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Raison présente

Les uns derrière les autres : comment se construit l'altérité


Christine Delphy

Résumé
L'auteure veut montrer que la problématique de l'Autre comme explication du sexisme, du racisme, de l'homophobie ou de toute
autre hiérarchie sociale non seulement ne marche pas, mais suppose déjà l'existence de cette hiérarchie. La haine du
«différent» n'est pas un trait «naturel » de l'espèce humaine ; c'est la tradition occidentale, formalisée dans la philosophie, qui a
posé comme élément constituant et universel du psychisme humain cette haine, et inventé le concept d'«Autre» . C'est la
société qui construit cet «Autre» par des pratiques concrètes matérielles, dont font partie des pratiques idéologiques et
discursives.

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Delphy Christine. Les uns derrière les autres : comment se construit l'altérité. In: Raison présente, n°174, 2e trimestre 2010.
Racisme, race et sciences sociales. pp. 21-37;

doi : https://doi.org/10.3406/raipr.2010.4225

https://www.persee.fr/doc/raipr_0033-9075_2010_num_174_1_4225

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Les uns derrière les autres : comment s

CONSTRUIT L'ALTÉRIT

Christine Delphy

est la
mes,
Pour
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souvent
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non-Blancs,
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encore
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l'Autre
fois
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l'oppression
faudrait
sur
toutes
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des
le genre,
homosexue
majuscule
et
à «il des
accept
suffir
la fem
ra

Des articles de presse aux écrits de philosophes, sociolo


gues et autres savants, il ressort souvent que la hiérarchie de not
société serait due au « rejet de l'Autre ». Depuis 1975, date
laquelle j'ai écrit « Pour un féminisme matérialiste3 », j'oppose,
toutes les « explications » idéalistes de l'oppression des femm
une démarche matérialiste. Et la thèse selon laquelle les êtr
humains ne supportent pas « la différence » est une thèse sur
nature humaine, une thèse essentialiste donc idéaliste. Ce qui e
commun à ces trois oppressions, c'est que chacune divise l'ensem
ble de la société, l'ensemble de la population, en deux catégorie
en deux camps. Mais chacune crée sa propre ligne de partage
divise la même population de départ — ici on dira la populatio
vivant sur les territoires français — de façon différente. Les pri
cipes de division étant différents, les groupes dominés et dom
nants constitués par un principe ne sont pas les mêmes que ceu
constitués par un autre. Mais parce qu'il s'agit toujours de la mêm
population de départ, et que chaque division est exhaustive, ch
que groupe dominant et chaque groupe dominé par un princi
est à nouveau disséqué par le deuxième, puis par le troisième pri
cipe de division. Ceci aboutit à ce que chaque personne est néce
sairement classée en femme ou homme, mais aussi nécessaireme
Raison Présente

Je veux montrer que la problématique de l'Autre comme


explication du sexisme, du racisme, de l'homophobie ou de toute
autre hiérarchie sociale non seulement ne marche pas, mais sup¬
pose déjà l'existence de cette hiérarchie.
La haine du « différent » n'est pas un trait « naturel » de
l'espèce humaine ; c'est la tradition occidentale, formalisée dans
la philosophie, qui a posé comme élément constituant et univer¬
sel du psychisme humain cette haine, et inventé le concept
d'«Autre » ; or en fait c'est la société — et non une hypothétique
« nature humaine » — qui construit cet « Autre » par des prati¬
ques concrètes matérielles, dont font partie des pratiques idéolo¬
giques et discursives.

Le concept d'Autre comme invention de la


tradition occidentale
Il y a deux raisons pour lesquelles la « haine du différent »
ne peut dans
matisés être invoquée
nos sociétés.
pour expliquer l'existence de groupes stig¬

La première est que l'explication par « le rejet de l'autre »


est un psychologisme, c'est-à-dire la transposition de théories for¬
mulées
le fonctionnement
sur le psychisme
des sociétés.
individuel à des phénomènes concernant

La seconde est que cette psychologie — ces théories sur le


psychisme individuel — sont elles-mêmes des parties d'une philo¬
sophie particulière, occidentale, qui aborde la question de « l'au¬
tre personne » du point de vue du « je ». Je commencerai par la
seconde.

I - Rien qu'en décrivant la question telle que la philoso¬


phie occidentale l'a historiquement abordée, la prééminence du
« je » apparaît d'emblée. Quand je parle de la philosophie, j'en¬
tends par là les fondements invisibles, souterrains, de la vision du
monde ( Weltanschauung) communément partagée dans une cul¬
ture.4 Ce caveat fait, on peut dire que depuis Platon, la vision du
monde occidentale — telle qu'elle est exprimée par les gens qui
ont le d'être
avant mériteune
de réflexion
révéler ces
surfondements,
le monde, est
lesune
« philosophes
réflexion sur» soi.

Dans cette philosophie, le « je » est seul. Seul, et constituant. Il ne


se pose pas la question de l'autre personne, car cette autre per¬
sonne n'est pas nécessaire; elle est superflue. Le « je » incarne la
conscience, et du moment où il existe une conscience humaine pour
voir le monde et se voir en train de le voir, nul besoin qu'il existe
22
Les uns derrière les autres : comment se construit l'altér

une autre conscience. Cette conscience première et unique, un


quement nécessaire, dit avec Descartes : « je pense donc je suis
mais ne se demande jamais quelles sont les conditions de possib
lité de sa pensée.

C'est une philosophie de dominants, pour lesquels la v


matérielle se déroule à leur bénéfice — les nécessités de leur su
vie sont remplies — mais en dehors d'eux. Ce dédain des cond
tions de possibilité de sa propre existence et de sa propre pens
est même poussé plus loin; c'est l'ensemble de la société qui
nié.

Or aucun individu ne peut exister en dehors de la socié


La notion même d'individu est linguistique et donc sociale. L'h
perindividualisme de la philosophie occidentale confine au sol
sisme et à l'autisme. Il ne peut être la fondation d'une psychol
gie valable, qui devrait prendre en compte les conditions q
rendent possible non seulement tel ou tel psychisme individu
mais le psychisme tout court.

Or c'est de la psychologie fautive constituant une des pa


ties majeures de la philosophie occidentale que nous vient la noti
d'Autre comme réalité pré-existante et en somme « naturelle
Dans cette tradition occidentale formulée puis renforcée par
philosophes, c'est chez Hegel que l'autre personne apparaît comm
une « question philosophique » dont il faut rendre compte, et cet
autre apparaît comme une menace pour l'expression du sujet,
veut
que résumera
la mort de
Sartre
l'autre.
avec» sa fameuse formule : « chaque conscien

Ainsi la philosophie occidentale, qui prétend dire la vér


sur l'être humain, indépendamment du lieu ou de l'époque, sur
être qui n'est donc spécifié par rien qui doive à sa situation concrè
dans une société donnée, décrète que « l'autre personne » est
danger. Cette philosophie est donc simultanément une psychol
gie puisqu'elle décrit ou prédit des réactions (d'inquiétude face
l'autre personne) et des désirs (de solitude). Et en tant que psych
logie, cette théorie n'est pas seulement solipsiste : elle est carr
ment folle. Car, comme l'écrit Francis Jacques dans une brillan
synthèse, elle en arrive à se dire : « Si l'être existe, pourquoi
êtres ? Si l'un existe, pourquoi le multiple ? »5. Elle est folle en
qu'elle nie la réalité du monde des êtres humains (et d'ailleurs
Raison Présente

II - Mais venons-en à la première raison qui rend l'expli


cation par le « rejet de l'Autre » inadéquate. En effet, quoi qu'i
en soit de la validité des théories psychologiques au niveau où elle
prétendent se placer (le fonctionnement psychique individuel) o
ne peut en aucun cas en faire la base d'une explication des rap
ports entre groupes.

Car il y a, dans ce passage de la psychologie à la sociolo


gie, un changement d'échelle qui est épistémologiquement injus
tifiable.

L'impossibilité méthodologique de transposer le niveau d


la conscience individuelle au niveau social, d'appréhender les grou
pes et les rapports entre eux comme répliquant, sur une grand
échelle, les processus mentaux individuels ou inter-individuels, es
un point acquis dans les sciences. La société n'est pas un gran
individu ; elle ne peut être expliquée que par des processus sociaux
qui ne sont pas du-même ordre que les processus psychologiques
Ainsi, même si notre psychologie individuelle était du typ
décrit par la philosophie occidentale, même si cette psychologi
dictait à chacun.e de nous d'avoir peur de « l'autre personne »
cela ne serait d'aucun secours pour expliquer pourquoi des grou
pes entiers sont vus comme et nommés « autres » par d'autre
groupes entiers.
C'est pourtant ce qui se passe quand nous sommes exhor
tés sans cesse, en tant qu'individus mais aussi en tant qu'ensem¬
ble d'individus, en tant que groupe qui s'appelle « Nous »,
« accepter l'Autre » pour en finir avec le sexisme, le racisme, l'h
mophobie.

Or la création collective, l'organisation qu'est la société


s'impose aux individus, et pré-existe à chacun d'entre eux - ca
nous naissons dans une société déjà existante. Elle ne peut cepen
dant pas pour autant être conceptualisée comme un individu su
dimensionné. Ni comme la somme des individus qui s'y trouvent
Elle est un phénomène totalement distinct des individus. Elle
besoin d'eux, car une société ne peut vivre sans membres, et il
ont, encore plus, besoin d'elle, car en dehors d'une société, un êtr
humain ne peut être humain ni simplement survivre. Mais cett
interdépendance ne signifie pas que ces deux phénomènes aient le
mêmes règles de fonctionnement. La société n'est pas un individu
Si on peut admettre que chaque individu, enfermé dans sa peau e
Les uns derrière les autres : comment se construit l'alt

avoir peur et la rejeter ! — il n'en va pas de même de la soc


Elle ne peut donc avoir un problème avec « l'autre » personne
elle n'a pas de psychisme : l'expression « conscience collecti
est une métaphore.

L'Autre comme création de l'Un

Revenons à l'exhortation à l'acceptation de l'Autre, o


« l'altérité », ou de « la différence ». C'est vague, l'Autre : ça
être Autrui, mon semblable en Dieu ou en l'humanisme ; ça
être aussi toute une bande d'autres et en général, c'est ça : c'es
groupe,
tisé. stigmatisé, dont on ne dit d'ailleurs pas qu'il est stig

On le comprend parce qu'on l'appelle « l'Autre » et q


sait que nous avons « du mal à accepter l'Autre ». Ce discour
si fréquent qu' il est impossible de passer une journée sans le
ou l'entendre, et cependant, il recèle lui aussi un mystère. To
monde a l'air de savoir qui sont ces Autres ; tout le monde p
d'eux, mais eux ne parlent jamais.

En effet, dans quels discours apparaît l'Autre, sous sa f


singulière ou plurielle ? Sous la forme d'un discours adressé à
gens qui ne sont pas les Autres. Mais d'où viennent alors
Autres ? Y a-t-il des Autres, et si oui, pourquoi ? Il faut, pour éc
cir ce mystère, en revenir à l'exorde à l'acceptation. Qui est i
à accepter les Autres ? Pas les Autres, évidemment. Et qui fait
demande ? De son énonciateur, qui ne dit pas son nom, tou
qu'on sait, c'est qu'il n'est pas un Autre. Ce n'est pas lui-m
qu'il nous invite à accepter. Mais pas plus qu'il ne dit qui il e
n'énonce qui est ce « Nous » à qui il s'adresse. Derrière l'A
dont on entend parler sans arrêt, sans qu'il parle, se cache d
une autre personne, qui parle tout le temps sans qu'on n'en ent
jamais parler : l'« Un », qui parle à « Nous ». C'est-à-dire à
semble de la société de la part de l'ensemble de la société. D
société normale. De la société légitime. De celle qui est l'égal
locuteur qui nous invite à tolérer les Autres. Les Autres ne
pas, par définition, des gens ordinaires, puisqu'ils ne sont
« Nous ». Qui est ce « Un » parlant ? Avant toute autre chose
sait, parce qu'il le fait, qu'il est celui qui peut définir l'Au
Ensuite, il prendra une position de tolérance ou d'intolérance. M
cette prise de position est seconde par rapport à sa capacité à
Raison Présente

la situation d'être définis comme acceptables ou rejetables, e


d'abord, d'être nommés.

Au principe, à l'origine de l'existence des Uns et des Autre


il y a donc le pouvoir, simple, brut, tout nu, qui n'a pas à se fair
ou à advenir, qui est.
Le mystère de l'Autre se trouve résolu. L'Autre c'est celu
que l'Un désigne comme tel. L'Un c'est celui qui a le pouvoir d
distinguer, de dire qui est qui : qui est « Un », faisant partie d
« Nous », et qui est « Autre » et n'en fait pas partie; celui qui
le pouvoir de cataloguer, de classer, bref de nommer.
Dans la théorie psychologique de la « guerre des conscien
ces », si chaque conscience veut la mort de l'autre, cette haine es
parfaitement réciproque. Et l'une des raisons substantielles — l
principale étant épistémologique — pour lesquelles on ne peu
transposer cette théorie psychologique (à supposer qu'elle ait
son niveau une validité quelconque), c'est que dans la société, c
qui caractérise les rapports et même la définition de l'Un et de l'Au
tre, c'est l'absence totale de réciprocité. Les Autres, justement parc
qu'ils sont les Autres, ne peuvent appeler les Uns des Autres. E
pourtant, s'il est question de « différence », ne pourrait-on dir
que l'Un est aussi différent de l'Autre que l'Autre l'est de l'Un
Bien sûr que si. À « tu n'es pas pareil que moi » répond, à la fo

logiquement
pareil
de
précisément
rent
confirme
quelque
son
pouvoir
référence,
absence
duque
monde,
de
façon
que
moi
l'Un.
ce
de
et
répond
leque
qu'on
dans
».
pouvoir,
construire
statut
Àl'Autre
la
les
ladéfinisse
d'Autre
prépondérance
prépondérance
cours
absence
ne peut
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Autres.
n'est
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««
faire
d'un
d'un
non,

être

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Moi
autre
se
c'est
qui
ce
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veut
qu'est
contraste
pris
toide
Moi.dire),
qui
comme
comme
l'Autre
réciprocit
Mais
n'est
mais
avec
réfè
c'es
mo
pa
(d

Aussi cet Autre n'est jamais maltraité en raison de quali


tés ou de défauts qu'il exhiberait en tant qu'individu ou qu
groupe; il est maltraité d'entrée de jeu, au moment même où o
commence à le désigner comme « Autre » .

Il faut insister sur ce point, qui est l'un des messages cen
traux de mon travail, que je n'ai cessé de dire et de redire de dif
férentes façons. On pense souvent l'oppression d'un groupe pa
un autre en imaginant que ces deux groupes d'abord existent, pu
qu'un rapport de forces s'établit entre eux, rapport que l'un gagn
Les uns derrière les autres : comment se construit l'altéri

que » . Et la théorie de l'Autre est largement utilisée pour ce fair


Mais les femmes n'ont jamais « débarqué » dans aucun grou
humain. Elles ont toujours été là. Autant pour la théorie du débar
quement. Cependant, on dit souvent : les hommes ont donné au
femmes un statut d'Autre. Mais pour le faire il fallait que les hom
mes existent déjà, non ? Pourquoi et comment le groupe des hom
mes a-t-il été créé, avec son antonyme nécessaire, le groupe d
femmes, dans une société où les individus qui allaient être nom
mées « femmes » existaient déjà concrètement (mais sans nom
Pourquoi et comment la société s'est-elle divisée en deux group
opposés — dont chacun est censé être à la fois le contraire et
complémentaire
rieur et l'autre inférieur
de l'autre,
? dans le même temps que l'un est sup

En admettant même que ces groupes pré-existent à la rel


gation de l'un dans le statut d'Autre, pour que les femmes se soie
laissé faire, pour qu'elles se soient laissé coller un statut d'Autr
il fallait que les hommes soient déjà les plus forts, non ? Donc o
est obligé de conclure que si les hommes sont parvenus à domin
les femmes, c'est parce que... ils les dominaient déjà. On
demande à quoi sert alors le détour par « l'altérité » ?
La réponse est qu'il ne sert à rien. Ou plutôt : « l'altérité
naît de la division hiérarchique, elle est en à la fois le moyen —
évidemment les inférieurs ne font pas les mêmes choses que l
supérieurs, sinon à quoi ça servirait que quelqu'un commande —
et la justification : « Moi je conduis le tracteur pendant qu'el
hisse les bottes à la fourche sur la remorque, oh c'est dur d'êt
sur le tracteur, le sang se transforme en boudin ! »
Quand par exemple Lévinas présente les femmes ou
femme comme le prototype de l'Autre, quand il dit : « L'autre p
excellence, c'est le féminin, un arrière-monde qui prolonge
monde » (Emmanuel Lévinas6), c'est qu'il conçoit déjà l'humanit
celle qui dit « Je », celle qui dit « Nous », comme constituée néce
sairement mais aussi exclusivement du groupe des hommes. Il y
l'humanité, à ma droite, et à ma gauche, le moyen, l'instrumen
l'annexe, l'appendice adventice de l'humanité, qui n'est là que pou
« aider » la première. Quand un groupe en appelle un aut
« Autre », il est déjà trop tard, il a déjà accaparé l'humanité vér
table et accomplie comme sa caractéristique propre et exclusiv

Maispré-existe
ple, ceci suppose-t-il
à cet accaparement
que le groupe
? Non
« les
seulement
hommescela
», par
ne le
exem
su

pose pas, mais cela suppose le contraire : « les hommes » est


Raison Présente

les autres êtres humains de leur qualité humaine. Comme le groupe


« les Blancs », comme le groupe « les hétérosexuels ».
La hiérarchie ne vient pas après la division7, elle vient avec
— ou même un quart de seconde avant — comme intention. Les
groupes sont créés dans le même moment et distincts et ordonnés
hiérarchiquement.

Le racisme : opinion ou fabrication


permanente des Autres ?

mes
Cet
point
causes
sont
jours
résume
théories,
santes
jugés
inclut
confrontées
crimination,
souvent,
de
ou la
leur
aspect
différents,
d'ailleurs
vie,
»et
central
aussi,
»et
Toutes
des
pessimisme
pas
ou
sont
ont
qu'elles
des
sur
idéologique
Blancs
«comme
àdes
et
comme
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culturalistes
leur
de
des
la
les
ont
pas
même
discrimination
l'oppression,
effets
soient
confiance
oppressions,
actes
sur
en
distincts
quant
certains
l'hostilité
commun
les
surtout,
sur
eux
et
« Noirs,
»,
à
raciales
discursif
leur
matérielles.
àleur
aussi.
sur
des
«l'égard
car
qui
spécialistes
et
vie
un
ce
dans
lesquelles
les
actes,
avenir,
la
qui
aspect
toutes
Par
matérielle,
»ont
Arabes
n'est
violence
ou
tous
d'autrui,
est
des
exemple,
ils
Les
sur
« ni
idéologique
les
se
les
racialistes
les
subi
causes
»procédés
et
leur
leoppressions
fonderaient
le
domaines
qui
les
accompagnent
sur
sur
point
par
prétendent,
estime
Juifs.
le
l'accompagnent
leur
et
leur
racisme
les
des
discursifs
»,
unique
et
conception
Le
optimisme
;personnes
de
«discursif
mécanis¬
les
cette
biologi
racisme
ont
soi.
«à
ne
ni
tou¬
pré¬
dis¬
des
ne
se
le

Cependant, ce n'est pas des multiples tactiques de discri¬


mination dont je parle ici, mais des procédés discursifs et idéolo¬
giques. Ce ne sont pas les « opinions » ou « préjugés » racistes,
sexistes ou homophobes, mais un dispositif idéologique, qui prend
une forme rhétorique, plus profond et plus pernicieux, et construit
une forme large d'exclusion, qui n'est pas seulement matérielle
Bien que le groupe-maître, le groupe des Uns, ne soit pas le même
dans ces trois oppressions : c'est celui des hommes vis-à-vis des
femmes, celui des hétérosexuels vis-à-vis des homosexuels, celui
des Blancs vis-à-vis des « non-Blancs », il a, dans chaque cas, la
même rhétorique : il reproche à « ses » Autres (femmes pour les
hommes, non-Blancs pour les Blancs, etc.) de ne pas faire partie
des Uns, comme si cela ne dépendait que d'eux. Il leur reproche
de se distinguer, de n'être « pas pareils », et les exhorte, s'ils veu¬
Les uns derrière les autres : comment se construit l'altér

Or les différences qu'on leur reproche sont entièreme


construites par les groupes maîtres, de plusieurs façons. Elles so
construites idéologiquement par le fait de constituer l'une de leu
caractéristiques physiques ou de comportement non pas comm
l'un des innombrables traits qui font que les individus sont d
individus distincts les uns des autres, mais comme un marque
définissant la frontière entre le supérieur et l'inférieur. Plus exa
tement, l'une des innombrables caractéristiques de l'humanité
constituée en dimension comportant deux pôles, un bon et un ma
vais. Parfois il n'existe que deux emplacements sur cette dime
sion, comme dans la dimension de genre. Le marqueur de ce
dimension, le sexe, lui, n'est pas clairement divisé en deux. Quan
un bébé naît hermaphrodite, ce qui arrive beaucoup plus souve
qu'on ne le pense, et prend beaucoup plus de formes qu'on
l'imagine, on « rectifie » son sexe chirurgicalement8, au prix
beaucoup d'opérations et de souffrance pour les enfants, afin q
ce sexe ressemble à un sexe « normal », soit de l'un soit de l'a
tre (sexe).

Dans le cas où le marqueur est la couleur de la peau, de


solutions existent. On peut soit construire une division de ra
clairement bipolaire, comme aux États-Unis, où « une goutte

il
sang
construire
social
ment
leur
pôles
bas9.
ciels
est —
:non
Ces
{sic)

ainsi,
est
plus
degrés
etseulement
marqueurs
fonction
celle
noir
une
le
blanc
sexe
; hiérarchie
car
d'une
» ou
vous
est-il
du
la
licite
plus
dedimension
couleur
degré
inscrit
genre
rend
de
noir,
à degrés,
lede
membre
ou
sur
demander
unique,
leblancheur.
premier
de
reste
la comme
race
carte
unique
du
nemais
sont
en
d'identité,
comportant
groupe
Ou
au
haut,
plus

aucune
Brésil,
plutôt,
celle
et
inférieur,
oule
leinteracti
moins

passepo
de
second
apparem
quele
la de
ra
co
of
s

ou tractation ne peut avoir lieu tant que le sexe de la person


n'est pas connu10. Aux États-Unis, la race est aussi obligatoireme

raisons
gatoire
mode
melle
sur
lement
met
races,
déclinée,
les sur
la
à américain
et
couleur,
la
donc
le
n'est
d'euphémisation,
» France
qu'il
mode
que
la pas
race
celle
est
au
brésilien
permise,
du
d'éradiquer
de
supérieure
interdit
contraire
du
tout
problèmes
sexe.
ou
de
mais
derien,
En
l'échelle
de
s'appelant
la
traiter
est
sa
France,
la
raciaux.
question
mais
mention
déclaration
explicitement
et
ouvertement.
dela
dans
«Mais
façon
race
àest
caucasienne
lal'hexagone
moins
base
est
sur
qui
lainterdite.
race,
traitée
le
doit
: La
souvent
sexe,
il n'y
rester
qui
déclarati
»plus
aux
pour
Ceci
non
an'a
pas
«Ant
inf
sur
ob
pe
se
qd
Raison Présente

faire des sophismes français, bien qu'elle n'existe pas biologique-


ment ni officiellement, existe comme marqueur de statut social et
concerne aussi des gens qui ne sont ni Blancs ni Noirs ni « mélan¬
gés ». J'emploie le terme de race pour désigner non une réalité rele¬
vant de la génétique ou plus généralement de la nature, mais
comme une construction sociale utilisant, comme le genre le fait
pour le sexe, certaines caractéristiques morphologiques des indi¬
vidus pour constituer des groupes hiérarchisés. Pour être sociale,
la race n'en est pas moins réelle, elle est même plus réelle qu'un
phénomène physique qui existerait mais serait méconnu sociale¬
ment. J'utilise donc les mots « racial, raciaux, Blancs, Noirs, Ara¬
bes, etc. » dans un sens politique. En ce qui concerne les homo-
sexuel-le-s, l'identification est plus compliquée, car comme les
Noir-es américain-e-s qui n'ont qu'une « goutte de sang noir » et
peuvent « passer » (passer dans la population blanche, aux prix
de rompre avec toute leur vie antérieure, famille, amis, quartier,
pour le restant de leurs jours11), les homosexuel-le-s peuvent faci¬
lement
les Autres
« passer
subissent
», àcrée
un prix
effectivement
élevé aussi.
desEnsuite,
différences
l'oppression
: les dominé-
que

e-s ne peuvent pas se conduire, penser, agir, comme des dominants,


sauf à perdre très vite la raison ou la vie. Les dominé-e-s sont tou¬
jours sur le qui- vive; ne savent jamais sur quel pied danser dans
l'interaction quotidienne ; à quoi s'attendre de la part du prochain
dominant qui va croiser leur route, s'il faut se préparer au sourire
ou à la grimace ; ne savent jamais quand, ni de qui, viendront l'in¬
sulte, le mépris, l'agression. Pis encore, ils ne savent jamais s'ils/elles
sont discriminé-e-s ou non : est-ce parce que je suis une femme,
une Arabe, une Noire, une homosexuelle que je n'ai pas obtenu
— l'appartement, la promotion, la place au restaurant — ou parce
que je suis moi ? La vie des Autres se déroule dans l'incertitude sur
la bonne façon d'interpréter chaque interaction, dans un doute
permanent et épuisant sur le sens de ce qui est en train de se pas¬
ser. C'est pourquoi certains des stéréotypes sexistes, racistes, homo-
phobes, sur les femmes craintives et/ou obséquieuses, les homos
hypersensibles (et obséquieux), les Noirs susceptibles (et obsé¬
quieux) de
dénués et vérité.
les Arabes paranoïaques (et obséquieux) ne sont pas

Y a-t-il de quoi s'étonner ? Pas plus que du fait que les hom¬
mes, les hétérosexuels et les Blancs sont plus souvent qu'à leur tour
indûment sûrs d'eux, arrogants et bavards : leur socialisation et
leur expérience les ont rendu ainsi, leur position le leur permet.
30
Les uns derrière les autres : comment se construit l'altérité

L'altérisation12 produit donc une altération des personna¬


lités des dominé-e-s. Or cette souffrance psychique des opprimé-
e-s, les effets d'années d'humiliations encaissées jour après jour,
voilà ce que les « grands » spécialistes français du racisme n'ont
jamais abordé. Si la discrimination commence à être étudiée, la
souffrance des victimes, voilà ce que les dominants ne peuvent
même pas commencer à imaginer. Car l'altérisation altère aussi les
dominants — personne n'est telle qu'elle le serait si la domination
n'existait pas — mais en sens inverse ; elle crée des personnalités
dominantes. Les caractéristiques des dominants ne sont pas vues
comme des caractéristiques spécifiques, mais comme la façon
d'être... normale.
dominé-e-s. Et ces mêmes
Bien sûr,
dominants
elle ne l'est
somment
pas plus
les dominé-e-s...
que celle des

d'être comme eux. Sinon, eh bien sinon, c'est normal aussi que
vous n'ayez pas le droit de — entre autres choses, voter, conduire,
obtenir une promotion, avoir un logement décent, un travail cor¬
respondant à vos qualifications, vous promener sans votre carte
d'identité ou tard le soir, etc.
Mais comment les Autres pourraient-elles/ils être comme
ment
des Uns
les ?Autres
Quand? les Uns ne sont Uns que parce qu'ils/elles oppri¬

Or ce fait est nié et dénié en permanence. Les façons de


faire et d'être du groupe dominant ne sont pas présentées comme
ce qu'elles sont - des façons qu'il ne peut avoir que parce qu'il
domine — mais comme la norme, comme l'universel. Et puisque
c'est sur l'oppression des Autres que repose la capacité des Uns
d'avoir ces façons, il tombe sous le sens que les Autres ne pour¬
ront jamais imiter ces façons, ni demain ni dans mille ans. Les
Autres n'arriveront jamais à se couler dans ce qui est présenté
comme une norme universelle, valable pour tous et toutes et que
tous et toutes peuvent atteindre. Ce qui est une conséquence de
l'altérisation et de l'altération de certains par les Uns sera inter¬
prété comme l'échec, et en tous les cas la responsabilité des Autres.
Les privilèges des Uns, gagnés sur le dos des Autres, apparaîtront
au contraire
dre la norme.comme la juste récompense de leur capacité à attein¬

Quand l'insolence des opprimés révèle le


paradoxe de l'universel

sif, qui Il
est
existe
commun
un autre
à cesaspect,
situations
également
où un idéologique
groupe est arbitraire-
et discur¬

31
Raison Présente

ment mis à part, placé aux marges de la société sur le plan sym¬
bolique, et discriminé, exploité et maltraité physiquement et psy¬
chologiquement sur le plan matériel. Cet aspect, c'est l'inquiétude
et l'hostilité des groupes dominants quand des Autres prennent
conscience de cette situation et se rebellent publiquement.

En France, il existe des milliers d'associations diverses et


variées, des centaines de regroupements politiques comprenant de
12 à 120 000 adhérents, des dizaines de syndicats, de sociétés pro¬
fessionnelles, de sociétés philanthropiques, de sociétés secrètes
d'Églises, des centaines de dénominations religieuses rassemblant

entre
les
variés
individus
elles dess'assemblent
millions de fidèles,
par affinités
bref une
et pour
infinité
lesdebuts
groupes
les plus

Cependant dès lors que des femmes, ou des homosexuels,


ou des « issus de l'immigration » (les non-Blancs) décident de se
réunir pour porter leurs revendications d'égalité sur la place publi¬
que, cette audace fait scandale. Les regroupements d'opprimés,
contrairement à ceux de dominants notoires, comme l'organisme
qui représente les patrons, sont censés faire courir un risque majeur
à la république. On craint le « communautarisme », dont personne
ne donne jamais aucune définition, mais qu'on voit à l'œuvre dans
le fait que les Noirs et les Arabes « choisissent de rester entre
eux », avec d'autres chômeurs et chômeuses, dans les HLM du
département de Seine-Saint-Denis, à 30 km de Paris, au lieu de
venir
La même
se mélanger
crainte du
avec
« communautarisme
les « Nous » dans »ledes
centre
homosexuels
de la capitale
a été

évoquée, quand le nombre de bars gay dans le Marais est devenu


« inquiétant ». Certains se demandaient au sujet de ces bars si « un
hétérosexuel
dit de retourner.
s'y sentirait à l'aise » ? Bonne question, qu'il est inter¬

Il y a quelques années, un « fait divers » a révélé qu'un café


dans le sud de la France, était « interdit aux Maghrébins ». Les
journalistes ont décrit cette situation comme un pur état de fait
sans faire montre de la moindre indignation, ni rechercher si par
hasard cette « interdiction » était illégale.

Les Uns sont ceux qui ont le droit de fermer leur porte à
qui ils veulent, de rester entre eux, mais qui exigent de pénétrer
partout, et de s'y sentir à l'aise. Les Autres sont ceux qui sont tou¬

joursà soi
chez
pas en qui
cet trop,
espace
se qui
restreint
dans
ne le
sont
cas
souvent
bienvenus
des femmes.
à leur
nulle
appartement
part, hormis
— etdans
même
un
Les uns derrière les autres : comment se construit l'altérité

Trente ans après la renaissance du mouvement féministe


dans le monde entier, alors qu'il existait déjà dans toutes les
langues ou presque, une somme impressionnante d'ouvrages et
d'articles féministes analysant l'oppression des femmes, Pierre
Bourdieu, dans La domination masculine, prétendait que les fem¬
mes étaient si aliénées, justement par leur situation de dominées,
qu'elles ne pouvaient pas la penser. Lui en revanche pouvait la pen¬
ser. Pourquoi ? Parce qu'il était, ou se voyait comme, impartial,
neutre en somme. Pas partie prenante de l'oppression des femmes,
qu'il appelait pourtant « domination masculine ». N'aurait-il pas
dû comprendre que faisant partie du groupe des hommes, il ne
pouvait être impartial ? Que personne d'ailleurs ne peut être impar¬
tial ou objectif, puisque tout le monde est femme ou homme ? En
fait, il savait qu'il était un homme, mais il pensait que non seule¬
ment cela ne l'empêchait pas d'être objectif, mais que les hommes,
non « aliénés » par l'oppression des femmes, étaient mieux placés
pour l'analyser. C'est typiquement une attitude de dominant que
de voir les autres, et surtout les Autres, comme partisan.es, « « juges
et parties », tandis qu'eux, qui en tant que dominants sont des
« parties » à l'affaire aussi, se conçoivent uniquement comme
« juges ». Serait-il possible qu'ils se voient comme extérieurs à une
hiérarchie
rieure ?13 dont ils reconnaissent qu'ils occupent la partie supé¬

Pas exactement. Les Uns ont été élevés, depuis leur nais¬
sance, dans la croyance, qui fait partie intégrante d'eux puisqu'elle
découle de leur position dominante, que rien d'humain ne leur est
étranger et ne doit leur être étranger. Ils ont la conviction forte¬
ment ancrée qu'ils incarnent toute la condition humaine; plus,
qu'ils sont les seuls à pouvoir l'incarner. Et plus encore, qu'ils peu¬
vent le faire seuls — au point que beaucoup de bons auteurs, dont
Auguste Comte, se sont demandé au cours des siècles pourquoi
Diable l'humanité était encombrée de femmes alors que d'autres
moyens auraient été pensables pour assurer sa reproduction, c'est-
à-dire celle des seuls hommes. Cette croyance si parfaitement syn¬
thétisée
des déraisonnables
dans la formule
de Bourdieu.
de Lévinas, c'est celle qui dicte les attitu¬

Les dominants ne peuvent se défaire de ces attitudes, d'une


part en raison de cette croyance, mais aussi en raison du fait qu'el¬
les servent directement leurs intérêts. Cependant, alors qu'on
reconnaît que l'oppression des femmes existe, il ne faut surtout
pas dire qu'elle bénéficie à tous les hommes, car il y a parmi eux
des gentils et des méchants. L'oppression des Noirs et des Arabes
33
Raison Présente

existe, mais il ne faut pas dire qu'elle bénéficie à tous les Blancs
car sont exclus des bénéficiaires tous les anti-racistes, qu'on peut
identifier par les partis ou organisations auxquels ils sont affilié
et qui se sont déclarés opposés au racisme. Au bout du comptage
il ne reste plus grand monde, sauf les électeurs du Front national
Quant à identifier des bénéficiaires ou acteurs de l'oppression de
homosexuels... l'insulte « enculé » est pourtant l'un des premier
mots que les enfants de sexe mâle apprennent.

J'ai été surprise par la colère déclenchée chez les Blanc


quand on très
souviens emploie
bien ledes
terme
réactions
« Blancdans
». Mais
le mouvement
pas longtemps.
féminist
Je me

quand des homosexuelles ont dit qu'elles voulaient tenir des réu¬
nions non-mixtes, entre elles. Les femmes mariées tenaient leur
réunion un soir par semaine, et militaient avec les autres le rest
du temps, personne n'avait levé un sourcil quand elles l'avaient
annoncé. Nous voulions tout simplement en faire autant. Du tollé
que notre annonce provoqua s'ensuivirent des discussions collec¬
tives, à deux, à trois, interminables. Comment allions-nous recon¬
naître les homosexuelles nous demandait-on avec dérision; fau¬
drait-il montrer sa carte ? Ce qui m'apparut clairement au term
d'un mois de discussions, c'est que les hétérosexuelles ne voulaien
pas être cataloguées, ne voulaient pas qu'on leur donnât un nom
ne voulaient surtout pas que quelqu'un d'autre qu'elles-même
leur donnât un nom. On peut distinguer par l'analyse deux aspect
de ce refus. Le premier est le refus d'être enfermé. e dans une iden¬
tité. En effet, les dominants, qui se croient partout chez eux, pen¬
sent qu'ils/elles peuvent choisir n'importe quelle place sociale e
qu'ils/elles peuvent en changer quand bon leur semble : tous le
possibles leur sont toujours ouverts. Aucun lieu, aucune position
sociale ne leur sont fermés a priori. Que dans les faits, ils/elles n'en
fassent pas toujours usage importe peu. Ce qui est en cause ici
c'est leur représentation d'eux/elles-mêmes comme essentiellemen
et par définition libres par opposition aux personnes qui sont, héla
pour elles, limitées par, enfermées dans, et résumées à leurs « spé¬
cificités », et obligées, comme les homosexuelles, de porter les éti¬
quettes qu'on leur a collées dans le dos sans leur demander leur
avis. L'autre aspect de ce refus, c'est qu'en les nommant, l'Autre
l'inférieur, le Noir, la femme, le pédé, la gouine usurpent leur pri¬
vilège. Et leur privilège, c'est justement de nommer les individus
de les rassembler en catégories indépendamment de ce que les inté¬
ressés disent ou veulent, de les classer. Parce que classer, c'est hié¬
Les uns derrière les autres : comment se construit l'altérité

n'est pas une description, c'est le nom d'une catégorie sociale infé¬
rieure. C'est ce qu'on fait à l'Autre. C'est comme ça qu'on signale
que l'Autre est Autre.
Quand l'Autre rend réciproque ce processus qui est par
définition non-réciproque, il/elle bouleverse la règle du jeu, il/elle
met en
tion sociale.
cause Car
au moins
les dominé.
symboliquement
es sont dominé.es
l'ensemble
soi-disant
de l'organisa¬
en rai¬

son de leurs caractéristiques spécifiques ; mais nommer les domi¬


nants c'est les spécifier à leur tour. Et les spécifier d'une façon qui
annule, toujours sur le plan symbolique, leur supériorité : car il
existe une égalité formelle entre les appellations, du moins du point
de vue de la prétention à l'universalité ; « blanc.he. » est aussi par¬
ticulier que « noir.e » ou « homosexuel.le ». Remplacer l'opposi¬
tion « général » versus « spécifique » par l'opposition entre deux
particularités,
main-mise des c'est
Uns sur
s'attaquer
l'universel.14
au tabou des tabous, au sacré : à la

Une anecdote illustre ce que je dis : en 2004 j'étais dans


une salle de cinéma à Paris où se projetait le film « Un racisme à
peine voilé », un film contre l'exclusion des écoles publiques des
jeunes filles portant le foulard islamique. Cinq d'entre nous, dont
deux femmes portant le foulard étaient présents dans la salle après
la projection pour discuter avec les spectateurs. Une jeune femme,
qui était pour l'interdiction du foulard, dit au cours de la discus¬
sion : « mais nous devons garder ce qui est à nous, ce qui est spé¬
cifique à la France, l'universel ». Dans les énoncés spontanés, le
locuteur,
elle son véritable
ou plutôt
sens.
la locution, se trahit souvent : révèle malgré

Conclusion : l'appropriation de l'universalité

logie
tivité
Aujourd'hui,
du
perverse,
lumières,
lité
Et l'idéologie
discours
d'institutions
uns mérite,
fondamentale
etjidéologique
'entend
la
Il privation
sur
existe
du
ceou
christianisme
le
discours-ci
cette
et
est
la
de
monde.
dans
de
conception
de
la
et
ne
idéologie,
des
relais
ontologique
le
nécessité
nature
sont
pouvoir
autres,
Les
qui
est
et
pas
liens
d'abord
font
du
dérivé
du
qui
n'adopte
de
un
directs
droit
monde
entre
de
aboutit
la
qu'on
aspect
tous
hiérarchie.
directement
discursive,
naturel
:leplus
ne
ils
communément
les
idéologique
àpouvoir
les
justifier
passent
êtres
seulement
: perçoit
leNon,
puisqu'elle
discours
humains.
du
matériel
le
par
discours
privilège
:pas,
d'une
et
lebeaucoup
partagée.
par
discours
de
ou
et
Ce
est
façon
l'éga¬
idéo¬
mal.
l'ac¬
dis-
des
un
35
Raison Présente

cours invente la notion d'universalisme et d'universel. En app


rence il s'adresse à et concerne tout le monde, vous, moi, le vois
aussi bien que la Chinoise de l'autre bout de la terre.
Mais ce bien commun par définition qu'est l'universel
trouve, de façon paradoxale, être la propriété privée de certain
et mieux : le fait que ces certains le détiennent est une preuve
leur supériorité et de leurs droits éminents sur le monde et ses bien
matériels et spirituels. L'universel, que le commun des mortels pe
croire dans un premier temps synonyme de général, indique
contraire une norme, que seuls les privilégiés possèdent, défini
sent, et dont ils peuvent donc exclure les autres, les créant ain
Autres.

sophie
1. Directrice
et éditrice
de recherche
de la revue
émérite
Nouvelles
au CNRS,
Questions
docteure
féministes.
en sociologie et en phi

2. Cet article reprend et développe une problématique exposée dans Classer, dom
ner. Qui sont les « autres », Paris, La fabrique éditions, 2008.
3. « Pour un féminisme matérialiste », L'Arc, avril 1975, republié dans L'Enne
principal, 1999 et 2002, tome 1, « Economie politique du patriarcat », Par
Syllepse.
4. En effet la philosophie, comme discipline ou comme corpus de textes, ne sa
rait être considérée comme sui generis, encore moins comme guidant la visi
du monde des « gens ordinaires ». Il est bien évident que ces gens n'ont pas
les philosophes. Au contraire ceux-ci ne font qu'exprimer cette vision commun
mais en l'explicitant. En la formalisant, et étant donné leur statut de « sages
ils influent en retour sur cette vision du monde. Mais si je cite des auteurs, c'
dans la mesure où leur formulation est exemplaire des présupposés qui inf
ment la vision du monde occidentale, et non pour prendre parti dans un qu
conque débat interne à la philosophie au sens étroit de discipline (par exemp
entre les théories dites « du sujet » et celles qui critiquent les premières), enco
moins dans une concurrence entre disciplines.
5.
1979.
Francis Jacques, Dialogiques. Recherches logiques sur le dialogue, Paris, PU

6. De l'existence à l'existant, Paris, La Fontaine, 1947.


7. Christine Delphy, « Penser le genre », conférence donnée en décembre 19
au colloque Sexe et genre, CNRS, Paris. Publié dans M.C. Hurtig et al, Sexe
genre, Paris, CNRS, 1991. Republié dans L'ennemi principal, 2001, tome
« Penser le genre », Paris, Syllepse, 2002.
nent
8. Voir
nosNouvelles
corps, féminisme
Questions
et féministes,
luttes intersexes
Vol. 27,
» . n° 1, 2008, « A qui appartie
9. Alexandra Poli, « Faire face au racisme en France et au Brésil : de la condam
nation morale à l'aide aux victimes », Cultures & Conflits, n° 59, Dialogu
franco-brésiliens sur la violence et la démocratie, automne 2005.
10. Voulant faire un don à Médecins du Monde, j'ai rempli un formulaire
Les uns derrière les autres : comment se construit l'alté

suffisait pas pour envoyer de l'argent ; l'opération a été interrompue, un é


est apparu disant : « le sexe est manquant » .
11. Philip Roth, La tache , Paris, Gallimard, 2002.
12. En anglais, autre - « other »-est devenu un verbe et on parle couramm
dans les sciences sociales, en particulier féministes, du processus de « otheri
13. Il faut noter la différence du traitement que Bourdieu a réservé aux écrit
femmes et à ceux des homos. Quand il a pris contact avec le mouvement g
lui a fait
dans ce mouvement.
crédit de pertinence et même d'inventivité. C'est qu'il y a des hom

14. La victoire la plus importante des mouvements gays et lesbiens est peut
symbolique : le fait que les hétéros s'appellent maintenant eux/elles-même
nom que leur ont donné les homos — « hétéros ». Cela ne signifie pas pour au
qu'ils voient
d'être homosexuel.le.
cette condition comme un particularise aussi particulier que

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