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Textyles
Revue des lettres belges de langue française

47 | 2015
Bruxelles, une géographie littéraire
Chroniques
Comptes rendus

DOMINGUES DE ALMEIDA (José), De la


belgitude à la OPENEDITION
belgité. Un débat
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qui fit date


Bruxelles, PIE Peter Lang, coll. Documents pour l’Histoire des
Francophonies, n° 30, 2013, 124 p.

JEAN-PAUL DE NOLA
https://doi.org/10.4000/textyles.2333

Référence(s) :
DOMINGUES DE ALMEIDA (José), De la belgitude à la belgité. Un débat qui fit date, Bruxelles, PIE Peter Lang,
coll. Documents pour l’Histoire des Francophonies, n° 30, 2013, 124 p.

Texte intégral
1 Un critique lusophone, visiblement inspiré par un homme de lettres et haut
fonctionnaire belge, s’est penché sur la polémique, d’abord courtoise, bientôt
envenimée, qui opposa, de 1976 à 1986 à peu près, les tenants de la littérature
française de Belgique à ceux de la littérature belge d’expression française. Ces deux
dénominations étaient précisément l’objet de la controverse. Dans le premier camp,
nous trouvions, dès 1937, les firmataires du Manifeste du lundi (Thiry, Vivier, Le Roy,
Hellens, Gevers, Ghelderode…), qui niaient toute autonomie à la création littéraire en
Belgique, dont les écrivains seraient Français au même titre que leurs confrères picards
ou bourguignons. Dans les années 1970-1980 les survivants du « lundisme », Charles
Bertin et André Miguel en tête, s’appuyaient sur la très officielle Académie de langue et
de littérature françaises de Belgique et sur l’Association des écrivains belges, tout aussi
conformiste. Les « anciens » ou « lundistes » se repliaient sur un français hypercorrect
et un peu gourmé et sur un style qu’on a qualifié – à tort – de néo-classique.
2 L’autre tendance, intitulée « moderne » ou « nationaliste », mais je préférerais
l’appeler « patriale », était animée par le romancier Pierre Mertens et le sociologue
Claude Javeau, bientôt rejoints par Marc Quaghebeur et Jacques Sojcher. Abstraction
faite de ce qu’on appelle « l’école liégeoise », d’inspiration sociologique et représentée
par Jean-Marie Klinkenberg et Jacques Dubois. Les « nationalistes » se solidarisaient
avec la Commission des Lettres et avec le Théâtre-Poème de Monique Dorsel. Ils
entendaient assumer, « à égale distance d’une vergogne imbécile et d’un orgueil
déplacé » (Pierre Mertens), leur spécificité nationale et leur adhésion au modernisme,
voire à un avant-gardisme qui ne reculait pas devant les pires boursouflures du langage
(Marcel Moreau, Jean-Pierre Verheggen), ni dans le discours théorique d’un
Quaghebeur, devant les néologismes les plus voyants que José Domingues de Almeida
s’approprie avec enthousiasme : déshistoire, conscientisation, historial, sociétal,
exilique, essayistique, agéographique et cette perle : surmoїque (< sur-moi ?).
3 Mais reprenons l’historique de cette nouvelle « Querelle des Anciens et des
Modernes ». En politique, entre 1970 et 1990, les partis s’étaient orientés vers la
fédéralisation progressive du Royaume. C’est au beau milieu de cette période plutôt
néfaste – puisque 310 000 Francophones de Flandre furent abandonnés à leur sort –
que des appartenants à la faction « nationaliste » ou « moderne » lancent, coup sur
coup, quatre pavés dans la mare : L’Autre Belgique, numéro spécial (novembre 1976)
des Nouvelles littéraires, qui introduit le néologisme « belgitude » ; La Belgique
malgré tout, fascicule anthologique de la Revue de l’Université Libre de Bruxelles
(1980) ; Lettres françaises de Belgique : Mutations (même année), mélanges
coordonnés par Joseph Hanse ; Balises pour l’histoire des lettres belges de langue
française (1982) par Marc Quaghebeur. Ces quatre « pavés » étaient d’origine plutôt
bruxelloise, donc centraliste, que wallonne.
4 C’est donc paradoxalement, au moment où les politiciens s’évertuaient à relâcher les
liens historiques qui unissaient les trois régions de Belgique, que plusieurs voix, et non
des moindres, invoquaient un nouveau patriotisme culturel. Qui plus est, la
« génération de la belgitude », cadette des lundistes, s’empare alors pacifiquement du
pouvoir. Les subventions à l’édition et aux manifestations culturelles, qui étaient du
ressort d’un ministre national, passent dans les mains d’un responsable régional ou
communautaire francophone, qui pourrait corriger en l’occurrence ce que la législation
fédérale aurait de trop sectaire. Je crois même qu’un écrivain francographe qui serait
né ou résiderait au nord de la sacrosainte « frontière linguistique » (inventée par les
flamingants) ne perdrait pas tout espoir d’encouragement officiel. De nouvelles revues
littéraires naissent, certaines à distribution gratuite, les éditeurs consacrent de
nouvelles collections aux auteurs belges, classiques et actuels.
5 Tout est donc pour le mieux dans le meilleur des royaumes possibles ? Pas tout à fait,
car l’auteur de l’essai qui nous occupe ne se sent pas heureux. Il souffre – et la Belgique
francophone avec lui – d’un malaise dû à la déshistoire, à l’exil intérieur, à la bâtardise,
au déni et au creux héréditaire (qui serait opposé au plein représenté par Paris
dévorateur). Trêve d’ironie : ne s’agit-il pas de faux problèmes ? La Belgique a produit,
et produit encore, de bons romans, de beaux recueils de poésie, de spectaculaires pièces
de théâtre. Ces œuvres sont accueillies avec faveur au-delà de Quiévrain. Ce que Marie-
France Renard signale dans sa préface (p. 10) au livre en question m’étonne : certains
auteurs belges publiés à Paris (Charles Plisnier, Eugénie De Keyser) furent priés par
leurs éditeurs de gommer « les traces les plus évidentes d’enracinement belge de [leur]
fiction », particulièrement les toponymes. Sans doute s’agit-il de deux cas isolés.
Maeterlinck, malgré – ou plutôt à cause de – sa sensibilité nordique, ne fut-il pas salué
à Paris comme un nouveau Shakespeare ? Et Ghelderode, de tempérament germanique,
ne provoqua-t-il pas une fièvre contagieuse sur les scènes de la capitale ?
6 De toute façon, vers 1990 la notion de belgitude subit un fléchissement, étant donné
que l’inféodation au mythe du français supranational était moins à craindre. Un
universitaire italien, Ruggero Campagnoli, propose alors de substituer au terme
belgitude, un peu péjoratif (parce qu’il fait penser à solitude ou à inquiétude ?) ou à
belgeoisie, plutôt vieilli, un autre néologisme : belgité, par analogie avec francité. C’est
sous ce drapeau tout neuf que les hérauts des lettres nationales continuent à souligner
l’originalité de leur production. De la belgitude à la belgité : José Domingues
de Almeida nous en a rappelé les étapes, avec une bonne volonté un tantinet
tendancieuse.

Pour citer cet article


Référence électronique
Jean-Paul de Nola, « DOMINGUES DE ALMEIDA (José), De la belgitude à la belgité. Un débat qui fit
date », Textyles [En ligne], 47 | 2015, mis en ligne le , consulté le 27 janvier 2024. URL :
http://journals.openedition.org/textyles/2333 ; DOI : https://doi.org/10.4000/textyles.2333

Auteur
Jean-Paul de Nola
Sociétaire des Gens de lettres de France

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