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Le litige stratégique dans le système

interaméricain des droits de l’Homme


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Citer :

Luis-Miguel GUTIERREZ(Articles par Luis-Miguel GUTIERREZ) , ' Le litige stratégique dans le système
interaméricain des droits de l’Homme, ' : Revue générale du droit on line, 2020, numéro
49593 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=49593)

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Parmi le nombre incalculable des litiges soumis quotidiennement aux tribunaux, tant au niveau
interne qu’au niveau international, trè s peu retiennent l’attention de la communauté des juristes.
D’un point de vue quantitatif, sont encore moins nombreuses les affaires qui, au-dé là du pré toire,
é mergent dans la sphè re politique et qui sont porté es, principalement par l’intervention des mé dias,
à la connaissance du grand public. Participant d’une sorte de «  judiciarisation du quotidien  », ces
litiges marquent souvent l’actualité et s’inscrivent de maniè re plus ou moins durable dans l’évolution
des systè mes juridiques. Leur capacité à interroger la «  conscience collective  » des socié té s et à
produire des effets (juridiques, politiques, sociaux, é conomiques) de porté e gé né rale, dé passant
parfois largement le cas d’espè ce, transforme certains litiges dans des affaires emblé matiques, voir
paradigmatiques. Comme consé quence de ce phé nomè ne de «  judiciarisation  du quotidien », il est
possible de constater une monté e en puissance considé rable du pouvoir judiciaire dans l’é tat de droit
moderne. Les juges sont ainsi devenus des acteurs majeurs de la vie politique en ce qu’ils peuvent,
par l’interpré tation et par l’application des normes juridiques, jouer un rô le principal non seulement
dans la concré tisation du droit mais aussi dans la transformation des socié té s.
Definition de litigue etrategique.
Suivant une telle logique, l’accè s au pré toire est parfois envisagé par certains individus ou certains
groupes comme une possibilité unique de mobiliser leurs revendications au sein des tribunaux en
vue d’obtenir satisfaction de leurs causes et de produire des changements socié taux en leur faveur.
Cette conception particuliè re du recours au systè me judiciaire a é té rationnalisé e dans la notion de
litige straté gique,  high impact litigation ou encore  public interest litigation. Chargé e d’une forte
empreinte té lé ologique, cette notion renvoie à une maniè re alternative d’enseigner et d’exercer le
droit qui consiste en sé lectionner, analyser et entamer des procè s judiciaires avec l’objectif de
produire un effet significatif dans les politiques publiques, la lé gislation, la jurisprudence ou, de
maniè re beaucoup plus large, dans l’opinion publique d’un Etat ou d’une ré gion (v. Correa L., « Litigio
de alto impacto: estrategias alternativas para enseñ ar y ejercer el derecho  »,  Opinion juridica, n° 14,
2008, p. 149).

Bien que cette dé finition ait le mé rite de rassembler un certain accord d’une partie de la doctrine
latinoamé ricaine, elle ne donne aucun critè re solide permettant de distinguer un litige straté gique
d’un litige ordinaire. En effet, d’un point de vue subjectif, la seule intention du requé rant dé clenchant
l’action en justice ne semble pas ê tre suffisante pour é tablir une telle distinction. Le procè s judiciaire
implique né cessairement une interaction dynamique entre les parties et il est difficile d’anticiper  a
priorile dé roulement de l’instance. En effet, l’attitude ainsi que les arguments de la partie adverse
peuvent bouleverser la straté gie initiale du litige et transformer, en cours de procé dure, un litige
ordinaire en un litige straté gique ou l’inverse. Aussi il n’existe toujours pas un lien de causalité entre
l’intention du requé rant et le ré sultat d’un procè s é tant donné que celui-ci dé pend en ré alité d’une
dé cision (acte de volonté ) prise par le juge. Il n’est donc pas impossible que ce soit le juge lui-mê me
qui, à l’occasion d’une affaire soumise à sa juridiction, dé cide de lui donner un caractè re straté gique
au sein de sa jurisprudence. En outre, l’analyse des inté rê ts mobilisé s par un litige straté gique
dé passe largement le cadre du procè s judiciaire  ; d’autres acteurs é trangers au procè s peuvent
vraisemblablement se saisir d’une affaire en cours en é largissant et en dé plaçant sa discussion bien
au-delà du pré toire. Ces é lé ments d’ordre conjoncturel rendent difficile la distinction entre un litige
straté gique et un litige ordinaire. L’analyse des deux aspects objectifs de la dé finition retenue (l’objet
du litige et son impact) ne ré sout pourtant pas ce problè me.
Litige etrategique par l'objet.

D’une part, en ce qui concerne l’objet, on peut identifier deux postulats (Coral A.M.,  Londono
B., Munoz L., « El concepto de litigio estrategico en America Latina: 1990-2010 », Universitas, n° 121,
pp. 53 et s.). Un premier postulat considè re,  lato sensu, que tout litige portant sur les droits de
l’Homme serait, eu é gard à l’importance attaché e à ces droits, un litige straté gique. Un second
postulat, un peu moins large, considè re que l’objet d’un litige straté gique s’inscrit forcement dans un
contexte pré cis (un Etat, une ré gion) et, par consé quent, s’inté resse exclusivement aux litiges portant
sur certains droits (e.g. sexuels et reproductifs, de l’environnement, DESC) ou concernant certains
groupes vulné rables (e.g. des femmes, des personnes handicapé es, des personnes LGBTI, des
peuples autochtones). Il convient de noter que, dans ces deux postulats, l’objet potentiel d’un litige
straté gique reste trè s large. C’est pourquoi le seul objet du litige ne semble pas ê tre suffisant à
justifier une distinction avec un litige ordinaire  : si tout litige est straté gique en raison de son objet,
aucun litige relatif à cet objet ne l’est en ré alité car il devient, par effet de ré pé tition, un litige
ordinaire.
D’autre part, en ce qui concerne l’impact du litige, l’attention se focalise sur les affaires qui
produisent effectivement des changements socié taux. Il faut donc ê tre capable de mesurer leur degré
d’influence (tant directe qu’indirecte) sur les politiques publiques, la production du droit (loi, dé cret
ou jurisprudence) ou encore sur l’opinion publique dans un sens dé terminé . En supposant qu’une
telle dé marche soit mé thodologiquement possible, celle-ci semble devoir s’inté resser exclusivement
sur les consé quences qui dé coulent du litige (e.g. l’exé cution des dé cisions de justice), en oubliant au
passage la nature mê me de celui-ci, à savoir : son caractè re straté gique. Les etrategies font la difference
entre litige etrategique et litige
ordinaire.
Pour le requé rant, ce sont davantage les straté gies dé ployé es au cours d’un litige qui permettent de
justifier une diffé renciation avec un litige ordinaire. La maniè re de plaider une affaire devant un
tribunal dé termine en partie sa capacité de produire des effets significatifs dans une socié té
dé terminé e. L’objectif de notre contribution vise à nous interroger sur les straté gies de litige
né cessaires pour qu’un litige soit considé ré comme straté gique au sein du systè me interamé ricain
des droits de l’Homme (SIDH). Au regard de la configuration particuliè re de ce systè me (Hennebel L.
et  Tigroudja H. (dir.),  Le particularisme interaméricain des droits de l’Homme, Paris, Pé done, 2009), il
semble possible d’en dé gager deux straté giques : l’é tatisation du litige (I) et son objectivisation (II).

I. L’étatisation du litige
La responsabilité internationsle d'État.
Comme tout systè me juridique supranational, les Etats parties s’engagent à respecter les droits et
liberté s reconnus dans les traité s interamé ricains relatifs aux droits de l’Homme qu’ils ont signé s et
ratifié s de maniè re libre et volontaire. De ce fait, l’é lé ment constitutif d’un litige au niveau
interamé ricain tient principalement à la recherche de la responsabilité internationale de l’Etat
concerné dans le cas d’espè ce (A). Dans ce cadre, l’accè s au systè me interamé ricain de protection
implique une interaction de haut niveau entre le requé rant et l’Etat (B) qui facilite la caracté risation
straté gique du litige.

A. La recherche de la responsabilité internationale de l’Etat


L’article 23 du Rè glement de la Commission interamé ricaine des droits de l’Homme (CIDH) pré cise
que «  Toute personne ou tout groupe de personnes, ou toute entité non gouvernementale légalement
reconnue dans un ou plusieurs États membres de l’OEA peuvent présenter à la Commission des requêtes,
en leur propre nom ou au nom de tiers, pour dénoncer toute violation présumée de l’un des droits de
l’Homme reconnu  » par un traité interamé ricain dont l’Etat soit partie. Pour ê tre recevable, le
requé rant doit faire « un exposé des faits et de la situation dénoncée, avec spécification du lieu et de la
date des violations alléguées » ainsi que de l’indication de l’Etat qu’il considè re responsable, par action
ou par omission, de ces violations (art. 28 du Rè glement de la CIDH). A ce propos, il convient de noter
que les Etats peuvent ê tre responsables pour les violations des droits de l’Homme commises par
leurs agents (relation verticale entre l’Etat et l’individu) mais aussi par le fait des personnes privé es
(effet horizontal des droits fondamentaux ou Drittwirkung) lorsqu’elles agissent avec la tolé rance, la
complicité ou l’indiffé rence des autorité s publiques (Hochmann T. et  Reinhardt J. (dir.),  L’effet
horizontal des droits fondamentaux, Paris, Pé done, 2018, 218 p.).

La responsabilité par omission est sans aucun doute souvent la plus difficile à é tablir. Il appartient
donc au requé rant de caracté riser et de dé montrer le degré d’implication de l’Etat dans les exactions
commises. Dans cette logique, il ne s’agit nullement de reprocher à l’Etat tout type de violation des
droits intervenue sur son territoire par un particulier mais de pointer du doigt les dé faillances
é tatiques et les manquements à leurs obligations internationales comme ultime recours. En effet, le
principe de subsidiarité insiste sur l’importance pour les autorité s nationales d’assurer au niveau
interne l’effectivité des droits consacré s par les conventions internationales. Par consé quent, l’accè s
aux organes supranationaux est gouverné par la logique de l’é puisement pré alable des voies de
recours internes comme le pré cisent à juste titre l’article 46 de la Convention Amé ricaine et les
articles 28.8 et 31 du Rè glement de la CIDH. L’É tat dé fendeur doit avoir l’opportunité de prévenir ou
de remé dier à la situation litigieuse dans son ordre juridique interne avant d’ê tre appelé à en
ré pondre au niveau interamé ricain.

Le fond du litige consiste pour le requé rant à dé montrer que l’Etat doit ê tre tenu comme responsable
des violations allé gué es. Suivant l’article 12 du Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait
internationalement illicite, «  il y a violation d’une obligation internationale par un État lorsqu’un fait
dudit État n’est pas conforme à ce qui est requis de lui en vertu de cette obligation, quelle que soit
l’origine ou la nature de celle-ci  » (Assemblé e gé né rale des Nations Unies, Ré s. A/RES/56/83, 28
janvier 2002).

La recherche de la responsabilité internationale de l’Etat au niveau interamé ricain s’accompagne


d’une interaction permanente entre le requé rant et l’Etat.

B. L’interaction de haut niveau entre le requérant et l’Etat


Dè s le dé but de l’instruction de l’affaire devant la CIDH jusqu’à l’é tape d’exé cution d’une dé cision
prise par la CIDH ou par la Cour interamé ricaine des droits de l’Homme (Cour IADH), le requé rant
est l’interlocuteur principal de l’Etat concerné par la requê te au niveau interamé ricain. Les organes
supranationaux ne jouent en ré alité qu’un rô le d’intermé diaires dans le sens où ils facilitent un va et
vient d’information et d’arguments entre les parties du litige. Si l’Etat ne veut pas ré agir aux
communications du requé rant, les organes interamé ricains peuvent sanctionner son comportement
é lusif et appliquer une pré somption de responsabilité internationale. En effet, l’article 38 du
Rè glement de la CIDH dispose que « les faits allégués dans la requête dont les parties pertinentes ont été
transmises à l’État en question sont présumés véridiques si dans le délai fixé par la Commission
conformément à l’article 37 du présent Règlement, l’État concerné n’a pas fourni les renseignements
appropriés, à condition qu’une conclusion opposée ne ressorte pas de l’examen d’autres pièces à
conviction  ». Aussi la CIDH peut constater une sorte de dé sistement tacite et dé cider de classer un
dossier en archive lorsque «  l’inactivité procédurale du requérant constitue un indice sérieux de
l’absence d’intérêt dans l’instruction de la requête » (art. 42 du Rè glement de la CIDH).

L’interaction de haut niveau entre l’Etat et le requé rant offre un degré important de visibilité à
l’affaire en question. Ce phé nomè ne est fondamental pour certaines victimes des violations des droits
de l’Homme qui se sont battues sans succè s au niveau interne pour avoir des ré ponses de la part de
l’Etat. On peut le comprendre du fait que parfois les revendications des victimes sont tout simplement
ignoré es, mé prisé es ou rejeté es sommairement au niveau national (notamment lorsque ce sont des
minorité s ou des groupes vulné rables). Le systè me interamé ricain ouvre aux victimes un espace
nouveau (le dernier  !) pour qu’elles puissent s’exprimer et demander des explications à l’Etat. Il
convient de noter que ces explications sont donné es au nom de l’Etat dans son ensemble en
dé passant tout type d’ambiguïté s ou de contradictions qui peuvent parfois avoir lieu en droit interne
en raison de la sé paration des pouvoirs (horizontale et verticale) ou de l’absence de collaboration
entre les autorité s publiques. Il s’agit en quelque sorte d’une centralisation de la ré ponse é tatique
dans les mains de l’exé cutif et cela mê me dans des Etats fé dé raux (voir, par exemple, la clause
fé dé rale de l’art. 28 de la Convention amé ricaine). Dans toute hypothè se, le gouvernement central
doit prendre les mesures pertinentes, conformé ment à sa Constitution et à ses lois, pour assurer que
les autorité s nationales compé tentes adoptent les dispositions né cessaires au respect des obligations
internationales.

Par ailleurs, l’asymé trie des moyens dont dispose un Etat et un requé rant dans le cadre du litige
international peut ê tre pallié e par le rô le garant de la procé dure des organes interamé ricains ainsi
que pour la possibilité offerte aux requé rants d’é tablir des partenariats avec certaines ONG disposant
d’une large expertise dans ce type de litige (e.g. CEJIL) ou de bé né ficier d’un «  dé fenseur
interamé ricain », dé signé d’office par la Cour IADH pour assurer la repré sentation lé gale des victimes
(art. 37 du Rè glement de la Cour IADH). Sur ce point, il convient de noter que le systè me
interamé ricain a fait l’objet d’une évolution (toujours inachevé e) quant à la participation des
requé rants à la procé dure. Alors qu’ils sont appelé s à jouer un rô le central devant la CIDH, ils é taient
systé matiquement privé s de la possibilité de s’exprimer devant la Cour IADH dans les premiè res
anné es suivant la mise en place du SIDH. A cette é poque-là , seule la CIDH é tait autorisé e à intervenir
devant la Cour IADH face à l’Etat  ; il lui appartenait donc de fixer de maniè re exclusive le cadre
straté gique du litige. Cette configuration a é té progressivement révisé e par la modification du
Rè glement de la Cour IADH (en 1996 concernant la participation des victimes dans la procé dure de
ré paration  ; en 2000 concernant l’é tape sur les exceptions pré liminaires et sur le fond  ; en 2009
é tablissant la totale autonomie des victimes tout au long du procè s  : v. art. 25 du Rè glement de la
Cour IADH). Bien qu’il soit reconnu aux requé rants un  locus standi in judicio, ils n’ont toujours pas
de ius standi leur permettant de saisir directement la Cour IADH (Ciurlizza J. et  Carol B., «  Del  locus
standi  al  ius standi  del individuo en el sistema interamericano de protecció n de derechos
humanos  »,  Ius Inter Gentes, Revista de Derecho Internacional,  n° 2, 2005). L’article 61.1 de la
Convention amé ricaine est trè s clair à ce propos car « seuls les Etats parties à la présente Convention et
la Commission ont qualité pour saisir la Cour ».

La straté gie d’é tatisation du litige n’est donc pas suffisante si les requé rants souhaitent que la Cour
IADH soit saisie de l’affaire. Ils doivent donc envisager une straté gie d’objectivisation du litige pour
tenter d’arriver à cet objectif.

II. L’objectivisation du litige


Une deuxiè me straté gie qui semble caracté riser le litige straté gique au niveau interamé ricain porte
sur le besoin des requé rants de dé montrer, tant à la CIDH que à la Cour IADH, l’importance de leur
affaire au-delà mê me du seul cas d’espè ce. Cette straté gie cherche à accé lé rer le traitement de la
requê te par la CIDH (A) en é largissant la porté e de l’affaire (B).

A. La priorisation du litige
Le systè me interamé ricain de protection des droits de l’Homme est victime de son succè s. En effet, la
CIDH reçoit chaque anné e de plus en plus de requê tes portant sur des affaires relatives aux 35 pays
qui font partie de l’Organisation des Etats Amé ricains (OEA). Le nombre de requê tes par an s’est
multiplié de maniè re exponentielle : il est passé de 571 en 1998 à 1 323 en 2008 et 2 957 en 2018.
Le dernier rapport annuel de la CIDH pré cise, qu’au 31 dé cembre 2018, il y avait 6  963 requê tes
dans l’attente d’un examen pré liminaire (art. 26 du Rè glement de la Cour IADH) tandis que 4  217
sont en cours de traitement (tant sur la recevabilité que sur le fond). Le requé rant est donc confronté
au flux contentieux qui encombre le travail de la CIDH, d’autant plus que les requê tes sont é tudié es
suivant l’ordre de leur enregistrement (art. 29 du Rè glement de la CIDH). Né anmoins, ce mê me article
laisse ouverte la possibilité pour la CIDH de prioriser l’examen des requê tes et ce dans quatre
hypothè ses :

„ « a) Lorsque, en raison du temps écoulé, la requête perd son effet utile, en particulier : i. lorsque
la victime présumée est un adulte majeur, un garçon ou une fillette ; ii. lorsque la victime
présumée souffre d’une maladie en phase terminale ; iii. lorsqu’il est allégué que la victime
présumée peut faire l’objet de l’application de la peine de mort ; ou iv. lorsque l’objet de la
pétition a une connexion avec une mesure conservatoire ou provisoire en vigueur ; b) Lorsque
les victimes présumées sont des personnes privées de liberté ; c) Lorsque l’État exprime
formellement son intention d’entrer dans un processus de règlement à l’amiable de la question ;
ou d) Lorsque les circonstances suivantes sont alléguées : i. la décision peut avoir pour effet de
remédier à des situations structurelles graves qui exercent un impact sur la jouissance des
droits de l’Homme ; ou ii. la décision peut promouvoir des changements législatifs ou de
pratique étatique et empêcher la réception de multiples pétitions relatives à la même
question ».“
Groupe vulnerable et litige etrategique

Les hypothè ses a) et b) concernent le litige relatif à certains groupes vulné rables tandis que
l’hypothè se d) renvoie implicitement à la notion mê me de litige straté gique en ce que l’affaire peut
conduire à produire des effets significatifs ou des changements importants au niveau interne. Ce
mê me critè re d’objectivisation du litige peut ê tre dé terminant au moment de la prise de dé cision par
la CIDH quant à l’envoi de l’affaire devant la Cour IADH. En effet, d’aprè s l’article 45.2 de son
Rè glement, «  la Commission cherchera fondamentalement à ce que justice soit faite dans le cas
particulier, en se fondant, entre autres, sur les éléments suivants : a. la position du requérant ; b. la nature
et la gravité de la violation ; c. la nécessité de développer ou d’éclaircir la jurisprudence du système ; et
d.  l’effet éventuel de la décision sur les ordonnancements juridiques des États membres  ». Une fois
encore, la straté gie d’objectivisation du litige semble dé terminer le caractè re straté gique de celui-ci en
raison de l’é largissement de la porté e de l’affaire.

B. L’élargissement de la portée de l’affaire


Il est possible de penser que, à l’instar de la plupart des procè s judicaires au niveau interne, le
contentieux ré gional relatif aux droits de l’Homme n’est conçu que pour trancher des affaires
concrè tes qui sont porté es devant les Cours supranationales par le biais d’un recours individuel. En
ce sens, pour avoir gain de cause, les requé rants doivent dé montrer l’existence d’un fait
internationalement illicite attribuable à l’É tat ayant causé un pré judice concret aux victimes (contrô le
subjectif), pour ensuite pouvoir pré tendre bé né ficier d’une ré paration. Les effets de la jurisprudence
supranationale seraient alors cantonné s à la solution du cas d’espè ce en raison de la relativité de
l’autorité de chose jugé e. Cette conception du procè s supranational ne correspond pourtant ni à la
nature ni au fonctionnement du SIDH.

Contrairement à son homologue europé enne, la Cour IADH n’est pas un tribunal permanent. En
outre, la Cour IADH n’est composé e que de sept juges pour exercer une juridiction sur 20 Etats qui
ont accepté sa compé tence contentieuse. Ces contraintes d’ordre pratique expliquent le nombre trè s
ré duit d’affaires qui sont porté es à la connaissance de la Cour IADH chaque anné e. Il convient de
noter qu’elles augmentent progressivement (e.g. 3 en 1998, 9 en 2008 et 18 en 2018) mais leur
nombre reste encore peu significatif par rapport au systè me europé en de protection des droits de
l’Homme. Le particularisme du SIDH conduit la Cour IADH à envisager les affaires individuelles
comme pré textes pour fixer des standards normatifs forts et ordonner des mesures de ré paration
avec une porté e gé né rale (erga omnes). A ce propos, le juge  Garcia Ramirez affirme que «  dans le
cadre de la logique juridictionnelle qui sous-tend la création et le fonctionnement de la Cour, il ne faudrait
pas attendre qu’elle soit contrainte de juger des centaines ou des milliers d’affaires sur un seul thème
conventionnel[…]  c’est-à-dire tous les litiges qui se présentent à tout moment et dans tous les pays, et
qu’elle examine un à un les faits délictuels de chaque affaire et qu’elle garantisse également un à un les
droits et libertés spécifiques  » (Cour IADH, 24 novembre 2006,  Travailleurs licenciés du Congrès,
opinion concordante, §8). La straté gie d’objectivisation du litige semble donc correspondre à la
logique de fonctionnement de la Cour IADH, et plus largement du SIDH. Cette straté gie « se manifeste,
d’abord, dans sa forme la plus classique par un contrôle abstrait et objectif de la norme restrictive,
reléguant alors au second plan l’intérêt individuel du requérant. Ensuite, elle revêt une dimension
prescriptive en ce que les Cours n’hésitent plus à indiquer à l’État condamné les mesures générales à
prendre pour mettre son droit en conformité avec les exigences conventionnelles  » (Afroukh M., «
L’objectivisation du contrô le juridictionnel », In  La protection des droits de l’Homme par les Cours
supranationales, Paris, Pedone, 2016, p. 118).

Le locus standi in judicio  dans le SIDH permet aux requé rants d’envisager certaines straté gies pour
que le litige d’une affaire puisse dé ployer tous ses effets dans l’ordre juridique interne et
international et ainsi contribuer aux changements politiques et juridiques né cessaires à une
protection des droits de l’Homme plus effective. En consé quence, l’é tatisation et l’objectivisation du
litige semblent ê tre deux critè res utiles à la distinction entre un litige straté gique et un litige ordinaire
au sein du systè me interamé ricain.

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