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S TRUCTURES GOUVERNEMENTALES ET INSTITUTIONS NATIONALES DES DROITS DE L’ HOMME : EXPÉRIENCES ET PERSPECTIVES

LA PRÉSENTATION DES RAPPORTS ÉTATIQUES AUX ORGANES


INTERNATIONAUX DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

Vincent ZAKANE
Secrétaire général du Ministère de la Promotion
des droits humains (Burkina Faso)

L a plupart des conventions internationales relatives aux droits de l’Homme


font obligation aux Etats parties de fournir et de présenter régulièrement
aux organes de surveillance qu’elles instituent des rapports sur la mise en
œuvre de leurs dispositions au plan interne. Cette obligation conventionnelle,
qui pèse sur les Etats parties, permet ainsi la mise en œuvre d’un des
mécanismes spécifiques les plus répandus de contrôle de l’application des
conventions internationales de promotion et de protection des droits de
l’Homme, à savoir le contrôle par voie de rapport.

Celui-ci fait, en effet, partie des nombreux mécanismes de contrôle que


mettent en œuvre les conventions de protection des droits de l’Homme. D’une
manière générale, on distingue deux grandes catégories de mécanismes
spécifiques de contrôle de l’application des conventions de protection des
droits de l’Homme : le contrôle juridictionnel et les contrôles non
juridictionnels. Le premier, peu répandu, est confié à un organe juridictionnel
qui statue sur un cas d’espèce de violation ou d’allégation de violation des
droits de l’Homme par une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée.
Offrant une garantie effective du respect des droits de l’Homme, ce mécanisme
n’est cependant organisé que dans deux conventions régionales : la
Convention européenne des droits de l’Homme de 1950 et la Convention
interaméricaine des droits de l’Homme de 196958. Les seconds mécanismes de

58 A noter que le Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples
portant création d’une Cour africaine des droits de l’Homme et des Peuples, adopté à
Ouagadougou le 28 juin 1998, à l’occasion du 34ème Sommet de la Conférence des Chefs

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contrôle, en revanche, sont confiés à des organes non juridictionnels ne


disposant pas de pouvoir de sanction et appelés à exercer un simple contrôle
administratif sur l’application des dispositions conventionnelles. De caractère
non contraignant, en ce qu’ils n’aboutissent jamais à des décisions obligatoires
en droit, ces mécanismes, qui sont essentiellement aménagés dans les
instruments universels des droits de l’Homme, sont multiples et divers ; mais
les plus importants d’entre eux sont : le contrôle sur plainte ou par voie de
pétition, qui permet à l’organe non juridictionnel de recevoir et examiner en
droit des plaintes formulées par des Etats et/ou des particuliers, sans pour
autant pouvoir statuer par une décision obligatoire, et le contrôle sur rapport,
qui permet à l’organe de contrôle d’apprécier une situation générale,
indépendamment de l’existence d’une plainte ou d’une violation des droits de
l’Homme59.

Contrairement à la procédure juridictionnelle et à la procédure sur plainte, qui


permettent à l’organe de contrôle saisi de statuer sur des faits précis qui lui
sont soumis, le mécanisme de présentation des rapports étatiques consiste,
pour les Etats parties a une convention internationale, à rendre compte
régulièrement, selon une périodicité variable, des mesures d’ordre interne,
notamment institutionnelles, législatives, réglementaires ou administratives,
pour donner effet aux engagements auxquels ils ont souscrit en ratifiant ladite
convention. Il ne suppose donc pas l’existence de faits précis constituant des
allégations de violation des droits de l’Homme, ni l’intervention d’un tiers
déclenchant la procédure. A cet effet, les Etats parties sont tenus de fournir à
un organe compétent pour l’examiner un document écrit contenant des
renseignements sur les mesures prises par eux pour mettre en œuvre les
dispositions internationales de protection des droits de l’Homme et qui fera
l’objet d’une présentation officielle par une délégation étatique, suivie de
discussions entre celle-ci et l’organe compétent. A l’issue de ce débat, l’organe
compétent en tire des conclusions a l’intention de l’Etat partie concerné.

d’Etat et de Gouvernement de l’Organisation de l’Unité africaine, organise également un


contrôle juridictionnel de l’application de la Charte africaine des droits de l’Homme et des
Peuples. Toutefois, ce mécanisme n’est pas encore fonctionnel, le Protocole n’étant pas
encore entré en vigueur, faute de ratifications suffisantes.
59 Sur la diversité des mécanismes internationaux de contrôle des conventions de protection
des droits de l’Homme, consulter, par exemple : Jean CHARPENTIER, « Le contrôle par
les organisations internationales de l’exécution des obligations des Etats », in RCADI,
1983. IV, vol. 182, pp. 143-246 ; Jean SALMON, « Essai de typologie des systèmes de
protection des droits de l’Homme », in La protection internationale des droits de
l’Homme, Univ. Libre de Bruxelles, 1977, pp. 173-206 ; Frédéric SUDRE, Droit
international et européen des droits de l’Homme, Paris, PUF, Coll. Droit fondamental, 4è
éd. mise à jour, 1999, pp. 339-460.

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La présentation des rapports étatiques devant les organes internationaux


apparaît ainsi comme un mécanisme de contrôle de l’application des
conventions internationales de protection des droits de l’Homme, en ce qu’elle
vise à s’assurer que les Etats parties se conforment à leurs obligations
conventionnelles. Aménagé également dans d’autres domaines du droit
international60, ce mécanisme de contrôle joue cependant un rôle
particulièrement important en matière de protection internationale des droits
de l’Homme. Il constitue, en effet, parmi les mécanismes internationaux de
protection des droits de l’Homme aménagés dans les conventions
internationales, le mécanisme de contrôle qui a la faveur des Etats, compte
tenu de son caractère non contraignant, souple et respectueux de leur
souveraineté.

C’est pourquoi d’ailleurs il a les faveurs très nettes des conventions


universelles de protection des droits de l’Homme. En effet, les sept instruments
internationaux principaux relatifs aux droits de l’Homme adoptés dans le cadre
des Nations Unies prévoient l’obligation pour les Etats parties de présenter,
selon des procédure analogues, des rapports sur leur application :

– la Convention sur l’élimination de toutes les formes discriminations


raciale du 7 mars 1966 (art. 9) ;
– le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre
1966 (art. 40) ;
– le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels
du 16 décembre 1966 (art. 16, 17) ;
– la Convention sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid du 30
novembre 1973 (art. 7) ;
– la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination a
l’égard des femmes du 18 décembre 1979 (art. 18) ;
– la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984 (art. 19) ;
– la Convention contre l’apartheid dans les sports du 10 décembre 1987
(art. 12) ;
– la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989
(art. 44).

60 Le mécanisme de présentation des rapports étatiques est, en effet, aménagé également


dans des conventions de protection de l’environnement et dans des conventions
consacrées au désarmement. Il en va ainsi, par exemple, de la Convention-cadre des
Nations Unies du 9 mai 1992 sur les changements climatiques (art. 12, al. 1, b et c), de
la Convention des Nations Unies du 5 juin 1992 sur la diversité biologique (art. 26).

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Mais, le mécanisme de contrôle sur rapport n’est pas ignoré des systèmes
régionaux de protection des droits de l’Homme. Il est, en effet, prévu aussi
bien par la Convention européenne des droits de l’Homme que par la
Convention interaméricaine des droits de l’Homme et par la Charte africaine
des droits de l’Homme et des Peuples61.

En Afrique en particulier, le système de la présentation des rapports étatiques


devant la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples
constitue l’un des deux mécanismes fondamentaux de garantie des droits de
l’Homme, à côté du mécanisme des communications plaintes, et ce, en
l’absence d’un véritable mécanisme juridictionnel de protection des droits de
l’Homme.

Quel que soit cependant le cadre dans lequel il est organisé, le mécanisme de
présentation des rapports étatiques invite à s’interroger sur son efficacité en
tant que mécanisme international de protection des droits de l’Homme. En
d’autres termes, ce mécanisme constitue-t-il une véritable garantie
internationale des droits de l’Homme ?

Pour de nombreux auteurs et défenseurs des droits de l’Homme, il n’y a de


véritables garanties des droits de l’Homme que les contrôles juridictionnels ou,
à tout le moins, les mécanismes de contrôle impliquant la possibilité pour les
particuliers de saisir par une plainte un organe international62. Pourtant, le
contrôle sur rapport, s’il est bien administré, permet non seulement de
prévenir des atteintes flagrantes et systématiques aux droits de l’Homme, mais
également d’améliorer progressivement l’ensemble du dispositif national de
protection des droits de l’Homme.

Certes, il s’agit là d’un mécanisme non contentieux de protection des droits de


l’Homme qui ne peut en soi offrir de réparation aux victimes, ni les protéger

61 La Convention interaméricaine relative aux droits de l’Homme, adoptée à San José de


Costarica, le 22 novembre 1969, prévoit, en effet, dans ses articles 41 à 43, un
mécanisme de présentation de rapports étatiques dont la mise en œuvre est assurée par
la Commission interaméricaine des droits de l’Homme. De même, l’article 62 de la Charte
africaine des droits de l’Homme et des Peuples du 27 juin 1981 fait obligation aux Etats
parties de présenter tous les deux ans un rapport sur les mesures d’ordre législatif ou
autre prises en vue de donner effet aux droits et libertés reconnus et garantis dans la
Charte.
62 Selon Frédéric SUDRE, par exemple, seules les techniques juridictionnelles « offrent une
garantie effective des droits de l’Homme et donnent tout son sens au droit d’action
individuelle qui fonde le droit international des droits de l’Homme », Op. cit., p. 341.

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contre l’impunité (I). Toutefois, du fait de sa souplesse et de sa vertu


pédagogique, il peut se révéler particulièrement efficace pour l’ensemble du
dispositif national de protection des droits de l’Homme (II).

I – UN MÉCANISME NON CONTENTIEUX

La présentation des rapports étatiques devant les organes internationaux est,


avant tout, un mécanisme international de contrôle de l’application des
conventions internationales relatives aux droits de l’Homme. Intervenant
indépendamment de l’existence d’un litige sur des allégations de violations des
droits conventionnellement protégés, elle se déroule devant un organe non-
juridictionnel (A) et revient à confier le contrôle aux Etats eux-mêmes, ce qui
en fait un système d’autocontrôle (B).

A. Un mécanisme non-juridictionnel.

Contrairement au contrôle juridictionnel, qui se déroule devant un organe


juridictionnel et donne lieu à des décisions revêtues de l’autorité de la chose
jugée, le contrôle par voie de rapport se déroule devant une instance non-
juridictionnelle et a un caractère non contraignant, en ce qu’il n’aboutit jamais
à des décisions obligatoires en droit. Il permet à l’organe de contrôle de se
livrer à un examen de situations générales, indépendamment de l’existence
d’un litige déjà né. La procédure du rapport constitue donc un mécanisme de
contrôle préventif qui permet d’évaluer périodiquement les résultats obtenus
par les Etats parties à une convention donnée et d’exercer une ‘’fonction
internationale d’orientation des politiques nationales’’, selon l’heureuse
formule du professeur Frédéric SUDRE63. Aménagé dans la plupart des
conventions universelles des droits de l’Homme, ce mécanisme non-
juridictionnel revêt cependant deux modalités différentes, selon que l’examen
de ces rapports est confié à un organe indépendant ou à un organe
intergouvernemental. Dans le premier cas, il revêt un caractère administratif et
technique (1), tandis que dans le second, son caractère politique est
indéniable (2).

1. Le contrôle administratif et technique

Le contrôle administratif et technique permet l’examen des rapports fournis


par les Etats par un organe indépendant, généralement compose d’experts

63 Voir Frédéric SUDRE, Droit international et européen des droits de l’Homme, Paris, PUF,
4e éd., 1999, n° 280.

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indépendants élus, qui siègent à titre individuel et indépendamment de leurs


gouvernements respectifs. Il en va ainsi, par exemple :

– du système de rapports prévu par la Convention sur l’élimination de


toutes les formes de discrimination raciale, du 7 mars 1966, dont l’article
9 confie au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CEDR)
le soin de recevoir et d’examiner les rapports fournis par les Etats parties.
Institué par l’article 8 de la Convention, le CEDR est composé de 18
experts indépendants, connus pour leur haute moralité et leur
impartialité, élus par les Etats parties parmi leurs ressortissants et qui
statuent à titre individuel, indépendamment de leur gouvernement ;

– du système de rapports prévu par le Pacte international relatif aux droits


civils et politiques du 16 décembre 1966, dont l’article 40 confie au
Comite des droits de l’Homme (CDH), créé par l’article 28, le soin de
recevoir et examiner les rapports fournis par les Etats parties sur les
mesures qu’ils ont arrêtées pour donner effet aux droits reconnus dans le
Pacte. Le CDH est également composé de 18 experts indépendants, élus
par les Etats parties parmi leurs ressortissants et oui statuent à titre
individuel ;

– du système de rapport établi par le Pacte international relatif aux droits


économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966, qui confie au
Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CDESC) la charge de
recevoir et examiner les rapports fournis par les Etats parties en vertu des
articles 16 et 18 du Pacte. Créé en 1978 par une décision du Conseil
économique et social des Nations Unies, en tant qu’organe subsidiaire de
celui-ci, le CDESC est également composé de 18 experts indépendants
élus pour leur compétence par le Conseil économique et social des
Nations Unies (ECOSOC) ;

– du système de rapports prévu par la Convention sur l’élimination de


toutes les formes de discrimination a l’égard des femmes du 18 décembre
1979, dans lequel le contrôle est opéré par le Comité pour l’élimination
de la discrimination à l’égard des femmes (CDAW), organe indépendant,
compose de 23 experts indépendants élus par les Etats parties parmi
leurs ressortissants et qui siègent à titre personnel ;

– du système de contrôle par voie de rapports institué par la Convention


contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants, dans lequel le contrôle est confié au Comité contre la torture
(CCT), composé de dix experts de haute moralité et possédant une

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compétence reconnue dans le domaine des droits de l’Homme, élus par


les Etats parties et qui siègent à titre personnel ;

– du système de contrôle par voie de rapports établi par la Convention


relative aux droits de l’enfant (CDE) ; organe indépendant compose de 10
experts de haute moralité, possédant une compétence reconnue dans le
domaine de la Convention, élus par les Etats parties parmi leurs
ressortissants et siégeant à titre personnel.

Compte tenu de l’indépendance de ces divers organes de contrôle, le contrôle


sur rapport ainsi opéré par eux échappe de prime abord aux pressions et
influences politiques, ce qui tend à en faire un véritable contrôle administratif
et technique susceptible d’être parfois très efficace.

2 – Le contrôle politique

Le contrôle politique est celui opéré par un organe politique, c’est à dire un
organe composé de représentants gouvernementaux, donc dépendants de la
volonté des Etats. Bien que plus réaliste que le contrôle technique, parce que
réalisé par des organes politiques ou intergouvernementaux, mieux à même
d’apprécier les difficultés d’application des dispositions relatives aux droits de
l’Homme, ce type de contrôle échappe difficilement aux considérations
politiques. Il est, en effet, le plus souvent dominé davantage par des
considérations politiques que par des considérations juridiques. Aussi, le
respect des droits de l’Homme est-il apprécié le plus souvent à l’aune des seuls
intérêts nationaux, ce qui tend à faire de ce type de contrôle un instrument de
combat idéologique, voire un moyen de propagande politique utilisé à des fins
politiques ou géo-strategique.

Les divers systèmes de contrôle sur les rapports établis au sein de la


Commission des droits de l’Homme (CDH) des Nations Unies répondent
parfaitement a ces caractéristiques.

Composée de 53 experts gouvernementaux (depuis 1992) agissant sur


instructions de leur gouvernement, la CDH est un organe inter-gouvernemental
qui n’échappe pas aux considérations politiques de ses Etats membres, ni aux
pressions de groupes que ceux-ci exercent entre eux. Elle peut ainsi demander
à des Etats membres des Nations Unies, indépendamment de leur ratification
ou non d’une convention déterminée, de lui fournir des rapports périodiques
sur les progrès réalisés par eux dans le domaine des droits de l’Homme.

Le Conseil économique et social a ainsi invité les Etats membres des Nations
Unies a présenter, à la Commission, des rapports sur les droits de l’Homme

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selon un cycle triennal : La première année sur les droits civils et politiques, la
deuxième année sur les droits économiques, sociaux et culturels et la
troisième année sur la liberté d’information. Ce système de rapport, très prisé
par les Etats, parce que non contraignant, est cependant d’une efficacité
limitée, même au regard de son objectif essentiel qui est celui de l’information.
De fait, il est fréquent que les Etats ne fournissent pas les rapports demandés
ou ne les transmettent qu’avec beaucoup de retard.

B - Un mécanisme d’autocontrôle

La présentation des rapports étatiques aux organes internationaux s’analyse,


en réalité, comme un mécanisme d’autocontrôle, en ce qu’elle revient en fait à
confier aux Etats eux-mêmes le soin de se contrôler quant au respect des
dispositions conventionnelles relatives aux droits de l’Homme. Autrement dit,
ce type de contrôle, qui se veut respectueux de la souveraineté des Etats ainsi
contrôlés, est entièrement tributaire de la volonté de coopération de ces Etats.
En effet, l’intérêt de ce contrôle sera variable selon que les Etats sont disposés
ou non à fournir de tels rapports, à discuter avec l’organe de contrôle ou même
a fournir objectivement toutes les informations demandées.

Cette prééminence de la volonté des Etats est donc manifeste aussi bien au
stade de l’élaboration même du rapport qu’à celui de la présentation orale de
celui-ci.

1 – La prééminence de la volonté des Etats au stade de l’élaboration du rapport

Contrairement au contrôle juridictionnel et au contrôle sur plainte, qui sont


déclenchés par un particulier ou par un autre Etat et conduisent à une
confrontation entre deux parties en litige, le contrôle sur rapport est déclenché
par l’Etat lui-même qui se retrouve seul devant l’organe de contrôle, dans une
sorte de dialogue. Il n’y a pas, ici, de mise en œuvre du principe du
contradictoire, l’Etat devant simplement se livrer à un dialogue avec l’organe
de contrôle.

Il appartient, en principe, aux Etats de répondre au souci d’investigation des


organes de contrôle en s’efforçant de fournir dans leur rapport des
informations et des explications aussi exhaustives que possible sur
les mesures d’ordre interne prises par eux pour donner effet aux dispositions
internationales de protection des droits de l’Homme. Les Etats restent donc
maîtres du mécanisme de contrôle au stade de l’élaboration du rapport, dans
la mesure où l’intérêt de la procédure dépendra largement des renseignements
fournis par les Etats dans le rapport lui-même.

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Certes, afin d’amener les Etats à une coopération fructueuse dans ce domaine,
la plupart des organes de contrôle ont élaboré et mis à la disposition des Etats
des directives sur l’élaboration des rapports, qui concernent aussi bien leur
forme et leur structure que la nature et les types d’informations qu’ils doivent
contenir.

Toutefois, dans la pratique, non seulement ces directives ne sont pas toujours
suivies par les Etats, mais en outre les Etats ne fournissent généralement que
les informations qu’ils veulent bien fournir aux organes de contrôle. Or, en la
matière, l’organe de contrôle ne peut examiner au premier chef que les
informations fournies par les Etats. Tout dépend donc de la bonne volonté de
coopération des Etats et du climat de confiance qui règne entre eux et les
organes de contrôle. Malheureusement, il y a, en la matière, une certaine
méfiance des Etats à l’égard de cette forme de contrôle dont ils craignent
qu’elle n’entame leur souveraineté.

C’est pourquoi on constate de nombreux retards dans la fourniture de ces


rapports, certains Etats ne les fournissant jamais, d’autres cumulant plusieurs
rapports avant de les transmettre à l’organe de contrôle. Même dans les cas où
ces rapports sont produits, on constatera que les Etats concernés s’emploient
davantage à y justifier et expliquer leurs insuffisances qu’à y décrire
objectivement l’état réel des droits de l’Homme, y compris les difficultés qu’ils
éprouvent à donner effet aux engagements auxquels ils ont souscrit.

Il semble cependant qu’une évolution commence à se dessiner, notamment


avec la volonté de plus en plus affichée des Etats de soigner leur image, à la
faveur des progrès dans le monde dans le domaine de la démocratie et de l’Etat
de droit.

2 – La prééminence de la volonté des Etats au stade de la présentation orale du


rapport

Le rapport fourni à l’organe de contrôle par l’Etat fait généralement l’objet d’un
examen par l’organe de contrôle, en la présence de l’Etat concerné. A cette
occasion, il s’engage le plus souvent un véritable dialogue entre l’organe de
contrôle et l’Etat. A partir d’un exposé liminaire de son rapport présenté par
l’Etat contrôlé, il s’ensuit un jeu de questions – réponses, dans lequel l’organe
de contrôle s’efforce de demander des éclaircissements sur des points
ambigus du rapport ou d’interpeller l’Etat concerné sur les insuffisances de sa
législation nationale au regard des dispositions conventionnelles le liant et
violations constatées et l’Etat s’efforce de défendre et justifier ces
insuffisances.

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A ce stade également, l’Etat reste maître de la procédure de contrôle, dans la


mesure ou il peut peser considérablement sur celle-ci, selon qu’il se montre
ouvert au dialogue ou non. Il peut ainsi saisir l’occasion des discussions avec
l’organe de contrôle pour fournir des informations supplémentaires ou
actualisées non contenues dans le rapport écrit. Mais il peut également
s’opposer à tout dialogue ou s’abstenir de répondre à des questions qu’il juge
embarrassantes. On en déduit que la bonne volonté des Etats importe autant
ici qu’au stade de la transmission du rapport.

Au total, la procédure de contrôle par voie de rapports apparaît comme une


procédure d’autocontrôle de l’Etat quant au respect de ses engagements. La
portée d’un tel contrôle paraît très limité. Confier aux Etats le soin de se
contrôler eux-mêmes ne suffit pas, en effet, à assurer le respect des
dispositions conventionnelles. Toutefois, en pratique, le contrôle par voie de
rapports peut s’avérer particulièrement efficace à certains égards.

II – UN MÉCANISME SUSCEPTIBLE D’ÊTRE EFFICACE

Le mécanisme de la présentation des rapports étatiques aux organes


internationaux est-il, en pratique, efficace, au regard de ses objectifs qui sont
d’assurer le respect effectif des droits de l’Homme par un Etat, tout en
ménageant la souveraineté de celui-ci ? En d’autres termes, quelle est la portée
pratique d’un tel mécanisme ? A cet égard, il est indéniable que la présentation
des rapports étatiques a une portée juridique limitée (A). En revanche, leur
portée politique est indiscutable (B).

A – Un mécanisme de portée juridique limitée

Contrairement au mécanisme du contrôle juridictionnel, qui aboutit à une


décision obligatoire en droit pour les parties en litige, le mécanisme du
contrôle sur rapport ne comporte pas, en tant que tel, de contrainte pour l’Etat
concerné (1). La seule obligation qui pèse sur lui est celle de fournir les
rapports requis dans les délais indiqué. Mais, même dans ce cas, le défaut de
présentation desdits rapports ne fait pas l’objet de sanction. Pour autant, on
ne peut pas dire qu’il est dépourvu de tout effet juridique, dans la mesure où
il donne l’occasion a l’organe de contrôle de se livrer à une véritable
« investigation » (2).

1 – L’absence de contrainte

La présentation par les Etats de rapports devant les organes de contrôle donne
généralement lieu à un rapport d’évaluation établi par les organes de contrôle

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eux-mêmes. Ce rapport sur le rapport de l’Etat contrôlé se borne le plus


souvent à dresser des conclusions finales consistant en une évaluation
générale du rapport de l’Etat. Cette évaluation, fondée généralement sur une
confrontation de la législation et de la pratique interne de l’Etat contrôlé avec
les dispositions de la convention concernée, fait état des progrès réalisés dans
l’application de la convention, ainsi que des lacunes éventuelles, et contient
des recommandations pour remédier aux insuffisances.

Ainsi, depuis 1992, le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies adopte,
a l’issue de la présentation de chaque rapport étatique, des conclusions finales
– sans complaisance et parfois accablantes pour l’Etat – qui font état des
lacunes dans l’application du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques et n’hésite pas à formuler des observations et des recommandations
pour y remédier. Il se réserve même parfois le droit de décider qu’un ‘’Etat parie
ne s’est pas acquité de certaines de ses obligations qui lui incombent en vertu
du Pacte’’64.

Quelle que soit cependant l’ampleur ou l’importance des observations et


conclusions contenues dans les rapports d’évaluation des organes de contrôle,
ces rapports d’évaluation n’ont aucune force obligatoire, l’Etat concerné n’étant
nullement tenu en droit de s’y conformer, même si ces observations et
conclusions peuvent avoir une grande influence sur lui.

D’aucuns en ont déduit que le mécanisme des rapports est de portée juridique
quasiment nulle65. Il faut cependant observer que les conclusions de ces
rapports d’évaluation ne sont pas dépourvues de tout effet juridique, ne serait-
ce qu’au regard des constatations d’insuffisances et des recommandations
qu’elles contiennent. D’ailleurs, on pourrait se demander si dans certains cas
la procédure de contrôle sur rapport ne contient pas une certaine contrainte
pour l’Etat contrôlé, surtout lorsque l’organe de contrôle se livre à une véritable
investigation à travers l’examen du rapport fourni par l’Etat.

2 – La tendance à l’investigation

Si la procédure de contrôle sur rapport n’aboutit jamais à une décision


obligatoire en droit, elle n’est pas pour autant dans son ensemble dépourvue

64 Cf. article 70 du Règlement du Comité.


65 Voir, par exemple, Yves MADIOT, Droits de l’Homme, Paris, Masson, 2e éd., 1991, pp.
190-191.

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de toute contrainte pour l’Etat contrôlé. En effet, non seulement l’Etat est au
moins tenu de fournir et présenter les rapports requis, mais en outre il peut se
retrouver dans une situation d’autant plus inconfortable que la procédure
d’examen des rapports s’assimile parfois à une véritable procédure
d’investigation. Désireux de lier et de contrôler le plus efficacement possible
les Etats, certains organes de contrôle, surtout les organes indépendants,
tendent aujourd’hui à assurer, à travers leur contrôle, le respect maximum des
instruments internationaux sur la base desquels les rapports sont établis,
notamment en s’engageant dans ce que Régis de GOUTTES appelle « une
logique d’investigation »’66 qui s’avère relativement contraignante pour les
Etats. Il s’agit, en quelque sorte, d’amener les Etats à s’expliquer sur les
insuffisances et lacunes de la législation nationale au regard des dispositions
conventionnelles, voire à rendre compte publiquement de certains
manquements aux instruments internationaux qu’ils se sont volontairement
engagés à respecter.

Cette volonté des organes de contrôle d’obtenir des informations aussi


complètes et objectives que possible des Etats sur leur manière d’appliquer les
conventions apparaît, d’abord, clairement à travers les directives générales,
principes directeurs ou questionnaires préalables qu’élaborent les organes de
contrôle à l’intention des gouvernements sur la méthode de présentation des
rapports. Ces directives et autres principes directeurs demandent
généralement des rapports écrits détaillés comportant à la fois une description
du cadre social, économique, politique, institutionnel, judiciaire et
administratif de mise en œuvre de la convention concernée et une analyse des
modalités d’application de chaque disposition de la convention. Ces directives
demandent parfois que les rapports soient accompagnés des textes
constitutionnels, législatifs et réglementaires concernés et des mises à jour au
moment de la présentation orale desdits rapports67. De ce fait, l’organe de
contrôle peut, dans son analyse, se livrer à l’examen de tout le dispositif
institutionnel et normatif de mise en œuvre de la convention concernée, voire
de la pratique même de l’Etat, ce qui lui confère un véritable pouvoir
d’investigation qui ne dit pas son nom.

66 Régis de GOUTTES, ‘’La présentation des rapports français devant les organes mondiaux
de protection des droits de l’Homme’’, in Hubert THIERRY et Emmanuel DECAUX (dir.),
Droit international et droits de l’Homme. La pratique juridique française dans le domaine
de la protection internationale des droits de l’Homme, Paris, Montchrestien, 1990, pp.
163-182.
67 Voir, par exemple, les directives générales de la CEDAW du 11 août 1983, du Comité pour
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 6 décembre 1983, ou les
directives provisoires du Comite contre la torture de mai 1988.

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Ce pouvoir d’investigation de fait est également manifeste lors de l’examen


oral du rapport devant l’organe de contrôle qui, parfois, à travers ses
questions, se livre à un véritable interrogatoire de l’Etat concerné. En effet, la
séance d’examen oral du rapport se déroule généralement comme un véritable
débat ouvert entre l’organe de contrôle et l’Etat concerné : après un exposé
préliminaire du rapport par les représentants du gouvernement, l’organe de
contrôle pose un ou deux séries de questions parfois embarrassantes
auxquelles les représentants de l’Etat sont invités à répondre. Certaines de ces
questions sont soumises à l’avance à la délégation qui dispose alors du temps
nécessaire pour préparer les réponses appropriées. D’autres, en revanche, sont
posées séance tenante et peuvent ainsi gêner les représentants de l’Etat.

Ces questions sont généralement des questions techniques et juridiques et


peuvent concerner, par exemple, les pouvoirs, limites et fonctionnement de
telle ou telle institution, des lacunes ou ambiguïtés de la législation nationale,
les dysfonctionnements de l’appareil judiciaire ou de l’appareil administratif,
etc. Mais, certaines questions ont un caractère politique évident, dès lors
qu’elle touche l’exercice du pouvoir politique, certaines d’entre elles allant
jusqu’à la légitimité des opérations électorales, l’indépendance du pouvoir
judiciaire, voire des pratiques indélicates des forces de l’ordre, la corruption et
la gestion démocratique ou non du pouvoir suprême. Cette opération
d’investigation est d’autant plus embarrassante pour l’Etat qu’elle s’appuie le
plus souvent sur des rapports parallèles reçus par l’organe de contrôle des
ONG et associations de défense des droits de l’Homme qui n’hésitent pas à lui
dénoncer des cas ou situations flagrants de violations des droits de l’Homme.

Dans ces conditions, on voit difficilement comment un Etat, qui accepte une
telle épreuve ne ferait aucun effort pour tirer au moins certaines conséquences
juridiques des conclusions de l’organe de contrôle. Dans les faits, les Etats,
soucieux de garder une bonne image devant les organes de contrôle,
s’efforcent, entre deux rapports, de corriger les imperfections constatées.

Ainsi, bien que n’aboutissant pas à une décision contraignante pour les Etats,
la procédure de présentation des rapports n’en comporte pas moins des effets
juridiques s’analysant comme de véritables contraintes de fait. C’est pourquoi
les Etats sont parfois paradoxalement réticents a ce type de contrôle qui,
lorsqu’il se veut trop rigoureux, peut être considéré comme une atteinte à leur
souveraineté. Cependant, cette contrainte demeure incertaine dans la mesure
où les Etats peuvent toujours l’éviter ou la limiter, notamment en s’en tenant
au strict minimum requis ou en s’abstenant simplement de produire les
rapports demandés.

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En revanche, la portée politique de ce type de contrôle est parfois


considérable.

B – Un mécanisme de portée politique certaine

Si le mécanisme de la présentation des rapports étatiques a une faible portée


juridique, il a, en revanche une portée politique certaine, en ce qu’il interpelle
l’Etat a la fois sur son image au plan international et sur sa place dans le
concert des nations civilisées. Soucieux qu’ils sont de la nécessité de soigner
leur image au plan international (1) et de garder une bonne place dans le
concert des nations civilisées (2), les Etats soumis au contrôle peuvent
consentir les réformes nécessaires pour améliorer globalement leur système
national de protection des droits de l’Homme.

1 – La nécessité de soigner l’image de marque de l’Etat

C’est un truisme de dire que chaque Etat est, dans les relations internationales
contemporaines, soucieux de soigner son image et d’apparaître comme un Etat
sérieux, respectable et crédible. Or, la violation des droits de l’Homme par un
Etat, surtout lorsqu’elle atteint un certain degré de gravité, tend aujourd’hui à
ternir l’image de marque d’un Etat qui se fait « épingler ». Aussi, les Etats ne
tiennent-ils pas à se faire passer pour des Etats qui violent ou méconnaissent
les droits de l’Homme.

Dans cette perspective, la présentation des rapports étatiques, au-delà de sa


portée juridique réelle, prend parfois l’allure d’un « show politico-
diplomatique » dont l’enjeu pour l’Etat est de donner une bonne image de lui-
même à la communauté internationale. C’est pourquoi tous les Etats
s’efforcent, à cette occasion, d’apparaître comme des Etats respectueux des
droits de l’Homme et de leurs engagements internationaux, même si dans les
faits ils ne le sont pas toujours. A cet effet, ils fournissent le plus souvent des
explications abondantes sur les aspects positifs de leur législation et de leur
pratique interne et s’abstiennent, au besoin, de faire des commentaires sur les
insuffisances et les cas ou situations de violation des droits de l’Homme68.

Cette attitude des Etats, qui s’assimile à un « jeu politique », peut cependant
avoir des effets positifs sur le respect des conventions internationales au plan

68 Voir, par exemple, la pratique française en la matière : Régis DEGOUTTES, Art. cit., pp.
163-182.

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interne, voire sur le fonctionnement du système démocratique, si,


évidemment, derrière l’image positive qu’il veut donner de lui-même l’Etat
s’efforce de mettre sa législation et sa pratique en harmonie avec cette image.
L’exemple du Burkina Faso est assez éloquent à cet égard. Les multiples
interpellations et observations faites par les organes de contrôle africains et
onusiens à l’occasion de la présentation de divers rapports ( rapport sur la
Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, rapport sur la
Convention relative aux droits de l’enfant, rapports sur la mise en œuvre des
conventions de l’OIT, rapports sur la mise en œuvre de la Convention sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale) ont conduit à
opérer de véritables réformes politiques, institutionnelles et législatives
concernant, par exemple, les droits civils et politiques, les droits économiques,
sociaux et culturels, les droits de l’enfant, les droits de la femme, et qui vont
dans le sens d’une amélioration générale de la situation des droits de l’Homme.

Ainsi, la présentation des rapports étatiques devant les organes internationaux


apparaît comme un mécanisme de moralisation des Etats dans le sens d’une
amélioration des droits de l’Homme, notamment du fait qu’elle oblige les Etats
a soigner leur image au plan international. Le souci de figurer parmi les nations
civilisées et respectueuses des valeurs humaines universelles va dans le même
sens.

2 – La nécessité d’avoir une bonne place dans le concert des nations civilisées

Depuis la fin de la guerre froide, qui a mis fin à la bipolarisation du monde et


à la classification idéologique des Etats, la question des droits de l’Homme
tend à devenir un nouveau critère de classification politico-idéologique des
Etats, permettant ainsi de distinguer, dans le concert des nations, les Etats
bons, respectueux des droits de l’Homme et des valeurs fondamentales de la
démocratie, des Etats dangereux, peu respectueux des valeurs élémentaires de
la dignité humaine et de la démocratie.

Cette distinction, parfois fondée sur des considérations arbitraires et


subjectives (religion, zones géographique, système politique) est, aujourd’hui,
renforcée par la distinction entre les « pays de l’axe du bien » et ceux de « l’axe
du mal », parfois qualifiés« d’Etats voyous », à la faveur de l’intensification de
la lutte contre le terrorisme, considéré comme une manifestation suprême des
violations des droits de l’Homme, surtout lorsqu’il est soutenu par un Etat. Elle
apparaît également à travers les conditionnalités de plus en plus imposées aux
pays en développement pour l’octroi de l’aide publique au développement.

Ce nouveau critère de classification des Etats, aussi discutable soit-il, au moins


dans son application discriminatoire et arbitraire, a la vertu de conduire

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naturellement les Etats à choisir en quelque sorte leur camp, c’est à dire,
concrètement, à faire la preuve qu’ils sont dignes de faire partie du camp des
« Etats de l’axe du bien ». A cet égard, la présentation des rapports étatiques,
surtout devant les organes des Nations Unies, apparaît comme une occasion
privilégiée pour faire cette preuve. Soucieux donc de figurer parmi les Etats
civilisés et démocratique, les Etats soumis à la procédure de contrôle sur
rapport s’efforcent de démontrer qu’ils ne violent pas les droits de l’Homme et
qu’ils sont respectueux de leurs engagements internationaux.

Pour les pays en développement, en particulier les Etats africains, parfois


soupçonnés d’être peu respectueux des droits de l’Homme, la présentation des
rapports devant les organes des Nations Unies devient parfois une véritable
épreuve politico-diplomatique, dont l’enjeu majeur est de se faire considérer
comme des Etats modernes et démocratiques, dignes de figurer dans le
concert des « nations civilisées ». Aussi, s’emploient-ils, le plus souvent, à
démontrer les efforts qu’ils ne cessent d’accomplir dans le domaine des droits
de l’Homme, soucieux qu’ils sont de ne pas se fermer une porte d’accès a l’aide
publique au développement dont ils ont encore tant besoin.

En somme, le mécanisme de la présentation des rapports étatiques aux


organes internationaux a une vertu politique considérable, en ce qu’il peut
exercer une influence pédagogique et politique réelle sur les Etats, les
conduisant progressivement à un meilleur respect des droits de l’Homme. Il ne
faut cependant pas exagérer cette portée politique du contrôle sur rapport.
Celle-ci est, en effet, variable d’un organe de contrôle à un autre et peut
s’avérer un simple miroir aux alouettes, sans véritable impact sur la situation
réelle des droits de l’Homme.

En guise de conclusion, il importe de noter que la présentation des rapports


étatiques aux organes internationaux constitue une véritable garantie du
respect des conventions internationales de protection des droits de l’Homme,
dans la mesure où elle permet, sinon de dénoncer indirectement des violations
de droits garanties par ces conventions et d’inviter les Etats concernés à en
tirer les conséquences juridiques, sinon à prévenir ces violations.

Certes, il s’agit là d’une garantie moins efficace que les garanties


juridictionnelles et quasi-juridictionnelles qui aboutissent, le cas échéant, à
une réparation des préjudices subis par les victimes. Toutefois, ses effets
politiques indirects n’en sont pas mois considérables, dans la mesure où ce
type de contrôle peut aboutir à un infléchissement réel du comportement de
l’Etat et de son dispositif politico-juridique dans le sens d’une meilleure
protection de l’ensemble des droits de l’Homme protégés par les conventions

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concernées. Compte tenu, en effet, de sa souplesse et de son impact politique


sur les Etats, il peut être considéré comme un instrument privilégié susceptible
d’assurer à terme une garantie globale des droits de l’Homme, en même temps
qu’un instrument efficace de promotion des droits de l’Homme.

C’est précisément là que se trouve tout l’intérêt du mécanisme. Mais, encore


faut-il que les organes de contrôle appelés à examiner les rapports étatiques
aient parfaitement conscience de leurs fonctions politico-juridiques et
pédagogiques et qu’ils sachent jouer pleinement ces fonctions dans un esprit
à la fois technique et de dialogue. En pratique cependant, la portée réelle de
ce mécanisme de contrôle se trouve considérablement limité, du fait
notamment que peu d’Etats se conforment à l’obligation fondamentale de
fournir et présenter les rapports requis par les organes internationaux. Dans le
cadre de la Commission africaine des droits de l’Homme et des Peuples, par
exemple, depuis la mise en place du système en 1987, moins de la moitié des
Etats parties ont, à ce jour, fourni et présenté leur rapport initial et seuls cinq
Etats sur les cinquante trois Etats parties sont à jour de leur obligation
conventionnelle de présentation de rapports périodiques69. Dans le cadre du
système des Nations Unies, la situation n’est guère meilleure. Comme le
conclut un expert indépendant d’un des Comités des Nations Unies, en 1997 :
« Le non respect de l’obligation de faire rapport est devenu un phénomène
chronique… Un grand nombre d’Etats ne s’acquittent pas de leurs obligations,
présentant leurs rapports avec un long retard ou n’en présentant aucun »70.

69 Sur les difficultés liées à la présentation des rapports périodiques dans le cadre de la
Commission africaine, voir René DEGNI-SEGUI, Les droits de l’Homme en Afrique noire
francophone. Théories et réalités, Abidjan, Ed. CEDA, 2è éd., 2001, pp. 206-208.
70 Cf. document n° E/CN.4/1997/74.par. 112 et 113.

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