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Traites, Amadou KONE, NEA, 1980

Traites est le premier des trois romans qu'Amadou Koné a écrits sous le titre général de « Sous le
pouvoir des Blakoros », les deux autres étant : Courses et Fuites.

Qui sont ces « blakoros » auxquels l'auteur des « Frasques d'Ebinto » a consacré tant de pages et contre
lesquels, il dresse un réquisitoire impitoyable tout en leur vouant un mépris quasi souverain ?

Chez les Bambaras, « blakoro » désigne un individu non circoncis, non encore initié, qui n'a pas encore
atteint l'âge d'homme. Un individu immature au sens physique et moral. « Blakoro » est le contraire de «
kamelikoro », c'est-à-dire l'homme qui a subi toute son initiation et donc confirmé dans les différents
rites initiatiques. En principe, des « blakoros », on ne devrait en trouver que chez les garçonnets. Car,
c'est cette classe d'âge qui renferme en majorité le genre d'individus qui attendent d'accéder, par le biais
de la circoncision et d'autres cérémonies, à la classe des hommes. Erreur ! semble nous dire Amadou
Koné. Parmi les circoncis et les initiés, on dénombre désormais une fraction importante de « blakoros ».
Leur lieu de résidence, les villes et centres urbains. Il existe même une capitale qui se nomme «
Blakorodougou » ! La classe à laquelle ils appartiennent ? Celles des petits bourgeois africains. Cette
affirmation une fois faite, Amadou Koné, n'hésite plus à franchir le dernier pas qui va permettre au
lecteur de mieux cerner la silhouette de ces « blakoros-nouvelle-manière ». Dans Traites, c'est le vieux
Mamadou, père de Lassinan - le héros de ce roman - qui explicite la pensée de l'auteur. En interprétant
les paroles de ce vieux homme dont l'attachement aux traditions paraît indiscutable, A. Koné se montre
plus précis sur la nature des hommes et des femmes qui composent l'univers de ces « blakoros ». Il dit à
ce propos : « Ils vivaient sous un pouvoir que le vieux Mamadou appelait le pouvoir des blakoros et des
filles de petite vertu. Tout semblait déréglé. Impitoyablement, régnaient les fonctionnaires, les riches
commerçants des villas et les usuriers des villages, des prophètes de peu de poids ». Les voilà donc les «
nouveaux blakoros » dont Amadou Koné dénonce le pouvoir despotique.

On imagine sans peine la portée de l'injure et les grincements de dents qu'elle peut susciter. Mais pour
l'auteur, il n'y a pas d'autre qualificatif pour caractériser ces hommes et ces femmes qui ont succédé au
pouvoir colonial et qui ne pensent qu'à profiter au maximum de leurs fonctions, foulant aux pieds les
valeurs traditionnelles de l'Afrique profonde. Le règne de ces « blakoros » est à l'origine de la disparition
progressive de l'humanisme africain. Ce pouvoir menace dangereusement l'avenir de l'Afrique.

A cette espèce de jeu de massacre auquel se consacrent les « blakoros », échappent quelques individus
pourtant éduqués à l'école occidentale. Dans Traites, cet individu exceptionnel se nomme Lassinan. Il a
fréquenté l'école française comme d'autres enfants du village. Mais à la fin de ses études du premier
cycle, au lieu d'aller s'installer dans un quelconque « blakorodougou » à l'instar de nombreux jeunes,
Lassinan choisit de rester auprès de son vieux père qu'il va aider de son mieux, en prenant notamment
en charge ses petits frères. L'un deux, Abou, réussira brillamment dans ses études comme le démontre
la suite de l'histoire intitulée « Courses ». En restant au village, Lassinan veut « lutter contre la traite
perpétuelle du peuple » qui attend des mois durant, d'encaisser ses traites du café destinées à « effacer
quelques soucis matériels ». Pour cela, pense Lassinan, il faut mettre sur pied une coopérative
susceptible d'aider les villageois à contrer le pouvoir des « blakoros » et, à la longue, à se libérer de lui.
L'intention est généreuse et très courageuse l'initiative. Mais c'est sans compter avec les mentalités
inculquées aux villageois par le pouvoir de ces redoutables « blakoros ». La concrétisation du projet de
Lassinan va se heurter au mur de l'incompréhension et de la peur. L'échec sera très cuisant. D'autant
plus qu'à cause de la situation créée par ce fameux pouvoir qui dirige et contrôle tout, Issa, le petit frère
de Lassinan tombé gravement malade, va trépasser, faute de soins à l'hôpital où il a été mal admis.
Ceux chargés de lui prodiguer ces soins, exigeaient d'être soudoyés ! Le vieux Mamadou devenu pauvre,
n'a pu faire face à cette exigence...

C'est ce drame familial qui pousse surtout Lassinan à rester auprès des siens et à s'engager dans
l'enseignement pour seconder l'institutrice du village qui l'a d'ailleurs beaucoup encouragé. Cette femme
est aussi un autre exemple des citoyens conscients qui rejettent le « pouvoir des blakoros ».

Ce faisant, Amadou Koné a retrouvé en Lassinan, le portrait de son héros favori déjà esquissé dans les «
Les frasques d'Ebinto». Pour l'auteur, l'homme nouveau dont l'Afrique post-coloniale a besoin, est celui
qui, malgré l'éducation et l'instruction reçues dans les écoles occidentales, ne fuit pas devant ses
responsabilités, ne tourne pas le dos aux valeurs fondamentales auxquelles notre continent reste
solidement attaché. Et parmi ces valeurs, viennent en premier lieu celles de la famille qu'Amadou Koné
s'attache à mettre en exergue dans son œuvre romanesque, dans Traites en particulier.

Courses, Amadou Koné, NEA, 1982.

Suite logique de Traites dont il prolonge en quelque sorte l'action en faveur des valeurs familiales et dont
il souligne davantage l'examen approfondi de la société africaine d'après indépendance, le deuxième
ouvrage d'Amadou Koné placé sous le titre général « Sous le pouvoir des blakoros », observe
rigoureusement la démarche de l'auteur et la ligne de conduite qu'il a sciemment adoptée dans son
œuvre romanesque, à savoir : dresser un constat objectif de la dépravation de la société africaine
moderne qui, par « blakoros » interposés, a profondément porté atteinte aux valeurs traditionnelles et à
l'humanisme africain. Et, en même temps, montrer, sinon donner la preuve que malgré tout, malgré la
puissance des « blakoros », il existe dans cette société de remarquables et courageuses individualités
décidées à préserver et à sauver ce qui peut encore l'être. Les enfants du vieux Mamadou en font partie.
C'est Lassinan dans Traites et maintenant Abou dans Courses.

Ce roman nous transporte en plein cœur de « Blakorodougou », autrement dit, au sein même de
l'univers cosmopolite des « blakoros ». Nous avons quitté la brousse qui a servi de cadres à Traites pour
la grande ville, la capitale. On pense ici à Abidjan, mais ce pourrait bien être aussi Bamako, Dakar,
Douala, Kinshasa, Lomé, etc. tant il est évident que l'univers des « blakoros » se rencontre partout en
Afrique avec les mêmes caractéristiques et le même genre d'individus. L'héritage colonial ne s'exprime-t-
il pas partout dans les mêmes termes à quelques exceptions près ?

Suivons le guide qui, ici, a des allures d'un « métis culturel » comme bon nombre d'Africains de sa
génération. Ce guide, c'est Abou de retour d'un long séjour en Occident où il est allé poursuivre ses
études commencées au pays. Et armons-nous de patience et de bonnes chaussures car il y a de la
course dans l'air. Des courses devrions-nous dire. En effet, tout court dans cette ville qui, elle-même
court dans le mouvement général de la course entamée par le pays et le continent tout entier. Ça fait
beaucoup de courses ! Voilà pourquoi l'auteur a mis ce mot au pluriel.

Pour en savoir un peu plus sur Abou, notons encore que là-bas, en Europe, il n'a pas fait que de
brillantes études ; il y a aussi rencontré l'amour avec une fille blanche. Une belle page dans sa vie
sentimentale, une page qu'il n'oubliera pas de si tôt même s'il n'a pu l'écrire jusqu'au bout pour des
raisons indépendantes de sa volonté. D'ailleurs, dans l'ensemble, du côté européen comme du côté
africain, la vie sentimentale d'Abou n'est pas une réussite. En effet, une fois de retour au pays, Abou
retrouve sa petite amie qu'il avait laissée au village avant son départ. Que constate-t-il ? Que Nda Bra
l'amie en question, ne l'a pas attendu pour refaire sa vie. Elle l'en avait du reste prévenu trois ans
auparavant au moment de la séparation. Ce qui surprend Abou, c'est le ton qu'utilise Nda Bra et les
mobiles qu'elle invoque pour expliquer son refus catégorique de renouer avec lui : elle n'aime plus Abou
parce qu'il a changé, parce qu'il a eu certainement « une fille blanche comme la plupart des autres »,
mais surtout parce qu'on en a fait « une machine à gagner des diplômes ». Nda Bra ne porte
certainement pas dans son cœur ce genre de « métis » ni les familles qui acceptent cet état de chose. Et
elle le dit avec une moue à la bouche que l'on devine facilement : « Je te méprise toi, et je hais tes
parents ! » Aux yeux de la jeune fille, la famille d'Abou est responsable de la situation dans laquelle se
trouve le jeune homme. En le poussant à aller étudier à l'étranger, ils ont suscité cette séparation
devenue irréparable. Devant ces imprécations, Abou garde la tête froide. Il réalise simplement qu'être
Africain et en même temps « un produit » de l'Occident vous plonge dans un sacré dilemme. Un dilemme
qui donne d'ailleurs l'occasion à A. Koné de poser, de manière originale, l'épineux problème des rapports
entre les Africains et les Occidentaux, entre ceux qui, en Afrique, sont demeurés attachés aux us et
coutumes ancestrales, s'en sont éloignés ou cherchent à s'en éloigner. En fait, « Courses » est le roman
dans lequel Amadou Koné aborde en profondeur les problèmes inhérents à la culture africaine dans son
ensemble. C'est aussi le lieu où est posée clairement la question du choix entre demeurer ou ne pas
demeurer membre de la communauté villageoise, reconnaître ou méconnaître les valeurs familiales. On
sait comment réagissent en général les héros d'Amadou Koné ; ils n'hésitent pas un instant : ils
choisissent de demeurer au sein de la communauté et de reconnaître l'autorité de la famille. Hors d'elles,
pense l'auteur, point de salut.

Aussi n'est-il pas étonnant de constater que c'est cette voie que choisit de suivre Abou pour prendre la
relève de Lassinan qui, lui-même avait engagé son pas dans le sillage du père et des autres aînés da la
communauté. Ce faisant, Abou souscrit aux exigences de ce que les Bambaras nomment la « mogoya »
et les Kongo - le « Kimuntu » - c'est-à-dire la mise en pratique de l'enseignement et des principes
fondamentaux de l'humanisme africain, l'observation stricte d'une certaine règle de vie dont le
fondement repose parfois sur la mystique. Eh oui ! la mystique qui reste si forte en Afrique et ailleurs
aussi comme le dit si bien Amadou Koné lorsqu'il écrit à la page 43 de « Courses » : « Et puis d'ailleurs,
la mystique n'est morte nulle part, même pas dans les pays marxistes »...

Source Notre librairie n° 86 de janvier-mars 1987


Amadou Koné est un écrivain de Côte d'Ivoire né en 1953, professeur de Littérature francophone et
de Culture africaine à Université de Georgetown aux États-Unis.

Fils de Dénbiè Soma (dit Mamadou Koné) et de Kahou Sirima (dite Karidia Koulibali), Amadou Koné a
vu le jour en Mai 1953 dans le petit village de Tangora dans le cercle de Banfora, faisant partie, à
l’époque, de la Haute Côte-d'Ivoire. Petit-fils du respectable Kalmô Dan dont le grand frère, le
légendaire chef de guerre Fanhikroi, un opposant au pouvoir colonial, fut assassiné sur la route
conduisant de Banfora à Bobo Dioulasso (épisode raconté dans Jusqu'au seuil de l'irréel), Amadou
Koné apprendra très tôt le sens de l’honneur par son père qui, excédé par les abus des colons
français et des nouveaux chefs à leur solde, choisit d’immigrer dans la région d’Ayamé en Basse Côte
d’Ivoire où il crée des plantations de café et de cacao avec sa famille.C’est à Kongodjan, la plantation
près d’Ayamé, qu’Amadou Koné grandit en compagnie de ses frères et sœurs. Dans son article
intitulé “L'enfance : c'était le temps des rêves et de l'espoir” dans Mots Pluriels, n° 22 de septembre
2002 (lire article[1]), il décrit cette enfance en ces termes :

Sous le pouvoir des blakoros – Traites d’Amadou Koné décrit la vie des
paysans confrontés à toutes sortes d’entraves semées par les blakoros.

Mais qui sont les blakoros ? Les riches et puissants. Les petits bourgeois
africains. Les fonctionnaires (policiers, infirmiers), les riches commerçants
des villes, les usuriers des villages et les faux marabouts.

Ces hommes ont succédé au pouvoir colonial et ne pensent qu’à profiter au


maximum de leurs fonctions, foulant aux pieds les valeurs traditionnelles de
l’Afrique profonde telles que le respect de l’âge, l’entraide, la générosité,
l’honnêteté.

Les riches s’entendent. Et ils sont puissants. […] Les riches sont puissants et ont
raison.

Contre ce pouvoir despotique, Lassinan, jeune lycéen et fils du vieux


Mamadou, s’insurge. Il veut lutter contre la traite perpétuelle du peuple qui
attend des mois durant, d’encaisser ses traites du café destinées à «
effacer quelques soucis matériels ».

Il veut changer la mentalité de ses pères qui ont accepté misère et


humiliations. Résignés, ils ont accepté la fatalité. Affirmant que leur
condition de pauvre est la volonté de Dieu, attendant le Grand Jour, le
paradis pour vivre une vie meilleure.

Lassinan veut qu’ils aient un autre regard sur leur condition.

La misère est une trop grande torture pour qu’on se permette d’accepter de la subir
éternellement. L’humiliation est une trop cuisante blessure pour qu’on se permette de
l’accepter passivement…

Ce n’est pas que je ne crois pas en Dieu. Je conteste seulement ce qu’on fait de
Dieu. Je conteste le Dieu sur lequel s’appuient les riches pour exploiter les pauvres,
les puissants pour maintenir les faibles sous leur joug
De toutes les façons, dire non à la misère ne peut pas être un sacrilège.

Baba, Dieu, c’est peut-être l’honnêteté. Et l’honnêteté, ce n’est pas seulement de ne


pas voler autrui, c’est aussi de refuser qu’autrui vous vole.

Le pauvre est né pour échouer, avait dit le vieux Mamadou.

Non, avait répondu Lassinan, le pauvre est né pour sortir de sa condition, sortir aussi
tous les pauvres de la pauvreté. Tuer la pauvreté. Cela, il doit le vouloir, ardemment.

Il faut aussi qu’Allah le veuille.

Allah le veut. Il ne peut avoir créé l’homme pour en faire un maudit. Et puis, si
l’homme a besoin de croire en quelque chose, pourquoi ne pas croire au bonheur par
l’effort plutôt qu’à sa propre damnation ?

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J’ai beaucoup apprécié l’état d’esprit de Lassinan, sa volonté à refuser le statu quo et faire
bouger les lignes. Sous le pouvoir des blakoros – Traites offre une rapide et sympathique
lecture.

Le récit met en scène un jeune homme, Lassinan qui, à la fin de ses études du premier cycle, choisit
de vivre auprès de son père au village afin de lutter contre ces "riches", ces "blakoros" qui exploitent
les paysans. Sous le pouvoir des blakoros - Traites décrit la vie des paysans confrontés à
toutes sortes d'entraves semées par des fonctionnaires corrompus. Le récit met en scène un
jeune homme, Lassinan qui, à la fin de ses études du premier cycle, choisit de vivre auprès de
son père au village afin de lutter contre ces "riches", ces "blakoros" qui exploitent les paysans.
Pour cela, Lassinan suscite la création d'une coopérative afin d'aider les villageois à se libérer
du pouvoir de ces fonctionnaires. Mais c'est sans compter avec les mentalités que ces
"blakoros" ont inculqué aux villageois. Le projet de la coopérative échoue à cause de
l'incompréhension, mais surtout de la peur. Cette situation créée par ces "blakoros" qui
dirigent et contrôlent tout, va occasionner la mort de Issa, le frère cadet de Lassinan. En effet,
tombé gravement malade, l'infirmier exige de l'argent avant de soigner l'enfant! Mais le vieux
Mamadou, pauvre, ne peut satisfaire cette exigence...

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