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All content following this page was uploaded by Evelyne Nonga Lebel on 18 December 2021.
Introduction
Depuis 2003, la date du 6 février a été déclarée par l’ONU Journée internationale de lutte contre
les mutilations génitales féminines. C’est l’occasion pour la communauté internationale de
mettre en lumière et de dénoncer la pratique de l’excision qui touche 100 à 140 millions de
femmes et de filles à travers le monde selon l’OMS 1, et dont la majorité se retrouve sur le
continent africain. L’excision qui est ainsi décriée, a fréquemment suscité des débats socio-
anthropologiques, politiques et juridiques, mais également littéraires. En effet ce thème a fait
l’objet d’intérêt de nombreux ouvrages, et a constitué le sujet principal de plusieurs romans
d’écrivaines africaines francophones particulièrement, dont: Le couteau brûlant2de Hamitraoré,
Tu t’appelleras Tanga de Calixthe Beyala3, La voie du salut d’Aminata Maïga Ka 4, et Rebelle5
de Fatou Keïta qui retiendra l’attention de notre étude. Le roman Rebelle de Fatou Keïta met en
scène Malimouna, une jeune femme en proie au joug de la tradition de l’excision, qui refuse
son sort de victime et se bat pour faire reconnaitre ses droits et ses libertés, ainsi que ceux des
autres femmes. Ce sera pour nous le lieu d’examiner d’un point de vue sociocritique, l’ancrage
et la légitimité traditionnelle de l’excision, son impact tant individuel que social, sa conformité
aux droits humains, et sa nécessaire déconstruction dans un contexte contemporain de
démocratie et de liberté dont la préservation de la dignité humaine est le principe fondamental.
I- Définition et origines de l’excision.
1
Rapport Digest Innocenti, Changer une convention sociale néfaste : La pratique de l’excision/ mutilation
génitale féminine, UNICEF, 2005, p. 11.
2
Le Couteau brûlant, Abidjan, Frat Mat Éditions, 2012.
3
Tu t’appelleras Tanga, Paris, éditions Stock, Coll. J’ai Lu, poche, 1988.
4
La voie du salut, suivi de Le Miroir de la vie, Paris-Dakar, Présence Africaine, 1998.
5 Fatou Keita, Rebelle, Paris, Présence africaine, 1998.
6
Op. cit. p. 5.
1
Il existe plusieurs types d’excision selon les communautés; l’OMS en distingue cinq7
principales que le rapport Digest Innocenti8énumère: Il s’agit du type I ou «sunna» qui réfère à
la clitoridectomie ou l’ablation partielle ou totale du clitoris; le type II est l’ablation partielle
ou totale des petites lèvres, et le scellement des deux bords au moyen de points de suture ou par
soudure naturelle; le types III encore appelé «infibulation ou circoncision pharaonique»9 se
rapporte à l’excision partielle ou quasi totale des organes génitaux externes et à la suture, au
rétrécissement ou au scellement des grandes lèvres; le type IV renvoie particulièrement à une
série de pratiques variées ou non-répertoriées recouvrant l’étirement du clitoris et/ ou des lèvres,
la cautérisation par brûlure du clitoris et des tissus adjacents, le curetage de l’orifice vaginale
ou la scarification du vagin, ainsi que l’insertion dans de substances corrosives ou de plantes
dans le vagin pour provoquer saignements, resserrement ou rétrécissement; le type V a trait aux
pratiques symboliques comportant l’incision ou le perçage du clitoris pour faire apparaitre
quelques gouttes de sang.
Mais c’est en Afrique et au Moyen-Orient que l’on retrouve actuellement le plus de victimes
des mutilations génitales, notamment dans vingt-huit pays dont les plus touchés sont l’Égypte,
le Soudan, le Mali, l’Éthiopie, l’Érythrée, la Guinée, le Yémen 13. Cependant la pratique de
7
OMS /FNUAP/UNICEF, Mutilations génitales féminines. Déclarations commune OMS/UNICEF/FNUAP,
Organisation mondiale de la santé, 1997, Genève.
8
Rapport Digest Innocenti, Op.cit. p. 10
9
Laurence Porgès, « Un thème sensible : l’excision en Afrique et dans les pays d’immigration africaine », in
Afrique contemporaine. L’excision en Afrique, N° 196, 4e trimestre 2000, p. 49.
10
Ibid.
11
Cité par Myriam Amoës, « Approche psychanalytique de l’excision et de l’infibulation », sur
https://fr.linkedin.com/pulse/approche-Psychanalitique-de-l’excision-et-myriam-amoës , publié le 17 septembre
2016, p. 5
12
Ibid.
13
Données issues du Rapport Digest Innocenti, Changer une convention sociale néfaste : La pratique de
l’excision/ mutilation génitale féminine, UNICEF, 2005, p. 11-12.
2
l’excision s’exporte aussi avec les migrations de l’Afrique vers les pays industrialisés, et l’on
retrouve la perpétuation de cette tradition chez les immigrés en Occident.
Dans Rebelle de Fatou Keita, l’excision relève de la tradition, c’est-à-dire d’une transmission
intergénérationnelle de coutumes, de savoirs, d’idéologie. Cette pratique est transmise de mère
en fille comme un héritage culturel qui se pérennise dans la tribu et s’intègre de manière
naturelle dans les mœurs. Elle devient alors une identité culturelle, la marque d’appartenance à
un groupe social. On peut de ce fait considérer l’excision comme un habitus qui désigne pour
Norbert Elias un: «savoir social incorporé» qui sédimente au cours du temps et façonne, telle
une «seconde nature», l’identité tant individuelle que collective des membres d’un groupe
humain qu’il s’agisse d’une famille, d’une entreprise, d’un parti ou d’une nation.».14
La femme est la conservatrice et la garante de cette tradition, cela est dû à son rôle central dans
la société africaine. Elle est en effet celle à qui revient le devoir d’inculquer des savoirs et des
savoir-faire à sa descendance à travers l’éducation et la pratique. Ceci traduit bien la conception
de l’habitus chez Pierre Bourdieu qu’il estime être:
Le produit du travail d’inculcation nécessaire pour que ces produits de l’histoire
collective que sont les structures objectives (e. g. de la langue, de l’économie)
parviennent à se reproduire, sous la forme de dispositions durables, dans tous les
organismes (que l’on peut, si l’on veut, appeler individus) durablement soumis aux
mêmes conditionnements, donc placés dans les mêmes conditions d’existence.15
14
« Termes clés de la sociologie de Norbert Elias », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 106, 7 avril 2010, p.
29-36
15
Pierre Bourdieu, Esquisse d’une théorie de la pratique. Précédé de Trois études d’ethnologie kabyle, Paris,
Points coll. Essais, 2015, p. 282.
16 Fatou Keita, Rebelle, Op. Cit. p. 11
17Ibid. p. 12
18
Ibid. p. 26
19
Ibid. p. 123
3
-Je ne veux pas passer cette épreuve, déclara Malimouna brusquement.
Matou jeta l’éventail qu’elle tenait et se leva d’un bond.
-Maudite fille! De quoi parles-tu? Tu veux que nous soyons la risée du village?20
L’excision au même titre que la circoncision, est considérée traditionnellement comme un rite de
passage de l’enfance à l’âge adulte. Ainsi, comme les jeunes hommes circoncis font désormais
partie d’une caste respectée et enviée par ceux qui n’y ont pas encore accédé, il en est de même
pour les jeunes filles excisées. Dans Rebelle l’excision marque l’entrée d’un groupe de fillettes
de la même classe d’âge dans le cercle des femmes, bien qu’elles n’aient que huit ans ou beaucoup
moins. Dès lors elles sont estimées et acclamées en grande pompe au cours de cette cérémonie,
recevant ainsi avec fierté la reconnaissance et la considération collective des leurs:
Les tam-tams résonnaient de toutes parts, et l’assistance battait des mains pour
encourager les douze fillettes qui faisaient l’objet de la cérémonie. Le grand jour
est arrivé. Elles allaient devenir des femmes dignes d’être respectées et pour cela,
elles devaient faire montre d’un courage et d’une dignité sans appel [...] le village
entier les admirerait, car elles seraient devenues de vraies femmes.24
20
Ibid. p. 15
21
Ibid. p. 18
22
Rapport Digest innocenti, op. cit p. 19
23
Norbert Elias, Scotson John L., Logiques de l’exclusion, Paris, Fayard, 1997.
24 Rebelle, op. Cit p. 13
4
Cela renforce chez les femmes excisées et leurs parents, le sentiment d’appartenance à la
communauté. C’est en quelque sorte pour eux «un signe de distinction sociale, ethnique et
physique»25 qui leur confère une importance et une valeur.
L’excision est en outre désignée dans le texte par l’expression «première épreuve de femme»26;
ce rite peut de ce fait être considéré comme une école d’apprentissage de la douleur, une initiation
à la souffrance pour de jeunes enfants pas encore nubiles. La souffrance est d’ailleurs présentée
dans le roman comme inhérente à la nature des femmes, qui n’ont d’autres choix que de s’en
accommoder:
La femme ici subit le déterminisme social de son sexe qui l’assujettit aux stéréotypes sur le genre,
et lui enlève toute liberté de choix.
5
De la philosophie au mythe et d’un millénaire à l’autre, l’imaginaire de la
représentation du sexe féminin oscille entre l’inertie du lieu informe et la démesure
du sexe sauvage, lequel doit être soumis aux lois de la civilisation qui comporte, en
premier lieu, la scène primordiale de l’excision32.
L’excision est par ailleurs légitimée par son rôle esthétique et sanitaire, car cette pratique est
censée purifier la femme en lui ôtant un organe inesthétique et malpropre. Tanella Boni observe
à ce propos que le sexe féminin est considéré comme: «étrange», «informe», «laid», «sale»,
«souillé», «incomplet», «impur». Elle poursuit en affirmant que:« La beauté du sexe compte
autant que sa propreté et sa respectabilité. Mais de toute évidence, le sexe ne semble pas
participer de cette beauté originelle que les hommes auraient pu attendre du sexe de l’autre,
sexe étrange qui fait peur autant qu’il attire33». Le sexe féminin catalyse ainsi toutes sortes de
croyances négatives et de préjugés, qui renforcent l’idée que le clitoris est un organe malsain
qu’il faut supprimer. On peut alors se demander avec Malimouna: «pourquoi, après tout, avait-
on peur de la sexualité féminine? Pourquoi une femme ne devait-elle pas ressentir le même plaisir
qu’un homme?»34
L’époux de Malimouna, que lui a imposé son père à 14 ans, est d’ailleurs outré à la vue de son
clitoris la nuit de leurs noces où il l’a prise de force. La présence de cet organe «répugnant» le
glace de stupéfaction et d’horreur comme le décrit la scène suivante:
Il s’était redressé pour admirer le spectacle de son jeune corps, et c’est alors que
son regard s’était figé sur sa vulve. Les yeux exorbités, il avança la main. [...] Le
vieux Sando bondit sur elle et lui écarta violemment les genoux. Il avait peut-être
mal vu. Il avait peut-être rêvé! [...] Sa main gauche écarta les lèvres. Il avait bien
vu. Il la lâcha alors, en poussant un cri horrifié. Il se leva brusquement, enfila son
boubou et se dirigea vers la porte35.
Le sexe intact de Malimouna lui apparait alors comme monstrueux, car il a conservé cette partie
abominable qui représente la dépravation féminine, celle que l’excision aurait dû lui enlever.
Sando se sent souillé, trahi, et avec lui toute la communauté qui s’est vue ainsi abusée, bafouée,
et outragée dans son honneur.
À la lumière de ce qui précède, il apparait que l’excision dans Rebelle trouve son ancrage dans
la pérennisation de la tradition, elle-même liée à une conception du monde et un mode de pensée
culturels bien implantés. Cette assise lui confère des rôles et des représentations légitimés et
acceptés comme naturels et immuables par la communauté. Cependant l’excision a des
conséquences néfastes sur le plan individuel et social.
III- Incidences individuelles et sociales de l’excision.
a) Impacts individuels
32
Tanella Boni, «Corps blessés, corps retrouvés? Les discours sur les mutilations sexuelles féminines »,
Diogène, n° 225, Presses Universitaire de France, janvier 2009, p. 17
33
Ibid. p. 18
34 Rebelle, p. 39
35
Ibid. p. 219
6
L’excision se pratique généralement de manière sommaire sans anesthésie, avec des outils
rudimentaires dont la stérilisation est douteuse. C’est le cas dans Rebelle où l’exciseuse utilise
une lame comme outil chirurgical, et en guise d’anesthésie des colas qu’elle donne à mordre
aux fillettes pour étouffer leur cri de douleur36; elle soigne de même leurs plaies avec des
onguents de plantes censés les cicatriser37. Au cours de cet acte douloureux, en plus de la
souffrance physique, les fillettes ressentent également un traumatisme psychologique, une
immense peur qui les pousse souvent à vouloir s’échapper38. L’extrait suivant évoque l’angoisse
et la frayeur qu’elles répriment: « (...) les autres petites filles [étaient] déjà étendues sur la natte,
les yeux fermés. Des larmes coulaient sur leurs tempes et, de temps en temps, l’une d’elles
laissait échapper un sanglot étouffé»39.
The varying forms of these procedures are not considered a health hazard by those
on whom it is performed. Short term effects include ulceration, hemorrhaging,
septicemia and tetanus infections exacerbated by the use of crude, unsterilized
instuments which can be severe enough to result in death. Long-term effects include
retention of urine, disturbances of menstruation, blood clots, edema, obstetrical
complications, sterility, psychological trauma and frigidity. It also helps to spread
AIDS42.
L’excision touche ainsi à l’intégrité physique et morale des femmes, elle entraine de graves
conséquences sanitaires, et peut conduire à la mort de ses victimes. Il en est ainsi de la petite
Noura 11 ans dans Rebelle; Excisée en France par ses parents contre sa volonté, elle décède des
suites d’une hémorragie: «La petite Noura était morte d’une hémorragie dans les souffrances
les plus atroces. Elles s’était farouchement débattue pendant l’opération, ce qui avait provoqué
une très mauvaise entaille»43.
Le triste constat qui en ressort est que l’excision en plus d’enlever leur innocence et leur enfance
aux fillettes leur ôte également la vie. Aux vu de ses lourdes conséquences, l’on peut donc
36
Ibid. p. 14
37
Ibid. p. P. 27
38 Rebelle, p. 25
39
Ibid. p. 26
40
Rapport Digest innocenti, op. Cit p. 7
41 David M. Westley, Female Circumcision and infibulation in Africa, EJAB, vol 4, 1999
42 Op. cit p. 1
43
Rebelle, p .126
7
affirmer que cette pratique est néfaste, car elle entrave l’épanouissement de ses victimes et porte
atteinte à leur intégrité.
b)- Une violence individuelle et sexiste
L’excision se fait généralement sous la contrainte qu’elle soit tacite ou explicite, puisque ce
n’est pas volontairement que les jeunes filles se rendent chez l’exciseuse. Elles ressentent de la
peur et de l’angoisse mais sont obligées de passer par ce rite «normal» qui leur confère respect,
dignité et féminité selon la tradition. Certaines ont essayé de s’y soustraire, mais ont été
rattrapées et emmenées de force vers leur bourreau; tel est le cas de Noura 44, de Malimouna
(invectivée et culpabilisée par sa mère et par l’exciseuse afin qu’elle se fasse exciser45), ainsi
que des fillettes excisées «de plus en plus jeunes pour éviter, comme cela était parfois le cas,
qu’elles n’aient l’idée de s’enfuir au moment crucial»46. Le rite de l’excision tel que décrit dans
le roman, est essentiellement empreint de violence dans son cadre et dans son déroulement
comme on peut l’observer dans Rebelle: des femmes gardent l’entrée de la case où se déroule
l’excision et interviennent si besoin est pour immobiliser les jeunes filles 47; de même
l’exciseuse couvre la bouche de Malimouna de sa main pour l’empêcher de crier48. Il appert
ainsi que le consentement des victimes de l’excision n’est pas requis, et que leur refus n’est pas
pris en compte. C’est donc une atteinte à la liberté des femmes qui y sont soumises.
Par ailleurs, selon l’UNICEF:«Au sein de toutes les sociétés où elle est en usage,
l’excision/MGF constitue une manifestation de l’inégalité des genres profondément ancrée dans
les structures sociales, économiques et politiques»49. L’excision place effectivement la femme
en position d’infériorité par rapport à l’homme, car elle est pratiquée pour contenir le désir de
la femme au profit de celui de l’homme. Son corps mutilé devient de ce fait un objet-réceptacle
qui ne lui appartient plus, car il est désormais consacré uniquement au plaisir sexuel de son mari
et à la procréation. La femme est dès lors soumise à la domination du patriarcat, qui assoie son
pouvoir par une violence symbolique. La violence symbolique est un concept développé par
Pierre Bourdieu dans son ouvrage La Reproduction50. Pour lui c’est une violence qui permet de
rendre légitimes des actions et des modes de pensée arbitraires des dominants aux yeux des
dominés. Elle est subtile et invisible, car elle installe une obéissance tacite chez le dominé qui
adhère volontairement à l’ordre social du dominant qu’il voit comme évidente et nécessaire.
Les dominants naturalisent ainsi leur supériorité et la perpétue de manière durable. Parmi les
canaux de cette violence symbolique il y a la tradition et l’éducation, qui opèrent un long travail
psychique de persuasion et d’adhésion chez les dominés. Dans Rebelle, des femmes prennent
finalement conscience de cette violence symbolique contre laquelle elles s’insurgent:
Leur éducation et leur culture avaient fait comprendre à ces femmes qu’elles
étaient des êtres fragiles, très facilement corruptibles, et qu’elles avaient donc
besoin d’être contrôlées et maîtrisées. Il fallait, pour ce faire, leur retirer cet organe
44
Ibid. p. 125
45
Ibid. pp. 15 et 21
46
Ibid. p. 25
47
Ibid. p. 26
48
Ibid. p. 27
49
Rapport Digest innocenti, op. Cit p.19
50 Pierre Bourdieu, Jean Claude Passeron, La Reproduction, Paris, Les Éditions de minuit, 1970.
8
singulièrement érogène qui, autrement, ne pouvait que les entraîner à la luxure et
à la débauche... [...] Elles prenaient véritablement conscience d’une injustice
qu’elles n’avaient jamais considérée comme telle, conditionnées et résignées
qu’elles étaient à un sort auquel elles ne pouvaient pas vraiment échapper. Ce
qu’elles avaient vécu était supposé être la norme, mais elles se rendaient compte
qu’il ne tenait qu’à elles que cette norme soit revue et corrigée afin que s’estompe
progressivement la domination exercée sur leur corps et leur esprit 51
En réalité donc rien ne justifie la mutilation des femmes, la souffrance qui s’ensuit et le
traumatisme que cet acte atroce occasionne, sinon la volonté de domination et de contrôle du
patriarcat. En conséquence, l’excision peut donc être considérée comme une violence sexiste
qui porte atteinte aux droits de la femme et de l’enfant.
Il est évident ici que l’excision est considérée par certains États, comme une pratique culturelle
particulière qui relève du domaine privé. Aussi sont-ils réticents à s’impliquer dans la lutte pour
son éradication, et rechignent-ils à appliquer les lois qui la concernent. Néanmoins en tant que
51
Rebelle, p. 218-220
52
La Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF), 1979 et la
Convention relative aux droits de l’enfant (CDE), 1989.
53
Source: Rapport Digest innocenti, op. Cit. p. 23
54
Rebelle, p. 228
9
tradition négative, dans la mesure où elle porte atteinte à la dignité des femmes et des enfants,
il parait impératif de déconstruire l’excision.
En outre, Malimouna prône la sensibilisation des femmes et des familles, afin de susciter leur
prise de conscience et leur engagement face à la menace de l’excision. Elle s’engage d’ailleurs
dans une association de protection des droits des femmes dont elle deviendra la présidente. Son
militantisme auprès des femmes est total, car elle-même a subit le viol, le mariage forcé, la
violence conjugale aussi s’implique-t-elle ardemment auprès de ces congénères. Elle est
55
H. Mitterrand, Le Discours du roman, Paris, Presses Universitaires de France, 1980, P.5. et P.17.
56
Ibid., p 7
10
convaincue que les femmes devraient être sensibilisées à l’excision car elles en sont les
victimes directes, ainsi que des mères qui:
En tant que mère, en laissant faire, et même en encourageant cette coutume, elles
avaient commis des erreurs, certes par ignorance, mais en ayant souvent leur part
de responsabilité. Aujourd’hui, les femmes n’avaient plus le droit d’ignorer non
seulement l’inutilité de cette pratique -ce rituel sans fondement religieux- mais
aussi et surtout son caractère nocif 57
Elle associe également dans son combat les medias, la société civile, les autorités
administratives et religieuses, ainsi que les hommes qu’elle n’exclut pas des débats, bien que
certains craignent que son action donne un mauvais exemple à leurs épouses et déstabilise leur
foyer. L’engagement de Malimouna démontre ainsi que tout le monde est concerné par
l’excision qui est un véritable problème de société sur lequel on ne pas fermer les yeux, car
tous, hommes, femmes enfants sont interdépendants les uns des autres, et sont affectés par les
souffrances de chacun. Tous ont le devoir de s’indigner, de dénoncer, de remettre en question,
et même de transgresser des traditions qui portent atteinte à la dignité humaine. Se rebeller
contre les injustices où qu’elles soient est de ce fait une obligation.
Conclusion
Rendu au terme de notre analyse qui avait pour but d’examiner à la lumière du roman Rebelle
de Fatou Keïta, l’ancrage et la légitimité traditionnelle de l’excision, son impact tant individuel
que social, sa conformité aux droits humains, et sa nécessaire déconstruction, force est de
constater que cette pratique va à l’encontre des droits humains. En effet, bien que l’excision tire
sa légitimité de la tradition qui la sous-tend car elle y voit un bien-fondé socio-culturel, il n’en
demeure pas moins que cette pratique a des conséquences négatives sur les femmes et les
enfants, et qu’elle constitue une violence individuelle et sexiste qui va à l’encontre les droits
humains. Aussi s’avère-t-il essentiel d’œuvrer à son éradication par l’instruction, la
sensibilisation, la prise de conscience et l’engagement de tout un chacun dans cette lutte. De
même, le rôle des gouvernements est capital, car ils doivent veiller à l’application des textes de
lois qui visent le respect des droits des femmes et des enfants. En mettant en exergue l’excision,
Rebelle interpelle ainsi à se pencher sur un problème crucial qui met en péril la dignité humaine,
et principalement celle de la femme. Cette œuvre invite également à savoir discerner les aspects
positifs de la tradition qu’il faut préserver, de ses aspects nuisibles qu’il faut abandonner. C’est
pourquoi elle appelle les femmes, mais aussi les hommes, à rester «solidaires et infatigablement
concernées par ces injustices institutionnalisées»58 qui doivent permanemment être remises en
question.
Bibliographie
Corpus
Keita F., (1998), Rebelle, Paris, Présence africaine.
57
Ibid., p. 1997
58 Rebelle, p. 222
11
Autres romans
Beyala, C., (1988), Tu t’appelleras Tanga, Paris, éditions Stock, Coll. J’ai Lu, poche.
Hamitraoré, (2012), Le Couteau brûlant, Abidjan, Frat Mat Éditions.
Ka, M., Aminata, (1998) La voie du salut, suivi de Le Miroir de la vie, Paris-Dakar, Présence
Africaine.
Ouvrages théoriques
Bourdieu, P. (2015), Esquisse d’une théorie de la pratique. Précédé de Trois études
d’ethnologie kabyle, Paris, Points coll. Essais.
Mitterrand, H., (1980) Le Discours du roman, Paris, Presses Universitaires de France,
Ouvrages généraux
Bourdieu, P., Passeron J.C, (1970) La Reproduction, Paris, Les Éditions de minuit.
Elias, N. et L., John, Scotson, (1997), Logiques de l’exclusion, Paris, Fayard.
Articles
Amoës, M., (2016), «Approche psychanalytique de l’excision et de l’infibulation», sur
https://fr.linkedin.com/pulse/approche-Psychanalitique-de-l’excision-et-myriam-amoës ,
publié le 17 septembre 2016.
Boni, T., (janvier 2009), «Corps blessés, corps retrouvés? Les discours sur les mutilations
sexuelles féminines», Diogène, n° 225, Presses Universitaire de France.
Porgès, L., (2000), «Un thème sensible: l’excision en Afrique et dans les pays d’immigration
africaine», in Afrique contemporaine. L’excision en Afrique, N° 196, 4e trimestre.
Westley, D. M, (1999), « Female Circumcision and infibulation in Africa», EJAB, vol 4.
«Termes clés de la sociologie de Norbert Elias», Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 106, 2
avril 2010.
12