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Boujema BOUAZZAOUI
Professeur à la faculté de Droit, Salé
L’opération électorale est complexe. Elle « s’analyse en une série d’actes discontinus
émanant d’organes hétérogènes » (1). Cette opération complexe est, elle-même, précédée
d’actes préliminaires tels la convocation des électeurs, le découpage électoral, la déclaration
de candidature… Il s’agit selon R. Ghevontian de tous les actes administratifs qui constituent
le préalable à l’élection elle-même et qui ont un lien nécessaire et direct avec elle (2).
Ces actes préparatoires ont d’autant plus d’importance qu’ils déterminent les conditions
dans lesquelles se déroule l’élection et par là même exercent une influence sur la sincérité
du scrutin (3). Le fait que ces actes émanent des autorités administratives fait apparaître un
risque qui est de voir ces autorités utiliser les pouvoirs qu’elles détiennent afin de façonner
le scrutin. Ceci révèle l’importance du contrôle juridictionnel sur ces actes si l’on veut
mettre l’opération électorale à l’abri de tout subjectivisme politique. D’autre part, à
l’heterogeneité des actes formant le processus électoral s’ajoute un éclatement du
contentieux électoral. Le contrôle juridictionnel des élections paraît d’une intensité
variable. En effet, si le contentieux « post-électoral » peut paraître ne soulever aucune
difficulté, le contentieux « pré électoral » est souvent l’objet d’un contrôle minimum,
restreint ou laissé dans l’ombre (3b).
Et c’est dans le cadre de ce contrôle à « faible intensité », que se situe le problème du
contrôle des actes préparatoires des élections législatives, où la question centrale demeure
la définition de l’autorité compétente en la matière. Il s’agit de savoir qui du juge de
l’élection ou du juge de l’annulation est compétent ?
(1) Charnay (J.P.), « Le Contrôle de la régularité des élections parlementaires », L.G.D.J. 1984.
(2) Chevontian (R), « Un labyrinthe juridique : le contentieux des actes préparatoires en matière d’élections politiques »,
R.F.D. adm. 10 (4) juillet-août 1994, p. 795.
(3) Ibidem.
La notion de « sincérité du scrutin»est, sans doute, l’une des plus répandues du contentieux électoral. Le juge quel qu’il
soit l’utilise très fréquemment dans ses décisions et lui fait même jouer un rôle majeur puisque c’est son respect ou son
atteinte qui détermine, le plus souvent, le sort du contentieux. cf. R. Ghevontian, « La notion de sincérité de scrutin »,
in les Cahiers du C.C. n° 13.
(3b) Cf.F. Delpérée, « Le contentieux électoral en Europe », C.C.C. 13.
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Si cette question est posée assez vite, c’est parce qu’en France « La concurrence »
relative à la répartition des compétences entre le conseil constitutionnel et le conseil d’Etat
dans le contentieux des élections parlementaires et particulièrement celui des actes
préparatoires a connu de nombreux rebondissements qui ont donné lieu à une abondante
littérature doctrinale. M. Ghévontian a déjà fait le constat : « le contentieux des actes
préparatoires en matière électorale prend bien la forme d’un labyrinthe où succèdent
impasses et fausses pistes » (4).
Au Maroc, et comme conséquence du mimétisme Juridique, la situation est presque la
même. C’est-à-dire qu’il n’y a pas une réponse claire à la question suivante : A qui
appartient la compétence pour statuer sur la légalité des actes préparatoires au juge
administratif ou au juge constitutionnel ?
A première vue, il apparaît que le conseil constitutionnel est compétent pour censurer la
légalité de ces actes, du fait, que l’article 81 de la constitution de 1996 prévoit que le conseil
constitutionnel « statue sur la régularité de l’élection des membres du parlement ». Mais au
niveau de la pratique, et comme on va le démontrer plus tard, la situation semble différente
car en examinant la jurisprudence du conseil constitutionnel nous ne tarderons pas à
découvrir que cet organe interprète les textes définissant sa compétence d’une manière qui
exclut toute sorte de contrôle sur les préliminaires de l’élection (I).
Or si ces actes échappent à tout contrôle du juge électoral, relèvent-ils de la compétence
du juge de l’excès de pouvoir. Cette solution aussi prometteuse soit-elle, ne semble pas
facile à l’atteindre, dans la mesure où l’existence d’un autre juge peut présenter un obstacle
à ce qu’une semblable action soit intentée devant le juge administratif (II). Dès lors, il
semble que nous sommes face à un cas de déni de justice. Ce dernier comme l’a souligné
L. Favoreu peut tenir à une défaillance de l’organisation juridictionnelle, à une malfaçon
législative dans la répartition des compétences entre les différentes juridictions malfaçon,
d’où résultent des lacunes, des hiatus (5). Pour pallier ce déni de justice, il est nécessaire de
recourir à une répartition des compétences. Ce résultat pourrait être atteint en opérant une
sorte de distinction au sein des préliminaires électoraux entre ceux qui peuvent relever de
la compétence du juge de l’élection et ceux qui peuvent être censurer par le juge de l’excès
de pouvoir.
(6) Favoraeu (L.) et Philip(2), les Grandes décisions du conseil constitutionnel, 6e, éd. 1991.
(7) Solamon (J), « Les opérations préparant les élections devant le juge de l’excès de pouvoir », Revue du droit public,
LGDJ 73 année, p. 607.
(8) Rainaud (J.M.), « La distinction de l’acte réglementaire et de l’acte individuel », L.G.D.J., Paris, 1966, p. 67.
Bellot, Rec. P 364 R.D. pub. 1963). Dans un considérant de principe le conseil d’Etat
proclame « qu’il n’appartient qu’au conseil constitutionnel d’apprécier la légalité des actes
qui sont les préliminaires des opérations électorales » (9).
Vingt ans plus tard le conseil d’Etat réaffirme sa jurisprudence en se déclarant
incompétent dans des termes clairs : « Il n’appartient qu’au conseil constitutionnel, juge
de l’élection, d’apprécier la légalité des actes qui sont les préliminaires des opérations
électorales (10) ». Selon J.P. Charnay, « la jurisprudence du conseil d’Etat s’explique
moins, en fait, par la volonté de respecter la compétence de l’organe vérificateur, que par
la crainte d’entrer en conflit avec lui à propos de l’appréciation de la légalité d’un acte
préliminaire » (11).
Au Maroc, les recours contre les préliminaires électoraux sont d’une rareté remarquable.
L’examen de la jurisprudence en la matière ne relève qu’un cas isolé, et dont la référence à
la question de savoir si le juge administratif est compétent reste incertain (12).
Si cette jurisprudence du juge administratif s’explique comme on a pu le noter plus haut,
par le respect de la compétence de juge électoral. Ce dernier a montré, que ce soit ou Maroc
ou en France, à plusieures reprises qu’il ne vérifie que la régularité de l’élection proprement
dite. Et, on comprend par la suite que la actes préparatoires échappent à son contrôle. Ceci
entraînera bel et bien une lacune juridictionnelle qui découle de l’incompétence des deux
juge (juge de l’excès de pouvoir et juge de l’élection l).
Cette lacune juridictionnelle a obligé le conseil constitutionnel français à jouer un rôle
qui n’est pas le sien. En effet, en 1981 des requérants saisissent tout d’abord le conseil
d’Etat pour annuler le décret de convocation des électeurs pour les élections législatives. Le
conseil d’Etat, fidèle à sa jurisprudence traditionnelle, se déclare incompétent. Et ceci a
obligé les parlementaires auteurs du recours de se tourner vers le conseil constitutionnel qui
accepta alors d’examiner directement la légalité du décret (13).
Ainsi le juge constitutionnel, conscient de la nécessité de remédier à un déni de Justice,
accepte finalement d’élargir sa compétence au contrôle de la légalité, par la voie de l’action,
des actes préliminaires aux élections législatives, ce qui le transforme, à l’occasion, en un
véritable juge de l’excès de pouvoir (14).
Mais cette intervention du juge constitutionnel, même s’il a comme avantage de combler
un vide juridique, ne semble pas adéquate. D’une part, le juge de l’élection n’est pas le juge
de l’excès de pouvoir dans le sens qu’il est incompétent pour connaître la légalité des actes
préliminaires. D’autre part, ce contrôle n’est ni satisfaisant pour le requérant ni efficace
pour la sincérité de l’opération électorale. Tout cela nous conduit à chercher parmi les actes
préparatoires aux élections ceux qui sont détachables pour les soumettre au contrôle du juge
administratif et ceux qui ne sont pas détachables et leur contrôle relève par la suite de la
compétence du juge électoral.
C’est dans cette voie que semble s’engager aujourd’hui le conseil d’Etat français (20).
Il laisse clairement comprendre qu’il a l’intention de récupérer désormais les compétences
qu’il avait abandonnées au conseil constitutionnel (21).
Au Maroc, le juge administratif s’est référé récemment à cette distinction entre actes
attachables et actes détachables. Ainsi le tribunal administratif de Casablanca a considéré
que les actes détachables en matière électorale sont ceux qui ne sont pas intimement liés aux
opérations électorales (22). A son tour la cour suprême a exprimé son intention de connaître
les recours dirigés contre le décret relatif au découpage électoral (23).
(20) CE, Ass, 12 mars, union national écologiste et parti pour la défense des animaux, Rec., p. 67.
(21) Ghevontian (R.), observations sous CC, 20 mars 1997 Mme Richard, RED adm. 13 (4) juillet-août 1997, p. 698.
(22) Jugement n° 1528, le 23/10/2003, dossier n° 1552/2003 ⁄.
(23) La Cour suprême, jugement numéro 592, le 31-7-2003, dossier administratif 01/24/2002.