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Résumé
L'auteure veut montrer que la problématique de l'Autre comme explication du sexisme, du racisme, de l'homophobie ou de toute
autre hiérarchie sociale non seulement ne marche pas, mais suppose déjà l'existence de cette hiérarchie. La haine du
«différent» n'est pas un trait «naturel » de l'espèce humaine ; c'est la tradition occidentale, formalisée dans la philosophie, qui a
posé comme élément constituant et universel du psychisme humain cette haine, et inventé le concept d'«Autre» . C'est la
société qui construit cet «Autre» par des pratiques concrètes matérielles, dont font partie des pratiques idéologiques et
discursives.
Delphy Christine. Les uns derrière les autres : comment se construit l'altérité. In: Raison présente, n°174, 2e trimestre 2010.
Racisme, race et sciences sociales. pp. 21-37;
doi : https://doi.org/10.3406/raipr.2010.4225
https://www.persee.fr/doc/raipr_0033-9075_2010_num_174_1_4225
CONSTRUIT L'ALTÉRIT
Christine Delphy
est la
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Il faut insister sur ce point, qui est l'un des messages cen
traux de mon travail, que je n'ai cessé de dire et de redire de dif
férentes façons. On pense souvent l'oppression d'un groupe pa
un autre en imaginant que ces deux groupes d'abord existent, pu
qu'un rapport de forces s'établit entre eux, rapport que l'un gagn
Les uns derrière les autres : comment se construit l'altéri
Maispré-existe
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à cet accaparement
que le groupe
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Raison Présente
Y a-t-il de quoi s'étonner ? Pas plus que du fait que les hom¬
mes, les hétérosexuels et les Blancs sont plus souvent qu'à leur tour
indûment sûrs d'eux, arrogants et bavards : leur socialisation et
leur expérience les ont rendu ainsi, leur position le leur permet.
30
Les uns derrière les autres : comment se construit l'altérité
d'être comme eux. Sinon, eh bien sinon, c'est normal aussi que
vous n'ayez pas le droit de — entre autres choses, voter, conduire,
obtenir une promotion, avoir un logement décent, un travail cor¬
respondant à vos qualifications, vous promener sans votre carte
d'identité ou tard le soir, etc.
Mais comment les Autres pourraient-elles/ils être comme
ment
des Uns
les ?Autres
Quand? les Uns ne sont Uns que parce qu'ils/elles oppri¬
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est
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commun
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également
où un idéologique
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et discur¬
31
Raison Présente
ment mis à part, placé aux marges de la société sur le plan sym¬
bolique, et discriminé, exploité et maltraité physiquement et psy¬
chologiquement sur le plan matériel. Cet aspect, c'est l'inquiétude
et l'hostilité des groupes dominants quand des Autres prennent
conscience de cette situation et se rebellent publiquement.
entre
les
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elles dess'assemblent
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qui ils veulent, de rester entre eux, mais qui exigent de pénétrer
partout, et de s'y sentir à l'aise. Les Autres sont ceux qui sont tou¬
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Les uns derrière les autres : comment se construit l'altérité
Pas exactement. Les Uns ont été élevés, depuis leur nais¬
sance, dans la croyance, qui fait partie intégrante d'eux puisqu'elle
découle de leur position dominante, que rien d'humain ne leur est
étranger et ne doit leur être étranger. Ils ont la conviction forte¬
ment ancrée qu'ils incarnent toute la condition humaine; plus,
qu'ils sont les seuls à pouvoir l'incarner. Et plus encore, qu'ils peu¬
vent le faire seuls — au point que beaucoup de bons auteurs, dont
Auguste Comte, se sont demandé au cours des siècles pourquoi
Diable l'humanité était encombrée de femmes alors que d'autres
moyens auraient été pensables pour assurer sa reproduction, c'est-
à-dire celle des seuls hommes. Cette croyance si parfaitement syn¬
thétisée
des déraisonnables
dans la formule
de Bourdieu.
de Lévinas, c'est celle qui dicte les attitu¬
existe, mais il ne faut pas dire qu'elle bénéficie à tous les Blancs
car sont exclus des bénéficiaires tous les anti-racistes, qu'on peut
identifier par les partis ou organisations auxquels ils sont affilié
et qui se sont déclarés opposés au racisme. Au bout du comptage
il ne reste plus grand monde, sauf les électeurs du Front national
Quant à identifier des bénéficiaires ou acteurs de l'oppression de
homosexuels... l'insulte « enculé » est pourtant l'un des premier
mots que les enfants de sexe mâle apprennent.
quand des homosexuelles ont dit qu'elles voulaient tenir des réu¬
nions non-mixtes, entre elles. Les femmes mariées tenaient leur
réunion un soir par semaine, et militaient avec les autres le rest
du temps, personne n'avait levé un sourcil quand elles l'avaient
annoncé. Nous voulions tout simplement en faire autant. Du tollé
que notre annonce provoqua s'ensuivirent des discussions collec¬
tives, à deux, à trois, interminables. Comment allions-nous recon¬
naître les homosexuelles nous demandait-on avec dérision; fau¬
drait-il montrer sa carte ? Ce qui m'apparut clairement au term
d'un mois de discussions, c'est que les hétérosexuelles ne voulaien
pas être cataloguées, ne voulaient pas qu'on leur donnât un nom
ne voulaient surtout pas que quelqu'un d'autre qu'elles-même
leur donnât un nom. On peut distinguer par l'analyse deux aspect
de ce refus. Le premier est le refus d'être enfermé. e dans une iden¬
tité. En effet, les dominants, qui se croient partout chez eux, pen¬
sent qu'ils/elles peuvent choisir n'importe quelle place sociale e
qu'ils/elles peuvent en changer quand bon leur semble : tous le
possibles leur sont toujours ouverts. Aucun lieu, aucune position
sociale ne leur sont fermés a priori. Que dans les faits, ils/elles n'en
fassent pas toujours usage importe peu. Ce qui est en cause ici
c'est leur représentation d'eux/elles-mêmes comme essentiellemen
et par définition libres par opposition aux personnes qui sont, héla
pour elles, limitées par, enfermées dans, et résumées à leurs « spé¬
cificités », et obligées, comme les homosexuelles, de porter les éti¬
quettes qu'on leur a collées dans le dos sans leur demander leur
avis. L'autre aspect de ce refus, c'est qu'en les nommant, l'Autre
l'inférieur, le Noir, la femme, le pédé, la gouine usurpent leur pri¬
vilège. Et leur privilège, c'est justement de nommer les individus
de les rassembler en catégories indépendamment de ce que les inté¬
ressés disent ou veulent, de les classer. Parce que classer, c'est hié¬
Les uns derrière les autres : comment se construit l'altérité
n'est pas une description, c'est le nom d'une catégorie sociale infé¬
rieure. C'est ce qu'on fait à l'Autre. C'est comme ça qu'on signale
que l'Autre est Autre.
Quand l'Autre rend réciproque ce processus qui est par
définition non-réciproque, il/elle bouleverse la règle du jeu, il/elle
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des
un
35
Raison Présente
sophie
1. Directrice
et éditrice
de recherche
de la revue
émérite
Nouvelles
au CNRS,
Questions
docteure
féministes.
en sociologie et en phi
2. Cet article reprend et développe une problématique exposée dans Classer, dom
ner. Qui sont les « autres », Paris, La fabrique éditions, 2008.
3. « Pour un féminisme matérialiste », L'Arc, avril 1975, republié dans L'Enne
principal, 1999 et 2002, tome 1, « Economie politique du patriarcat », Par
Syllepse.
4. En effet la philosophie, comme discipline ou comme corpus de textes, ne sa
rait être considérée comme sui generis, encore moins comme guidant la visi
du monde des « gens ordinaires ». Il est bien évident que ces gens n'ont pas
les philosophes. Au contraire ceux-ci ne font qu'exprimer cette vision commun
mais en l'explicitant. En la formalisant, et étant donné leur statut de « sages
ils influent en retour sur cette vision du monde. Mais si je cite des auteurs, c'
dans la mesure où leur formulation est exemplaire des présupposés qui inf
ment la vision du monde occidentale, et non pour prendre parti dans un qu
conque débat interne à la philosophie au sens étroit de discipline (par exemp
entre les théories dites « du sujet » et celles qui critiquent les premières), enco
moins dans une concurrence entre disciplines.
5.
1979.
Francis Jacques, Dialogiques. Recherches logiques sur le dialogue, Paris, PU
14. La victoire la plus importante des mouvements gays et lesbiens est peut
symbolique : le fait que les hétéros s'appellent maintenant eux/elles-même
nom que leur ont donné les homos — « hétéros ». Cela ne signifie pas pour au
qu'ils voient
d'être homosexuel.le.
cette condition comme un particularise aussi particulier que