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Charles KRETZSCHMANN (1777-1842), de Markneukirchen à Strasbourg.

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René PIERRE

Karl Gottlob KRETZSCHMANN est né en Allemagne, à Markneukirchen (Saxe) le 19 avril 1777. Il était le fils du
facteur Johann Gottfried KRETZSCHMANN de Markneukirchen et d’Eva Rosina GOETZ et appartenait à la célèbre
famille du « Vogtland » qui a donné de nombreux facteurs d’instruments de musique.

Il est arrivé vers 1809 à Strasbourg, sans doute accompagné d’un neveu, Charles Gottlob KRETZSCHMANN (*),
facteur d’instruments, né à Neukirchen, décédé à 25 ans le14 juin 1813 à Strasbourg. Le père de ce neveu, Adam
KRETZSCHMANN, était aussi facteur en Saxe.

Karl (Charles) Gottlob, qui avait francisé son prénom, épousa vers 1810 Suzanne ANNECKER (1790-1855), fille d’un
boucher installé à Wasselonne en Alsace. Ils eurent quatre enfants dont les deux premiers décédèrent en bas âge :
Charles Gottlob (1812-1814) et Caroline (1813-1817).

Charles Kretzschmann père.

Le second fils, Charles Auguste KRETZSCHMANN, né à Strasbourg le 16 octobre 1818 prendra la succession de la
Maison en 1842 à la mort de son père. Quant à Frédérique Wilhelmine (Guillemette) KRETZSCHMANN, née le 23
décembre 1821 à Strasbourg, célibataire, décédera le 12 septembre 1860 à Scharrachbergheim dans le Bas Rhin.

Dès son arrivée à Strasbourg en 1809, Charles Kretzschmann père se déclara fabricant d’instruments à vent et
s’établira au N° 5 de la rue Saint Hélène, adresse des Kretzschmann père et fils pendant toute leur activité.

La fabrication de l’atelier comportait tous les instruments à vent en cuivre : cornets, trompettes, cors, trombones,
ophicléides et utilisait exclusivement le système allemand de barillets rotatifs.

Cor naturel (Collection Richard CHARBIT)

Même si la production de Charles Kretzschmann fût très influencée par la facture allemande, elle restera par sa
diversité et sa créativité d’esprit français : les trompettes à clés, circulaires, demi-lune, les buccins, ophicléides
montrent que ce facteur de province était au niveau des meilleurs facteurs parisiens. A l’exception peut-être d’un ou
deux facteurs lyonnais, aucun facteur de cuivres de province, ne produisait une telle variété d’instruments en ce début
du XIXe siècle.
Petit cor de poste (Vente de Vichy juin 2006) Trompette circulaire vers 1830 (Musée d’Edimbourg).

Bugle à 7 clés (Vente de Vichy juin 1996) Buccin à tête zoomorphe (vente de Vichy décembre
2010 acheté par un musée de Strasbourg).

Trompette naturelle demi-lune (collection Bruno KAMPMANN N°385)

Jean FINCK (1807-1858), autre facteur de cuivre installé à Strasbourg, a sans doute été formé dans l’atelier
Kretzschmann, puisque il ne quitta pas Strasbourg et se déclarera tourneur de 1807 à 1817, puis seulement à partir
de cette date, fabricant d’instruments à vent. Seul Kretzschmann avait la compétence à Strasbourg pour former un
élève. (*)
La collaboration entre les différents facteurs strasbourgeois ne s’arrêtera pas là, comme le montrent ces deux cors
naturels marqués « Bühner et Keller » et « Dobner », visiblement fabriqués par Kretzschmann.
Cor naturel marqué Bühner et Keller fabriqué par Kretzschmann (Collection René PIERRE)

Cor naturel marqué Dobner à Strasbourg sans doute fabriqué par Kretzschmann (Collection Richard PICK)

A la mort de Charles Gottlob KRETZSCHMANN, le 18 février 1842 à Strasbourg, son fils unique Charles Auguste
KRETZSCHMANN, âgé de 23 ans prit logiquement la suite de son père. Il devait avoir été formé très tôt dans l’affaire,
puisque que dès 1844 il participa à l’Exposition de Paris, où il présenta des bugles à Cylindres, un bugle basse et un
bombardon.

Signature de Charles Auguste Kretzschmann (1818-1888) Cornet à pistons en ut/mi b (N° 625 de la collection Bruno KAMPMANN)

Il obtiendra le 1 mai 1850 un brevet de 15 ans N° 9850 « Améliorations et changements apportés au mécanisme des
cylindres rodiques qui sont applicables à tous les instruments de musique tels que cornets, clairons etc…. » En fait
C.A Kretzschmann était un partisan « du système à cylindres rodiques » auquel il trouvait de multiples avantages,
dont celui de laisser passer l’air d’une façon plus naturelle et sans obstruction ; en revanche il voulait améliorer son
inconvénient majeur, la fragilité et avait conçu un « couvercle manivelle» qui fonctionnait sans friction.
Selon Bruno KAMPMANN « ….l’idée est très proche de la walzenmaschine brevetée par CERVENY postérieurement
en 1873. La particularité unique est que les ressorts de rappel sont inclus dans les barillets, et non situés dans un
rotor extérieur ». Si vous voulez en savoir plus (et si vous parlez allemand) ce système est détaillé à la page 35 de
l’ouvrage de Günter DULLAT « Metallblasinstrumentenbau »

Trompette en sol à trois barillets et ton de sol, appliquant ce brevet, en particulier le couvercle manivelle
(N° 528 de la collection Bruno KAMPMANN)

Il récidivera en 1856 et obtiendra le 23 juin un brevet de 15 ans (N° 28038) pour la fabrication d’un « système de
pistons à mouvement horizontal avec pression verticale, applicable à tous les instruments de musique en cuivre ».

« Clairon chromatique baryton en si utilisant ce nouveau brevet » (E.W.Buser) et schéma expliquant ce nouveau système à pression verticale et
mouvement horizontal. Günter DULLAT « Metallblasinstrumentenbau »
A cette date, il faisait partie de la coalition des facteurs d’instruments qui luttera contre l’hégémonie du grand Adolphe
SAX.

Nous n’allons pas « répéter » ces procès fastidieux entre la coalition et le « pauvre Adolphe Sax martyr de tous ces
cupides facteurs d’instruments », discours convenus et entretenus par des écrivains bien connus, comme
Oscar Comettant et le Comte Ad de Pontécoulant, discours repris en cœur dans tous les documents publiés sur Sax,
même actuellement ; ouvrages dans lesquels KRETSCHMANN est cité très rarement, sinon pour souligner « sa
cupidité » et son « incompétence ». (1)(2)(3)(4)

Pourtant il existe un nombre impressionnant d’ouvrages reprenant l’ensemble des procès opposant Kretzschmann à
Sax, disponibles à la Bibliothèque Nationale de France, montrant que le combat fût long, âpre et que l’issue ne fût pas
si favorable pour Sax, puisque en appel, Kretzschmann fut condamné non pas pour contrefaçon, mais pour…recel de
4 instruments produits par Kretzschmann comme preuve d’antériorité au brevet Sax de 1845 et pour les avoir introduit
en France. (5)(6)

Reprenons les éléments essentiels de ces procès. Ch. A. KRETZSCHMANN fut d’abord cité comme témoin dans le
procès qui opposa GAUTROT à SAX, mais son témoignage ne fût pas retenu. Aussi, lorsqu’il fût cité comme témoin
dans le procès qui opposa BESSON à SAX, il produisit trois instruments, fabriqués par son père (3 ophicléides alto à
3 pistons parallèles vendus en 1839 et 1841 dont les propriétaires étaient suisse, et vosgien) et un quatrième, vendu
par Kretzschmann fils en 1843 (ophicléide alto à trois pistons), fabriqués avant le brevet Sax du 13 octobre 1845, qui
revendiquait l’invention :
« Des instruments ayant le pavillon en l’air et les pistons parallèles au tube de l’instrument ». (5)
Sax fait saisir ces quatre instruments, ainsi que les documents prouvant la vente à la date indiquée, pour
contrefaçons. Comme il était difficile de contredire les dates, en particulier celles qui concernaient les instruments de
Kretzschmann père décédé en 1842, le tribunal décida que les instruments auraient été modifiés après 1845 mais par
qui ? Le tribunal n’osa accuser ni Besson, ni Kretzschmann, puisque les instruments étaient arrivés au tribunal dans
des conditions particulières. Nous voudrions décrire avec quels soins les propriétaires avaient fait parvenir au tribunal
les instruments, propriétaires qui c’étaient même déplacés durant les procès pour témoigner en faveur de
Kretzschmann.

Prenons le cas de « l’ophicléide alto à trois pistons parallèles, fabriqué par feu Mr KRETZSCHMANN père et vendu
par lui le 19 octobre 1841 à Mr Louis Hoffmann-Vulliemoz à Lausanne, canton de Vaud (Suisse). Cet instrument a été
produit en justice par son propriétaire actuel, Mr François Blanc, huissier à Lausanne, à l’appui de sa déposition du 30
juillet 1858. Pour établir l’origine et la date exacte de cet instrument, Mr KRETZSCHMANN fils avait produit :

 Les livres de commerce de feu son père.


 Les lettres relatives à cet instrument de Mr Louis Hoffmann-Vulliemoz.
 Une déclaration notariée du 26 mai 1858 de MM Louis Hoffmann-Vulliemoz, François Blanc propriétaire de
l’instrument, David Thuillard, Philippe Pflüger, Frédéric Allamand, Jacques Lauffen, Jacques Hoffman, Henri
Blanc.
Les signataires de cet acte ont déclaré « qu’étant tous membres du corps de musique militaire de Lausanne,
dirigé par le lieutenant Hoffman, ils ont vu cet instrument dans leur musique dès l’année 1841. Cet instrument
alors nouveau pour eux, fut de leur part l’objet d’un examen particulier et leur a laissé un souvenir
parfaitement distinct, notamment par la position des pistons placés tous trois ensemble dans la même
direction parallèle au tube du pavillon ». Le dit instrument reconnu cacheté par un notaire ». (5)

Le même traitement étant fait pour les trois autres instruments, il faut croire que Mrs Kretzschmann et Besson
bénéficiaient d’un solide réseau de « complices », puisque le 19 juin 1862 ils étaient accusés « non pas d’avoir
contrefait les quatre instruments, mais de les avoir introduits en France et recélés, sachant qu’ils étaient contrefait ».
(5)

On comprend mieux, pourquoi Constant PIERRE fut aussi sévère avec A. SAX dans son ouvrage « Les facteurs
d’instruments de musique ».
« A. SAX déposa de nouveau son bilan en 1873, après une période particulièrement brillante, pendant laquelle il avait
certainement vendu beaucoup d’instruments, reçu plus de 500 000 frs d’indemnité du procès Gautrot, encaissé
nombre de primes des facteurs qui avaient sa licence pour faire des instruments imposés sous son nom dans l’armée.
Comment donc s’il n’y eut des dépenses excessives, des remises exagérées, des frais de publicité énormes, des
panégyristes largement rémunérés, s’expliquer un tel désastre. Avec le nouveau régime, Ad. SAX ne retrouva pas
l’appui que lui avaient prêté les fonctionnaires de l’Empire, la lutte redevint égale et toute pression officielle cessant,
les facteurs purent écouler les instruments de leurs systèmes, sans être contraints comme auparavant, de se borner à
la confection des types réglementaires imposés et dénommés à l’instigation d’Ad. SAX ». (7)

Quand à Ch. A. KRETZSCHMANN, il se retira des affaires vers 1860 : « Mr KRETZSCHMANN s’est retiré des
affaires ; mis en possession par son père d’une fortune relativement considérable, augmentée encore par sa propre
industrie et suffisante aux besoins de son existence ». (5)
On remarque également que son brevet de 1856 : « nouveau système à pression verticale et mouvement
horizontale » avait pour but de répondre au brevet SAX de 1845, même s’il ne rencontra pas un franc succès.

Il se retira à Scharrachbergheim, petite commune du Bas Rhin de 1000 habitants, située à 21 kms de Strasbourg.
C’est là qu’il décèdera le 12 octobre 1888 à l’âge de 70 ans, sans descendance. (*)

C’est Achille (François Pascal) GALLICE qui prendra la succession de la Maison KRETZSCHMANN dans les
années 1860. Achille GALLICE était né à Briançon le 5 décembre 1832, il était le fils de Pascal GALLICE ébéniste à
Lyon.
Avant son installation rue des Frères, il devait travailler pour Jean Chrétien ROTH (Successeur de Dobner et de la
Maison Bühner et Keller), puisque lors de son mariage le 19 juillet 1856 à Strasbourg avec Pauline SCHATZ, fille d’un
brossier de Strasbourg, « J.C. ROTH, 40 ans facteur d’instruments et Jacques ROTH, 33 ans amis de la famille » en
furent les témoins.

Signature d’Achille GALLICE Marque GALLICE successeur de Kretzschmann.

Achille GALLICE exerça son métier de « facteur d’instruments en bois et en cuivre » de 1867 à 1886 à la même
adresse, 14 rue des frères qui deviendra en 1880 la « Brüderhofgasse ».

Nous avons relevé sur un grand cor à la reine, de la collection de Richard CHARBIT la marque « A.GALLICE rue des
frères 14, Strasbourg, ancienne maison Kretzschmann » (photo centrale ci-dessus).

Saxhorn alto à 4 barillets rotatifs. (eBay 2008)


Remarques :

 Remerciements particuliers à tous nos amis, collectionneurs, marchands pour leurs aides, leurs soutiens,
leurs encouragements et en particulier : Denis Watel, José Touroude, Bruno Kampmann, Richard Pick,
Richard Charbit.

 Si vous voulez commenter cet article, n‘hésitez pas à me contacter : rene.pierre@noos.fr

 Dans le cadre de la réalisation d’un « Dictionnaire évolutif des facteurs, luthiers, marchands d’instruments de
l’est de la France » (Alsace, Bourgogne, Champagne, Franche-Comté, Lorraine, Vosges) nous recherchons
des photos d’instruments, de marques de ces régions, où de CPA, factures, catalogues que nous pourrions
utiliser pour illustrer ce dictionnaire.

 Vous pouvez trouver sur notre blog : http://facteursetmarchandsdemusique.blogspot.com des articles écrits
pour ce dictionnaire.

 (*) Ce signe signifie que nous ne sommes pas certains de l’information et que nous devons affiner nos
recherches.

Bibliographie :

(1) : Comte Ad de Pontécoulant : Organographie. Essai sur la facture instrumentale. Art, Industrie et commerce. Paris
1861.
(2) : Oscar Comettant : Histoire d’un inventeur au XIX° siècle. Adolphe Sax, ses ouvrages et ses luttes. Paris 1860.

(3) : Malou Haine : Adolphe Sax (1814-1894) Bruxelles.

(4) : Jean Pierre Rorive : Adolphe Sax (1814-1894), Inventeur de génie. Edition Racine.

(5) : Cour de Cassation. Mémoire ampliatif pour Mr Ch. A. Kretzschmann contre M. A. Sax. 1863 chez
Silbermann.

(6) : Cour de Cassation, chambre criminelle : Besson, Kretzschmann contre Sax : BNF 4 FM 16527.

(7) : Constant Pierre. Les facteurs d’instruments de musique. Paris 1893.

 Larigot : Catalogues de la collection de Bruno Kampmann.

 Site de Richard Charbit : http://www.orpheemusic.com.

 Anthony Baines: Brass Instruments. Their History and Development.

 Waterhouse William: “The New Langwill Index. A dictionary of Musical Wind Instrument Makers and
Inventors”.

 Archives départementales du Bas Rhin à Strasbourg. Etat civil, recensements, annuaires, almanachs.

 Günter DULLAT « Metallblasinstrumentenbau ».

 Enrico WELLER « Der Blasintrumentenbau in Vogtland von den Anfängen bis zum Beginn des 20
Jahrhunderts ».

 Site de Richard Pick : http://www.pick-et-boch.com/

 Brevets : Archives de l’INPI : 26 bis rue de Saint Petersbourg, Paris 75008.

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