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SUJET : Le traitement judiciaire du conflit d’intérêts dans les sociétés commerciales

OHADA

S’il est une maxime qui décrit le mieux la complexité du « traitement judiciaire du conflit
d’intérêts dans les sociétés commerciales OHADA », c’est bien : "Aliquis non debet esse
judex in propria causa, quia non potest esse judex et pars", qui signifie qu’on ne peut rendre
une décision juste lorsqu’on a un intérêt à la décision rendue 1. Bien qu’ancien, cet adage
conserve toute son actualité aujourd’hui et ce, dans tous les domaines de la vie en société et
un peu partout dans le monde en raison de révélation de scandales parfois rocambolesques liés
à la question du conflit d’intérêts. Le droit des affaires et particulièrement le droit des sociétés
commerciales constitue un terreau de prolifération de ce phénomène qui porte en lui une forte
charge négative. C’est donc naturellement que le législateur OHADA a pris la mesure de sa
gestion, voire de son encadrement. La réforme de l’AUSC et GIE de 2014 qui a pour toile de
fond, l’exigence de bonne gouvernance au sein des sociétés de l’espace OHADA répond à cet
impératif2. Fortement inspirée des règles de gouvernance mises en place dans les pays
occidentaux en réponse aux nombreux scandales financiers liés entre autres, aux pratiques de
conflit d’intérêts au sein des sociétés commerciales 3, la réforme de l’AUSC et GIE de 2014
fait de la promotion des règles fondamentales de bonne gouvernance que sont : la
transparence4, la loyauté, l’égalité au sein de la société commerciale un de ses chantiers ;
règles auxquelles s’attaquent les pratiques de conflits d’intérêts. Dans le processus de la
gestion envisagée par le législateur OHADA, le juge occupe une place importante à travers le
traitement judiciaire du phénomène. Si la contribution du juge en tant qu’élément d’efficacité
de cette gestion est perceptible dans les pays occidentaux comme en témoignent les
nombreuses affaires qui sont régulièrement portées devant celui-ci 5, la contribution du juge de

1
Cf. Dictionnaire de la langue française ; K. M AGBENOTO, « Le mandat double », in Les horizons du droit
OHADA, Mélanges en l’honneur du Professeur FILIGA MICHEL SAWADOGO, CREDIJ, 2018, p. 759.
2
E. MOTTO, La gouvernance des sociétés commerciales en droit des sociétés commerciales OHADA, Thèse,
Université Paris-Est , 2015, p. 137 ; Cf. également P. BADJI, « OHADA et bonne gouvernance d’entreprise »,
Revue de l’ERSUMA : Droit des affaires - Pratique professionnelle, en ligne : http://revue.ersuma.org/no-2-mars
2013/doctrine-20/Ohada-et-bonne-gouvernance consulté le 09 mai 2023 ;
3
Cf. affaire Enron aux Etats Unis, Vivendis en France et plus récemment Woerf , Cahuzac, Médiator etc. ,
Parmalat en Italie ; Lire Y. MENY, « De la confusion d’intérêts au conflits d’intérêts », Pouvoir 2013,
éd. ,Seuil, p. 147, 5-15.https// doi.org/10/3917/ pouvoi.147.0005 ; E. MOTTO, La gouvernance des sociétés
commerciales en droit de l’OHADA, Thèse 2015, op. cit.
4
La transparence renvoie à la bonne gestion qui garantit la sécurité aux actionnaires et aux créanciers de la
société, témoignant d’un esprit d’ouverture et d’un désir de communication qui doit conférer une forme de
légitimité aux actes et décisions. Cf. M. SAMB, « Gouvernance et transparence en droit des sociétés de l’espace
OHADA : perspectives de droit dur ( hard law) et de droit souple ( soft lauw) , Bull. de droit économique 2017,
pp. 1-18 ; V. BAKRÉO, Exigence de transparence des sociétés commerciales dans l'espace OHADA, Approche
fonctionnelle de l'exigence, Presse académique française (PAF) 2014.

1
l’espace OHADA reste malheureusement faible ; mettant ainsi en question l’efficacité de cette
gestion dans la zone étudiée.

Mais, au fond, que recouvre la notion de conflit d’intérêts ?

Il n’y a pas de définition légale de ce concept en droit privé. L’examen de la jurisprudence ne


permet pas non plus de dégager une définition assurée. Seule l’approche doctrinale ouvre un
coin de voile sur la compréhension du concept. C’est dans ce cadre que la définition suggérée
par certains auteurs peut être rappelée. Selon une partie de la doctrine 6, le conflit d’intérêt
peut est appréhendé comme « la situation dans laquelle une personne, chargée de défendre, de
représenter ou de protéger les intérêts d’autrui, en vertu d’un pouvoir de représentation, d’une
mission d’arbitre, n’agit pas ou peut être soupçonné de ne pas agir de manière loyale ou
impartiale vis-à-vis de ces intérêts mais dans le but d’en profiter lui-même ou d’en faire
profiter un autre ». Un autre opte pour l’énumération des cas de figures du conflit d’intérêts à
travers une typologie des conventions porteuses de germes de conflits d’intérêts 7. L’analyse de
ces différentes approches conceptuelles montre qu’elles sont inspirées de l’acception générale
du conflit d’intérêts dégagée par la doctrine française qui recourt tantôt à une approche
généraliste du conflit d’intérêts, tantôt à une approche sectorielle du phénomène 8.

A l’instar des auteurs précités, c’est la perception générale du conflit d’intérêts qui sera
privilégiée dans cette étude car elle favorise une analyse transversale, voir panoramique de la
5
N. BOUCANT, Les conflits d’intérêts en droit des sociétés, Thèse, Université Paris-Est Créteil, 2022,
introduction ; V. MAGNIER, Les entreprises, laboratoires des modes de lutte contre le conflit d’intérêts ? ,
Pouvoir 2013/ 4 n°147, p. 101 et suiv.
6
I. SECK, La gestion du conflit d’intérêt en droit des sociétés commerciales OHADA, Thèse Université Cheick
Anta Diop de Dakar, 2017 , p. 13 ; S. DIABATE, La répression des infractions économiques dans les Etats
membres de l’espace UEMOA : cas du Burkina Faso et du Mali, Université Ouaga II, 2018, p. 105 et suiv ; B.
MEUKE et alii, « La gestion des crises en droit OHADA : anticipation conventionnelle et statutaire- gestion
négociée et règlement des conflits internes », Ohadata D-09-45, p. 1-2 ; M. A. MOUTHIEU épse NJANDU,
L’intérêt social en droit des sociétés, L’Harmattan, 2009 , n°71 ; 197-199 ; 355 ; 368 ; 382, 618 etc . dans
l’AUSC faite par un auteur,
7
cf. LOUKAKOU, « Les conventions réglementées dans les sociétés commerciales de l’espace OHADA »,
Penant, Revue de droit africain, 2004, n° 848, p. 326-345.
8
En effet, le conflit d’intérêts est appréhendé tantôt sous un angle sectoriel, tantôt dans une acception générale.
Peut être citée, celle proposée par D. SCHMIDT selon laquelle, « Un conflit d’intérêts prend naissance
lorsqu’une même personne poursuit deux ou plusieurs intérêts et lorsque ces intérêts sont contradictoires », cf.
Les conflits d’intérêts dans la société anonyme, 2e éd., Paris, Éditions Joly, 2005 ; ou qui présente le conflit
d’intérêt en droit des sociétés commerciales, comme toute situation dans laquelle un dirigeant choisit d’exercer
ses droits et pouvoirs en violation de l’intérêt social pour satisfaire un besoin extérieur à la société. Peut être
également citée, la définition empruntée par A. COURET à R -J LEBLANC, recteur à la recherche de
l’Université Laval qui définit le vocable comme suit : « Le conflit réel est une situation dans laquelle une
personne s’expose à privilégier son intérêt particulier ou celui de ses alliés (liens de parenté, d’amitié ou
d’affaires) au détriment d’un autre intérêt qu’elle a pour fonction ou pour mandat de préserver » , in A.
COURET, « La prise en compte des conflits d’intérêts dans le droit financier communautaire », R.J.T. , 2010,
44, p. 175 ; lire également C-H. BOERINGER, J-Y. TRONCHON, L. ATHAN, T. BAUDESSON et C.
SAVOURE, Les conflit d’intérêts dans l’entreprise, LexisNexis, Droit et Professionnels ; S. GUINCHARD,
« La gestion du conflit d’intérêts du juge : entre statut et vertu », Pouvoir 2013, 4 n°147, pp. 79-90.

2
question du conflit d’intérêts et par conséquent, une meilleure compréhension du phénomène
par rapport à l’approche sectorielle9.

En outre, l’accent sera mis sur la matière étudiée, à savoir le droit des affaires en général et le
droit des sociétés commerciales en particulier. Dans cette perspective, le conflit d’intérêt sera
appréhendé comme toute situation dans laquelle un actionnaire ou un dirigeant choisit
d’exercer ses droits et pouvoirs en violation de l’intérêt de la société et/ ou de l’intérêts
commun des associés soit, pour satisfaire un besoin extérieur à la société en visant soit son
intérêt particulier, soit celui de ses alliés10 ou encore, pour s’octroyer un avantage au détriment
des autres actionnaires11. De la sorte, deux éléments caractérisent le conflit d’intérêts. Le
premier subordonne l’existence du conflit d’intérêts à la coexistence d’au moins deux intérêts
en présence. Le deuxième élément implique une contradiction entre les deux intérêts en
présence12. Toutefois, la concomitance des deux intérêts en présence ne doit pas être
confondue avec la situation dans laquelle la coexistence d’intérêts en présence n’implique pas
opposition d’intérêts mais plutôt une convergence voire, une complémentarité d’intérêts 13.

Ainsi précisé, le conflit d’intérêts est un acte de déloyauté aussi bien envers la société
qu’envers les associés ; il entraine une rupture d’égalité entre les actionnaires d’où
l’intervention du juge pour rétablir l’équilibre rompu à travers le traitement judiciaire du
phénomène. Pour rappel, le traitement judiciaire exprime la méthode, la technique utilisée par
le juge ou par une Cour de justice dans le cadre de la gestion d’un litige. De la sorte, le
traitement judiciaire du conflit d’intérêt dans les sociétés commerciales OHADA renvoie à la
gestion curative du conflit d’intérêts par les juridictions commerciales de l’espace OHADA,
lesquelles sont composées aussi bien des juridictions commerciales nationales des pays de
l’espace étudié que de la juridiction communautaire qui est la Cour commune de justice et

9
A. COEURET, « Banques d’affaires, analyste financier et conflit d’intérêts », D. 2004, p. 335 ; J-M MOULIN,
« Conflit d’intérêts chez les agents de notation », Bull. Joly Bourse, 2008, spécial, p. 573 ; D. TRICOT, «
Professions libérale juridique », Rev. Pouvoirs, CAIRN, 2013, n°147, p.91 ; D. REBUT, « Les conflits d’intérêts
et le droit pénal », CAIRN, 2013 n°147, p. 123 ; S. GUINCHARD, « La gestion du conflit d’intérêts du juge :
entre statut et vertu », Rev. Pouvoir, CAIRN, 2013 n°147, p. 79 ; C. CASTRE SAINT MARTIN, Les conflits
d’intérêts en arbitrage commerciale international, Harmattan, collect. Logiques Juridiques, 2016, préface B.
ANCEL.
10
C’est-à dire , les liens de parenté, d’amitié ou d’affaires.
11
Cf. comm. Sous article 891de l’AUSC,
12
C’est le cas par exemple en droit des sociétés commerciales, de la société-mère d’un groupe qui a son intérêt
propre à côté de son intérêt personnel dans chacune des filiales. Cf. également J. MORET BAILY, « Définir les
conflits d’intérêts », précité. Selon l’auteur, la situation de conflit d’intérêts est celle dans laquelle, des intérêts
pouvant entrer en conflit sont portés par une même personne, qui pourrait profiter de cette situation pour faire
prévaloir son intérêt ou celui d’un tiers sur celui qu'il est chargé de défendre, de représenter ou de protéger.
13
D. SCHMIDT, Les conflits d’intérêts dans la société anonyme, version nouvelle, op. cit, p. 27 et suiv.

3
d’arbitrage (CCJA). Le traitement qui en résulte doit être distingué de la gestion
prévisionnelle du conflit d’intérêts qui n’est autre que la prévention du conflit d’intérêts.

Comme sus indiqué, le traitement judiciaire du conflit d’intérêts dans les sociétés
commerciales OHADA s’inscrit dans la politique générale de promotion de la bonne
gouvernance au sein desdites sociétés. Mieux, il est un maillon essentiel de l’efficacité de la
gestion du conflit d’intérêts. Cependant, l’examen de la jurisprudence montre que la
contribution des juges de l’espace OHADA à l’atteinte de cet objectif, reste faible en raison de
la rareté des décisions rendues par sur la question par rapport à celles de ses homologues
étrangers, notamment occidentaux où on assiste à une floraison de décisions.

Qu’est-ce qui explique cette timidité de la jurisprudence de l’espace OHADA ? Est-ce la


complexité des éléments composant le conflit d’intérêt qui ne facilite pas sa compréhension
par les parties impliquées dans un conflit d’intérêts ? En l’absence de définition légale,
comment le juge de l’espace OHADA procède-t-il à l’appréhension du phénomène et à son
traitement ?

Les interrogations ainsi soulevées montrent tout l’intérêt de l’étude sur le traitement judiciaire
du conflit d’intérêts dans le droit des sociétés commerciales de l’espace OHADA.

En l’absence d’une définition légale ou unanimement retenue du phénomène étudié, le


premier intérêt de l’étude va consister à identifier la technique par laquelle, le juge de l’espace
OHADA identifie le conflit d’intérêts dans la perspective de son traitement. Cette première
ambition permettra dans un premier temps, de dégager les critères d’identification ou de
qualification du phénomène par le juge. Dans un second temps, elle permettra de scruter la
méthode de traitement qui est appliqué lorsque le juge qualifie le phénomène comme tel ?

De la sorte, le second intérêt de l’étude va consister à mettre des clefs de lecture du


phénomène ainsi dégagées, à la disposition des acteurs de la société que sont en l’occurrence,
les dirigeants sociaux, les associés, les créanciers, les salariés, en d’autres termes, à tous ceux
qui sont susceptibles de faire face à des pratiques de conflits d’intérêts soit en tant que
victimes, soit pour défendre les intérêts de la société et/ ou des associés et par conséquent, de
saisir le juge pour éventuellement rétablir l’équilibre rompu par cette pratique .

Par conséquent, la question de droit qui va sous-tendre nos réflexions est la suivante :
comment le juge OHADA procède-t-il au traitement du conflit d’intérêts dans les sociétés
commerciales OHADA ?

4
La réponse à cette question sera envisagée à partir de l’analyse combinée de l’examen des
décisions rendues par la CCJA dans le cadre du traitement du conflit d’intérêts et des textes en
vigueur. En effet, l’analyse desdites décisions instruit sur la démarche du juge OHADA. Dans
un premier temps, le juge va tenter d’identifier l’existence d’un conflit d’intérêts à travers
l’analyse de la situation qui lui est présentée. C’est la caractérisation du conflit d’intérêt (I).
Mais il ne s’arrête pas à cette seule détermination, le juge OHADA va au-delà pour trancher le
conflit ; c’est le dénouement du conflit d’intérêts (II). Ces deux éléments constituent la trame
de notre étude consacrée au traitement judiciaire du conflit d’intérêts dans les sociétés
commerciales OHADA.

I- La caractérisation du conflit d’intérêts

Deux techniques permettent au juge de caractériser un conflit d’intérêts au sein de la société


commerciale OHADA. La première consiste à vérifier s’il est en face d’une convention
conflictuelle non approuvée (A). Dans la seconde démarche, le juge va examiner la situation
pour voir si elle relève plutôt d’un abus de droit (B).

A- Existence d’une convention conflictuelle non approuvée

L’existence d’une convention conflictuelle n’implique pas automatiquement son interdiction.


Elle ne le devient que lorsqu’elle porte sur des conventions réglementées et qu’elle n’a pas été
approuvée par la société à la suite du contrôle qui doit être effectué par ses organes
compétents. Ainsi, le contrôle du juge va consister à constater d’une part, qu’une convention
soumise à réglementation a effectivement été conclue (1) et que celle-ci n’a pas été soumise à
la procédure de contrôle permettant son approbation (2).

1- La conclusion de convention réglementée ou non autorisée

En réalité, deux catégories de conventions conclues avec la société peuvent placer leurs
auteurs dans une situation de conflit d’intérêts. Il s’agit des conventions interdites et des
conventions réglementées.

Les premières sont interdites en raison de leur dangerosité pour l’intérêt de la société. Elles
sont prévues par les articles 356 pour les SARL, 450 de l’AUSC pour les SA, 853-16 pour les
SAS et 507 pour la SA avec administrateur général. Elles portent généralement sur les
conventions financières, spécialement, celles liées au crédit. C’est à ce titre qu’une convention
par laquelle une société anonyme accorde une série de prêts à un de ses administrateurs est

5
nulle et de nul effet au regard de l’article 450 de l’AUSC 14. Cette prohibition a été rappelée
également dans la décision du 10 janvier 2000 du Tribunal de Grande Instance de
Ouagadougou15. Toutefois, ces interdictions connaissent quelques limites tant matérielles que
personnelles. Ainsi, elles ne s’appliquent pas aux opérations conclues par les sociétés
anonymes qui exploitent un établissement bancaire ou financier. Quant au champ personnel,
l’AUSC indique expressément que l’interdiction ne s’applique qu’aux personnes physiques
des SA et des SARL à l’exclusion des personnes morales 16 ; ce qui permet de soutenir que
dans les groupes de sociétés, les filiales peuvent valablement consentir des avances ou des
avals au profit de la société mère, même si celle-ci occupe un poste d’administrateur au sein
de la filiale17. Cette prescription légale vise à faciliter la gestion de la trésorerie au sein des
groupes de société. Sont également exclues du champ personnel, les dirigeants des sociétés de
personnes que sont les SNC, les SCS. Cette interdiction trouve sa justification dans le
caractère indéfini des engagements des associés et même des dirigeants au sein de cette forme
de société18.

A côté des conventions interdites, subsistent les conventions réglementées qui peuvent être
conclues en dépit de l’existence d’un conflit d’intérêts à condition qu’elles soient approuvées.
Sans définir ces conventions, le législateur a procédé à leur énumération non exhaustive dans
les articles 350 et suiv, 438 et suiv., 853-14 et suiv. Ces conventions ont un champ
d’application très large. Mais elles peuvent être regroupées en trois catégories. La première
est celle dans laquelle le dirigeant ou l’associé est directement intéressé. Cette hypothèse
comporte deux modalités ; celle dans laquelle, c’est lui-même qui conclut directement ou
personnellement avec la société tandis que la seconde est celle dans laquelle, il conclut avec la
société par personne interposée. Etant donné que la loi ne prévoit pas de présomption
d’interposition de personne, son existence doit être démontrée19.

14
CCJA, arrêt n°048/2012 du 7 juin 2012, Recueil de jurisprudence de la CCJA n° 18, Janvier - Juin 2012,
p.196.
15
Jugement du 10 janvier 2000, Revue burkinabé de droit, n° 42, 2ème semestre 2002.
16
Cf. article 450 AUSC.
17
Cf. article 450 AUSC.
18
Cela ne signifie pas pour autant que les actes accomplis par ces dirigeants sociaux sont dépourvus de tout
contrôle. C’est donc à juste titre que la doctrine considère que ce contrôle aussi minime soit -il doit être organisé
autour de la spécialité législative des sociétés qui repose sur le double fondement de l’article 1834 du code civil
et de l’objet social de la société cf. K. GRVAIN-LEMERCIER, Le devoir de loyauté en droit des sociétés,
PUAM, 2013, p. 251 ; arrêt français Cass 1ere civ, 19 mai 1987, Rev. Sociétés, 1988, p.78, note Y. GUYON
dans lequel, la Cour de cassation qui a jugé qu’une société civile peut valablement cautionner l’emprunt souscrit
par le mari de la gérante dès lors que ce cautionnement est conforme à l’objet social et qu’il n’a pas été donné en
fraude des droits des créanciers sociaux.
19
D. GIBIRILA, « Sociétés anonymes, - Conventions conclues avec la société anonymes - Champ d’application
de la réglementation », J-CI, commercial, fasc 1394, avril 2008, n°24 ; K. GREVIN-LEMERCIER, Le devoir de

6
La deuxième catégorie est celle dans laquelle, le dirigeant conclut indirectement avec la
société. Cette hypothèse doit être distinguée de l’interposition de personne. Dans cette
dernière hypothèse, le dirigeant est véritablement parti au contrat ; il est le véritable
cocontractant de la société mais il dissimule cette qualité en recourant à l’interposition de
personne. Dans la première hypothèse, le dirigeant n’est pas parti au contrat mais il tire
indirectement profit de la conclusion de la convention ou de son exécution car conclu par une
personne avec qui il entretient des liens susceptibles d’impacter son objectivité dans la prise
de décision. D’où la question de savoir quels types de liens sont susceptibles d’être pris en
compte ? Des difficultés subsistent en raison de l’absence de définition légale du concept de
l’intérêt indirecte et de l’élasticité de sens dont il fait l’objet dans la doctrine. Pour surmonter
ces difficultés, il est généralement recouru à deux éléments. D’une part, le profit que le
dirigeant ou l’associé tire ou est susceptible de tirer de la convention, et d’autres part,
l’étendue du pouvoir dont il dispose pour influencer la conclusion du contrat à des conditions
déséquilibrées pour la société20. Ainsi, sont habituellement pris en compte dans l’appréciation
de l’intérêt indirect, les liens familiaux, amicaux, syndicaux, politiques et même les liens
sentimentaux. Un exemple français illustre parfaitement cette dernière hypothèse dès lors que
pour rendre sa décision, la Cour de cassation a retenu les liens de concubinage existant entre
un dirigeant social et sa concubine dans l’appréciation de l’intérêt indirect dans le contrat de
bail litigieux conclu entre celle-ci et la société dirigée par le concubin de celle-ci 21.

Si certains auteurs dénoncent les incertitudes liées à la délimitation de l’intérêt indirecte en ce


sens qu’il peut constituer une source d’insécurité juridique 22. A juste titre, d’autres estiment au
contraire que celles-ci ne doivent pas dissuader de s’intéresser au mécanisme. Selon eux,
l’intérêt indirect est un bel instrument de prévention des conflits d’intérêts dans une

loyauté en droit des sociétés, op.cit., p. 353 et suiv.


20
D. GIBIRILA, « Sociétés anonymes, - Conventions conclues avec la société anonymes - Champ d’application
de la réglementation », précité, n°23 ; D. BUREAU, actualisé par J-J. ANSAULT, « Administration- Contrats
entre administrateurs et la société », J-CI. Sociétés Traité, fasc 130-50, oct. 2010, n°16, K. GREVAIN-
LEMERCIER, Le devoir de loyauté en droit des sociétés, op.cit., p. 254.
21
Comme le souligne Edmond Schlumberger, l’exemple est intéressant en ce sens que si en France, les mutuelles
sont des personnes morales de droit privé à but non lucratif, soumises à ce titre aux règles spécifiques du Code
de la mutualité, leur fonctionnement est pour une bonne part, calqué sur celui des sociétés. Ce qui revient à dire
que leur absence de but lucratif ne les dispense pas de veiller à ce que des situations de conflits d’intérêts
concernant leurs dirigeants n’aboutissent à la passation de conventions lésant les intérêts de leurs membres. De
sorte que les dispositions figurant aux articles L. 225-38 et suivants du Code de commerce français trouvent
donc leur pendant aux articles L. 114-32 et suivants du Code de la mutualité. Cf. Edmond Schlumberger, « De
l'intérêt indirect dans les conventions réglementée », Bull. Joly Sociétés, sept. 2017, n° 116u7, p. 505 ; voir
également PARACHKEVOVA I., « L’intérêt indirect dans les conventions réglementées », Bull. Joly Sociétés,
juill. 2016, n°07-08 , p. 450.
22
Cf. Colloque Cour de cassation 2006 ; V. MAGNIER, « Avant-propos », in Conflits d’intérêts dans le monde
des affaires, un Janus à combattre, éd. PUF, Collection CEPRISCA, p. 5.

7
perspective de promotion de la bonne gouvernance23. En effet, il permet de traquer les actions
des dirigeants ou actionnaires indélicats qui dissimuleraient leurs intérêts indirects dans les
transactions très subtiles et très habiles, en recourant à des montages contractuels et
sociétaires sophistiqué comme cela apparaît dans un autre arrêt français24.

Si la CCJA n’a pas eu à connaître encore de ces questions, elle gagnerait à être ouverte à
l’implémentation d’une approche large de l’intérêt indirect en raison de l’avantage qu’il offre
au juge de ratisser large de manière à traquer les dirigeants et /ou associés indélicats qui
useraient de tels montages juridiques pour échapper au contrôle de la société. Cela sera
d’autant important qu’on assiste à l’internationalisation de plus en plus fréquente des sociétés
commerciales avec toutes ses implications pour le droit OHADA.

2- L’absence d’approbation de ladite convention règlementée

Pour que la convention réglementée soit approuvée, il faut d’une part, qu’elle ait été soumise
au contrôle de la société et d’autre part, que la personne intéressée n’ait pas pris part au vote
de la décision d’autorisation ou d’approbation dudit conflit d’intérêts. L’inobservation de ces
deux conditions permet au juge de caractériser le conflit d’intérêt ainsi détecté.

Sur le premier point, on note qu’aux termes des dispositions de l’AUSC, lorsque l’une des
personnes mentionnées dans ledit AU, est intéressée dans une convention règlementée, elle
doit solliciter selon le cas soit l’autorisation préalable des organes compétents de la société
pour conclure la convention, soit solliciter leur approbation pour poursuivre l’exécution de la
convention porteuse de germes de conflit d’intérêts. La demande d’autorisation de conclure le
contrat exige le respect d’une procédure dont l’inobservation est sanctionnée. Elle porte sur
plusieurs points à savoir, les débiteurs de l’obligation d’information qui doivent effectuer la
saisine de la société, le délai de saisine et les informations mises à la disposition des organes
de contrôle.

S’agissant des débiteurs de l’obligation d’information, on note que sont généralement


concernés, les mandataires sociaux et particulièrement, les dirigeants sociaux. Sont également
visés, les associés des sociétés par action et de la SARL intéressés dans la convention.
Toutefois, des précisions doivent être faites sur la situation des dirigeants sociaux. Ainsi, seuls
les dirigeants qui sont tenus d’une obligation de rendre compte de leur gestion sont tenus par

23
I. PARACHKEVOVA, « L’intérêt indirect dans les conventions réglementées », BJS juill. 2016, n° 115e8, p.
450, précité, p. 1.
24
P. SCHOLER, commentaire sous CA Paris 16 e ch. sect. B, 20 nov. 1998, n° 1996/20138, SCI Eljo c/ SA AG
Plus, Joly Sociétés, Traité, v o « Conventions réglementées ou interdites », n os 6, 7, 49, 87.

8
cette obligation d’information. Il s’agit des dirigeants sociaux ou mandataires des SA , SAS et
de la SARL. A l’opposé, les dirigeants des sociétés unipersonnelles ou des sociétés de
personnes que sont les SNC et les SCS qui ne sont tenus d’aucune obligation de rendre
compte en raison du caractère illimité de leur responsabilité, ne sont pas tenus par cette
obligation. Cela signifie que les dirigeants de cette dernière catégorie de société peuvent
valablement conclure des conventions avec certains membres de leur famille sans être soumis
à l’exigence du respect de la procédure de conclusion des conventions réglementées25.

Quid de la forme de la saisine ? L’examen des dispositions des articles 440 et 351 de l’AUSC
précités, permet d’indiquer que la saisine se fait par courrier adressé personnellement aux
organes compétents de la société par la personne intéressée dans le conflit d’intérêts. Cela
implique dans le cas de la SA qu’il s’agisse du dirigeant social ou d’un associé, de saisir
personnellement le Conseil d’administration. Seule cette procédure reste valable. C’est
pourquoi, ces personnes ne peuvent arguer de ce que certains membres du Conseil
d’administration avaient connaissance de l’existence du conflit d’intérêt pour ne pas effectuer
cette démarche. Une telle connaissance de l’existence de la convention conflictuelle par un ou
des membres du CA ne vaut information régulière et exonérer ainsi l’intéressé de cette
prescription légale26. De même, le dirigeant social ou actionnaire concerné ne peut prétexter
par exemple que le Conseil d’administration « devait savoir » forcément l’existence d’un
conflit d’intérêt. S’agissant de la SARL, l’information de la société se fait par la saisine du
commissaire aux comptes par le gérant ou l’associé concerné27 .

Cependant, l’information des organes compétents de la société ne s’épuise pas à une simple
saisine. Celle-ci doit être accompagnée de la mise à disposition des informations utiles 28

25
Toutefois, cette dispense n’implique pas l’exclusion de tout contrôle concernant les actes qu’ils accomplissent.
Le contrôle va s’opérer sur le fondement de la spécialité légale de l’objet social tel que susmentionné. Le
contrôle du juge va consister à vérifier si l’acte conclu par le dirigeant social est conforme à l’objet social, s’il
procure un avantage à la société ou au contraire, s’il a été conclu dans l’intérêt exclusif du dirigeant social ou de
l’associé intéressé. Cf. articles 440 et 351 de l’AUSC ; Cass. Com., 7 nov. 1966, Bull. civ., III, n°421 ; Cass.
3eme civ., 22 mai 1975, JCP G, 1976, II., n°18346, note RANDOUX ; Cass. com., 14 juin 2000, Bull. Joly,
2000, p.1054, § 261, note A. COEURET, K. GREVAIN-LEMERCIER, Le devoir de loyauté en droit des
sociétés, op.cit., p. 252 et suiv. ; D. SCHIMIDT, Les conflits d’intérêts dans la société anonyme, version
nouvelle, op. cit., n°166, p.160.
26
Article 444 de l’AUSC.
27
cf. P. LE CANNU, « Couverture irrégulière de la modification d’une convention décidée sans autorisation
régulière du Conseil d’administration », note sous Cass com, 21 nov. 2000, n°97-21748 SA Patrofer c/SA SFPO,
Bull. Joly Sociétés, 2001, n°2, p. 172.
28
Par ce vocable, il faut entendre celles qui permettent aux organes de contrôle d’avoir une bonne connaissance
de la situation contractuelle et de ses implications sur l’intérêt de la société et celui des associés. Selon les
articles 353 et 440 de l’AUSC, la mise à disposition d’informations utiles se traduit par l’indication par la
personne concernée, de sa situation et de son intérêt personnel au regard de ladite convention, ses participations,
son rôle et de ses liens personnels avec les autres parties à la convention, etc…

9
permettant à la société d’effectuer le contrôle nécessaire afin d’apprécier objectivement,
l’impact de la convention sur l’intérêt social et sur celui des associés. Ainsi, la personne
intéressée devra indiquer sa situation et l’intérêt qu’il est susceptible de tirer directement ou
indirectement de la conclusion ou de l’exécution du contrat 29. Cette mise à disposition des
informations utiles est déterminante pour autoriser la conclusion de la convention ou de son
approbation par le CA ou l’AG des assemblées des associés. C’est pourquoi, des informations
erronées ne valent pas informations utiles car impossibilité pour les organes de délibération de
la société de donner un avis éclairé sur les différentes conventions. C’est le lieu de souligner
l’importance du rapport spécial qu’établit le commissaire aux comptes dans la mesure où il
comporte des informations détaillées sur chaque convention autorisée ou conclue, lesquelles
informations doivent être mises à la disposition des associées dans les délais légaux puis
présenté lors des assemblées délibérative30.
Quant à l’étendue de l’obligation d’information, elle est vaste. Elle porte non seulement sur
les conventions à conclure mais également sur celles conclues au cours de l’exercice antérieur
et dont l’exécution s’est poursuivie au cours du dernier exercice, ce, à compter de la clôture
de l’exercice31.

De ce qui précède, il apparaît clairement que le moment de la révélation de la situation de


conflit d’intérêts est très important. Elle doit intervenir avant la réunion destinée à accorder
l’autorisation préalable ou l’approbation de la convention conflictuelle. Par conséquent, une
révélation tardive du conflit d’intérêts aux organes compétents de la société ne peut valoir
révélation utile.

En plus de la régularité de la saisine des organes de contrôle de la société, pour que


l’autorisation ou l’approbation soit valable, il est impératif que la personne intéressée dans le

29
Articles 350 et 440 de l’AUSC.
30
Article 353 et 440 de l’AUSC, M A MOUTHIEU épse NJANDEU, L’intérêt social en droit des sociétés, op.
cit., p.127 ; un arrêt français paraît intéressant à cet égard. Dans cette affaire, un ex-ministre, a, en sa qualité de
dirigeant d’une société mutualiste, permis à sa compagne de réaliser une opération immobilière lucrative. Si le
bail litigieux a été autorisé par le CA, le PCA de la Mutuelle qui n’est autre que le compagnon de la contractante
de la société, n’a pas avisé le commissaire aux comptes pour qu’il établisse un rapport spécial sur ledit bail. La
question s’est donc posée de savoir si la non production du rapport spécial du commissaire aux comptes avait été
faite délibérément dès lors que le PCA chargé d’informer le commissaire aux comptes pour établir le rapport
spécial est la personne même qui était intéressée dans le bail litigieux. La Cour de cassation n’a pas manqué de
répondre à cette préoccupation par l’affirmative et en sanctionnant par conséquent son auteur.
31
Pour une étude comparative, cf. Cass. soc., 13 décembre 1976, Bull. Joly Sociétés, 1977, p. 186, § 76 ;
D.1977, jur. p. 375, note M. JEANTIN ; RTD com., 1977, p. 540, obs. R. HOUIN ; comp. CA Paris, 21 mai
1993, BJS 1993, p. 886, , § 257 ; Cass. com., 4 juillet 1995, BJS 1995, p.968, § 350, note J.-F. BARBIERI ; JCP,
éd. E, 1995, II, no 750, note Y. Guyon ; JCP, éd. G, II, n° 22560 ; D., 1996, jur. p. 186, note J.-Cl. HALLOUIN;
Rev. fr. compt., février 1996, p. 39, note Ph. Reigné ; RTD com., 1996, p. 69, obs. B. PETIT et Y. REINHARD ;
RTD civ., 1996, p. 413, obs. P.-Y. GAUTIER ; JCP, éd. E, 1995, no 38, Cons. Fidal.

10
conflit d’intérêts ne prenne pas part au vote conformément aux dispositions de l’article 444 de
l’AUSC. C’est dans ce sens que s’est d’ailleurs prononcé la CCJA dans son arrêt du … 32

Outre le contrôle des conventions réglementées ou interdites, le traitement du conflit d’intérêt


peut consister pour le juge à relever l’existence d’un abus de droit au sein de la société.

B- La constatation d’un abus de droit au sein de la société

Dans le cadre du traitement du conflit d’intérêts, la CCJA peut être amenée à vérifier si, elle
est en présence d’un abus de droit. Cette démarche du juge OHADA invite à préciser d’abord,
le sens de ce vocable (1) avant de décliner ses différentes manifestations en droit des sociétés
commerciales OHADA (2).

1- La notion d’abus de droit en droit des sociétés commerciales

L’abus de droit est un concept du droit romain qui n’est pas défini par le législateur. Cette
vacuité a donné lieu à une controverse doctrinale tirée de la conception civiliste de
l’expression en droit français. En effet, notant que l’abus de droit est un des fondements de la
responsabilité délictuelle, certains auteurs avaient soutenu qu’il ne peut avoir de faute si le fait
commis entre dans l’exercice d’un droit33. Mais cette thèse n’a pas fait l’unanimité car pour de
nombreux juristes romains, le droit ne devait être utilisé que pour atteindre l'objet et la finalité
pour lesquels il avait été institué ce qui signifie qu’il ne doit pas être détourné de son but.
Appréhendée sous cet angle, la conception doctrinale la plus répandue aujourd’hui, est celle
de JOSSERAND qui est elle-même, est inspirée de DURKHEIN. Selon elle, l’abus est l’acte
contraire au but de l’institution, à son esprit, à sa fonction, sociale, à sa finalité. Le vocable
intègre dans sa compréhension, le détournement de la finalité du droit et se concrétise par
l’absence de mobile ou de motif légitime de l’acte abusif 34. Cette compréhension du concept
est perspective également chez J. MESTRE qui décline ses différentes manifestations. Selon
l’auteur, « abuser de son droit, c’est alors masquer ses véritables intentions, trahir des attentes

32
CCJA, arrêt n°004/2014 du 30 janvier 2014, affaire Ecobank Centrafrique SA c/ Société Soca-Constructa Sarl,
Recueil de jurisprudence OHADA 2014, n°21, vol. 2, p. 45Cf. également Cass. Com., 18 oct. 1994, Bull. civ.,
IV, n°304 ; JCP n°15, p. 616 ; T. com. Paris, 20 mai 1997, Juris-Data n°1997-056632 ; CA Paris, 31 mars 2000,
Juris-Data n°2000-113609 ; K. GREVAIN-LEMERCIER, Le devoir de loyauté en droit des sociétés, op.cit., p.
259 et suiv.
33
Il s’agit de la thèse de la doctrine classique cf. Ulpien qui avait formulé un antidote sous forme de maxime :
« Ne lèse personne celui qui use de son droit », in Rev historique de droit français et étranger, 1922, vol 96, n°3,
Juillet -Septembre 2018, Dalloz , p. 399.
34
JOSSERAND, note sous cass. Com., 27 oct. 1998, JCP E 1998, pan.p.1951 ; Bull. Civ. IV, n°256.

11
légitimes, faire preuve d’une rigueur démesurée, bref trop embrasser pour mieux étreindre et
étouffer l’autre ! »35.

Si l’abus de droit est un des éléments fondateurs de la responsabilité délictuelle, la théorie de


l’abus de droit a été élargie à d’autres domaines du droit 36 tels que les obligations
contractuelles. L’abus apparaît alors comme un moyen de résoudre des conflits entre
différents usages d’un droit. Elle est utilisée comme une règle d’arbitrage d’un conflit
d’intérêts. Le détournement qui en résulte peut porter aussi bien sur un droit accordé pour la
satisfaction personnelle de son titulaire comme il peut être fondé sur un pouvoir accordé dans
l’intérêt d’autrui.
S’appropriant cette approche doctrinale, la jurisprudence française fait dépendre l’abus de
droit en droit des sociétés commerciales, de la réunion de deux éléments indissociables que
sont : une décision contraire à l’intérêt général ou l’intérêt social et une rupture d’égalité entre
les associés37. Si cette règle se comprend aisément dans le cadre de l’abus de majorité en ce
sens qu’elle vise une décision contraire à l’intérêt général et une rupture d’égalité entre les
associés dans le dessein de favoriser la majorité 38, son application à l’abus de minorité l’est
moins. Pourtant, l’existence de cette dernière se justifie d’autant plus qu’il peut arriver que les
actionnaires minoritaires soient plus puissants que les majoritaires 39. C’est le cas des fameux
fonds de pensions américains dans lesquels les actionnaires minoritaires sont si puissants
qu’ils sont susceptibles de bloquer la prise des décisions collectives40.
De ce tour d’horizon, on peut retenir à juste titre que les critères de l’abus de droit en droit des
sociétés commerciales peuvent être regroupés en deux points à savoir la rupture d’égalité
entre les associés et l’atteinte à l’intérêt social. Cette acception de l’abus transparaît dans les
35
MESTRE (J.), « L’abus de droit dans la vie des affaires : propos introductifs », Dr. et patrimoine 2000, 83,
p.37 et s.
36
E. MOTTO, La gouvernance des sociétés commerciales en droit de l’OHADA, Thèse 2015, op. cit., p. 135 et
suiv ; Ph. LE TOURNEAU, Droit de la responsabilité et des contrats, 6eme édition, Dalloz 2006, n°6863, La
responsabilité délictuelle de droit commun.
37
E. MOTTO, La gouvernance des sociétés commerciales en droit de l’OHADA, Thèse 2015, op. cit., p. 135 et
suiv ; Ph. LE TOURNEAU, Droit de la responsabilité et des contrats, 2006, op. cit., n°6988 et suiv., Abus de
majorité, critères doctrinaux ; Voir I. PARACHKÉVOVA, « Les dispositions relatives aux conventions
réglementées dans l’ordonnance du 31 juillet 2014 : en attendant la prochaine réforme », Bull. Joly Sociétés
2014, § 112, p. 481 ; V Y. MAGNE-FOSSO, L’intervention du juge dans le fonctionnement des sociétés
commerciales en droit OHADA, Thèse, Université Côte d’Azur, 2020 ? p. 144 ; Cass.com., 30 mai 1980, Rev.
sociétés 1981, p. 311, note SCHMIDT ; Cass. 1ere civ., 20 mars 1989, BJS 1989, p. 411, note LE CANNU.
38
Cass.com., 30 mai 1980, Rev. sociétés 1981, p. 311, note SCHMIDT ; Cass. 1ere civ., 20 mars 1989, Bull.
Joly 1989, p. 411, note P. LE CANNU.
39
Cass. Com., 15 juillet 1992 et Cass. Com., 18 Juin 2002, RJDA 2003, n°262 ; Ph. LE TOURNEAU, Droit de
la responsabilité et des contrats, « Abus de minorité », précité.
40
A. LIENHARD, obs. sous Com. 20 mars 2007, n° 525 FS-P+B, Dalloz, Actualité Juridique, Juillet 2023 ; Cass
com. 18 avr. 1961, D. 1961. Jur. 66 ; Com. 15 juill. 2002, D. 1993. Jur. 279, note H. LE DIASCORN ; Cf. D.
SCHIMDT, Les conflits d’intérêts dans la société anonyme, version nouvelle, op. cit., p. 398 et suiv.; C.
GIRARD, « Les actionnaires minoritaires », Rev. Française de gestion, 2002, vol. 5, n°141, p. 183-202.

12
articles 130 et 131 de l’AUC qui sanctionne les abus de majorité, de minorité et d’égalité.
D’ailleurs, c’est sous le fondement de ces deux dispositions que la CCJA n’hésite pas à rejeter
les recours en annulation des délibérations des assemblées lorsque les deux conditions ne sont
pas réunies, qu’il s’agisse des délibérations portant sur la constitution des réserves
facultatives41 que celles de modification du taux de dividende réservé aux actions de
préférence ou encore de la révocation d’un administrateur42.
Pourtant, dans une autre décision, la Haute juridiction a adopté une position contraire. Dans
cet arrêt, elle s’est fondée uniquement sur la violation de l’intérêt social à l’exclusion de la
rupture d’égalité que la décision est susceptible de créer entre les associés dès lors qu’elle
dispose que la constitution des réserves facultatives, fut-elle systématique, ne constitue pas en
soi un abus. Pour la Haute juridiction, le but de cette réserve est de renforcer les capitaux
propres de la société. La décision devient abusive lorsque les associés l’ont fait dans leur
propre intérêt, ce qui selon elle, n’est pas le cas en l’espèce. C’est par ces motifs qu’elle a
rejeté le pourvoi formé par des associés minoritaires contre une délibération de dotation de
réserve facultative43.
On en déduit que les deux critères susmentionnés ne sont pas appliqués de façon systématique
par la Haute juridiction qui, en réalité, privilégie l’approche casuistique dans le traitement de
l’abus de droit. Face aux incertitudes qui peuvent en résulter, et pour éviter tout abus ou
mauvaise interprétation dans son application, certains auteurs recommandent à juste titre que,
pour apprécier l’abus de droit, les juges ne se contentent pas d’une simple vérification
formelle de l’existence de ces deux éléments cumulatifs que sont l’atteinte à l’intérêt social et
la rupture d’égalité entre les associés. Ils suggèrent que les juges aillent plus loin en recourant
à la méthode du « faisceau d’indices ». Cette technique leur permettra de prendre en compte
d’autres paramètres, tels que la période de non-distribution des dividendes si celle-ci est très
longue par exemple, de la comparaison du niveau des réserves et du capital social, de la

41
CCJA, arrêt n°064 du 29 avril 2015, Recueil de jurisprudence de la CCJA , 2015, p. 43 ; V Y. MAGNE-
FOSSO, L’intervention du juge dans le fonctionnement des sociétés commerciales en droit OHADA, Thèse
2020, op. cit., p. 144 ; M A MOUTHIEU épse NJANDEU, L’intérêt social en droit des sociétés, op. cit, p. 226 ;
D. TRICOT, « Abus de droit dans les sociétés : abus de majorité et abus de minorité », RTD com., 1994, p.617 ;
E. LEPOUTRE, « les sanctions des abus de majorité et de minorité dans les sociétés commerciales », Droit et
patrimoine, déc.1995, p.68 précité. L’article 143 al 2 de l’AUDSCGIE dispose à cet égard que « l’assemblée
peut décider la distribution de tout ou partie des réserves à la condition qu’il ne s’agisse pas de réserves
considérées comme indisponibles par la loi ou par les statuts » ; Dans le même sens, cf. Cass. Civ., 20 mars
2014, Bull. Joly, 2014, p. 370, note PORACCHIA ; en dépit de tout, la loi donne la liberté aux associés de
pouvoir décider de porter à un compte de réserve facultative tout ou partie du bénéfice disponible. même si cette
mesure semble mettre en opposition les deux principes du droit des sociétés sus indiqués, cf. M. COZIAN, V.
VIANDIER et FL DEBOISSY, Droit des sociétés, Lexisnexis, 32e éd., coll. Manuel 2019, p. 260, n°597, p. 146.
42
CCJA, arrêt n°107/2020 du 09 avril 2020, in Actualité Juridiques, n°110/2022, p.33 et suiv.
43
CCJA, arrêt n°064/2015 du 29 avril 2015, précité.

13
comparaison de l’évolution des rémunérations des majoritaires lorsqu’ils sont salariés ou
qu’ils perçoivent des rémunérations de la part de la société par rapport aux décisions de
distribution des bénéfices44.

La notion d’abus de droit ainsi déclinée, quelles peuvent être ses manifestations dans le droit
des sociétés commerciales ?

2- Les manifestations de l’abus de droit en droit des sociétés commerciales


OHADA

Les manifestations de l’abus de droit sont nombreuses et variées en droit des sociétés
commerciales OHADA ; mais dans le cadre de cette étude, elles seront regroupées en deux
catégories. La première est celle qui renvoie à l’abus du droit de vote au sein des assemblées
délibérantes et afférentes aux abus de majorité et de minorité ainsi que l’abus d’égalité tels
que prévus par les articles 130 et 131 de l’AUSC et la seconde modalité est organisée par les
dispositions de l’article 891 dudit acte.

Les manifestations de la première catégorie sont diverses comme cela a été sus relevé. Ainsi,
la Haute juridiction a considéré dans une autre décision, qu’il ne peut « y avoir abus de
majorité dans l’hypothèse où la société a un important besoin de financement en capitale
confirmé, le cas échéant, par un rapport d’expertise 45. Dans le même sens, elle a, dans une
autre décision sus précisée, la Haute juridiction a rejeté la requête des actionnaires
minoritaires au motif que la société avait un besoin confirmé de financement. Dans une
décision précitée, la Haute juridiction a rejeté la requête des associés minoritaires aux motifs
que la constitution de réserve facultative en dehors de difficultés financière de la société n’est
pas constitutive d’abus de droit46. Aussi discutable soit-elle, cette décision fait écho avec la
célèbre affaire française du Planteur de Caïffa du 16 novembre 1943 47. En effet, dans cette
espèce, les juges refusèrent d’annuler la délibération de report à nouveau de bénéfices qui leur
44
FENEON (A.), Droit des sociétés en Afrique OHADA, LGDJ, Lextenso, 3ème édition 2022, n° 1069, p.415.
45
V. TR de Niamey, jugement civil n°96 du 26 mars 2003, Abbas Hamoud c/ Jacques Claude Lacour, Ohadata J-
04-78, disponible sur www.ohada.com., consulté le 1er mars 2023 ; R. NJEUFACK TEMGWA, « La règle de la
majorité dans le droit des sociétés commerciales OHADA », Revue de droit africain, doctrine et jurisprudence,
Volume 10, 2006, pp. 5-26 ; A titre de comparaison, cf. Cass com, 4 novembre 2020, n°18-20.409, RJDA 2021,
n°170, p.231, Rev. sociétés févr. 2021, p.90, note J.-M. MOULIN, Gaz.Pal.30 mars 2021, p. 62 ; C. RUELLAN,
La loi de la majorité dans les sociétés commerciales, Thèse, Paris II, 1997.
46
CCJA, arrêt n°064 du 29 avril 2015, précité.
47
Req. 16 nov. 1943, JCP 1943, II, p.2551, note de LESCOT. Au fond, la décision attaquée était maintenue mais
au terme d’une analyse de certains éléments de la situation économique de la société, elle était considérée
comme prise dans l’intérêt de la société. Cet intérêt social était nécessairement apprécié par le juge ;V.
PORTERMER, « Le contrôle judiciaire des décisions des assemblées générales des sociétés », in Revue de la
Cie des commissaires des sociétés agrées par la Cour de Paris, janv-juill. 1964, p.22 ; Cass. com., 20 janv 1958,
Bull. civ., III. 24, Rev. Sociétés, 1958, p. 286, note AUTESSERRE ;

14
était soumise, malgré le grief de détournement de pouvoir qui avait été évoqué. Selon les
juges, la décision était prise dans l’intérêt social, de la sorte, ils ont considéré que la somme
reportée était normale eu égard à l’importance des bénéfices sociaux et des charges sociales.
Ici également, les juges ont mesuré le comportement abusif uniquement par rapport à l’intérêt
social48. Un exemple similaire plus récent et très instructif peut être également relevé dans le
droit français. Dans cette espèce, la Cour de cassation française a écarté la qualification
d’abus à l’encontre des délibérations qui, pendant sept années consécutives, ont choisi de ne
pas distribuer de dividendes dès que lors que cette mise en réserve systématique était très
concrètement nécessaire pour que la société obtienne un prêt bancaire finançant un projet
important, puis assure sa « capacité de remboursement sûre et durable »49.

Quant à l’abus de minorité, il se traduit en général par le blocage des décisions par les
actionnaires minoritaires lors des délibérations des assemblées délibératives 50. Pour rappel,
dans la théorie du gouvernement de l’entreprise, le fonctionnement de la société est assimilé à
celui d’un Etat démocratique dans lequel les décisions sont prises selon le principe de la
majorité. Ce qui implique dans la société commerciale que, les associés minoritaires doivent
se soumettre aux décisions adoptées par la majorité. Or, il peut arriver que les actionnaires
minoritaires bloquent le vote émis par la majorité lorsqu’ils considèrent que celles-ci n’est pas
prise dans l’intérêt social 51. Divers cas de figures peuvent se présenter. Le blocage peut se
produire lors de l’augmentation du capital, alors que cette augmentation est indispensable 52
pour la survie de la société. C’est ainsi le cas d’un détenteur de 40% du capital refusant toute
augmentation indispensable à la survie de la société avec pour seul objectif, d’entraver son
fonctionnement53. Il peut viser la décision du transfert de siège social de la société notamment
d’un lieu vers un autre où son activité pourrait davantage prospérer 54. Il peut porter également
sur l’opposition des associés minoritaire à la prorogation de la société arrivée à terme.

48
Cass. Com., 18 avr 1961, JCP 1961, n°12164, note D.B ; J. MESTRE, « L’intérêt social n’est pas omnipotent »
in Horizons du droit - Bulletin n°26, 2021, Revue de l'Association Française des Docteurs en Droit, p. 85.
49
Cass. Civ., 4 novembre 2020, n°18-20.409, RJDA 2021, n°170, p.231, Rev. sociétés févr. 2021, p. 90, note J.-
M. MOULIN, Gaz.Pal.30 mars 2021, p.62, note K. RODRIGUEZ, Bull. Joly Sociétés, 2021, p.38, note C.- A.
MICHE.
50
E. MOTTO, La gouvernance des sociétés commerciales en droit de l’OHADA, Thèse 2015, op. cit. , p. 138 et
suiv ; Ph. LE TOURNEAU, Droit de la responsabilité et des contrats, « Abus de minorité », op. cit.;
51
Ph. LE TOURNEAU, Droit de la responsabilité et des contrats, n°6991, « Abus de minorité", op. cit. ;
52
Cass. Com., 14 janv. 1992, D. 1992, p. 337, note BOUSQUET ; cass. Comm., 15 juillet 1992, JCP E1992, p.
375, note Y. GUYON ; Cass. Com., 27 mai 27 mai 1997, Bull. civ, IV, n°159 ; D. 1998, somm. 182
53
CA Rouen, 13 juin 2000, Bull. Joly Sociétés, 2001, n°3, p. 258 , obs. J-F. BARBIERI; M. STORCK , Traité,
V° « Siège social », n°33.
54
T. com. Paris, 31 oct. 2000, JCP E 2001, pan. P. 398.

15
Outre cette première hypothèse, l’abus de droit peut résulter de l’abus des biens et crédit de la
société. Les éléments constitutifs de cette infraction doivent être appréciés tant à l’aune du
champ personnel que du champ matériel de l’article 891 de l’AUSC. S’agissant du champ
personnel, sont essentiellement visés par ces infractions pénales, les dirigeants de la SARL,
les administrateurs, le PDG, le DG, le DGA, l’Administrateur général ou le l’administrateur
général adjoint d’une SAS. Quant au champ matériel, l’AUSC renvoie à l’usage des biens et
crédit de la société. A ce titre, il convient de souligner que si contrairement au droit français
où le champ matériel de l’abus de droit s’étend expressément aux pouvoirs des dirigeants
sociaux, le juge OHADA gagnerait dans un souci d’efficacité à s’approprier cette démarche
dans le traitement du conflit d’intérêts. De la sorte, l’élément matériel de l’infraction sera
appréhendé de façon la plus extensible possible de manière à englober tous les biens mobiliers
et immobiliers du patrimoine social et également du pouvoir du dirigeant. Il comprend, les
fonds sociaux, les mobiliers, matériels, marchandises, créances, immeubles. Quant au crédit,
il prend en compte, la réputation de la société, et plus particulièrement sa surface financière.

L’usage abusif constitutif de l’infraction de conflit d’intérêts implique un usage des biens
contraire à l’intérêt social. On entend par ce vocable, l’appropriation ou la dissipation d’un
bien. Il en va ainsi lorsque le dirigeant dispose à son profit personnel des sommes revenant à
la société en s’octroyant des rémunérations excessives ou des avantages auxquels il n’a pas
droit ou lorsqu’il fait payer ses dettes par la société ou des amendes à laquelle il a été
condamné personnellement55 . Les biens ainsi visés sont ceux de la société en tant que
personne morale ; lesquels biens se distinguent de ceux des membres qui la composent. C’est
pourquoi, l’élément matériel de l’infraction sera retenu à l’égard du prévenu même si la
société victime de conflit d’intérêts est composée essentiellement des membres de la famille
du prévenu56.

L’élément moral de l’infraction réside dans la mauvaise foi du dirigeant social qui est la
conscience du caractère contraire à l’intérêt social de ses agissements et de la volonté
d’enfreindre à la loi57.
Au demeurant, la caractérisation du conflit d’intérêts par le juge OHADA procède non
seulement de l’identification d’une situation conflictuelle repréhensible non autorisée ou non

55
Lire Comm sous article 891 de l’AUSC.
56
Lire Comm sous article 891 de l’AUSC.
57
NC NDOKO et S. YAWAGA, « Infractions, relatives à la gestion des sociétés » in encyclopédie du doit
OHADA (sous la dir. P. G. POUGOUE), Lamy 2011, p. 971 et suiv. ; N. MOHAMADOU, « Le délit d’abus de
biens ou crédits de la société commerciale en droit positif nigérien » Rev. Nigérienne de droit numéro 2, 1999, p.
49 ; E. MOTTO, La gouvernance des sociétés commerciales en droit de l’Ohada , 2015, op. cité. p. 61 et suiv.

16
approuvée mais également de l’abus de droit entrainant non seulement une rupture d’égalité
entre les associés mais se caractérise surtout par la violation de l’intérêts social.

Dès lors que la preuve de ces deux éléments est établie, le juge procède au dénouement du
conflit d’intérêts ainsi caractérisé.

II- Le dénouement du conflit d’intérêts

D’emblée, il faut préciser que l’existence d’un conflit d’intérêts n’entraîne pas
systématiquement la sanction de celui-ci par le juge. Si sa répréhension est courante, il faut
noter que, sous certaines conditions, le juge peut prononcer le maintien de l’acte ou de la
décision litigieuse. Il en résulte que le conflit d’intérêts peut être sanctionné (A) ou toléré (B).

A- Le conflit d’intérêts sanctionné

La répression du conflit d’intérêts est subordonnée à l’existence d’un préjudice et à la


violation de l’intérêt social (1). L’existence de ces deux éléments justifient les sanctions qui
sont prononcées (2).

1- Les conditions de la sanction : la violation de l’intérêt social

Qu’est-ce que l’intérêt social et quelles sont les manifestations de sa violation ?

Bien qu’il fasse l’objet de nombreuses évocations dans l’AUSC 58 en raison de son importance
dans le droit des sociétés commerciales, l’intérêt social n’a pas été défini par le législateur
OHADA à l’instar de nombreux de ses homologues étrangers 59. Cette difficulté est renforcée
par la controverse doctrinale sur la lecture unitaire ou plurale de la notion 60. Les limites et
58
Les articles 425 et 437 de l’AUSC, faisant référence à la notion, disposent que les dirigeants engagent leur
responsabilité civile et parfois pénale, lorsqu’ils méconnaissent l’intérêt social. On peut citer également, l’article
277 sur les SNC (et 320) ou encore 298 de l’AUSC sur les SCS, qui indiquent qu’en l’absence de détermination
des pouvoirs du gérant par les statuts, celui-ci peut accomplir tous les actes de gestion dans l’intérêt de la
société ; Autrement dit, l’intérêt social joue un rôle fondamental en droit des sociétés, lire C. BAILLY-
MASSON, « L’intérêt social : une notion fondamentale », LPA, 9 nov. 2000, n° 224, p. 11.
59
MA MOUTIEU épse NANDJEU, L’intérêt social en droit des sociétés, op.cit., p.27.
60
En réalité, cette controverse doctrinale sur la compréhension de la notion tire elle-même sa source du
traditionnel débat doctrinal sur la notion de l’entreprise. En effet, deux conceptions de l’entreprise s’opposent.
D’une part, l’approche contractuelle d’inspiration anglo saxon et d’autre part, l’approche institutionnelle
caractéristique du droit romano-germanique. Sur ce débat, cf. J. PAILLUSSEAU, « Les fondements du droit
moderne des sociétés », JCP E 1984, II, 14193, p. 165 ; C. BAILLY-MASSON, « L’intérêt social : une notion
fondamentale », LPA, 9 nov. 2000, n° 224, p. 11 ; M. JEANTIN « Le rôle du juge en droit des sociétés », in
Mélanges PERROT, Dalloz 1996, 149 ; A. CONSTANTIN, « L’intérêt social : quel intérêt ? : Etudes offertes à
B. MERCADEL, édition Francis Lefebvre, 2002, p. 317 ; M. DIOUF, Le contentieux sociétaire en droit
OHADA, Sire OHADA, 2021, p. 83 et suiv. ; M. AFANA BINDOUGA, L’égalité des associés dans l'Acte
uniforme de l’OHADA relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, Thèse,
Nantes, 2010 ; S. ZREIK, Conventions réglementées et intérêt social en droit comparé Liban, France, USA, th.,
Paris II, 2011, p. 4 ; T. FAVARIO, L’intérêt de l’entreprise en droit privé français, th., Lyon III, 2004, p. 2 ; M.
A. MOUTHIEU NJANDEU, L'intérêt social en droit des sociétés, op. cit., p. 112 ; B. NJOYA NKAMGA, Les

17
incertitudes liées à ces deux approches conceptuelles de l’intérêt social ont conduit à
privilégier la thèse de la finalité de l’entreprise véhiculée par les tenants ce qui convient
d’appeler « l’école de Rennes 61. Pour les tenants de cette théorie, la satisfaction de l’intérêt
social est présentée comme le fondement et le but de l’action des dirigeants ; ils sont chargés de
la défense et de la réalisation de l’intérêt social, et non du leur 62. Autrement dit, l’intérêt social ne
doit pas être le moyen d’une confiscation du pouvoir au profit d’une petite oligarchie de dirigeants 63.
L’un des avantages de cette théorie est qu’elle ne se limite pas à l’approche capitaliste et à
court terme de l’intérêt social qui ne prendrait pas en considération la pérennité de la société, qui
requiert une politique d’investissement sur le long terme ; ce qui impose une certaine rigueur dans
son fonctionnement et sa gestion64. En somme, la théorie de la finalité de l’entreprise permet de
prendre en compte tous les intérêts en présence au sein de l’entreprise tout en préservant sa
pérennité . Sous cet angle, l’intérêt social est présenté comme la boussole de l’entreprise et
indique deux directions : l’intérêt de la société personne morale proprement dit et l’intérêt
commun des associés, actionnaires de la société et propriétaires des biens de celle-ci. Les
promoteurs de cette thèse insistent sur le caractère cumulatif de ces deux dimensions de
l’entreprise en précisant que toute tentative de définition qui viserait à exclure l’un ou l’autre
intérêt est vouée à l'échec65.

L’importance de l’intérêt social et la nécessité de le préserver de toute action susceptible de


lui porter atteinte trouve sa consécration dans le droit OHADA dans les articles 130 et 131 de
l’AUSC précité66.

dirigeants sociaux, th., Dschang, 10 août, 2007, p. 140 et s.op. cit., n° 388, p. 388, p. 206.E. MOTTO, La
gouvernance des sociétés commerciales en droit de l’OHADA, Thèse 2015, op. cit. , p. 126 et suiv.
61
C. CHAMPAUD, Le pouvoir de concentration de la société par actions, Sirey, 1962 ; J. PAILLUSSEAU, La
société anonyme, technique d’organisation de l’entreprise, Thèse, Rennes, 1967 ; du même auteur, « Les
fondements du droit moderne des sociétés », JCP E 1984, II, 14193, p. 165 ; Ph. MARINI, La modernisation du
droit des sociétés, La documentation française, 1996, p. 12 ; MA MOUTIEU épse NANDJEU, L’intérêt social
en droit des sociétés, op.cit., p. 27 et suiv.
62
E. MOTTO, La gouvernance des sociétés commerciales en droit de l’OHADA, Thèse 2015, op. cit. ,p. 129 et
suiv. ; MA MOUTIEU épse NANDJEU, L’intérêt social en droit des sociétés, op.cit., p. 27 et s
63

64
E. MOTTO, p. 127 et suiv.
65
P. PIROVANO, « La "Boussole" de la société. Intérêt commun, intérêt social, intérêt de l’entreprise ?»,
Dalloz, 1997, chr., p. 189 et suiv. ; M. COZIAN, A. VIANDIER et F. DEBOISSY, « Droit des sociétés », 16ème
éd., Litec, 2003, spéc. p.194, n°431. ; I. CADET, « Concept à risque pour une nouvelle forme de gouvernance »,
Revue Management et Sciences sociale, n°13, Juillet-décembre 2012, p. 19 ; L. SANI MANI, L’intérêt social
dans la réforme OHADA, Thèse, Université Cheick Anta Diop, Dakar, 2019, p. 5 et suiv.
66
Lorsqu’il indique qu’il y a « …abus de majorité lorsque les associés majoritaires ont voté une décision dans
leur seul intérêt, contrairement aux intérêts des associés minoritaires, sans que cette décision ne puisse être
justifiée par l’intérêt de la société » et qu’il s’agit du même principe en ce qui concerne l’abus de minorité et
d’égalité.

18
Ce besoin de protection de l’intérêt social s’exprime de façon très large sous d’autres cieux à
travers la notion de l’intérêt collectif ou général, présenté comme le point d’ancrage de la
synthèse entre ces deux branches superposables de l’intérêt social 67. Autrement dit, l’intérêt
collectif est le point de convergence entre l’intérêt de la société et la somme des volontés
individuelles des associés.

Si la notion d’intérêt collectif ou général peut être un outil de mesure du juge dans le
contentieux plus large des conflits d’intérêts, la tendance actuelle est d’appréhender les
atteintes portées à l’intérêt social sous le prisme des manquements au devoir de loyauté 68. Il
s’agit d’une nouvelle obligation véhiculée par la théorie du « gouvernement de l’entreprise »
susmentionnée69. Pour ses promoteurs 70, le devoir de loyauté est un excellent mécanisme qui
permet d’appréhender toutes les atteintes susceptibles d’être portées à l’intérêt social sur le
double fondement du contrat classique et du mandat71.

Concernant le premier fondement, il faut rappeler que la société est avant tout, une
convention. A ce titre, le devoir de loyauté apparaît comme une manifestation de la bonne foi
imposée par les dispositions de l’article 1134 du code civil 72 pour la validité de toute
convention. Le devoir de loyauté se manifeste en droit des sociétés commerciales, par
l’imposition de la transparence entre non seulement les associés mais surtout du dirigeant à
l’égard de la société et de tout associé. Elle s’impose également aux membres du CA dans les
67
F. DIENG, « Transparence et gouvernement d’entreprise dans l’Acte Uniforme révisé relatif au droit des
société et des groupements d’intérêts économique », Lextenso, Actualité juridique.fr, consulté le 27 mai 2023 ;
I. CADET, « Concept à risque pour une nouvelle forme de gouvernance », précité, p. 16 et suiv. ; D.
LAMETHE, « L’approche française du gouvernement d’entreprises », Rev. Int. De droit comparé, 1999, p.1075-
1108.
68
Cette nouvelle obligation qui s’impose aux dirigeants sociaux est proche de la réglementation des opérations
d’initiés en droit financier dans les sociétés cotées.
69
Son intérêt est double : d’une part, moraliser le droit des sociétés commerciales et d’autre part, opérer une
harmonisation du droit des sociétés commerciales avec le mouvement de la gouvernance d’entreprise qui vise à
organiser et à délimiter les pouvoir et les influences des décisions des dirigeants. Autrement dit, qui gouvernent
la conduite des dirigeants d’entreprise et définissent leur espace discrétionnaire. La théorie du gouvernement
d’entreprise s’intéresse également au comportement éthique des dirigeants et des actionnaires dominants en leur
prescrivant des règles de conduite individuelles et collective, Cf. G. CHARREAUX, « Introduction général « in
Le gouvernement des Entreprises : Corporate Governance. Théorie et faits , Economica, collec. Recherches en
Gestion, 1997, p.1 ; J. VINCENT et A-L. LEGOUT, « Origines et principes du gouvernement d’entreprise »,
Journ. sociétés mars 2009, p. 15 ; Y. GUYON, « Corporate governance », Rep. Sociétés, Dalloz, févr. 2000 ; K.
GREVAIN-LEMERCIER, Le devoir de loyauté en droit des sociétés, op.cit. p. 46 ; N. DION, « 2001,
Entreprise, espoir et mutation », D. 2001, p. 762, n°2 ; E MOTTO, La gouvernance des sociétés commerciales
OHADA, Thèse 2015, op. cit.
70
Cf. K. GREVAIN-LEMERCIER, Le devoir de loyauté en droit des sociétés commerciales, op.cit., p. 44 ; MA
MOUTIEU épse NANDJEU, L’intérêt social en droit des sociétés, op.cit., p. 27 ; A. VIANDIER,
« Réglementation des offres publiques en droit des sociétés, l’expérience française », Bull. Joly bourse, 1993,
p.4 ; J. MESTRE, « l’intérêt social n’est pas omniprésent », Horizons du droit - Bulletin n°26, 2021 Revue de
l'Association Française des Docteurs en Droit
71
K. GREVAIN-LEMERCIER, Le devoir de loyauté en droit des sociétés commerciales, op.cit., p.87 et suiv.
72
MA MOUTHIEU épse NJANDEU, L’intérêt social en droit des sociétés, op.cit., p. 115

19
SA tout comme aux commissaires aux comptes 73. Ce devoir implique notamment, la mise à
disposition d’informations suffisantes et pertinentes74 au profit de la société ou des associés.

L’étendue de cette obligation de transparence est vaste. Elle porte sur toutes les informations
visant la vie ou l’avenir de la société. En cela, elle concerne les discussions ou les
négociations qui ont lieu aussi bien pendant la phase précontractuelle 75 que pendant la phase
contractuelle76. C’est pourquoi, l’associé cédant peut, sur le fondement de cette obligation
demander la nullité de la cession lorsque le dirigeant lui rachète ses actions sans l’avoir
informé de leur valeur réelle au regard des négociations en cours 77. Cet arrêt, qui a institué
l’obligation de loyauté dans le système juridique français pourrait inspirer le juge OHADA.

S’agissant du fondement tiré du contrat de mandat, le devoir de loyauté se manifeste dans les
rapports entre la société et le dirigeant social 78, par une obligation de non concurrence à
savoir, l’interdiction de recourir aux comportements contraires aux usages loyaux du
commerce et aux pratiques créatrices de concurrence déloyale telles que énumérées dans
l’Accord de Bangui de 1999 sur la concurrence déloyale 79. Elle implique entre autres pour le
dirigeant social, une interdiction de communiquer les informations qu’il reçoit dans le cadre
de son mandat aux entreprises concurrentes ou à ne pas détourner une opportunité d’affaire
présentée à la société. Certaines décisions de la jurisprudence françaises sont éclairantes sur la
question. Il en est ainsi du célèbre arrêt Koopci 80. L’obligation de loyale concurrence fait
peser également sur le dirigeant social, l’interdiction de créer ou de rejoindre une société
concurrence dans une durée limitée, définie par les textes ou de façon conventionnelle.

73
Pour rappel, l’AUSC indique que le rapport établi par le commissaire aux comptes doit être détaillé et
comporter des indications de noms, de chiffres, de modalités d’exécution cf. MA MOUTHIEU épse NJANDEU,
L’intérêt social en droit des sociétés, op.cit., p. 127 ; K. GREVAIN-LEMERCIER, Le devoir de loyauté en droit
des sociétés commerciales, op. cit., p. 45.
74
Il s’agit d’informations qui serait de nature à influencer sa décision. Cf. K. GREVAIN-LEMERCIER, Le
devoir de loyauté en droit des sociétés commerciales, op.cit., p.103 et suiv.
75
Cass. Com., 27 fév. 1996, bull. civ., IV, n°65 ; D. 199, somm, p. 324, obs. J.-CI HALLOUIN.
76
Arrêt KOPCIO , Cass. Com., 15 novembre 2011, Bull. civ. 2011, IV, n°188 ; D. 2012. 134, obs. A.
LIENHARD
77
Ce devoir est clairement exprimé dans l’arrêt français Vilgrain, Cass. Com., 27 fév. 1996, Bull. civ., IV,
n°65 précité ; D. 199, somm, p. 324, obs. J.-CI HALLOUIN ; Cf. K. GREVAIN-LEMERCIER, Le devoir de
loyauté en droit des sociétés commerciales, op. cit. , p.405 et suiv.
cf. arrêt français KOPCIO précité ; cf. également affaire TAPIE, arrêt Cass. ass. plén., 9 oct. 2006, Bull. Ass.
Plén., n°11, p. 27.
78
Cf. français KOPCIO, Cass. Com., 15 novembre 2011, précité.
79
A. S COULIBALY, « Le droit de la concurrence Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) »,
OHADATA D-05-27.
80
Cf. Cass. Com., 15 nov. 2011, n°10-15.049, précité. Dans cette affaire, le gérant d’une SARL avait négocié
avec la gendarmerie, la réalisation de la seconde tranche d’un projet immobilier avec une autre société dans
laquelle, il était par ailleurs associé alors même que la première tranche du projet avait été réalisé par la SARL
dont il était le gérant. Les associés de la SARL ont engagé une action en responsabilité pour comportement
déloyal. Ils ont obtenu gain de cause devant la Cour de cassation.

20
Au demeurant, lorsque la violation de l’intérêt social et l’existence d’un préjudice subi par la
société et par les associés sont démontrées, le juge peut prononcer la sanction dont il convient
de préciser les modalités.

2- Les modalités de la sanction

Deux types de sanctions peuvent être identifiées. D’une part, les sanctions non pécuniaire et
d’autre part, les sanctions pécuniaires.

Les sanctions non pécuniaires sont nombreuses. Il peut s’agir de l’annulation des actes ou des
décisions irrégulières, issues des comportements conflictuels, de l’exclusion de l’associé, de
la nomination d’un administrateur ad hoc ou encore de la dissolution de la société. Certains
cas d’annulation sont expressément prévus par l’AUSC en ses articles 356, 450 et suiv.

Les derniers cas de nullités susmentionnés sont d’ordre public ce qui implique qu’il s’agit
d’une nullité absolue, c-est-à dire, une nullité qui ne peut être couverte par un acte confirmatif
de l’AG des associés81. Ces sont relatifs à la violation des règles de conclusion des
conventions interdites et des conventions réglementées. Sont ainsi visées par cette sanction au
titre des conventions interdites, la convention conclue entre un dirigeant de société et sa
banque dans laquelle, le premier renonce au recouvrement d’une créance de la société qu’il
dirige en contrepartie du réaménagement de sa dette envers la banque 82. Encoure également
l’annulation, la convention conclue entre un Conseil juridique et une société aux termes de
laquelle, l’avocat est chargé de soigner les intérêts des administrateurs de ladite société 83.

S’agissant des conventions réglementées, l’annulation de l’acte sera prononcée en cas de non-
respect de leur procédure de conclusion telle que prévue aux articles 350 et 438, 444 de
l’AUSC84. Comme susmentionné, leur sanction est subordonnée à la réunion de deux

81
K. GREVAIN-LEMERCIER, Le devoir de loyauté en droit des sociétés commerciales, op. cit. ,p. 401 et suiv.
82
CCJA, arrêt n°065/2013 du 31 octobre 2013, Société ZOUNDI Sibiri Boniface Transport International dite
ZST c/ La Banque Atlantique de Côte d’Ivoire dite BACI, Bibliothèque numérique OHADA, précité.
CCJA, arrêt n°065/2013 du 31 octobre 2013, Société ZOUNDI Sibiri Boniface Transport International dite ZST
c/ La Banque Atlantique de Côte d’Ivoire dite BACI, précité
83
CCJA arrêt n°650 du 24 juin 2005, Société ASH International Disposal c/ Maître Jules AVLESSY, Juris
OHADA n°2/2007, p. 38 ; CCJA, arrêt n° 146/2020 du 30 avril 2020 sur Commodities-Corporate-
Consulting_vs_Latham-autre; CCJA, arrêt n°004/2014 du 30 janvier 2014 ; CCJA, arrêt n°004/2014 du 30
janvier 2014, Bibliothèque numérique de l’OHADA; Cour d’Appel d’Abidjan, chambre civile et commerciale,
arrêt n°650 du 24 juin 2005, Société ASH INTERNATIONAL DISPOSAL-M.K. c/ Me Jules AVLESSY, Juris
OHADA, n°2, 2007, p. 38 ; Cour d’Appel de Commerce d’Abidjan, arrêt n° RG 15/2019 du 14 février 2019,
Bibliothèque numérique OHADA.
84
Cf. 444 de l’AUSC qui impose que la convention conclue entre la société (SA) et l’un de ses dirigeants doit
être soumise à l’autorisation préalable du CA puis à l’approbation de l’AGO. Le non-respect de cette procédure
de contrôle fait courir l’annulation à la convention si elle a des conséquences dommageables pour la société.

21
conditions à savoir, la violation de l’intérêt social et l’existence d’un préjudice 85. C’est dans ce
sens que s’est également prononcée la CCJA dans une espèce, dans laquelle, elle a confirmé
la décision d’annulation d’une convention par le tribunal de commerce d’Abidjan sur le
fondement de la violation des articles 438 et 444 de l’AUSC en ce sens que la cession de
créance litigieuse relève de la catégorie des conventions réglementées dont la conclusion doit
obéir à la procédure prescrite dans ce sens 86. Rentrent dans cette catégorie, les conventions
passées en fraude de la procédure de contrôle des conventions réglementées comme cela
ressort d’un arrêt de la Cour de cassation française87.

La sanction de l’annulation s’applique aussi aux décisions des organes de délibération lorsque
celles-ci sont prises en violation de l’intérêt social. Il s’agit des décisions entachées d’abus de
majorité, de minorité ou encore d’égalité prévus aux articles 130 et 131 de l’AUSC tel
qu’indiqué. Lorsque le juge est saisi d’un contentieux des décisions issu de ces réunions, il
vérifie que les associés, à travers ce vote, n’ont pas cherché à protéger un intérêt
exclusivement personnel88 de l’intérêt des autres associés ou /et de l’intérêt social. Si cette
méconnaissance est démontrée, la CCJA peut conclure à l’invalidation de la décision89.

Une autre sanction du contentieux du conflit d’intérêts porte sur la suspension de la décision
litigieuse, laquelle sera suivie de la désignation d’un administrateur ad hoc en lieu et place du
dirigeant ou des associés qui abusent de leur droit de vote lors des assemblées délibératives.
La délibération sera reprise sur le même ordre du jour sans prise en compte de la voix de la
personne concernée ni dans le calcul du quorum ni dans celui de la majorité 90.
85
Affaire ECOBANK CENTRAFRIQUE SA C/ Société SOCA-CONSTRUCTA SARL, arrêt n°060/2014 du 23
avril 2014, CCJA, Recueil de jurisprudence OHADA, n°21, 2014, p. 45.
86
CCJA, arrêt n°217/2021 du 23 décembre 2021, Bibliothèque numérique OHADA, Affaire Société
Commodities Corporate Consulting - Société la compagnie financière CADMOS C/ Latham E. J.L. et autres.
87
Dans cette affaire, un avenant accordant une indemnité de licenciement à un salarié d’une société avait été
conclu juste quelques jours avant que ce dernier ne soit nommé dirigeant. La Haute juridiction française a
considéré que cet avenant avait été signé dans le but d’éluder la procédure de contrôle des conventions
réglementées. Cette raison l’a donc déterminée à retenir son caractère frauduleux et à conclure qu’un tel avenant
encourait l’annulation s’il était démontré qu’il avait causé un dommageable à la société
88
M. DIOUF, « Le contentieux sociétaire en droit OHADA », Sire Ohada, 2021, p. 84 ; E. MOTTO, La
gouvernance des sociétés commerciales en droit de l’OHADA, Thèse 2015, op. cit., p. 137 et suiv. ; C’est à cet
effet que lors du contrôle des conventions réglementées, il est fait obligation à l’assemblée générale de justifier
leur autorisation par l’intérêt qu’elle représente pour la société, voir I.PARACHKÉVOVA, « Les dispositions
relatives aux conventions réglementées dans l’ordonnance du 31 juillet 2014 : en attendant la prochaine réforme
», Bull. Joly Sociétés 2014, § 112, p. 481.
89
V.Y. MAGNE FOSSO, L’intervention du juge dans le fonctionnement des sociétés commerciales, en droit de
l’OHADA, Thèse 2020, p. 145 et suiv ; M. DIOUF, « Le contentieux sociétaire en droit OHADA », op.cit. p.83 ;
dans une perspective comparative, cf. D. SCHMIDT, Les conflits d’intérêts dans la société anonyme, op. cit p.
397.
90
M. DIOUF, « Le contentieux sociétaire en droit OHADA », op. cit., p. 282 et suiv. ; I. SECK, La gestion des
conflits d’intérêts en droit des sociétés commerciales OHADA, Thèse 2017, p. 156 et suiv. ; D. SCHMIDT, Les
conflits d’intérêts dans la société anonyme, op.cit., p. 397 et suiv.

22
La sanction de l’abus de droit peut consister également à l’exclusion de l’associé ou de la
dissolution de la société même si ces hypothèses sont rares car les associés tentent toujours de
sauvegarder l’entreprise.

Toutefois, l’interdiction de l’abus du droit de vote ne signifie pas que les associés n’ont pas le
droit de défendre leur intérêt personnel qui est attaché à la qualité d’associé. S’il est vrai que
la CCJA n’a pas encore eu à se prononcer sur cet aspect de la question, une approche
comparative avec d’autres systèmes juridiques permet d’apporter un éclairage sur la nuance
qui doit être faite et un arrêt de la Cour d’Appel de Montpellier l’illustre fort bien 91 .

Outre l’annulation des actes ou des décisions abusives, le juge peut être amené à prononcer la
dissolution de la société. Mais il s’agit d’une sanction rare car généralement, les associés
mettent tout en œuvre pour sauvegarder la survie de la société. En l’état actuel du droit, le
juge OHADA n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur une telle sanction, ces
hypothèses sont envisagées dans le droit français92.

A côté des sanctions non pécuniaires, subsistent des sanctions pécuniaires susceptibles d’être
prononcées par le juge à l’encontre des auteurs du conflit d’intérêt à condition que ces conflits
d’intérêts aient produit des conséquences dommages à l’égard de la société. Le fondement de
ces sanctions est la responsabilité civile qui est une obligation de réparer le préjudice subi par
la victime de l’acte conflictuel litigieux. Cela peut consister à verser des dommages et intérêts

91
Il résulte de cette espèce qu’un associé minoritaire s’était opposé à un projet de réduction suivi d’une
augmentation de capital d’une société qui était déficitaire depuis sa création et que les apports en compte courant
n’ont pas réussi à maintenir sa trésorerie ; ses coassociés soutiennent que cette opposition relève d’un abus de
minorité et solliciter la nomination d’un administrateur ad hoc. La Cour a rejeté leur requête au motif que
l’attitude de l’associé opposant procède d’une conception d’une gestion saine de la société et non exclusivement
de la protection de ses propres intérêts au détriment des autres associés ; que l’associé opposant exprime un avis
en fonction de l’analyse qu’il fait de la situation de la société qui repose sur des faits indiscutables et fait ressortir
une notion d’intérêts social ne se confondant pas avec la survie à tout prix de la société ; la Cour a conclu que la
position de cet actionnaire minoritaire était légitime . Cf. CA Montpellier, 2eme chambre B, 18 juin 2002, Dr.
soc 2003, comm. N°42, obs. G. TREBULLE ; D. SCHMIDT, Les conflits d’intérêts dans la société anonyme, ed.
JOLY, version nouvelle 2004, p. 393 et suiv.
92
N. BOUCANT, Les conflits d’intérêts en droit des sociétés, Thèse, 2022, op.cit., p. 384 et suiv ; D.
SCHMIDT, Les conflits d’intérêts dans la société anonyme, version nouvelle 2004, op. cit., p. 403 et suiv. ; voir
également V.Y. MAGNE FOSSO, L’intervention du juge dans le fonctionnement des sociétés commerciales, en
droit de l’OHADA, Thèse 2020, op. cit., p. 146.

23
à la société et aux associés 93. Cette condamnation peut être in solidum ou solidaire94. C’est le
cas des membres du CA qui peuvent se voir condamner solidairement à payer des dommages
et intérêts à la société ou aux associés pour avoir autorisé la conclusion d’un acte conflictuel.
Les auteurs du conflit d’intérêts peuvent également être condamnés à payer des amendes sur
le fondement de leur responsabilité pénale en cas d’abus de biens et crédits sociaux 95.

B- Le conflit d’intérêts toléré

Pour être toléré, le conflit d’intérêts doit être inoffensif (1) ou être avantageux pour la société
ou les associés (2)

1- Le conflit d’intérêt inoffensif

Le conflit d’intérêt inoffensif est celui dont l’existence ne porte pas atteinte à l’intérêt social et
qui ne produit pas non plus de conséquences dommageables pour la société. Plusieurs cas de
figures se présentent et la CCJA s’est déjà prononcée sur certains.

La première vise l’abus du droit de vote de certains associés. En effet, la Haute juridiction
n’hésite pas à rejeter les recours en annulation des délibérations des assemblées des associés
lorsqu’elle estime qu’aucun intérêt n’a été violé, qu’il s’agisse des délibérations portant sur la
constitution des réserves facultatives96 que celles de modification du taux de dividende

93
cf. article 891 de l’AUSC ; N.C NDOKO et S. YAWAGA, « infractions relatives à la gestion des sociétés » in
Encyclopédie du droit OHADA, PG. POUGOUE (dir.), Lamy, 2011, p. 2016 ; N. MOHAMADOU, « Le délit
d’abus de biens ou de crédit de la société commerciales en droit positif nigérien, Rev. nigérienne de droit numéro
2 , 1999, p. 49 ; I. SECK, La gestion des conflits d’intérêts en droit des sociétés commerciales OHADA, Thèse
2017, p. 177 ; Cass. Com., 24 févr. 1998, Bull. civ., IV, n°86 ; D. 1999, somm., p.100, note PICOD ; RTD com,
1998, p. 612, obs, CI CHAMPAUD et DANET, Rev soc. 1998, p. 546, note L. COQUELET, Bull. civ., p. 813,
paragraphe 266, note B. PETIT ; affaire KOPCIO, Bull. civ., IV, n°188 ; JCP, E 2011, 1893, note A. COURET
et B. DONDERO ; N. BOUCANT, Les conflits d’intérêts en droit des sociétés, Thèse 2022, op.cit., p. 395.
94
Cf. article 355 et suiv ; 443 et suiv.; V. A AKAMAKAM, « La Responsabilité civile des dirigeants sociaux en
droit OHADA », communication lors de la formation des juristes camerounais en OHADA, 11-12 avril 2011,
Revue de l’ERSUMA; BI YOLIBI, « La responsabilité des dirigeants sociaux en droit OHADA », Bibliothèque
numérique de l’OHADA ; I. SECK, La gestion des conflits d’intérêts en droit des sociétés commerciales
OHADA, Thèse 2017, p. 191 et suiv. ; P. BADJI, « la protection des tiers par l’Acte Uniforme relatif au droit des
sociétés commerciales et du groupement d’intérêts économique », in Les nouvelles annales africaines, Revue de
la Faculté des sciences juridique et politique, p. 355 et suiv., p. 378.
95
VC. MOUKALA-MOUKOKO, « Le fondement juridique de la responsabilité pénale du dirigeant social :
incidences entre droit pénal interne et droit pénal des affaires OHADA », OHADATA D-15-16, p. 12 ; I. SECK,
La gestion des conflits d’intérêts en droit des sociétés commerciales OHADA, Thèse 2017, op. cit., p. 199 et
suiv. ; A. MEDINA, Abus de biens sociaux : Prévention- Détection- Poursuite, éd. D. Paris, 2001, p. 31 ; P.
BADJI, « L’abus des biens sociaux », Rev. Soc 1996, p. 187 ; M. DIOUF, le contentieux sociétaire en droit
OHADA, op. cit., p. 155 et suiv ; J. MOET-BALLY, « Les conflits d’intérêts : Définir, gérer, sanctionner »,
précité, p. 191-200 ; CH. TUAILLON, « L’abus en droit des sociétés, vagues concept ou vaste concept
protecteur ? » , Les petites affiches, 2004, n°50, p. 4 ; C. CHAMPAUD, « Quand la justice cherche sa voie :
l’abus de biens sociaux », Dr. Et patrimoine 4/1997, p. 56 ; CA Riom, 21 janvier 2004 ; A. DEKEUWER, « Les
intérêts protégés en cas d’abus de biens sociaux », J.C.P., éd. E., 1995, n°43, p. 500.
96
Les réserves facultatives sont les sommes retenues sur les bénéfices ou excédents de recettes après les réserves
obligatoires et ayant une affection particulière ( Cf. G. Cornu, Vocabulaire juridique, op. cit., p. 904, V° réserve

24
réservée aux actions de préférence ou encore de la révocation d’un administrateur 97. C’est
dans cette perspective qu’elle a jugé dans une espèce précitée que la constitution des réserves
facultatives, fut-elle systématique, ne constitue pas en soi un abus et par conséquent, une
atteinte à l’intérêt social98.

D’autres manifestations du caractère inoffensif du conflit d’intérêt peuvent être repérées à


partir de l’analyse combinée des articles 355, 443 et suiv de l’AUSC. Ces dispositions sont
relatives aux conventions porteuses de germes de conflit d’intérêts dont l’annulation est
écartée lorsqu’elles n’ont pas de conséquences dommageables pour la société. Ce qui
implique que ces conventions continuent de produire leurs effets à l’égard de la société et des
tiers99. La nullité de telles conventions ne pourra être prononcée par le juge que si leurs
conséquences dommageables pour la société ont été démontrées. C’est ce qui ressort d’une
décision dans laquelle le juge OHADA indique que viole par insuffisance de motifs, les textes
visés et s’expose à la cassation, l’arrêt confirmatif de la Cour d’appel qui annule la cession de
créance faite par une société anonyme et son directeur général pour défaut d’autorisation
préalable du conseil d’administration, sans mettre à l’évidence les conséquences
dommageables que cette cession entraine pour le cédant 100. Cette exigence ne s’arrête pas à la
démonstration des conséquences dommageables du conflit d’intérêts pour la société ; le juge
exige que sa preuve soit rapportée. C’est dans ce sens que s’est prononcée la CCJA dans son
arrêt du 20 avril 2020 dans lequel la Haute juridiction affirme que doit être cassée, la décision
de la Cour d’appel qui annule pour défaut d’autorisation préalable du Conseil
d’administration, une cession de créance intervenue entre deux sociétés dont le Directeur
général de la société cédante est par ailleurs l’associé unique cessionnaire, faute d’avoir mis
en évidence les conséquences dommageables pour la société cédante de ladite convention et
d’avoir produit les preuves101.

facultative ou libre) . L’article 143 al 2 de l’AUDSCGIE dispose que « l’assemblée peut décider la distribution
de tout ou partie des réserves à la condition qu’il ne s’agisse pas de réserves considérées comme indisponibles
par la loi ou par les statuts ». Le législateur de l’OHADA a voulu, à travers ce dernier alinéa, soumettre la
détermination des sommes distribuables au respect du principe de l’intangibilité du capital social. L’assemblée
doit donc, avant toute décision de distribution de dividendes, vérifier que le montant de l’actif net ne deviendra
pas inférieur aux capitaux propres augmentés des réserves obligatoires du fait de la distribution. En outre, elle
doit indiquer les postes de réserve sur lesquels les prélèvements sont effectués sous peine de poursuite du
dirigeant pour distribution de dividendes fictives. Dans une approche comparative, cf. Cass. Civ., 20 mars 2014,
Bull. Joly, 2014, p. 370, note PORACCHIA). En dépit de tout, la loi donne la liberté aux associés ( COZIAN
(M.), VIANDIER (V.) et DEBOISSY (Fl.), Droit des sociétés, Lexisnexis, 32e éd., coll. Manuel, 2019, p.260,
n°597).
97
CCJA, arrêt n°107/2020 du 09 avril 2020, in Actualité Juridiques, n°110/2022, p.33 et suiv.
98
CCJA, arrêt n°064/2015 du 29 avril 2015, précité, p.43.
99
Toutefois, il ressort de l’analyse de l’article 443 que ces conventions peuvent être annulées en cas de fraude.
100
CCJA, 2eme ch. , arrêt n °146/2020 du 30 avril 2020.
101
CCJA, arrêt n°146/2020 du 20 avril 2020 précité.

25
Echappent également à la sanction de l’annulation, les conventions conflictuelles conclues
dans des conditions équilibrées pour la société. Il en a été ainsi décidé dans une espèce où il
avait été reproché à la gérante d’une société de fourniture, devenue Directeur Général de la
société bénéficiaire, de n’avoir pas soumis le contrat existant à la procédure des conventions
réglementées102.
Ne sont pas non plus annulées, les conventions qui, porteuses de conflit d’intérêts auront fait
l’objet de régularisation par les organes compétents de la société. Cette hypothèse fait
référence aux conventions réglementées qui n’ont pas observé la procédure légale prescrite
pour la conclusion desdites conventions qu’il s’agisse des conventions conclues au sein de la
SA que celles conclues au sein des SARL 103. En dépit des vices qui affectent ces conventions,
l’AGO peut faire le choix de les approuver en procédant à leur régularisation par un vote sur
présentation d’un rapport spécial du commissaire aux comptes expliquant les raisons qui ont
empêché le respect de la procédure légale de conclusion de ces conventions.

Rentrent également dans la catégorie des conflits d’intérêts inoffensifs, ceux qui n’ont aucun
impact ou un impact modéré ou encore limité sur l’intérêt de la société. C’est le cas par
exemple, des conventions par lesquelles les associés créent des catégories d’actions donnant
droit à un bénéfice distribuable variable104. Il en va de même des conflits d’intérêts dont les
conséquences préjudiciables à la société peuvent être résolues et acceptées par la société 105.

Outre le conflit d’intérêts inoffensif, le conflit d’intérêts qui a profité à la société ne sera pas
annulé et sera par conséquent, toléré par le juge106.

2- Le conflit d’intérêt avantageux pour la société et les associés

Ce qui est décrié dans le conflit d’intérêts, c’est bien le risque réel ou potentiel du manque
d’objectivité de la personne intéressée dans le traitement de la situation conflictuelle en raison
102
La Cour a rejeté cette requête aux motifs qu’un tel contrat de fourniture existant de plus de cinq n’avait pas à
subir le contrôle de la société d’autant plus que ledit contrat n’a aucunement été modifié avec l’accession de sa
gérante à la direction générale de la société bénéficiaire ; le contrat se poursuit dans les conditions normales et
identiques à celles de toutes les autres sociétés fournisseuses cf. CCJA, arrêt N°098/2021 du 27 mai, précité.
103
cf. P. LE CANNU, « Couverture irrégulière de la modification d’une convention décidée sans autorisation
régulière du Conseil d’administration », note sous Cass com, 21 nov 2000, n°97-21748 SA Patrofer c/SA SFPO,
Bull Joly Sociétés, 2001, n°2, p. 172 (1-6).
104
Cass civ 3eme ch., 18 avril 2019, n°18-11.811, inédit. Affaire relative à la SCI qui peut être parfaitement
transposable dans le droit des sociétés commerciales. ; N. BOUCANT, Les conflits d’intérêts en droit des
sociétés, Thèse 2022, op.cit., p. 10s3.
105
N. BOUCANT, Les conflits d’intérêts en droit des sociétés, Thèse, 2022, op.cit., p.296 et suiv.
106
CCJA, arrêt n°098/2021 du 27 mai 2021, Bibliothèque numérique OHADA.

26
de son impartialité ou de son défaut d’indépendance. Ces manquements s’apprécient en droit
des sociétés commerciales à l’aune de l’obligation de loyauté de la personne intéressée vis-à-
vis de la société107. Celle -ci se traduit comme sus-indiquée par un manque de transparence et
de loyauté à l’égard de la société et aux associés dans le sens de privilégier son intérêt
personnel au détriment de ceux de la société108. Ce qui revient à dire que si le conflit d’intérêt
est traité de façon objective et équilibré, mieux, si son traitement est avantageux pour la
société, il ne sera pas annulé par le juge. C’est l’hypothèse notamment, lorsqu’en cas de
conflit entre les intérêts en présence, la personne intéressée fait le choix de renoncer à son
intérêt personnel ou à celui de la personne représentée ou encore de laquelle elle est liée au
profit de l’intérêt social. L’intérêt personnel auquel la personne renonce peut-être matériel ou
moral. Il en est ainsi de l’attitude de l’associé qui consent à des réductions et augmentations
successives du capital afin d’assurer la survie de la société éprouvant de graves difficultés
financières109. L’opération menée dans cette espèce était exclusivement tournée vers la survie
de la société dont la dissolution avait été rejetée en assemblée générale 110. Au fond, par cette
décision, l’associé résout un conflit d’intérêts personnel au risque de perdre sa qualité
d’associé du fait de la dissolution de la société.

Est également considéré comme avantageux pour la société, le conflit d’intérêts crée pour
soutenir exclusivement l’intérêt de la société. Tel est la solution retenue par la Cour de
cassation française à l’égard du dirigeant ou de l’associé d’une SARL qui s’engage
personnellement dans une convention en qualité de codébiteur 111. En l’espèce, l’associé
concluait un contrat de prestation de service par la signature unique au nom de la société et en
son nom personnel. La cour de cassation précisait qu’une double signature n’est pas une
condition de validité de cet acte. Le contrat a été maintenu et l’associé déclaré codébiteur
solidaire des obligations de la société.

Rentrent aussi dans la catégorie des conflits d’intérêts tolérés, le conflit d’intérêt dans lequel
son auteur aurait effectué un arbitrage positif en faveur de l’intérêt social. C’est le cas d’un
associé dirigeant qui rachète des actifs de la société à leur valeur comptable en raison de grave

107
J.J MORET-BAILLY, « Définir les conflits d’intérêts », précité.
108
J.J MORET-BAILLY, « Définir les conflits d’intérêts », précité.
109
CA Versailles, 13eme Ch., 29 nov. 1990, Abdelnour et autres, Louis Bourgeois et autres c/SA Usinor et
autres, note Y. REINHARD, RTD com., 1991, p. 225 ; Com, 17 mai 1994, n°91-21.364, précité, npte
REINHARD, B. PETIT, RTD com., 1996, p. 73
110
Cf. également N. BOUCANT, Les conflits d’intérêts en droit des sociétés, Thèse, 2022, op.cit., p. 103 et suiv.
111
Cass com. , 9 mai 2018, n°16-28.157, Bull ? civ2018, IV, n°53, obs. H. BARBIER, RTD civ, 2019, p.94 ; N.
BOUCANT, Les conflits d’intérêts en droit des sociétés, Thèse, 2022, op.cit., p.103 et suiv.

27
difficultés rencontrées par celle-ci et en l’absence d’acquéreurs dans les délais requis 112. Dans
cette espèce, l’assemblée générale ordinaire de la société à responsabilité limitée a,
notamment, approuvé des conventions réglementées, intervenues au cours de l'exercice entre
la société et diverses personnes physiques ou morales, dont son gérant. Les associés
minoritaires ont poursuivi judiciairement la société, son gérant, et les associés majoritaires
aux fins de voir prononcer la nullité de ces délibérations pour abus de majorité leur ayant
causé un préjudice pour lequel ils sollicitaient la condamnation solidaire de ces personnes à
leur payer à chacun et respectivement une certaine somme d’argent. Mais la Cour de cassation
souligne que l’analyse du rapport produit par les dits associés minoritaires montre clairement
que la santé financière de la société était très critique depuis déjà plusieurs années et
qu'aucune des opérations mises en œuvre par le gérant pour renflouer les caisses n'a été de
nature à porter préjudice à la société, non plus à aucun des associés, fût-il minoritaire. La
Haute juridiction a conclu que l'arrêt de confirmation de la CA se trouve justifié.

Dans le prolongement de l’arbitrage positif en faveur de l’intérêt social, on peut citer


l’ensemble des décisions qui octroient ou confortent une influence juridique étendue 113 à un
associé ou un dirigeant sans que cela affecte nécessairement l’intérêt social . Ainsi, les cumuls
des compétences de décision, d’exécution et de contrôle ne présument pas ipso facto de leur
emploi négatif à l’égard de l’intérêt social 114 ; ce contrôle ou cette influence étendue pouvant
se faire par le jeu des majorités sans que l’intérêt social en soit affecté 115. En outre, l’arbitrage
positif inclut la résolution du conflit d’intérêts qui emporte la dissolution de la société 116.

En définitive, l’analyse du traitement judiciaire du phénomène dans l’espace OHADA


renseigne sur la méthode du règlement curatif dudit phénomène. En l’absence de définition
légale du conflit d’intérêts, la démarche du juge comporte deux étapes. Il tente dans un
premier temps, de détecter l’existence du phénomène en procédant à sa caractérisation à partir
112
Cass. Com., 28 avril 2004, n°00-12.827, inédit.
3eme civ., 18 avril 2019, n°18-11.811, inédit ; N. BOUCANT, Les conflits d’intérêts en droit des sociétés,
Thèse, 2022, op.cit., p. 105.
113
N. BOUCANT, Les conflits d’intérêts en droit des sociétés, Thèse, 2022, op.cit., p. 105
114
Cass. Civ, 3eme ch., 18 juin 1997, n°95-17.122, Bull. civ. 1997, III, n°147, p. 99 ; N. BOUCANT, Les
conflits d’intérêts en droit des sociétés, Thèse, 2022, op.cit., p. 105.
115
En effet, dans cette affaire, trois associés détenaient un tiers du capital social. A l’issu d’une cession de parts
sociale, un associé détenait les deux tiers du capital social. L’associé devenu minoritaire, assignait en nullité la
décision d’agrément de cette cession en invoquant un abus de majorité. La Cour d’appel faisait droit à cette
demande au motif que la décision avait pour but de favoriser l’associé cessionnaire « en lui permettant de détenir
les deux tiers du capital social et de pouvoir prendre sans opposition, les décisions sociales ordinaires et
extraordinaires, dans son intérêt propre et au détriment de la société » et au détriment de l’associé devenu
minoritaire. L’arrêt de la CA fut cassé, défaut d’avoir recherché en quoi la cession litigieuse était contraire à
l’intérêt social, lire N. BOUCANT, Les conflits d’intérêts en droit des sociétés, Thèse, 2022, op.cit., p. 85 et
suiv.
116
N. BOUCANT, Les conflits d’intérêts en droit des sociétés, Thèse, 2022, op.cit., p. 384 et suiv.

28
d’un certain nombre de critères ou d’indices. Cette recherche l’amène à effectuer deux types
de contrôle, à savoir un contrôle de légalité et un contrôle d’opportunité portant notamment
sur la protection de l’intérêt social. Lorsque l’existence du conflit d’intérêt est établie, le juge
OHADA procède dans un second temps, à son dénouement qui, contrairement à ce que l’on
peut penser n’aboutit pas forcément à la sanction de l’acte ou de la décision litigieuse dès lors
que le conflit d’intérêts qui en résulte peut-être toléré par le juge sous certaines conditions.

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