Schutter, L'idée de pluralisme dans la cam-
pagne électorale sur les ondes).

C) Les conflits de juridictions. — Une difficulté parti-


culière peut apparaître. Celle du conflit des juges. Le
juge judiciaire peut être tenté d'intervenir. Mais il
risque aussi de voir sa compétence contestée par le juge
naturel de l'élection - par exemple par le Conseil cons-
titutionnel, dans le système français.
« Devant le flux contentieux, la réponse du juge des
référés, en particulier, et du juge judiciaire, en général,
s'est caractérisée par une certaine cacophonie... Cer-
tains juges des référés se sont ainsi déclarés incompé-
tents, d'autres, au contraire, ont effectivement prononcé
des mesures conservatoires, comme le retrait des bulle-
tins de vote dans les bureaux le jour du scrutin et leur
mise sous séquestre. De leur côté, les cours d'appel sai-
sies ensuite ont adopté des positions divergentes, tantôt
favorables à la compétence, tantôt à l'incompétence du
juge judiciaire. Cet imbroglio jurisprudentiel n'avait été
rendu possible que par l'absence de mécanismes préven-
tifs permettant, avant le scrutin, de saisir un juge en cas
de contestation relative aux documents électoraux et à
leur diffusion. C'est donc dans cette brèche que s'est
engouffré le juge des référés s'arrogeant ainsi le pouvoir
de combler cette lacune en utilisant un texte de portée
générale : l'article 809 du nouveau Code de procédure
civile » (R. Ghevontian).
Avec cette question que soulève le conseiller à la
Cour de cassation Dorly : « De par sa formation, le
juge judiciaire est-il techniquement compétent pour
démêler les fils » d'une situation politique parfois
embrouillée ? Ainsi, lors des élections françaises de
mars 1993, l'on a vu fleurir un nombre de candidatures
se réclamant de l'écologie et soucieuses de porter une
appellation «verte ». Certaines de ces candidatures
étaient sincères, d'autres étaient téléguidées, d'autres
encore étaient inspirées par la volonté de profiter de
nouvelles dispositions applicables au financement des
partis politiques. Comment départager les vrais et les
faux écologistes ? Comment accorder aux uns et pas
aux autres le label « vert » ?
Dans ses observations relatives aux élections législa-
tives de 1993, le Conseil constitutionnel déclare «qu'il
serait souhaitable d'ouvrir préalablement aux opéra-
tions électorales une voie de droit.... ». Il suggère « que
le législateur institue une procédure d'urgence de
nature juridictionnelle en déterminant précisément les
cas dans lesquels celle-ci pourrait être mise en œuvre
par le juge compétent - administratif ou judiciaire ».
La Cour de cassation française rend, cependant, en
assemblée plénière, l'arrêt du 8 mars 1996. Les consi-
dérants sont clairs : « Il n'appartient pas aux tribunaux
de l'ordre judiciaire d'interférer dans les opérations
électorales législatives dont le contentieux ressortit au
Conseil constitutionnel. »
Richard Ghevontian écrit à ce propos : « Enfin un
bienfaisant rai de lumière dans les dédales obscurs du
contentieux électoral!... En consacrant l'incompétence
du juge des référés en matière électorale, la Cour de
cassation apporte une solution raisonnable à un pro-
blème épineux» (Recueil Dalloz Sirey, 1996, Jurispru-
dence, p. 373).
Cet arrêt est évidemment de nature à freiner le juge
judiciaire s'il était tenté d'entrer plus avant dans l'exa-
men du contentieux préélectoral. Il peut aussi laisser le
citoyen sans défense.
« Cette clarification, sans doute nécessaire à un
ordonnancement rationnel du droit électoral, se fait
initialement au détriment des intérêts des justiciables
puisque, désormais, ils ne disposeront plus de la possi-
bilité de mettre en œuvre un recours contre les docu-
ments électoraux avant le scrutin » (R. Ghevontian).

2. Le contrôle du juge administratif. — Ce contrôle


peut s'inscrire dans une double perspective : le conten-
tieux de l'excès de pouvoir et le contentieux des droits
politiques. Ici encore il peut susciter un certain acti-
visme mais il peut aussi conduire, dans certains cas, à
un déni de justice.

A) Le juge de l'excès de pouvoir. — Le juge adminis-


tratif est, sans conteste, le juge de l'excès de pouvoir. Il
prononce la suspension ou l'annulation de l'acte irré-
gulier qui a été commis par une autorité publique qui
est associée à la préparation des élections. Eu égard au
moment où le problème se pose, cette compétence ne
sera significative que si le recours est suspensif et que si
le juge est autorisé à statuer d'urgence.
Le contrôle de l'excès de pouvoir peut, en règle
générale, affecter tout acte qui a été accompli par une
autorité administrative pour assurer la préparation et
l'organisation de l'élection.

B) Le juge des droits politiques. — Le juge adminis-


tratif peut aussi connaître du contentieux de droits

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politiques. Il statuera, par exemple, sur la qualité
d'électeur qui est reconnue ou non à un citoyen.
En Belgique, c'est le juge administratif qui est érigé,
en première instance, comme juge de l'électorat. Le
collège des bourgmestre et échevins dresse le registre
des électeurs. En cas de recours, il se transforme en
juge administratif. Il connaît des réclamations intro-
duites par toute personne indûment inscrite, omise ou
rayée, ainsi que du recours formulé par tout électeur
qui s'estime répertorié sous des mentions inexactes.
Des garanties entourent l'action du collège. Il doit sta-
tuer en audience publique, il doit entendre les parties,
il doit rendre une décision motivée.
En France, le juge administratif est compétent pour
connaître des vices de forme qui ont pu affecter l'éta-
blissement de la liste des électeurs. Il ne s'agit pas,
dans le cadre de cette procédure, de juger des situa-
tions individuelles mais de la manière dont la liste,
dans son ensemble, a été établie. Le juge administratif
peut, par exemple, censurer la composition irrégulière
de la commission, le non-respect des délais imposés, la
procédure irrégulière qui a été suivie...
Le juge administratif peut encore être invité à se
prononcer au contentieux de l'éligibilité. Au cas, en
effet, où une candidature ne satisfait pas aux condi-
tions requises, le commissaire de la République n'est
pas fondé à en refuser l'enregistrement. Mais il est tenu
de saisir - et il est seul habilité à le faire -, dans les
vingt-quatre heures, le tribunal administratif. Celui-ci
statue, en premier et dernier ressort, dans le délai de
trois jours. Le jugement rendu peut être contesté
devant le Conseil constitutionnel.
Comme l'écrit E. Laferrière (cité par J.-P. Camby),
l'éligibilité n'est pas, comme l'électorat, un droit civique
et individuel placé sous la sauvegarde exclusive des tri-
bunaux judiciaires. C'est une aptitude d'ordre adminis-
tratif, aptitude à la fonction ou au mandat que l'élection
a pour but de conférer. A ce titre, toutes les questions
d'éligibilité ressortissent en principe au juge de l'élection
(Traité de la justice administrative, 1898, t. II, p. 308).

C) Le déni de justice. — Une difficulté peut appa-


raître. Le droit administratif distingue traditionnelle-
ment les actes préparatoires et les actes décisoires. Les
premiers ne sont pas justiciables du juge administratif.
Seuls les seconds prêtent aussitôt à censure. Où ranger
les décisions qui interviennent à titre préliminaire ?
La jurisprudence française est singulièrement hési-
tante. Trois exemples en sont procurés en moins de
vingt ans.
• En 1978, le Conseil d'État examine, sans se poser
de question de compétence, la légalité d'un décret qui
fixe les conditions de participation à la campagne
radiodiffusée et télévisée des partis et groupements
politiques (24 novembre 1978, Association Front natio-
nal pour l'unité française et autres).
• Trois ans plus tard, en 1981, dans un arrêt Del-
mas, le Conseil d'État considère, cette fois, qu'il est
incompétent pour apprécier la légalité d'un décret
fixant le déroulement des opérations électorales. Il ren-
voie les requérants devant le juge constitutionnel
(Rec. CE, p. 244). Seul ce dernier, juge de la régularité
des élections des députés à l'Assemblée nationale, est
habilité à apprécier la légalité des actes qui sont les
préliminaires de ces décisions.
• Onze ans plus tard encore, nouvel arrêt, rendu en
Assemblée, le 12 mars 1993 dans l'affaire Union natio-
nale écologiste et Parti pour la défense des animaux. Le
Conseil d'État reconnaît implicitement sa compétence
pour connaître d'actes qui rejettent la demande de for-
mations politiques tendant à l'attribution d'un temps
d'antenne.
Sur l'ensemble de la question, R. Ghevontian, Un
labyrinthe juridique : le contentieux des actes pré-
paratoires en matière d'élections politiques, RFDA,
1994, p. 793.

3. Le contrôle du juge constitutionnel. — Le juge


constitutionnel se montre particulièrement discret dans
le domaine du contentieux préélectoral. Cette attitude
se comprend aisément. Le contrôle préventif n'est pas
son fort... Le contrôle quasi administratif des listes
d'électeurs ou de candidats n'est pas son domaine... Si
un débat contradictoire doit être organisé, les cond.
tions restreintes de temps et de lieu ne sont pas adap-
tées à l'intervention du juge constitutionnel... Bref,
voici des analyses de constitutionnalité qui semblent
lui échapper.
Telle est la norme dans les États européens. En
témoigne notamment cette lettre qu'écrit Robert
Badinter à Brice Lalonde, le 18 mars 1993: «Le
Conseil constitutionnel ne tient des textes qui régle-
mentent ses attributions aucune compétence pour
intervenir avant les élections sur des contestations rela-
tives aux opérations qui se déroulent dans certaines
circonscriptions. »
La règle d'incompétence absolue connaît, cepen-
dant, des exceptions importantes. Le juge constitution-
nel peut, en effet, être invité à statuer sur les principes
mêmes de l'élection qui va se dérouler. Il peut aussi se
prononcer sur certaines de ces modalités. Il peut
encore plus concrètement s'interroger sur les condi-
tions dans lesquelles les formations politiques et les
candidats se comportent durant la campagne.

A) Les règles organiques de l'élection. — Le juge


constitutionnel peut se prononcer - avant l'élection -
sur la constitutionnalité des normes qui organisent le
scrutin.
Michel Fromont rappelle, à propos de la Répu-
blique fédérale d'Allemagne, que la Cour constitu-
tionnelle fédérale peut être saisie à ce propos dans
trois cas distincts. Le contrôle peut intervenir directe-
ment à la demande des autorités publiques. Il peut
également s'exercer à l'intervention d'un juge qui
connaît d'un recours dirigé contre une mesure d'ap-
plication de la loi électorale. Il peut encore être saisi
par un citoyen qui s'estime lésé dans l'usage d'un
droit fondamental, à savoir celui de l'égalité dans
l'exercice du droit de suffrage.
Les contestations peuvent porter sur les objets les
plus divers : l'établissement des circonscriptions électo-
rales, la règle des quotas, les conditions d'éligibilité, les
seuils électoraux, le régime de dévolution des sièges, le
financement des partis.
Sur l'ensemble de la question, Principe d'égalité et
droit de suffrage, Ann. int. justice constitutionnelle,
1989, p. 195.
Les normes applicables aux élections européennes
ont, en particulier, soulevé la question de la participa-
tion d'étrangers, à savoir les citoyens de l'Union, à de
telles élections. Des litiges constitutionnels ont été
ouverts à ce sujet, notamment en France et en Répu-
blique fédérale d'Allemagne.
En France, le Conseil constitutionnel, saisi par le
président de la République de la décision du Conseil
des Communautés européennes du 20 septembre 1996
prévoyant l'élection de l'Assemblée européenne au
suffrage universel et de l'acte annexé à cette décision,
a estimé, le 30 décembre 1976, que ces engagements
internationaux n'avaient pas pour objet de modifier
les pouvoirs de l'Assemblée, n'emportaient aucun
transfert de souveraineté et ne contenaient donc
aucune clause contraire à la Constitution. Le Conseil
constitutionnel a permis au Parlement français d'au-
toriser, par une loi du 30 juin 1977, l'approbation des
décisions du Conseil des Communautés, puis de fixer,
dans une loi du 7 juillet 1977, les modalités de l'élec-
tion des représentants à l'Assemblée des Communau-
tés européennes.
En République fédérale d'Allemagne, c'est la loi
même du 16 juin 1978 relative aux élections euro-
péennes qui a été déférée à la Cour constitutionnelle
fédérale. La juridiction constitutionnelle a examiné la
question de l'élimination des listes ayant obtenu moins
de 5 % des suffrages. La Cour admet la constitution-
nalité de la loi sur ce point, en relevant notamment que
ce seuil correspond au souci d'éviter une trop grande
dispersion des partis au sein de l'Assemblée euro-
péenne et que la mesure adoptée n'est pas excessive eu
égard au but poursuivi.
Sur l'ensemble de la question, F. Delpérée, Les
droits politiques des étrangers, Paris, PUF, 1994.

B) Les modalités de l'élection. — Le juge constitu-


tionnel peut également être saisi de la question de la
régularité des opérations électorales en cours. Il
s'avance avec prudence mais avec fermeté sur cette
voie. Notamment en Espagne, en France et au Portu-
gal. Il investit ainsi une part non négligeable du
contentieux préélectoral. Il le fait tantôt au départ de
dispositions constitutionnelles bien établies, tantôt au
départ de jurisprudences évolutives. Mais, comment
ne pas le préciser?, les interventions qui sont les
siennes dans ce domaine se font toujours plus entre-
prenantes. Elles s'exercent parfois au détriment d'au-
tres juridictions. Elles cherchent alors à contribuer à
une clarification, voire à une unification du conten-
tieux préélectoral.
Ainsi, le Tribunal constitutionnel espagnol a la possi-
bilité d'intervenir dès le dépôt des candidatures. La loi
charge, en effet, les commissions électorales de procla-
mer la liste des personnes qui sont candidates au
Congrès et au Sénat. Dans les dix jours de cette pro-
clamation, tout candidat exclu, de même que les repré-
sentants des candidats admis, peuvent introduire un
recours contre cette décision devant le juge du conten-
tieux administratif. Celui-ci statue dans les deux jours
et l'arrêt est sans appel. La voie de la justice constitu-
tionnelle semble donc bloquée...
Il y a lieu, cependant, de tenir compte du recours
d ' constitutionnel. Pour ce faire, le requérant
doit avoir épuisé les recours juridictionnels qui lui sont
offerts. Il doit solliciter l ' dans un délai de deux
jours. Le Tribunal constitutionnel a, lui, trois jours
pour statuer sur cette question.
De son côté, le Conseil constitutionnel construit,
depuis quelques années, une jurisprudence qui l'engage
très avant dans les opérations du contrôle en amont.
Il s'agit d'une jurisprudence complexe mais cohé-
rente. Le Conseil constitutionnel sait qu'il est de plein
droit le juge de l'élection. Il ne renonce pas, cela va de
soi, à cette attribution que la Constitution lui assigne de
manière expresse. Il entend l'exercer de manière pleine et
entière à l'issue de l'élection. Mais il se rend compte que,
pour faire œuvre utile, il doit peut-être contrôler la régu-
larité de certaines opérations préliminaires.
Le Conseil constitutionnel dissocie, d'une part, un
certain nombre d' « actes détachables », à savoir ceux
qui rendent les élections possibles, et, d'autre part,
l'élection proprement dite. Dans cette logique, les actes
détachables font l'objet du contentieux préélectoral.
L'élection, elle, fait l'objet du contentieux postélecto-
ral. Le Conseil constitutionnel est à l'œuvre à deux
moments différents.
Le Conseil constitutionnel pénètre donc dans le
contentieux préélectoral. Il n'entend pas, cependant, y
exercer en monopole la fonction contentieuse. Il
entend respecter les responsabilités qui reviennent aux
autres juridictions.
Il plaide, on l'a vu, pour la reconnaissance d'un
recours auprès du juge judiciaire statuant en référé.
Il part de l'idée que le juge de l'excès de pouvoir
- c'est-à-dire le Conseil d'État - doit connaître, y
compris a priori, de recours dirigés contre les actes
qui touchent à l'organisation de la campagne ou de
l'élection. Dans une décision des 16 et 20 avril 1982
(Bernard), il arrête sa doctrine et ne s'en départit pas :
le contrôle constitutionnel s'exerce « sans préjudice
d'autres recours contentieux qui pourraient être
ouverts aux requérants ».
Comment délimiter dans ce contexte les attributions
du Conseil constitutionnel ?
Trois contentieux, en somme, lui reviennent.
• Un contentieux ordinaire. Le Conseil constitution-
nel s'attache à préserver la séparation des pouvoirs. Il
entend maintenir l'ordre constitutionnel.
Il n'est pas besoin de rappeler que le Conseil a été
institué - au départ, tout au moins - pour préserver la
distinction entre la loi et le règlement. Selon la Consti-
tution de la V République, il revient au seul législateur
de fixer les règles concernant les droits civiques et de
déterminer les règles concernant le régime électoral de
l'Assemblée parlementaire. Si l'autorité réglementaire
empiète sur le domaine de la loi, tel qu'il est défini par
l'article 34 de la Constitution, le Conseil censure les
actes administratifs irréguliers.
Sur ce terrain, le Conseil constitutionnel reste fidèle
à sa mission traditionnelle.
• Un contentieux exceptionnel. Le Conseil entend
que le processus de sélection des mandataires publics
produise ses pleins et entiers effets. Il s'attache, cette
fois, à préserver l'ordre électoral.
Le Conseil constitutionnel le souligne à quelques
reprises. L'irrégularité commise dès avant l'élection
peut être particulièrement grave. Elle peut en compro-
mettre les résultats. Le juge constitutionnel se recon-
naît le droit d'intervenir sans délai et d'examiner les
plaintes qui lui sont adressées.
Sur ce terrain, le Conseil constitutionnel tire parti de
la compétence qui lui revient a posteriori pour justifier
sa compétence a priori.
• Un contentieux subsidiaire. Le Conseil entend
garantir le bon fonctionnement du service public de la
justice, y compris en matière électorale. Il rétablit les
voies de recours qui lui paraissent compromises. Il res-
taure ainsi l'ordre juridictionnel.
C'est à défaut d'autres interventions juridictionnelles
qu'il se réserve le droit d'intervenir. Le Conseil d'État
refuse d'examiner la validité d'actes préliminaires, à
prétexte qu'il ne s'agit que d'actes préparatoires. Le
Conseil constitutionnel évite un déni de justice en cen-
surant lui-même de tels actes.
En 1981, le Conseil constitutionnel accepte de juger,
avant que l'élection n'ait eu lieu, du décret portant
convocation des collèges électoraux. Depuis lors, le
Conseil d'État a modifié sa position de principe. Il ne
refuse plus d'apprécier la légalité de tous les actes qui
constituent des préliminaires aux élections législatives
ou sénatoriales. Le Conseil constitutionnel ne procure,
cependant, pas d'indication laissant apparaître qu'il
aurait modifié sa position, fondée sur l'efficacité de son
propre contrôle.
Le Conseil constitutionnel veille au « fonction-
nement normal des pouvoirs publics ». Il lui revient,
d'une certaine manière, de s'assurer de l'harmoni-
sation des jurisprudences en matière électorale. Si
d'autres juridictions prononcent systématiquement
l'irrecevabilité de requêtes en matière préélectorale,
leur attitude risque de compromettre gravement l'effi-
cacité du contrôle de l'élection, elle vicie le déroule-
ment de l'élection des députés ou des sénateurs, elle
porte atteinte au fonctionnement normal des pou-
voirs publics. Le Conseil constitutionnel contribue,
dans ces conditions, à remettre l'urne «au milieu du
village ».

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2020 à julio cham
Sur l'ensemble de la question, Jean-Pierre Camby,
Le Conseil constitutionnel, juge électoral, Paris, Sirey,
1996, coll. « Droit public ».

C) Les conditions de la campagne. — Le Tribunal


constitutionnel portugais accepte de connaître du
recours intenté par un parti politique contre la déci-
sion de la Commission nationale des élections répartis-
sant le temps d'antenne à la radio entre les différents
partis politiques. Il considère qu'il s'agit là d'un acte
préparatoire à l'élection et que sa compétence conten-
tieuse en matière électorale l'autorise à en vérifier la
validité (Arrêt n° 165-85 du 24 septembre 1985, Diario
da Republica, 10 octobre 1985, 2 série, p. 9430).
De manière plus générale, le tribunal constitutionnel
portugais joue un rôle essentiel dans le contentieux
préélectoral. Les partis politiques qui souhaitent pré-
senter des listes communes (coligaças) aux suffrages
des électeurs doivent, par exemple, en faire la demande
au Tribunal en mentionnant leurs dénominations,
sigles et symboles. Il revient au Tribunal de se pronon-
cer sur la légalité de telles appellations et sur les ris-
ques de confusion avec celles de partis existants. Ses
décisions peuvent faire l'objet d'un recours devant le
même Tribunal, siégeant en formation plénière.
De même, les décisions du juge électoral - qui se pro-
nonce sur la régularité formelle des candidatures, sur
l'éligibilité des candidats ou sur l'authenticité des docu-
ments fournis – peuvent faire l'objet de recours devant le
Tribunal constitutionnel. Celui-ci statue définitivement,
dans les 48 heures, en séance plénière. Le jour même, elle
communique sa décision - par télégraphe - au juge
concerné (loi électorale du 16 mai 1979, art. 32 et 35).
Comme le souligne L. Nunes de Almeida (Constitu-
tion et élections, Annuaire international de justice consti-
tutionnelle, 1996, p. 409), le droit portugais applique en
ce domaine la théorie de la cascade. Elle veut que le pro-
cessus électoral se déroule en plusieurs phases. L'origi-
nalité du système veut que - comme dans le sas d'un
sous-marin - une phase ne puisse être ouverte, puis
close, avant qu'une autre phase ne soit terminée. Pour
qu'une phase soit close, il faut que le processus adminis-
tratif se soit déroulé correctement ou - si ce n'est pas le
cas - qu'une décision juridictionnelle ayant autorité de
chose jugée soit intervenue. De cette manière, il n'est pas
possible de mettre en question a posteriori la validité
d'une phase antérieure du processus électoral.
Le Tribunal constitutionnel portugais tire une
conséquence immédiate de la théorie de la cascade. Il
estime qu'il lui revient de veiller au bon déroulement
de la cascade. Il empêche de ce fait tout autre juge d'in-
tervenir en ce domaine. Il considère que, puisqu'il lui
revient d'intervenir en dernière instance, il dispose éga-
lement du droit d'intervenir à toutes les phases du
contentieux électoral. De cette manière, le Tribunal
constitutionnel portugais absorbe - certains diront :
aspirent - l'ensemble du contentieux préélectoral.
« Ainsi le juge constitutionnel commence par
contrôler les décisions de la Commission nationale des
élections concernant l'attribution du nombre des sièges
à chaque circonscription, puis il connaît en appel des
décisions du juge ordinaire sur les candidatures, il
contrôle les décisions en matière de campagne électo-
rale (la distribution des salles de propagande, la distri-
bution et l'utilisation du temps d'antenne)... La com-
position des bureaux de vote, la forme des bulletins de
vote, les insignes qu'ils contiennent et même la qualité
de l'impression peuvent faire l'objet d'un contentieux
transmis au juge constitutionnel... La vie du juge cons-
titutionnel portugais est difficile en période électorale.
On ne dort pas pendant quinze jours... » (p. 410).

Nous sommes à la veille de l'élection. Des difficultés


sont apparues. La plupart d'entre elles ont été réglées
dans l'orbite des autorités politiques et administra-
tives. Quelques-unes ont fait l'objet de litiges en bonne
et due forme devant le juge judiciaire et administratif.
De manière exceptionnelle, le juge constitutionnel
connaît aussi d'actes préliminaires à l'élection.
Le règlement de ces questions controversées n'est pas
indifférent. Contrairement à une opinion répandue, le
contrôle exercé ne reste pas à la surface de l'opération
électorale. C'est le processus démocratique, dans quel-
ques-uns de ses aspects les plus essentiels, qui a déjà fait
l'objet de premiers examens.
D'autres difficultés, il faut le constater, n'ont pu être
résolues. Faute de temps, pour une bonne part. Faute
d'enquête qui permette d'établir un dossier consistant.
Faute d'un débat contradictoire. Le contentieux pré-
électoral a ses limites.
Ces difficultés ne seront pas perdues de vue. Elles
seront globalisées. Elles seront portées en compte du
contentieux qui s'ouvrira peut-être à l'issue du scrutin.
Bref, un premier tri a été fait. L'intention n'était
pas de vider le contentieux mais d'extirper les irrégu-
larités les plus manifestes. L'essentiel reste à venir. Le
scrutin peut s'ouvrir. D'autres contentieux sont près
de voir le jour.
Chapitre II

LE CONTENTIEUX POSTÉLECTORAL

Il faut maintenant se placer au soir de l'élection, à la


clôture du scrutin. L' « acte électoral collectif », selon
l'expression de Marcel Prélot, est accompli. Dès cet
instant, je suis élu (ou je suis battu).
Avec ces précisions, tout de même. Je suis élu... Cela
signifie plusieurs choses. Je suis élu virtuellement dès la
clôture du scrutin. Je suis élu matériellement dès que le
résultat est connu, c'est-à-dire dès l'achèvement des opé-
rations de recensement des votes. Je suis élu juridique-
ment au moment de la proclamation des résultats par
l'autorité publique que la loi électorale établit à cet effet.
On l'oublie trop souvent. L'élection n'est pas termi-
née avec le dépouillement - manuel ou automatisé –
des votes. Des opérations matérielles ont été accom-
plies. Restent à réaliser une série d'opérations juridi-
ques. Elles sont indispensables aux fins de permettre
aux élus d'entrer en fonctions.
Que faut-il faire ? Il faut prendre en compte la pro-
clamation officielle des résultats, il faut procéder à la
validation des élections, il faut assurer le règlement des
différends qui concernent l'application des lois et règle-
ments électoraux, il faut encore apporter une solution
aux problèmes d'incompatibilités (Les Parlements dans
le monde, p. 2).
L'entrée en fonctions, elle, sera retardée de quelques
jours ou de quelques semaines. Ce délai est notamment
mis à profit pour procéder aux vérifications indispen-
s a b l e s Mais la question réapparaît : qui va intervenir
en ce domaine ? Les autorités investies de la charge du
contentieux préélectoral vont-elles prolonger l'œuvre
entreprise? Sont-elles les mêmes que celles qui vont
assumer le contentieux postélectoral ?
Ce ne sont pas des réponses uniformes, loin de là,
qui sont apportées à cette question. Chacun s'accorde,
avec Pierre Pactet, pour considérer que les litiges aux-
quels donnent lieu les élections doivent être jugés en
toute indépendance.
Encore faut-il préciser quelle autorité se verra
confier la mission de statuer de manière indépen-
dante. Faut-il recourir systématiquement à un juge?
Convient-il de préconiser le recours à une autorité qui
dispose d'une indépendance organique? Suffit-il de se
référer à l'action d'une institution qui fera preuve
d'une indépendance fonctionnelle ? L'une et l'autre
forme d'indépendance - dans le statut et dans la mis-
s i o n - sont-elles requises pour exercer le contentieux
postélectoral ?
Contrôles parlementaires, contrôles juridiques parti-
culiers, contrôles juridiques ordinaires... Les différentes
solutions ont leurs adeptes. Parfois même les diffé-
rentes solutions coexistent. Ailleurs, elles se succèdent
dans le temps.
C'est le cas de la France. « Selon des traditions
remontant aux États généraux, toutes les Constitu-

1. On ne saurait, par ailleurs, ignorer que les contestations qui nais-


sent à l'issue des élections peuvent avoir plusieurs objets. Peut-être y a-t-il
violation des règles de fond relatives à l'élection ? Peut-être y a-t-il viola-
tion de règles de forme et de procédure ? Peut-être y a-t-il des fraudes, des
faits de corruption ou d'autres infractions pénales ? Peut-être faut-il seu-
lement constater l'inéligibilité des candidats ou celle des élus ? Peut-être
faut-il constater des abus de propagande en cours de campagne ?
2. F. Delpérée, La Constitution et les juges, Constitution et justice,
Presses de l'Université de Toulouse, 1996, p. 95 ; Id., Quelques propos
sur la justice et la politique, Journal des tribunaux, 1997, p. 69.
tions françaises, sauf celles de l'an VIII, de l'an X et de
l'an XII, ont reconnu aux Chambres le droit de vérifier
le pouvoir de leurs membres. Nettement distincte du
contentieux électoral, la vérification des pouvoirs com-
portait pour les assemblées un pouvoir souverain d'ap-
préciation... La Constitution de 1958 lui substitue le
régime du contentieux électoral en usage pour les élec-
tions administratives, le Conseil d'État étant remplacé
par le Conseil constitutionnel... Les auteurs de la
réforme n'ont pas caché leur intention d'unifier, au
moins dans son esprit, toute la jurisprudence électo-
rale » (M. Prélot)
Aujourd'hui, l'Europe paraît se partager entre
quatre ensembles
• Il y a, d'abord, l'Europe du Nord-Ouest qui est
attachée à la solution traditionnelle de la vérification

1. Pour mémoire, il faut rappeler que les membres d'une assemblée


type="BWD" à savoir le Bundesrat allemand, ne voient pas vérifis les
pouvoirs de leurs membres Ceux-ci sont nommés par le gouvernement
du Land concerné. Ils en sont, en quelque sorte, les délégués, Au
Royaume-Uni, pour les membres de la HouseofLords, le contrôle est éga-
lement sans objet. En Belgique, les enfants du roi sont sénateurs de droit,
Il n'y a pas lieu de procéder à la vérification de leurs pouvoirs. La même
situation prévaut, en Italie, pour les sénateurs à vie.
2. Les solutions sont multiples. Un élément supplémentaire de diver-
sité ne peut être perdu de vue. Dans chaque État, le contentieux postelec-
toral peut être appréhendé sous différentes facettes.
Pour ne prendre qu'un exemple, il n'est pas établi que le contentieux
du dépouillement doive être traité de la même manière que le contentieux
des inéligibilités et des incompatibilités. Il n'est pas requis que le conten-
tieux des délits électoraux subisse le même sort que le contentieux des
dépenses électorales. Et ainsi de suite.
Rien n'empêche un État de centraliser ces contentieux dans les mains
d'une même autorité - politique ou juridictionnelle Rien ne lui interdit
non plus de disperser ces contentieux entre des autorités différentes. Sans
oublier, comme on l'a déjà rappelé, que des solutions diversifiées peuvent
être instaurées, pour chacune de ces questions, aux différents niveaux de
pouvoir.
Envisagé à l'échelle de l'Europe, l'ensemble institutionnel peut
paraître singulièrement incohérent. Cette matière qui touche directement
aux droits politiques du citoyen mériterait de f a i r e objet d'un travail de
prof onde simplification, d'élémentaire rationalisation et, si possible, d'un
peu de clarification.
des pouvoirs et qui impose - au moins de manière
implicite - cette façon de faire à l'Union européenne.
S'il y a contentieux électoral, c'est de contentieux par-
lementaire qu'il s'agit. L'ensemble des contestations
qui surgissent à l'occasion du choix d'un parlementaire
sont portées devant l'assemblée elle-même. Elle va uti-
liser sa souveraineté toute fraîche pour trancher ces
premiers différends.
• Il y a, dans cette Europe du Nord-Ouest, l'excep-
tion britannique. Le Royaume-Uni adhère, d'abord, à
la formule de la vérification des pouvoirs. C'est même
elle qui l'inaugure. Mais elle y renonce très tôt.
Comme dans d'autres matières, le droit électoral appa-
raît aujourd'hui comme de droit commun. Le juge est
donc le juge ordinaire. S'il y a contentieux électoral,
c'est de contentieux judiciaire qu'il s'agit.
• Il y a aussi l'Europe médiane, fortement arc-bou-
tée sur le pilier franco-allemand et prolongée par l'Au-
triche. Elle a connu les méthodes de la vérification des
pouvoirs. Elle en a aussi mesuré les dérives. Elle est
attachée, à divers titres, à la justice constitutionnelle.
Elle fait donc du contentieux électoral une branche du
contentieux constitutionnel.
Cette transition ne s'est pas fait sans mal. Le juge
constitutionnel a dû adapter ses méthodes et ses procé-
dures à cette nouvelle variété contentieuse. Il a dû éga-
lement, comme en Allemagne, composer avec la repré-
sentation parlementaire, puisqu'il n'intervient qu'en
cas de recours contre les décisions du Bundestag. Dans
ce cas, le contentieux électoral peut paraître mi-parle-
mentaire, mi-constitutionnel.
• Il y a, enfin, l'Europe méridionale. Elle n'a pas
véritablement choisi son camp. L'Italie opte pour un
contentieux parlementaire de type nordique. La Grèce
choisit à sa manière la voie du contentieux constitu-
tionnel. L'Espagne et le Portugal semblent opter pour
un contentieux judiciaire de type britannique. Mais, à
la vérité, l'Espagne préserve le recours indirect d'am-
paro auprès du Tribunal constitutionnel. Quant au
Portugal, il instaure un recours direct auprès du Tri-
bunal constitutionnel dans les matières du contentieux
électoral.
• Il ne faut pas perdre de vue le contentieux européen.
Les organes de Strasbourg ne sont pas en mesure d'inva-
lider tout ou partie d'une élection qui s'est déroulée dans
l'un des États membres du Conseil de l'Europe. Ils ren-
voient ce problème aux autorités nationales qui - avec le
système contentieux qui est le leur - régleront le litige.
Ils peuvent néanmoins se prononcer sur la conformité
des procédures mises en œuvre par rapport aux disposi-
tions de la Convention européenne des droits de
l'homme. Ils peuvent également se saisir, au Parlement
de Strasbourg, de quelques questions qui touchent à la
vérification des pouvoirs.

I. — Le contentieux parlementaire

Qui, mieux qu'une assemblée politique, peut exercer


le contrôle sur la manière dont ses membres ont été
élus? Des élus contrôlent les élus. Ou, plus précisé-
ment, les élus contrôlent la régularité des élections qui
ont contribué à choisir les élus.
Cette forme d'autocontrôle, sinon d'autocritique,
constitue l'une des opérations les plus délicates qui
puisse être menée dans un système représentatif. Elle
tend à assurer que la composition du Parlement cor-
responde à la volonté réelle que le corps électoral a
manifestée. Il s'agit moins d'un contrôle de régula-
rité que d'un contrôle de validité, et même de vérité.
Mais l'assemblée sera-t-elle toujours à la hauteur de
la tâche ?
La vérification des pouvoirs est le fruit d'une tradi-
tion multicentenaire. Celle-ci a été consacrée dans les
Constitutions libérales du XIX siècle. Elle reste pré-
sente dans les Constitutions contemporaines. Et cela
malgré les difficultés politiques et techniques que l'opé-
ration ne peut manquer de susciter.

1. La tradition parlementaire. — La vérification des


pouvoirs des membres de l'assemblée par l'assemblée
elle-même est considérée, depuis longtemps, comme
l'une de ses attributions normales, en quelque sorte
naturelles. L'assemblée exerce cette compétence ex offi-
cio. Même sans texte. Même sans recours.
Eugène Pierre justifie, dans son célèbre Traité de droit
politique électoral et parlementaire, l'utilisation d'une
telle procédure : « Une assemblée n'existe et ne peut déli-
bérer que lorsqu'il a été constaté que chacun de ses
membres est muni d'un mandat régulier, inattaquable. »
Et d'expliquer : « L'addition des bulletins dépouillés
dans chaque section, le recensement général des votes,
la proclamation des résultats du scrutin sont des opé-
rations successives qui donnent à un candidat la pré-
somption qu'il est élu. Elles ne suffisent pas à lui
acquérir un mandat valable et définitif. Au-dessus des
bureaux chargés de compter les bulletins et des com-
missions chargées de réunir tous les résultats partiels, il
faut une autorité investie du droit de dire si la cons-
cience des électeurs et les prescriptions de la loi ont été
complètement respectées. Ce droit, les assemblées poli-
tiques le revendiquent pour elles seules. »
L'analyse enthousiaste et convaincue d'Eugène
Pierre s'inscrit dans la tradition institutionnelle qui a
prévalu en Europe depuis des décennies, pour ne pas
dire des siècles. Cette tradition est tout à la fois
anglaise et française. Depuis lors, elle s'est généralisée,
et pas seulement à l'échelle européenne.

A) Une tradition anglaise. — La pratique de la véri-


fication des pouvoirs s'inscrit dans l'Angleterre du
XVII siècle. Elle est, à l'origine, l'œuvre du roi. Elle
devient, par la suite, l'une des prérogatives essentielles
de la Chambre des communes.
Originellement, la vérification des pouvoirs au
Royaume-Uni est l'œuvre du roi et de son Conseil
privé. Les Communes ont très vite revendiqué le droit
d'exercer cette prérogative. Le conflit apparaît spécia-
lement sous Jacques I Dès 1604, les Communes se
voient reconnaître le droit de statuer en matière électo-
rale. Le Parliamentary Election (Returns) Act de 1695
consacre formellement cette prérogative.
Force est de constater, cependant, que la vérification
parlementaire est éminemment politique. En 1741, par
exemple, le Premier ministre Walpole n'hésite pas à
poser la question de confiance à propos de la discus-
sion d'une élection. En d'autres termes : « Ou vous
acceptez mon candidat et je reste ou vous le refusez et
je m'en vais. » Il chute à cette occasion... La procédure
de vérification des pouvoirs s'inscrit alors parmi les
opérations de contrôle politique.
En 1770, la Chambre des communes modalise
quelque peu le droit qui est le sien. Elle crée en son
sein une commission spéciale - dont les membres sont
tirés au sort. Elle lui confie le soin de délibérer, sans
recours, sur les questions électorales disputées.
Il n'est pas inutile de préciser dès maintenant que la
Chambre des communes renonce à cette prérogative
dans la seconde moitié du XIX siècle.

B) Une tradition française. — La pratique remonte


aussi à la France de l'Ancien Régime. Dans son ouvrage
sur Le contentieux des élections aux assemblées politiques
françaises, Loïc Philip rappelle que cette vérification
provient de l'usage qu'avaient introduit les États géné-
raux de vérifier les mandats de leurs membres. La vérifi-
cation était exercée séparément par chacun des États.
Certes, le roi de France - au même titre que le roi
d'Angleterre - rappelait toujours, avec plus ou moins

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de fermeté, qu'il s'agissait là d'une prérogative qui lui
revenait en propre. Mais, dans la plupart des cas, il se
bornait à souscrire aux résultats de la vérification qui
avait été opérée.
La vérification des pouvoirs s'affirme plus nette-
ment en 1789. Dès le 17 juin, le Tiers État s'érige en
Assemblée nationale. Le 19, il arrête deux règles
essentielles de contentieux électoral. D'une part, les
pouvoirs contestés seront soumis à l'examen d'une
« commission de vérification et de contentieux » ;
d'autre part, cette commission fera des propositions à
l'Assemblée qui se réserve le droit de statuer sans
recours.
Le 27 juin, la noblesse et le clergé rejoignent le Tiers
État. Leur ralliement à l'Assemblée nationale signifie
leur adhésion implicite au mode de vérification des
pouvoirs, tel qu'il a été établi douze jours plus tôt.
Avec cette précision essentielle : désormais la vérifica-
tion ne se fera plus par ordre mais par l'assemblée
commune.
L'article 5 de la Constitution française du 3 sep-
tembre 1791 consacre cette façon de faire. « Les assem-
blées électorales ont le droit de vérifier la qualité et les
pouvoirs de ceux qui s'y présenteront et leurs déci-
sions seront exécutées provisoirement...» «L'Assem-
blée législative (juge de ces questions) lors de la vérifi-
cation des pouvoirs des députés. » En d'autres termes,
le contentieux préélectoral est confié aux assemblées
électorales, le contentieux postélectoral est attribué à
l'Assemblée elle-même.
Il n'y a pas lieu de s'interroger sur les différences
de formulation des textes constitutionnels qui ont été
adoptés après 1791. Il suffit de constater que toutes
les Constitutions ultérieures, à l'exception de celle
de 1958, énoncent le même principe. A un point tel
que Pierre Cot peut déclarer sans se tromper que
« la validation par l'assemblée est un principe tradi-
tionnel de droit républicain ». En tout cas jusqu'à la
V République.
• Constitution du 5 Fructidor an III, art. 23 : «... le
corps législatif se prononce seul sur la validité des opé-
rations des assemblées primaires. »
• Loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 sur les rap-
ports des pouvoirs publics, art. 10: «Chacune des
chambres est juge de l'éligibilité de ses membres et de
la régularité de leur élection ; elle peut, seule, recevoir
leur démission. »
• Constitution du 27 octobre 1946, art. 8 : « Chacune
des deux chambres est juge de l'éligibilité de ses mem-
bres et de la régularité de leur élection ; elle peut seule
recevoir leur démission. »

C) Une tradition généralisée. — Tradition britan-


nique et française... Et, pourquoi pas?, tradition
répandue à travers le monde. En Amérique du
Nord, par exemple, la vérification des pouvoirs a
droit de cité.
C'est la règle inscrite dans la Constitution des États-
Unis d'Amérique. A l'article 1 section V, la première
clause prévoit que «chaque chambre sera juge de
l'élection de ses membres, du nombre de voix qu'ils
ont obtenues et de leur éligibilité ».
La situation est différente au Canada, comme le
précise G.-A. Beaudoin dans La Charte canadienne
des droits et libertés. Dans l'affaire Bélanger c/ Com-
mission de révision du comté de Sauvé (1973), CS 814,
p. 820, le juge en chef Deschênes rappelle que «de
temps immémorial dans le régime parlementaire bri-
tannique, et au début du régime parlementaire cana-
dien, le Parlement s'était jalousement réservé le
contrôle de sa propre procédure et de son mécanisme
électoral ». Depuis lors, le Parlement canadien a délé-
gué une partie de ses pouvoirs aux cours et aux tribu-
naux. Il interprète de manière libérale les pouvoirs
qu'il conserve (Temple c/ Bulmer (1943), RCS 265, cité
par G.-A. Beaudoin).

2. La tradition constitutionnelle. — La tradition


venue d'Angleterre et de France est très tôt inscrite
dans les Constitutions européennes. Certaines d'entre
elles sont encore en vigueur. C'est le cas de la Belgique,
du Danemark, de l'Italie, du Luxembourg, des Pays-
Bas et de la Suède. Six États sur quinze...
On observe aussitôt que le clivage «vérification ou
non des pouvoirs » n'est pas à mettre en relation avec
un autre clivage «justice constitutionnelle ou non ». Le
Royaume-Uni ne connaît pas la justice constitution-
nelle mais ne pratique pas, ou ne pratique plus, la véri-
fication des pouvoirs. La Belgique et l'Italie ont un
juge constitutionnel mais ne lui confient pas le règle-
ment des questions de contentieux électoral. Le
Luxembourg se trouve dans la même situation.

A) Les Constitutions européennes. — En Belgique,


l'article 48 de la Constitution précise que « chaque
Chambre vérifie les pouvoirs de ses membres et juge les
contestations qui s'élèvent à ce sujet ». Le mot « juger »
qu'utilise la Constitution, depuis 1831, est significatif.
Le contentieux parlementaire qui se développe dans
ces conditions présente un caractère juridictionnel
accentué (document 2).
L'utilisation, jusque dans le texte constitutionnel,
du terme de «juger» indique la nature de la fonction
à remplir. L'expression peut surprendre. Une autre
disposition, l'article 145 de la Constitution, n'établit-
elle pas que toutes « les contestations qui ont pour
objet des droits politiques sont du ressort des cours
et tribunaux»? L'article 48 entend manifestement
déroger à cette règle. Le contentieux postélectoral est
confié par la Constitution même à chacune des
Chambres législatives. Chacune d'elles doit trancher,
d a n s le r e s p e c t d e la C o n s t i t u t i o n et d e la loi - s a n s
o u b l i e r les p r e s c r i p t i o n s d e p r o c é d u r e i n s c r i t e s d a n s le
r è g l e m e n t d ' a s s e m b l é e - , les c o n t e s t a t i o n s q u i lui s o n t
soumises

Document 2. — Extraits du Règlement du Sénat de


Belgique du 7 avril 1995

1. - A l'ouverture de la session, et jusqu'à la constitution du


bureau définitif, le membre qui, comme sénateur sortant, remplit
depuis le plus longtemps un mandat parlementaire remplit les fonc-
tions de président. A ancienneté égale, la préférence est donnée au
plus âgé.
2.- Lors de tout renouvellement du Sénat et jusqu'à la nomina-
tion du bureau définitif les sept membres les plus âgés élus par le
corps électoral sont appelés à former la commission de vérification
des pouvoirs.
3.- Les pièces justificatives des élections ainsi que les protesta-
tions et oppositions auxquelles les élections auraient donné lieu
sont remises à la commission. qui désigne un ou plusieurs de ses
membres pour faire rapport au Sénat.
Les réclamations émanant d'autres personnes que des sénateurs
doivent parvenir au Sénat au plus tard la veille de la vérification
des pouvoirs. Si elles sont basées sur des faits constatés par des
documents. ceux-ci y sont joints.
Le Sénat prononce sur la validité des élections, et le président
proclame sénateurs et sénateurs suppléants ceux dont les pouvoirs
ont été déclarés valides.
(...)
6. - Après la constitution du bureau définitif, en cas d'élection
partielle ou de remplacement d'un sénateur, la vérification des pou-
voirs est assurée par le bureau, conformément aux dispositions de
l'article 3. Le bureau désigne un de ses membres pour faire rapport
à l'assemblée.
7.- Avant d'entrer en fonctions, les membres du Sénat sont tenus
de prêter serment en séance publique.
Les sénateurs proclamés élus qui n' ont pas encore prêté serment
ne peuvent prendre part ni aux délibérations ni aux votes, sauf
en ce qui concerne la validation des élections et la vérification des
pouvoirs.

1. La même règle est d'application dans les assemblées communau-


taires et régionales.
Au Danemark, « le Folketing décide lui-même de la
validité des élections de ses membres, ainsi que de la
question de savoir si un membre a perdu son éligibi-
lité ». L'article 33 de la Constitution danoise entend
régler une question particulière. Celle d'un contentieux
électoral différé dans le temps. Si un membre du Folke-
ting - qui possédait les conditions d'éligibilité au jour
de l'élection - vient à les perdre en cours de mandat, il
revient, en bonne logique, à l'assemblée de statuer à
nouveau sur son cas.
En Italie, l'article 66 de la Constitution établit cette
règle : « Chaque Chambre juge des titres d'admission de
ses membres... » Il indique d'emblée l'objet de la vérifica-
tion des pouvoirs. Il s'agit d'admettre - le terme est
important - un parlementaire qui vient d'être élu à siéger
sur les bancs de l'assemblée et à y exercer ses fonctions.
C'est une manière d'indiquer que, lorsque les
bureaux électoraux proclament les résultats de l'élec-
tion, le parlementaire élu n'est pas encore investi de sa
charge. L'élection est assortie, en pratique, d'une
condition résolutoire. Selon la vigoureuse expression
de Mortati, toute élection est suspecte. La procédure
d'admission se donne un objet particulier. Elle entend
lever les suspicions qui pèsent, de manière méthodique,
sur le choix des élus.
Selon M. L. Honorati, l'assemblée remplit ici une
fonction substantiellement juridictionnelle. A. Pizzo-
russo rappelle à ce propos la règle inscrite dans l'ar-
ticle 113 de la Constitution. Selon cette disposition - qui
ressemble, comme l'a montré Jean-Claude Escarras, à
l'article 145 de la Constitution belge -, les organes de la
juridiction ordinaire ou administrative connaissent de
tout recours contre les actes des autorités publiques.
Mais, ici aussi, l'article 66 de la Constitution déroge à
l'article 113.
La Constitution italienne a un mérite. Elle indique
d'emblée le double objet de la vérification des pou-
voirs. Celle-ci concerne soit la régularité des opéra-
tions électorales, soit l'existence d'une cause d'inéligi-
bilité ou d'incompatibilité dans le chef d'un élu. La
distinction a des conséquences pratiques importantes.
Le premier contrôle peut conduire, en effet, à une
modification de la proclamation des élus. La seconde à
l'annulation des élections ou l'assignation faite à l'élu
d'avoir à choisir, dans un délai déterminé, entre deux
fonctions incompatibles.
Cette distinction élémentaire ne gagnerait-elle pas
à être mieux pratiquée dans d'autres systèmes consti-
tutionnels ?
Au Luxembourg, l'article 57 de la Constitution est
copié sur l'article 48 de la Constitution belge. « L a
Chambre vérifie les pouvoirs de ses membres et juge les
contestations qui s'élèvent à ce sujet. »
Selon le règlement d'ordre intérieur de la Chambre
des députés, « la Chambre est juge de l'éligibilité de ses
membres et de la régularité de leur élection. A cet effet,
les procès-verbaux d'élections sont, avec les pièces jus-
tificatives, transmis à une commission de sept membres
que le bureau désigne par la voie du sort pour vérifier
les pouvoirs. La commission nomme un ou plusieurs
rapporteurs chargés de présenter à la Chambre le tra-
vail de la commission.... La Chambre se prononce sur
les conclusions de la commission et le président pro-
clame députés ceux dont les pouvoirs ont été déclarés
valides ». Les députés prêtent ensuite, conformément à
l'article 57 de la Constitution, le serment suivant : « Je
jure fidélité au Grand-Duc, obéissance à la Constitu-
tion et aux lois de l'État» (art. 3, al. 1 à 3, 5 et 6).
Le Conseil d'État luxembourgeois ne manque pas
de souligner le caractère exclusif de la compétence qui
est ainsi reconnue à la Chambre des députés. En clair,
il décline sa propre compétence. Dès 1911, il refuse de
connaître de la validité d'un acte administratif ayant
trait à l'élection. « La Chambre seule est chargée de la
vérification de ses membres. Elle se prononce seule sur
la validité des opérations électorales. Le juge de l'élec-
tion est également le juge de la validité des actes admi-
nistratifs qui ont précédé l'élection, à l'exclusion du
Conseil d'Etat... »
Aux Pays-Bas, la Constitution est encore plus expli-
cite : « Chaque Chambre vérifie les pouvoirs de ses
membres nouvellement nommés et juge, en se confor-
mant aux règles à fixer par la loi, les contestations qui
s'élèvent au sujet de ces pouvoirs ou de l'élection elle-
même » (art. 58).
En 1887, il a été suggéré de confier ce contentieux au
Hoge Raad (Cour de cassation) ou au Conseil d'État.
Selon la doctrine néerlandaise, on ne comprendrait pas,
cependant, que l'assemblée - qui doit statuer sur les
questions d'intérêt public les plus importantes pour la
vie de l'État - ne soit pas en mesure de décider de sa
propre composition. Mais, à vrai dire, les appréciations
de haute opportunité peuvent-elles se comparer à des
jugements de stricte constitutionnalité ? Et revient-il aux
parlementaires d'être en ce domaine juges et parties ?
Une précision importante est apportée, en 1983, au
texte néerlandais. L'assemblée ne peut exercer ses com-
pétences de manière discrétionnaire. Elle doit respec-
ter, en l'espèce, les règles déterminées par la loi. Elle ne
saurait, en particulier, prendre en considération des
éléments tenant à la personnalité du parlementaire élu,
ni a fortiori à ses opinions politiques.

B) Le traité sur l'Union européenne. — Au Parle-


ment européen, la technique de vérification des pou-
voirs est également la règle. L'acte du 20 sep-
tembre 1976 portant élection des représentants à
l'assemblée au suffrage universel direct contient une
disposition essentielle : « L'assemblée vérifie les pou-
voirs des représentants. » Comment ne pas considérer
que les autorités communautaires se sont ainsi référées
à une tradition et à une pratique constitutionnelles
qu'elles considéraient comme bien établies dans les
Etats de la Communauté ?
La généralité des termes utilisés ne doit pas faire
illusion, cependant. L'acte de 1976 ne peut s'empêcher
d'apporter deux précisions à la règle énoncée.
• Pour vérifier les pouvoirs des élus, le Parlement
européen « prend acte des résultats proclamés officiel-
lement par les États membres ». Faute de procédure
électorale uniforme, il revient à chacun des États
européens d'organiser, selon ses propres règles, l'élec-
tion de ses représentants. Dans la foulée, chacun
d'eux va aussi établir les institutions qui connaîtront
du contentieux pré- et postélectoral. Il ne revient pas
au Parlement européen de s'immiscer dans de telles
vérifications.
Les spécificités nationales reprennent ici, une fois de
plus, le dessus. Il n'est pas dit d'ailleurs que les États
réservent aux parlementaires européens le même sort
qu'aux parlementaires nationaux. Une distinction sup-
plémentaire s'impose ici.
Plusieurs États confient le contentieux des opéra-
tions électorales à l'une des Chambres du Parlement.
En Belgique, la Chambre des représentants remplit
cet office.
Au Danemark, le Folketing tranche les problèmes
d'éligibilité, peut annuler les élections en tout ou en
partie et statue définitivement sur les résultats.
Au Luxembourg, le contentieux de l'élection relève
de la Chambre des députés.
Aux Pays-Bas, la deuxième Chambre examine si les
candidats élus au Parlement européen peuvent y siéger
au regard des dispositions nationales.
Deux États confient le même contentieux au juge de
droit commun.
En Irlande, il s'agit de la High Court et, pour un
éventuel pourvoi en cassation, de la Supreme Court.
Au Royaume-Uni, il s'agit de la High Court pour
l'Angleterre et le Pays de Galles, de la Court of Session
pour l'Écosse et de la High Court of Justice pour l'Uls-
ter. Un recours contre leurs décisions peut être formé
devant la Chambre des lords. En 1979, par exemple, il
apparaît que Miss Roberts qui est l'une des élues de la
circonscription de Londres est en même temps membre
du bureau des retraites professionnelles. Cette fonction
est incompatible avec celle de parlementaire - national
ou européen. C'est ce que constate le ministre de l'In-
térieur, avant même qu'une procédure juridictionnelle
ne soit engagée. La nullité de l'élection de Miss Ro-
berts est proclamée. Celle-ci démissionne ensuite de
son emploi au bureau des retraites professionnelles.
Une élection partielle est organisée. Miss Roberts la
remporte de haute main...
Deux États, la France et l' Italie, recourent au juge
administratif.
La loi française du 7 juillet 1977 confie à l'assem-
blée du contentieux du Conseil d'État le soin de se
prononcer sur les contestations relatives à l'élection
européenne.
Le Conseil d'État français s'est prononcé, notam-
ment en 1979, sur le problème des professions de foi
que 200 000 électeurs environ avaient utilisées comme
bulletin de vote. Il considère qu'il n'y a pas lieu d'avoir
égard, pour les élections européennes, à d'autres docu-
ments que les bulletins de vote. Il rectifie, en consé-
quence, le décompte des voix et surtout des sièges (en
retirant l'un d'eux à la liste de Mme Veil).
La loi italienne confie, pour sa part, les litiges rela-
tifs aux opérations électorales au tribunal administratif
régional du Latium, avec possibilité de recours devant
le Conseil d'État.
Un autre État, la République fédérale d'Allemagne,
fait appel au juge constitutionnel. Le Bundestag statue
sur la validité des résultats électoraux. Mais sa déci-
sion peut faire l'objet d'un recours devant la Cour
constitutionnelle fédérale de Karlsruhe.
• Deuxième restriction. Le Parlement européen
connaît des seules contestations qui seraient « éventuel-
lement soulevées sur la base des dispositions » de l'acte
de 1976. Si l'on sait que cet acte, au demeurant fort sque-
lettique, ne contient que des dispositions relatives aux
conditions de l'électorat et de l'éligibilité ainsi qu'au
régime des immunités et des incompatibilités, l'on
admettra aussitôt que le contrôle du Parlement euro-
péen est un contrôle restreint. Ce qui concerne les opéra-
tions électorales, la campagne électorale ou les opéra-
tions de dépouillement, par exemple, lui échappe.

C) Le droit interne et le droit communautaire. — Est-


ce à dire que tout le contentieux des droits politiques
revient de plein droit au Parlement européen ? La
situation juridique est plus complexe encore.
Le cas de Bernard Tapie a attiré l'attention sur la
répartition des tâches qui s'instaure entre les autorités
nationales et les autorités communautaires. Selon le
droit communautaire, si un siège doit être déclaré
vacant pour une raison qui tient à une législation natio-
nale, c'est l'État concerné qui en informe le Parlement
européen et c'est celui-ci qui en prend acte. La loi fran-
çaise du 7 juillet 1977 prévoit que l'inéligibilité qui sur-
vient en cours de mandat met fin à celui-ci. Le constat
doit être opéré par décret. Le rôle du Premier ministre se
borne à tirer les conséquences logiques de l'autorité de
la chose jugée. Comme l'a écrit Guy Carcassonne, « si la
décence lui interdit la précipitation, il y a tout lieu de
faire diligence ». En février 1997, Bernard Tapie renonce
de lui-même à son mandat de parlementaire européen. Il
fait, en effet, l'objet d'une peine d'emprisonnement.

3. Le sens de la tradition. — La précision de six


Constitutions européennes ne suffit pas à lever l'ambi-

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2020 à julio cham
guïté qui pèse sur le contentieux parlementaire. La
vérification des pouvoirs est l'œuvre d'une assemblée
politique. L'œuvre accomplie est-elle également poli-
tique ? Ou bien l'assemblée doit-elle exercer une fonc-
tion éminemment juridictionnelle, puisqu'il s'agit de
vérifier la régularité d'une élection particulière ?

A) Une fonction politique. — En 1879, Clemenceau


formule de manière claire la thèse politique. Il inter-
vient, à la tribune de la Chambre, à l'occasion de l'exa-
men de l'élection du révolutionnaire Auguste Blanqui,
qui était alors détenu.
Il s'écrie : « La Chambre n'est ni un jury, ni un tri-
bunal ; (elle est) la Chambre des députés, c'est-à-dire
un corps politique statuant sur un acte politique. » Ce
qui signifie que la décision de valider ou d'invalider
l'élection est, par nature, un acte politique.
Certes, la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875, pré-
cise, sans équivoque, que « chaque chambre est juge de
l'éligibilité de ses membres et de la régularité de leur élec-
tion ». Mais, selon Clemenceau, cette disposition n'a
d'autre signification que d'indiquer que la Chambre
peut statuer en matière électorale sans être liée par la loi.
Elle peut statuer discrétionnairement. L'interprétation
a pu paraître éminemment audacieuse. René Chapus l'a
souligné. Celui qui est juge est précisément dans l'obli-
gation de statuer sur la base du droit.
Les partisans de la thèse politique ne s'arrêtent pas en
si bon chemin. A leurs yeux, l'invalidation trouve sa jus-
tification non pas dans la loi, mais dans le sentiment
général de l'opinion. Celle-ci va punir l'indignité morale
de l'élu. Elle va sanctionner les effets d'une campagne
d'argent. Elle va réprimer des pressions manifestes. Elle
va se rebeller contre le matraquage électoral.
Avec cette conclusion. L'invalidation n'est pas fon-
dée lorsqu'elle fausse le résultat. Elle est justifiée lors-
qu'elle annihile un résultat obtenu en fraude. Voici
donc l'opinion publique appelée à la rescousse par ses
représentants...
La thèse politique a conduit à de singuliers dévoie-
ments. Ils sont bien connus. La Quatrième République
n'en a pas l'exclusivité. Elle s'est néanmoins illustrée
en ce domaine. En deux moments, au moins.
En 1951, l'Assemblée nationale adopte deux interpré-
tations différentes des règles qui permettent le calcul des
suffrages exprimés - l'une pour le département du Bas-
Rhin, l'autre pour celui de la Seine inférieure - selon que
les candidats de la majorité sont ou non en difficulté.
En 1956, la même Assemblée remplace d'autorité
onze élus poujadistes par un nombre identique de can-
didats de la majorité nationale.
Comme l'écrit Loïc Philip, ces manœuvres ont dis-
crédité à la fois leurs bénéficiaires et le système même
de la vérification parlementaire des pouvoirs. Mais on
l'a indiqué : les déviances de la procédure parlemen-
taire ne sont pas spécifiques à un seul régime politique.
Ni à un seul État.
En Belgique aussi, les Chambres ont usé avec une
très large liberté de la fonction qui leur était ainsi assi-
gnée (document 3). Alfred Giron, écrit : « Lorsqu'ils
vérifient les pouvoirs de leurs membres, (les parlemen-
taires) s'arrogent le droit de juger comme ils l'enten-
dent. » Il ajoute cette phrase surprenante : « Ils ne relè-
vent que de leur conscience dans l'exercice de leur
omnipotence. » Fondée sur de telles prémisses, l'opéra-
tion de vérification des pouvoirs a pu prendre quelque
liberté avec l'exercice de la fonction juridictionnelle.

Document 3. — P. Wigny, Droit constitutionnel. Prin-


cipes et droit positif, Bruxelles, Bruylant, 1952, p. 506.
« Les Chambres vérifient la régularité des élections de leurs
membres tout comme elles prononcent la déchéance de ceux qui,
au cours de la législature, ne réunissent plus toutes les conditions
d'éligibilité.

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2020 à julio cham
« Pourquoi les Chambres jugent-elles elles-mêmes ? On a voulu
éviter qu'elles puissent être "épurées" par un autre organe de la
souveraineté.
« La raison avait quelque valeur autrefois. Des magistrats, nom-
més par l'exécutif, auraient peut-être été tentés de brimer l'opposi-
tion. Mais la justification n'est plus solide aujourd'hui. C'est pour-
quoi de nombreux théoriciens réclament l'instauration d'un
contrôle juridictionnel par une magistrature indépendante.
« Les Chambres qui viennent d'être élues à la suite d'une bataille
électorale parfois passionnée auront-elles suffisamment de sérénité
pour exercer pareil contrôle ? Ne faut-il pas craindre que la majo-
rité abuse de son pouvoir? C'est le Parlement lui-même qui serait
juge en sa propre cause.
« On est en droit de souligner aussi la bizarrerie de la procédure.
Lorsque la Chambre est totalement renouvelée par l'élection. des
membres apprécient mutuellement la régularité de leur titre, alors
que la validité de leur propre élection n 'a pas encore été établie. Il
y a là un véritable cercle vicieux.
« Une judicature indépendante des Chambres non seulement
serait plus impartiale, mais elle serait aussi mieux préparée pour
résoudre les difficiles questions de droit que peut poser l'élection. »

En Italie, le système ne fonctionne pas non plus


convenablement. Selon A. Pizzorusso, le caractère
juridictionnel de la décision qui devrait être prise à ce
moment est notamment contredit par l'absence de
motivation de la mesure.
Au Luxembourg, la pratique parlementaire connaît
également quelques déviations. Dans l'entre-deux-
guerres, la Chambre invalide l'élection d'un député
communiste, Zénon Bernard, au motif qu'il ne saurait
prêter serment à la Constitution dès lors que son parti
vise à renverser celle-ci. Trois ans plus tard, le vote de
la « loi muselière » prononce la dissolution du Parti
communiste (1937) mais - par la voie d'un référen-
dum - le peuple luxembourgeois se prononce contre
l'entrée en vigueur de pareille loi.

B) Une fonction juridictionnelle. — Maurice Hauriou


utilise, dans son traité de Droit constitutionnel et admi-
nistratif, une formule prophétique. Il écrit : « Un
moment viendra peut-être où l'on organisera des juri-
dictions ayant une portée constitutionnelle. Ce jour-là,
le système de la vérification des pouvoirs aura vécu
car, au point de vue du droit, il est inférieur à celui du
contentieux ; il permet à la majorité d'abuser de sa
force au détriment de la minorité. »'
Cinquante ans à l'avance, Hauriou imagine qu'une
juridiction constitutionnelle pourra connaître du
contentieux postélectoral... Et, en attendant, que doit
faire l'assemblée parlementaire ? Hauriou cesse de
rêver. Il écrit avec un peu de sévérité : « Les chambres
ont le devoir de se considérer comme un véritable tri-
bunal, d'assimiler autant que possible leur vérifica-
tion des pouvoirs à un contentieux et, bien qu'elles
soient souveraines, de se conformer aux règles de
droit. »

Comment ne pas reconnaître, cependant, que, ici


comme ailleurs, la mise en œuvre d'attributions juri-
dictionnelles par une assemblée parlementaire ne va
pas sans soulever des difficultés politiques et techni-
ques considérables? Trois problèmes ne peuvent être
perdus de vue.
• Qui est juge ? La situation ne manque pas d'être
paradoxale. A la première séance qui suit les élections
générales, aucun parlementaire n'a encore pu être véri-
fié. Ce sont donc des individus sans pouvoirs reconnus
qui vont se prononcer sur les pouvoirs d'autres indivi-
dus tout aussi peu reconnus. A charge de revanche,
sans doute. Il y a là un cercle vicieux, comme l'écrivait
Pierre Wigny, à première vue infranchissable.
On résout le problème en attribuant à chaque élec-
tion « une présomption de validité ». Chacun est censé
valablement et régulièrement élu jusqu'à preuve du
contraire - la Convention nationale parlait de « présu-

1 Droit constitutionnel et administratif, p. 192, n. 5.


2 Ibid.
més députés». Chaque membre dont l'élection n'est
pas contestée prend part à l'opération de vérification.
Selon une technique bien connue qu'organisent les
règlements intérieurs, l'assemblée se partage en sec-
tions, commissions ou bureaux auxquels sont remis
les procès-verbaux de l'élection avec les pièces ou les
réclamations qui les accompagnent. Les membres des
bureaux, désignés le plus souvent par tirage au sort,
examinent chaque élection et entendent les personnes
qui peuvent leur donner des renseignements. Ils dési-
gnent parmi eux un rapporteur chargé d'exposer et
de motiver devant l'assemblée les résultats de leur
appréciation.
• Que doit juger l'assemblée ? Elle vérifie, comme
disent les textes constitutionnels, les pouvoirs de ses
membres - de tous ses membres. Elle s'en saisit ex
officio. Qu'il y ait ou non contestation. Mais com-
ment juger s'il n'y a pas de litige ? Les textes constitu-
tionnels le précisent aussi. L'assemblée connaît égale-
ment des contestations qui s'élèvent au sujet des
élections. Mais celles-là seulement ? L'assemblée ne
peut-elle censurer des irrégularités qui n'ont fait l'ob-
jet d'aucune contestation mais qui témoignent d'une
atteinte caractérisée à des règles d'ordre public ? Une
indécision règne quant à la détermination précise des
missions de l'assemblée.
• Comment doit juger l'assemblée ? L'on peut s'in-
terroger sur la qualification des parlementaires et des
assemblées pour résoudre des problèmes délicats qui
ont trait, par exemple, à des questions de nationalité,
de domicile, de capacité civile et politique. L'on peut
aussi se demander si l'exercice de la fonction de jus-
tice, même parlementaire, ne doit pas s'accompagner
de garanties procédurales, telles celles qui sont ins-
crites dans l'article 6 de la Convention européenne
des droits de l'homme. Pour ne prendre qu'un
exemple, n'y a-t-il pas lieu d'entendre à tout le moins
les personnes concernées ? Ne faut-il pas assurer
la publicité des audiences et des sentences ? Ne
convient-il pas de motiver en la forme les décisions
qui mettent un terme au contentieux électoral ? Ne
faut-il pas assurer des voies de recours contre les
décisions de justice parlementaire ?
De ces différents points de vue, le contentieux par-
lementaire - tel qu'il est mis en œuvre en Europe -
peut paraître rudimentaire. C'est le moins que l'on
puisse dire...

C) Une fonction mi-administrative, mi-juridiction-


nelle. — Que choisir ? La thèse de Clemenceau (et les
errements auxquels elle peut conduire)? Celle d'Hau-
riou (et les illogismes qu'elle peut emporter) ? Une troi-
sième voie mérite peut-être d'être esquissée. Elle tient
compte des textes constitutionnels et des réalités parle-
mentaires qui viennent d'être rappelés.
L'opération de vérification des pouvoirs peut,
comme le suggère expressément la Constitution néer-
landaise, se dédoubler, voire se détripler.
• Elle implique, d'une part, l'accomplissement d'un
ensemble de tâches administratives. L'assemblée joue le
rôle d'un bureau central électoral. Elle reçoit les procès-
verbaux, elle récapitule les résultats, elle en dégage les
conséquences prescrites par la loi, elle surveille - de ce
point de vue – les opérations accomplies par les bureaux
électoraux, elle corrige au besoin les appréciations et les
vérifications qui ont déjà été portées précédemment.
Le 8 juin 1995, le Sénat de Belgique ordonne un
recomptage des voix qui ont été exprimées, le 21 mai,
dans trois bureaux - l'un à Wervicq, deux à Turnhout.
A la suite de cette vérification, il attribue au parti libé-
ral l'un des sièges qui avait été primitivement octroyé à
un parti nationaliste flamand.
A ce moment, l'assemblée parlementaire remplit une
fonction administrative - mais est-elle toujours suffi-
samment équipée pour assumer cette tâche ? Elle est la
haute autorité électorale. Contre ses décisions, nul
recours ni administratif, ni juridictionnel ne saurait
être introduit.
• La vérification des pouvoirs requiert, d'autre part,
que l'assemblée statue sur les droits qui reviennent aux
électeurs et aux élus. Peut-être des juridictions ont-elles
déjà statué sur ce point, en première instance - dans le
cadre du contentieux préélectoral. Il n'est pas conce-
vable que ces décisions juridictionnelles rendues par des
autorités de justice soient réformées-et au nom de quels
critères ? - par une autorité investie d'une fonction poli-
tique. Mieux vaut considérer que la chambre concernée
se présente alors comme une juridiction de dernière ins-
tance. Il va de soi qu'elle doit, dès cet instant, statuer
selon les seuls critères de la validité juridique.
• Dans la foulée de cette fonction juridictionnelle,
l'assemblée s'interroge aussi sur les éléments de la cam-
pagne électorale qui ont pu fausser le comportement des
électeurs et donc le choix des élus. Le droit à des élec-
tions libres est peut-être, pour le citoyen, le premier des
droits politiques. Il convient que l'assemblée veille à le
sauvegarder. Évidemment, les contours de ce conten-
tieux paraîtront peut-être flous. Mais l'assemblée se
doit, dans l'exercice de sa fonction juridictionnelle, de
statuer sur un ensemble de difficultés qui sont apparues
dans le développement du processus électoral, voire
dans son environnement immédiat. Ici encore, elle agit
comme une juridiction. Elle utilisera donc les méthodes
qui sont normalement celles d'une telle institution.
La distinction qui est suggérée peut paraître pure-
ment théorique. Elle peut aussi avoir des incidences
pratiques.
Le contrôle administratif a sa logique. S'il porte sur
les opérations électorales il peut conduire à une rectifi-
cation des documents, à une modification des résultats
et, en conséquence, à une autre proclamation des élus.
Même si elles peuvent avoir des effets surprenants, telle
la substitution d'un élu à un autre, ces façons de faire
se justifient aisément. Une erreur administrative a été
commise. Elle est dénoncée à l'institution chargée de
collationner les résultats. Elle mérite d'être corrigée
sur-le-champ.
Le contrôle juridictionnel de la qualité des élus et du
déroulement des élections ne peut, lui, emporter les
mêmes effets. Par la force des choses, il risque d'avoir
des conséquences plus radicales. Il ne s'agit pas de corri-
ger des actes. Il s'agit de se prononcer sur des personnes.
Le contrôle juridictionnel peut avoir trois conséquences
directes. Soit l'annulation de l'élection contestée - qui
devra donc être recommencée dans des conditions régu-
lières. Soit l'injonction adressée à l'élu de choisir, dans
un délai déterminé, entre deux fonctions incompatibles.
Soit encore le remplacement de l'élu par son suppléant
ou par un autre candidat de sa liste.
Dans l'exercice d'une fonction proprement juridic-
tionnelle, l'autorité parlementaire dispose donc d'une
liberté plus grande d'appréciation. Elle est notamment
amenée à se prononcer sur la solution qui, compte tenu
des conditions de l'espèce, lui paraît la plus appropriée.
L'assemblée parlementaire qui est appelée à vérifier
les pouvoirs de ses membres ne gagnerait-elle pas à pré-
ciser si elle entend agir dans le cadre de sa mission admi-
nistrative ou si elle intervient dans l'exercice de sa mis-
sion juridictionnelle? Les parlementaires - et, au-delà
d'eux, l'opinion publique - comprendraient mieux, à
cette occasion, le sens de la mission qui est assumée.

I I — Le contentieux judiciaire

Le contentieux parlementaire - on vient de le mon-


trer - peut présenter des défauts structurels. Il s'expose
aussi à de singulières dérives. Dans ces conditions,
pourquoi ne pas changer résolument de cap ?
Pourquoi ne pas faire appel au juge pour trancher
le contentieux postélectoral ? La contestation porte,
pour l'essentiel, sur des problèmes de régularité juri-
dique - externe ou interne. Pourquoi ne pas la sou-
mettre à un tribunal dont la fonction naturelle est de
dire le droit ?
Plutôt que de chercher un juge spécialisé - qui
risque toujours d'avoir quelque accointance avec
le pouvoir -, pourquoi ne pas s'adresser au juge
judiciaire ?
Quelques États, comme le Royaume-Uni, s'enga-
gent résolument sur cette voie. Ils donnent au juge
judiciaire le monopole du contentieux postélectoral.
D'autres États adoptent une position plus nuancée. Ils
choisissent la voie parlementaire. Ou ils choisissent la
voie constitutionnelle. Ils n'ignorent pas pour autant
les interventions parallèles du juge judiciaire. Ils sont
attentifs, en particulier, à ses interventions en qualité
de juge répressif.

1. Le contrôle général du juge judiciaire. — Au


Royaume-Uni, on le sait, tout part de la vérification
des pouvoirs. Dès le XVIII siècle et au début du XIX la
Chambre des communes fait preuve, cependant, de
partialité dans l'exercice de cette fonction. D'une cer-
taine manière, elle avoue ainsi son incompétence. En
1868, elle vote le Parliamentary Election Act. Elle
renonce à statuer elle-même sur les questions de droit
électoral. Elle confie à un tribunal, composé de magis-
trats, le soin de connaître du contentieux postélectoral.
La question est actuellement réglée par le Represen-
tation of the people Act de 1949.

A) Le recours en justice. — A l'issue du scrutin, les


fonctionnaires qui sont chargés de contrôler l'élection
(on les appelle les Returning Officers) déclarent élu,
pour la circonscription considérée, le candidat qui a
obtenu le plus de voix. Ils communiquent ces résultats
aux Communes par l'intermédiaire du Clerk of the
Crown (le greffier de la Couronne).
Les agents des services électoraux sont qualifiés de
returning officers parce qu'ils retournent, c'est-à-dire
renvoient, aux Communes, les bulletins de vote en pré-
cisant si tel candidat a été élu ou battu.
L'élection intervenue est présumée régulière. Une
pétition électorale peut, cependant, mettre en mouve-
ment la procédure judiciaire. Toute personne inscrite
dans la circonscription, toute personne susceptible d'y
faire acte de candidature ou tout candidat peut agir en
ce sens. La pétition est, en réalité, une plainte qui men-
tionne des faits constitutifs d'irrégularité ou qui accuse
un candidat de ne pas répondre aux conditions pres-
crites d'éligibilité.
La plainte est introduite à la Queen 's Bench Division
de la Haute cour de justice. Elle y sera examinée par
un tribunal électoral (Election Court).
En 1979, la Court of Session écossaise se prononce,
par exemple, sur le temps d'antenne qui est réservé aux
partis politiques durant la campagne - non pas électo-
rale, cette fois - mais référendaire. Selon la Cour, les
règles d'impartialité et de proportionnalité qui doivent
présider aux rapports entre les formations durant la
période électorale n'ont pas été respectées en l'espèce
( Wilson v IVA, 1979, SC 351).

B) La décision de justice. — Deux juges sont dési-


gnés par leurs collègues pour procéder à l'instruction
du dossier. Les débats sont contradictoires. Des avo-
cats sont appelés à plaider.
La décision du tribunal peut déboucher sur une
invalidation, une validation ou encore une réformation
de l'élection. Cette décision est en principe définitive,
mais un appel peut être introduit devant la Cour
moyennant son autorisation. En cas de pratiques de
corruption ou de pratiques illégales, des condamna-
tions d'inéligibilité peuvent être prononcées ainsi que
des privations de droits politiques.

C) Le contrôle résiduel. — Dans ce système judi-


ciaire, la Chambre des communes conserve à titre sub-
sidiaire une certaine compétence électorale. Si aucune
contestation n'est soulevée dans le délai légal mais
qu'il existe des violations du droit, la Chambre statue
sur la régularité de l'élection. Elle se prononce égale-
ment sur les incapacités légales, y compris celles qui
surviendraient pendant la législature.
En Irlande, l'article 16, alinéa 7 de la Constitution
précise que « les élections des membres du Dail
Eireann, y compris les vacances qui pourraient se pro-
duire, seront réglées par une loi ultérieure». L'ar-
ticle 18, al. 9 précise, pour sa part, que les élections des
membres du Seanad Eireann seront réglées par la loi.
Cette loi est contenue dans les Electoral Acts de 1992.

2. Le contrôle répressif du juge judiciaire. — Le juge


judiciaire connaît, en sa qualité de juge répressif, des
crimes et délits électoraux.
«Aux différentes étapes de l'opération électorale,
les occasions de fraude sont nombreuses. Lorsque
celles-ci font peser un doute sur la sincérité des résul-
tats, elles trouvent leur sanction dans l'annulation ou
la réformation de l'élection. Mais il est évident que
les personnes responsables de tels comportements ne
peuvent rester impunies. Une répression pénale est
organisée parallèlement au contentieux de l'élection »
(J.-Cl. Masclet).
Dans son manuel de Droit constitutionnel et institu-
tions politiques, André Hauriou rappelle les pratiques
qui visent à déjouer la règle du secret du vote.
« De nombreuses fraudes étaient possibles :
« — écrire son bulletin en public permettait souvent
au voisin et même au président du bureau de regarder
le nom qu'inscrivait l'électeur ;
« — en tout cas, les bulletins distribués par le prési-
dent pouvaient ne pas être identiques et permettre, par
la suite, de reconnaître l'électeur ;
« — de même, le président qui prenait en main le
bulletin, pouvait, à l'occasion, l'entrouvrir, ne serait-ce
que sous le prétexte de le mieux fermer ;
« — d'autres fraudes plus pittoresques se faisaient
jour à l'occasion. Un arrêt du Conseil d'État rapporte
qu'un maire, lorsqu'il présidait le bureau de vote, avait
l'habitude de clouer sous la table un morceau de lard et
de s'y graisser les doigts avant de recevoir chaque bulle-
tin, de façon à le rendre transparent, pour y lire, ou, en
tout cas, y reconnaître le nom qui s'y trouvait inscrit... »
Certains législations - comme au Portugal - s'effor-
cent de définir avec précision et d'énumérer les diffé-
rents délits électoraux.
Encore faut-il, pour faire œuvre utile, que les incri-
minations soient larges. En ce domaine, l'imagination
des compétiteurs est débordante.
Un seul exemple. M. Mithridate est délégué par son
parti pour surveiller les opérations de dépouillement
des élections dans l'arrondissement de Mons (province
du Hainaut). Il place sous l'ongle d'un doigt une mine
de crayon rouge. Il appose ensuite sur un ensemble de
bulletins qui ne répondent pas à ses préférences politi-
ques un trait ou une marque. Ce qui suffit à rendre
nuls les bulletins maculés. Le fraudeur est pris en fla-
grant délit. Il sera poursuivi et condamné - par la cour
d'assises - pour délit politique.

A) Un contentieux autonome. — La compétence du


juge répressif pour sanctionner des infractions au Code
pénal, mais aussi à des lois particulières, ne souffre pas
de discussion. Elle est d'application fréquente à la suite
de bagarres, d'injures, d'affichages irréguliers.
La répression pénale - il faut le souligner - se dis-
tingue des autres formes de contrôle juridictionnel. Le
juge n'a pas à se demander si des contentieux ont été
engagés par ailleurs et quels sont les résultats de telles
procédures. Il apprécie les éléments rassemblés par
l'instruction. Le juge répressif n'a pas à se demander si
la fraude a eu des effets sur la dévolution des sièges. Il
est tenu par les faits dont il est saisi. S'il les qualifie
d'infractions, il devra infliger une sanction au délin-
quant - électeur, militant, candidat...
S'il advient que le délinquant a été élu entre-temps,
il reviendra néanmoins au juge répressif de respecter
les règles qui s'attachent à son nouveau statut, y
compris évidemment les dispositions relatives aux
immunités parlementaires.

B) Un contentieux parallèle. — Le juge du délit élec-


toral est-il le juge de l'élection ? Doit-il s'inspirer de
l'adage Fraus omnia corrumpit ? A supposer le délit éta-
bli, doit-il annuler purement et simplement l'élection ?
Ou convient-il de distinguer les interventions du juge ?
Le contentieux électoral doit-il être dissocié du conten-
tieux électoral répressif?
Deux hypothèses méritent d'être distinguées. Dans
un cas, le délit électoral qui a été commis - un fait de cor-
ruption, par exemple - fait peser un doute sur la sincé-
rité des résultats. Il trouve une sanction immédiate dans
l'annulation ou la réformation de l'élection. Il doit aussi
trouver dans le même moment une autre sanction. La
personne coupable ne peut rester impunie. Elle verra ses
agissements réprimés sur la base de la loi pénale.
Dans un autre cas, un délit électoral a été commis.
Mais il n'a guère d'incidence sur le comportement des
électeurs. Ceux-ci ne se sont pas laissés prendre au
piège. Peut-être même la ficelle était-elle à ce point
grosse qu'ils ont reporté leur suffrage sur d'autres can-
didats. Il n'y a pas de motif d'annuler l'élection. Par
contre, le coupable doit être châtié. En prévision
notamment d'autres élections, il y a lieu de montrer
que les délits électoraux, si minimes soient-ils, sont en
tout état de cause réprimés. L'action publique mérite
en l'espèce d'être engagée.

C) Un contentieux marginal. — On a tendance à


considérer que la fraude représente un phénomène res-
treint en matière électorale. Le contrôle l'est tout
autant. Le diagnostic est-il cependant fondé ?
• Les délits électoraux ne sont peut-être pas mon-
naie courante. Il est des cas, cependant, où ils prennent
de l'ampleur. Certaines infractions peuvent aller jus-
qu'à saper les fondements mêmes de l'organisation de
la société démocratique.
En juillet 1996, le Tribunal suprême espagnol cite à
comparaître les vingt-cinq membres du Bureau natio-
nal d'Herri Batasuna en les accusant de collaboration
avec une bande armée. Ce mouvement politique a, en
effet, diffusé, pendant la campagne électorale, une
vidéo de l'ETA dans laquelle trois hommes cagoulés
ont entrepris de faire l'apologie du terrorisme. Il a éga-
lement publié dans le journal Egin deux communiqués
qui justifient le meurtre de Fernando Mugica et de
Francisco Tomas y Valiente.
• La répression des délits électoraux peut s'avérer
particulièrement délicate. La preuve de la fraude peut
être difficile à rapporter.
Dans son ouvrage sur Le droit des élections politi-
ques, Jean-Claude Masclet fait un relevé des procédés
de fraude. Il est aisé de les recenser, moins de les déce-
ler sur le terrain. Manipulation du nombre des
votants, fraudes pendant ou à l'issue du scrutin - avec
la technique du bourrage des urnes -, fraudes lors du
dépouillement, falsification des procès-verbaux et des
listes d'émargement ou de pointage, entraves aux opé-
rations de dépouillement...
• En matière électorale comme en matière fiscale,
toute législation anti-fraude suscite des antidotes.
Le vote automatisé fournit une illustration de ce
phénomène. Il s'introduit aujourd'hui dans quelques
systèmes électoraux. Il a pour mérite de déjouer un
certain nombre de fraudes, liées à la manipulation et
au traitement de liasses de bulletins. Il simplifie la
rédaction des procès-verbaux. Il évite les fausses
manœuvres. Il empêche les votes nuls - mais pas les
votes blancs.
Le vote automatisé présente, cependant, quelques
complications techniques pour les électeurs qui ne sont
pas familiarisés avec l'usage des ordinateurs. Les partis
politiques ont compris le profit qu'ils pouvaient tirer
de cette situation. Ils ont envoyé dans les bureaux de
vote un ensemble de délégués qui offraient diligem-
ment leurs services aux électeurs les plus perturbés. La
liberté et le secret du vote ne sont peut-être pas à suffi-
sance préservés à cette occasion...

III. — Le contentieux constitutionnel

Un contentieux particulier peut requérir un juge


particulier. Peut-être aussi un juge unique - qui exer-
cera les mêmes responsabilités sur l'ensemble du terri-
toire national.
Nul ne nie le caractère spécifique du contentieux
électoral. Pourquoi ne pas lui donner un juge ad ho c ?
Pourquoi ne pas lui procurer un juge habitué à démê-
ler les problèmes d'organisation et de fonctionnement
des pouvoirs publics? Pourquoi ne pas lui fournir un
juge dont, en principe, la légitimité ne saurait être
contestée par les assemblées parlementaires, et donc
par les élus ? Pourquoi ne pas confier au juge constitu-
tionnel le contentieux de l'après-élection ?
Avant les élections, on l'a relevé, le juge constitu-
tionnel se montre particulièrement discret. Après les
élections retrouve-t-il sa superbe ? Montre-t-il en ce
domaine sa pleine efficacité ? Trouve-t-il, dans ce
domaine de plein contentieux, à se manifester de
manière aussi pertinente que dans le domaine du
contentieux objectif de constitutionnalité ?
L'on ne saurait perdre de vue que, dans les États qui
ne confient pas les tâches essentielles du contentieux
électoral au juge constitutionnel, celui-ci n'abdique pas
toute compétence en matière électorale. Il peut, par
exemple, s'interroger sur la constitutionnalité des lois
organiques en matière électorale.
La Cour d'arbitrage belge se prononce ainsi sur la
validité du régime général de présentation des candi-
dats. A l'occasion des élections européennes, elle consi-
dère qu'est discriminatoire l'obligation faite à un can-
didat de bénéficier d'appuis représentatifs dans des
provinces différentes.
Ailleurs, les textes mêmes qui organisent les modali-
tés de la consultation électorale peuvent faire l'objet de
recours, pour autant que de tels recours soient prévus
dans la législation nationale. S'il s'agit d'une loi, ce
peut l'être devant une instance constitutionnelle.
Autre chose est, cependant, le contrôle concret de
l'élection. Tel candidat est-il élu? Telle élection dans
telle circonscription est-elle valable ? Telle campagne
électorale s'est-elle déroulée dans des conditions de
régularité suffisantes ? S'il entend s'engager sur cette
voie, le juge constitutionnel doit sortir du domaine de
l'examen des normes qui est traditionnellement le sien
pour entrer résolument dans l'analyse des faits, des
comportements et - pourquoi ne pas l'ajouter? - des

1. Le contrôle par une juridiction constitutionnelle est important, sou-


ligne Dominique Rousseau, dans la mesure où la régularité et la sincérité
des élections politiques est une condition du maintien de la croyance en la
vertu du processus de désignation des représentants du peuple et, en
conséquence, de l'élection comme fondement démocratique de la légiti-
mité au sein de l'État.
réalités politiques. Cette démarche l'oblige manifeste-
ment à sortir des sentiers battus.
Quelques États européens s'ouvrent progressive-
ment à cette perspective. Ils le font de trois manières
au moins. Il y a la méthode française qui revient à
confier de manière directe et exclusive au juge constitu-
tionnel le contentieux postélectoral. Il y a la méthode
allemande qui conduit à attribuer ce même contentieux
au juge constitutionnel mais à le faire de manière indi-
recte, c'est-à-dire sur recours, et, si c'est le cas, de
manière exclusive. Il y a, enfin, la méthode espagnole
qui permet l'intervention du juge constitutionnel mais
qui ne l'organise que de manière indirecte et partielle.

1. Le contrôle direct et exclusif. — Trois États


européens pratiquent de la sorte : l'Autriche, la
France et la Grèce. Ils ont néanmoins recours à des
méthodes différentes.

A) L'Autriche. — La Cour constitutionnelle d'Au-


triche fait office de tribunal électoral. Parmi d'autres
tâches - au nombre desquelles le contrôle de constitu-
tionnalité des lois de la Fédération et des Länder
occupe une place importante -, elle assure le contrôle
des élections.
Comme le souligne Sylvie Peyrou-Pistouley, ce n'est
pas là sa fonction exclusive dans le domaine des élec-
tions et des votations. La Cour constitutionnelle
contrôle également les décisions par lesquelles les
déchéances de mandats sont prononcées. Elle assure
aussi le contrôle des résultats des initiatives populaires
et des référendums.
Comme le veut l'article 141 de la Constitution, «la
Cour constitutionnelle connaît a) ... des contestations
d'élections aux organes représentatifs généraux ». Elle
connaît aussi de la requête d'un organe représentatif
général visant à faire prononcer la déchéance d'un de
ses membres (art. 141, c). Elle connaît encore de la
contestation des décisions par lesquelles une autorité
administrative prononce la déchéance d'un mandat
dans un organe représentatif général (art. 141, e).
Elle s'interroge sur les irrégularités qui auraient pu
être commises et qui ont peut-être eu une incidence sur
les résultats du scrutin. Ce sont les partis compétiteurs
ainsi que les candidats qui, dans les quatre semaines de
l'élection, saisissent la Cour aux fins de faire procéder
à des analyses de régularité.
Selon la Cour, les prescriptions procédurales rela-
tives aux élections doivent faire l'objet d'une interpré-
tation stricte. L'annulation sera prononcée si l'irrégu-
larité dénoncée a pu avoir une influence sur le résultat
du vote. La preuve concrète que l'irrégularité a effecti-
vement influencé ce résultat n'est pas requise. Généra-
lement, elle ne pourra être procurée, faute d'indices
suffisants ou concluants.

B) La France. — La Constitution de la V Répu-


blique est claire. Selon l'article 59, « le Conseil consti-
tutionnel statue, en cas de contestation, sur la régula-
rité de l'élection des députés et des sénateurs ».
Au-delà d'une formulation simple, plusieurs pro-
blèmes d'interprétation surgissent. Quelle est l'étendue
de la compétence du Conseil constitutionnel? A pre-
mière vue, il s'agit d'une compétence générale. La loi
organique qui aménage ses pouvoirs est rédigée en ce
sens : le Conseil constitutionnel « examine et tranche
définitivement toutes les réclamations en matière élec-
torale ». Toutes les réclamations... Les attributions du
Conseil constitutionnel paraissent particulièrement
larges. Le contentieux postélectoral semble lui revenir
en monopole.
Le juge constitutionnel donne, cependant, de l'ar-
ticle 79 de la Constitution une interprétation restric-
tive. Il contribue de la sorte à limiter ses propres attri-
butions. L'on donne ici quelques exemples d'une juris-
prudence qui a pu paraître aux yeux de la doctrine
éminemment réservée.
• Le Conseil considère, d'abord, que sa compétence
postélectorale se limite aux seules élections terminées.
Ce qui peut sembler aller de soi. En clair, le Conseil ne
peut être saisi, durant la semaine de ballottage, d'irré-
gularités qui auraient été commises à l'occasion du
premier tour.
• Le Conseil constitutionnel estime, ensuite, qu'il ne
doit contrôler que les seules élections contestées. Il
n'est valablement saisi que s'il y a, au départ, un litige
qui porte sur l'élection d'un candidat déterminé.
C'est dans cet esprit que le juge constitutionnel se
déclare incompétent pour statuer sur les requêtes de
candidats auxquels le remboursement des frais électo-
raux est refusé, qui se bornent à critiquer les condi-
tions. dans lesquelles la campagne électorale s'est
déroulée ou qui se contentent de demander la rectifica-
tion des résultats dans un bureau de v o t e
En d'autres termes, il ne suffit pas de critiquer
un aspect ou l'autre de l'élection. Il faut, de ma-
nière plus radicale, contester l'élection du candi-
dat élu (R. Etien, Jurisprudence constitutionnelle.
Contentieux des élections législatives, Rev. adm.,
1993, p. 220).
• Le Conseil précise encore qu'il ne connaît que des
seules élections disputées ou, plus exactement, des
seules élections dont, au terme du scrutin, les résultats
restent incertains.
En d'autres termes, le contrôle de l'élection n'inter-
vient qu'à la condition expresse que le siège attribué

1. Comme le rappelle D. Turpin, le Conseil constitutionnel donne


ainsi une interprétation restrictive de ses compétences. Il s'en tient stricte-
ment aux textes. Depuis la décision Rebeuf du 12 décembre 1958, il refuse
de connaître de toute contestation autre que celle dirigée contre l'élection
d'un parlementaire (Rec., p. 87).
eût pu basculer si l'irrégularité qui est examinée n'avait
pas été commise.
L'observation peut paraître choquante. Le juge
constitutionnel est-il prêt à accepter de graves irrégula-
rités pour autant qu'elles n'aient pas porté à consé-
quence ? Préférera-t-il censurer des peccadilles dès
l'instant où le transfert de quelques voix a pu faire bas-
culer les résultats d'un scrutin, spécialement dans un
système majoritaire ? N'y a-t-il pas ici deux poids deux
mesures ?
Il faut le rappeler. Le Conseil constitutionnel ne se
donne pas pour mission de sanctionner la violation de
toute disposition du Code électoral. Il n'est pas juge
répressif. Il n'est pas non plus juge de l'excès de pou-
voir. Les limites de son intervention sont ainsi claire-
ment définies.
Les dispositions de l'ordonnance n° 58/1967 ne prê-
tent pas à équivoque. Le Conseil constitutionnel n'est
pas « le juge de la régularité du déroulement de l'élec-
tion ». Il est « uniquement le juge de la régularité de la
proclamation du parlementaire dont l'élection est
contestée » (Grandes décisions du Conseil constitution-
nel, 7 éd., p. 56).
• Le Conseil connaît encore du financement des
campagnes électorales. En lui attribuant cette mission
particulière, la législation relative à la limitation des
dépenses contribue à donner une ampleur nouvelle au
contentieux constitutionnel.
En vertu de l'article LO 136/1 du Code électoral, le
Conseil doit, en effet, être saisi par la Commission
nationale des comptes de campagne et des finance-
ments politiques. Soit que le compte de campagne n'a
pas été établi ou n'a pas été déposé dans les délais
prescrits, soit que ce compte ait été rejeté, soit encore
qu'il existe des dépassements de plafond.
Sont concernés par ces dispositions les candidats
proclamés élus comme les candidats non élus. Les per-
sonnes qui ont le droit de contester l'élection peuvent
également invoquer les moyens d'annulation fondés
sur l'article LO 128.
Dans ce cadre législatif nouveau, les irrégularités
sont sanctionnées pour elles-mêmes (Th. Renoux).

C) Grèce. — L'article 58 de la Constitution établit


cette règle : « La vérification et le contentieux des élec-
tions législatives, contre la validité desquelles ont été
formés des recours portant soit sur des infractions élec-
torales quant au déroulement, soit sur l'absence des
qualités requises par la loi, relèvent de la Cour spéciale
supérieure de l'article 100. »
La Cour spéciale supérieure a été saisie de recours
invoquant la non-conformité de la loi électorale à la
Constitution. Un contentieux abondant en est résulté.
Faut-il s'en étonner ? « Le législateur grec fait preuve
en général d'une imagination fertile quand il s'agit de
voter une nouvelle loi électorale. Et ceci arrive peut-
être trop souvent. Ainsi, pour huit élections législatives
générales depuis 1974, il y a eu cinq lois électorales dif-
férentes, instituant des systèmes électoraux qui s'éten-
dent de la proportionnelle la plus simple (c'était le sys-
tème des élections de 1989 et de 1990) à des variantes
multiples de la proportionnelle renforcée. Le système
des élections de 1993 (loi 1907/1990) fait partie de cette
dernière catégorie » (S. Koutsoubinas).
La Cour spéciale de justice a été saisie de recours
contre une telle loi. Elle a considéré que la Constitu-
tion n'impose pas au législateur un système précis de
dévolution des sièges. Le législateur a la faculté de
choisir le système qu'il considère, au vu de la conjonc-
ture politique du moment, le mieux adapté aux cir-
constances. Il convient, cependant, qu'un tel système
ne porte pas atteinte aux principes constitutionnels qui
établissent le suffrage universel, égal, direct et secret
(Const., art. 51, § 3).
A la différence du Conseil constitutionnel français, la
Cour grecque considère qu'il lui revient exclusivement
de statuer sur les décisions proclamant l'élection des
députés. Elle ne connaît pas des actes administratifs
qui ont été accomplis entre-temps. Leur annulation
relève normalement du Conseil d'État et des tribunaux
administratifs.
« Par la combinaison des articles 58 et 95 de la
Constitution..., il est déduit que la compétence d'annu-
lation de la Cour spéciale supérieure est limitée uni-
quement aux décisions illégales de proclamation des
députés et qu'elle ne s'étend pas aux actes illégaux de
l'administration, dont l'annulation relève, conformé-
ment à la Constitution, de la compétence du Conseil
d'État ou des tribunaux administratifs...
« La nécessité d'un contrôle effectif et complet du
processus électoral impose à la Cour l'obligation de
procéder incidemment à l'examen des actes adminis-
tratifs antérieurs qui influencent la validité de l'élection
en question, à condition qu'il n'y ait pas une limitation
de la chose jugée découlant d'une décision antérieure
d'un tribunal qui, conformément à la Constitution, est
principalement compétent pour juger de la validité de
ces actes » (arrêt 21/1994).
La Cour spéciale supérieure se réserve la faculté de
vérifier de manière incidente la constitutionnalité ou la
légalité d'un acte déterminé.
A l'occasion des élections de 1993, elle déclare, par
exemple, que le décret présidentiel de répartition des
sièges n'est pas conforme à la Constitution puisqu'il
n'a pas tenu compte des résultats d'un recensement
récent de la population.
Le contentieux électoral est organisé par la loi
n° 345/1976 et la législation électorale.

2. Le contrôle indirect. — Autre figure de style. Le


juge constitutionnel est associé aux opérations du
contentieux postélectoral. Il n'est cependant pas habi-
lité à en connaître en première instance. Le juge judi-
ciaire, comme au Portugal, ou le Bundestag, comme
en Allemagne fédérale, interviennent à ce niveau.

A) Le contrôle général. — L'article 116 de la Consti-


tution portugaise énonce les principes généraux du
droit électoral. Parmi ceux-ci figure le principe selon
lequel « le jugement de la régularité et de la validité des
actes de la procédure électorale appartient aux tribu-
n a u x » Mais, pour sa part, l'article 225 c, définit, en
termes généraux, la compétence du Tribunal constitu-
tionnel. Il précise - depuis 1989 - qu'il appartient à
cette haute juridiction « de juger en dernière instance la
régularité et la validité des actes de la procédure électo-
rale, conformément à la loi ».
Quant à l'article 120 de la loi électorale pour l'As-
semblée de la République, il précise - de manière para-
doxale, si l'on tient compte des prescriptions de la
Constitution - que l'assemblée «vérifie les pouvoirs
des candidats qui ont été proclamés élus ».
Comment concilier l'interprétation de dispositions
aussi contradictoires ? Le système retenu est-il celui
du contrôle constitutionnel ou du contrôle parlemen-
taire? Est-il celui d'un contrôle direct ou d'un
contrôle indirect? Au besoin, faut-il combiner ces
diverses éventualités ?
La solution est inscrite dans l'article 118 de la loi
électorale du 16 mai 1979, modifiée notamment par la
loi n° 14-1/85: le tribunal compétent est sans aucun

1. Comme le souligne L. Nunes de Almeida (Constitution et élections,


Annuaire international de justice constitutionnelle, 1996, p. 414), le
contrôle des tribunaux s'entend d'un contrôle qui peut être exercé par des
tribunaux judiciaires ou administratifs, mais aussi par un tribunal consti-
tutionnel : « On a considéré que le fait d'attribuer la compétence en der-
nière instance au Tribunal constitutionnel n'entraînait pas l'obligation
d'organiser une première instance. »
doute le Tribunal constitutionnel. Le contrôle indirect
que prescrivait la Constitution est devenu, par la
volonté de la loi, un contrôle direct.
« Les décisions qui interviennent sur les réclama-
tions ou les protestations relatives à des irrégularités
survenues lors du déroulement des votes ou à l'occa-
sion des opérations de vérification partielle ou générale
des élections... » font donc l'objet d'un recours devant
le Tribunal constitutionnel.
Les recours contre l'acte de proclamation et de publi-
cation des résultats sont introduits devant le Tribunal
constitutionnel qui rend sa décision dans les quarante-
huit heures et qui la communique aussitôt à la Commis-
sion nationale des élections et au gouverneur civil.
Quel sens donner, dans ce contexte, aux interven-
tions de l'Assemblée de la République? Il semble que
cette dernière se borne à entériner les élections qui sont
intervenues et à statuer, le cas échéant, sur les incom-
patibilités ou les déchéances.

B) Le contrôle partiel. — En République fédérale


d'Allemagne, la Cour constitutionnelle fédérale est
juge d'appel des décisions du Bundestag.
Dans l'histoire constitutionnelle allemande, trois
systèmes successifs de contrôle ont été expérimentés.
La Constitution de 1871 attribue une compétence
exclusive au Reichtag. Ainsi l'assemblée souveraine
décide seule de sa composition. Elle n'hésite pas à uti-
liser des critères politiques pour trancher les différends
qui s'élèvent à ce sujet. La solution s'inscrit dans la
ligne des mécanismes de type parlementaire, avec les
déviations auxquelles ils peuvent conduire.
La Constitution de Weimar instaure, pour sa part
un tribunal spécial - le Wahlprüfungsgericht. Ce tribu-
nal est composé, pour une part, de membres de la
Chambre et, pour une autre part, de membres du tri-
bunal administratif du Reich. La solution purement
parlementaire est abandonnée. Mais l'idée d'un tribu-
nal particulier - dont feraient également partie des
parlementaires - est préconisée.
La loi fondamentale de 1949 choisit, pour sa part, un
système généralement qualifié de mixte (art. 41). Elle
ménage la possibilité pour l'Assemblée d'intervenir en
première instance. Elle offre ensuite à la Cour constitu-
tionnelle fédérale la possibilité d'intervenir sur recours.
• Le Bundestag statue en première instance. La
Cour de Karlsruhe statue, elle, en dernière instance.
Leurs interventions s'inscrivent logiquement dans une
même démarche. C'est l'occasion de montrer - et de
souligner - que le Bundestag exerce, comme la Cour
fédérale, une compétence de type juridictionnel et qu'il
lui revient donc de statuer en se fondant, non pas en
fonctions d'opportunités politiques, mais sur des
considérations proprement juridiques.
Le contrôle parlementaire, même s'il est de type juri-
dictionnel, ne s'identifie pas exactement au contrôle
constitutionnel. Le contrôle parlementaire est un
contrôle restreint. Il vise essentiellement à protéger les
droits politiques, ceux des électeurs et ceux des élus. Le
contrôle constitutionnel, lui, est un contrôle plus large.
Il doit aussi prendre en considération la protection qui
doit aller à la composition du Parlement, au sens
objectif de l'expression.
• Devant le Bundestag, le contrôle ne s'accomplit
pas d'office. Il convient qu'une réclamation soit intro-
duite. Tout électeur, tout groupe d'électeurs, tout chef
du bureau électoral d'un Land ou du Bund ou encore le
Président du Bundestag peut introduire une telle récla-
mation. La requête doit être motivée.
A l'intérieur de l'assemblée, une commission compo-
sée de sept membres est composée pour la durée de la
législature. Une procédure de type juridictionnel se
développe devant la commission - avec débat oral et
public. La commission statue au scrutin secret et
rédige une décision dans laquelle elle se prononce sur
la validité de l'élection. Cette décision est communi-
quée au Bundestag qui statue à la majorité simple.
• C'est contre la décision du Bundestag qu'un
recours est ouvert auprès de la Cour constitutionnelle
fédérale. Il peut être introduit par le député dont l'élec-
tion est contestée, par l'électeur qui a introduit une
réclamation auprès du Bundestag, par un groupe par-
lementaire ou encore par un dixième des membres de
l'assemblée fédérale.
Une erreur électorale ne peut, cependant, conduire à
une déclaration d'invalidité de l'élection que s'il résulte
d'une telle erreur que la composition du Bundestag a
été faussée.

IV. — Les autres contentieux

Contrairement à une idée reçue, l'institution parle-


mentaire, le juge judiciaire ou le juge constitutionnel
ne monopolisent pas, même lorsqu'ils sont spéciale-
ment investis de responsabilités dans le domaine du
contentieux postélectoral, l'ensemble de la matière.
Outre le contentieux des délits électoraux, deux phé-
nomènes méritent d'être mentionnés. Il s'agit du
contentieux administratif et du contentieux européen.
Dans des domaines particuliers, ils peuvent régler cer-
taines contestations qui ont pu surgir à l'occasion du
processus électoral.

1. Le contentieux administratif. — Là même où l'as-


semblée politique ou le juge constitutionnel exerce des
responsabilités significatives dans le contentieux post-
électoral, le juge administratif n'est pas dessaisi de
toute responsabilité en ce domaine.

A) Le contrôle principal. — La loi française du


7 juillet 1977 soumet au Conseil d'État le contrôle des
élections en vue d'assurer l'élection des parlementaires
européens. Le 2 octobre 1989, en particulier, il statue
sur 26 requêtes. L'une d'entre elles passera à la posté-
rité puisqu'elle donnera naissance à l'arrêt Nicolo.
« Les personnes ayant, en vertu des dispositions
du chapitre 1 du titre premier du livre 1 du Code
électoral, la qualité d'électeur dans les départe-
ments et territoires d'Outre-mer ont aussi cette qua-
lité pour l'élection des représentants au Parlement
européen.
« Elles sont également éligibles, en vertu des disposi-
tions de l'article LO 127 du code électoral rendu appli-
cable à l'élection au Parlement européen par l'article 5
de la loi susvisée du 7 juillet 1977.
«Par suite, M. Nicolo n'est fondé à soutenir ni que
la participation des citoyens français des départements
et territoires d'Outre-mer à l'élection des représentants
au Parlement européen, ni que la présence de certains
d'entre eux sur des listes de candidats auraient vicié
ladite élection. »
Sur l'ensemble des solutions juridiques retenues par
l'arrêt Nicolo du 20 octobre 1989, voy. « Le juge admi-
nistratif, le traité et la loi postérieure », avec les conclu-
sions du commissaire du gouvernement P. Frydman,
une note du conseiller d'État B. Genevois et les études
doctrinales de L. Favoreu et L. Dubouis, RFDA,
1989, p. 813 et 1000.
En Finlande, la loi sur les élections parlemen-
taires 1969/391 prescrit que les tribunaux administra-
tifs provinciaux fonctionnent comme autorité de
recours en matière électorale. La Cour administrative
suprême statue en dernière instance. La mise en œuvre
de ces dispositions législatives ne suscite pas de difficul-
tés particulières.

B) Les contrôles ordinaires. — L'élection est entou-


rée d'un ensemble d'opérations administratives. Le
juge administratif peut connaître de la légalité de cer-
tains actes accomplis par des autorités publiques à
l'occasion de la campagne électorale. Dans un arrêt
Horbin, du 20 octobre 1989, le Conseil d'État consi-
dère, par exemple, que les chaînes privées ne sont pas
tenues de « respecter une stricte égalité, ni même une
stricte répartition du temps d'antenne entre les repré-
sentants des listes ».
A cette occasion, le juge administratif peut annu-
ler des règlements, des circulaires ou des mesures
individuelles.

C) Les contrôles spécifiques. — Le Conseil d'État


considère également que la loi du 19 juillet 1977 rela-
tive aux sondages ne saurait être interprétée comme
régissant la publication en France de sondages réalisés
à l'étranger au sujet d'opérations électorales intéres-
sant un pays étranger.

2. Le contentieux européen. — Quels que soient les


modes de vérification dans l'ordre interne, les autorités
de Strasbourg se réservent le droit de vérifier la
manière dont les normes législatives - telles qu'elles
sont conçues et appliquées - respectent les dispositions
de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme
et des libertés fondamentales ainsi que de ses proto-
coles additionnels.
L'article 3 du Protocole additionnel à la Convention
européenne des droits de l'homme, tel qu'il a été adopté
par le Conseil des ministres du Conseil de l'Europe
le 20 mars 1952, précise que « les hautes parties contrac-
tantes s'engagent à organiser à des intervalles raisonna-
bles des élections libres au scrutin secret dans des condi-
tions qui assurent la libre expression de l'opinion du
peuple sur le choix du corps législatif ».
De son côté, le pacte international relatif aux droits
civils et politiques garantit, dans l'article 25 b, le droit
à des élections libres en précisant que tout citoyen a le
droit et la possibilité de voter ou d'être élu au cours
d'élections périodiques, honnêtes, au suffrage univer-
sel, au scrutin secret assurant l'expression libre et la
volonté des électeurs.
D'autres dispositions internationales vont dans
le même sens. L'article 1 de la Convention du
31 mars 1953 sur les droits politiques de la femme pré-
cise, par exemple, que les femmes, ont dans des condi-
tions d'égalité avec les hommes, le droit de vote dans
toutes les élections sans aucune discrimination.
Quels sont les principes qui sont ainsi énoncés ?
Quelle valeur juridique convient-il de leur attribuer ?
Quelle importance faut-il leur accorder ?

A) Une élection libre. — Le libre choix de l'électeur


doit être assuré. Le vote obligatoire s'en trouve-t-il
prohibé ? Non, bien sûr. Une élection libre n'est pas
celle où chaque citoyen a le droit de décider s'il entend
ou non participer au scrutin. Dès l'instant où l'électo-
rat est conçu comme une fonction, le législateur peut
exiger qu'elle soit effectivement remplie. C'est le cas en
Belgique, au Danemark, en Italie, en Grèce et au
Luxembourg.

B) Une élection à intervalles réguliers. — L'électeur


doit être invité, dans un délai raisonnable, à renouveler
sa confiance dans les mandataires qu'il a choisis. Il
peut aussi les désavouer. Les parlementaires travaillent
sous le regard des électeurs. Ceux-ci doivent leur
renouveler ou, au contraire, leur refuser leur confiance.
Les intervalles sont à apprécier en référence aux usages
normaux des États démocratiques.

C) Une élection ouverte. — Les élections doivent être


organisées dans des conditions qui assurent la libre
expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps
législatif. Ceci implique que le législateur garantisse à
la fois le droit de vote et le droit de se porter candidat
à l'occasion des élections législatives.
L'article 3 du premier protocole additionnel à la
Convention européenne des droits de l'homme se
contente d'exiger «des élections libres », organisées
«dans les conditions qui assurent la libre expression
du peuple sur le choix du corps législatif. Le document
de la réunion de Copenhague sur la dimension
humaine de la CSCE (Conférence sur la sécurité et la
coopération en Europe), qui date de juin 1990, utilise
une formule similaire, en mentionnant au § 5 1, la
nécessité d'élections libres qui seront organisées dans
des conditions qui garantissent effectivement la libre
expression de la volonté des électeurs dans le choix de
leurs représentants.
Dans le même ordre d'idées, la Charte africaine des
droits des l'homme et des peuples prévoit, en son
article 13, § 1 que les représentants des citoyens à la
direction des affaires publiques du pays doivent être
librement choisis.
La Convention américaine relative aux droits de
l'homme est plus précise encore, puisqu'en son
article 23, § 1 elle reconnaît au citoyen le droit d'élire
et d'être élu à l'occasion d'un scrutin qui, non seule-
ment garantit la libre expression de la volonté des élec-
teurs, mais en outre se révèle authentique.
En revanche, la Charte arabe des droits de l'homme
- qui a été adoptée le 15 septembre 1994 par le Conseil
de la Ligue des États arabes - n'évoque pas directe-
ment la représentation électorale, affirmant simple-
ment que le peuple est le fondement de l'autorité et que
la capacité d'exercer des droits politiques est le droit de
chaque citoyen majeur, qui l'exerce en vertu de la loi.
Quant à la déclaration sur les critères pour les
élections libres et régulières, adoptée à Paris le
26 mars 1994, par le Conseil de l'Union interparle-
mentaire, elle affirme la nécessité d'élections sincères,
libres et régulières. Elle n'a, cependant, pas la valeur
d'une règle juridique.
La même observation s'impose à propos de la
Déclaration universelle des droits de l'homme, dont
l'article 21, § 3 proclame le droit à des élections hon-
nêtes. (sur l'ensemble de la question, M. Verdussen, Le
Conseil d'État et le droit à des élections honnêtes,
Administration publique, 1996, p. 46).
Quelles sont les implications concrètes de ces prin-
cipes largement reconnus ?
• En ce qui concerne l'électorat, il convient que le
citoyen ne soit pas indûment incité à voter pour un
candidat ou pour un parti plutôt que pour un autre.
La lutte électorale doit être aussi ouverte que possible.
La règle est formulée à l'intention des candidats qui
participent à la compétition électorale. Elle s'adresse
également aux autorités publiques - y compris les
autorités législatives - qui veillent à l'organisation et
au déroulement du scrutin.
A ce propos, la Commission européenne des droits
de l'homme s'interroge sur quelques particularités de
la législation électorale qui est en vigueur en Belgique.
Elle constate qu'un électeur francophone, domicilié à
Hal ou Vilvorde qui souhaite - comme tout autre élec-
teur de la même circonscription - être représenté au
Conseil flamand ne peut, à l'occasion d'élections légis-
latives, voter que pour un candidat flamand. Il s'agit
là, dit la Commission, d'une pression inacceptable sur
l'électeur et donc d'une atteinte aux dispositions du
premier protocole.
La Cour européenne des droits de l'homme ne suit
pas ce raisonnement. Selon elle, le système inspiré par
la loi spéciale du 8 août 1980 présente un caractère

1. Sur l'ensemble de la question, J. Velu et R. Ergec, La Convention


européenne des droits de l'homme, Bruxelles, Bruylant, 1990.

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i n a c h e v é et t r a n s i t o i r e . L a l é g i s l a t i o n é l e c t o r a l e m i s e
e n p l a c e t e n d à a p a i s e r les d i f f é r e n d s l i n g u i s t i q u e s a u
sein d e l ' É t a t belge. « Il y a lieu p o u r les m i n o r i t é s lin-
guistiques d ' a c c o r d e r leurs suffrages à des p e r s o n n e s
a p t e s à u s e r d e la l a n g u e d e l e u r r é g i o n . U n e o b l i g a -
t i o n a n a l o g u e se r e n c o n t r e d a n s n o m b r e d ' É t a t s d a n s
l ' o r g a n i s a t i o n de leurs élections. Pareille situation ne
m e n a c e p a s f o r c é m e n t les i n t é r ê t d e ces m i n o r i t é s . »
• E n ce q u i c o n c e r n e l'éligibilité, c h a q u e c i t o y e n
d é t i e n t u n d r o i t , celui d e se p o r t e r c a n d i d a t à u n e élec-
t i o n p o u r v u q u ' i l r e m p l i s s e les c o n d i t i o n s q u e la C o n s -
t i t u t i o n o u la loi p r e s c r i v e n t . Il a a u s s i le d r o i t d ' e x e r -
c e r le m a n d a t q u ' i l a o b t e n u .
L a q u e s t i o n fait l ' o b j e t d ' u n e x a m e n a t t e n t i f p a r l a
C o m m i s s i o n e u r o p é e n n e d e s d r o i t s d e l ' h o m m e le
7 m a r s 1984. L a C o m m i s s i o n p r é c i s e à c e t t e o c c a s i o n
q u e le d r o i t d ' e x e r c e r u n e f o n c t i o n élective est c o n s a c r é
p a r l ' a r t i c l e 3 d u P r o t o c o l e a d d i t i o n n e l à la C o n v e n -
tion e u r o p é e n n e des droits de l ' h o m m e .
L ' a f f i r m a t i o n d e ce d r o i t n e fait p a s o b s t a c l e à l'ins-
t a u r a t i o n d ' u n r é g i m e d ' i n c o m p a t i b i l i t é s . Il n ' e m p ê c h e
p a s n o n p l u s q u e s o i t i n t e r d i t le c u m u l d e p l u s i e u r s
m a n d a t s électifs. M a i s , i n d i q u e l a C o m m i s s i o n , ces
s y s t è m e s ne p e u v e n t a v o i r p o u r o b j e t d ' i n t e r d i r e à u n e
p e r s o n n e é l u e d ' e x e r c e r le m a n d a t q u i lui a é t é c o n f i é .
Le régime des incompatibilités oblige, p a r exemple,
l ' é l u à f a i r e c h o i x e n t r e s o n m a n d a t et u n e a u t r e f o n c -
tion publique ou privée qu'il assume. L'élu n'est privé
d e s o n m a n d a t q u e s'il e n t e n d c o n s e r v e r ses a u t r e s
fonctions.
E n r e v a n c h e , la d é c h é a n c e d e s d r o i t s p o l i t i q u e s
p r i v e d e p l e i n d r o i t l ' é l u d e la f o n c t i o n q u ' i l a v a i t
o b t e n u e p a r le b i a i s d ' u n e é l e c t i o n r é g u l i è r e .
Chapitre III

LA PROCÉDURE CONTENTIEUSE
ÉLECTORALE

Qui dit contentieux, dit procédure contentieuse. Qui


dit contentieux - préélectoral ou postélectoral -, dit
procédure contentieuse électorale. Les grandes lignes
d'une telle procédure sont évidemment tributaires des
choix institutionnels qui ont été faits au préalable.
Chaque institution est censée appliquer les règles qui
lui sont spécifiques.
Il ne suffit pas, cependant, de dire : « Consultons les
codes de procédure judiciaire, administrative ou cons-
titutionnelle. Consultons les règlements d'assemblée.
Nous aurons ainsi réponse à toute question que peut
susciter le développement de la procédure contentieuse
électorale ».
A pratiquer de la sorte, l'on s'expose à quelques
déconvenues. Les lois et règlements électoraux
contiennent le plus souvent des règles qui sont spécifi-
ques ou dérogatoires à celles de la procédure com-
mune. En outre, l'enchevêtrement des litiges indique
à suffisance qu'il n'y a pas lieu d'appliquer séparé-
ment des règles procédurales qui figurent dans trois
codes différents. Il faut plutôt en procurer une inter-
prétation conjuguée. La diversité des institutions
- sans oublier la diversité des intérêts qui sont en
cause - génère, dans une large mesure, la complexité
des procédures.
Le problème est plus fondamental encore. Le
contentieux électoral se présente sous une double
facette. Il relève tout à la fois du contentieux objectif
- celui du processus électoral - et du contentieux
subjectif - celui des droits politiques. Ces deux conten-
tieux se rejoignent et se conjuguent dans une singulière
alchimie. La procédure contentieuse électorale en
porte la trace manifeste.
Le contentieux objectif a ses droits. Il s'agit de faire
le procès à un acte - ce peut être la liste électorale, le
compte de campagne, le procès-verbal des résultats. Le
contentieux des droits subjectifs ne peut non plus être
perdu de vue. En définitive, ce sont les droits de l'élec-
teur, sans oublier ceux du corps électoral, et les droits
de l'élu, sans oublier les droits de l'assemblée, qui sont
en cause.
A la croisée de ces chemins - objectif et subjectif -,
le contentieux électoral aménage et développe des pro-
cédures qui empruntent leurs traits à l'une et l'autre
famille contentieuse.

I. — La naissance du litige

Dès l'ouverture du litige, deux questions se présen-


tent. Elles sont liées. Qui peut agir? Quand faut-il
agir? C'est la question de l'intérêt et du délai pour
agir. Elle conditionne la recevabilité de la procédure.

1. L'intérêt pour agir. — Pas d'intérêt, pas d'action,


dit l'adage. En matière électorale, cependant, les
conditions semblent moins contraignantes qu'ailleurs.
Des vérifications, notamment celles qu'opère l'assem-
blée, peuvent avoir lieu d'office. Devant un juge, elles
requièrent, au contraire, le dépôt d'un recours.

A) Le contrôle systématique. — Dans les États qui


pratiquent la vérification des pouvoirs, la situation est

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simple. Il n'y a pas lieu de s'interroger sur l'intérêt à
agir d'un éventuel requérant. Le contrôle s'opère d'of-
fice. Il s'exerce après chaque élection, qu'il y ait ou non
protestation, réclamation ou contestation.
La vérification est comme la précaution que pren-
nent des mandataires qui ont à traiter ensemble et qui
examinent au préalable la valeur de leurs titres respec-
tifs (M. Hauriou). Il faut donc vérifier si le titre électo-
ral dont se prévaut chacun des élus est régulier.
La Constitution belge précise en ce sens que
«chaque chambre vérifie les pouvoirs de ses mem-
bres ». Ce faisant, elle ne se borne pas à désigner l'au-
torité qui contrôlera le titre des élus. Elle oblige sur-
tout l'assemblée politique à procéder à une telle
vérification. La chambre intéressée n'est pas libre d'ap-
précier l'opportunité de se livrer ou non à pareil
contrôle. Elle est tenue de remplir la mission que la
Constitution lui assigne.

B) Le contrôle sur recours. — Dans les États qui pra-


tiquent le contrôle juridictionnel - qu'il soit judiciaire,
administratif ou constitutionnel -, la vérification n'a
pas lieu d'office. Le juge n'est appelé à intervenir que
s'il y a contestation. Il doit être saisi d'une réclama-
tion. En l'absence de celle-ci, l'irrégularité qui entache
l'élection ne peut être censurée.
Dans l'hypothèse où les protagonistes de la lutte élec-
torale décident de pratiquer la conspiration du silence,
de fermer les yeux sur les irrégularités qu'ils ont les uns
et les autres commises, ou encore de trouver des arran-
gements purement politiques pour résoudre ces difficul-
tés, le juge reste en dehors du débat.
Le recours peut être plus ou moins ouvert. Il peut
l'être à tous les citoyens inscrits sur la liste électorale
de la circonscription. Il peut l'être aux personnes qui y
ont fait acte de candidature. Il peut l'être aussi aux
groupements, associations et partis politiques.
C) Un système mixte. — Dans le système allemand,
le régime de la vérification des pouvoirs opère d'of-
fice. Le recours au Bundestag, lui, n'est ouvert qu'en
cas de litige.
Il est parfois suggéré d'organiser pareil système en
France. Le Conseil constitutionnel serait saisi directe-
ment des réclamations ainsi qu'il l'est depuis 1958.
L'Assemblée parlementaire examinerait de manière
systématique comme autrefois, les cas n'ayant pas été
déférés au juge constitutionnel. Sa décision pourrait,
cependant, être soumise au contrôle du Conseil. La
solution inverse est également concevable. Tous les
dossiers seraient systématiquement examinés par l'as-
semblée. Là où il y a problème, le dossier serait ren-
voyé au juge constitutionnel.
Mais, à chercher à obtenir tous les avantages de l'un
et l'autre systèmes, ne risque-t-on pas également d'en
cumuler tous les défauts ?

2. Le délai pour agir. — L'élection a eu lieu. Elle


poursuivait une finalité précise : constituer une assem-
blée politique et lui permettre de remplir ses fonctions
constitutionnelles. Il faut éviter que le contentieux élec-
toral naissant n'empêche l'assemblée de se réunir ou ne
perturbe durablement son fonctionnement.
Il faut se prémunir aussi contre des manœuvres de
retardement. A défaut de pouvoir modifier la composi-
tion de l'assemblée, pourquoi ne pas chercher à en
compromettre, au moins pendant quelques mois, le
fonctionnement ?
Le contentieux gagne donc à être réglé dans les meil-
leurs délais.

A) Le contrôle immédiat. — Dans un système de


vérification des pouvoirs, il n'y a évidemment pas de
délai pour agir. L'assemblée a été convoquée. La véri-
fication des titres électoraux figure comme seul point à

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l'ordre du jour de sa première séance. Le contrôle se
fait sans désemparer.
Le système a sa logique. L'assemblée n'est valable-
ment constituée que le jour où elle a procédé à la véri-
fication des titres de tous ses membres. Entre-temps,
elle ne saurait exercer d'activités parlementaires. Il faut
présumer qu'elle ne retardera pas inutilement les opé-
rations de vérification. Elle cherchera à être opération-
nelle au plus tôt.
Une fois constituée, l'assemblée se met au travail.
Les opérations de vérification des pouvoirs n'ont plus
cours. L'élection est présumée régulière et ne saurait
être contestée à peine de méconnaître l'autorité de la
chose jugée. Le contrôle électoral présente cette singu-
larité d'être un contrôle intermittent.
Évidemment, le contrôle immédiat a aussi ses incon-
vénients. Pour utiliser un terme emprunté au jargon
sportif, l'assemblée «cherche ses marques ». Les nou-
veaux élus apprennent leur métier. Le débat sur la
composition d'une majorité gouvernementale - qui se
constitue de manière concomitante - peut influencer
les choix qui s'opéreront à ce moment. Dans les faits,
le contentieux peut être réglé plus par les services per-
manents de l'assemblée que par les élus.
Le contrôle immédiat peut paraître improvisé.

B) Le contrôle sur recours. — Dans un système de


justice judiciaire, administrative ou constitutionnelle,
par contre, il y a lieu d'indiquer dans quel délai les
recours organisés seront mis en œuvre. Ici encore, l'on
peut présumer que les délais seront brefs pour ne pas
prolonger inutilement les incertitudes nées de la
contestation des résultats.
En France, ce délai est de dix jours à compter de la
proclamation des résultats du scrutin.
• Le recours ne doit pas s'exercer trop tôt. Le
contrôle n'intervient qu'une fois l'élection acquise.
Cela ne soulève aucune difficulté, remarque
Pierre Pactet, avec la représentation proportionnelle
puisqu'elle ne comporte jamais qu'un tour unique.
Mais, avec un scrutin majoritaire à deux tours, la
situation est différente. Il va falloir attendre le
deuxième tour, tout au moins s'il y a ballottage, pour
introduire un recours utile en matière électorale.
• Le recours ne doit pas s'exercer trop tard. Il se pres-
crit une fois le délai écoulé. Le souci du législateur est
manifestement de ne pas prolonger l'incertitude qui est
liée à la contestation des résultats du scrutin. Encore faut-
il remarquer qu'il s'agit là d'un délai pour l'introduction
de l'affaire. L'instruction du dossier et l'examen du
recours ne sont généralement enfermés dans aucun délai.
• Si le recours a été introduit dans le délai prescrit,
la procédure peut prendre quelques semaines ou quel-
ques mois.
Le souci est clairement affiché de mener une instruc-
tion aussi complète et aussi précise que possible. Le
procès qui va s'ouvrir retiendra l'attention des médias.
Il donnera lieu à des commentaires dans les milieux
politiques. L'opinion publique - à tout le moins celle
de l'arrondissement où s'est déroulée l'élection contes-
tée - sera attentive au verdict.
Il s'indique donc de mener une enquête qui ne prête
pas à d'inutiles controverses et qui n'ébranle pas la
confiance que le citoyen, tout à la fois électeur et justi-
ciable, peut témoigner aux institutions de justice.
Entre-temps, le recours a-t-il un effet suspensif ? On
opine généralement pour procurer à cette question une
réponse négative. L'exercice provisoire du mandat
demeure à ceux dont l'élection est contestée. Tous les
membres de l'assemblée sans exception doivent être
convoqués. Tous prennent part aux délibérations.

C) Le recours différé. — Les problèmes d'invalidité,


d'inéligibilité ou d'incompatibilité peuvent surgir en
cours de mandat. Le juge de l'élection est amené à
trancher ces questions - non plus de droit électoral -
mais de droit parlementaire.

II. — Le développement du litige

La distinction entre le contrôle parlementaire et le


contrôle judiciaire ou constitutionnel ne se manifeste
pas seulement au moment où naît le litige. Elle se tra-
duit de manière concrète dans son développement.
Deux questions, en particulier, retiennent l'attention.
Comment est instruit le dossier de l'affaire? Quels
droits reviennent au parlementaire contesté ?

1. L'instruction. — Dans le contentieux de type par-


lementaire, la préférence est donnée à une procédure
inquisitoire qui conduit l'assemblée à connaître d'un
contentieux objectif. Dans un régime de justice judi-
ciaire ou constitutionnelle, la procédure reste inquisi-
toire mais certains aspects du contentieux des droits
politiques ne sont pas perdus de vue.

A) L'instruction par l'assemblée. — Une commission


se saisit du dossier. Elle lui consacre un examen parti-
culier. Celui-ci peut être bref, voire sommaire. La véri-
fication est systématique. Mais l'on considère générale-
ment qu'en l'absence de réclamation, le contrôle est
réduit à sa plus simple expression. Pour des raisons
pratiques, la commission fait confiance aux déclara-
tions des bureaux électoraux. Les services de l'assem-
blée assument un ensemble de tâches techniques. L'on
imagine mal de procéder - et dans quel délai ? - à un
recomptage systématique des bulletins de vote pour
chaque élection.
Le contrôle peut aussi être plus approfondi. La com-
mission procède à des enquêtes sur les lieux afin d'éta-
blir la véracité des faits allégués. Le recomptage des
bulletins de vote à la diligence des autorités électorales
d'un arrondissement déterminé - ou de quelques
bureaux - est également une mesure classique. La plu-
part des réclamations ont trait, en effet, à des erreurs
de calcul dans les procès-verbaux ou à des erreurs
d'application de la loi quant aux modalités de dévolu-
tion des sièges.
Contrôle sommaire ou contrôle approfondi... Il n'en
reste pas moins que le contrôle de la commission reste
superficiel. C'est le plus souvent le service administratif
de la Chambre qui est chargé d'examiner le bien-fondé
des réclamations. La commission se borne alors pour
son rapport à en reproduire les conclusions. Il n'est
pas rare que le président de l'assemblée puisse procla-
mer la réouverture de la séance après une demi heure
de délibération en commission de vérification.
La commission présente le rapport à l'assemblée.
L'assemblée vote les conclusions. Le plus souvent, ce
sera pour les entériner telles quelles. L'article 336, ali-
néa 2 du Code électoral belge précise que « tous les
membres élus prennent part au vote, même s'ils n'ont
pas encore prêté serment ». L'article 4, alinéa 2 du
règlement du Sénat dispose quant à lui que les séna-
teurs élus qui n'ont pas encore prêté serment ne peu-
vent prendre part ni aux délibérations, ni aux votes
sauf en ce qui concerne la validation des élections.
La solution peut paraître paradoxale. Des élus qui
n'ont pas prêté le serment constitutionnel sont amenés
à se prononcer sur la vérification des pouvoirs de leurs
futurs collègues. C'est une bizarrerie du système. Elle
n'est acceptable que si l'on accepte la présomption que
le candidat élu l'a été valablement jusqu'à preuve du
contraire.

B) L'instruction par le juge constitutionnel. — Devant


le Conseil constitutionnel, l'instruction est faite par une
section du Conseil. Ce dernier forme en son sein trois

Licence eden-2152-IZU96445-IZO150282 accordée le 26 septembre


2020 à julio cham
sections de trois membres, tous désignés par le sort. Il
est procédé à des tirages au sort séparés entre les mem-
bres nommés par le Président de la République, ceux
nommés par le président du Sénat et ceux nommés par le
président de l'Assemblée nationale.
Chaque année, le Conseil arrête une liste de dix rap-
porteurs adjoints, choisis parmi les maîtres de requête
du Conseil d'État et les conseillers référendaires à la
Cour des comptes.
Chaque section instruit l'affaire dont elle a été char-
gée par le président.

2. Les droits de la défense. — Le parlementaire élu


mais contesté a-t-il, en toutes circonstances, le droit de
faire valoir ses moyens et arguments ? Est-il en mesure
de défendre « son » mandat ? Curieusement, ce n'est
pas une réponse uniforme qui est apportée à cette
question. Le mandataire public ainsi placé sur la sel-
lette peut être associé à la procédure. Il peut aussi en
être quasiment exclu.

A) Le droit de faire valoir des observations. — Rien


n'empêche évidemment la principale personne concer-
née, à savoir le parlementaire qui vient d'être élu mais
dont l'élection est contestée, de rédiger un mémoire et
de l'adresser aux autorités qui auront à statuer, à
divers titres, sur la régularité et la validité de son élec-
tion. Elle expliquera, à cette occasion, les données de
fait et de droit qui justifient le bien-fondé de sa dési-
gnation. Cette démarche relève de sa propre initiative.
L'autorité publique saisie de telles observations n'est
pas tenue d'y répondre dans un document officiel.

B) Le droit d'être entendu. — Dans le cadre de


l'opération de vérification des pouvoirs, il n'est pas
d'usage que l'assemblée ou sa commission entende le
membre contesté. Il lui est loisible, cependant, d'agir
autrement. Aucun texte n'organise la procédure. La
situation de la principale personne concernée se révèle
éminemment précaire. Il est permis de se demander si
des réformes procédurales ne devraient pas intervenir
d'urgence en ce domaine.
Devant le juge judiciaire ou constitutionnel, au
contraire, il y a lieu d'entendre le parlementaire
contesté. Il convient de lui donner la parole pour
entendre son argumentation. La décision qui intervien-
dra, au terme de la procédure, ne pourra manquer de
rencontrer ces différents moyens. L'on peut considérer
que les dispositions de l'article 6 de la convention de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fonda-
mentales sont ici d'application.

C) Le principe du contradictoire. — La vérification


des pouvoirs se déroule, non point dans la forme d'un
procès, mais selon une procédure parlementaire qui est
établie par le règlement de l'assemblée. Encore une
fois, l'intéressé n'y a pas place. Tout au plus peut-on
considérer que ses amis politiques prendront le relais
et s'attacheront à défendre ses intérêts ou - ce qui ne
revient pas au même - ceux de leur parti.
Les procédures juridictionnelles permettent, au
contraire, au parlementaire incriminé de faire valoir
ses arguments, de plaider en personne ou par manda-
taire, de défendre à cette occasion tant les préoccupa-
tions de l'assemblée que les siennes propres.
Lorsqu'il y a eu instruction d'une affaire, la section
saisie du Conseil constitutionnel en avise la personne
dont l'élection est contestée, le cas échéant son rempla-
çant. Un délai leur est imparti pour prendre connais-
sance de la requête et des pièces qui la soutiennent et
pour produire leurs observations écrites (art. 17 du
règlement électoral).
La séance du Conseil constitutionnel n'est pas
publique. La décision qu'il rend doit être motivée.
« La procédure applicable devant le Conseil consti-
tutionnel a été parfois vivement critiquée par les candi-
dats. Son caractère contradictoire a été mis en doute,
certains n'hésitant pas à déposer un recours devant la
Cour européenne des droits de l'homme pour contes-
ter la décision d'inéligibilité prononcée à leur encontre
par le Conseil constitutionnel. Si la procédure conten-
tieuse est écrite, son caractère contradictoire ne saurait
toutefois être suspecté, toute pièce du dossier étant
communiquée aux deux parties » (B. Genevois, Libé-
ration, 24 décembre 1993, cité par Y-M. Doublet et
V. Marmorat, Le droit constitutionnel électoral,
RFDC, 1994, p. 396).

III. — La solution du litige

Le différend électoral doit être réglé. Il va l'être dans le


cadre de la procédure parlementaire de vérification des
pouvoirs ou dans celui de procédures juridictionnelles.
Deux questions ne peuvent être perdues de vue. La
première revient à savoir quelle portée il convient de
reconnaître à la décision qui met fin au litige. S'agit-il
de se prononcer de manière générale sur la régularité
de l'élection ? Ou de statuer, de manière particulière,
sur les titres de l'élu ? A supposer que des irrégularités
soient avérées, s'agit-il d'invalider, d'annuler ou de
réformer l'élection ?
La seconde question porte sur les voies de recours
qui sont ouvertes aux intéressés dans l'ordre interne et
dans l'ordre international. Les décisions qui intervien-
nent ont-elles pour objet de clore le débat ou peuvent-
elles être elles-mêmes mises en cause ?

1. Les décisions. — On ne saurait trop le souligner.


Le contentieux électoral peut se donner des objets dif-
férents. Les décisions qui mettent fin au procès revê-
tent, dans ces conditions, diverses modalités. Voici
l'autorité électorale qui, eu égard aux vices de l'élec-
tion, réforme, annule ou renvoie. Ou qui, pour tenir
compte de la qualité des élections, valide le processus
électoral et confirme les élections intervenues.

A) L'éligibilité. — Telle est la vérification la plus


simple. Le candidat élu remplit-il l'ensemble des condi-
tions prescrites pour siéger au titre de représentant de
la Nation ? Cette vérification a pu faire, pour une part,
l'objet du contentieux préélectoral. Mais à quoi bon
contrôler aussitôt les titres d'éligibilité de tous les can-
didats qui se présentent aux suffrages des électeurs et
dont la plupart ne seront pas élus ? A l'issue du scrutin,
par contre, il est essentiel de vérifier que les candidats
qui ont obtenu les suffrages majoritaires remplissent
les conditions prescrites par la Constitution et les lois.
Qu'advient-il si l'élu ne remplit pas ces conditions ?
Tout dépend sans doute de la gravité de l'infraction. Si
l'irrégularité est légère, l'élu sera invalidé et il sera fait
appel à un suppléant. Si l'infraction est plus grave
- parce qu'elle a induit en erreur une partie du corps
électoral -, l'élection sera invalidée. Un nouveau scru-
tin doit être organisé.

B) Les conditions de la campagne électorale. — Le


contrôle porte ici sur une matière sensible pour les
électeurs comme pour les élus. L'autorité électorale
doit entrer dans l'analyse des faits et des données de la
campagne. Elle doit s'interroger sur les facteurs qui
ont pu influencer le choix des citoyens.
Dans une affaire Barten, le Conseil d'État luxem-
bourgeois observe, le 17 décembre 1993, que «la dis-
tribution de tracts qualifiés par le requérant comme
calomnieux et mensongers n'est pas de nature à don-
ner lieu à l'annulation de la consultation électorale
dans la mesure où les personnes visées par les tracts
avaient le temps de réagir et de répliquer dans un autre
tract» (cité par D. Spielmann, M. Thewes et
L. Reding, Recueil de la jurisprudence administrative,
1985-1995, Bruxelles, Bruylant, 1996).
L'autorité électorale relève à cette occasion les irré-
gularités qui ont pu être commises en ce qui concerne
l'organisation du scrutin - composition et ouverture
des bureaux de vote... -, son déroulement - listes
d'émargement et de pointage... - ou, plus largement,
les faits de propagande - propos injurieux, tracts diffa-
matoires, publicité mensongère...
Elle ne prononce, cependant, l'annulation que s'il
apparaît que ces irrégularités ont eu une influence
déterminante sur le résultat du scrutin au regard du
faible écart de voix séparant le vainqueur du vaincu
(D. Rousseau).
Deux facteurs différents sont pris en considération :
l'irrégularité elle-même, plus ou moins grave, qui est
un facteur subjectif, et la faiblesse de l'écart de voix
entre le candidat déclaré élu et le candidat déclaré
battu, qui est un facteur plus objectif car quantifiable.
A quoi bon annuler une élection remportée haut la
main par un candidat, avec, par exemple, plusieurs
centaines de voix d'avance, si la contestation ne
concerne que quelques bulletins de vote ?
Le raisonnement n'est pas très moral. Il peut être
considéré comme un encouragement à une fraude
importante mais toujours difficile à prouver. L'élu lar-
gement en tête enlève au battu toute chance de réussir
dans sa contestation.
Le juge électoral est-il juge de la régularité - toutes
conditions confondues - ou devient-il, dans une per-
spective régulatrice, juge de la seule sincérité de l'élec-
tion (L. Philip) ?
Le juge constitutionnel « conduit à certains laxismes
du fait qu'il est fréquent de constater que, lors de
l'élection partielle provoquée par l'annulation, les élec-
teurs ont tendance à réélire le candidat sanctionné.
Mais on ne peut qu'être sceptique sur cette alchimie
qui conduit bizarrement à annuler autant qu'à droite
qu'à gauche, à considérer que, puisque tout le monde
a triché, M. B. Tapie a été régulièrement élu » (Conseil
constitutionnel, 11 mai 1989) (H. Roussillon).
La décision qui intervient confirme l'élection ou la
déclare nulle. Dans ce dernier cas, elle autorise une
autre consultation électorale.

C) Le calcul des voix et des sièges. — Il s'agit ici


d'une opération mathématique. Elle est postérieure à
l'élection. Elle ne peut donc avoir aucune influence sur
la manifestation de la volonté des électeurs. Encore
faut-il que cette opération soit correctement effectuée.
Les votes ont-ils été régulièrement recensés, réperto-
riés, retranscrits ? Les programmes informatiques qui
président, spécialement dans les systèmes de représen-
tation proportionnelle, à la dévolution des sièges, ont-
ils été correctement conçus ? Ont-ils été judicieusement
mis en œuvre ? Les opérations administratives de colla-
tion des résultats et d'octroi des sièges se sont-elles
déroulées selon les règles - de forme et de fond - pres-
crites par le code électoral ?
A ce stade du processus électoral, il s'agit de rectifier
des erreurs. Il s'agit d'invalider une présomption de
régularité qui s'attache à la proclamation des résultats.
Il y a éventuellement substitution d'un élu à un autre.

2. Les voies de recours. — L'autorité de contrôle, elle


aussi, peut se tromper. Elle peut avoir été induite en
erreur. Elle peut, dans la précipitation, n'avoir pas pris
en compte tous les éléments du dossier. Ne faut-il pas
ouvrir, en l'espèce, des voies de recours ? Mais, à ce
faire, le législateur n'ouvre-t-il pas également la boîte
de Pandore ? Le verdict du corps électoral, le verdict
d'une assemblée ou d'un juge... Est-il nécessaire de
prévoir encore un autre verdict ? Les procédures mises
en place ne risquent-elles pas de prolonger inutilement
le cours du contentieux électoral ? Pour l'essentiel, ce
sont des réponses radicales et généralement négatives
qui sont apportées à ces questions.

A) Une assemblée « souveraine ». — J.-J. Thonissen,


l'un des premiers commentateurs de la Constitution
belge, n'a pas peur d'écrire : « Les Chambres sont
omnipotentes en matière de vérification des pouvoirs,
en ce sens qu'elles sont juges en dernier ressort de
toutes les contestations qui s'élèvent au sujet des opé-
rations électorales. » La leçon demeure. Là où l'assem-
blée parlementaire est investie du droit de statuer sur
les pouvoirs de ses membres, il n'est pas prévu, sauf en
Allemagne fédérale, de voie de recours.
Les autorités judiciaires ont parfois été saisies de
recours formés contre les décisions parlementaires sta-
tuant sur la validité des élections. Dans une ordon-
nance du 4 mars 1986, le juge des référés examine une
demande du sénateur Van Overstraeten qui est formée
contre la décision du Conseil régional wallon qui l'ex-
clut de cette assemblée. Le juge décline, cependant, sa
compétence au nom du principe de la séparation des
pouvoirs. Il rappelle que le pouvoir judiciaire ne peut
connaître de la légalité des actes posés par les assem-
blées souveraines telles que les chambres ou les
conseils de région et de communauté - que ces actes
soient des actes matériels ou juridiques - (Revue régio-
nale de droit, 1986, p. 104).
La compétence d'annulation du juge administratif
doit également être rejetée. Les assemblées ne sont pas
des autorités administratives. Les actes qu'elles ren-
dent ne sont pas non plus des actes administratifs.
Il faut rappeler ici l'enseignement de Cyr Cambier.
La compétence reconnue aux assemblées procède de la
maîtrise longtemps attribuée à des corps issus des élec-
tions directes de ce qui relève de leur composition.
Cette maîtrise est exercée par eux sans aucun partage.
Si bien qu'aucun recours de réformation, d'annulation
ou de cassation n'est ouvert contre la décision prise en
la matière.

B) Un juge « souverain ». — Des voies de recours


sont-elles alors ouvertes contre les décisions du juge
judiciaire ou du juge constitutionnel ? Ici aussi, la
réponse est négative. Les décisions du juge sont revê-
tues de l'autorité de la chose jugée. Par surcroît, il est
amené à statuer en dernier ressort.
« Les imperfections de la procédure (devant le
Conseil constitutionnel) résident sans doute moins
dans son défaut de publicité que dans l'absence d'ap-
pel, le Conseil constitutionnel, en admettant de procé-
der à la rectification d'erreurs matérielles, ayant
reconnu qu'il pouvait faire une appréciation comp-
table erronée... ou se tromper sur la date d'un verse-
ment... » (Y.-M. Doublet et V. Marmorat).
Au Portugal, certaines décisions du Tribunal consti-
tutionnel peuvent néanmoins faire l'objet d'un recours
devant la même institution, siégeant en formation
plénière.

C) Un double contrôle. — On le sait, le droit alle-


mand prescrit un premier contrôle par le Bundestag. Il
en permet un second, à l'intervention de la Cour cons-
titutionnelle fédérale.
CONCLUSION

Le contentieux électoral n'est pas de ceux qui


défraient, chaque jour, la chronique judiciaire. Il faut
s'en réjouir...
Encore que, lorsqu'il éclate, le litige qui porte sur
l'obtention ou l'exercice d'un mandat politique bénéfi-
cie d'une évidente notoriété et de la médiatisation qui
l'accompagne. Cela se comprend. L'opinion publique
a choisi ses élus. Elle s'est prononcée. Bien ou mal, peu
importe. Pourquoi se désintéresserait-elle du sort de
ceux qu'elle a choisis, une fois le vote accompli ? Pour-
quoi les élus, de leur côté, ne se préoccuperaient-ils pas
de préserver le mandat que la représentation nationale
vient de leur accorder et ne défendraient-ils pas bec et
ongles le droit qu'ils ont désormais acquis de siéger sur
les bancs de l'assemblée?
Le plus souvent, cependant, l'élection ne donne pas
matière à contentieux. Les hommes et les femmes poli-
tiques ont la sagesse de s'en remettre à la volonté des
électeurs. Peut-être les citoyens se sont-ils trompés ?
Peut-être n'ont-ils pas compris l'importance des enjeux
et des intérêts qui étaient en cause ? Peut-être l'histoire
leur donnera-t-elle tort, en définitive ? Mais la démo-
cratie - dont le message rejoint ici celui de la sagesse
populaire - le veut ainsi. Sur le moment, en tout cas, le
peuple a toujours raison.
Encore faut-il que ce peuple se soit exprimé « à la
loyale ». D'où l'importance du contentieux électoral.
Ce contentieux n'a pas la prétention de substituer le
verdict du juge au verdict de l'électeur. Il a des ambi-
tions plus limitées. Il se donne pour objectif de faire
respecter des règles élémentaires de loyauté. De ce
point de vue, il entreprend de rectifier des erreurs, de
corriger des irrégularités, de faire respecter les règles de
forme et de fond qui enserrent le processus électoral.
Dans cette perspective restreinte mais essentielle,
les autorités - parlementaires ou juridictionnelles -
qui ont en charge le contentieux électoral ne peuvent
s'empêcher de faire preuve d'une prudence aiguisée.
Elles ne sauraient s'avancer sur ce terrain politique-
ment brûlant sans s'assigner des consignes et des
mises en garde.
La prudence des autorités électorales tient à l'objet
du contentieux. Il s'agit de vérifier si les conditions de
régularité - souvent minutieuses - qui doivent entou-
rer et accompagner l'élection ont bien été respectées. Il
s'agit de vérifier si la règle du jeu électoral n'a pas été
enfreinte de manière délibérée. Il s'agit encore de véri-
fier si les résultats de l'élection ne se trouvent pas faus-
sés de manière patente.
Il ne s'agit pas, par contre, de sonder les reins et les
cœurs pour savoir ce que veulent vraiment les
citoyens - électeurs. Il ne s'agit pas de s'interroger sur
la validité ou la pertinence de leur choix. Il suffit de
vérifier si les conditions dans lesquelles ils se sont
exprimés étaient régulières.
La prudence des autorités électorales tient aussi aux
méthodes qu'elles sont amenées à mettre en œuvre... Le
juge électoral - quel qu'il soit, quelle que soit sa légiti-
mité ou son autorité - ne peut avoir la prétention de
reconstituer l'ensemble du processus électif - pour sup-
puter, par exemple, modèle informatique à l'appui, les
résultats d'une élection qui se serait déroulée dans
d'autres conditions.
Il ne peut prétendre imposer sa volonté à celle
- réelle ou fictive - du peuple. Il se contentera le plus
souvent de siffler les fautes grossières, de censurer
les irrégularités manifestes ou de réprimer les infrac-
tions graves.
Il faut admettre ce fait politique qui est aussi un fait
juridique. Le contentieux électoral a vocation à se
mouvoir dans le domaine du contrôle marginal. Les
peccadilles, les maladresses, les fautes vénielles, les
infractions légères ne sauraient retenir durablement
son attention.
La modération que manifestent les autorités électo-
rales tient aussi aux finalités du contrôle qu'elles exer-
cent... A la différence d'autres contentieux objectifs, le
contentieux électoral ne peut se contenter de faire
œuvre négative. Les réalités politiques sont telles. L'as-
semblée doit se réunir, elle doit délibérer, elle doit
voter la loi, elle doit arrêter le budget, elle doit contrô-
ler le gouvernement. Un excès de formalisme de la part
du juge peut paralyser, non seulement le processus
électoral, mais aussi le processus législatif et, pour tout
dire, le processus démocratique.
Par fonction, le juge ne peut faire œuvre purement
négative. Il doit aussi s'efforcer, dans la mesure de ses
moyens, de remplir une mission pacificatrice. Certes, le
contentieux objectif peut l'amener à censurer, et donc
à annuler si besoin en est. Il empiéterait, cependant,
sur les volontés du corps électoral s'il entendait substi-
tuer son verdict à celui des urnes. La voie du contrôle
est étroite. Le juge électoral doit, sans rien ignorer des
prétentions des parties, essayer de faire œuvre aussi
constructive que possible.
Comment s'y prendra-t-il ? Comment fera-t-il œuvre
utile ? A chaque instant, il gagnera à se poser deux
questions.
La première. Ou mettre le fléau de la balance ?
C'est la question de la mesure du contentieux électo-
ral. Selon les États, selon les époques, selon les
régimes politiques, les exigences de moralité, mais
aussi celles de légalité et, pourquoi pas ?, de constitu-
tionnalité peuvent varier. Il reste au citoyen à se
montrer exigeant.
Que veut-il ? Que cherche-t-il ? Quelles sont les
valeurs politiques qu'il entend promouvoir? A quel
type de campagne électorale - explication, proposi-
tions, débat, arketing... - vont ses préférences ? Il
n'est pas certain que des réponses claires soient tou-
jours fournies à ces questions et que le juge électoral
trouve donc des critères précis d'appréciation. Il n'est
pas non plus établi que des réponses changeantes ne
seront pas apportées, au gré des circonstances, par le
citoyen d'aujourd'hui.
La seconde question est différente. Ou mettre le
glaive de la justice? C'est la question de l'enjeu
du contentieux électoral. Selon les États, selon les
époques, selon les régimes politiques aussi, les préoc-
cupations de faire œuvre constructive, correctrice,
réparatrice seront plus ou moins affirmées. Le conten-
tieux électoral peut contribuer à l'édification de l'État
de droit.
Il s'agit d'un contentieux parmi d'autres. Spéci-
fique, sans doute, mais s'inscrivant aussi aux confins
d'une activité juridictionnelle diversifiée et plus com-
plexe. Comment n'en porterait-il pas la trace ? Il va
de soi que si le citoyen, encore lui..., n'accorde guère
de crédit à l'œuvre du juge, il ne saurait croire outre
mesure dans l'œuvre de contentieux électoral. Si le
citoyen investit le juge d'un ensemble de missions
qu'il juge indispensables dans une société démocra-
tique, il manifestera plus de compréhension pour la
démarche qu'accomplissent les autorités électorales,
en ce compris les autorités de justice, avant ou après
les élections.
De la même manière, si le contentieux électoral est
assumé par l'assemblée parlementaire, il ne s'agit évi-
demment que d'une activité réduite - liminaire, en
quelque sorte - de l'assemblée. Si le citoyen n'éprouve
guère d'estime pour le travail parlementaire, en géné-
ral, manifestera-t-il quelque attention aux opérations
de vérification des pouvoirs ? S'il reconnaît, au
contraire, que l'assemblée assume des tâches impor-
tantes pour le fonctionnement d'une société démocra-
tique, il se préoccupera à juste titre de savoir comment
elle est composée et comment elle vérifie la validité de
l'élection de ses membres.
Car, telle est la morale de l'histoire, le contentieux
électoral n'est pas seulement l'œuvre des juges. Il n'est
pas seulement l'affaire des candidats en lice. Il n'est pas
seulement l'entreprise des assemblées. Il peut aussi
devenir - et de plus en plus - la préoccupation des
citoyens.
Qui peut s'en plaindre en démocratie ?
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Imprimé en France
Imprimerie des Presses Universitaires de France
73, avenue Ronsard, 41100 Vendôme
Avril 1998 — N°44 352
Que -sais-ie ?
COLLECTION ENCYCLOPÉDIQUE
fondée par Paul Angoulvent
dirigée par Anne-Laure Angoulvent-Michel

En France, mais aussi dans les autres Derniers titres parus


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3307 La neutronique
législatives donnent lieu à un P. REUSS
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de Louvain. Il est l'auteur du « Que 3315 Le procureur de la République
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2020 à julio cham

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