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EXPOSE ARCHEOLOGIE OCEANIENNE : le tatouage maori (Mau Moko) :

INTRODUCTION :

Le tatouage Maori est un art ancien rattaché aux pratiques des tribus maories. C’est un
tatouage qui est placé la plupart du temps sur le visage et sur le corps (en entier ou
partiellement). Il est véritablement un symbole de spiritualité et un marqueur de statut et
d’appartenance sociale au sein d’un groupe d’individus (famille, lignée et/ou clan).

PBE : en quoi le tatouage maori est-il une véritable institution dans la société néo-
zélandaise ? Qu’en est-il de sa place dans la société actuelle ?

I : Caractéristiques du tatouage maori :

A : conception mythique du Ta Moko :

La légende raconte qu’un jeune homme mortel nommé Mataora (visage de la vitalité), serait
tombé amoureux d’une jeune déesse, Niwareka. Un jour, Mataora aurait battu Niwareka, qui
s’en serait alors retourné dans le royaume souterrain de son père. Rongé par le remords et la
culpabilité, le cœur brisé, Mataora serait alors parti à la poursuite de sa bien-aimée.
Son visage sale et abîmé ayant alors subit les affres de son voyage, la famille de Niwareka
se serait moqué de son apparence. Faisant devant ces moqueries acte d’humilité Mataora
aurait demandé le pardon de Niwareka, qui l’aurait accepté. Le père de Niwareka aurait alors
appris à Mataora l’art du tatouage, le Ta Moko, avec lequel les amoureux seraient retournés
dans le monde des humains pour leur transmettre cet art.

On a donc un fondement spirituel du tatouage qui va marquer le fonctionnement des sociétés


maories dans leur ensemble et dans tous les domaines (société, religion, famille, relations aux
ancêtres…)

B : technique de fabrication et rituels autour du tatouage :

Le tatouage Moko Maori est traditionnellement réalisé à la main à l’aide de ciseaux en os.
Les artistes tatoueurs pratiquaient d’abord de larges incisions dans la peau avant de tremper
les ciseaux dans des pigments et de les taper dans la plaie. Les pigments pour le tatouage
étaient tirés de la gomme de Kauri brûlée, issue d’un arbre vénérable néo-zélandais, ou de
Cordyceps (un champignon) sauvage brûlé. Cette pratique traditionnelle était très longue et
douloureuse, et s’accompagnait de musique, de chants et de poèmes pour calmer la douleur du
tatouage et détourner l’attention de la personne qui se faisait tatouer. Le tatouage avait un
effet de relief avec cette technique.

La pratique de la haehae (“inciser, lacérer, déchirer, couper”) est le moment où le tatoueur


lacère la peau pour effectuer les scarifications à long terme. Pour ce faire, il utilise un ciseau à
base d’os ou à base d’obsidienne, de coquillages cassés ou de pierres coupantes. Ce passage
était véritablement considéré comme une preuve de courage et d’endurance pour la personne
qui subissait cette pratique. Mais la haehae était aussi une marque d’automutilation, une
tentative de faire correspondre l’état physique et psychologique d’un individu à celui de la
mort, sans qu’il meure. À l’extrême, le résultat de la haehae était une blessure très profonde
qui pouvait provoquer la mort.
Souvent, cette pratique était associée à la perte d’un être cher, sans la volonté de faire un
Moko. C’était alors un moyen de faire évacuer la douleur de la perte et d’accompagner le
mort dans l’au-delà. Toutefois, il était nécessaire d’avoir recours à la haehae pour faire un
Moko.

La musique avait une présence distrayante et apaisante pour la personne qui se fait tatouer.
Même encore aujourd’hui, elle aide à supporter la douleur provoquée par la formation du
Moko. Souvent la famille (marae) est présente auprès du/de la tatoué(e) et chantent sans
interruption pour apaiser le corps et l’esprit de la personne en train de se faire tatouer. Les
chants anciens sont nombreux pour accompagner, mais on retrouve dans certains cas des sons
de violons classiques (influence occidentale).
Chaque morceau choisi devait avoir du rythme afin d’accompagner les mouvements des outils
pendant l’incision et ainsi essayer de faire passer la douleur. Le chant apporterait une
sensation d’emportement vers un autre monde, tout comme la douleur. Il y a véritablement
une méditation dans la gestion de la douleur. Lors des tatouages actuels, certains tatoués sont
mis sous calmants pour pouvoir supporter la douleur, d’autres refusent et préfèrent avoir de la
musique pour les soutenir, comme le faisaient les kuia (ancêtres).

Mais la gestion de la douleur dépend de l’imagination, e la créativité, du courage et du seuil


de tolérance de la personne qui se fait tatouer. Elle dépend aussi de sa foi en soi et de ceux qui
soutiennent pendant le Moko. La douleur est toujours présente et elle suscite la souffrance
dans l’ensemble des cas.
Voici le témoignage de Monty, un maori qui s’est fait tatouer avec les techniques ancestrales
(ciseau en os) :

“Parfois tu te mets à transpirer, surtout quand il fait l’aine ou le coccyx, les endroits où
il n’y a pas de chair entre l’os et la peau. Là, ça fait très mal. Pour les fesses, c’est
comme si quelqu’un était en train de te découper et tu sens qu’il t’ouvre. C’est ce que
j’ai ressenti. Le bas et le derrière des jambes sont aussi vraiment douloureux. Mais dans
l’ensemble, ça ne fait pas trop mal. Tu sens la douleur, mais quand tu vois le résultat, la
douleur ce n’est rien.”

C : symboles et significations :

La tête était considérée par les Maoris comme la partie du corps la plus vénérée, aussi son
ornementation faisait l’objet du plus grand soin.

Le tatouage avait lieu dès les débuts de la puberté. Cette pratique était très douloureuse et elle
faisait couler une certaine quantité de sang (lorsque les ciseaux étaient enfoncés dans la chair
pour y déposer l’encre ensuite). Pour avoir la possibilité de pratiquer cela, l’artiste tatoueur
était considéré comme une personne de très haut rang dans le groupe auquel il appartenait.

Les guerriers et les dignitaires abordent pour la plus grande partie d’entre eux un tatouage
facial intégral. Le visage devenait alors un véritable blason.

Les femmes se faisaient tatouer leur lèvre inférieure (en bleu foncé) et le menton
(arabesques), parfois leur front était tatoué mais cela était plus rare.
Le sang coulé lors du tatouage rappelait chez les femmes le sang de la déesse Niraweka qui
coulait lorsque son mari la battait. De plus, l’accouchement est souvent associé à l’art du Ta
Moko, car il produit lui aussi sang et douleur. Le principe même du Ta Moko est de faire
saigner et d’être douloureux pour celui ou celle qui se fait tatouer. Le Ta moko est le moyen
de faire couler le sang pour obtenir la beauté, la mise en valeur et le plaisir (chez les femmes)
ainsi que la terreur (chez les hommes).
Le but même des femmes maories était d’être belles grâce au Ta Moko, que l’on contait
souvent aux jeunes filles dès le début de leur enfance. Les femmes voient à travers le moko
(tatouage) le moyen de devenir plus belles et surtout désirables aux yeux des hommes.

Voici l’exemple d’une comptine (un encouragement), chantée par Tuarae à sa fille Hinekiore
au sujet de la beauté des femmes :

“ kia uhia koe i te remu pakipaki


Hei koro kia tutuki, kati ka hoki mai, e.”

“Pour cela, tu seras tatouée au ciseau et tu auras les fesses ornées;


Mais pour le moment, retour à la réalité...”

Les femmes dites de première lignée (guerrières et filles de dignitaires et de chefs) pouvaient
aborder un tatouage facial presque semblable à celui des hommes. Dans l’île du Sud, il
existait une plus grande tolérance vis-à-vis du tatouage, et certaines femmes pouvaient
aborder les mêmes tatouages faciaux que les hommes, et ce grâce à leur rang social au sein du
groupe (fille et femme de chef, femme guerrière, femme de dignitaire...)

Le tatouage pouvait annoncer la fonction future de la jeune personne tatouée dans le groupe
auquel elle appartient. Pour les personnes qui voulaient embrasser un avenir guerrier, elles
devaient se faire faire le remu pakipaki (tatouage fessier). Le rape, tatouage sur le haut des
cuisses, était essentiellement pratiqué sur des hommes, mais quelques très rares cas de
femmes portant ce tatouage ont été recensés. Le tatouage sur les cuisses entières nommé
puhoro est aussi très répandu chez les hommes et rare chez les femmes. Le mau Moko est le
tatouage facial en général, avec des variances en fonction du sexe et du statut social de la
personne tatouée. Le wahine rangi paruhi (tatouage facial intégral) se retrouve chez les
hommes (actuellement, aucune femme n’a été recensée avec ce type de tatouage).

Faire un Moko est souvent associé à la découverte de soi, à la conscience de son âme et de sa
place dans un monde. Cette conscience viendrait du savoir transmis par les ancêtres au travers
du Moko. Pour les hommes, le Moko est un moyen de souffrir comme les femmes lors de
l’accouchement ou lorsqu’elles étaient battues par les hommes. C’est une sorte
d’accompagnement dans la douleur.
II : le Mau Moko dans la société néo-zélandaise actuelle :

A : une valorisation du Mau Moko comme identificateur culturel et individuel :

Le Mau Moko est considéré comme une “carte d’identité” dans la société maorie. Les
différents groupes arrivent à se distinguer entre eux grâce aux tatouages (surtout pour les
hommes : tatouages sur le visage bien visibles). Le Mau Moko révèle le rang social, la force
et la virilité, l’autorité et le pouvoir du porteur au sein d’un groupe d’individus. Un chef Maori
est immédiatement identifiable par les motifs de son Moko, qui représente son clan et son
statut. Les symboles sont donc différents en fonction de celui qui les porte.
C’est un marqueur artistique et politique encore en place aujourd’hui. De plus, la technique de
fabrication du tatouage est toujours la même pour la plupart des cas (utilisation des ciseaux en
os et de la gomme de Kauri brûlée), même si plus récemment des tatoueurs se sont formés à
des techniques plus modernes (utilisation du pistolet à tatouage) à cause des risques
d’infection et d’empoisonnement à l’encre possible avec la technique de tatouer ancestrale.
Mais les traditions de l’art du tatouage persistent dans de nombreuses régions de Nouvelle-
Zélande par leur caractère sacré et culturel.

Le Moko est vu comme un marqueur du présent mais aussi comme la manifestation du passé,
des blessures, des pertes, des séparations et de la mort. Il est un moyen de communier avec la
nature et les autres maoris. Il est une affirmation d’une relation avec le monde, avec la société.
C’est une sorte de voyage personnel effectué par le/la tatoué(e) pour se découvrir soi, son
histoire, ses ancêtres. Les évènements marquants sont aussi répertoriés à travers le Moko.
Pour les populations actuelles, il est devenu un moyen de reconquérir une partie de la culture
maorie “perdue” à travers le processus de la colonisation (presque jusqu’à l’extinction) qui
avait tenté de supprimer la pratique du Moko, jugée contraire aux principes chrétiens. Cela
leur permet d’avoir un souvenir de leurs kuia (ancêtres) dont il ne reste plus rien depuis la
colonisation. Le Moko est devenu un emblème des familles maories afin de les rattacher à
leur culture d’origine.
Il est la manifestation matérialisée des liens dans le monde entre les hommes et la nature.

B : L’utilisation actuelle du Moko : vers une perte de l’authenticité culturelle ?

C’est véritablement avec l’équipe néo-zélandaise des All Blacks de rugby et le mondial en
1999 en Nouvelle Zélande que le tatouage Maori a trouvé un second souffle et une
popularisation croissante à l’échelle mondiale. Les nombreux titres internationaux de l’équipe
et le cérémoniel maori avant les matches (Haka surtout) ont singulièrement mis en lumière les
traditions maories et ont suscité un intérêt général envers cette culture océanienne qui a su
concilier les traditions ancestrales locales et l’influence occidentale. Les rugbymen maoris
portent des Moko rattachés à leur histoire et à celle de leur communauté.

Une mode “maorie” s’est mise à apparaître dans les cultures occidentales. Le Moko s’est
retrouvé dans les défilés de Thierry Mugler ainsi que sur les corps de certaines célébrités non
amories. Ainsi, le chanteur britannique Robbie Williams s’est fait faire un moko par un
tatoueur maori à Amsterdam. Mike Tyson s’était fait faire un tatouage maori au visage, mais
son implication dans une affaire de viol en 2003 avait provoqué un tollé chez les représentants
de la culture maorie qui refusait de voir un suspect dans une telle affaire aborder un Moko
traditionnel. Le Moko semble se dénaturer peu à peu au profit d’un critère esthétique. C’est ce
phénomène de mode du Moko dans les sociétés occidentales que dénonce actuellement les
sociétés maories, qui ont peur de voir leur art du tatouage devenir un banal choix esthétique
en dépit de sa connotation culturelle et spirituelle très marquée dans le peuple maori. Le
problème est de savoir si oui ou non le Moko est en train de perdre toutes ses valeurs
ancestrales au profit d’une mode occidentale attirée par les arts “tribaux”.

CONCLUSION :

Le Moko est une véritable institution culturelle, sociale et spirituelle en Nouvelle Zélande
chez les populations maories. D’abord réprimé par les colons européens, cet art est devenu un
marqueur identitaire maori face à l’occupation coloniale, jusqu’à redevenir une tradition
récurrente dans les familles maories actuelles. Mais la popularisation de l’équipe de rugby
néo-zélandaise dans le monde, et particulièrement dans les pays occidentaux, a relancé le
débat de l’utilisation à mauvais escient du Moko par les occidentaux comme “coquetterie
esthétique”.

BIBLIOGRAPHIE :

Ngahuia TE AWEKOTUKU et Linda WAIMARIE NIKORA : Mau Moko : le monde du


tatouage maori, collection au vent des îles, Octobre 2010

http://sophieka.blog.free.fr/
https://www.allblacks.com/

Notes sur les auteurs du livre Mau Moko : le monde du tatouage Maori :

NGAHUIA TE AWEKOTUKU est écrivain, activiste culturelle, professeur d’université, chercheuse, et artiste. La
thèse de son doctorat (obtenu en 1981) portait sur le tourisme et la culture maorie. Elle a, depuis, participé à
diverses commissions gouvernementales, universitaires et culturelles. Elle a travaillé comme conservatrice de
musée, historienne de l’art et comme consultante lors d’opérations de rapatriement. À l’université de Waikato, elle
s’intéresse aujourd’hui aux questions de patrimoine et de genre, ainsi qu’aux études artistiques et culturelles.

LINDA WAIMARIE NIKORA est maître de conférence en psychologie à l’université de Waikato. En tant que
directrice du centre de recherche en psychologie et culture maorie, elle a initié et mené de nombreux projets
ayant pour sujet d’étude la population maorie dans le domaine des maladies mentales, de l’invalidité, et des sans-
abris. La thèse de son doctorat porte sur les migrations de la population maorie. Elle s’intéresse aux questions
d’identité, de développement maori, et de changements culturels et communautaires.
Sonny Bill Williams de l’équipe des All Blacks (2011)

http://www.tattoo-tatouages.com/tatouage-stars/rugby/tattoos-all-blacks.html

http://www.francetvsport.fr/le-tatouage-maori-symbole-devenu-mondial-77551

Le tatouage maori, symbole devenu mondial


Publié le 29/09/2011 | 11:47

Les centres All Blacks Sonny Bill Williams et Ma'a Nonu, une partie de leurs tatouages
apparents (AFP - William West)

Durant les six semaines de la Coupe du monde, nous vous faisons découvrir
pourquoi les Néo-Zélandais sont considérés, depuis trente ans, comme les
meilleurs du monde. Joueurs, stades, culture, voici tout ce qui a fabriqué la
légende des All Blacks à travers le temps.
« Depuis plusieurs années, les tatouages pullulent sur les bras, les torses, les jambes et les dos
des rugbymen du monde entier. En France, le pilier Christian Califano a été l'un des premiers
à se mettre à cette "mode" après une tournée en Nouvelle-Zélande. Pouvant donner une
apparence un peu plus féroce, ces décorations corporelles prennent source dans la civilisation
maorie, dérivée de l'art des civilisations polynésiennes. Selon la mythologie Maori, ce
tatouage a débuté avec une histoire d'amour entre Mataora (ce qui signifiait "visage de la
vitalité") et une princesse du monde des ténèbres (Niwareka). Repartie parmi les siens, elle a
été poursuivie par son prétendant qui, après bien des obstacles et des aventures, la retrouva
mais les peintures sur son visage étaient abimées. Le père de Niwareka lui enseigna donc l'art
du tatouage, et le couple revint dans le monde des humains avec cette connaissance.

Le tatouage Maori, c'est d'abord l'histoire d'une tribu, d'un peuple, d'une famille. Appelé
Moko, il est un symbole de spiritualité, une représentation du statut social, de l'appartenance à
une terre. Dans le temps, les guerriers l'arboraient sur le visage, tandis que les femmes
s'ornaient le menton, la tête étant la partie du corps considérée comme la plus sacrée. Si le
peuple Maori, population autochtone de la Nouvelle-Zélande et des îles alentours, en reste à
l'origine et le dépositaire, le tatouage s'est démocratisé. Pour le profane, les marques sur le
corps ne représentent rien. Pour les Maoris, chaque trait, chaque dessin a une signification, est
une représentation: la famille, le père, la mère, les frères et soeurs, la tribu à laquelle il
appartient... De nombreux joueurs des All Blacks arborent ce tatouage maori depuis
longtemps, ce qui a eu pour effet de le remettre au goût du jour sur les terrains mais pas
seulement. Comme avec le haka, qui doit être mené par un maori, cette culture imprègne le
rugby néo-zélandais. »

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