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Sommaire
Sommaire 3
Introduction 5
La femme celte 7
Une femme différente 8
La femme dans la société antique 13
A partir du Moyen Age 16
Prêtresse d’autrefois 27
Les prophétesses 31
Les magiciennes ou « sorcières » 34
Les femmes et le sacrifice 39
Enseignante et initiatrice 42
Evolution du statut religieux 45
Rencontre avec « La déesse » 47
Déesse oubliée 50
Guerrière et souveraine 57
Les Reines et les princesses 57
Les femmes guerrières 58
Bouddica et Andrasta 59
Graine, Deirdré, Iseult, Guenièvre 62
Morrigane 63
La souveraineté et le royaume 64
Mebd 69
La Mère divine 71
Dana 76
Tailtiu 77
Boan 80
La Reine du Ciel 83
Brigid 83
Belisama 87
Bougies et feu 88
Linge, tisser, filer 91
La farine, le lait 93
Survivance de Brigid 95
La guérisseuse Airmed 101
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La Reine des Fantômes 103
La Déesse du « mal » 106
La Déesse de la mort 108
La mort et la terre 109
L’Autre Monde et le Sidh 112
L’autre monde : l’inconscient 114
Le sommeil et la mort 114
La mort, l’île et l’eau 116
Morgane gardienne de l’Ile 117
Les dames blanches 120
Les lavandières 122
Les Banshee 124
Les femmes du Sidh 127
Les femmes oiseaux 129
Les Déesses juments 133
Epona 134
Macha 138
Rhiannon 139
Les femmes serpents 141
Melusine 141
Femme impure 145
Les menstrues fécondes: 147
La virginité 152
Sexe et obscénité 156
Reine des métamorphoses 164
Cailleach 167
Blodeuwedd 167
Cerridwen 169
Etain 170
Le féminin retrouvé 176
Le pôle féminin autrement 176
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Introduction
Depuis la nuit des temps, la femme serait reléguée aux fourneaux, aux couches,
au ménage, à la maternité, au silence.
A propos de la femme, qu’elle soit chrétienne ou païenne en faisant référence
aux cultures grecques et romaines, Benoîte Groult conclut :
« En Somme, païenne ou chrétienne, la femme demeurait la mauvaise moitié de
la terre, et les Pères de l’Eglise, avec moins de talent mais plus de fanatisme que
les penseurs de l’Antiquité, allaient confirmer la triste vérité : Platon, Aristote,
saint Paul, Tertullien même combat ! »1
L’infériorité de la femme n’est pas une question de nature, mais exclusivement
une question de culture, elle est induite par la société qui la génère.
La femme n’a pas toujours et partout été considérée comme un sous homme, elle
n’a pas toujours été mise dans un « placard ». Deux exemples de sociétés nous
en fournissent la preuve, de par l’étal de leurs croyances religieuses mais aussi
de par le modèle de société qu’elles ont véhiculé. La société celtique, comme la
société germanique, n’a pas généré de clivages hiérarchiques entre les deux
protagonistes.
C’est à travers la société celtique, son évolution et son muselage, que je nous
propose de « creuser » plus avant.
1 Benoîte Groult, Histoire d’une évasion, Editions Grasset & Fasquelle, 1997, p 29
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Il s’agit pour moi de démontrer que la femme n’a pas « toujours » et pas
« partout » été enrôlée dans une situation que sans ce constat on peut croire
factuelle.
Je suis persuadée que nous trouvons des modèles de sociétés égalitaires,
naturelles, partout dans le monde, en acceptant de sortir de nos ornières et de ne
pas considérer unique le modèle gréco-romain ou judéo – chrétien. Cependant le
choix de la tradition celtique n’est pas anodin. Trouver dans notre propre histoire
un modèle et un exemple d’une telle ampleur, ne pouvait que m’interpeller, « me
parler » et me donner envie de le transmettre.
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La femme celte
Il est si difficile d’appréhender la « femme celte » dans toute sa globalité ! Elle
est mouvante et glissante, fluide et insaisissable. Ses multiples visages se
recoupent et se confondent. Lorsque l’on pense en comprendre un, il se
métamorphose aussitôt. Et c’est bien ce qu’est la femme celte, cette magicienne,
cette force à la fois brumeuse et rayonnante. Cependant elle mérite que nous
fassions l’effort dans l’espace et dans le temps de nous pencher sur ses
particularités parce qu’elle est une femme qui démontre qu’elle peut
naturellement tenir une place de « semblable ». Loin des clichés et des certitudes
contemporaines, elle nous permet d’en entrevoir une autre, telle que la donne
Isaure Gratacos dans une société « matristique », à propos de la femme dans la
société couseranaise jusqu’à la révolution.
« Car il ne semble pas qu’il y ait jamais eu prééminence féminine pour le nom
ou l’autorité, l’égalité, simplement, existait entre hommes et femmes, égalité
juridique et économique […] Aussi plutôt que d’une société matriarcale
pouvons–nous parler d’une société matristique. Il y a en effet dans les structures
sociales et les relations conviviales entre les deux sexes une réciprocité qui est
aussi symétrie. Ici, pas de « complémentarité » mutilante pour l’un des deux
groupes, mais plutôt une simple égalité dans la différence. »2
Voilà des années que je collecte et que je « tourne autour » de cette femme celte.
J’en connais aujourd’hui suffisamment les contours pour oser tenter de la
dessiner. Le plus délicat est de trouver par quel bout commencer et comment la
répertorier sans me perdre. Peu à peu se sont dessinés de grands traits, qui, s’ils
se recoupent n’en sont pas moins des traits parfaitement identifiables et
reconnaissables. C’est par eux que j’ai choisi d’essayer d’aborder les différentes
fonctions inhérentes à la féminité celtique, à savoir, sa réalité dans la
communauté, sa fonction souveraine et guerrière, mère et nourricière, Reine du
ciel (femme solaire) et Reine des Fantômes (Reine de la nuit). Le pouvoir de
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métamorphose est apparu comme « le » pouvoir féminin par excellence, aussi
c’est lui qui clôturera ce travail.
Isaure Gratacos dans son étude sur les traditions pyrénéennes3 ne se trompe que
sur un point, celui de ne pas relier la tradition qu’elle étudie à la tradition
celtique. En effet la zone qu’elle approche, Comminges, Couserans, est la zone
celte des Pyrénées, tant par la toponymie que par les pratiques qu’elle expose.
Les noms des villages et des sites sont très proches des noms gaulois repérés en
Bretagne sud (Région de Vannes par exemple). Ces mots et ces noms finissant
par « ac » se retrouvent aussi dans les zones les plus éloignées, les plus protégées,
les plus excentrées, si on les compare aux places les plus usitées des Romains et
du monde moderne. Ainsi est une grande tranche centrale, comme resserrée,
coincée, qui va de la Bretagne « Gallo » à la zone Comminges Couserans,
passant par la Lozère, le Cantal, le Lot etc. Si l’on compare leurs us et leurs
coutumes, toutes empreintes de paganisme, on peut constater d’emblée leurs
fines similitudes avec celles que l’on retrouve dans toutes les campagnes
françaises, et de l’Alsace à l’Irlande. Si Isaure Gratacos avait compris que la
tradition des Celtes n’est pas tant indissociable de l’histoire qui la précède, si
elle l’avait mieux connue, elle aurait sûrement fait le parallèle et aurait même
ouvert d’autres pans judicieux.
Cependant, indépendante de ce fait, son analyse est intéressante. Sa manière de
travailler, en allant directement à la source orale, ses compétences et son
humanité, sont l’assurance d’une collecte vraie. Son approche est astucieuse et
fort intelligente. Recoupant ces travaux à ceux des différents auteurs sur lesquels
je me suis appuyée dans la rédaction de cet ouvrage, nous pouvons accéder à une
synthèse et une vue assez juste de ce que les us et coutumes peuvent contenir de
commun avec la tradition des Celtes.
Le fait que la zone centrale des Pyrénées est à traiter différemment de ses
voisines, Catalanes et Basques est attesté dès le début de son ouvrage :
3 Ibid
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« Il nous a pourtant fallu arriver jusqu’à ces dernières décades – avec – en
particulier, les travaux de Gabriel Chevalier (La vie humaine dans les Pyrénées
ariégeoises, Génin, 1956) et, surtout, ceux de Jean François Soulet (La vie
quotidienne dans les Pyrénées sous l’ancien régime, Hachette, Pris, 1974) –
pour découvrir, cette caractéristique originale dans nos sociétés patriarcales
européennes. »4
Or le premier exemple soulignant cette singularité est l’égalité des femmes et
des hommes :
« Chez nous, les femmes ne sont jamais restées debout pendant que les hommes
mangeaient », dit fièrement Jean Boué, à Arbon. »5
Et de s’étonner que cette particularité juridique n’ait pas été plus souvent
soulignée. Elle cite Elisabeth Badinter qui dans un ouvrage amplement
documenté va jusqu’à écrire « Il est vrai qu’à scruter la période proprement
historique de nos sociétés, nous ne trouvons trace que d’un patriarcat qui a
souvent pris la forme d’un pouvoir masculin absolu ».6
Voilà exactement l’exemple de notre société qui prend pour acquis une vérité
partielle et ne tient compte ni de sa véritable histoire ni de son véritable passé.
Car enfin le statut de la femme celte est ce statut de femme égale et libre que
décrit si bien Agnès Audibert en parlant de la Bretonne :
« L’histoire et la mythologie celtique restituent les échos du grand prestige des
femmes et il semble impossible d’avoir de celles–là une idée juste si l’on
méconnaît les particularités du statut féminin. Analysé en termes actuels propres
à l’Ethnologie et la Sociologie, il est celui d’une très grande liberté et
autonomie, d’une visibilité sociale et politique certaine, d’un pouvoir d’action
et de décision manifeste ».7
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Cette particularité est extrêmement claire si l’on se réfère aux textes antiques et
aux mythologies celtiques qui ne sont pas, contrairement, à ce que l’on peut
imaginer, pauvres en la matière :
«Il s’agit d’annales et de généalogies mais aussi de légendes ainsi que de traités
de droit. D’après Myles Dillon, ceux–ci « sont probablement les documents les
plus importants de toute le tradition littéraire d’Europe occidentale, tant par
leur volume considérable que par l’archaïsme de leur contenu » (Nora
Chadwick, Myles Dillon et Christian Guyonvar’ch, Les Royaumes Celtiques,
Fayard, 1974, P 85) bien que traduit tardivement, ils ont été conservés pendant
des siècles par la tradition orale. »8
Dans le monde celte antique nous est donné un exemple de révérence à la femme
par un Celte célèbre, Caratacus :
Nous pouvons imaginer l’état d’esprit qui peut animer un prisonnier libéré. Sans
doute ne va-t-il pas chercher à blesser ou humilier son libérateur, et encore moins
lui faire quelques farces. En quelque sorte il va agir par instinct suivant sa culture
et son éducation en l’honorant. Ainsi Caratacus, rend les mêmes hommages à la
Dame qu’à L’Empereur. Il est navrant que cet épisode ne soit pas plus connu,
car il dénote clairement combien la femme dans l’esprit celte n’est pas une
« potiche » ou un « faire valoir », un sous–être, mais un être méritant les mêmes
hommages que l’homme.
8 Ibid
9 Ibid
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« Polyen dans ses « stratagèmes », déclare même ceci : « Quand les Celtes
délibèrent soit sur la paix, soit sur la guerre, soit sur d’autres sujets d’intérêt
commun pour eux–mêmes ou pour leurs alliés, c’est sur l’arbitrage des femmes
qu’est réglée chaque affaire ».Il cite l’exemple de Brenos qui en 279 avant JC
avant d’entreprendre la campagne de Grèce avait réuni une grande assemblée
composée d’hommes et de femmes. »10
Il ressort généralement des témoignages sur les Celtes et leurs femmes une image
claire et parfaitement bien définie de leurs prérogatives, égalitaires et
parfaitement complémentaires à celles des hommes :
« Ce que les observateurs remarquent essentiellement concerne les possibilités
pour les femmes de jouer un rôle de décision, de conseil, d’influence dans des
domaines ordinairement réservés aux hommes, et cela de façon institutionnalisé
et non occulte, de façon non seulement complémentaire mais aussi égalitaire.
Cette action sociale et politique jouée par les femmes s’intègre au rôle
domestique et en est le corolaire comme le laisse entendre Tacite qui évoque le
prestige associé à la fonction féminine.
« On a gardé le souvenir « de formations qui fléchissaient déjà et vacillaient,
que des femmes ont redressées par la fermeté de leurs adjurations, faisant une
barrière de leurs poitrines » [… bien plus ils croient qu’il y a en elles quelque
chose de sacré et de prophétique, et ils ne dédaignent pas leurs conseils, ils ne
négligent pas leurs réponses. »11
Il est évident que pour les Grecs et les Romains c’est une chose inconcevable de
voir les femmes présentes sur un champ de bataille, qu’elles jouent un rôle
politique, qu’elles semblent en leur foyer les égales des hommes. Aussi une
certaine caractéristique des femmes gauloises va faire jour, presque caricaturale,
démesurée, cette femme grande, violente, forte, effrayante, « inaccoutumée » :
« Tacite mentionne leur présence lors de l’affrontement qui eut lieu entre les
troupes romaines de Suetonius Paulinus et les Ordovices en 61 après JC, à l’île
de Mona « Criant des imprécations, vêtues de noir comme les Furies, les cheveux
10 Ibid, p 18
11 Ibid
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en désordre, brandissant des torches et la stupéfaction des soldats romains
devant ce spectacle inaccoutumé » (Annales, Livre XIV, ch 30)12
L’analyse d’Agnès Audibert est juste quant à la vision épique qui en est donnée :
« Que penser de ces descriptions que l’on peut de nos jours trouver étonnantes
voire amusantes, car il nous semble impossible de croire en un pays où les
femmes soient particulièrement et plus que les hommes dotées de cette
corpulence et de cette énergie titanesques, où sans intention théâtrale elles aient
cette apparence impressionnante. En fait les particularités mises en avant sont
à la fois physiques et corporelles : taille, force, mouvement, action. Elles se
rapportent toutes à ce fait qui étonnent tant les historiens : une présence, une
« visibilité » tellement stupéfiante qu’elle en est décrite sur un mode épique avec
dramatisation des faits et gestes, des apparences. Et c’est cette présence sur les
champs de batailles, dans la vie sociale et politique que tous remarquent et qui
les frappent si fort : il est un pays où les femmes semblent partager avec les
hommes les décisions et les actions concernant la destinée de leur cité, où elles
en sont même les seules dépositaires et souveraines. »14
12 Ibid p 15
13 Ibid
14 Ibid p 16
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par certains traits, terrifiante, mais aussi d’une beauté d’âme, d’une grâce et
d’une douceur peu communes.
Nous connaissons bien les lois antiques de l’Irlande et du Pays de Galles 16 . Et
c’est à travers elles que nous connaissons particulièrement bien le statut juridique
des femmes celtes et le regard de cette société sur la fonction féminine :
« Le sexe n’est pas envisagé en tant que distinction autre que physiologique »17
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« Les maris mettent en communauté, avec la somme d'argent qu'ils reçoivent en
dot de leur femme, une part de leurs biens égale, estimation faite, à cette dot. On
fait de ce capital un compte joint et l'on en réserve les intérêts ; celui des deux
époux qui survit à l'autre reçoit la part des deux avec les intérêts accumulés. »
20
Par ailleurs, la société celte protégeait la femme contre les violences, comme le
viol :
« Le droit irlandais distinguait deux sortes de viol (" forcor " et " sleth "), même
si les mêmes peines s'appliquaient aux deux. Le forcor concernait le viol [forible
?], alors que le sleth couvrait toutes sortes de situation où une femme était
soumise à des relations sans consentement.
Quel que soit le genre de viol, le violeur devait payer le prix de l'honneur, Si la
victime devenait enceinte à la suite du viol, le violeur était entièrement
responsable de l'éducation de l'enfant. »22
Ou le harcèlement sexuel, l’irrespect :
« Le prix de l'honneur au complet devait être payé à une femme qu'on avait
embrassée sans son consentement. Si sa robe était soulevée, elle devait aussi
être dédommagée. Un assaillant devait payer dix onces d'argent pour avoir
touché une femme ou mis sa main dans son corsage et sept cumal et trois onces
pour avoir mis sa main sous sa robe. »23
20 César, De Bello Gallico, VI, 19, in travaux de Pr. Raimund Karl sur les anciennes lois d’Irlande et du
Pays de Galles
21 Travaux de Pr. Raimund Karl sur les anciennes lois d’Irlande et du Pays de Galles
22 Ibid
23 Ibid
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Sur le plan légal encore, elle jouissait d’un certain nombre de droits quant aux
biens qu’elle possédait :
« Une femme avait toujours une influence sur le bien commun qu'elle partageait
avec son mari et, en fonction de son statut dans le mariage, pleine influence sur
son bien propre, pouvait toujours dénoncer un contrat conclu par lui si elle
estimait qu'il était préjudiciable aux intérêts de leur maisonnée. »24
« Dans le droit irlandais, les femmes avaient une sorte de dot (coibche) dont la
mariée gardait une part. Le droit irlandais ne s'occupe pas de la virginité de la
mariée.
Le divorce était autorisé pour de nombreuses raisons, et suivant le type de
mariage et en fonction de celui ou celle qui était responsable de la rupture du
mariage, il ou elle recevait moins, voire rien du tout, du partage de la
communauté. La séparation sans amende ni pénalité était également possible.
En outre, une femme a la capacité juridique sur "son" bien, elle peut prêter
serment pour quelqu'un d'autre sur son bien (par exemple ses outils à broderie,
son sac de travail, une robe), et elle peut aussi être témoin dans le cas d'affaires
concernant sa maisonnée ou les travaux de femmes comme le tissage. » 25
« Les héritières : les banchomardae […] Les filles peuvent hériter d'une
participation à vie dans les terres familiales, ce qui les installe dans la même
pleine capacité légale qu'un homme. Dans le cas où elle épouserait un homme
sans terre ou un étranger, les rôles légaux dans le mariage sont inversés : elle
paye les taxes pour lui et prend les décisions pour la maison commune.
Toutefois, à sa mort, la propriété n'est pas héritée par son mari ou ses fils, mais
elle est reversée à sa propre parenté. » 26
24 Ibid
25 Ibid
26 Ibid
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« En tant qu’être humain physiologiquement différent de l’homme, [la femme],
ne pose précisément aucun problème politique, ni social, ni juridique »27
Des exemples témoins se trouvent jusqu’au IXème siècle dans les Cartulaires de
Bretagne.
« Nous savons qu’au IXème siècle en Bretagne par les cartulaires, qui contenant
de nombreuses formules en vieux breton avec des termes intraduisibles en latin,
continuent cependant d’être une source riche sur l’ancien droit celtique en
Bretagne, en totale opposition avec les idées chrétiennes et romaines concernant
les droits de la femme. »29
Il est d’une évidence encore qu’à cette époque la femme jouit d’une
considération clairement héritée de la tradition celtique.
« Dans ce IXème siècle breton, la femme jouit de droits incontestables, la situation
que lui accordent les lois la privilégie nettement par rapport à sa voisine
franque. Elle peut comme l’homme exercer une souveraineté. On ne trouve
27 Christian Guyonvarc’h & Françoise Leroux, La civilisation celtique, Ouest France, 1990, p.76
28 Isaure Gratacos, Fées et Gestes, Privat, 1986, p 94
29 Agnès Audibert, la Femme en Bretagne, Gisserot, 1993, P35
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aucune loi visant à interdire ou restreindre l’exercice de ses droits
seigneuriaux.»30
De fait, l’homme et la femme sont égaux sur la propriété de leurs biens, tout
comme à l’époque celtique :
« Elle administre ses biens propres à son gré et en dispose sans l’intervention
de son mari. L’homme et la femme gèrent ensemble les biens et le sort de
l’association conjugale, ils se complètent juridiquement dans la communauté
matrimoniale. »31
La principale preuve de l’héritage de ce statut durant le Haut Moyen Age est que
les femmes administrent et gouvernent encore de façon très différente de ce
qu’elles pourront faire à l’époque Classique :
« Alors qu’une Alienor d’Aquitaire, une Blanche de Castille dominent
réellement leur siècle, qu’elles exercent le pouvoir sans conteste dans le cas où
le roi est absent, malade ou mort, qu’elles ont leur chancellerie, leur douaire,
leur champ d’activité personnelle, la femme aux temps classiques est reléguée
au second plan, elle n’exerce plus d’influence que clandestinement, et se trouve
notamment exclue de toute fonction politique ou administrative. Elle est même
tenue, et cela surtout dans les pays latins, pour incapable de régner, de succéder
au fief ou au domaine, et finalement selon notre Code, d’exercer un droit
quelconque sur ses biens personnels. »32
30 Ibid, p 36
31 Ibid , p 39
32 Régine Pernoud, Pour en finir avec le moyen age, Seuil 1977 p 86
33 Plusieurs paroisses
34 Dom Lobineau, « Histoire de Bretagne », Tome1 p 27, in Agnès Audibert, la Femme en Bretagne,
Gisserot, 1993, p 38
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En Comminges Couserans il est bon de noter que la femme, comme les hommes,
en tant qu’aînée, peut être Chef de Famille (« Cap d’Ostau »), gérer la
maisonnée, être héritière et propriétaire de ses biens :
« Le droit d’aînesse et tous les avantages et fonctions attachés à la
primogéniture s’appliquent aux femmes dans les Pyrénées Centrales et
Occidentales »
« Si l’aîné hérite seul des biens dans les Pyrénées occidentales et centrales, il
hérite qu’il soit garçon ou fille. »
« L’ainé est « Cap d’Ostau 35» qu’il soit fille ou garçon. »36
Régine Pernoud cite des exemples qui vont de l’Alsace à la Touraine (états
généraux de 1308) où les femmes sont explicitement nommées. Cette égalité se
retrouve dans les droits et les devoirs éducatifs :
« La communauté conjugale, le père et la mère exerçaient alors conjointement
la tâche d’éducation et de protection des enfants, ainsi qu’éventuellement
l’administration de leurs biens. Il est vrai qu’alors la famille est conçue en un
sens beaucoup plus large ; cette éducation pose beaucoup moins de problèmes
parce qu’elle se fait au sein d’un tissu familial vital, d’une communauté familiale
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plus étendue et plus diversifiée que de nos jours puisqu’elle n’est pas réduite à
la cellule initiale père-mère enfant, mais comporte aussi grands-parents,
collatéraux, domestiques au sens étymologique du terme. »39
La différence se fit peu à peu avec l’arrivée du droit romain au détriment du droit
coutumier :
« Son influence [de la femme] diminue avec la montée du droit romain dans les
études de juristes, puis dans les institutions, et enfin dans les mœurs. »40
« Le droit romain n’est pas favorable à la femme, pas plus qu’à l’enfant. C’est
un droit monarchique, qui n’admet qu’un seul terme. C’est le droit du « pater
familias », père, propriétaire et chez lui grand prêtre, chef de famille au pouvoir
sacré, en tous cas sans limites, en ce qui concerne ses enfants ; il a sur eux droit
de vie et de mort – il en est de même pour sa femme en dépit des limitations
tardives introduites sous le bas empire ».41
L’étape majeure et parfaitement visible de la déchéance du statut de la femme
apparaît au XIIIème siècle. Même si auparavant, Aristote influença grandement la
vision diminuée de la femme :
« Le philosophe Aristote a encore durablement influencé l’Occident chrétien en
propageant la théorie selon laquelle seul l’homme est responsable de la
conception d’un enfant, la femme n’étant qu’une couveuse (dans « De la
génération des animaux »). Pour expliquer l’origine accidentelle des filles,
39 Ibid
40 Ibid p 86
41 Ibid p 38
42 Elisabeth Parmentier, La Femme ce qu’en disent les religions, Editeurs de l’Atelier, 2002, p 59
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Aristote imaginait une gestation immature, non menée à terme. La femme était
une déviance, un « masoccasionatus », c'est-à-dire un « mâle raté », conçu sous
l’influence des vents du sud ! »43
Ou encore Paul, qui malgré les précautions que l’on nous dit de prendre en lisant
ses écrits, a quand même textuellement écrit :
« Comme cela a eu lieu dans toutes les Eglises des saints, que vos femmes se
taisent dans les assemblées, car elles n'ont pas mission de parler ; mais qu'elles
soient soumises, comme le dit aussi la Loi. Si elles veulent s'instruire sur quelque
point, qu'elles interrogent leurs maris à la maison; car il est malséant à une
femme de parler dans une assemblée. » (1 Co 14, 34-35) ; « Je veux cependant
que vous sachiez que le chef de tout homme c'est le Christ, que le chef de la
femme, c'est l'homme, et que le chef du Christ, c'est Dieu. »45
Il a peut-être puisé son inspiration dans une culture judaïque, dont la Mishna46:
qui nous livre ce terrible message « Mieux vaut brûler les paroles de la Torah
plutôt que les livrer aux femmes »47, mais a de toutes façons profondément
modifié l’approche du Féminin dans la pensée humaine.
43 Ibid, p 57
44 Aristote cité par Georges Duby – Michelle Perrot, Histoire des femmes – L’Antiquité, Plon, 1990, p 85
45 1 Co 11, 3)
46 La Mishnah est la première et la plus importante des sources rabbiniques obtenues par compilation
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créée en second et est donc naturellement faible, dépendante en tout de son
mari ».48
Ce n’est que peu à peu que la femme dans nos contrées a perdu son statut et sa
liberté : « Du Cartulaire à la Très Ancienne Coutume de Bretagne49, à cause de
son sexe et de sa faiblesse, les législateurs lui retirent progressivement sa
capacité à mener à bien diverses actions en justice[…] »
« La primauté masculine s’affirme et la puissance paternelle et paritale est
maintes fois rappelée. « Nulle fame », dit le chapitre 68, « ne sera tuteresse,
curatesse, procuratesse, juge, ne s’entremettra de nul negociement de court, si
ce n’est pour ou pour son seigneur epous, ou pour ses enfants, ou pour son père,
ou pour sa mère en cas de necessité, quar riens qu’elle feroit ne seroit de nulle
vallue ».50
Le XIIIème siècle c’est aussi le début de la Grande Chasse à la Sorcière. C’est la
montée en force de l’Inquisition qui n’est pas étrangère au changement, non
seulement du statut de la femme dans la société mais encore plus profondément
de la projection psychique qui en est faite. Nous sommes en droit de nous
demander ce qui amena ce changement et cette dégradation.
Une des raisons premières semble tenir à l’esprit de l’époque, totalement
conséquent à l’évolution du christianisme en ces temps post–millénaristes, pour
certains chrétiens et particulièrement certains fanatiques missionnaires. De
mémoire, nous pouvons citer un certain Conrad de Marburg dont, comme le dit
Norman Cohn, la nomination en tant qu’Inquisiteur, fut une « mesure fatale, car
cet homme se révéla comme un fanatique aveugle »51. La peur de l’hérétique
susceptible de faire trembler le pouvoir difficilement mis en place par l’église,
la peur des forces obscures qui prennent possession du monde, engendrèrent une
profonde modification psychique du rôle de la religion. L’Eglise se dogmatise,
le diable prend de l’avancement et avec lui tout ce qui a trait à la sensualité, le
48 Somme théologique, t,I, 93, 4 ad I, in Elisabeth Parmentier, La Femme ce qu’en disent les religions,
Editeurs de l’Atelier, 2002, p 58
49 Concernant toute la Bretagne, c’est le document le plus important de toues les recueils de coutumes que
nous possédions.
50 Agnès Audibert, la Femme en Bretagne, Gisserot, 1993, pp 48 - 50
51 Norman, Cohn, Démonolâtrie et sorcellerie au Moyen Age, Payot, 1975, p 44
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mystère et la mort, donc la femme, qui nous verrons à travers les déesses s’y
trouve liée.
« Nous sommes bien loin de l’assurance triomphante des premiers chrétiens.
Désormais les démons ne sont plus de simples ennemis extérieurs, condamnés à
être vaincus à maintes et maintes reprises par les propagateurs d’une foi
militante, jusqu’au jour où ils seront enfin écrasés pour l’éternité. Ils ont envahi
les moindres évènements de la vie, et surtout ils se sont introduits dans l’âme
des individus. »52
L’idée chrétienne du triomphe de la lumière fait place à la peur de l’obscurité.
« Les gens se sentent victimes de forces qu’ils sont totalement incapables de
maîtriser – et plus les sentiments de piété qui les inspirent sont intenses, plus
leurs maux sont douloureux […] Ces forces qui pèsent sur eux comme une
menace, ce sont principalement des tentations : celles de l’irrévérence et du
sacrilège, de l’indiscipline et de la rébellion. Il n’est pas rare que les tensions et
les conflits psychiques engendrés par cette situation s’expriment par des
symptômes physiques tels que vertiges et les indigestions. »53
52 Ibid, p 99
53 Ibid
54 Elisabeth Parmentier, La Femme ce qu’en disent les religions, Editeurs de l’Atelier, 2002, P55
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Cette Inquisition permet en outre la mise en place d’une procédure qui elle aussi
va accélérer le processus : à la procédure accusatrice va succéder la procédure
inquisitoriale :
« Partout jusqu‘au XIIIéme siècle et dans certaines parties de l’Europe jusqu’au
XVème siècle, la forme accusatoire prévalut dans la présence criminelle. Cela
signifie que la bataille juridique se livrait non pas entre la société et l’accusé
mais entre celui-ci et une personne privée qui l’accusait. Il n’y avait à cet égard
aucune différence entre une affaire civile et une affaire criminelle, dans l’un
comme dans l’autre cas le plaignant avait la responsabilité de découvrir et de
produire des preuves susceptibles de convaincre le juge.[…] Beaucoup de
choses devaient changer avant que les procès en Maleficium pussent devenir
fréquents, avant, surtout, que pussent commencer la chasse de masse aux
sorcières. Il fallait que la procédure accusatoire fut remplacée par la procédure
inquisitoriale, qui elle fait appel à la délation »55
Elle ne pourra même plus porter son nom de « jeune fille », passant de la tutelle
paternelle à la tutelle maritale.
« Rappelons que ce n’est qu’au XVIIème siècle seulement que la femme prend
obligatoirement le nom de son époux »57
Il semble que, quel que fut le chemin emprunté, il avait pris la direction d’un
assujettissement servile et humiliant, mettant tout autant, dans une situation
difficile celui qui, tortionnaire malgré lui, n’avait plus en face de lui qu’une furie,
enchaînée, muselée, pleine de vindicte et de colère légitime. A moins qu’elle ne
se soit transformée en un animal geignard et souffreteux, tout aussi tyrannique
dans les fers de sa névrose grandissante.
Page 23
« L’identité des femmes a été réduite au rôle d’épouse et de mère avec pour seule
alternative la virginité. »58
La guerre de 14–18 amena les filles aux champs et à l’usine pendant que les
hommes faisaient cette guerre qui n’en finissait pas. Il est notoire que cette
époque changea définitivement l’activité féminine. Ce fut la fin des corsets et
des lacets qui enserraient les tailles des femmes à les faire suffoquer. Il fallait
pouvoir respirer pour pratiquer les activités des hommes. Le constat de leurs
possibilités et la place qu’elles prirent alors ne permit plus un retour à l’ancienne
école de la femme éternelle mineure.
58 Elisabeth Parmentier, La Femme ce qu’en disent les religions, Editeurs de l’Atelier, 2002, p 51
59 Ibid, pp 56 - 57
60 Régine Pernoud, Pour en finir avec le Moyen Age, Seuil 1977 p 98
61 Elisabeth Parmentier, La Femme ce qu’en disent les religions, Editeurs de l’Atelier, 2002, p 58
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Les années 20 sont assez symptomatiques de ce relâchement de par la mode des
« garçonnes ». Cette ouverture ne permit pas un retour vers les valeurs d’une
femme « libre » telle qu’elle le fut au temps des Celtes, mais encouragea la
femme à devenir un « homme ». Ce fut sans doute pour certaines un grand
soulagement. Cependant cette tendance nous entraînera ultérieurement vers la
femme homme d’aujourd’hui qui ne sait plus ni où se trouvent ses aspirations de
femmes, ni ses contraintes d’hommes. En définitive ce sont toujours les mêmes
modèles qui régissent les schémas de nos sociétés. Si la femme est presque
l’égale de l’homme, c’est toujours le principe masculin qui est à valoriser, le
féminin à abattre, et ce dans la psyché des hommes et des femmes.
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toujours sur la modèle masculin que se décline l’être de la femme. De servante
immature elle est devenue sous-homme, pâle copie d’un dictateur qui s’est lui-
même perdu dans ses exigences et ne trouve plus ni sa propre place, ni ses
aspirations. Le « mal » qui en découle n’est pas seul pour la femme, il est pour
l’ensemble de l’humanité.
« […] Tout se passe comme si la femme éperdue de satisfaction à l’idée d’avoir
pénétré le monde masculin, demeurait incapable de l’effort d’imagination
supplémentaire qu’il lui faudrait pour apporter à ce monde sa marque propre,
celle qui précisément fait défaut à notre société. Il lui suffit d’imiter l’homme,
d’être jugée capable d’exercer les mêmes métiers, d’adopter les comportements
et jusqu’aux habitudes vestimentaires de son partenaire, sans même se poser la
question de ce qui en soi conteste et devrait être contesté. A se demander si elle
n’est pas mue par une admiration inconsciente, et qu’on peut trouver excessive,
d’un monde masculin qu’elle croit nécessaire et suffisant de copier avec autant
d’exactitude que possible, fut-ce en perdant elle-même son identité, en niant
d’avance son originalité. »62
La femme a cru que sa liberté passait par la ressemblance à l’homme ou par sa
séduction, et l’homme cherche une femme qu’il ne trouve plus. Aujourd’hui une
autre conséquence se fait jour, des mouvances rechignant à cette société
univoque et nivelée propose une camisole de lois presque plus terribles que
celles qui ravagèrent notre société occidentale du XIIIème au XXème siècle, à
savoir les extrémismes religieux toujours fondés sur l’infériorité de la femme et
son nécessaire engloutissement. Ces croyances sont édictées par des hommes, et
des femmes, qui s’acceptent inégales et inférieures car enfin, elles n’apparaissent
jamais dans les cercles dirigeants et décideurs.
Nous sommes bien loin des « Cap d’Ostau » qui votaient aux assemblées sous
les vieux tilleuls des villages et des reines celtes dont les guerriers honoraient le
panache.
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Prêtresse d’autrefois
Le statut si naturel accordé aux femmes dans la société celtique, n’aurait pu être
engendré par un traitement différent sur d’autres plans, ou alors, en tant que
particularité qui serait clairement identifiable dans les mythes, ce qui n’est pas
le cas.
Dans les textes irlandais nous rencontrons fréquemment les termes : de ban-bard
pour désigner une « Femme-barde », ban-file pour « Femme-poète », ban-éces
pour «Femme-sage » ou encore ban-drui pour littéralement « Femme-druide »,
le mot « druis » étant accepté de facto comme le terme désignant le druide dans
l’antiquité. L’existence du terme signifie la réalité de la fonction, si on l’accepte
pour « le » druide, on se doit de le reconnaître pour « elle », « bandrui » veut
dire littéralement « femme druide » :
« Les mots drui, file, faith ainsi que nous le verrons fréquemment, sont
susceptibles d’être employés l’un pour l’autre, surtout quand il s’agit de femmes,
lesquelles sont nommées alors indifféremment bandrui, banfile, banfaith »63
Lors de la bataille de Magh Tuiredh il est clairement attesté de l’acte magique
de trois druidesses : « Avant la bataille, les Tuatha de Danann envoyèrent leurs
trois druidesses, Morrigan, Nemain et Macha qui déchaînèrent une pluie de feu
et de sang sur Tara afin d'assombrir les cœurs des guerriers Fir Bolg et leurs
druides eurent bien du mal à repousser cette terrifiante magie. »
L’image romantique renaissante des druides qui nous est parvenue du XVIIème
siècle nous offre celle, caricaturée d’un druide homme, et forcément barbu. Il
suffit pour s’en convaincre de regarder la photo prise le 15 août 1908 lors de
l’Initiation de Winston Churchill dans l'Albion Lodge du Ancient Order of
Druids à Blenheim. Les derniers travaux de Gyonvarc’h affirment que les
druides étaient des hommes, reléguant, en un schéma dualiste les femmes à des
rangs subalternes, sorcières, dans le sens contemporain du terme. Alors que la
structure même de la société celtique porte en elle la fonction de la femme à son
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rôle le plus juste, nous ne pouvons, confortés en cela par les textes et les mythes,
qu’attester que la femme avait un rôle religieux tout aussi influant que l’homme.
D’autres textes irlandais mentionnent la « druidesse », la poétesse :
« .. Que dans les meilleurs morceaux des cycles irlandais et gallois, où la saveur
païenne est la plus authentique, la poétesse (ban-file) ou la druidesse (ban-drui)
sont des figures familières»64
Lorsque les hommes et les femmes sont séparés, c’est une particularité
suffisamment originale pour qu’elle soit parfaitement précisée. Nous pouvons
cependant identifier qu’il n’y a pas d’assujettissement de l’un à l’autre, ni de
cloisonnement de l’un au détriment de l’autre, ce sont les deux qui sont isolés et
ceci dans un cadre très particulier comme par exemple celui des contrats de
mariage :
« La troisième forteresse que construisit Tuathal du nom de Tailtiu, est dans une
partie de la province d’Ulster acquise par Midhe ;; c’est là que se tenait la foire
de Tailtiu pendant laquelle les hommes d’Irlande formaient entre eux des
alliances de mariage ou d’amitié ; une coutume observée à cette assemblée était
que les hommes se mettaient d’un côté et les femmes de l’autre pendant que les
pères et les mères établissaient les contrats. Chaque couple qui avait établi traité
et contrat était marié, comme le dit le poète :
Les femmes ne doivent pas approcher des hommes beaux et brillants ; Les
hommes ne doivent pas approcher des femmes. Mais chacun doit rester à part à
l’endroit de la grande foire. »65
Un extrait des œuvres de Tacite nous donne un exemple de la femme au sein du
sacerdoce :
« Après lui, les Bretons eurent pour gouverneur Suetonius Paullinus, que ses
talents militaires et la voix publique, qui ne laisse jamais le mérite sans rival,
donnaient pour émule à Corbulon. [...] L'île de Mona [Anglesey], déjà forte par
sa population, était encore le repaire de transfuges : il se dispose à l'attaquer,
et construit des navires dont la carène fut assez plate pour aborder sur une plage
basse et sans rives certaines. Ils servirent à passer les fantassins; la cavalerie
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suivit à gué ou à la nage, selon la profondeur des eaux. L'ennemi bordait le
rivage: à travers ses bataillons épais et hérissés de fer, couraient, semblables
aux Furies, des femmes échevelées, en vêtements lugubres, agitant des torches
ardentes ; et des druides, rangés à l'entour, levaient les mains vers le ciel avec
d'horribles prières. Une vue si nouvelle étonna les courages, au point que les
soldats, comme si leurs membres eussent été glacés, s'offraient immobiles aux
coups de l'ennemi. » 66
La femme est druide parmi les druides. D’ailleurs elle porte le feu, et nous savons
combien le feu est un élément magique particulièrement réservé aux druides.
« Les druides sont aussi les maîtres du feu et c’est le feu du druide le plus
puissant, le plus habile en magie, qui l’emporte ».67
Il est impensable dans ces conditions que les druides hommes aient laissé porter
le feu par des femmes s’ils les jugeaient inaptes à la plus haute magie. D’autre
part, Tacite n’est pas Celte et ne vit pas dans la culture celtique, il ne peut
comparer qu’à ce qu’il connaît : des femmes assujetties qui dans ce cadre ne
peuvent être que des «furies », femmes échevelées en vêtements lugubres. Mais
elles sont bien aux côtés des druides, faisant autant de chahut qu’eux.
Un autre exemple peut être pris à propos des femmes cimbres, en général
assimilées aux femmes celtes, qui réclament ce qui est pour elles, leur droit à la
liberté et le droit au sacerdoce :
Leur mort [la mort des femmes des Cimbres] fut aussi spectaculaire que leur
résistance. Ayant en effet envoyé une ambassade à Marius pour lui demander la
liberté et le sacerdoce, elles essuyèrent un refus - le droit religieux ne le
permettait pas - et, après avoir étouffé et écrasé pêle-mêle leurs enfants, elles
tombèrent sous les coups qu'elles se portèrent mutuellement, ou bien,
confectionnant un lien avec leurs chevelures, se pendirent aux arbres et aux
timons des chariots. »68
66 Tacite, Annales, XIV, 29-30, trad. J.L. Burnouf, 1903, Paris, Hachette.
67 C. Guyonvarc’h et F. Leroux, Les Druides, Ouest France, 1987, p 167
68 Florus, Tableau de l'Histoire romaine de Romulus à Auguste, I, 38, trad. Paul Jal, 1967, Paris, les
Belles Lettres.
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« L’île de Sena, située dans la mer Britannique, en face des Ossismes, est
renommée par son oracle gaulois, dont les prêtresses, vouées à la virginité
perpétuelle, sont au nombre de neuf. Elles sont appelées Gallicènes, et on leur
attribue le pouvoir singulier de déchaîner les vents, de soulever les mers, de se
métamorphoser en tels animaux que bon leur semble, de guérir des maux partout
ailleurs regardés comme incurables, de connaître et de prédire l’avenir, faveurs
qu’elles n’accordent néanmoins qu’à ceux qui viennent tout exprès dans leur île
pour les consulter. »
Ou encore chez Strabon :
« Dans l'Océan, non pas tout à fait en pleine mer, mais juste en face de
l'embouchure de la Loire, Posidonius nous signale une île de peu d'étendue,
qu'habitent soi-disant les femmes des Namnètes. Ces femmes, possédées de la
fureur bachique, cherchent, par des mystères et d'autres cérémonies religieuses,
à apaiser, à désarmer le dieu qui les tourmente. Aucun homme ne met le pied
dans leur île, et ce sont elles qui passent sur le continent toutes les fois qu'elles
sont pour avoir commerce avec leurs maris, après quoi elles regagnent leur
île. »69
Les spécialistes ne se sont jamais assez penchés sur ces extraits de textes. Il est
pourtant particulièrement intéressant de les analyser sous l’angle celtique, dans
l’esprit du temps c'est-à-dire dans le contexte du statut de la femme celte. Nous
verrons que la « virginité » possède un tout autre sens que le sens premier avec
lequel on l’interprète d’habitude et que le rôle religieux des femmes se trouve
confirmé par ces témoignages qui s’ils sont emprunts de la vision univoque de
leur auteur, n’en sont pas moins des témoignages.
D’autre part, même dans les sociétés où la femme n’a pas l’équivalent social de
la femme celte, comme en Grèce ou à Rome, elle jouit dans le domaine du sacré
d’une place privilégiée :
Page 30
« La prêtresse d’Athéna Polias à Athènes occupe le premier sacerdoce de la
cité […] La prêtresse d’Artémis, reçoit de chaque victime offerte dans un
sacrifice public le morceau de choix »70
Comment cela aurait-il pu être pire chez un peuple aux femmes libres et
autonomes ?
Les prophétesses
« Une druidesse, sur son chemin [Alexandre], s’écria en langue gauloise : « va,
mais n’espère pas la victoire et n’aie pas confiance en tes soldats ». » 72
Pour Guyonvarc’h la femme n’est pas « druidesse », elle est tout au mieux
« cartomancienne » ou « diseuse de bonne aventure ». Ce jugement semble un
peu rapide et possède une connotation totalement moderne. Nous pourrions nous
demander si à l’époque où les « druides » dans leur ensemble n’ont plus le droit
de cité, ils ne sont pas tous devenus des « diseurs de bonne aventure ». Son
analyse pourrait être pertinente si la femme était comparée à un druide homme
en fonction, ce qui n’est plus le cas deux cent ans après JC. D’autre part, tous
ces « prêtres », interdits de cultes, devinrent tous des sortes d’itinérants, reclus
et marginaux, à qui les forêts et pourquoi pas les « auberges » servent de refuges.
70 Georges Duby – Michelle Perrot, Histoire des femmes – L’Antiquité, Plon, 1990, p 399
71 Vopiscus, Vie d’Aurélien XLIV, in Les Druides, Guyonvarc’h , Leroux, Ouest France, 1986, p 41
72 Vie d’Alexandre Sévère in Les Druides, Guyonvarc’h , Leroux, Ouest France, 1986, p 41
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sommes cause, nous qui le professons. L'intervention des dieux, par son éclat et
sa grandeur, a dépassé tous les vœux, tous les espoirs (puisse après ces paroles
Adrastée nous demeurer propice). Personne, naguère, n'osait même souhaiter
un changement si brusque, si complet, si important. Mais quoi ? Pensons-nous
que cela suffise? Ne voyons-nous pas que ce qui a le plus contribué à développer
l'athéisme, c'est l'humanité envers les étrangers, la prévoyance pour
l'enterrement des morts et une gravité simulée dans la vie ? Voilà de quoi nous
devons nous occuper, sans y mettre aucune feinte. Et ce n'est pas assez que toi
seul tu t'y décides. Il faut que tous les prêtres de la Galatie, sans exception,
agissent de même. Pour stimuler leur zèle, fais appel à leur amour-propre ou à
leur raison. Écarte-les de leur saint ministère, si, au lieu d'aller prier les dieux
avec femmes, enfants et serviteurs, ils tolèrent que leurs domestiques ou leurs
fils ou leurs épouses galiléennes négligent le culte des dieux et préfèrent
l'athéisme à la religion. Ensuite, engage les prêtres à ne point fréquenter le
théâtre, à ne point boire dans une taverne, à ne point diriger un métier ou un
travail honteux et mal famé. 73
Le fait que la femme, cette diseuse de bonne aventure est dans une auberge,
démontre tout de même, une femme non recluse à la vie familiale, telle qu’elle
le fut chez les Romains. Rappelons que les grecques et les romaines ne peuvent
ni participer à la vie politique, ni avoir une quelconque autorité :
« On se rappelle que l’adoption d’un fils [par les romaines], que la gestion d’une
tutelle leur demeuraient prohibées, parce qu’elles étaient privées de tout pouvoir
sur autrui. Plus généralement elles restaient privées de tout pouvoir. Plus
généralement, elles restaient éloignées des « offices civils » qui portaient encore
le nom d’offices virils – en droit privé comme en droit public, citoyenneté et
masculinité se confondaient lorsque l’action d’un sujet, excédant sa propre
personne et son patrimoine, atteignait autrui grâce à la capacité ou chacun était
d’agir au nom d’un tiers. Tel est précisément le domaine élargi des « officia »
73L'empereur Julien, Lettres, 84, trad. J. Bidez, 1960, Paris, Les Belles Lettres, in L’arbre Celtique, source
Patrice Lajoye
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interdits aux femmes : on y retrouve la représentation, la tutelle, l’intercession,
la procuration, la postulation pour autrui, l’action en justice … »74
Ainsi dans les textes, les prophétesses celtes apparaissent souvent comme des
« diseuses de bonne aventure », mais nous devons rattacher ce terme à celui de
« prophétesses », avec le respect dû à leur sexe et le respect dû à la charge sacrée
accordée à cette fonction. Prophétiser est de la magie et non pas la moindre.
« Dès qu’il arriva [Mogh Ruith] à Sidh Breachnatan, on lui souhaita la
bienvenue ; il passa la nuit en ce lieu et demanda, du commencement à la fin,
tout ce qui avait rapport à la guerre. Banbuana lui dit alors : « Mets-toi en
marche demain de bonne heure, tu remporteras la victoire avec les gens du
Munster ». »75
« Puis, après que la bataille eut été gagnée et qu’on eut nettoyé les cadavres
restés du massacre, la Morrigan, fille d’Ernmas, se mit à annoncer la bataille et
la grande victoire qui avait été remportée… Elle prophétisa aussi la fin du
monde, prédisant tout ce qu’il y aurait de mal, chaque maladie, chaque
vengeance… » 76
Toutes ces «déesses », ces « druidesses », interprètent la volonté des dieux. Nous
avons un autre exemple de la reconnaissance et de la place que tient la femme
dans le sacerdoce : elle est celle qui commande le sacrifice. Dans le texte de
O’Curry, la prophétesse demande aux druides d’abattre la vache, elle ne le fait
pas elle-même, elle est celle qui donne les ordres, la médiatrice privilégiée
écoutée et obéie. Elle n’est pas contrainte à n’être qu’une éventuelle assistante,
elle est « celle qui parle ». Je n’irai pas dire qu’elle est au-dessus du druide, mais
la question se pose de savoir qui donne le ton, de l’augure qui dicte ou de
l’exécutant ?
Si d’un côté Guyonvarc’h assure que la magie est affaire du seul druide, il ne
peut pas d’un autre côté attester que la prophétisation magique quand elle est
74 Georges Duby – Michelle Perrot, Histoire des femmes – L’Antiquité, Plon, 1990, p 155
75 Forbuis Droma Damhghaire
76 Cath Maige Turedh
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faite par les femmes est quelque chose d’inférieur. Cette analyse trop attachée à
nos canons contemporains mérite nuance et réajustement. Dans l’antiquité celte
la prophétisation est pour les Celtes un « Art » proche de la « Poésie » dont les
druides sont les spécialistes :
« Platon a comparé le délire de la Pythie « le plus beau des arts », à l’inspiration
poétique due aux muses et aux transports amoureux d’Aphrodite (Grimal,
Mythologie, P 41). Déjà en Mésopotamie antique, on confondait poésie et
vaticination. Nougayrol signale à ce propos que l’auteur d’un long poème
« prétend en avoir reçu seul la révélation directe et textuelle et qu’il n’a
retranché ni ajouté le moindre mot (Divination babylonienne) »77
« La magie est donc, dans les faits, comme dans son principe, un moyen à la
disposition des membres de la classe sacerdotale celtique » […]
« Ceci étant, la satire, qui est inévitablement une incantation, donc une formule
magique ou une suite de formules chantées compte, avec à la divination parmi
les principales techniques rituelles et magiques » […]
« Le non initié, c’est à dire celui qui ne détient aucune initiation sacerdotale ou
autre, ne peut s’en mêler » 78
77 Jean Paul Roux, La Femme dans l’histoire et les mythes, Fayard, 2004 p 340
78 Christian Guyonvarc’h, Médecine, magie et divination, Editions Payot, 1997 ; p 9 - 42
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La magie en tant que telle n’existe pas, il n’y a pas de mot celtique pour
l’exprimer. Elle est incluse dans la pratique druidique et particulièrement dans
la satire, la médecine et la divination, arts reconnus comme pratiqués par les
hommes et par les femmes. Si d’un côté nous admettons que la femme celte
pratique la divination, et que d’un autre côté nous admettons que la divination
est de la magie, magie réservée aux seuls druides, il devient impossible de dire
que la femme n’est pas druide. Il suffit pour cela de définir ce qu’est la magie.
A savoir que dans la tradition celtique elle englobe toutes les techniques
permettant de façon occulte la communication avec les Dieux. Le but attesté
étant d’influer d’une manière ou d’une autre sur le cours des choses.
Outre les témoignages qui nous l’avons vu, ne sont pas plus à dénigrer en ce qui
concerne les druidesses, que les druides dont nous ne connaissons qu’un seul
druide « historique », Diviacus, nous avons des exemples de femmes pratiquant
les « arts druidiques ». Dans les mythes et les légendes, elles s’appellent
« sorcières » de par la retranscription chrétienne, mais l’acte reste empreint de la
magie connue chez les Celtes.
« Les chefs des Tùatha Dè Dànann furent rassemblés autour de Lug. Il
demanda… « Et vous, ô Be Cuille et Dianann ? », dit Lug à ses deux sorcières,
« de quel pouvoir disposerez-vous dans la bataille ? ». « Ce n’est pas difficile »,
dirent-elles : « nous enchanterons les arbres, les pierres et les mottes de terre,
si bien qu’ils deviendront une troupe en armes contre eux et qu’ils les mettront
en fuite avec horreurs et tourments. » 79
L’exemple est d’importance, les druidesses ne sont pas de simples devins, elles
commandent aux éléments. Or ces commandements font partie des prérogatives
reconnues aux druides. Guyonvarc’h et Leroux en font l’étude minutieuse et
précieuse dans Les Druides80.
Si l’interprétation des pouvoirs druidiques peut être faite à partir des textes quand
il s’agit de l’archétype du druide, il est impossible de ne pas faire la même chose
79 Cath Muige Tuired Cunga (La première bataille de Mag Tured )traduction française est de Ch.-J.
Guyonvarc'h, dans Textes Mythologiques Irlandais, éd. Ogam-Celticum, Rennes, 1980
80 Les Druides, de la page 138 à la page 171
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quand nous avons affaire à l’archétype de la femme celte, de la femme druide.
Un autre exemple est donné des pouvoirs féminins sur les éléments par la magie
druidique.
« Bodh, Macha et la Morrigan arrivèrent alors à la colline de la Prise des
Otages, et à la colline de l’Avertissement des Armées à Tara. Elles envoyèrent
des averses de magie druidique, des nuages denses de brouillard et de violentes
pluies de feu, avec des chutes de sang tombant de l’air sur les têtes des guerriers.
Elles ne permirent pas aux Fir Bolg, pendant trois jours et trois nuits, de se
reposer ou d’être en paix. » 81
L’existence de « magiciennes » dans le Dorset en Grande Bretagne est suggérée
par plusieurs tombes de femmes âgées qui avaient été décapitées, la tête placée
sur les genoux, privée de la mâchoire inférieure. Ces manipulations semblent
avoir servi à empêcher ces femmes, que l’on qualifie de sorcières, de continuer
à proférer des mauvais sorts depuis la tombe.
Hors "jeter le sort", avant la déchéance du terme, est un pouvoir dévolu
exclusivement au druide. Lui seul a le pouvoir de jeter le Geïs82, les Glam Dicim,
l’Imbas Forosnai83, le Dichetal Do Chesnnaib84 et autres incantations
magiques85.
La femme jeteuse de sort n’est donc qu’un druide usant de son savoir magique.
Le geïs, cet interdit exclusivement donné par le druide est souvent « lancé » par
les déesses dans la mythologie. Le geis est une magie de parole, il passe par le
langage. Il est un interdit qui, transgressé, provoque la mort. Il est la formule
magique qui «lie » l’interdit. Le geis est inhérent au porteur. Les femmes ne
subissent pas de geasa, mais elles les dispensent. Elles les lancent, nous pouvons
le voir à travers quelques exemples.
81 Cath Muige Tuired Cunga , in Médecine, magie et divination, Christian Guyonvarc’h, Editions Payot,
1997
82 Pluriel geasa, est une incantation magique prononcée par le seul druide. Il n’a pas de traduction littérale
mais a force d’interdit. Il est basé sur le pouvoir du verbe, et donc est obligatoirement oral.
83 Opération divinatoire réservés aux Ollamh,(druides) et signifie « science qui illumine »
84 « Incantations par le bout des os »
85 Ces incantations magiques sont parfaitement bien décrites dans Les Druides, Christian Guyonvarc’h et
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Dans le mythe de Grainne et Diarmuid, lorsque Grainne demande à Diarmuid
d’être son compagnon et qu’il lui répond par la négative, elle lui impose un geis :
« Il ne peut sous peine de déshonneur, se soustraire à ce geïs qui l’oblige à partir
avec Grainne commettant ainsi une double infraction : il quitte la garde de la
forteresse et trahit son chef, Finn, en lui prenant sa fiancée Le geïs de Graine
est plus puissant que les devoirs du guerrier »86
« Deirdre lance aussi le geïs sur Naisi, en le prenant par les deux oreilles, elle
lance : »
« Honte à toi si tu ne m’emmènes pas avec toi »87
Dans le mythe d’Arianrhod, les geasa qu’elle lance ne pourront être contournés
que par une magie druidique, c’est donc un égal pouvoir au pouvoir du druide.
Seule la magie des druides pourront « fabriquer » une femme avec des fleurs et
contrer le geïs de la mère sur le fils :
Arianhrod est appelée à la Cour de Math par son frère Gwydion, et on lui
demande de servir à la place de Goewin qui se tient auprès de Math et recouvre
ses pieds. Car c’est le geis de Math de ne pas toucher terre et de garder ses pieds
dans le giron d’une jeune fille. Afin de postuler à ce rôle Arianrhod doit prouver
sa virginité. On lui demande de passer au-dessus de la baguette magique de
Gwydion afin de vérifier ses dires. Elle saute et donne naissance à ses deux fils.
Dylan s’enfuit à quatre pattes au loin et se glisse dans la mer, alors que le second
est saisi par Gwydion. La colère d’Arianrhod est grande devant cet affront et elle
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jure que l’enfant dans les bras de son frère n’aura jamais de nom, ne portera
jamais l’épée, et ne se mariera jamais avec une femme de cette terre, car tout
ceci ne peut être accordé que par la mère de l’enfant.
Si nous reprenons l’exemple de Cuchulain et du geis qui lui interdit de manger
de la viande chien et l’oblige d’en porter le nom, il s’agit d’un geïs révélé par un
druide homme :
« Bien que cela ne soit dit nulle part, il ressort du contexte de ces récits, que les
geasa de Cuchulain lui ont été imposées par le même druide Cathbad ; qui lui a
donné son nom de chien »89
Mais c’est oublier la présence de la sorcière qui précipite les choses :
« Alors il s’approcha d’elle et la sorcière lui donna la moitié du chien de sa main
gauche »90
89 Guyonvarc’h & Leroux, les druides Editions Ouest France, 1987 p 133
90 Ibid
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« Mais des geasa […] qui n’enserrent jamais le druide … »91
Il est à noter que les femmes, comme les druides, ne sont jamais soumises aux
geasa. Aucun exemple n’apparaît ni dans les témoignages, ni dans les textes.
Parce que les femmes grecques et romaines, malgré leur forte présence au sein
du sacré, étaient frappées de l’interdiction de pratiquer le sacrifice, nous en avons
conclu que les Celtes étaient soumises au même interdit. Il va être intéressant,
par conséquent de se pencher sur ce qui génère cet interdit et de découvrir qu’il
se révèle caduque dans le monde celte. Au sujet de la Grèce, les études sont
claires et attestent que cet interdit est lié au fait que les femmes ne sont pas
citoyennes :
« Une première constatation : les femmes sont exclues du sacrifice sanglant et
du partage de viande qui le suit. Or ce sacrifice est au cœur de la pratique
sacrificielle de la cité grecque, dans la mesure où elle fonde le politique, en
manifestant l’accord des hommes avec les dieux d’une part, en renouvelant le
lien entre les hommes qui constituent la communauté des citoyens, d’autre part.
Le fait que les femmes n’y prennent pas part en tant que telles, mais seulement
par l’intermédiaire de leurs époux, coïncide dès lors avec leur exclusion de la
vie civique et politique active : il n’y a pas en Grèce antique des femmes
« citoyennes », mais seulement des mères, des épouses ou des filles de
citoyens. »92
Elles ne participent pas à la vie politique, ni aux assemblées, ni aux votes, par
conséquent il semble logique qu’elles ne puissent acter dans ce qui sur le plan
sacré correspond à cette citoyenneté, le sacrifice. Du côté des Celtes nous savons
qu’il en était autrement, que les femmes participaient aux assemblées, aux choix
91 Ibid
92 Georges Duby – Michelle Perrot, Histoire des femmes – L’Antiquité, Plon, 1990, p 364
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et aux actes politico-guerriers : il n’y a donc aucune raison qu’elles ne puissent
acter les sacrifices.
Rome suit les prérogatives de la Grèce et interdit aux femmes l’accès à l’acte
sacrificateur. Elles ne sont pas non plus ici, « légales dans la cité », puisque nous
savons par exemple que les hommes et les eunuques pouvaient adopter un enfant,
mais pas les femmes, ou encore que la légitimité de leur statut passe toujours,
par le biais du père puis de l’époux.
« D’abord dire que les femmes sont exclues du sacrifice sanglant appelle une
première précision : elles sont exclues du sang et de la manipulation de la
viande, elles ne font pas partie du groupe de ceux que Marcel Detienne appelle
les « co-mangeurs, ceux dont le partage de la viande sacrificielle fait des égaux
dans la cité »93
Parlant des Celtes, Strabon dans Géographie associe le féminin à des rituels
utilisant des sacrifices humains. Même exagérée, même symbolique, il est à
prendre en compte que la vision de la femme sous cet aspect sacrificateur était à
proscrire dans l’Antiquité gréco- romaine, et donc n’aurait pu être imaginée par
l’auteur. Il y a donc du vrai dans l’image de la femme en blanc, pieds nus
sacrifiant l’ennemi :
« Elles étaient grises parce qu’âgées, portaient des tuniques blanches
recouvertes par des manteaux de lin le plus fin et des ceintures de bronze. Elles
étaient pieds nus. Ces femmes pénétraient dans le camp l’épée à la main, se
précipitaient sur les prisonniers, les couronnaient puis les conduisaient jusqu’à
un chaudron de bronze. Une femme montait sur une marche et, se penchant au-
dessus du chaudron, tranchait la gorge du prisonnier que l’on maintenait sur le
bord du récipient. D’autres découpaient le corps et, après avoir examiné les
entrailles, prédisaient la victoire à leurs concitoyens. »
93Marcel Detienne, Dionysos mis à mort, 1977, pp177 – 179, in Georges Duby – Michelle Perrot, Histoire
des femmes – L’Antiquité, Plon, 1990, p 365
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Nous retrouvons précisément la place de la femme devin, et de son pouvoir
sacrificiel dans le texte de Strabon au sujet des femmes à l’embouchure de la
Loire :
«Ce sont des femmes Samnites qui l’habitent, elles sont possédées de Dionysos
qu’elles apaisent par des cérémonies et des rites sacrés. […]. Il y a une coutume
selon laquelle elles doivent une fois par an démonter le toit du sanctuaire et le
refaire le même jour avant le coucher du soleil, chaque femme portant son
fardeau. Si l’une d’elles laisse choir sa charge, les autres la mettent en pièces,
en portent les morceaux en tournant autour du temple, tout en poussant des cris,
et ne s’arrêtant pas avant que ne cesse leur frénésie. Et toujours il arrive que
l’une d’entre elles tombe et doive subir ce traitement.» 94
Il s’agit bien d’un sacrifice rituel. Le texte parle de lui-même. En effet donner la
mort en « mettant en pièces » si le fardeau a chu, porter les morceaux en tournant
autour du temple, sont des actions magiques et rituelles, faisant suite au sacrifice.
L’image terrible suscitée, même si elle est exagérée par l’auteur dont la vision
n’est pas celle d’un Celte, ne peut pas avoir été inventée de toutes pièces. Encore
une fois, l’inconcevable ne peut se laisser inventer, il ne peut être que
l’exagération d’une réalité, non accessible par l’observateur, qui nous le savons
possède une culture ne lui donnant pas toutes les clés de compréhension.
Cela contredit aussi la thèse des femmes n’ayant pas accès au sacrifice sanglant
de par leurs cycles menstruels. Nulle trace de ce type de restriction, dans les
pratiques celtes, nulle trace de ce type de questionnement dans les pratiques
druidiques. Nous verrons auprès de Morrigane que le sang, la magie des femmes
et leurs menstrues portent un tout autre sens que celui que nous lui connaissons
aujourd’hui et qui sert trop souvent de référence. La femme tranche la gorge
aussi bien que l’homme s’il en est besoin.
Ce n’est pas parce qu’on ne trouve pas trace d’une chose qu’elle ne se faisait
pas, mais peut-être parce qu’on ne trouve pas trace de son contraire que cela peut
se faire. Il nous faut tenir compte de l’importance des prêtresses dans tous les
cultes primitifs et païens, conjuguée au fait que la femme des sociétés celtes
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possède un statut fort enviable par ses congénères de la même époque mais en
d’autres sociétés. Il n'y a dans les mythes celtiques, ou dans les lois de coutumes,
aucun indicateur fort d'un interdit sur le sang menstruel comme il existe dans le
monde méditerranéen.
Enseignante et initiatrice
95 Yvan Guéhenec, Les Celtes et la parole sacrée, label LN, 2006, p.146
96Agnès Audibert, la Femme en Bretagne, Gisserot, 1993, p 38
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Ferchertne
L’enseignement arrive par l’homme comme par la femme, comme le divin est
ici décrit immanent de la lune et du soleil. Nous pouvons lire à travers cet extrait
du « Dialogue des deux sages » que l’enseignement reçu par le druide, passe par
les colonnes de l’âge et les fleuves mais aussi par la colline magique et l’avant-
bras d’une femme de guerrier royal. C’est à dire que l’on retrouve deux fonctions
attribuées aux druides, assumées par des énergies féminines. Ces deux fonctions
ne sont rien d’autre que la magie et l’art de guider le roi, rôle druidique par
excellence (la colline est dite magique, Nechtan est un Dieu de la Mer, l’avant-
bras est porteur du bouclier, Nuada est un Dieu guerrier, un roi). Pour qui connaît
la tradition celtique, son tripartisme et ses répartitions, cet extrait éclaire
totalement sur l’origine des enseignements druidiques sans conflits d’idées au
sujet des hommes et des femmes.
S’il est un point que tout le monde s’accorde à reconnaître à la femme, c’est celui
d’initiatrice. On trouve trace de ce rôle dans les mythes et ce profil de femme est
largement commenté. N’est-il pas le relent d’un vieux rêve de « spécialiste »
(homme) qui projette là son propre fantasme ? L’image de la femme sauvage
invitant à la « chaleur de ses cuisses » a sur la gent de notre époque un fort
impact qui fait que l’on puisse accorder à la femme un rôle de « putain sacrée »,
mais pas de « maîtresse du culte ».
Dans la tradition irlandaise, les héros comme Cûchulainn et Finn Mac Cool sont
initiés à l'art de combattre par d'étranges femmes guerrières et magiciennes
(Uatach et Scathach, dont le nom signifierait à la fois "celle qui fait peur" et
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"celle qui protège"). On retrouve le thème dans le cycle du Graal où, d'après la
version galloise, Perceval reçoit une éducation guerrière (et sexuelle) des
Sorcières de Kaer Loyw (Gloucester).
Cette éducation guerrière passe par une éducation magique et nous savons que
la magie est affaire de druide. Que sont donc ces femmes sinon des druides
spécialisées dans l’initiation de la guerre et de la magie ? Pourquoi la magie
serait-elle affaire de druide quand il s’agit d’homme et affaire de « sorcière »
quand il s’agit de femme ?
Le mot “sorcier” vient du bas latin « Sortiones » « jeteur de sort »97, sortes
d’oracles, jeteurs de baguettes divinatoires98. Il désigne alors un paysan qui
pratiquait la vieille coutume : les sourcières, les astrologues et les devins, les
sages-femmes, herboristes, guérisseurs, rhabilleurs, tireurs de feu, tous arts
médicaux hérités des Celtes, des druides qui furent pourchassés depuis
l’occupation romaine. Le sorcier est un druide dépouillé de ses prérogatives
politiques, sociales et guerrières.
La thèse qui veut qu’il existe des femmes consacrées, amantes sacrées,
constituant une sorte de caste, très à part, très en dehors de la société semble
assez farfelue. Elle semble elle aussi issue de fantasmes contemporains sur les
femmes secrètes et inaccessibles La femme qui donne la vie, et la femme qui
l’enlève n’est qu’un des schémas de base des croyances druidiques, celui de la
déesse multiple, celle aux trois visages, de la Belisama à la Morrigane, entre la
femme qui donne et celle qui reçoit. Ces femmes sont, de par leur ambivalence,
des êtres « merveilleux », possédant la connaissance et la magie du Monde, tous
pouvoirs accordés aux druides...
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Evolution du statut religieux
Il est vrai que nous connaissons des femmes à la tête d’abbayes qui furent
reconnues pour leurs travaux et leur érudition.
« Certaines abbesses étaient des seigneurs féodaux dont le pouvoir était respecté
à l’égal de celui des autres seigneurs, quelques-unes portaient la crosse de
l’évêque ; elles administraient souvent de vastes territoires avec des villages,
des paroisses … »101
L’encyclopédie la mieux connue du XIIème siècle est le Hortus deliclarum (jardin
des délices) de l’abbesse Herrade de Landsberg. Nous avons tous entendu parler
d’Hildegarde de Bingen ou encore de la grammairienne passée à l’état de
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théologienne Gertrude de Helfa au XIIème siècle. Mais le moins que l’on puisse
dire est qu’elles représentent déjà une exceptionnelle minorité.
En définitive :
« C’est assez dire que le statut de la femme dans l’Eglise est exactement le même
que dans la société civile et que peu à peu lui a été retiré, après le Moyen Age
tout ce qui lui confère quelque autonomie, quelque indépendance, quelque
instruction. »102
Et Marie Louise Von Franz de faire remarquer que sur le plan psychologique
aussi le XIIIème siècle sera un temps de bascule fort vers une autorité univoque :
« Il fut un temps où dans l’idée que l’on se faisait de la nature, le bon, le généreux
et l’obscur s’équilibraient dans une certaine mesure, mais depuis le XIIème et
XIIIème siècles environ comme on peut le voir par exemple dans la mythologie,
la poésie et les mouvements religieux, les processus ne sont plus censés devoir
s’aligner que sur une attitude unilatéralement lumineuse. »103
102 Ibid p 94
103 Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 79
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Rencontre avec « La déesse »
Une des matières les plus parlantes pour retrouver l’Esprit de la déesse est portée
par les mythes. C’est en effet à travers eux que nous pouvons avoir une vision
des plus justes de ce qu’est le divin dans l’esprit Celte. Mais aussi les contes de
fées :
« Il a parfois été dit – à tort je crois – que le mythe est l’histoire des Dieux, et
les contes de fées celles d’êtres humains. Cette théorie se heurte au fait que, dans
certains récits folkloriques, les personnages portent des noms de dieux
mythologiques. Ainsi dans certaines versions de la Belle au Bois dormant, les
fées ont des noms de déesses »104
Ces mythes et ces contes nous ouvrent la compréhension de ce qu’est la divinité
féminine dans la tradition, les Archétypes qui la portent, l’essence première de
sa réalité.
« Dans les mythes comme dans les contes, les personnages sont des figures
archétypiques »105
104 Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 27
105 Ibid
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est venu de se réveiller de l’atmosphère onirique du conte, car lorsque le coq
chante, c’est l’heure de sortir du lit ! Il existe bien des formules qui, toutes, sont
des sortes de « rites de sortie ». Elles nous rappellent que le conte se passe dans
un monde imaginaire et que les personnages et les évènements qui s’y déroulent
appartiennent à un univers qui est le domaine de l’inconscient. C’est un « autre
monde » qui contraste avec celui de la vie et des gens ordinaires. Ainsi s’établit
un mouvement de va-et-vient entre le conscient et l’inconscient. »106
Les dieux pour les Celtes ne sont pas des super êtres humains que l’on puisse
représenter, ils ne le furent que partiellement après la colonisation. Ils sont les
Archétypes en mouvement qui nous insuffle la vie. Ils font partie de cet univers
qui semble nous échapper et qui fut cependant particulièrement bien cerné par
nos ancêtres.
« C’est ainsi qu’il arrive que des gens rêvent spontanément de figures de contes
ou de mythes, ou de dieux païens qui correspondent mieux au contenu qui
cherche à se manifester. » […] « Il est en effet pour nous d’expérience courante
que ces thèmes archétypiques peuvent surgir n’importe où et à n’importe quel
moment ».107
Marie Louise Von Franz, dont le travail ne porte pas sur l’étude des mythes
celtiques, mais sur l’étude de l’analyse de l’inconscient et le rôle des contes de
fées, donne, cependant, une analyse parfaite si on la met en parallèle avec nos
mythes ancestraux. Les schémas apparaissent clairement, les symboles sont
clairs, tant sur la notion de pays stérile ou fécond que sur l’action d’un héros.
106 Ibid p 27
107 Ibid p 36
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et l’héroïne nous proposent une sorte d’esquisse de correspondance
archétypique entre le moi et le Soi, qui demande à s’accomplir et à se réaliser
de façon concrète dans la vie de chaque personne. »108
Les analystes les plus pointus dans le sillage de Jung ont accordé aux anciennes
croyances une réalité psychique, qui nous permet aujourd’hui de comprendre le
sens profond de leur nature, de leurs actes qui sans cet angle peuvent paraître
bien difficiles à comprendre et à retrouver.
« Qu’est-ce que cela signifie sur le plan psychologique ? Il est évident que les
dieux représentent des contenus archétypiques de l’inconscient, c'est-à-dire des
complexes que chacun possède en soi et qui ne sont en aucune façon
pathologiques. Comme le dit Jung, les complexes sont tels que ceux du moi ou
de l’ombre sont normaux dans notre société. Il y a dans la psyché, différents
centres dynamiques qui font partie des structures normales. Ces archétypes de
par leur puissance et leur vie partiellement autonome, apparaissent comme des
figures numineuses et ont généralement été personnifiés par des dieux. »109
Il ne s’agit pas de faire des mythes et des contes une lecture à un premier niveau,
d’y voir des querelles d’amoureux, des guerres de pouvoirs ou des manuels de
bonne éducation, mais d’y reconnaître l’ombre et la lumière, les schémas
numineux qui sont les nourritures profondes de notre propre psyché. En ce sens,
nous pouvons y lire La déesse et toutes les projections que ses Archétypes
engendrent en nous et autour de nous.
108 Ibid, p 52
109 Ibid, p 62
110 Ibid, p 112
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Déesse oubliée
Dans nombres de contes dont nous ne connaissons que les versions christianisées
ou tout au moins ayant perdu leurs traits les plus archaïques, il est aisé de lire ce
qui est arrivé à la féminité au cours du temps.
Cet élément féminin manque, nous l’avons vu dans le fait « société », à travers
la lente dégradation du statut des femmes en Occident. Il manque aussi en soi,
en tant que femme mais aussi en tant qu’homme par le biais de son anima112.
Nous aurons l’occasion d’aborder ce clivage dans le dernier chapitre de cet
ouvrage.
« Dire qu’un dieu ou une déesse se trouve oublié signifie qu’un comportement
psychologique naturel est négligé ou refoulé. On a soit par artifice, soit par
stupidité, omis de le prendre en considération […] Qu’un dieu soit oublié
signifie que certains aspects du conscient collectif se trouvent placés au premier
plan de telle sorte que d’autres sont, dans une large mesure, rejetés dans l’oubli.
C’est bien le sort qu’a subi l’archétype de la déesse mère dans notre
civilisation ».113
Surestimer une force de la nature au détriment d’une autre, imposer une moralité
non « naturelle », engendre un déséquilibre qui dans l’esprit traditionnel est
111 Ibid, p 57
112 Nature féminine de l’âme des hommes, selon Jung.
113 Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 62 - 63
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source de mal. Ce mal qui dans une tradition tripartite n’est pas une entité, mais
la résultante de ce déséquilibre, d’une loi naturelle non respectée. L’idée
tripartite ne considère pas l’existence d’une entité malveillante en butte à une
énergie bienfaisante. Il ne s’y trouve pas une séparation absolue du bien et du
mal. Tous les phénomènes animés ou inanimés peuvent être aussi bien positifs
que négatifs, cela dépend des circonstances.
Cette résultante peut être considérée comme une maladie. Le déséquilibre d’une
partie va entraîner la souffrance de l’ensemble. La loi physique qui sous-tend à
cette vérité peut à son tour s’appliquer au psychisme :
« Comme la maladie d’un organe peut aboutir à une détérioration complète de
la santé, ainsi un complexe qui ne fonctionne pas de façon juste désorganise
l’ensemble de la psyché. »
On voit apparaître une névrose, ou pire, et il faut découvrir ce qui ayant été
négligé, détruit la personnalité toute entière. »114
Le psychisme individuel n’est qu’une partie d’un tout auquel nous sommes tous
reliés115 et dans lequel s’expriment les dieux et les déesses. Ainsi de façon
analogique le refoulement de l’Archétype de la déesse a engendré tout un
ensemble de névroses sociales, allant jusqu’à poser la question de l’existence de
son âme116. Il implique aussi un déséquilibre notoire aux niveaux des
Archétypes ; qui ne pourrait pas être sans conséquence, par effet d’écho et
d’interdépendance.
Dans les mythes et les contes de fées nous retrouverons cet oubli par des thèmes
que nous connaissons depuis notre petite enfance :
114 ibid
115 Je fais référence ici à la notion d’inconscient collectif
116 Elisabeth Parmentier, « Une âme floue », La femme ce qu’en dit la religion, de l’Atelier, p 57
117 Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 68
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« Le thème du sommeil de la princesse nous ramène au fait que certains facteurs
de la vie psychologique féminine ont été refoulés par une censure
inconsciente ».118
Qui est cette déesse ?
Il n’est par conséquent pas facile de retrouver cette déesse, cela nécessite de
déjouer les pièges de nos habitudes, de nos cultures, de nos écrits et des
croyances qui nous sont inculquées depuis notre naissance. Elles sont prises
comme « vérités » car souvent données pour vraies de vraies par des spécialistes
reconnus en la matière. Nous pouvons comparer ces croyances à celles que nous
avons traînées durant de longues années depuis l’école de la République, sur nos
ancêtres les Gaulois, ces êtres barbares et incultes. C’est de cette manière
beaucoup sont persuadés que le statut féminin, sa nature et son essence ont de
tous temps été traités de la même manière et ont véhiculé les mêmes servages.
En bref ils prennent pour naturels et allant de soi que nous sommes quelque part
des moins quelque chose, des inférieures, des maléfiques, des impures. Soit, de
nombreuses croyances véhiculent ces idées, mais la plupart sont empruntes du
manichéisme qui dans toute l’histoire du monde est somme toute relativement
récent, et sont interprétées d’une manière dualiste et machiste. Les Grecs et les
Romains dont nos intellectuels se revendiquent les fiers héritiers, traitaient déjà
leurs femmes comme des mineures incapables :
« La légitimité du statut de la femme passe toujours, on le voit, par le biais du
père ou de l’époux. »119
C’est oublier d’autres réalités, d’autres vérités sur le possible, d’autres preuves
historiques,
118 Ibid, p 92
119 Georges Duby – Michelle Perrot, Histoire des femmes – L’Antiquité, Plon, 1990, p 365
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conscience. Toute notre tradition historique présente le féminin comme négatif,
car le principe de la nature n’est pas reconnu. »120
« Nous avons remarqué que, dans les pays catholiques tout au moins, l’aspect
clair de la Grande Mère, de l’anima et de la femme fut projeté sur la Vierge
Marie, tandis que son aspect Chthonien refoulé devenait sorcière. »121
Seule une reconnaissance de leur réalité, une acceptation de leur besoin vital,
une porte ouverte, créative sur le monde nous évitera la rencontre de leur divine
colère. Ces forces que l’on dit maléfiques ne le sont que parce que nous ne leur
donnons plus aucun « cadre » où s’exprimer, la nuit paisible devient alors le
gouffre sans fond de l’horreur. Tout comme un soleil sans ombre porte la mort.
Nous ne proposons plus de rites et de soumission pour ces puissances divines, et
par là-même nous nous mutilons nous-mêmes.
C’est un peu comme si le « mâle » contenait, retenait, enfermait le « femelle »
au lieu de lui laisser le cadre légitime, hardi et protecteur où s’exprimer. Il
s’ensuit une incompréhension et une déviance des valeurs génératrices de
souffrance pour l’un comme pour l’autre.
120 Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 205
121 Ibid p 253
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« Plutôt que de considérer les archétypes de la Vie et de la Mort comme des
opposés, il faut les maintenir ensemble, comme le côté gauche et le côté droit
d’une même pensée. »122
Le mal est l’encloisonnement et la non reconnaissance d’une réalité. Il s’agirait
de sortir d’un système binaire et dualiste, manichéen, pour entrevoir les possibles
d’une tripartition ! Il s’agit de cycle et non plus de temps linéaire, il s’agit de
complicité et d’enchaînement, non de confrontation, de conflit et de combat, il
s’agit de possibles métamorphoses :
« Du fait de la nature de Vie/Mort/Vie, le Destin, les liens affectifs, l’amour, la
créativité évoluent selon d’amples schémas sauvages qui se suivent dans cet
ordre : création, accroissement, force, dissolution, mort, incubation, création et
ainsi de suite. […]123
Que ce soit le rapport de l’ombre et de la lumière ou celui du corps et de l’âme,
l’angle de compréhension doit être différent :
« C’est dans ce sens que la femme sauvage peut faire des recherches sur le
caractère numineux de son corps et comprend que le corps n’est pas un poids
qu’il nous faut traîner toute la vie, ni une bête de trait qui nous traîne à la vie,
mais une série de portes, de rêves, de poèmes … »124
Nous devons apprendre à renverser les valeurs pour mieux les approcher et les
comprendre :
« On remarquera que dans les contes relatifs à la psychologie féminine, lors de
la quête de l’héroïne sous la forme d’un voyage céleste de ce type, il se produit
très souvent un renversement des valeurs habituelles : le soleil y est la puissance
la plus maléfique, tandis que la lune y est seulement relativement néfaste et la
nuit avec ses étoiles scintillantes, bénéfique : ceci est contraire à l’interprétation
courante selon laquelle le soleil est la source de l’illumination et la nuit le
domaine des puissances ténébreuses à éviter.
122 Clarissa Pinkola Estés, Femmes qui courent avec les loups, Grasset & Fasquelle, 1996, P194
123 Ibid p 423
124 Ibid p 293
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Ce thème vient sous cette forme dans la plupart des voyages initiatiques, relatifs
au problème de l’héros, de l’amour, tandis que lorsqu’il s’agit d’aller chercher
l’illumination spirituelle et mentale dans l’au-delà, le soleil représente la plus
haute valeur. […] Mais ici, comme en beaucoup d’autres contes, le motif est
inversé comme dans la flûte enchantée de Mozart où le prince dit à son épouse :
« Ne fais pas trop confiance au soleil ou à la lune, descends avec moi dans
l’obscurité de la nuit. » L’obscurité du mystère est donc, dans certains cas, le
but, et le soleil, la puissance qui brûle et qui anéantit. »125
C’est alors que nous serons plus à même de comprendre Qui et Quoi se cache
sous les jupes des déesses des Celtes, nous pourrons les entrevoir encore actives
dans les habitudes de nos vieilles campagnes qui parfois ont su garder dans leurs
schémas de société la nature tripartite du monde, comme sont les déesses Celtes,
ces « matrones », ces trois Femmes divines dont le reflet dans la société se trouve
encore au XIXème siècle.
Nous allons redécouvrir les mille et un visages de cette Femme Divine, Son aile
sur notre quotidien, la force de Son amour et de Son pouvoir.
Cette déesse est une multiple, symbole de l’Eternité, du non temps, elle règne
sur la magie du monde et sur le religieux par un pouvoir particulier qui lui est
toujours relié, celui de la métamorphose.
Une preuve en était de notre attitude envers les obscures voiles de la Dame
Sacrée. Autrefois les robes de mariée étaient noires :
« Notons tout d’abord qu’anciennement la robe de mariée était noire. C’est
Lucile qui en 1890, la première du village se mariera en « blanc ».127
125 Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 230
126 Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire, Gallimard, 1979, p 80
127 Ibid, p 247
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Et nous pouvons constater ce fait sur les gravures d’autres contrées que celle de
Minot. Pourrions-nous imaginer que les hommes du temps jadis aient affublé
leurs « mariées » d’une couleur tachée de vilainie ? Ne peut-on au contraire y
voir la vieille foi en la puissance magnifique, belle et généreuse de la Grande
Déesse de nos rêves ? Les femmes ne portaient-elles pas ces robes pour
s’imprégner du pouvoir de fécondité de la terre dans ce qu’elle a de plus riche et
de plus tendre ? Nous qui pensons que nos aïeux ne savaient pas faire sans
« signer » leur geste d’un symbole profond, pouvons-nous imaginer que sur ce
fait ils aient voué leurs filles à l’obscur de l’enfer ?
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Guerrière et souveraine
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Les femmes guerrières
Les femmes celtes ont, nous l’avons vu, une présence et une réalité dans toutes
les sphères de la société. Elles ne peuvent être absentes du religieux, comme
elles ne peuvent être absentes du guerrier. La guerre, elles peuvent y participer
si nécessaire, de façon magique :
« L’usage pour les femmes de se découvrir la poitrine quand elles demandent
grâce se retrouve dans la littérature de l’Irlande avec le même caractère
provoquant qu’au siège de Gergovie. »129
Il semble en effet que si ce n’est pas une « spécialité » des femmes, elles peuvent
se joindre aux hordes guerrières par nécessité :
Tacite mentionne leur présence lors de l’affrontement qui eut lieu entre les
troupes romaines de Suetonius Paulinus et les Ordovices en 61 après JC, sur l’île
de Mona « Criant des imprécations, vêtues de noir comme les Furies, les cheveux
en désordre, brandissant des torches et la stupéfaction des soldats romains
devant ce spectacle inaccoutumé »131
C’est sur le champ de bataille qu’elles peuvent se joindre à leur mari.
« Ammien Marcellin nous les décrit prenant une part active à la lutte et il nous
explique comment toute une troupe peinait à vaincre au combat un Gaulois s’il
appelait sa femme à son aide ».
« L’humeur des Gaulois est querelleuse et arrogante à l’excès. Le premier venu
d’entre eux, dans une rixe, va tenir tête à plusieurs étrangers à la fois, sans autre
auxiliaire que son épouse, champion bien plus redoutable encore. Il faut voir
129 D’Arbois de Jubainville cité in Jean Paul Picot, Dictionnaire Historique de la Gaule, La Différence,
2002 ; p 308
130 Agnès Audibert, la Femme en Bretagne, Gisserot, 1993, p 15
131 Annales, Livre XIV, ch 30, in Agnès Audibert, la Femme en Bretagne, Gisserot, 1993, p 15
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ces viragos, les veines du cou gonflées par la rage, balancer leurs bras robustes
d’une blancheur de neige, et jouer des pieds et des poings assenant des coups
qui semblent partir de la détente d’une catapulte »132
Et c’est sans doute encore, sous le coup de la nécessité, que certaines ont pris le
commandement des armées, suivies sans aucun problème par les guerriers,
comme le décrit Tacite :
« Les Brigantes, sous la conduite d’une femme ont été capables d’incendier une
colonie, d’enlever un camp, et si le succès ne les eut engourdis, ils auraient pu
secouer le joug » 133
Bouddica et Andrasta
Bouddica134 est une reine celte, de la tribu des Icéniens. Femme du roi Pasturgas,
elle mena à la mort de celui-ci, en 61 après J.C, une révolte sanglante contre
Rome ; en effet elle fut brutalisée et ses filles violées par les occupants. Ses
batailles restent célèbres mais ne menèrent pas à la victoire. Elle se suicida ainsi
que ses filles par le poison. Bouddica est aussi le nom d’une déesse et signifie
« la victorieuse ».
132 Marcellin, Histoire, Livre XIV, ch 3O, in Agnès Audibert, la Femme en Bretagne, Gisserot, 1993, p 15
133 Vie d’Agricola, Ch 21
134 Voir. Kutra, Les Celtes, Histoire et dictionnaire, Laffont, 2000
135 Nora Chadick (Les Royaumes Celtiques, p 147, in Agnès Audibert, la Femme en Bretagne, Gisserot,
1993, p 16
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L’honneur femelle et la résolution d’une femme, sa liberté de choix et son
pouvoir guerrier apparaissent particulièrement bien toujours dans les
témoignages de Tacite :
« Boadicée montée sur un char, ayant devant elle ses deux filles, dès qu’elle
arrivait près d’une de ses peuplades, protestait que tout accoutumés qu’étaient
les Bretons à marcher à l’ennemi conduits par des femmes, elle ne venait pas
maintenant comme issue de nobles aïeux, réclamer son royaume et ses richesses,
mais comme une simple femme, venger sa liberté perdue, son corps déchiré de
verges, l’honneur des ses filles flétri. […] Si l’on réfléchissait au nombre des
combattants et aux causes de la guerre, on verrait qu’il fallait vaincre dans cette
bataille ou bien y périr. Femme c’était là sa résolution : les hommes pourraient
choisir la vie et l’esclavage » 136
Cette possible vengeance, ce regard sur l’honneur bafoué, ce possible choix de
vaincre ou de mourir sont des caractéristiques sûres d’une femme au statut libre
et égalitaire. Une femme ayant ces marges de manœuvre, tant morale que
politique, n’apparaît jamais sous ce jour dans l’histoire ultérieure de l’occident.
Elle n’est ici ni suivante, ni obéissante, elle est dans sa dignité de femme la stricte
égale de l’homme. Ce fait doit avoir suffisamment subjugué les anciens latins
pour qu’ils en rendirent le témoignage.
136 Vie d’Agricola, Ch 16, in Agnès Audibert, la Femme en Bretagne, Gisserot, 1993, p 17
Page 60
eux le nom de la Victoire, et ils en faisaient l'objet d'une vénération
exceptionnelle. »137
Bouddicea en tant que déesse de la Victoire est connue par une épitaphe en son
nom retrouvé à Bordeaux et une au nom d’Andrasta à Thetford en Grande
Bretagne. Aujourd’hui le mythe et l’histoire se confondent. Bouddica dans son
rôle historique rejoint les héroïnes dans leurs modèles celtiques. D’autres
héroïnes pourraient rejoindre le mythe, mais sans autres sources historiques que
celles des témoignages de Plutarque ou Tite Live, elles sont tombées dans
l’oubli. Nous ajoutons foi à ces témoignages lorsqu’il s’agit de faits guerriers
masculins, aussi nous pourrions réfléchir plus avant sur la vérité qui sous-tend à
ces rapports de fait, qui même s’ils ne peuvent qu’être emprunts des exagérations
du mythe (les témoins n’ont pas connu les acteurs), sont sûrement le résultat d’un
phénomène bien connu des traditions orales, le mythe tissé sur un fait historique.
Une autre héroïne nous est connue par Plutarque et a pour nom Camma138.
Camma était une prêtresse dont le mari avait été tué par un quidam qui la désirait.
Impuissante à lui échapper, elle résolut de l’épouser, mais, le jour des noces
avant de boire la coupe sacrée, elle y versa du poison et l’entraîna avec elle dans
la mort.
Titie Live, rapporte lui, l’histoire de Khiomara139. Khiomara était tombée aux
mains d’un centurion romain qui l’avait violée. Animée par le désespoir, elle ne
pensait plus qu’à venger son honneur. Elle parvint à faire tuer l’officier, lui coupa
la tête, la porta à son mari. Celui-ci s’écria « ô Femme, que la fidélité est une
137 Dion Cassius, Histoire romaine, 62, 6-7, in l’arbre celtique, Patrice Lajoye
138 Ou Chiomara, Plutarque, Vertu des femmes, II
139 Tite Live, XXXVIII, 24
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belle chose ! ». Elle répondit « Ce qui est plus beau encore, c’est de pouvoir
dire : deux hommes vivants ne se vanteront pas de m’avoir possédée. »
Tout comme dans les textes de lois de l’ancienne Irlande, nous pouvons constater
que de tous temps, certains hommes tendent à violenter le corps des femmes. A
cela près que la loi les protège et leur permettent, le cas échéant, de se venger
elles –mêmes. Le viol n’est pas une acceptation de leur condition, ne serait-ce
que par le silence et la soumission. La mort vaut mieux que le déshonneur.
Bernard Félix, dans son ouvrage Iseult et ses sœurs celtiques - essai sur la liberté
du choix amoureux140, aurait pu étayer encore plus ses analyses en y joignant ces
témoignages quasi-historiques de la liberté du choix amoureux des femmes
celtes.
Cependant ne nous y trompons pas, il ne s’agit pas de furies, il ne s’agit pas de
guerrières qui se comportent comme des hommes.
« L’influence celtique, même quand elle a été masquée par d’autres tendances,
n’est pas aussi inexistante qu’on le croit aujourd’hui. Notre civilisation ne s’est
pas totalement dégagée des légendes qui ont fondé celle qui l’a précédée sur nos
terres occidentales. Nous ne vivons pas que de l’héritage juif, grec ou latin. Les
mythes celtiques restent riches et ont trouvé dans notre littérature une vie sous-
jacente. »141
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Différentes versions des contes, ont laissé filtrer quelques traces de ces femmes
guerrières et souveraines quant à leur destinée :
« Quand à Deirdré, elle n’a pas toujours connu la fin misérable que nous avons
dite. Certains textes la font mourir les armes à la main, en même temps que les
fils d’Uisliu. […] Au lieu de se lamenter sans cesse sur la prophétie de Cathbad,
Deirdré agit, combat, se rebelle. Et dans cette rébellion contre les appétits du
roi, elle vit quelques années exaltantes, merveilleuses. Ce succès temporaire,
cette lutte farouche, jusqu’au bout des possibilités que la vie lui ouvre, ce
dépassement de soi qui est l’idéal des meilleurs des guerriers, toutes ces
caractéristiques nous éloignent des plaintes plus ou moins régulières des héros
et des héroïnes des tragédies grecques qui se laissent porter par leur destin. »
142
Ces héroïnes portent en elles toutes les caractéristiques des déesses celtes, de la
féminité celtique.
Morrigane
Morrigane, contrairement aux idées reçues, n’est pas à proprement parler une
déesse de la guerre. Elle y préside par la mort qu’elle symbolise, les corbeaux
sont son voile de nuit, mais elle n’est pas La guerre. Elle l’est moins que ses
consœurs Bouddica et Andrasta qui, elles, nous l’avons vu, président à la
victoire.
« En fait chaque fois qu’elle apparaît, la déesse – Bodh ou Morrigu - emprunte
une nouvelle forme, ces manifestations animales sont autant d’indications de ses
possibilités. Il semble dérisoire de la réduire purement et simplement à une
déesse guerrière car ses activités dépassent nettement le cadre du champ de
bataille. »143
142
Ibid, pp 25 - 27
143
Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre fêtes d’ouverture de saison de l’Irlande Ancienne,
Armeline, 2003, p 126
Page 63
Nous la retrouverons donc plus précisément dans l’étude de la mort et des
métamorphoses.
La souveraineté et le royaume
« Par les sculptures, les dédicaces en latin, retrouvées en Gaule, les récits
légendaires, nous savons que le féminin, compris comme source de fécondité,
144 (Van Der Leeuw, La Religion, P78, in Jean Paul Roux, La Femme dans l’histoire et les mythes, Fayard,
2004 p 225
145 Ibid p 225
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est révéré en ce que donnant la vie, il assure la fécondité cosmique. Les
personnages représentés portent des paniers de fruits, des cornes d’abondance
ou tiennent des enfants sur leurs genoux. Le dieu au maillet Succelos est
accompagné de sa parèdre, Natosuelta ; Loxovius de Brixia, Bormo de Damona.
Mais donnant la fertilité, ils confèrent aussi la puissance. Les héros guerriers
irlandais ne peuvent être rois que par l’accord d’une femme, mortelle ou déesse,
que par mariage avec celle qui incarne la souveraineté. »146
La fonction sous un jour celtique engendre une royauté très caractéristique, qui
n’a rien à voir avec la notion de roi telle que nous la connaissons depuis les
Mérovingiens, ni avec la « royauté - absolue » que nous connaissons depuis le
Haut Moyen–Age et la Chrétienté. Le roi celte est celui qui reçoit la royauté que
lui accorde la Reine. De fait il y avait plusieurs types de rois :
Il est un roi, de plusieurs rois/
[…] la hiérarchie administrative est verticale, représentée d’ailleurs par un seul
personnage, le « roi » :
Au sommet de la hiérarchie
- L’ardri ou « haut roi », ou « roi suprême » d’Irlande, siégeant à Tara,
dans la province centrale du Mide
- A la tête de chaque « province » ou « cinquième » :
- - le Rí ou roi siégeant dans la capitale de chacune des quatre
« provinces » périphériques
- A la tête de chaque Canton, le ri ruaithe ou « roi de canton »
[…] Il a dû en aller de même en Gaule …147
Les anciennes lois d’Irlande148 ont, elles aussi, laissé de nombreuses traces de ce
roi archaïque défini par des obligations légales, dont le non-respect peut
entraîner une perte de son statut. La conséquence naturelle de l’infraction du roi
aux lois qui lui incombent est la stérilité de la terre149, ainsi qu'une instabilité
politique. Le roi se devait d’observer la loi comme tout autre membre de la tribu
Page 65
(túath), même s’il pouvait se faire représenter par une sorte de "substitut150"
(aithech fortha).
Nous sommes donc bien loin du « roi absolu » tel que nous l’ont transmis Charles
VII, Louis XI, Louis XIV, roi absolu et divin, centralisation d’un pouvoir. Le
but ultime reste pour le roi celte, d’agir dans les règles d’un schéma d’une société
tripartite, société structurée à partir de la vision théophanique des Celtes. Si le
rôle d’un roi Franc, Carolingien, Valois, Bourbon, roi de pouvoir personnel, est
de rendre le royaume fort, contre un ennemi, celui du roi celte consiste à garder
l’équilibre, faire prospérer le royaume, le rendre fécond dans un rapport premier
avec la « nature » et l’interdépendance qui en découle. Cette nature est par
essence liée au roi par la « Souveraineté », la déesse, la « Reine » :
« [La souveraineté]… […] elle, est la conjonction de l’autorité spirituelle et du
pouvoir temporel. C’est avant tout un point d’équilibre et d’harmonie que nos
contemporains ont le plus souvent quelque peine à comprendre. »151
Cette différence est de taille, elle met le roi celte au service d’une communauté
(Plaire aux dieux pour qu’ils soient généreux), le roi « absolu » lui est au service
du pouvoir politique de « son » propre règne.
Mebd, que nous verrons en détails plus loin, représente aussi cette royauté. N’est
Roi que celui à qui se « donne » la souveraine : « tant que Medb ne dormit pas
avec lui, Cormac ne fut pas roi d’Irlande »
150 Personne de bas rang dépendant du roi qui peut être saisi sans affecter l'honneur du roi. Si le roi n'a pas
de tel « manant-substitut », le plaignant peut alors saisir le roi, mais seulement par une procédure très
particulière.
151Guyonvarc’h, Leroux, La Société Celtique, Ouest France, p 136
152 Niall aux Neuf Otages, Agnès Audibert, la Femme en Bretagne, Gisserot, 1993, p 25
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Car il est nécessaire pour que le roi soit roi qu’il ait pour épouse une
« souveraine » disponible ! Sans elle il est « gaste ». C’est un jeu subtil entre elle
et lui. Une terre stérile ne l’est que parce qu’un roi ne la féconde pas, mais le roi
ne peut féconder la reine que si elle le choisit pour cela. Cette disponibilité, nous
le verrons correspond à la notion de virginité. Nous retrouvons clairement le jeu
dévolu en soi, de la conscience et de la psyché, qui séparées, engendrent les
névroses, mais complices et unies proposent la transcendance L’union du roi et
de la reine peut imager l’union recherchée en psychologie analytique, amenant
l’individu vers le processus d’individuation, si cher à Jung :
« L’union des opposés est à la fois la force qui provoque le processus
d'individuation et son but ». 153
En quelque sorte nous retrouvons le schéma de base du royaume stérile d’un roi
pécheur, dans le conte du Graal. Ce royaume dont le roi ne peut féconder la terre,
de par sa blessure à l’aine, symboliquement sa virilité.
De la souveraine à la guerrière il n’y a qu’un pas. D’ailleurs nous ne savons pas
si les princesses des tombes historiques sont des reines ou des princesses, mais
elles sont affublées d’un titre de guerrière, à partir du moment où l’on trouve des
armes dans leur tombeau.
Quoiqu’il en soit, nous savons que les « fonctions » celtes, transposées dans la
société ne génèrent pas de « classes », ni de cloisonnement hermétique. Au
contraire la nature de l’esprit celte repose sur la fluidité, la souplesse et les
passerelles entre les niveaux, les fonctions, les classes et les différents mondes.
La frontière est toujours mince, ainsi en est-il de la vie et de ses manifestations.
Page 67
Ainsi la frontière entre reine et guerrière est tout aussi franchissable que les
autres dans la mesure où la royauté est liée à la guerre.
Page 68
Mebd
Mebd est « la » reine celte par excellence, la souveraine. Elle possède tous les
traits de ces fonctions, mais aussi la preuve par ses actes, de son statut, de son
pouvoir et de sa réalité. Elle a des droits et des biens, elle se confronte à son
mari, engage une guerre.
Mebd est la reine héroïne dans « La raazzia des vaches de Cuanlgé ». Ce récit
est celui de l’affrontement entre deux provinces d’Irlande, l’Ulster dont le roi est
Conchobar, et le Connemara dont Medb est justement la reine. La défense de
l’Ulster est assurée par son champion Cuchulain. A lui seul, il doit faire face aux
troupes de la reine Medb, parce que les autres guerriers de l’Ulster sont frappés
d’impuissance par suite de la malédiction de Macha. Cuchulain est le plus fort
et aucun des combattants qui s’opposent à lui ne parvient à égaler ses prouesses.
Contre Cuchulain s’alignent cependant nombre de valeureux combattants, en
particulier Fergus, l’ancien roi de l’Ulster, détrôné par les astuces de la mère de
Conchobar et brouillé avec ce dernier.[…] Dans le Connemara la souveraineté
est partagée entre le roi Aillil et la reine Medb. Aillil signifie « fantôme ». Il n’a
été choisi par elle que parce qu’il était dénué de crainte, d’avarice et de jalousie.
Medb signifie « ivresse ». L’affrontement entre les deux peuples de l’Irlande fait
suite au vol, sur ordre de la reine, d’un taureau, le « Brun de Cualnge », parce
qu’au cours d’une dispute sur l’oreiller où Medb et Aillil comparent leurs
apports respectifs dans le mariage afin de déterminer qui a la préséance sur
l’autre, Medb constate que ses biens égalent en tout les biens de son mari, sauf
en ce qui concerne le taureau : Aillil possède ce taureau magnifique, « le Beau
Cornu », et Medb ne peut faire preuve d’une possession équivalente ; or elle
tient à montrer que c’est elle la plus riche et qu’elle est donc l’origine du pouvoir
dans ce pays.[…] A la fin de l’histoire, le royaume de Connemara, semble avoir
perdu et l’Ulster a conservé son indépendance. Cependant, l’objet du litige, le
fameux taureau convoité par Medb, lui reste acquis, et gagne au combat le
taureau d’Aillil. De son côté Cuchulain meurt.
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« C’est cette dispute qui doit retenir. Elle éclaire le personnage de Medb, qui,
même si elle est en réalité un peu moins riche qu’Aillil, détient réellement le
pouvoir, prend les décisions pour le couple, recrute des troupes et les dirige. »158
Soit ! Les choses sont claires sur ce point et ce texte sert de base à de nombreuses
analyses au sujet de la souveraineté celtique. Il est assurément très instructif tant
sur la réalité de la femme dans la société celte, que sur ses pouvoirs politiques et
guerriers. Sur un plan plus spirituel, il indique tout aussi clairement que c’est le
tandem reine/roi qui assure la réalité d’un « royaume » et que si l’âme n’est pas
mise à égalité avec le roi intérieur, il s’ensuit une quête d’équilibre qui peut être
aussi douloureuse qu’un état de guerre. L’étude détaillée de cette guerre, le rôle
clé de Cuchulain et sa place de héros serait une étude à part entière non dénuée
d’intérêt mais qui ne trouve pas sa place ici.
Ce que nous pouvons noter, et qui entre tout à fait dans l’étude qui nous intéresse,
c’est l’absence d’un jugement de valeur dans un sens manichéen de l’histoire. A
la lecture de cette saga, nous sommes bien incapables de dire qui est le
« méchant » et qui est le « gentil ». Bien sûr Cuchulain a souvent l’avantage, de
par sa flamboyante épopée, cependant Medb de par sa puissance et sa liberté,
son intelligence, ne peut nous laisser insensibles. Elle n’est pas une « méchante
reine ». La couche dualiste, l’ombre qui couvre la déesse n’a pas encore posé
son voile sur le mythe. Nous pouvons aisément voir que cette énergie qui pousse
à se surpasser, et qui peut souvent ressembler à la guerre, qui cherche l’équilibre
de richesse en soi n’est ni mauvaise, ni méchante, elle est. Elle est forte et
indestructible, elle doit être canalisée et confrontée au héros de notre conscience
afin de parvenir à l’épanouissement de tout le royaume. Voilà un certain
raccourci, qui pourtant me semble une parcelle de lecture tout à fait intéressante.
Avant les méchantes fées de nos rêves, les mythes celtiques nous offrent le
visage des déesses obscures dans toute leur beauté et leur nécessité.
158 Bernard Felix, Iseult et ses sœurs celtiques, Coop Breizh, 1995, p 38
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La Mère divine
La Mère divine est la désignation de celle qui est la Mère de Dieux, la Mère des
Hommes, la Mère du cosmos, la Mère Première. En effet il existe une vision du
monde qui, non pas sortie d’une « intelligence » divine, d’un front divin,
essentiellement masculin (le Dieu), est issue d’une masse :
« La plupart des grandes civilisations ont imaginé l’univers primordial comme
« une masse compacte et homogène dans laquelle aucune forme n’était
discernable. »159
Ovide :
« La nature, sur toute l’étendue du monde, n’offrant qu’une apparence unique,
ce qu’on appelle chaos, masse informe et confuse » 161
Cette masse qui toute indifférenciée qu’elle soit a tout d’un ventre de mère, une
« matrice » :
« Ce serait la tâche des philosophes d’expliquer ce qu’avait pu être cet abîme,
la masse informe des éléments mêlés, diraient-ils en général avec les Stoïciens.
D’autres au contraire le verraient comme une matière première portant vie,
possédant en puissance l’avenir de tout ce qui serait : « ce monde antérieur
contient en lui, mais à l’état latent […] toutes les matières premières qui vont
être mises en œuvre pour la création » (Sauneron et Yoyotte, La Naissance,, SO,
I , P 211) disent les Egyptiens. Souvent on se le représente comme un œuf, donc
une cellule vivante, une matrice. »162
Les mondes les plus archaïques ont les traces de cette antériorité de croyance :
Page 71
« Dans la Grèce archaïque Hésiode affirme l’antériorité de la terre et ses
fonctions de mère. « Alors Gaia donna naissance à Ouranos égal à elle-même
afin qu’il l’enveloppe de toutes parts. (Hésiode, Théogonie). Dans une telle
vision, le principe féminin est antérieur au principe masculin : la femme a la
primauté sur l’homme. »163
Nous touchons là la plus vieille des croyances, mais aussi la plus mystérieuse.
Nous parlons « du mystère », car le seul et unique mystère se trouve bien dans
ce Graal, ce ventre de Mère, ce ventre de Terre, ce ventre de femme, ce secret
que personne ne pourra jamais percer, car il dépasse l’entendement de nos
cerveaux. Ce secret qui fascine, qui envoûte, qui nous remplit d’amour ou de
terreur :
« Comment peut-elle transformer la graine semée en une multitude de graines,
ou en faire naître un buisson, un arbre ? On se trouve au seuil d’un angoissant
mystère car nul ne peut répondre à ces questions. C’est ce même angoissant
mystère que, pour l’homme, représente la femme. »164
Ce mystère par son essence même porte en lui la terreur que l’on accorde à tout
ce que l’on ne connaît pas. Ainsi peut se traduire l’imagerie terrifiante qui suit
pas à pas, la féminité dans ce qu’elle a de plus obscur: la terrible Lilith, ou très
exactement chez les Grecs « Nuit » :
« Terre a existé dès le premier commencement juste après Abîme – au tout début,
la faille ou la fente, désignée au neutre, s’en est-on avisé ? -, et elle a enfanté
Ciel (Ouranos) moins comme un fils (il en est un) que comme un partenaire
« égal à elle-même », cependant qu’Abîme donnait naissance à Nuit. Mais
comme si le premier temps était un temps pour rien, tout va désormais se jouer
entre Terre et Nuit. Terre n’a pas plus tôt enfanté un être capable de la couvrir
toute entière que déjà elle s’unit à lui dans l’amour. On connaît la suite : la
procréation d’enfants terribles que le père prend en haine et repousse dans les
profondeurs de la mère, laquelle gémit, et poste en embuscade son dernier né,
Kronos, armé d’une serpe. Et Ouranos est châtré La seconde génération peut
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voir le jour. » […] « Pendant ce temps, Nuit née de la fente primordiale et qui
ne connaît que la division, enfante, sans amour, par scissiparité, une
descendance rassemblant tout ce que les Grecs comptent de négatif. […] Toute
divine et donc miraculeuse (ou monstrueuse), la parthénogenèse nocturne : loin
de tout principe masculin. Nuit a conçu et enfanté seule, cependant que Terre,
avant de se révolter contre l’étreinte insatiable de Ciel, s’est maintes fois unie
à lui dans l’amour. »»165
Cette notion de Femme première qui engendre seule n’est pas un phénomène
observable uniquement dans une croyance mythique. Nous retrouvons
précisément ce modèle dans l’analyse de la création psychique,
l’autofécondation d’un esprit artiste :
« Un strict parallèle existe, en effet, entre la création mentale et l’engendrement
biologique. Dans les deux cas vient d’abord le moment de la fécondation, de la
conception. Dans la création mentale, l’élément fécondant est parfois constitué
par une simulation externe qui frappe brusquement et suscite de profondes
émotions, des sentiments intenses et met en mouvement l‘activité du
supraconscient. […] parfois il s’agit de stimuli externes multiples, moins
intenses, dont l’effet direct sur le supraconscient agit de façon telle qu’ils ne sont
même pas perçus par la conscience de l’artiste. Dans beaucoup d’autres cas,
l’inverse, le stimuli déterminant n’est pas externe mais interne ; il est constitué
de tendances, d’impulsions, de sentiments, de problèmes qui s’agitent dans
l’âme de l’artiste et qui, ne pouvant trouver d’issue satisfaisante ou de solution
dans la vie, s’expriment dans une création imaginaire et la chargent de leur
force motrice.[…]Le stimuli peut aussi être de nature plus haute, à savoir une
intuition vive de la Réalité supérieure, un éclair d’illumination intérieur. C’est
arrivé souvent dans les époques spirituelles, où l’art avait un caractère
religieux, où le poète était un prophète et un voyant. […] Dans des cas de ce
genre, le stimulus initiateur de la production supraconsciente est interne et on
peut parler d’autofécondation, c'est-à-dire d’un rapport créatif entre les
différents parties, ou éléments, du même psychisme. »166
165 Georges Duby – Michelle Perrot, Histoire des femmes – L’Antiquité, Plon, 1990, p 57
166 Roberto Assagioli, le développement transpersonnel, Desclée Brouwer, 1994, p 56
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Encore une fois, s’il était nécessaire de l’exposer, le mythe représente à la fois
l’expression d’une idée cosmogonique et environnementale, comme il peut être
porteur d’un pan historique et mémorial. Cependant il est tout autant l’expression
d’une réalité intérieure, écho de nos profondes réalités. Ce phénomène de
correspondances à plusieurs niveaux de lecture du mythe, lui donne toute sa
force et sa puissance, signant son appartenance à notre éternité, et notre propre
appartenance à la Nature du monde.
Cette Mère, qui seule ou unie au Mâle divin169 portera l’enfant monde dans son
ensemble a par analogie des correspondances avec tout ce qui est creux, noir,
humide, terreux. La grotte en particulier.
167 Saminos est le premier de l’an des Celtes qui se trouve le 1 er novembre, c'est-à-dire pour eux au
premier jour de l’hiver, comme ils comptaient le temps en comptant les nuits.
168 Clarissa Pinkola Estés, Femmes qui courent avec les loups, Grasset & Fasquelle, 1996, p 575
169 Il est nécessaire d’interpréter le fait que l’Amant est aussi le Fils dans le sens où ils sont de même nature
divine que la Mère et non dans un sens humain d’inceste.
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Nous savons l’importance des grottes dans les premiers cultes archaïques,
lorsque le paysage s’y prête. Que ce soit Lascaux ou les Trois frères, la présence
de signes qui nous semblent magico religieux, engendre chez nous un ensemble
de fantasmes dont la profondeur rejoint la mémoire du monde.
Il ne faut pas de longues tergiversations pour faire le lien entre ce lieu de nuit et
de chaleur, d’humidité et de silence et la symbolique de la vie et de la mort, car
enfin quoiqu’il arrive, si nous sortons toujours d’un ventre de femme, c’est aussi
toujours sur ou dans la terre que nous retournons à l’heure de notre mort, que ce
soit sous forme de cendre ou pas.
La mer est aussi la mère et rejoint par son symbolisme au monde chtonien la
notion de mère première.
« Naissance, vie et mort ! Les mythes abondent dans toutes les religions qui
montrent à quel point la grotte est liée à tous les moments de l’existence, mais
les plus nombreux, les plus significatifs se rapportent à des unions sexuelles et
à des accouchements. »171
Pour les Celtes, la déesse Mère, celle que les Grecs nommaient Gaïa a pour nom
Dana, ou Ana.
170 Jean Paul Roux, La Femme dans l’histoire et les mythes, Fayard, 2004 p 226
171 Jean Paul Roux, La Femme dans l’histoire et les mythes, Fayard, 2004 p 226
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Dana
On la retrouve peu dans les mythes et les contes sous ce nom. Par contre elle est
restée très présente, par l’importance qu’elle avait dans la psyché humaine, sur
les lieux de cultes et ce sur tout le territoire celtique. Tout le monde a entendu
parler des Ste Anne en Bretagne, mais les autres régions ne semblent pas en reste
et les Ste Anne pullulent.
Dana, Danu, est Don au Pays de Galles. Elle est l’épouse de Beli, mère
d’Amaethon, de Gwydion et d’Arianrhod, de Govannon. Comme Dana est la
mère des Thuata, elle est la génitrice de la dynastie divine « des enfants de Don »
en lutte contre la famille des géants « les enfants de Llyr ».
172 O’Donovan, Le Glossaire de Cormac, p 4, in Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre fêtes
d’ouverture de saison de l’Irlande Ancienne, Armeline, 2003, p 223
173 Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre fêtes d’ouverture de saison de l’Irlande Ancienne,
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Tailtiu
« Selon le mythe, Lug institua la fête de Lughnasad en l’honneur de Tailtiu, sa
mère nourricière morte aux calendes d’août ;; c’est une assemblée comprenant
des jeux funéraires, un banquet, des marchés (une célébration religieuse, des
sacrifices ?). Le mythe d’origine brièvement conté d’Oenach Tailten174 ou
« Assemblée de Tailtiu » d’après le poème en 54 quatrains des « Dindshenchas
métriques»175 et «Le livre des Conquêtes d’Irlande »176 est le suivant : Le site
tire son nom de la reine Tailtiu, épouse du dernier roi Fir Bolg, Eocahid Mac
Erc. Lorsque celui-ci fut défait et tué à la bataille de Mag Tured, elle épousa en
secondes noces Eochaid Garb du peuple vainqueur Tuatha Dé Danann. Taitiu
était fille de Maghmor, « Grande Plaine », roi d’Espagne, ce pays était une des
anciennes localisations irlandaises de l’Autre Monde177. Elle fut la mère
nourricière de Lug, fils de Cian, aussi appelé Scal Balb, « Fantôme muet », et
d’Eithne, fille de Balor. Sous son règne elle fit défricher la forêt de Coill Chuan
et en un an la forêt devint une plaine couverte de trèfles. Elle demanda qu’on
donne son nom à la plaine et qu’on l’y enterrât. Sa tombe serait au nord–est du
lieu de l’assemblée. Elle mourut aux calendes d’août. Lug institua des jeux
funéraires annuels qui devaient se tenir quatorze nuits avant et quatorze nuits
après « Lughansad ».
Un autre récit suggère qu’elle était captive accomplissant un travail forcé et que
le dur labeur (de défrichage) fut cause de sa mort. Les hommes d’Irlande
s’assemblèrent sur son lit de mort et elle leur demanda de tenir des jeux
funéraires pour la pleurer.»178
Quelque soit la version choisie, nous pouvons voir Tailtiu en tant que mère
adoptive, comme la mère « spirituelle », celle venue de l’Autre monde, fille du
roi de l’Autre Monde. Elle « guide » et inspire un dieu tel que Lugh qui est un
fêtes d’ouverture de saison de l’Irlande Ancienne, Armeline, 2003, p 528
177 F Le roux, Ogam XIV, p 344 – 348, in Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre fêtes
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dieu majeur du panthéon celte, de par sa position de « polytechnicien ». Elle
« produit », fertilise la terre et la couvre de trèfles, elle sème dans la conscience.
Lugh ne permet pas d’oublier ça, fort de cette éducation féconde, alliée à sa
propre nature obscure de par ses parents (son grand-père maternel est Balor, dieu
Fomoré, forces obscures et ombres, et son père a pour nom « fantôme muet »
caractéristiques des revenants dans les croyances traditionnelles). Tailtiu est
alors l’inspiration divine, cette sorte d’intuition magique qui porte dans son
sillage fertilité et générosité. Sa mort ne doit pas être oubliée mais célébrée, car
elle symbolise la naissance d’un autre niveau. Nous verrons que les déesses,
reines des métamorphoses, se régénèrent et se rendent éternellement disponibles.
1. Elle a fait une prophétie véritable. Tailtiu au côté brillant dans son pays ;
aussi longtemps qu’un prince la reconnaîtrait, l’Irlande ne serait pas sans
perfection de chant.
2. Une assemblée avec de l’or, avec de l’argent, avec des jeux, avec de la
musique, des chars, avec l’ornement du corps et de l’esprit par le savoir et
l’éloquence.
3. Une assemblée sans blessures, sans mensonges et quiconque, sans injure,
sans querelle, sans pillage, sans contestation, sans réclamation, sans
assemblée légale, sans évasion, sans arrestation
4. Une assemblée sans reproche, sans ruse, sans injure, sans honte, sans
dispute, sans saisie, sans vol, sans rachat.
5. Les hommes ne vont pas au terre-plein des femmes, les femmes ne vont pas
au terre-plein des hommes beaux et purs, mais chacun est à la place de son
rang à l’endroit de la grande assemblée.
Page 78
6. C’est la grande amitié de l’assemblée – par l’Irlande et l’Ecosse – que les
hommes y aillent et viennent, sans aucune inimitié méchante.
7. Blé et lait à chaque hauteur, paix et beau temps à cause d’elle, ont été donnés
aux tribus des Grecs : pour maintenir la justice …179
1 : Tailtiu fait des prophéties, qui est un pouvoir magique et elle présente les
caractéristiques des déesses de la souveraineté telles que nous les avons vues
précédemment à savoir que ce sont les reines qui légitiment le roi en son
royaume.
2 : Or et argent forment la complétude du soleil et de la lune, astres lumineux et
tous deux pouvant être rattachés aux déesses. Nous aurons l’occasion de revenir
sur ce point avec la Reine du Ciel et la Reine des Fantômes. Les jeux, la musique,
les ornements, l’esprit sont autant d’attributs de la déesse Brigid, que j’ai choisi
de présenter à travers son profil de lumière, déesse des Arts, dans le chapitre
suivant.
3, 4, 5 : soutiennent que le moment de la célébration soit placé dans un espace-
temps sacré, non soumis aux travers du monde profane. Mais tout aussi vrai qu’il
ne doit pas s’y produire les « fautes » majeures que sont le mensonge, le vol et
la trahison.180
6 : C’est à Lughnasad (célébration celtique du 1 er août) que se font les mariages
ou les contrats. On y connaît les espaces des épousés. Dans ce cadre il est tout à
fait nécessaire qu’il existe un moment de séparation claire entre les deux sexes.
19 Le blé se lie lui aussi à la fécondité de la terre, à la souveraineté, à la déesse
que nous connaissons alors sous le nom de Brigid
Déjà nous pouvons saisir la difficulté de cerner les déesses des Celtes tant leurs
visages sont moirés comme un voile brillant. D’une fonction elles glissent à
l’autre et lorsque l’on pense les saisir dans une particularité elles sont déjà dans
un autre rôle, jamais tellement différent, jamais totalement opposé, mais autre
face de son essence et de son caractère.
179 Ogam XIV, p 345, in Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre fêtes d’ouverture de saison de
l’Irlande Ancienne, Armeline, 2003, p 528
180 Ces trois fautes majeures se retrouvent dans l’histoire du druide Nédé, qui ayant trahit son Roi, lui
ayant Ravi sa Reine, voulu régner à sa place et fut tué par un éclat de rocher qui creva son œil de druide.
Le symbole est clair, dans la mesure ou le Druide est celui qui « voit ».
Page 79
Boan
Sur un plan analytique nous pouvons dire que si Boan conçoit le fils avec le frère
de son mari, ce n’est pas parce qu’elle est malsaine ou « putain », mais parce que
la conscience que représente le roi en place n’est pas apte, ni éveillée. Par
conséquent son frère, (de même nature divine), représente la tentative de la
souveraineté de s’accoupler avec celui qui est le Dagda, la conscience « père ».
Le Dagda ne l’oublions pas est « le » Père, c’est donc avec ce principe
fondamental que le fruit doit être conçu. Il ne s’agit pas d’un adultère mais du
bon choix des fonctions. La reine doit savoir éveiller la fonction paternelle, c’est
bien ce que fait Boan en s’accouplant avec « le frère ». Elle éveille la part
paternelle du roi.
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Une fois l’enfant né, le voyage à la source génère bien des échos et des images.
Elles parlent d’elles-mêmes.
Une fois l’enfant né la déesse doit retrouver sa « disponibilité », et nous verrons
que cela fut ultérieurement confondu avec « virginité », comment les déesses se
régnèrent par l’eau, retrouvent toujours leur disponibilité par un bain rituel (Voir
p 152). Seulement retrouver sa disponibilité implique de « lâcher » prise avec
l’enfant précédent. Le fait de mettre au monde, de laisser grandir et de laisser
partir un enfant représente pour une mère un « déchirement » que celles qui l’ont
vécu pourront confirmer. Il s’agit réellement de perdre une partie de soi-même,
comme on coupe le cordon à la naissance, on perd un peu de soi lorsque l’enfant
va « faire sa vie ». Et c’est bien ce qui se passe pour Boan, elle y perd un œil,
une jambe et un bras. Ces pertes ne sont pas des « punitions », elles sont
exactement les symboliques de la « magie de la grue ». Cette magie est la même
que celle utilisée par Lugh dans la seconde bataille de Mag Tured (Cath Maige
Turedh), durant laquelle le dieu se livre à ce rite singulier quasi-chamanique.
Pendant la bataille, Lugh se tient immobile, debout sur une jambe, un bras dans
le dos et fermant un œil, ce qui revient à les rendre inactifs, inexistants dans le
monde visible. L'action magique de cette posture est appelée corrguinecht ou
« sorcellerie de la grue ». La mise en œuvre vitale se nourrit de primordial. Le
bras, la jambe, l’œil permettent d’avancer, de tendre le bras, de regarder au-
devant, d’aller plus loin. Il s’agit d’un acte initiatique comme la vie nous en
propose à chacun de ses virages, nous y perdons de nous, une part de nous-
mêmes, mais enfin nous avançons, devenant autre. C’est sans aucun doute une
des plus grandes magies à laquelle il est possible de faire appel, car elle demande
courage et sagesse, le dieu sait qu’en occultant ou en sacrifiant physiquement
(consciemment) les forces disponibles par son œil, sa jambe et son bras il les
rend disponibles dans le monde inconscient et par la même magique.
Pour Boan, ce « sacrifice » est le don d’une part de soi pour que l’enfant accède
à sa propre vie, et prend tout son sens quand de sa course douloureuse naît une
rivière qui porte désormais son nom.
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Dans le conte des sept corbeaux, analysé par Marie Louise Von Franz182,
l’héroïne se coupe le petit doigt pour servir de crochet et ouvrir la porte qui va
libérer les frères corbeaux gardés par un nain. La symbolique est la même, le
don d’une part de soi pour la liberté de ceux qui nous sont chers, nos proches
mais aussi nos propres créations intérieures. C’est à mon sens la plus grande
preuve d’amour, la plus belle leçon de la déesse et Boan le fait à travers une si
belle histoire.
182 Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 231
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La Reine du Ciel
Celle-ci est sans aucun doute la plus connue et la plus familière. Elle a toujours
marqué notre environnement car c’est elle qui brille et porte désormais le nom
de Marie. Elle est la mère de la lumière, la Grande Céleste. Elle n’est pas le divin
féminin lié à la terre, mais la force créatrice qui illumine le ciel. Elle porte le
vert, le bleu, le blanc et l’or, le diadème.
Pour les Celtes le nom le plus connu avec laquelle on la rencontre est Brigid.
Brigid
Sous la forme de Brigid, son nom est très proche de la force et de la grandeur :
« Le nom Brigit donné au Moyen Age, dérive fort probablement de Brigenti qui
a donné Brigantia en latin. Ce nom viendrait du participe présent de la racine
bargh, en sanscrit brih, « grandir, fortifier, élever » dont le participe passé
brihant pour briguant veut dire « gros, grand, élevé ». A cette racine se rattache
le substantif féminin irlandais brig « supérieur, puissant, autorité », en gallois,
bri, « dignité, honneur » » 185
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L’un comme l’autre renferme la notion de puissance et de « Grande » majesté.
Brigitte est la part claire de la déesse, elle est triple comme toute divinité qui
comporte en elle-même sa propre complétude, de ce chiffre trois si cher aux
Celtes. Les trois fonctions sont sises au sein d’une. Le tripartisme se retrouve
enclos et exprimé par la divinité elle-même. C’est en ce sens que les triples
déesses peuvent être regardées comme « complètes » dans leur expression et
leurs fonctions. Brigid est de celle qui saura modifier son visage et se
métamorphoser à chacune de ses manifestations. En tant que – mère – sœur –
fille – épouse du divin elle est plurifonctionnelle et préside à tout.
« Nous avons introduit la triple Brigid. Cela est loin d’être sa seule
caractéristique, car elle est – telle que nous la livre les textes – tout à la fois fille,
sœur, épouse, mère, en un mot la manifestation sacrée, divine de la femme totale.
Brigit, fille du Dagda, sœur des principaux dieux Tuatha Dé Dannann, épouse
de Bress, dieu, roi Fomoré, fils d’Elatha (Science, composition littérature). De
leur union naquirent trois dieux primordiaux, Brian, Luchar et Uar (Iucharba).
De leur descendant Ecné (Sagesse) vint File : le poète ». 187
Elle apparaît alors comme fille du dieu « père », sœur des dieux solaires que sont
les Tuahta Dé Dannann. Elle est cependant épouse d’un dieu de l’obscur, un roi
Fomoré. Elle est en ce sens la lumière de la conscience qui s’unit à l’obscur
inconscient et dont la créativité sera le fruit le plus lumineux : le file, à savoir un
des arts les plus magiques et les plus en avant dans la tradition celtique. Il ne
s’agit pas de la poésie de salon que nous pouvons connaître aujourd’hui, mais
d’un Art poétique qui est un art du langage et de l’expression, de reliance, issu
d’une sainte inspiration, liant les différentes parties de notre psyché, canalisant
les soubresauts terribles de notre ombre vers l’expression formidable de son
essence. En définitive Brigid est la déesse des Arts, dans le sens noble du terme
et à ce titre préside à bien d’autres fonctions de la création artistique sacrée :
187 H D’Arbois de Jubainville, CLC, t, II, p 283 – 284, in Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre
fêtes d’ouverture de saison de l’Irlande Ancienne, Armeline, 2003, p 223
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« La triple fonction de Brigid, Ban file (patronne des poètes), bé legis (patronne
des médecins) be goibne (patronne des forgerons) lui a valu l’attribution de
déesse des arts »188
« Brigit c'est-à-dire la « fille », fille de Dagda, c’est Brigit la Poétesse ou pour
nous exprimer autrement, c’est Brigit la déesse qu’adoraient les Filid à cause
de la très grande et très illustre protection qu’ils recevaient d’elle. Voilà
pourquoi les poètes l’appelèrent déesse. Il y avait trois sœurs du même nom :
outre Brigit la file, une seconde Brigit qui pratiquait la médecine et une
troisième Brigit qui forgeait le fer. Toutes trois étaient déesses, toutes trois filles
de Dagda et chez les Irlandais, le nom de Brigit les désignait toutes trois
ensemble ».189
Tous semblent s’entendre sur l’analyse de Brigid et ses différentes fonctions :
« La Brigitte Celte avait été identifiée par Frazer comme la déesse « de la poésie,
de la sagesse, la patronne des bardes, des médecins et des forgerons (Frazer, Le
Rameau d’or, I, P 392). »
Elle l’est encore plus maintenant qu’on la connaît mieux : elle préside à la
médecine, aux arts, ceux du feu en particulier, et surtout à la poésie».190
Déesse des Arts, art de la Poésie, art du feu et de la médecine, elle est toujours
aussi celle qui légitime le royaume, la souveraine, la déesse tutélaire tel que nous
le trouvons exposé dans cet extrait le Glosssaire de Cormac rédigé autour de
900 :
« Brigit comme Dana est déesse tutélaire, du royaume de Leinster où se trouve
la ville de Kildare. Or l’on sait que les intérêts de la déesse territoriale
coïncident avec ceux de la royauté sacrée : le critère du roi légitime est que la
terre soit prospère et inviolée sous sa gouverne et cela ne peut être achevé que
188 Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre fêtes d’ouverture de saison de l’Irlande Ancienne,
Armeline, 2003, p 223
189 CF Whitley Stokes, Three Irish Glossaries, p 8, in Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre fêtes
Page 85
s’il est accepté comme légitime époux par la déesse qui personnifie son
royaume ».191
Nous venons de voir que Brigid est déesse tutélaire de Kildare (voir page 85).
Cela n’est qu’une partie de la grande similitude entre la déesse et la sainte.
L’excellent travail de recherche fait par Véronique Guibert De La Vaissière 194
nous permet de constater combien Brigitte de Kildare possède de très nombreux
traits de Brigid.
Sa relation avec le feu est très net. Elle naît au lever du soleil et un jour sa mère,
alors dehors pour traire les vaches, avait laissé Brigitte enfant dans la maison.
Celle-ci lui apparut en flammes mais elle ne trouva en s’approchant que l’enfant
endormie dans une maison paisible. Lorsque Brigitte prit le voile, l’évêque vit
sur sa tête une colonne de flammes. Mais c’est sans doute par le feu du couvent
des religieuses de Kildare que Brigitte est connue. Brigitte et dix-neuf religieuses
191 P.Mac Cana, Celtic Mythology, p 95, in Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre fêtes
d’ouverture de saison de l’Irlande Ancienne, Armeline, 2003, p 223
192 Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre fêtes d’ouverture de saison de l’Irlande Ancienne,
Page 86
gardaient ce feu, à tour de rôle afin qu’il ne s’éteigne jamais dans « la maison du
feu ». Il fut éteint en 1222 pour dit-on « couper court à des superstitions
grotesques ».
D’autres traits de la sainte sont tout-à-fait les mêmes que ceux de la déesse. A sa
naissance elle fut baignée dans du lait de vache surnaturelle (blanche avec les
oreilles rouges). Le lait et la vache sont signes de fécondité …
La légende dit qu’elle tissa la première étoffe d’Irlande. Elle mettait le fil blanc
sur le métier à tisser et ces fils avaient un pouvoir de guérison.
Elle est l’amie des animaux et guérissait les pauvres. « Tout ce que touche
Brigitte s’accroît ». Le bois reverdit quand elle le touche, d’ailleurs le nom de
Kildare lui-même semble lié au chêne, l’église (Cill) du Chêne (Dara). Une
source jaillit quand elle frappe le sol de son bâton.
Il devient difficile de ne pas faire de comparaison et de voir l’héritage païen de
la sainte. C’est preuve de l’importance de cette déesse auprès des gens et la
marque indélébile de son archétype.
Belisama
« Cette Minerve gauloise, était différemment nommée, telle que Sirona (Etile),
Divonna (source) Damona (vache ou biche). Selon une épigraphie à Saint Lisier
dans l’Ariège, elle est Minerva Belisama sacrum, Belisama étant dans ce cas
pris comme épithète et voulant dire « très brillante » ce qui rappelle le nom
irlandais Brigid. Elle apparait aussi comme Nantosuelta (naton = vallée et par
Page 87
extension, torrent, ruisseau, et suel « briller », ou svelta de la racine supelta
« bonne pousseuse ». Serait-elle celle qui fait couler la rivière195 en compagnie
de Succelos (le bon frappeur) sur l’autel de Sarrebourg, où elle porte une
maison soutenue par une hampe (Musée de Metz) ? »196
Cette luminescence, cette lumière, est celle émanant des chandelles attribuées à
Brigid.
Bougies et feu
« Les bougies de Brigitte ? Elles sont allumées pendant toute la Veillée, une est
mise à la fenêtre de la cuisine. « Leur nombre peut varier jusqu’à 12. »198
Ces bougies sont des « chandelles ». C’est de ce mot chandelles que viendra le
mot « Chandeleur » qui tombe exactement au même moment de l’année que
l’ancienne fête de Brigid, Imbolc. En Comminges et en Couserans on fabrique
le Plec, chandelle réalisée à partir des restes du filage du lin, et pliées. Ces
195 R Christinger, t. II, p 30, in Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre fêtes d’ouverture de saison
de l’Irlande Ancienne, Armeline, 2003, p 224
196 Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre fêtes d’ouverture de saison de l’Irlande Ancienne,
Page 88
chandelles étaient bénies puis gardées toute l’année. « On les sort en cas d’orage
dont elles protègent les maisons ».
Ces bougies que les femmes font bénir et que l’on garde toute l’année, protègent
partout des orages et sont allumées à chaque décès de la famille200. Nous
retrouvons à travers ces traits coutumiers une trace marquée de pratiques
païennes. La déesse qui protège et la bougie qui en est le vecteur restent attachées
à la maison, au foyer, au feu.
« Il semble que présenter le plec de chaque maison à la bénédiction ait été tâche
féminine. Comme d’ailleurs de l’allumer et de le porter lors des fêtes de la
Toussaint. »201
Tout ce qui a trait à la lumière et au feu appartient à la déesse, les bougies, les
lumières, le feu, feu du foyer, feu des forgerons, feu solaire …
« La fête d’Imbolc est marquée de sacralité solaire. Brigid est mère des Tuatha
Dé Danann, tribu héliaque : elle est déesse des forgerons et des techniques donc
du feu. En tant que sainte Brigitte elle est née dans une maison en flammes, signe
de son appartenance aux dieux de lumière »202
Brigid est donc la féminité vue sous l’angle de la beauté lumineuse, qu’elle soit
solaire ou lunaire elle « illumine », elle éclaire :
199 « Le soir du 31 janvier, les bougies de la Sainte Brigid, étaient allumées dans les maisons ou portées en
procession à l’église. C’est cette coutume qui a fait attribuer le nom de Chandeleur à la fête. »
Véronique Guibert de la Vaissière, Les quatre fêtes d’ouverture de saison de l’Irlande ancienne, Armeline,
2003, p 204
200 Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire, Gallimard, 1979
201 Isaure Gratacos, Calendrier pyrénéen, Privat, 1995, p 71
202 Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre fêtes d’ouverture de saison de l’Irlande Ancienne,
Page 89
« Oui la femme est lumière, la Donna mobile de Rigoletto, c'est-à-dire
changeante comme elle (et non comme une plume au vent) ou est étroitement
liée à la lumière, à celle de la lune, sa sœur, pâle mais si belle, ou à celle
clignotante des étoiles qui permettent de s’orienter dans la nuit, à celle du feu
qu’elle entretient comme prêtresse ou seulement comme femme au foyer, à celle
du soleil, plus éclatante, ou pour tout résumer et aller au fond des choses, à
celle de Dieu, car est-il lumière qui ne soit pas divine […] Comme toute
lumière, elle éclaire, elle permet de percer les obscurités des mystères, de voir
ce qui est caché, elle peut donner la connaissance innée de la religion ou plus
généralement, celle des lois du cosmos, de la volonté des dieux, de l’inconnu, de
l’avenir, et elle fait de la femme la grande devineresse intuitive, la grande
inspiratrice. C’est en tant que mère et que lumière qu’elle protège, conseille,
enseigne, montre le chemin, qu’elle peut arracher aux ténèbres, sauver, qu’elle
peut donner naissance à la vie spirituelle, à la vie éternelle, comme elle donne
naissance à la vie d’ici-bas. Toute naissance à la chair passe par la femme.
Toute naissance à l’esprit doit passer par elle, et toute renaissance pour l’au-
delà. » 203
« Par conséquent il est essentiel de souligner l’auréole luni-solaire qui entoure
la Feil Bridge. Bridge dont le message serait : la naissance, la vie et la mort sont
identiques. Tout dans la nature naît, vieillit et meurt. La notion de fertilité
débouche sur l’Autre Monde. »204
La divinité sous sa forme féminine apparaît tantôt sous la forme solaire ou sous
la forme lunaire. Dans certaines traditions la lune est masculin et le soleil
féminin. Que le féminin sacré soit lié à la lune ou au soleil c’est à sa luminosité
que l’on fait référence, cette luminosité qui peut éblouir (reine du ciel) ou être
« cachée », fluctuante.
203
Jean Paul Roux, La Femme dans l’histoire et les mythes, Fayard, 2004, pp 324- 326
204
Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre fêtes d’ouverture de saison de l’Irlande Ancienne,
Armeline, 2003, p 228
Page 90
Au-delà de la luminosité, de par son pouvoir sur la vie et la mort (c’est elle qui
nous protège des maladies) la déesse règne sur les domaines du linge, du filage
et du tissage qui symbolisent le « fil » de la vie.
« Le fuseau, lui, est un symbole à la fois féminin et phallique. Dans l’Allemagne
médiévale on parlât de la « parenté du fuseau » pour désigner la famille
maternelle. C’était aussi l’emblème de Sainte Gertrude qui avait la plupart des
qualités des déesses mères pré–chrétiennes, telles que Freya, Hulda, Perchta, et
d’autres. Le fuseau est aussi de symbole des vieilles femmes sages et des
sorcières. Le lin qu’elles filent est également relié aux activités féminines.
[…]Semailles, filatures, et tissage du lin sont donc liés à l’essence de la vie
féminine, avec ses implications de sexualité et de fertilité. »206
Sur ce trait se rejoignent les fonctions de mère et de gardienne des morts que
nous étudierons plus avant à travers la Reine des Fantômes, mais il s’agit bien
de « La » déesse dans son éternelle essence divine, de mise à vie, mise à mort.
Page 91
« Le mystère entourant le fait de donner la vie est fondamentalement associé à
l’idée de filage et de tissage, activités féminines complexes consistant à
assembler des éléments naturels dans un certain ordre. »207
Sans hésitation nous pouvons avancer que le fuseau entre les mains des femmes
est tout comme cet « animus » au creux de leur âme :
207 Ibid, p 85
208 Ibid
209 Ibid, p 89
Page 92
La farine, le lait
La fête de la déesse Brigid est Imbolc, le 1 ou le 2 février. Cette fête est devenue
la chandeleur qui outre le carnaval en a gardé les caractéristiques les plus fortes :
les bougies, et les crêpes. Les crêpes portent en elles tous les symboles de Brigid,
à savoir, rondes et lumineuses comme le soleil et la pleine lune, faites de blé,
d’œuf et de lait. Car enfin ces trois éléments font partie des attributs de la déesse.
La crêpe qui rassemble ces trois éléments se retrouve au centre des croyances
protectrices dans l’ensemble des traditions françaises :
Du Berry :
« Dans l’Indre à l’occasion de la Chandeleur, on faisait brûler des cierges dits
de la Chandeleur que l’on sortait en cas d’orages violents. On a toujours
coutume de manger des crêpes ce jour-là. Dans le Bas-Berry, la Chandeleur est
baptisée « Notre Dame des crêpes ».210
Aux Pyrénées :
« Au cœur de l’hiver, la composition des crêpes fait de celles-ci une nourriture
très appréciée : œufs, céréales – sarrasin jusque dans les années 20 »211
La crêpe n’est pas une simple gourmandise, elle est un symbole de célébration
mais aussi une volonté magique. Ces ingrédients nous les retrouvons associés
aux lois de Tailiu. Toujours dans l’assemblée de l’Oenach citée au sujet de
Tailtiu (Voir page 77) nous trouvons dans les descriptions des lois de
l’assemblée
« Blé et lait à chaque hauteur, paix et beau temps à cause d’elle… » 212
Page 93
Lors des fêtes d’Imbolc, on mange et on fait offrande ou on collecte
essentiellement des produits traditionnellement attribués à la Grande Déesse
Brigid, à savoir, le lait, le beurre.
«La collecte ou la mise en réserve d’aliments bien caractérisés lait et beurre »213
Voilà un parfait exemple de geste païen ayant perdu une partie de son origine
tout en gardant son habitude. Elle allie l’œuf, le beurre, la farine et le feu en un
cercle « solaire » de renaissance. Le nom même d’Imbolc englobe à lui seul ces
interprétations. Il porte en lui cette volonté de nourriture maternelle, mais aussi
de purification. Même si il apparaît souvent comme une « purification » par l’eau
(averses) le sens reste le même puisque le feu (de Brigid) comme l’eau sont les
deux éléments de purification, de métamorphose :
« Oimelc, lactation des brebis, c’est le temps où le lait vient aux brebis
Imb – préfixe réfléchi ou intensif et folc « averses »
L’étymologie a été contestée mais non remplacée et il est évident qu’elle est
bonne »214
Nous avons vu, cité pour Tailtiu le blé associé au lait. Dans les crêpes, la farine
est faite des grains de blé. Voici ce qu’en dit Marie Louise Von Franz :
« Les grains de blé sont étroitement liés à la Déesse Mère, dans son aspect
souterrain ; ils sont, entre autres choses, le symbole des âmes des morts, des
esprits des ancêtres. Dans la Grèce antique, on plaçait dans la maison, à côté
de l’âtre, des pots remplis d’un mélange de grains de blé, de figues et d’autres
ingrédients. Ces récipients représentaient symboliquement les entrailles de la
terre, du monde souterrain où reposent les morts en attendant de renaitre. On
appelait les esprits des morts, les « Démétrients », ceux qui appartiennent à
Déméter et qui reposent dans son sein, comme le blé qui ressuscite au
printemps. »215
213 Guyonvarc’h et Leroux, Les fêtes Celtiques, Ouest France, 1995, p 90
214 Christian Guyonvarc’h et Françoise Leroux, Les Druides, Ouest France, 1986, p. 253
215 Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 259
Page 94
Le rapprochement entre le blé, la terre, les morts, le lait, les œufs, la naissance,
la protection est une constante qui sans en avoir la profondeur antique se
perpétue encore aujourd’hui pour la grande joie des parents et des enfants. Sans
doute n’attribuons plus à la crêpe son pouvoir protecteur, mais son rôle festif et
relieur fonctionne encore au-delà des croyances.
Survivance de Brigid
Tout cela expose une très nette survivance de Brigid à travers des croyances et
des rites plus ou moins édulcorés. Mais il est un autre biais par lequel la déesse
s’est glissée à travers le temps. De fait Brigid apparaît sous de très nombreux
vocables et comme dit en début du chapitre, a marqué très durablement la psyché
humaine. Entre les marques du passé et les traditions qui ont perduré dans le
monde paysan attaché à ses habitudes, nous pouvons en suivre clairement la trace
tout au long de l’histoire.
« Il faut croire que cette « Minerve Gauloise » était fortement enracinée dans
l’esprit du peuple, puisque au VIIième siècle saint Eloi admonestait encore les
petites gens qui l’invoquaient dans les travaux de filage, teinture et autres tâches
et que « nulle femme ne suspende de l’ambre à son cou, n’en mette dans telle ou
telle teinture ou autre chose, en invoquant Minerve ou d’autres fausses
divinités ».216
« En fait beaucoup plus qu’à Minerve, c’est à la déesse germanique Holda qu’il
convient de comparer Brigid. Holda qui a survécu dans les traditions populaires
216 Ch Barthélémy, Vie de St Eloi, Paris, 1847, p 169, in Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre
fêtes d’ouverture de saison de l’Irlande Ancienne, Armeline, 2003, p 224
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sous le nom de Frau Berchta connue en France comme Berthe « est la grande
déesse filandière des Germains, protectrice des femmes, surtout des femmes en
mal d’enfants, déesse de la fertilité végétale et animale, mais aussi divinité
chtonienne »217
« Cette reine surnaturelle mérite que nous nous y intéressions de plus près.
Burchard, comme Regino, l’appelle « Diane, déesse des païens » mais il ajoute,
« ou Hérodias » et dans un autre paragraphe du Corrector il lui donne le prénom
de Holda (Corrector, chapitre V paragraphe 70) A eux trois ces noms nous
conduisent tout droit à un ensemble particulier de croyances populaires. Au
début du Moyen Age, la déesse romaine Diane continuait à bénéficier d’un
certain culte. Une vie de St Césaire qui fut évêque d’Arles au début du VIeme
siècle mentionne « un démon que les simples gens appellent Diane ». Grégoire
de Tours raconte comment au cours de ce même siècle, un ermite des environs
de Trèves détruisit une statue de Diane que la paysannerie indigène adorait,
bien qu’elle fût indubitablement d’origine romaine. Plus à l’Est dans ce qui est
maintenant la Franconie, ce culte était encore vivace à la fin du VIIe siècle.
L’évêque missionnaire britannique saint Kilian fut martyrisé lorsqu’il chercha
pour convertir les Francs orientaux à leur faire abandonner le culte de
Diane. »218
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Holle Hulle, Frau Holl etc.) est un être surnaturel et maternel qui vit d’ordinaire
dans les airs en tournant autour de la terre. »
Mais ces croyances ne se limitaient pas à l’Allemagne. Le français Guillaume
l’Auvergne, évêque de Paris, qui mourut en 1249, a des histoires du même genre
à raconter. On lui a parlé d’esprits qui certaines nuits, prennent l’apparence de
filles et de femmes en robes brillantes et fréquentent sous cet aspect bois et
bocages.
En quelque sorte nous retrouvons cette Reine surnaturelle dans tous les pays
d’Europe, et ce jusqu’au XIIIème siècle, ce XIIIème siècle qui fut, nous l’avons
vu le tournant capital de la dogmatisation chrétienne, de l’instauration
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inquisitoriale et de la terreur qui s’en suivit. Au XIIIème siècle les Dames
deviennent des êtres humains, et des démons.
Alors les Dames de la nuit ne seront plus que les fantômes de nos souvenirs, les
« sorcières » de nos cauchemars …
Il est par contre fort judicieux de se pencher plus avant sur cette Horla, et dévoiler
un peu du caractère de cette Dame surnaturelle.
« Elle joue aussi un rôle sur les naissances, les bébés proviennent de ses lieux
secrets, de son arbre, de son étang. Fécondité et productivité dans tous les
domaines, voilà ce qui la préoccupe particulièrement. »222
La voilà assimilée aux déesses mères, nourricières et protectrices. Elle est liée à
sa nature, à ses plantes, à ses arbres, à ses sources et à tous les attributs du
quotidien qui lui sont référents. On peut lier et entremêler le culte de la Horla, à
ceux des eaux sacrées désormais dédiés aux Saintes dont les noms font peu de
doute quant à leur origine païenne (Anne, Brigitte …). Horla se trouve associée
à des traits celtiques parfaitement connus comme les attributs du druide antique,
du chêne et du noisetier. Nous savons que les chênes sont des arbres sacrés chez
les Celtes
221 Ibid
222 Ibid, p 255
223 Guyonvarc’h et Françoise Leroux, Les Druides, Ouest France, 1986, p 156
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le tirage au sort et la magie du bois, la raison est bien évidemment, qu’il est
l’arbre de science et que la consommation de son fruit procure la connaissance
et inspire la sagesse. »224
« Et de minuit au chant du coq, elle peut se poser sur les chênes et les noisetiers
et se reposer de son voyage éternel dans le vide »225
Notons que son repos se fait à l’heure de la lune et dans le temps symbolique qui
correspond au début du jour car les Celtes comptent leur temps en nombre de
nuits et font commencer l’année à l’hiver, par conséquent par analogie le début
du jour se situe à la mi nuit ;; à l’instant où la magie du monde enfante le jour à
venir.
Protectrice des « mères » et de la maison, comme on la retrouve encore très
tardivement dans les rites prophylactiques de l’Irlande ancienne, elle se trouve
liée aussi au filage, à l’agriculture, aux récoltes, elle a gardé tous les attributs des
déesses antiques.
« Dans l’ensemble elle ne se fait terrifiante que lorsqu’elle est en colère – et ce
qui l’irrite par-dessus tout c’est le laisser-aller dans l’entretien de la maison ou
le travail de la ferme.
Car Holda n’est pas toujours dans le ciel ; elle visite la terre et elle y exerce
alors les fonctions de patronne de l’agriculture. La charrue lui est sacrée, et elle
aide aux récoltes. Elle s’intéresse en particulier aux travaux féminins de filage
et de tissage ;; et si elle punit la paresse, elle récompense l’application, souvent
en introduisant des cadeaux par la fenêtre »226
Nous retrouvons cette reine et ses suivantes porteuses des bougies de Brigid dans
les caractéristiques des « Dames du Sydhe », qui sont des femmes de l’autre
monde... Ce sont encore ces revenantes pour qui les « paysans » laissent à la
224 Ibid
225 Reinardus Vulpes éd F.J. Mone Stuttgart et Tübingen 1832 lib I lignes 1143 – 1164, in Norman Cohn,
Démonolâtrie et sorcellerie au Moyen Age, Payot, P254
226 Ibid p 255
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Noël des plats auprès de l’âtre, ces êtres de l’autre monde qui se reconnaissent
par leur silence. Ces traits archaïques se retrouvent de l’Irlande à l’Ariège et ce
jusqu’à très tardivement :
« Elles se montrent dans les étables, des chandelles de cire à la main, et elles y
nattent les crinières des chevaux. Mais surtout ces « dames de la nuit » visitent
les demeures privées, sous la conduite de leur maitresse dame Abundia
(d’abundetia) aussi appelée Satia (satietas qui a le même sens) Si elles y trouvent
nourriture et boisson préparées à leur intention elles se les partagent, mais sans
que la quantité de l’une ou l’autre diminue ; et elles récompensent le foyer
hospitalier par une abondance de biens matériels. Si en revanche, elles
s’aperçoivent que toute la nourriture et toute la boisson ont été mises sous clé,
elles quittent la place avec mépris. Sous l’effet de cette croyance de stupides
vieilles femmes et des hommes tout aussi stupides ouvrent leurs armoires et ôtent
le couvercle de leurs tonneaux les nuits où ils s’attendent à une visite. »227
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La guérisseuse Airmed
Airmed est la fille du dieu-médecin Diancecht, soeur de Miach et Oirmiach des
Túatha Dé Danann. Son nom signifie « mesure, équilibre », du celtique med. Ils
sont les quatre dieux de la médecine, ils président à la médecine magique par les
incantations qu’ils font au-dessus de la source de santé, vaste chaudron où renaît
à la vie chaque guerrier blessé au combat :
« On fit alors ceci : mettre du feu dans les guerriers qui avaient été blessés là
afin qu’ils fussent plus brillants le lendemain matin. C’est pour cette raison que
Diancecht et ses deux fils et sa fille, c’est-à-dire Octriuill, Airmed et Miach,
chantaient des incantations sur la source dont le nom est Santé. Leurs hommes
blessés mortellement y étaient cependant jetés tels qu’ils avaient été frappés. Ils
étaient vivants quand ils en sortaient. Leurs blessures mortelles étaient guéries
par la force de l’incantation des quatre médecins qui étaient autour de la
fontaine. »229
Airmed est tout particulièrement la déesse de la phytothérapie car elle range les
plantes dans son manteau. Nous pourrions entrer plus avant dans l’étude des
symboles que sont les quatre guérisseurs, l’art de la chirurgie et les fonctions de
chaque garçon. Mais c’est la fonction d’Airmed ici qui nous intéresse.
« Puis Miach fut enterré par Diancecht, et des plantes au nombre de trois cent
soixante cinq poussèrent sur sa tombe, identiques au nombre de ses jointures et
de ses nerfs. Airmed ouvrit son manteau et rangea ces plantes d'après leurs
qualités. Mais Diancecht vint à elle et mêla les plantes, si bien qu'on ne connaît
pas leurs effets propres, à moins que le Saint Esprit ne l'ait révélé par la suite.
Et Diancecht dit : « Si Miach n'est plus, il reste Airmed »." 230
Comme la terre porte les plantes, Airmed garde les plantes dans son manteau.
Ces plantes sont au nombre de 365, le nombre de jours de l’année terrienne. Son
manteau sera aussi celui que nous retrouverons sur Epona, ce manteau dont
héritera Marie lorsqu’elle sera consolatrice et protectrice. La Grande Déesse de
229 « La Seconde Bataille De Mag Tured (Cath Maige Turedh) » La traduction donnée ici est celle de Ch.J.
Guyonvarc’h, Textes mythologiques irlandais, vol. 1, 1980, pp. 47-59 :
230 Ch.-J. Guyonvarc'h, Textes mythologiques irlandais, I, Ogam-Celticum, Rennes, 1980
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la vie et de la magie du monde est là présente en la fille de Miach. Elle est le
profil nourricier, protecteur, magique et bienfaisant de la Dame du Monde.
L’expression de Diancecht, disant que si Miach n’est plus il reste Airmed, peut
paraître mystérieuse car nous pouvons difficilement imaginer que la médecine
des plantes puisse remplacer la médecine minutieuse « nerfs sur nerfs » que sut
faire Miach sur le bras de Nuada. C’est ne pas avoir compris qu’Airmed n’est
pas une simple herboriste, elle est par son manteau celle du dernier recours, du
dernier espoir, la magie des forces de la terre.
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La Reine des Fantômes
Si Brigitte nous est facilement accessible de par son coté lumineux, son côté
maternel qui a survécu sous l’ombre de Marie, il est une part du féminin sacré
qui nous a été confisquée et s’est lovée en nous comme la croyance en quelque
chose de terrifiant et de malsain. La face de cette Femme, cette Brigid noire et
ondulante, tout comme Lilith, se trouve reléguée au fin fond de l’oubli, bouc
émissaire de nos plus profondes douleurs. La voilà qui se tortille, tel un serpent
battu et pousse son cri de chouette au plus profond de notre inconsciente matière.
Or cet Autre Monde, ce profil de nuit, cette mort qui nous effraie tant, n’était pas
perçu de la même manière chez nos ancêtres. Chez les celtes, la mort ne fait pas
peur :
« La mort, si ce que vous chantez est réel, est le milieu d'une longue vie.
Heureuse illusion des peuples que regarde l'Ourse car la plus forte des craintes
ne les saisit point, la terreur du trépas. De là des cœurs prompts à courir aux
armes, des âmes capables de mourir, et le sentiment qu'il est lâche d'épargner
une vie qui doit revenir ».231
Pas plus de peur éprouvée pour sa cohorte de compagnons, la nuit, l’obscur, le
cri, le mystère. Se trouve un ordre naturel des choses qui se doit d’être respecté,
sans doute en sommes-nous les gardiens oublieux. La souffrance, le mal ne sont
que le résultat de cet oubli, une absence de vigilance et d’attention respectueuse.
Et Morrigane fait partie de cette occultation, ce rejet, cette barbarie. Cette déesse
fait peur, à ceux qui ont coupé le monde en deux. Le pouvoir de son essence a
fait tremblé ceux qui ont voulu Son pouvoir à portée de mains, pouvoir sur la
vie, pouvoir sur la mort. Retrouver l’essence profonde et le sens véritable de la
tradition des Celtes c’est retrouver La Morrigane, ses voiles, ses chants terribles
et ses consolations. Alors et alors seulement nous serons capables de regarder la
lumière car dans l’ombre de Sa nuit elle brillera.
231
Lucain, La Guerre civile, I, 453-465, trad. A. Bourgery, 1926, Paris, Les Belles Lettres. In Les
Druides, C Guyonvarc’h et F Leroux, Ouest France, p 270
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Dans les contes, celle qui joue la méchante, la mauvaise, celle qui dérange, et
qui bouscule, sans doute celle qui nous mènera à nous surpasser, porte les habits
de cette vieille déesse :
« Dans les contes où paraissent les fées marraines, la référence est faite à trois
déesses, Lucina (Junon), Venus et Thémis. Junon était entre autres la déesse qui
aide les mères durant l’accouchement. Le nom de Vénus parle lui-même. Quant
à Thémis la Justice et la Vengeance, c’est elle qui joue le rôle de la mauvaise
marraine fée. Elle incarne un aspect de la déesse mère qui a été largement oublié
dans notre civilisation, mais qui a existé dans beaucoup de civilisations antiques
et primitives. Elle représente un principe féminin de sévérité et de vengeance qui
ne coïncide pas avec l’attitude parallèle masculine. Quand nous évoquons
vengeance ou punition – la vengeance étant la forme primitive du châtiment –
nous pensons aux lois établies, à leur violation et aux peines appliquées
conformément à elles, car c’est notre coutume.
Faire des lois et décider des peines encourues par ceux qui ne les observent pas
est la façon masculine de traiter le problème de la justice. Nos lois sont basées
sur le Code Romain et la mentalité patriarcale, de telle sorte que nous
envisageons généralement la punition comme ayant affaire avec le monde
masculin tandis que la charité et l’exemption seraient reliées au principe
féminin. Au Moyen Age, la Vierge Marie était parfois représentée couvrant les
pécheurs de son manteau232 : ceux qui, sous la loi divine, seraient allés en enfer
ou au purgatoire, voyaient, grâce à elle, leur sort adouci. Le fait que les hommes
édictent des lois et traitent des problèmes mondiaux et que les femmes aient le
rôle de plaider la clémence suit le vieux modèle familial patriarcal où le père
châtie et exige le travail et l’effort et la mère sollicite l’indulgence ; même
lorsque ce principe n’est plus appliqué, il demeure malgré tout. Les modèles de
justice et de punition dans le monde masculin sont rattachés à la notion de lois
statiques, et l’on entend par justice que chacun subisse la même peine pour le
même délit ;; il n’y a aucune exception, à moins qu’il n’y ait une réglementation
pour les couvrir.
[…]Si l’on en croit les données mythologiques, il existe un autre principe féminin
de justice, de vengeance et de châtiment. Je comparerai ce processus au
232 Nous verrons qu’Epona jouait ce rôle de protectrice de par ce même manteau, dont hérita St Martin
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caractère vindicatif de la nature : si, pendant des années, une personne mange
à la hâte et sans même prendre le temps de s’asseoir, elle sera punie par des
désordres d’estomac. Cela n’a rien à faire avec une législation quelconque, c’est
une conséquence naturelle : un comportement incorrect entraîne le malheur et
la maladie.
La vengeance et la punition ne dépendent donc pas seulement des décisions
humaines, mais aussi des conséquences naturelles. Cela est également vrai sur
le plan psychologique. Une attitude fausse (pas nécessairement immorale, mais
en désaccord avec la nature) est punie par la malchance et la névrose. Bien
qu’aucune loi éthique n’ait été enfreinte. Dans la plupart des mythologies
primitives, il existe une figure féminine divine de la nature analogue aux déesses
grecques Némésis, la vengeance, ou Thémis, la Justice »233
Voilà exprimées de façon explicite, à la fois les notions de « bon ordre des
choses » et de nécessité de rester les garants de l’archétype féminin qui sous-
tend à cette énergie. Morrigane est de celle-là.
233 Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 77
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La Déesse du « mal »
Le mal existe, il est ce trop peu ou pas assez, les élans incontrôlables d’énergies
maltraitées et par conséquent devenues malsaines. La douleur, la souffrance sont
les scories des mutations, les mues, les débordements, les excès, les manques.
Morrigane est l’accompagnatrice, les hommes ne se muraient pas d’elle, bien au
contraire, elle est celle qui interfère dans Son domaine. Elle porte les rites
libérateurs, les coups d’épées qui tranchent, les chaudrons qui ramassent les
feuilles mortes de l’automne. Les anciens avaient des rituels pour faire face à la
souffrance et au mal, en cloîtrant Morrigane nous avons cru vaincre la mort, nous
perdîmes son aide et sa grande compassion.
« Un autre aspect du problème réside dans le fait que la plupart d’entre nous
éprouvent une terrible difficulté à approcher le mal, car nous n’avons plus de
nos jours, ni concepts ni rites pour nous protéger. Nous n’avons en fait, plus
d’attitude religieuse face au mal. »234
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Morrigane apparaît toujours lorsqu’il y a dérangement, modification, magie,
mort qui rôde. Elle est ce serpent silencieux qui glisse sans bruit, prêt à nous
enlacer du venin mystérieux de sa force. Pour ce faire, elle passe toujours par
différentes métamorphoses correspondant à Sa nature et lui permettant de mieux
approcher sa cible :
« Lors même que la déesse est amenée, pour assouvir une rancune personnelle
à combattre effectivement, ce n’est pas dans un appareil guerrier qu’elle vient
s’attaquer au héros Cùchulain, c’est sous la forme d’une anguille qui s’enroule
autour de ses jambes, tandis qu’il combat dans un gué ou sous celle d’une louve
qui pousse contre lui les troupeaux affolés ou sous la forme d’une vache rouge
et sans cornes … »235
Toutefois c’est sous la forme d’une corneille que la Morrigu est la mieux
connue :
Toutefois, la corneille comme son nom l’indique « Badh » est l’épiphanie
animale privilégiée de la déesse : c’est la Badh, Catha, « corneille du combat »,
qui apparaît à plusieurs reprises dans les textes insulaires, c’est la corneille qui
vient se percher sur l’épaule de Cuchulain à l’instant de sa mort et « c’est
également sous la forme d’un oiseau que la Morrigù vient se percher auprès du
taureau de Cuailnge pour l’exciter dans une incantation magique » 236
C’est encore Elle qui préside à la nuit, à l’hiver, accompagnée de ses fantômes,
alors même que le nom même de Morrigane est oublié mais qu’elle hante
l’imaginaire collectif sous le nom de Horla.
« Elle est particulièrement active au plus fort de l’hiver : les flocons de neige
sont les plumes qui lui tombent quand elle fait son lit. Durant les douze jours qui
séparent Noël de l’Epiphanie, elle voyage, et cela rend la terre fertile pour
l’année qui vient – d’où on peut conclure qu’il s’agissait à l’origine d’une déesse
païenne associée au solstice d’hiver et à la renaissance de l’année.
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Elle peut parfois être terrifiante : il lui arrive de conduire l’armée furieuse « qui
traverse le ciel en chevauchant l’orage ou de se changer en hideuse vieille
mégère aux grandes dents et au long nez – la terreur des enfants. Dans
l’ensemble elle ne se fait terrifiante que lorsqu’elle est en colère »237
« Quand Horla fait ses trajets nocturnes, une suite l’accompagne : ce sont les
âmes des disparus, parmi lesquelles celles des enfants et des bébés qui sont
morts sans baptême.
Notons comme l’auteur que les randonnées ne sont ni destructrices ni
meurtrières mais au contraire bénéfiques et réconfortantes. »238
Quelle que soit l’origine de son nom, « Grande Reine » ou « Reine des
fantômes », elle est la Reine de la nuit et de la mort.
La Déesse de la mort
Voilà comment l’on connaît le mieux cette déesse, c’est Elle qui préside aux
champs de bataille. L’odeur de la peur et de la violence lui sont comme une
attente. Elle guette, comme Ses oiseaux noirs attendent les charognes. Et jusque
dans les mots vibrants d’un Baudelaire inspiré, c’est à travers l’horreur de Sa
présence que Sa Beauté transparaît. Comment ne pas penser à la Morrigane en
lisant ces vers :
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Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore
Qui font le héros lâche et l'enfant courageux.
La mort et la terre
La Déesse Mère, la première, la Terre Mère propose elle aussi une facette que
nous pouvons relier à la Morrigane. Cette terre à la fois couveuse des devenirs
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et tout autant nourrie de la mort. C’est parfois en son sein que se trouvent les
lieux de résidence des morts.
« Parfois les Irlandais ont localisé l’Autre Monde dans les collines et sous les
lacs : dans tous les textes mythologiques le Brug na Boinne ou « Auberge de
Boyne », autrement dit le tumulus de New Grange, est la résidence du
Dagda. »239
Ce choix du pays des morts n’est pas une singularité du monde celtique, ni une
originalité, il rejoint un symbole vivant d’une réalité transcendante :
« De nombreuses sociétés ont situé le lieu de survie au ciel, mais de plus
nombreuses ont imaginé un au-delà au sein de la terre. »240
La terre est cette mère divine, mais elle est aussi la mère dévoreuse :
« La terre est avide, gloutonne. Elle absorbe l’eau qui tombe du ciel comme si
elle demeurait toujours assoiffée, et aussi le sang qu’on lui offre en oblation ou
que le meurtre fait couler sur elle, et les cadavres des bêtes et des hommes qu’on
enfouit en son sein. Elle détruit, dissout, mange tout ce que l’on dépose en elle.
On le constate quand pour l’un de ces rites assez souvent pratiqués, on déterre
un mort : il ne reste pas grand-chose de lui au bout de quelques semaines. »241
Il parait tout à fait normal que le séjour des morts puisse se trouver en son sein.
C’est là que l’on nous enterre, c’est là que nous retournons tous. Elle nous berce,
mais elle nous mange aussi.
Président à chaque pôle, à chaque porte, Elle est celle qui fait naître et celle qui
fait mourir. Et l’on peut voir à travers sa puissance et la peur qu’elle peut
engendrer que se profile aussi la tendresse miséricordieuse de celle dont la
fonction est de nous « faire passer ».
239 C Guyonvarc’h et Leroux, Les Druides, Ouest France, 1986, p 281
240 Jean Paul Roux, La Femme dans l’histoire et les mythes, Fayard, 2004 p 234
241 Ibid
242 Ibid
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« Au sein d’autres cultures, comme la culture de l’Insulinde ou celle des Mayas,
qui veillent plus à enseigner ce qu’il en est de la roue de la vie « et » de la mort.
Dame Mort vient envelopper les mourants apaisant leurs souffrances et les
réconfortant. Elle tourne le bébé dans la matrice, dit-on et le place la tête la
première afin qu’il puisse naître. Elle guide les mains de la sage-femme, ouvre
les canaux du lait maternel dans les seins ; réconforte celui qui pleure tout seul
dans son coin. Plutôt que d’en faire un personnage négatif, ceux qui en
connaissent son cycle entier respectent ses largesses et ses leçons. »243
Ce lien visible entre la terre, la mère et la mort entraîne aussitôt et par analogie
celui entre la terre, la femme et la mort :
Nous pourrons voir comme vie/mort se retrouvent mêlées tant dans le mythe et
la légende que dans la tradition des hommes, que ce soit à travers les mythes des
Dames Blanches, ou dans l’hégémonie les « femmes qui aident » présidant à la
naissance et à la mort de ceux de leur clan.
243 Clarissa Pinkola Estés, Femmes qui courent avec les loups, Grasset & Fasquelle, 1996, p 195
244 Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 243
245 Jean Paul Roux, La Femme dans l’histoire et les mythes, Fayard, 2004 p 234
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L’Autre Monde et le Sidh
Le lieu où se trouve les morts nous l’avons vu, peut se trouver sous terre, sous
les lacs. En tous cas on y va en partant à l’Ouest :
« Ce « paradis » celtique se situe très loin à l’ouest de l’Irlande, au-delà du
soleil couchant, là où vont les morts. »246
« Les défunts y trouvent un sort enviable par comparaison à celui des vivants de
notre monde. Tout y est beau, jeune, attirant et pur. Cet autre monde porte en
irlandais le nom spécifique dont l’emploi fréquent épargne bien des
circonlocutions, c’est le sid, (forme moderne sidh), pluriel side, mot qui signifie
étymologiquement « paix ».247
Toujours décrit comme une vallée de plaisir le Sidh présente des conceptions
originales et invariables, quelles que soient les sources étudiées :
La messagère du Sidh
La localisation dans les îles lointaines, rendant indispensable un passage
par bateau
Une merveilleuse musique qui endort
L’absence de fonction et de hiérarchie humaine
La consommation de mets succulents et inépuisables. L’absorption de
boissons enivrantes, bière, hydromel, vin
L’abolition du temps et de l’espace
La disparition des fautes et des maladies
246 C Guyonvarc’h et Leroux, Les Druides, Ouest France, 1986, p 281
247 C Guyonvarc’h et Leroux, Les Druides, Ouest France, 1986, p 281
Page 112
Guyonvarc’h fait remarquer qu’il est curieux de constater que ces aspects
appartiennent tous à la troisième fonction et de conclure aussitôt :
« La raison en est claire, le sid étant en principe et en fait, l’expression,
l’accomplissement d’une perfection, toutes les distinctions de classes et de
fonctions sont abolies parce qu’elles ne sont plus nécessaires. »248
« C’est pour cette raison qu’on allait si volontiers dans l’Autre Monde. La mort
n’était pas, pour les Celtes, la délivrance d’une vie de souffrance ou la punition
d’une multitude de mauvaises actions. C’était, pour reprendre l’expression de
Lucain, « le milieu d’une longue vie »249
Nous pouvons de la même manière observer combien cet espace est organisé par
les femmes qui en sont les messagères, les gardiennes, les « prêtresses ». C’est
la femme que nous trouvons à l’orée de la vie, au pouvoir de procréation, mais
c’est aussi la femme que nous trouvons dans les îles bienheureuses, au chevet
des mourants, aux passages difficiles et aux anses initiatiques.
Sous différentes facettes, la vie et la mort sont imbriquées en une danse cyclique,
l’une génère l’autre, l’une nourrit l’autre. C’est alors exactement le mécanisme
qui s’active à Samonios, à savoir la venue des défunts qui seront autant de forces
vitales pour la nouvelle année qui s’annonce :
« Les morts qui pour une nuit, reviennent dans la maison, apportent avec eux les
forces vitales des profondeurs de la Terre–Mère et permettent ainsi à la vie de
la surface de continuer. »250
La mort n’est pas l’opposée de la vie, elle est son potentiel, son alter égo. Chez
les Celtes elle est bien plus souvent rapprochée du sommeil que d’un
anéantissement.
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L’autre monde : l’inconscient
L’Autre Monde c’est aussi cet espace-temps mythique dans lequel quelques
héros s’aventurent. Il s’agit des « Navigations ». Nous connaissons « La
navigation de Maelduin », « La Navigation des Hui Corra », « La navigation
de Snegdus et MacRiagla », « Le Voyage de Bran » et « le Voyage de Condlé ».
Ces navigations portent le nom d’Imramas, que l’on interprète par « ramer de ci
de là ». Elles possèdent aussi une autre étymologie qui proviendrait du mot
gaëlique Immchella qui signifie circulation, voyage (du soleil et de la lune) dans
le ciel251.
« Les navigations mythiques, nous révèlent que nous pouvons y avoir accès de
notre vivant (Aux îles bienheureuses) même, confirmant par-là, la symbolique
du voyage initiatique intérieur ».252
Le sommeil et la mort
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Tout autant qu’avec les tours de verre dans lesquelles se trouvent enfermés
Merlin ou Etaine :
Sommeil, mur de verre ou mort, sont une mise à distance, une mise en silence,
ce même silence qui permet aux gestations de poursuivre leur cours :
« Le silence protège les contenus de l’inconscient contre l’incompréhension
collective, aussi bien extérieure qu’intérieure. »256
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De la même manière que l’inconscient personnel frôle et interfère avec
l’inconscient collectif afin de parvenir à rejoindre le Soi, ce Centre psychique de
notre globalité, les mondes celtiques s’interfèrent et le monde des dieux, le
monde des morts et le monde après la vie se tressent dans un espace-temps qui
nous échappe.
L’île est par-delà l’eau, il est nécessaire de prendre une barque pour aller sur
l’Ile, constante du Sidh, que ce soit l’île de navigations dont le héros revient, que
ce soit l’Ile de dormition où Arthur repose. L’eau est toujours le passage entre
ces mondes, et la femme celle qui guide au passage, qu’elle soit femme du Sidh,
ou Prêtresse d’Avalon, c’est elle qui préside à ces silencieuses mutations.
« L’expérience le prouve, la terre n’est fertile que si elle est arrosée. Quand les
pluies se déversent sur elle, elle les absorbe goulûment […] Puisqu’elle est terre,
la femme est étroitement liée à l’eau et les psychologues ont souvent souligné à
quel point elle en avait conscience. »260
259 Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire, Gallimard, 1979, p 142
260 Jean Paul Roux, La Femme dans l’histoire et les mythes, Fayard, 2004 p 230
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Serions-nous sérieux si nous ne faisions pas le lien entre la symbolique de l’eau,
de la mer et le monde psychique ? Dans son sens archaïque, la mer est le symbole
de l’inconscient, « la mer », la « mère » et nous venons de voir qu’il n’y a qu’un
pas entre l’inconscient et la mort, entre le sommeil et la mort, entre l’eau, la
naissance et la mort. Si l’eau est l’élément du premier voyage, de par le liquide
où baigne l’enfant, il est aussi celui dans lequel va baigner le mourant.
Anciennement ce sont des femmes qui lavaient les morts et les préparaient, cette
mort qui peut avoir été annoncée par une Banshee ou une lavandière.
On ne parle que des femmes sur l’île où gît Arthur. Cette île où avec ses huit
sœurs (Moronoe, Mazoe, Gliten, Glitonea, Gliton, Tyronoe, Thiten, Thiton)261,
Morgane soigne Arthur en attendant sa guérison et son retour.
Morgane est la Prêtresse d’Avalon et Avalon est bien l’Autre Monde :
« Avalon est bien un lieu de L’Autre Monde celte …. Une île où ceux qui s’y
échouent ne vieillissent plus, ne sont jamais malades et où le bonheur est
continu. »262
C’est elle qui recueille la dépouille d’Arthur, blessé mortellement et veille sur sa
« dormition ». Morgane est à rapprocher de Morrigane, et non du sens de « née
de la mer ». Morgane est Morrigu :
« Morgane est la force littéraire qui a été calquée sur une divinité féminine
archaïque dont elle est la réminiscence lointaine. Cela tient aussi au fait qu’elle
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a souvent été occultée dans les récits, surtout les plus christianisés, parce qu’elle
semble trop « sulfureuse » pour être recommandable. »263
Tout comme la Grande Reine porte les voiles de Son obscurité, Morgane
provoque et sème des pièges sur la route de ceux qu’elle rencontre. Elle est tout
comme Morrigu portée sur les choses du sexe et de la magie. C’est une agitatrice,
une provocatrice, une initiatrice.
Elle enferme les chevaliers infidèles à leur dame dans le Val Sans Retour de la
forêt de Brocéliande ;; ce qui est aussi une manière de les inclure dans l’Autre
Monde, de les perdre ailleurs, de les forcer à regarder leur ombre.
Elle est maîtresse de l’île d’Avalon où elle vit en compagnie de neuf sœurs,
autres prêtresses qui comme Morrigane possède la faculté de se transformer en
oiseau. Ce mythe se rapproche des apports historiques de Pomponius Mela au
sujet des neuf prêtresses de l’île de Sein ou encore celui de Strabon au sujet des
prêtresses de l’île près de l’embouchure de la Loire. Comme chaque fois le
monde celtique tente de faire coïncider le monde visible au monde invisible, ce
n’est pas le divin qui prend forme humaine, mais l’humanité qui aspire à
l’incarner.
Ce n’est pas parce qu’elle est là, à guetter l’odeur du sang sur les champs de
bataille qu’elle le fait d’un air de hyène sauvage, c’est avec toute la tendresse
d’une mère qu’elle veille à nos agonies, qu’elle accompagne nos morts et nos
pleurs. Elle est à la fois celle qui lave notre dernier linge et celle qui nous pleure.
C’est encore elle qui traîne dans les abords des rivières et des sources en ces
lavandières du soir que chacun se garde de croiser.
Le lien est fait entre la mort, la nuit et l’eau et ces traces se trouvent dans tout le
folklore de l’Europe.
Tout un ensemble d’interdits et de croyances, autour de « laver » sont en rapport
avec la divination et la mort.
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« C’est singulièrement dans son chapitre sur les funérailles que Van Gennep en
rassemble les principaux éléments :
Ainsi sont présages de morts dans le pays de Montebéliard « un drap plongé
dans une lessive, s’entêtant à ne pas disparaître complètement », ou encore une
lessive coulée, trouver dans le cuvier du linge pas complètement imbibé
(VGManuel t I vol 2 P 662) Dans le nord de l’Ecosse, lorsque le savon ne s’élève
pas sur les linges, c’est qu’il y a dans le cuvier le linge d’une personne destinée
à mourir bientôt […] En basse Normandie on se garde bien de mettre les
chemises sens dessus dessous quand on est en train d’asseoir la lessive dans la
cuve de peur d’attirer la mort de quelqu’un de la maison ».264
Les interdits de laver sont « comme par hasard » les jours où Morrigane promène
son cortège.
« Très répandus surtout sont les interdits calendaires de lessive […] toutes
périodes qui ont un point commun : elles se trouvent être celles-là mêmes où
sont censées circuler sur terre les âmes des morts. (A Varagnac, 1948)265
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Yvonne Verdier note que le terme de « gaisser » c'est-à-dire rincer en laissant
flotter puis ramener le linge, n’est pas sans intérêt en ce qui concerne notre
étude :
« Le terme a également un emploi plus restrictif plus local puisqu’il désigne un
geste d’offrande accompli encore au début du siècle, tous les ans, le jour de la
chandeleur. »267
Détail, certes, mais de grande importance car il lie, la déesse des Fantômes à la
Brigid lumineuse dont la fête est la chandeleur. S’il existe une trace occulte de
survivance archétypale, en voici une.
Avec les esprits féminins, la terre, les forêts, l’eau, le linge, la vie, la mort, se
trouve le mythe des Dames Blanches. Il est très surprenant de voir comme à notre
époque si peu portée sur le magique, l’évocation de ces personnages suscite
encore un doute, une envie d’y croire.
267 Ibid
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Il fait partie des croyances que la Dame Blanche fut un être ayant réellement
existé, mais d’une autre race que les humains. Il nous serait aisé d’en faire ce
« petit peuple » rencontré dans les légendes celtiques, qui serait les derniers
survivants d’une espèce d’homme ayant habité l’Europe avant les Celtes. De cela
il sera difficile de trouver la vérité. Pourquoi pas le souvenir de l’homme du
Néandertal devant l’avancée de l’Homo sapien ? Que savons-nous vraiment ?
Ce qui est sûr c’est que les traits celtes se retrouvent dans leurs caractéristiques.
Nous ne pouvons par conséquent pas écarter l’idée qu’elles soient l’héritage de
croyances anciennes.
Plus nombreux sont les personnages qui se montrent, non pas au-dessus des eaux
stagnantes, mais dans leur voisinage. Quelques-uns, bien que paraissant
appartenir au monde des morts, s'y livrent à des ébats qui n'ont rien de lugubre.
Sur les bords de la Mare à Cornu, à Neuville Chant d'Oisel (Seine-Maritime.),
on voyait apparaître et danser les Demoiselles, c'est-à-dire les Dames blanches.
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Les lavandières
Le mythe des lavandières de nuit est présent dans de nombreuses régions, sous
des noms divers :
Night washerwoman (Angleterre), Kannerez-noz (Bretagne ), Bean Nighe (la
laveuse du gué), Bean Sith, Caointeach (la pleureuse). (Ecosse), Ben niaghyn
(Ile de Man), Bean niochain, Bean Si, Bean Shide, Bean Chaointe, Badhbh
(Irlande ), Lamina (Pays Basque ), Lavandeira Da Noite (Portugal ), Bugadiero
(Provence ), Gollières à noz (Suisse romande ), Cyhyraeth, Gwrach y Rhibyn.
(Pays de Galles).
Les lavandières font partie des Dames Blanches, mais semblent posséder des
caractéristiques particulières. Elles se manifestent plutôt la nuit, et surtout les
nuits de pleine lune ou de la Toussaint. C'est dans le voisinage des étangs ou des
mares qu'on en a constaté le plus grand nombre. Elles sont un mauvais présage
et sont dangereuses si on les approche. Elles sont souvent âgées, d'un aspect
pitoyable, mais restent robustes. Il semble plus récent de les voir en tant que
fantômes de femmes mortes qui reviennent pour expier une faute dont l'origine
varie.
270 (Collin de Plancy, Jacques Albin Simon, Dictionnaire Infernal, Plon, 1863, p. 267
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« N’y allez pas le soir, pendant les nuits sereines, ou bien prenez garde. Les
dames de la fontaine sont trois nocturnes, trois pâles lavandières
gémissantes. »271
Dans l'Autunois aussi, les lavandières qui lavaient les linceuls des morts
obligeaient les paysans à les tordre avec elles, et, le matin on retrouvait le
malheureux évanoui sur le pré, les bras tordus ; heureux s'il survivait à l'aventure.
Les Gollières à noz, les lavandières de nuit de la Suisse romande, sont des filles
belles, mais méchantes, que l'on voit au clair de lune faire leur lessive près des
fontaines et des mares solitaires. Elles invitent les passants à les aider, mais si,
par distraction, ils tordent à rebours, elles leur tordent le cou. En Berry et en
Beauce la légende des lavandières de nuit rapporte que de mystérieuses laveuses
se retrouvaient la nuit auprès des mares pour y laver les âmes des enfants morts
sans baptême ou des damnés. Près d'Orléans, à Saint-Ay on raconte l'histoire
d'une religieuse de l'ancien couvent de Voisins, morte, enfermée dans un
souterrain et qui revient en ce lieu les nuits de pleine lune pour y faire sa lessive.
C’est aussi une Dame Blanche qui peut se montrer aux lavandières humaines, à
un lavoir près d'Oberbronn, en Alsace, une dame blanche se montrait depuis un
temps immémorial aux lavandières qui y allaient la nuit; elle ne regardait
personne, ne parlait à personne, et s'asseyait à une place écartée pour laver des
chemises, que l'on croyait être celles des trépassés. Son apparition présageait la
mort d'un membre de la famille d'une des laveuses.
271 Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire, Gallimard, 1979, p 143
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dans son poème « Jour de lessive » reprend ce thème de la lessive capable de
laver les souillures du linge, mais aussi celles de l'âme.
L'alchimie du lavage, dans la société traditionnelle, reste un savoir-faire
strictement féminin et les endroits où l'on lave sont quasiment interdits à
l'homme. Le lavoir est un lieu de rencontre, de communication important pour
la communauté villageoise féminine. La vindicte y est souvent féroce ; c'est la
« gazette locale ». C'est un lieu, comme l'atteste la tradition orale qui est
également joyeux : on y plaisante, on y rit, on y chante, et nous retrouverons
cette caractéristique dans le cadre de l’obscénité féminine
L’importance magique de la lessive, son lien ténu avec la mort engendre de
nombreux interdits.
« […] Les récits sont nombreux qui mettent en scène « la vieille à la quenouille »
si l’interdit concernant la lessive est transgressé le jour de la Ste Agathe, une
vieille fileuse inconnue vient s’asseoir près du foyer Elle ne part que lorsque le
feu sur lequel bout la lessive a été éteint à coup de casseroles d’eau ».273
Cette relation, est constante dans les traditions populaires, les lavandières étant
souvent celles qui sont préposées à la toilette des défunts et de leurs vêtements.
Les Banshee
La dame blanche annonciatrice d'une mort prochaine quand elle n’est pas
forcément lavandière est dite « messagère ». Elle est la transposition exacte du
mythe celtique de la banshee.
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Ce sont ses hurlements qui annoncent cette mort. Une banshee peut revêtir
plusieurs apparences. Dans le folklore traditionnel irlandais, la banshee était une
femme vêtue d’une robe blanche, à la longue chevelure hirsute et au visage très
pâle. On la rencontre parfois sous la forme d’une belle jeune fille au visage
dévoré par les pleurs au point que ses yeux sont rouges de sang, mais plus
souvent d’une vieille femme hideuse aux longs et maigres cheveux, vêtue d’une
robe verte et d’un manteau gris.
Le cri de la banshee, le keening, est le plus horrible qui puisse s'imaginer. Il tient
à la fois du hurlement du loup, des appels de l'enfant abandonné, des plaintes de
la femme qui accouche, et des cris de l'oie sauvage. Ceux qui l'ont entendu
affirment que ce cri réveillerait n'importe qui dormant d'un sommeil profond,
qu'il resterait audible au milieu d'une violente tempête et qu'il blanchirait les
cheveux de celui qui l'entend. Lorsqu'une banshee émet ce cri, on sait qu'un
membre de sa famille est mort, ou s'apprête à mourir. Il arrive parfois que des
banshees se réunissent pour hurler à l'unisson, annonçant l'arrivée d'une grande
catastrophe ou le décès d'une personne importante.
« A Tavers, si l'on en croit le récit original de 1890, tous les soirs, dans cette
commune, "la fée Houlippe sortait des brouillards de la Loire, sur un char léger
traîné par deux colombes et allait jusqu'à l'endroit où est plantée la Croix
Houlippe puis retournait dans les brumes du fleuve". Il s'agit bien là d'un esprit
du fleuve, d'une naïade. Le personnage fait penser aux Banshees irlandaises qui
apparaissent sous la forme de cygne et sont en liaison avec l'eau ».274
J’ai le souvenir, très net, de ce cri dans mon enfance. Réellement réveillée par
une longue plainte lugubre, j’alertais toute la maison pour aller voir « quel enfant
était en train d’hurler dans la nuit ». Je l’imaginais en train de se noyer et
d’appeler au secours. Ce fut une expérience terrible. Ce cri fendait la nuit comme
une plaie traverse la chair. J’en avais des frissons . De fait c’était le cri du « chat
huant », et je n’ai pas mémoire qu’un décès eut lieu aux alentours de ce moment-
là, mais il se peut que sur ce point ma mémoire fasse défaut.
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Au sujet du bruit fait par les lavandières, Georges Sand propose une origine :
« Nous avons entendu souvent le battoir des laveuses de nuit résonner dans le
silence autour des mares désertes. C’est à s’y tromper. C’est une espèce de
grenouille qui produit ce bruit formidable. Mais c’est bien triste d’avoir fait cette
puérile découverte et de ne plus pouvoir espérer l’apparition des terribles
sorcières, tordant leurs haillons immondes, dans la brume des nuits de
novembre, à la pâle clarté d’un croissant blafard reflété par les eaux. » 275
Banshee vient du gaélique Bean Si ou Bean Sidhe (Irlande) ou encore Bean Sith
(Écosse) signifiant « femme du Sidh».
Quoi qu’il en soit ces femmes sont des aides au « passage ».
« La femme mediale se tient entre le monde de la réalité consensuelle et celui de
l’inconscient mystique, et fait le lien entre les deux. Elle est le transmetteur et le
récepteur de deux valeurs ou idées, ou plus. Elle est celle qui donne vie aux idées
neuves, échange les vieilles idées contre des innovations, sert de traductrice
entre le monde du rationnel et le monde de l’imaginaire. Elle « entend », « sait »,
« sent », ce qui va arriver. »276
Nous retrouvions cette fonction dans le paysage social, où les femmes se tenaient
aux différentes étapes de la vie, comme à Minot, décrit par Yvonne Verdier :
« A écouter les femmes de Minot, la marque du destin, sa griffe, se poserait en
effet en des moments bien précis du cours de la vie, en ses moments de
vulnérabilité, aux étapes mêmes de son développement dans le temps : à la
naissance, lors des étapes du grandissement (à Minot la première communion),
au mariage et à la mort et au voisinage de celle-ci, la maladie : tous moments
affectant le corps dans ses transformations. »277
Elle précise même qu’il s’agit bien de « passage » et de pouvoir accompagner le
temps :
« Or, c’est singulièrement lors de ces « moments de passage » que s’affirme la
prééminence de certains rôles féminins à Minot, rôles qui font intervenir des
275 Georges Sand, Légendes rustiques, 1858, éditions Verso, Guéret, 1987
276 Clarissa Pinkola Estés, Femmes qui courent avec les loups, Grasset & Fasquelle, 1996, p 394
277 Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire, Gallimard, 1979, p 77
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techniques exclusivement féminines, de celles qu’on n’échange pas avec les
hommes : laver, coudre, cuisiner ; Ces savoir-faire sont partagés par toutes les
femmes dans le cadre quotidien de leur vie familiale, délimitant l’existence bien
tranchée d’une aire de culture féminine avec ses techniques propres, ses
traditions, son langage, son échelle de maîtrise, sa topographie, ses rythmes.
Mais, exercées hors de ce cadre domestiques, « pour les autres » et précisément
dans « ces moments-là », ils prennent alors une autre ampleur, ayant pour
fonction de régler le déroulement de la vie individuelle dans sa progression
temporelle de la prise d’âge.[…] Les femmes dont nous avons pu saisir à travers
les représentations associées à leur corps, l’intime connivence avec le temps,
auraient-elles pour fonction sociale d’aménager les étapes qui conduisent de la
naissance à la mort ? »278
Elles sont reconnues comme les officiantes de rites de passages, passages dans
leurs aspects les plus secrets, ceux de la naissance et de la mort :
« Maîtresse de la naissance et par là au contact des forces les plus secrètes,[…]
les femmes jouent aussi à ce titre un rôle spécifique dans les rituels qui
accompagnent la mort. Comme elles ont partie liée par la naissance avec ce qui
dans le corps échappe à la culture pour obéir aux lois d’une nature sauvage,
elles veillent aux rituels de préparation du corps pour le purifier avant de le
rendre aux regards des proches et de ses amis ».279
Le lien entre les femmes du Sidh, les banshees et la Morrigane semble acquis :
« On a généralement traduit Morrigu ou Morrigan par la « Reine des mares,
des fantômes », en fonction de la racine germanique « Mattir ». Je ne pense pas
que l’on puisse réellement justifier de la présence d’une telle racine dans
l’irlandais « Morrigu » (Grande Reine), mais ce que dit Françoise Le Roux à
278 Ibid, p 80
279 Georges Duby – Michelle Perrot, Histoire des femmes – L’Antiquité, Plon, 1990, p 395
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propos de Morwyn me parait beaucoup plus censé : morwyn en gallois veut dire
« jeune fille » or non seulement il vient de mori-gna mais le sens initial est
« vierge », ceci suggère que l’équivalence établie par le folklore, de la Badh, ou
Morrigu et de la Banshee n’est pas le fruit d’un hasard confusionniste et
témoigne dune conception profondément inscrite dans la mentalité irlandaise ;
elles sont autant d’aspects d’une représentation féminine initiale : la « Baschee
– bean sidh – ou femme du Sidh est une messagère de l’Autre monde.
« Elle voyage sous la forme d’un oiseau, d’un cygne de préférence. Mais cette
qualité n’a plus été comprise lors de la christianisation et les transcripteurs en
ont fait une amoureuse venant chercher l’élu de son cœur. La Banshee est par
définition un être doué de magie. Elle n’est pas soumise aux contingences des
trois dimensions et la pomme ou la branche qu’elle remet ont des qualités
merveilleuses. Le plus puissant des druides ne peut retenir celui qu’elle appelle
et quand elle s’éloigne provisoirement l’élu tombe en langueur ». (Dictionnaire
des Symboles, t II, p 303 – 304)
En somme les métamorphoses animales, oiseaux, ou autres, de la « Banshee »
ne constituent qu’une partie symbolique de ses virtuosités, « car si les femmes
du Sidh se changent en oiseaux pour jouer leur rôle de messagères, elles ne
cessent pas pour autant d’être des messagères quand elles gardent l’apparence
humaine … […] Par ailleurs ces ressortissants terrestres appelés dans le Sid,
changent de condition sans passer nécessairement par ce changement d’état
qu’est la mort physique »280
280 Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre fêtes d’ouverture de saison de l’Irlande Ancienne,
Armeline, 2003, p 127
281 C Guyonvarc’h et Leroux, Les Druides, Ouest France, 1986, p 284
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Les femmes du Sidh si nombreuses dans la mythologie celtique sont donc des
messagères de l’Autre Monde. Elles annoncent et elles accompagnent la mort,
tout comme leurs héritières. Les femmes du Sidh, élément important de la
tradition se retrouvent dans la matière mythique et littéraire, lien ténu entre les
deux mondes, le passage possible, tentateur, insaisissable et poétique.
« Les femmes de l’Autre Monde sont les messagères des Dieux. Mais elles ne se
montrent pas toujours de prime abord sous une apparence humaine : elles
arrivent très souvent sous l’aspect d’oiseaux (des cygnes). »282
De fait les métamorphoses de femmes en oiseaux et d’oiseaux en femmes sont
très présentes dans la mythologie celtique à tel point que nous pourrions appeler
les femmes du Sidh, les femmes oiseaux. Ce rapprochement entre la femme et
l’oiseau est lourd de sens et de symbolique.
« Les femmes oiseaux qui se retrouvent sont parmi les plus universels des être
surnaturels qui entrent parfois en contact avec les humains et se laissent, à leur
corps défendant, capturer par eux. On les rencontre en Asie du Sud Est […] très
probablement en Chine, certainement en Asie centrale chez les Turcs et les
Mongols, en Asie Orientale chez les Mandchous, au nord chez les Lapons et les
Samoyèdes, en Europe chez les Polonais, les Russes et les Germains. Parfois
mais rarement ce sont des pigeons ou des colombes, le plus souvent des cygnes
ou des oies, les deux espèces animales étant généralement confondues. »283
Nous l’avons vu Morrigu est liée à la corneille, aux oiseaux de nuit, mais les
« femmes », intermédiaires entre les mondes, les « femmes du Sidh », les déesses
dans leurs métamorphoses sont liées à l’ensemble des oiseaux.
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« Un homme se rend au bord d’un lac ou d’une rivière et voit des femmes qui
s’y baignent nues. Elles ont laissé sur le rivage leurs vêtements. Par jeu ou par
calcul, il dérobe les habits de l’une d’elles. Toutes après le bain, s’habillent et
s’envolent sous la forme de cygnes, celle à qui on a volé son vêtement reste seule
et sans pouvoir. Elle tombe alors aux mains de l’homme, devient sa chose, lui
livre ses secrets ou son corps. S’il l’épouse, elle le rend père d’un ou plusieurs
fils, généralement fondateur d’une dynastie ou d’un peuple. […] Dans certaines
versions au bout d’un certain temps elle retrouve ses ailes et part rejoindre les
siens. » 284
Dans la mythologie celtique les oiseaux les plus fréquemment rencontrés sont la
corneille ou corbeau, et le cygne. Etaine, nous aurons l’occasion de le voir, passe
par l’état de cygne tout comme la bien aimée d’Oengus, Elles entraînent leur
complice amoureux dans cette même métamorphose.
Transposant le trait d’union entre les mondes de la mort et de la vie, nous nous
trouvons en présence d’un lien entre l’inconscient et le conscient. En ce sens les
oiseaux représentent tout simplement les idées, les intuitions, les « messages ».
Ou encore plus précisément la nature de l’âme elle-même. La réalité
psychologique de ce sens est parfaitement bien attestée par Marie Louise Von
Franz.
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« Comme à tous les volatiles, on lui a de tout temps associé certaines qualités
démoniaques, qui correspondent psychologiquement aux intuitions,
pressentiments, idées et sentiments qui surviennent brusquement comme de nulle
part, et qui disparaissent de même. »286
L’oiseau, le cygne et le corbeau sont des éléments inconscients qui à un moment
ou un autre sont conscientisés. Ils représentent le « signe » qu’un lien s’est fait,
qu’une prise de conscience s’est faite. C’est pourquoi parfois l’oiseau prend
forme humaine, alors que d’autres fois il repart dans l’autre monde, se trouve
« refoulé ». Il est cette part d’âme dont nous nous languissons quand nous en
avons fait la rencontre. Tel est l’amour de Myddir pour Etaine, qu’il ne cesse
d’aimer et de chercher à conquérir, alors que des forces et des volontés contraires
l’éloignent et la poussent à se métamorphoser. Tel est aussi le rêve d’Oengus
atteint d’une maladie de langueur depuis qu’il a vu celle qui sera le « cygne » de
sa destinée.
Désignation d’un changement de niveau de conscience, d’une étape psychique,
l’oiseau transcende aussi les différents niveaux. Interprété de façon plus globale
et communautaire l’oiseau peut tout aussi bien être appliqué à la vieille religion :
« Par rapport à la conscience chrétienne, le cygne représente un contenu pré-
chrétien. Dans son livre, Wotan und germanischer Schicksalsglaube, Marin
Ninck dit que le cygne est le compagnon naturel de Wotan. Si un aspect déjà
relié à la conscience humaine est contraint de reprendre son aspect d’oiseau, il
subit une régression. Autrement dit, des contenus de l’inconscient déjà
partiellement intégrés peuvent en raison d’une détérioration de l’attitude
humaine consciente, être à nouveau refoulés dans l’inconscient. »287
286 Ibid
287 Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 208
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Le cygne serait l’oiseau sacré visionnaire :
« Parce qu’il connait l’avenir le cygne est l’oiseau sacré d’Apollon dans la
mythologie grecque et de Njödr dans la mythologie nordique. » 288
« Ces oiseaux ont un symbolisme analogue sous bien des aspects »290
« Le corbeau représente les pensées sombres en même temps que la lumière qui
tout à coup peut en surgir et les transpercer […] L’oiseau figure les concepts et
les intuitions involontaires qui apparaissent en nous tout à coup. Nous croyons
que ces pensées sont de notre fait, alors qu’elles se posent dans nos têtes, tel des
oiseaux. »291
C’est cet aspect sombre pouvant générer la lumière jaillissante qui rattache le
corbeau à Lugh, le dieu fils de l’ombre et de la clarté. Tout comme il se trouve
l’oiseau compagnon de Morrigu, cette obscure déesse, noire et brune de qui la
vie jaillit en une grande lueur.
288 Ibid
289 Ibid p 210
290 Ibid p 211
291 Ibid
292 Ibid
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Il arrive parfois que ce soit des hommes qui se présentent ou disparaissent sous
forme d’oiseaux. Un dieu sous la forme d’un oiseau peut venir aimer une reine
et lui engendrer un fils :
« Quand elle était là, elle vit un oiseau venir à elle par l’ouverture du toit. Il
laissa son vêtement d’oiseau au milieu de la maison. Il alla à elle et il la posséda,
en disant : « Ils viennent vers toi de la part du roi pour détruire ta maison et
t’emmener à lui par la contrainte. Tu seras enceinte de moi et tu enfanteras un
fils. Ce fils ne tuera pas d’oiseaux, son nom sera Conaire, fils de Mess
Buachalla. »293
Les déesses sont tout autant liées aux chevaux qu’elles peuvent l’être aux
oiseaux et plusieurs mythes l’attestent.
Le cheval est un passeur. Là où l’oiseau va symboliser le passage intuitif, le
cheval peut symboliser le passage instinctif. Nous sommes toujours dans le
domaine du passage, d’une sorte de tissage entre les mondes. Sans parler
d’éléments essentiellement psychopompes, les déesses juments sont détentrices
d’une grande force intérieure symbolisée par la force même du cheval. Les trois
déesses cheval que nous connaissons bien sont Epona, Macha et Rhiannon. A la
fois portée ou porteuse comme l’animal, elles en représentent la fonction de
voyage entre les mondes.
293 Togail Bruidne Da Derga, in C Guyonvarc’h et Leroux, Les Druides, Ouest France, 1986, p 292
294 C Guyonvarc’h et Leroux, Les Druides, Ouest France, 1986, p 289
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La déesse jument n’est pas que psychopompe, sous forme de cheval elle n’est
pas uniquement celle qui porte les âmes dans la mort. Elle peut être cela, mais
projetée sur le plan psychique, cette « jument » est aussi la force et le courage,
la constance nécessaire au va et vient vital entre notre part inconsciente et notre
part consciente.
Dans l’étude des rêves Marie Louise Von Franz, regarde la gare de triage comme
reflet d’une activité au niveau de l’inconscient et de fait il nous arrive lorsque
les énergies psychiques sont en grand remembrement de la voir sous forme de
véhicule moderne, voiture, camion ou train. Le temps du mythe ne connaît que
le cheval comme moyen véhicule. Il est par conséquent possible de regarder le
pouvoir « cheval » de la déesse, ce long travail que nous devons effectuer pour
« prendre conscience » des choses et les amener à maturité.
En tant qu’élément instinctuel cette prise de conscience n’omet pas nos instincts,
nos besoins vitaux et le respect de leurs attentes. En termes de psychologie
analytiques nous dirions que le cheval représente l’effort et la force nécessaire
sur le chemin de l’individuation englobant tout à la fois nos instincts et notre
spiritualité.
Nous ne pouvons pas dissocier ces trois déesses juments, dans la mesure où leurs
traits, leurs caractéristiques se recoupent et parlent le même langage :
« Il ressort des différents travaux de ceux qui ont examiné les documents ou la
statuaire qu’Epona, est une représentation pouvant être assimilée à Rhiannon
(Pays de Galles) et à Macha (Irlande) »295
Epona
Epona est la déesse jument la plus connue parce qu’elle a survécu à l’invasion
romaine et que, contrairement à ses sœurs, elle garde son nom et sa fonction à
travers la société de l’écriture et de la sculpture qui nous transmet d’elle nombre
Page 134
traces archéologiques. Mais nous n’avons pas l’histoire et le mythe lié à Epona.
Ce seront Macha, et Rhiannon qui nous les livreront.
Les textes qui parlent d’Epona, ne le font pas en grande pompe et la rabaissent
toujours au niveau d’une déesse des écuries. Ainsi en parle Plutarque :
« Fulvius Stellus, par misogynie, avait commerce avec une jument. Celle-ci, avec
le temps, finit par mettre bas une belle jeune fille et il lui donna le nom d'Epona.
Elle est la déesse qui prend soin des chevaux. »297
Prudence :
« Personne ne donne l'empire sur les astres aux déesses Cloacine ou Epone, bien
que de ses mains sacrilèges, il [le païen] leur offre les émanations infectes d'une
cassolette et la farine sacrée et explore les entrailles des victimes. »298
Juvénal:
« Immole-t-il, suivant le rite de Numa, au pied de l'autel de Jupiter, une brebis,
un taureau au front menaçant, il ne jure que par Epone ou telle autre figure
peinte sur les murs de ses écuries nauséabondes. »299
Apulée
« [...] voici qu'en me retournant j'aperçus, à mi-hauteur du pilier qui soutenait
les poutres de l'écurie et au milieu de celle-ci, une statue de la déesse Epona
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assise dans une chapelle que l'on avait soigneusement ornée avec des couronnes
de roses toutes fraîches. »300
Minucius Felix
« Qui serait assez insensé pour avoir une pareille divinité, et assez simple pour
s'imaginer qu'on pût l'adorer, à moins que ce ne fût vous, qui avez consacré dans
les étables tous les ânes avec votre déesse Epone »301
Ou encore Tertullien :
« Seulement, ce sont des ânes entiers que vous adorez, avec leur Epone, et tous
les animaux domestiques, gros et petits, et les bêtes sauvages. Vous consacrez
en même temps leurs écuries.»302
Il semble évident qu’Epona ne fut pas juste une « déesse des écuries ». Aucune
déesse celte ne correspond à un élément simplifié, à un attachement matériel de
ce type. Au contraire les déesses celtes ne se comprennent pas en dehors d’un
Archétype :
Si Epona n’est pas une simple déesse des écuries, elle n’est pas non plus une
déesse uniquement psychopompe, elle possède d’autres attributs :
« Portée par un cheval elle peut avoir valeur de symbole funéraire : sur quelques
stèles tout au moins, elle évoque à mon avis, le voyage de l’âme outre-tombe.
[…] En Irlande, les chevaux passaient pour conduire les morts dans l’au-delà.
Protectrice des juments et des poulains, elle assure prospérité agricole d’une
300 Apulée: Métamorphoses, 3, 27, trad. Pierre Grimal, 1975, Paris, Folio.
301 Minucius Felix : Octavius, 28, 7
302 Tertullien: Ad Nationes, I, 11, 6
303 Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre fêtes d’ouverture de saison de l’Irlande Ancienne,
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façon générale : c’est pourquoi on lui voit souvent entre les bras, une corne
d’abondance, une patère ou une corbeille de fruits. »304
Saint Martin semble avoir combattu et hérité des traits d’Epona, et le fait qu’il
soit lui-même célébré à la date de Samonios permet de considérer que la déesse
était fêtée à la même époque.
« Or, si le saint a coiffé la déesse, il a par conséquent certainement reçu d’elle
le privilège d’hériter de la fête à laquelle elle était liée. On comprend mieux dès
lors pourquoi on ne trouve pas de dieu associé à, ou régissant, la fête de
Samain. »306
« Finalement ce que nous savons d’Epona (statuaire, épigraphie), de Rhiannon
(Mythologie galloise) ou de Macha (Mythologie irlandaise) renvoie
incontestablement à une divinité non pas chthonienne mais envoyée de l’Autre
monde, et lui confère en conséquence un rôle fécondant. »307
Envoyée de l’Autre Monde, Epona, assume une fonction fécondante. Fonction
qui acquiert tout son sens à Samonios, fête entre toutes où le temps doit être
régénéré. C’est le sens qui ressort de la plupart des mythes de cette célébration,
tel celui de la « Neuvaine des Ulates » et de la course de Macha.
Page 137
Macha
Dans la Razzia de Cooley, elle est mariée à un homme qui est fier de sa force et
de son courage, mais elle lui a demandé de n’en rien dire à personne. Pourtant
ce mari vante les forces de sa femme auprès du roi d'Ulster, Conchobar Mac
Nessa, qui pariant sur elle l'oblige à faire la course avec ses chevaux. Elle gagne
la course, mais l'effort fourni provoque la naissance de ses jumeaux et cause sa
mort. Juste avant de mourir, elle jette un sort sur les hommes d'Ulster : pendant
neuf générations, ils devront endurer les plus violentes douleurs de l'enfantement
durant cinq jours et quatre nuits.
De cet extrait Georges Dumézil fit une analyse reprise par Leroux et
Guyonvarc’h :
« Il ressort de l’ensemble du texte que le premier des trois jumeaux, né le soir
est défini par ses richesses et son goût des richesses ; que le second né à minuit,
amateur des nuits sombres, est un homme « fort » défini par son goût des
chevaux et des chars : que le troisième fils enfin né le matin, n’est défini que par
sa beauté, qui parait « diale », solidaire du rayonnement du jour ».
Dans ce texte nous relevons les images premières, notamment le lien entre la
nuit, la force et le cheval puisque c’est ainsi que se trouve qualifié le second né.
308 C Guyonvarc’h et Leroux, La société Celtique, Ouest France, 1991, p 98
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Ces trois « signes » sont exactement corollaires avec les déesses juments qui sont
à la fois fortes, nocturnes et chevalines.
La fonction symbolisée par la force chevaline (porter, avancer, passer, voyager
…) se trouve rattachée à la nuit et c’est le sens de la nuit qui par son obscurité
est le sens du secret. Cet obscur secret est l’élément déclencheur dans l’histoire
de Macha, c’est en révélant le secret de sa force que son époux, l’oblige à le
prouver. Si sa course chevaline désigne son appartenance au symbole du cheval,
la levée du secret entraîne l’abus des forces de la déesse qui par sa mort et ses
malédictions entraîne à leur tour le désastre du monde.
Nous retrouverons le sens du secret des forces Femme dans le cas de Mélusine,
à la différence que celle-ci n’est pas une déesse Jument mais une Image Serpent.
Rhiannon
La déesse Rhiannon, est, elle aussi, une "Grande Reine ". Elle est la Jument
Blanche, la reine de l’Autre Monde. Ses oiseaux apaisent les âmes tourmentées.
« Une Epona celtique, cavalière, écuyère, nourrice des chevaux, protectrice des
muletiers et des écuries, et d’autre part génie de la mort et mère dans la douleur
309 Mabinoggion
Page 139
et dans la honte d’un étalon divin : une Epona celtique, Grande Reine
conduisant les âmes au palais de son époux, le roi de la mer et des morts, une
Epona – jument celtique, nous la tenons semble-t-il. »310
Rhiannon séduit le roi en caracolant sur son cheval. Elle l’épouse, puis mère
d’un enfant enlevé et accusée de cette disparition, son époux la condamne à
porter les voyageurs sur son dos pour les faire entrer dans le palais. Rhiannon
apparaît « jument » et « portée », « porteuse », mais elle est aussi auréolée de
secrets : celui de son origine, celui de l’enlèvement de son enfant, celui de sa
force. Le secret de Rhiannon, n’est pas dévoilé. Seul celui de l’enlèvement de
son enfant, échangé avec un poulain, va la libérer. Si le fruit ne tient pas son rôle
d’enfant et de lien entre la reine et le roi (l’ombre et l’animus/anima), alors l’âme
doit durement arpenter les méandres de sa volonté pour atteindre le Soi, ce
royaume intérieur et central. Nous pourrions sous cet angle analytique aborder
ce schéma sans qu’il ne s’en trouve dénaturé. Rhiannon se trouve officiante de
l’âme, reliant les deux mondes par sa force et sa nature, elle se trouve passeuse
une fois de plus, analogiquement représentante des éléments forts que sont
l’instinct et l’intuition.
Ce n’est pas un hasard si Rhiannon déesse cheval est accompagnée d’oiseaux
qui nous l’avons vu, représentent le lien intuitif et le fil ténu entre les mondes.
« Ils se dirigèrent vers Harddlech, s’y installèrent, se pourvurent à suffisance de
nourriture et de boisson et se mirent à manger et à boire. Trois oiseaux vinrent
leur chanter un chant en comparaison duquel tous les autres étaient sans valeur.
Les oiseaux étaient pour eux une vision lointaine au-dessus de la tête des vagues
au-dehors et ils leur étaient aussi distincts que s’ils avaient été avec eux. Ils
furent sept ans à ce repas »311
310 Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre fêtes d’ouverture de saison de l’Irlande Ancienne,
Armeline, 2003, P 138
311 C Guyonvarc’h et Leroux, Les Druides, Ouest France, 1986, p 290
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Les femmes serpents
Sans aucun doute, la plus connue d’entre elle est « la » Melusine.
Melusine
« Le roi Hélinas d'Albanie rencontre une belle inconnue au bord d'une fontaine,
et elle accepte de l'épouser pourvu qu'il lui promette de ne pas la voir pendant
ses couches.
Celle-ci, Pressine, met bientôt au monde trois filles : Mélusine, Mélior et
Palestine. Mais Hélinas ne peut s'empêcher d'entrer alors qu'elle les baigne.
Aussitôt, Pressine s'enfuit avec les bébés, et gagne l'île d'Avalon.
Ayant grandi, les trois soeurs apprennent la faute de leur père. Elles décident de
le punir en l'enfermant sous une montagne. Pressine, qui n'avait sans doute pas
oublié Hélinas, ne peut rien changer à leur geste, mais, furieuse, elle punit à son
tour ses filles : Mélior sera condamnée à garder un épervier dans un château
d'Arménie ; Palestine sera enfermée dans le mont Canigou, avec le trésor de son
père ; et Mélusine se transformera tous les samedis en serpente "du nombril en
aval" et ne pourra échapper à cette malédiction qu'en épousant un homme qui
accepte de ne point la voir en cette situation.
312
Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre fêtes d’ouverture de saison de l’Irlande Ancienne,
Armeline, 2003, p 127
Page 141
Raimondin, dont le père, le comte de Forez, avait lui aussi rencontré une fée au
bord d'une fontaine, est élevé chez son oncle, le comte de Poitiers. Hélas,
Raimondin le tue accidentellement au cours d'une chasse au sanglier. Eperdu
de douleur, il erre à l'aventure à travers la forêt de Coulombiers.
C'est ainsi qu'il parvient à une fontaine où se tenaient "trois dames de grand
pouvoir". Tout à sa peine, il ne les remarque pas, mais Mélusine quitte ses
compagnes, vient vers lui et arrête son cheval. Il est immédiatement ébloui par
sa beauté. Elle l'appelle par son nom, et lui promet bonheur et prospérité s'il
l'épouse. Il devra seulement ne jamais chercher à savoir, ni révéler à quiconque
où elle va et ce qu'elle fait le samedi.
C'est ainsi que Raimondin va devenir le plus puissant seigneur du Poitou. Les
noces sont somptueusement célébrées. Près de la fontaine où ils se sont
rencontrés, Mélusine édifie le château de Lusignan. Et elle donne naissance à
dix fils, dont les huit premiers sont porteurs d'une tare physique. Mais aucun
nuage ne vient pour autant ternir le bonheur et la prospérité du couple ...
Jusqu'au jour où le frère de Raimondin insinue des choses sur les activités de
Mélusine le samedi. Raimondin, bouleversé, ne peut s'empêcher de rejoindre le
bas de la tour où elle s'est enfermée. De son épée il perce un trou dans la porte,
et il découvre sa femme prenant son bain, " jusqu’à la taille, blanche comme la
neige sur la branche, bien faite et gracieuse, le visage frais et lisse. Certes on ne
vit jamais plus belle femme. Mais son corps se termine par une queue de serpent,
énorme et horrible. "
Le pauvre homme, pris de frayeur, se signe. Mais, très vite, il rebouche le trou.
Il retourne auprès de son frère et c'est contre lui qu'il rejette sa fureur. Il déclare
Mélusine irréprochable, et le met à la porte du château.
Mélusine, de son côté, feint de ne s'être aperçue de rien, et la vie continue comme
avant ...
Jusqu'au jour où un de leurs fils, Geoffroy la Grand'Dent, incendie sauvagement
l'abbaye de Maillezais, avec les moines qu'avait rejoints son frère Fromont.
Raimondin, horrifié, voit là le signe du caractère diabolique de sa femme, et il
ne peut s'empêcher de la traiter en public de "très fausse serpente".
C'en était trop, le serment était rompu. Mélusine saute par la fenêtre. Elle
redevient serpente, et s'envole. " Elle fait trois fois le tour de la forteresse,
Page 142
poussant à chaque tour un cri prodigieux, un cri étrange, douloureux et
pitoyable. "
Raimondin ne l'a jamais revue. Mais on dit qu'elle revint nuitamment allaiter ses
deux derniers fils qui n'étaient pas sevrés. Et qu'elle se manifeste, en criant,
chaque fois que la mort va toucher sa descendance, ou que son château s'apprête
à changer d'occupant ».313
De nombreuses études se penchent sur Mélusine, mais celle qui m’a paru la plus
précieuse est celle proposée par Jung lui-même. Dans sa comparaison au
symbole primitif de l’âme, et au processus de transformations psychiques, il se
rapproche parfaitement bien de la notion de métamorphose :
« Car le lieu d’origine de la Mélusine est le ventre des mystères qui correspond
de toute évidence à ce que nous appelons aujourd’hui inconscient. »
« Mais avec le sang, principe vital, nous avons affaire à un symbole primitif de
l’âme, et c’est pourquoi on peut interpréter Mélusine comme un fantôme, c'est-
à-dire un phénomène psychique. »
« Quiconque connaît les processus de transformations psychiques subliminaux
n’aura aucun mal à interpréter cette figure comme une image d’Anima »314
« Il faut mentionner tout particulièrement la notice de Conrad Vecerius, d’après
laquelle Mélusine (« Melyssina ») viendrait d’une île de l’océan habitée par neuf
sirènes, qui entre autres choses pratiquaient l’art de se transformer en diverses
figures. »315
Voici donc Mélusine qui se transforme en diverses figures. Ce thème est celui
de la métamorphose. Le sens psychique de la métamorphose qui mène et attire,
Page 143
se meut à la fois dans les mythes comme un possible devenir, comme un possible
égarement. Nous ne sommes jamais aussi près des mythes celtiques que dans ces
métamorphoses, qui tout autant nous font penser à Morgane attirant les
chevaliers infidèles dans les méandres de son Val sans retour.
« Les gesta Mélosynes sont des fantasmes trompeurs dans lesquels le sens le
plus élevé se mêle au plus funeste des non-sens, un véritable voile de la « maya »
qui attire les mortels dans tous les labyrinthes de la vie »316
« En tant que fée aquatique, Mélusine est très proche de Morgane « née de la
mer ». Sa réplique orientale, antique est Aphrodite, celle qui est née de
l’écume ». Comme je l’ai déjà dit, l’union à l’inconscient personnifié sous des
traits féminins est une expérience eschatologique. »317
Sans doute faut-il voir dans les mythes de femmes au bain, cette relation avec
l'eau, amniotique, lustrale, baptismale, purifiante, le secret des "matrices"
divines donneuses de vie. Comment l'eau fend la graine et fait jaillir la vie. C’est
le chant de la femme de l'autre monde qui entraîne Bran dans une navigation sur
"l'océan impénétrable", les divinités féminines dédiées aux sources, aux rivières,
aux fleuves. Il n'y a là rien d'impur sinon peut-être pour les sociétés occidentales
puritaines à outrance du XIXème siècle ; il y a un pouvoir dont le secret ne peut
être dévoilé. Il est question d’autre monde et de surnaturel.
Mélusine cette femme serpent, est comme la femme cheval, une femme du
passage, du secret, de la métamorphose. Tout comme pour Macha la chevaline,
son secret ne doit pas être divulgué sous peine de maudire le royaume. Sa queue
de serpent, de poisson, d’anguille, sous- tend à une force magique et obscure. Le
serpent passe de sous la terre à la terre, comme le cheval passe d’une contrée à
l’autre.
Page 144
Femme impure
Voilà qui est très orienté et ne fait pas couler beaucoup d’encre, dans la mesure
où cette croyance semble acquise et vraie par tous : la femme qui a ses menstrues
est impure. Cependant la femme chez les Celtes, son statut, sa présence et sa
« royauté » soulève quelques questions. Comment pourrait-on d’un côté porter
sur cette femme un regard plein de respect et d’égalité et d’un autre côté
concevoir qu’elle est pour une raison ou pour une autre un être « impur », ne
serait-ce que temporairement ?
Tout cela est en totale contradiction avec le statut de la femme celte qui nous
l’avons vu n’est ni confinée dans une attitude servile, ni jugée mineure par
essence. Elle peut être propriétaire, reine, chef de guerre, et parle dans les
assemblées.
318 La Femme, ce qu’en disent les religions, Editions de l’Ateliers, collégiale, 2002, p 18
Page 145
Par conséquent notre regard doit se tourner différemment pour savoir comment
les femmes peuvent être vues sans ce carcan de bêtises et d’ignominie, et par-
delà comment peuvent avoir été « jugés » leur sexe et leurs menstrues.
Tout d’abord nous pouvons constater que dans les mythes les plus archaïques
qui nous intéressent, l’idée d’une femme impure et de la saleté de son sang
n’apparaît absolument pas. Si les Déesses sont enfermées, écartées, ce qui n’est
pas souvent le cas, c’est toujours pour une histoire de jalousie, mais jamais pour
un tabou de ce type. Aurait-il existé qu’il serait aussi clairement identifié que les
gesa des héros, les rois, les dieux.
Le sang des femmes a quelque chose à voir avec son sexe et par conséquent sa
sexualité, la vie et la mort, tout ce que l’église chrétienne a légitimé diabolique.
En fait le sang des femmes est lié à cette Reine des Fantômes, qui porte en elle
toute la magie du monde.
La femme « impure » n’est que l’incarnation du rejet de cette déesse, de son
« oubli », de son lien avec la nature, de la diabolisation qui en a été faite.
« Les interdits liés au sang menstruel […]. Les historiens et ethnologues pensent
que le facteur déterminant dans ces tabous était le lien entre la femme et la
nature ou la femme et la fertilité ».319
319 Elisabeth Parmentier, La Femme ce qu’en disent les religions, Editeurs de l’Atelier, 2002, p 57
Page 146
Les menstrues fécondes:
Dans certains cas, de façon archaïque, elles représentent une force, une magie
puissante :
« Euripide le savait déjà qui disait qu’une goutte du sang de la Gorgone « écarte
les maux et entretient la vie que l’autre tue (Markarius Structuration et
Ethnologie, P 220) ». Pline dans son histoire naturelle, en donne l’un des plus
anciens exemples : « si des femmes ayant leurs règles font, après s’être dénudées
le tour d’un champ de céréales, on voit tomber les chenilles, les vers, les
scarabées et autres insectes nuisibles (Pline, Histoire naturelle, VII, 13, XXVIII,
78)320
« Dans l’Antiquité, les femmes réservaient un lieu sacré pour cette recherche et
cette communion et aujourd’hui encore, les femmes aborigènes font souvent de
même. On dit que cela avait traditionnellement lieu pendant les menstrues, car
à cette période, la femme est plus proche de la connaissance de soi que
d’habitude. La membrane entre l’esprit conscient et l’inconscient s’amincit
considérablement. »321
320 Jean Paul Roux, La Femme dans l’histoire et les mythes, Fayard, 2004 P 271
321 Clarissa Pinkola Estés, Femmes qui courent avec les loups, Grasset & Fasquelle, 1996, P 401
322 Pline, Livre XXVIII, chap XXIII
Page 147
Ainsi le pouvoir conféré par les menstrues s’étend entièrement à la femme. Nous
pouvons ici faire un parallèle avec les femmes gauloises connues pour s’être
découvert la poitrine (voir page 58) face aux ennemis romains. La volonté de cet
acte n’a pas d’autres sources que d’éloigner par le pouvoir magique l’orage
symbolique que représente la guerre.
Un autre exemple du même ordre est attesté dans un contexte plus récent :
Le sang et le sexe des femmes possèdent donc un pouvoir qui éloigne le danger.
On l’utilise aussi dans les philtres d’amour. Dans certaines campagnes, on savait
encore mettre de son sang dans le gâteau préparé pour celui que l’on voulait
séduire.
« Rosée lunaire et sang menstruel ont les mêmes vertus magiques et fonctionnent
selon le même principe d’attirance. Comme le sang menstruel efface les verrues,
[…] De même que le sang menstruel est un ingrédient de base des philtres
d’amour (J. PH Chassany, 1970, P 198)324
« Non seulement la périodicité féminine s’ajuste finement sur le cycle lunaire,
mais encore les pouvoirs dont sont investies les femmes durant leurs règles sont
tout à fait comparables à ceux de la lune dans certaines de ses phases.
Cependant ceux de la lune portent sur une sphère beaucoup plus vaste. »325
C’est à partir du moment où ce pouvoir de la femme, lié aux mystères de la Reine
des Fantômes, fut rejeté et non plus honoré que l’impureté s’est glissée dans
l’idée de tout ce qui touche à son secret. Ce pouvoir nous l’avons vu est lié aux
fonctions de La Morrigane, sur tous les points qui y sont rattachés. Nous pouvons
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tenter de la retrouver à travers les interdits qui n’ont pas manqué de se greffer au
fil du temps sur les activités de la communauté et essayer d’en comprendre le
mécanisme.
Que l’on respecte ou que l’on porte l’opprobre sur la magie de la femme, elle
porte en elle un grand secret : la femme est le seul être qui perd du sang sans en
risquer la mort. Ce n’est pas une blessure qui nécessite une intervention, mais la
preuve de son pouvoir de régénérescence, un pouvoir de métamorphose. Ce
pouvoir nous avons vu au niveau de la déesse est sacralisé :
« Ne croyons surtout pas que ces fantasmes ne sont nés que dans l’imagination
masculine. « La femme se sent elle–même dans une situation plus sacrale que
l’homme et elle doit à ce titre observer plus de tabous (Durkheim, la prohibition,
P 64) »326
« Nous retiendrons cependant que ce qui est reconnu à Minot, c’est qu’une
femme lorsqu’elle est indisposée, précipite une échéance naturelle, la
putréfaction, opération que les techniques de conservation ont précisément pour
but de retarder, d’annuler ou de contrôler. Dans le cas des boissons fermentées,
elle accélère outrageusement le processus de la fermentation ; dans celui des
activités culinaires, elle va à l’encontre des émulsions et des liaisons qui, elles,
326 Jean Paul Roux, La Femme dans l’histoire et les mythes, Fayard, 2004 P 271
327 Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire, Gallimard, 1979, P 41
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se font dans la rapidité. Ou bien elle fait « prendre » trop vite, ou bien elle
empêche de « prendre »328
Le tabou ne touche pas une impureté mais un pouvoir qui à un certain moment
n’est pas celui attendu, ce qui confirme qu’en d’autres situations, faire éloigner
les tempêtes ou les insectes dits nuisibles, ce pouvoir est attendu. Il n’est pas un
jugement de « bien » ou de « mal », de « pur » ou « d’impur ».
L’orage dans la nature, cet effrayant, ou fascinant phénomène est connu pour
nettoyer les lacs, les étangs, peigner les bois.
« Les règles sont d’ailleurs perçues à Minot, comme une sorte de grand orage
biologique »330
Nous pourrions pousser encore plus loin l’affinité entre l’orage et la force de
Morrigane quand elle engendre l’hiver et ses vents mortels, une certaine forme
de propreté imposée au monde, de pureté.
L’énergie sexuelle n’est pas absente des traces de ces croyances. Nous avons vu
comme Morrigane et son ombre couvrent à la fois, la vie, la mort, mais aussi, la
magie et la sexualité. Ici le lien est encore vivace : la femme fortement « sexuée »
est porteuse d’un grand pouvoir de métamorphose sur les choses :
328 Ibid, P 20
329 Ibid, p 41
330 Ibid, P 42
Page 150
« Et ce n’est pas un hasard s’il nous est apparu que les femmes qui font
facilement tourner les saloirs ou les mayonnaises sont aussi particulièrement
marquées sur le plan sexuel ;; qu’elles soient bien connues comme femmes
légères, qu’elles soient spécialement fécondes ou que l’on sente simplement que
le couple s’entend bien sur ce plan. »331
« Tout se passe comme si faire tourner le saloir donnait la mesure de l’ardeur
amoureuse. »332
Le plus connu de tous les liens est sans doute celui entre la femme et la lune, et
c’est donc sans surprise que nous la retrouvons comme prétexte entre la femme,
son sang et le pouvoir de son état de femme.
« Ces grands rythmes physiologiques qui ont leur siège dans l’organisme
féminin ne sont pas une donnée première : tout le monde reconnaît à Minot qu’ils
répondent au rythme cosmique d’un astre, la lune. »333
Avec précision les menstrues des femmes sont comparées à la nouvelle lune,
cette face sombre et mystérieuse qui par analogie prouve encore la présence de
l’Energie de Morrigane. La nouvelle lune est celle des commencements (les
Gaulois comptent le temps par leur nuit), du début, du mystère de la naissance,
elle est donc tout comme Samonios est à l’année, le début d’un cycle, son
mystère :
« La nouvelle lune imprime donc un mouvement d’effervescence et
d’agitation ».334
« La lune quand elle est nouvelle a sensiblement les mêmes effets que les femmes
indisposées, et sur les mêmes choses. »335
331 Ibid
332 Ibid
333 Ibid, P 61
334 Ibid
335 Ibid
Page 151
Ce mystère, cet instant premier, dans ses bouillonnements et ses agitations porte
en lui le Secret, ce secret que ne partage pas les hommes, qui comme son ombre
profonde se doit d’être protégé. Le fait de « surprendre la femme dans ses secrets
(la déesse dans ses mystères) engendre de grandes souffrances pour les uns et
pour les autres. C’est le message qui nous est transmis et que nous ne savons pas
souvent lire. C’est aussi les tourments de Mélusine et de toute sa famille qui l’ont
reléguée au fond de l’obscure nuit de notre inconscient et nous laisse juste
entendre son cri de désolation d’être par trop de mots, séparés de notre
conscience. C’est dans cet état que se trouve La déesse, la Grande Dame porteuse
des mystères depuis que nous avons lié Son pouvoir des mystères et des
métamorphoses à une impureté, un diabolique état.
La virginité
336 Travaux de Pr. Raimund Karl sur les anciennes lois d’Irlande et du Pays de Galles
Page 152
La notion de « disponibilité », celle qui nous intéresse, est tout autre. Il implique
un respect de la femme, respect de son choix (d’être vierge ou pas). Cela respecte
sa réalité physique, sa liberté et sa volonté, son intégrité d’être humain.
Ne serait-il pas absurde d’imaginer une société qui respecte tant l’intégrité de la
femme et ne la considère pas comme un objet puisse faire de son corps une
propriété privée ?
Dans le thème d’Arianhrod appelée à la Cour de Math par son frère Gwydion,
on lui demande de servir à la place de Goewin qui se tient auprès de Math et
recouvre ses pieds. Car c’est le geis de Math de ne pas toucher terre et de garder
ses pieds dans le giron d’une jeune fille. Afin de postuler à ce rôle Arianrhod
doit prouver sa virginité. On lui demande de passer au-dessus de la baguette
magique de Gwydion afin de vérifier ses dires. Elle saute et donne naissance à
ses deux fils.
En effet le sens est bien plus poche d’une pénétration que d’une préservation. En
réalité le roi se doit de choisir une femme disponible, dont le ventre n’est pas
offert à l’autre, qu’il soit fœtus ou homme et c’est bien ce que signifie
l’enchaînement suivant. Le sens de sauter par-dessus la baguette, n’est pas celle
d’un « test », mais celui d’une délivrance. Arianrhod n’est ni menteuse, ni
tricheuse et le druide n’est pas un juge, il est celui qui permet à Arianrhod de
retrouver sa « virginité ». Les enfants nés, la dame est de nouveau disponible.
La femme n’est pas une catin, elle offre son giron ou saute sur la baguette de qui
elle choisit, quand elle se veut « disponible ». Nous pourrions analyser ce texte
plus avant et y lire bien d’autres subtilités comme les initiations nécessaires
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quand le destin nous lance sur une piste spirituelle, mais ici c’est le sens de
virginité que nous retiendrons. Cette virginité qui en réalité n’est que l’autre face
de l’indisponibilité et n’a rien à voir avec l’hymen.
« Il en va ainsi de la femme : avant d’être épouse et mère, elle est enfant et jeune
fille. Chacune passe nécessairement par l’état de virginité. Certaines y restent ;
presque toutes le quittent, ce qui est conforme à leur destin. Mais puisqu’elles
sont terre, toutes peuvent y revenir. La virginité perdue peut se recouvrer. Ce
qui nous parait aujourd’hui irréalisable ne l’est que pour nous. Shakespeare
l’avait compris qui fait dire à l’une de ses héroïnes : « on peut retrouver dix fois
sa virginité perdue » (Shakespeare Tout est bien qui finit bien, I, 1). Il ressort de
ce parallèle entre la femme et la terre qu’il y a absolue hétérogénéité entre
vierges et non vierges et en même temps possibilité de similitude, aucune
différenciation définitive. Nous touchons là deux points essentiels. »338
Pour preuve, nous savons que les déesses celtes possèdent ces caractéristiques
d’être à la fois vierge et mère, c'est-à-dire possèdent la capacité des deux états,
celui de se régénérer :
« L’un des exemples les plus pertinents de la non opposition entre vierge et mère
est apporté par la déesse celtique connue sous divers noms (dont le plus célèbre
est Brigitte) car elle possède à la fois les deux fonctions de vierge et de mère. 339
« Cette union et sa qualité d’épouse et de mère n’empêche pas Brigid d’être une
déesse vierge. L’idée de maternité tant corollaire à celle de la virginité »340
338 Jean Paul Roux, La Femme dans l’histoire et les mythes, Fayard, 2004, p 238
339 Dictionnaire des symboles, p 102, in Jean Paul Roux, La Femme dans l’histoire et les mythes, Fayard,
2004, p 239
340 Celticum XV, p 37, in Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre fêtes d’ouverture de saison de
Page 154
Yvonne Verdier rapporte dans son livre « Façons de dire, façons de faire » qu’il
est aussi question de « disponibilité ». Il n’est pas dit « virginité », qui rend la
participation aux jeux d’amour possible. Si tel est le mot rendu c’est que tel il
est employé par les acteurs.
En mai, « L’élection reste courtoise et ne mène apparemment à rien. Les garçons
n’acquièrent aucun droit individuel sur les filles, aucun couple ne se forme.
[…]La disponibilité amoureuse est donc un des critères essentiels de la
constitution des groupes d’adolescents qui posent et reçoivent le mais »341
Nous pourrions nous pencher sur le statut des prêtresses païennes qui sont
souvent présentées comme systématiquement vierges. Or c’est méconnaître la
réalité, même dans les sociétés machistes que proposèrent la Grèce et la Rome
antique, ce rôle important mais assujetti aux lois des hommes n’imposait pas
forcément cet état pubère.
« Si les textes font apparaître pour les prêtres comme pour les prêtresses des
exigences de pureté rituelle associées à la chasteté, l’opposition entre
« parthenoi » et « gunaikes » observée au niveau des prêtrises féminines fait que
le statut à la fois social et biologique des femmes se trouve réinvesti dans la
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place que les hommes leur attribuent dans leur relation au divin. Loin que la
prêtrise soit automatiquement synonyme de virginité […] Il faut se souvenir
qu’en Grèce ancienne les prêtres échappent tout à fait à la notion de clergé.
[….]Il existe d’ailleurs des prêtrises assumées parallèlement par un prêtre et
son épouse. »343
« Celle qui se régénère sans cesse, et qui chaque matin est de nouveau libre et
disponible, et également « puissante », ce qui est finalement le sens étymologique
du mot "vierge », d’un latin « virgoé où l’on retrouve « vis » (génitif viris,
« force ») ;; ou d’un ancien celtique « wakra » qui est à l’origine du mot breton
« groac’h (sorcière), ainsi que du français « virgo » ».344
Sexe et obscénité
Voilà sans aucun doute un des thèmes qui a le plus fasciné et le plus fait
fantasmer nos chercheurs, qui pour la grande majorité sont des hommes et qui
ont pour certains peut-être un peu trop axé leurs conclusions sur des fantasmes
somme toute très contemporains, à savoir la « putain sacrée » qui permettrait de
se « taper une pute » sans avoir mauvaise conscience puisqu’elle était « sacrée ».
J’exagère et je provoque - à peine. Qu’en est-il, que peut-il en être vraiment de
cette histoire de sexe et d’obscénité sacrée dans un monde archaïque oublié et
non à travers une déviance moderne dont les répercussions touchent tous les pans
de toutes les sociétés.
« Quel aspect de la déesse mère, c'est-à-dire de la nature féminine, s’est trouvé
artificiellement écarté par le christianisme et par notre société. Ce qui apparait
d’abord et qui est devenu un problème à l’époque moderne est son aspect sexuel.
343 Georges Duby – Michelle Perrot, Histoire des femmes – L’Antiquité, Plon, 1990, p 400
344 Jean Markale, Les Dames du Graal, Pygmalion, 1999, p 295
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L’ordre social considère la sexualité comme dangereuse […] Mais il est
impossible de décider arbitrairement comment il convient de maitriser un dieu.
C’est l’énorme erreur commise dans le système chrétien qui a eu pour
conséquence que le dieu s’est mis à vivre de façon autonome. Cette législation
de la morale sexuelle n’a jamais été bien observée ;; ou bien les gens s’y sont
tenus et sont devenus névrosés, ou bien ils ont vécu une double vie, ou bien sont
tombés « dans le péché, pour le regretter ensuite. »
Il faut une femme et une femme libre, c'est-à-dire non contrainte dans sa féminité
(par conséquent elle peut être en couple, mariée et mère de famille), une femme
qui connaisse l’état de virginité à la mode celtique pour exposer la question du
sexe dans la féminité sacrée. Ainsi comme le souligne Marie Louise Von Franz,
la sexualité fait partie de la « nature » et son refoulement ne fait que la rendre
malsaine au lieu de la laisser s’épanouir avec beauté comme toute essence divine
parfaitement bien « ritualisée ». Je pèse mes mots.
La sexualité est une énergie terrifiante, parce que très puissante. Seule et déviée,
elle fait des ravages, alliée à l’amour, au respect, elle déplace les montagnes.
C’est bien la raison pour laquelle, refoulée, elle engendre de terribles tourments
et des maladies incurables. Par contre reconnue pour ce qu’elle est, « sacrée »
elle est aussi l’énergie la plus créative qui soit. C’est d’une part celle qui « fait
faire des enfants » et celle qui « engendre les plus belles œuvres artistiques ».
L’amour serait-il la sexualité de l’âme ?
La sexualité qui nous intéresse ici est celle de la femme, ce sexe qui fut relégué
aux rôles démoniaques. Je ne reviendrai pas sur les détails sordides de ce qui fut
colporté au sujet des femmes et de leur faible sexe, si tentateur et si diabolique,
qu’il est nécessaire de le « tenir » à distance (ou de les exciser ?)
A force de refouler leur sexualité les femmes ont développé des névroses,
amputé leur vie et leur corps d’un élément majeur. Les besoins des femmes sont
tout aussi réels que ceux des hommes, comme leur possible jouissance et leur
possible dégoût.
Page 157
Un livre ne suffirait pas à faire l’étude et l’approche de la sexualité, cependant
le thème de la Femme Celtique ne peut occulter ce trait si particulier et si présent
dans sa mythologie.
Les déesses celtes sont sexuées, elles ont toutes un mari, un amant, un soupirant,
un amoureux, un bel amour, mais la plus « coquine » d’entre elles est sans aucun
doute La Morrigane.
La lecture de cet extrait, à un premier niveau n’a aucun intérêt. Ce qui compte
c’est sa lecture symbolique et magique. Nous pouvons y voir en place des dieux
très importants du panthéon celtique à savoir le Dagda et la Morrigane. Le Dagda
possède une maison dans le nord : il fait partie de l’autre monde (l’inconscient),
le monde de la sagesse, le monde de la magie. A Samonios il a rendez- vous avec
Morrigane. Le fait est de grande importance car il signifie que dans cet
espace/temps sacré, le dieu et la déesse se rencontrent, « s’unissent ». Ce n’est
donc pas à Beltaine ( 1er mai) qu’est symbolisée la magie de l’union sacrée mais
au tout début de l’année, en ce temps qui n’est plus un temps et qui représente
toute la magie du monde. La Femme a les pieds au bord de la rivière, l’un au
345Textes Mythologiques Irlandais I, 1, p 53 in Christian Guyonvarc’h et Françoise Leroux, Les fêtes
Celtiques, Ouest France, 1995, p 39
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sud, l’autre au nord. De cette manière Morrigane possède deux visages et deux
entrées possibles, une entrée dans le monde incarné, réalisé (sud), une autre dans
l’autre monde (nord). Plus précisément nous pouvons lire que Morrigane a le
pouvoir de passer de l’un à l’autre ou d’être présente en même temps dans les
deux mondes. Elle permet en tous cas le lien, la reliance. Les neufs tresses ne
font que confirmer la maîtrise, et le complet aboutissement de Sa force et de Sa
sagesse. Le chiffre du tripartisme cher aux Celtes ne peut que signifier la
plénitude de sa réalisation lorsqu’il est lui-même multiplié par trois. Voilà la
Grande Union, la magie du monde, celle dont jamais personne ne pourra dévoiler
le mystère. Il n’est par conséquent pas farfelu de célébrer l’autre monde et la
mort à Samonios mais tout autant la magie de l’union du principe Mâle au
principe Femelle, puisque c’est cette union qui va donner le nom au lit, au lieu :
lui donner vie. Une chose n’existe que lorsqu’elle reçoit son nom, ainsi la matière
prend forme par le nom qu’elle reçoit. Nous avons affaire avec cet extrait à la
célébration de la plus vieille croyance du monde, issue en droite ligne des
croyances primitives. Morrigane et Dagda sont les porteurs de ce mystère.
Et je ne suis pas surprise en regardant la gravure proposée par Jung pour la
346
Conjonction, dans son ouvrage Psychologie du transfert de découvrir un
couple enlacé, dans le lit d’une rivière.
Mais le mythe ne s’arrête pas là, il ne s’agit pas de « célébrer » un coït.
Leur union engendre immédiatement un fait que la déesse va révéler aux Dieux
et aux Hommes. Elle sait qu’une fois l’union consommée, les Fomoire, ces
forces inconscientes, ces pulsions de Vie (cette ombre) , vont se présenter au
« passage ». C’est aux vivants qu’elle va montrer que la création passe par la
mort (initiation), en leur présentant le sang du cœur et des reins (amour et
courage) du roi des Fomoire. La leçon est claire, l’union des principes mâle et
femelle nécessaires à la Vie, engendre l’activation de forces transcendantes. Ces
forces inconscientes révélées aux énergies conscientes doivent passer par
l’initiation afin de devenir créative.
.
346
C G Jung, Psychologie du transfert, Albin Michel, p 112
Page 159
Se focalisant sur l’acte sexuel lui-même, elle n’a l’air ni d’une « salope », ni
d’une « pute », elle ne se donne pas, ni ne se vend, elle a rendez-vous et Dagda,
lui parle avant l’union. Aucune trace de femme soumise, de femme « Eve », ce
qui lui assure un archaïsme particulièrement intéressant. Avant l’union elle ne
minaude pas, elle n’obéit pas à un seigneur autoritaire, après l’union Morrigu
n’est pas reléguée à ses cuisines. Elle a une réputation de « femme légère » mais
pas non plus décrite comme une écervelée dont le seul intérêt serait la chaleur
de ses cuisses.
La sexualité de Morrigane n’a pas pour seul but la sexualité. Aucun mythe
celtique ne fait état de cela. L’union est toujours dans un ensemble de dires et
d’actes dont les conséquences sont de grande importance. Le charme des
Femmes décrites dans la mythologie celtique qu’elle soit la plus ancienne ou la
plus héritée à travers les légendes arthuriennes décrivent des femmes, désirables,
à courtiser (des femmes à qui on parle !). La sexualité de la femme ne se limite
pas à l’union des corps, elle passe par tout un avant et un après, un autour.
« La chaleur d’une femme n’est pas un état d’excitation sexuelle, mais un état
de conscience sensorielle intense qui inclut sa sexualité sans s’y limiter pour
autant. »347
Cela peut sembler difficile à comprendre sauf si l’on considère que la sexualité
et la sensualité chez la femme ne font qu’une et qu’alors le charme et le pouvoir
débordent amplement le simple espace entre ses jambes.
347 Clarissa Pinkola Estés, Femmes qui courent avec les loups, Grasset & Fasquelle, 1996, p 457
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non plus une orgie débridée et sans borne ; nous pouvons nous rappeler ce qui a
été dit au sujet des anciennes lois d’Irlande, qui prouve combien la femme est
respectée jusque dans son intimité.
C’est dans cet état d’esprit que nous devons approcher la notion d’Obscénité :
« Il existe un aspect de la sexualité féminine qu’on appelait dans l’Antiquité
l’obscénité sacrée. Il ne faut pas comprendre le terme « obscénité » au sens où
nous l’entendons actuellement ;; il s’agit d’une sagesse de la sexualité pleine
d’esprit, en quelque sorte.
[…] Il existait des Déesses de l’obscénité, ainsi nommées pour leur lascivité
innocente mais maligne. Notre langue courant nous rend difficile la
compréhension du terme « Déesses obscènes » d’une manière exempte de
vulgarité. Il suffit pour cela de jeter un œil sur les définitions que nous donnent
les dictionnaires, où le mot « obscène » - du vieil hébreu, ob, qui signifie sorcier,
sorcière – se voit renvoyer au mot « sale » et à la notion d’impureté qui
l’accompagne. »348
L’obscénité serait le jeu, la provocation, l’activation des énergies sexuelles dans
un cadre ritualisé. En quelque sorte il s’agit d’un acte magique, le signe
permettant la mise en œuvre de façon occulte, ici encore plus précieuse, dans la
mesure où l’énergie sexuelle éveillée ne doit pas passer le cadre de son désir
mais se trouver canalisée. La libération de cette énergie sans la canaliser
deviendrait malsaine, il convient de l’orienter... C’est le rôle du rite de canaliser
les énergies qui sans cela nous sont incontrôlables, comme l’agressivité, la peur.
Il ne s’agit en aucun cas de passer à l’acte et de générer une grande partouze, et
pas non plus de refouler, un besoin si primitivement vivant.
« Obscénité
On a tenté une transposition moderne de ces geasa. Certains les ont comparés
aux actes par lesquels les femmes provoquent les hommes, par leur habillement,
leurs parfums, voire leur exhibitionnisme. Embrasser, enlacer un homme sont
aussi « formes de provocation ».349
Page 161
Ce ne sont pas nos blagues salaces qui diront le contraire. Cette obscénité
possède un pouvoir libérateur, tant qu’il ne tombe pas dans l’asservissement.
« Par leur humour et leur malice, les Déesses obscènes envoient dans le système
nerveux et le système endocrinien une forme vitale de remède. […] C’est une
sorte d’enchantement sexuel / sensuel qui provoque une émotion bénéfique. »351
Nous retrouvons ces rites d’obscénité dans la manière dont certaines paysannes
se comportaient au lavoir, monde de l’eau et de la lessive qui nous l’avons vu
sont des lieux de femmes. Ces lavoirs sont rarement approchables par les
hommes. Mais ces attitudes ne sont pas d’un mode autoritaire et sectaire, le mode
est « grivois ».
« Les hommes en bloc sont exclus du lavoir. Ils y font allusion à Minot de façon
grivoise »352
Il semble y avoir eu un jeu sans équivoque entre ces femmes qui se retrouvent
entre elles sur un lieu traditionnellement féminin et les hommes qui ne peuvent
s’en approcher sans subir les quolibets et les allusions des femmes :
350 Clarissa Pinkola Estés, Femmes qui courent avec les loups, Grasset & Fasquelle, 1996, p 458
351 Ibid
352 Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire, Gallimard, 1979, p 132
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« Le jeu d’agression verbale et même gestuelle entre les laveuses et l’homme qui
passe est traditionnellement avéré dans le folklore des laveuses, et ce qui frappe,
c’est le caractère bien établi de leur langage, un langage ordurier. […]Quand
elles arrivaient au bout du rôle de leurs injures actives et passives, elles
n’avaient autre recours de garantie qu’à se montrer et trousser leur derrière à
partie adverse »353
Page 163
Reine des métamorphoses
Le moins que l’on puisse dire c’est que les déesses des Celtes sont impossibles
à « caser » dans une définition stricte et immuable. Chaque profil est difficile à
définir sans qu’aussitôt effleure un autre visage ; de la lumière se dévoile l’ombre
et de l’ombre monte la lumière ; de la mort irise la vie et la vie couve la mort.
Ainsi sont-elles, ainsi est-elle, ainsi soit-elle. Pour mieux approcher son profond
mystère il est nécessaire de faire l’effort de cette acceptation d’insaisissable
regard, insaisissable magie de la vie. A peine nait-on que l’on glisse
inéluctablement vers la mort. A peine voit-on le soleil du matin que l’ombre du
soir se profile et à peine glissons-nous dans les brumes des rêves que se dessine
doucement la prochaine aube claire. C’est comme un ruisseau qui serpente, un
temps qui n’en finit pas, une sûre et lente métamorphose. Car enfin d’avoir tenté
de mettre des mots sur les ailes de ces Femmes Sacrées, d’avoir tenté de les
cerner un tant soit peu, a laissé affleurer deux faces qui se croisent et
s’entrelacent, mais plus encore, a laissé émerger un fil de tissage qui boucle et
serpente. Le lien de toutes ses caractéristiques, le fond premier de son mystère
repose sur la magnifique et grande magie de la métamorphose. Sans dire que La
déesse repose sur ce principe, il n’en est qu’une vue, il me semble précieux d’y
voir comme une clé de compréhension, un angle d’approche, un tout petit peu
de son secret …
« Car lorsqu’on n’a plus foi dans la transformation, on craint par la même
occasion les cycles naturels d’accroissement et d’usure. »354
354 Clarissa Pinkola Estés, Femmes qui courent avec les loups, Grasset & Fasquelle, 1996, p 190
Page 164
Cela est en contradiction avec les mêmes travaux de Françoise Leroux
notamment en ce qui concerne la métempsychose :
« La littéraire insulaire semble connaître surtout la métempsychose. »355
Page 165
« La régénération du temps, telle est bien la signification profonde à accorder
aux récits de morts, enlèvements, disparition survenant aux temps d’Halloween
qui entraîne tout contact avec l’Autre Monde. Cette intrusion des gens du Sid
doit être comprise comme l’abolition du temps humain et l’effacement du temps
usé, auquel succédera, après la période rituelle de bouleversement et de chaos,
la « paix »357
Les métamorphoses sont très nombreuses dans les mythes celtiques et nous les
rencontrons sous de nombreuses formes.
Ils reviennent au bout d’un an avec un faon, que Math transforme en humain.
Puis il les transforme en sanglier et sa laie, en loup et louve, puis leur rend forme
humaine.
357 Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre fêtes d’ouverture de saison de l’Irlande Ancienne,
Armeline, 2003, p 143
358 Textes mythologiques irlandais, C Guyonvarc’h et Leroux, Les Druides, p 275
Page 166
Cailleach
Blodeuwedd
Blodeuwedd est une version galloise et sans doute plus récente dans profil de
déesse des métamorphoses.
Son épopée nous révèle trois visages, trois étapes de son devenir et de sa
condition. Elle est les trois visages de la déesse dans la vie, l’amour et la mort.
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Blodeuwedd est une reine initiatrice, fruit de la magie druidique. En plein mythe
de métempsychose, Blodeuwedd est la transformation de plantes en être humain.
Dans le sens du Cad Goddeu où les arbres présentent un anthropomorphisme
latent,359 ici la fleur se métamorphose en femme.
« Ils prirent alors les fleurs du chêne, les fleurs du genêt, les fleurs de la reine
des près, et par leurs charmes ils en firent la plus belle et la plus parfaite jeune
fille qu’un homme ait jamais vue. On la baptisa du baptême que l’on faisait alors
et on l’appela Blodeuwed (aspect de fleurs) »360
C'est la femme fleur aux doigts « plus blancs que l'écume de la mer ». Composée
et animée par Gwydion et Math, elle devient l’épouse de Llaw Llew Gyffes
(Lugh), mais en raison de son absence lui préfère le chasseur de cerf (seigneur
de pouvoir temporel) Grow Pebyr seigneur de Penllyn (Seigneur du Lac) à qui
elle révèle les secrets permettant de faire mourir son époux.
359 Dans le Cad Goddeu les arbres sont présentés en rang guerriers comme s’il s’agissait d’hommes partant
à la guerre
360 J Loth, les Mabinogion 1, in C Guyonvarc’h et Leroux, Les Druides, 1986, p 277
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lui, en plus, et clairement signifié dans l’image, le changement profond de nature
qui nous incombe dans la métamorphose.
Cerridwen
Cerridwen est sans conteste la reine des métamorphoses. Elle représente la force
vive de la vie qui par ses propres métamorphoses nous pousse à nous surpasser.
Car ce sont des métamorphoses encore qui interviennent dans l’histoire galloise
de Taliesin, quand la magicienne Cerridwen poursuit le nain Gwion Bach qui a
indûment acquis le savoir par quelques gouttes de la décoction qu’elle préparait
dans son chaudron :
« Elle courut à sa poursuite. Quand il l’aperçut il prit la forme d’un lièvre et se
mit à courir. Mais elle se donna la forme d’un lévrier, elle le poursuivit et le
chassa vers une rivière. Il prit la forme d’un poisson et elle prit la forme d’une
loutre. Elle le chercha sous l’eau. Il lui fallut prendre la forme d’un oiseau dans
le ciel et elle se fit épervier à sa poursuite. Elle ne lui laissa pas de tranquillité
dans le ciel. Quand elle fut sur le point de l’atteindre et qu’il fut dans l’angoisse
de la mort il remarqua un tas de froment moissonné dans une aire. Il descendit
dans le froment et il prit la forme d’un grain. Elle prit la forme d’une poule noire
à crête et alla dans le froment. Elle gratta de ses pattes, le reconnut et l’avala,
ainsi que dit l’histoire. Elle fut neuf mois grosse de lui et après l’avoir mis au
monde elle n’eut le courage de le tuer, tant il était beau. Mais elle le mit dans
un sac de cuir et, selon la volonté de son mari, elle le lança dans la mer le vingt-
neuf avril »361
Cerridwen la galloise est une déesse majeure, elle est la poule noire, noire
comme la nuit, noire comme les voiles de Morrigane, noire comme la peau de
ces « Vierges Noires » qui ont poussé aux creux de nos vieux chênes.
361 « L’histoire de Taliesin » traduction Christian Guyonvarc’h, Les Druides, 1986, p 275
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Elle se transforme elle-même, elle porte Gwyon qui renaîtra en Taliesin, mais
elle l’oblige avant tout à la métamorphose. Elle se transforme pour transformer
l’autre. La leçon est claire, qui veut détenir les secrets du savoir doit passer par
les affres de la poursuite vertigineuse de Sa volonté. Ce n’est que « digéré », par
elle, porté en Son Sein, que métamorphosé nous pourrons accéder à la clarté d’un
front brillant, car tel est le sens du nom de Taliesin.
Reine du ciel, Reine de la nuit, Reine des fantômes, la grande leçon de La Dame
se retrouve synthétisée dans l’œuvre de Cerridwen qui est de nous faire passer
d’un état à un autre, avec force et avec « amour ».
Etain
Comment ne pas tomber sous le charme de la belle Etaine ? Elle porte en elle
toute la lumière du monde et toutes les profondeurs de son obscure réalité. Etaine
qui se métamorphose d’un règne à l’autre, d’un état à l’autre par amour, par
destin, par vérité. C’est une authentique Dame, jamais elle ne triche. Elle est sans
aucun doute une de celles qui me touche l’âme avec le plus de douceur. Comme
une plume de cygne posée sur nos rêves.
« La métamorphose est un autre thème courant dans les histoires de ces femmes.
Dervorgilla et sa suivante se transforment en cygnes, la nourrice de Finn en
nénuphar pour livrer combat. Edaine, transformée en une flaque d’eau par une
femme jalouse, se métamorphose ensuite en ver ;; puis en bel insecte. […] Après
elle renaît femme et plus tard se change en cygne. […] Edaine achève sa suite
de métamorphoses en se démultipliant en cinquante femmes toutes identiques
par leurs traits et leur habillement. »362
362 Anne Bernard Kearney, Six femmes Celtes, L’Herne, 1996, p16
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La courtise d'Etain
« Midhir, l’oncle et père adoptif d'Aengus, tombe amoureux de la fille du roi
Ailill, Etaine Echraidhe (ou encore Edaine). Aengus part alors à la recherche
de cette fille et la ramène à son père. Fuamhnach, la première femme de Midhir,
en est jalouse. Ayant la connaissance druidique, elle frappe Etaine avec une
baguette de sorbier et la transforme en une flaque d'eau, qui devient un ver puis
un énorme et magnifique papillon (une autre version parle d'une mouche). Mais
Midhir prend énormément de plaisir à voir voler ce papillon. Alors Fuamhnach
crée un vent qui emporte Etaine autour du monde et ce jusqu'à la maison
d'Aengus. Ce dernier la dépose dans une coupe de cristal contenant des plantes
et des herbes merveilleusement parfumées. Il l'emmène partout avec lui.
Fuamhnach en est mécontente, et attire Aengus hors de sa demeure. Elle envoie
un nouveau vent qui emporte Etaine jusqu'à la maison du guerrier Edar, où elle
pénètre par la cheminée et tombe dans la coupe de vin de son épouse, qui avale
le papillon. La femme d'Edar tombe enceinte, et Etaine revient ainsi à la vie. La
nouvelle Etaine est élevée par Edar. Pendant ce même temps, le roi d'Irlande,
Eochaid Airemh cherche une épouse. Il envoie alors des émissaires à travers
tout le pays, en les chargeant de lui en trouver une. Ces derniers entendent
parler de la beauté de la fille d'Edar. Et le roi ordonne qu'on aille la chercher.
Il ramène Etaine chez lui, et Ailill, qui est aussi le frère du roi Eochaid, tombe
amoureux de la jeune fille. Il garde son amour secret jusqu'à ce que le roi parte
en voyage dans son royaume. Courtisée sans cesse par Ailill, Etaine accepte un
rendez-vous amoureux avec lui à la condition que ce soit le premier et le dernier.
Or pendant trois nuits de suite, Ailil dort sans se réveiller, et ne peut donc pas
se rendre au rendez-vous avec Etaine. Pendant ce temps, la jeune fille rêve d'un
étranger. La troisième nuit, cet étranger lui confie son identité. C'est Midhir. Il
annonce à Etaine qu'on a rapporté combien Etaine était belle, et qu'il a reconnu
en elle la femme que la jalousie de Fuamhnach lui a fait perdre. Il la supplie de
partir avec lui, mais celle-ci refuse de s'en aller sans la permission de son époux.
A son retour, Midhir parle à Eochaid. Celui-ci accepte de lui donner Etaine s'il
arrive à le battre aux échecs. Lors de la première partie, Midhir laisse gagner
Eochaid, et, en gage, défriche un passage dans les marécages de Meath. Midhir
gagne la seconde partie. Il vient alors réclamer son prix, mais Eochaid ferme
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toutes les portes de Tara et festoie avec ses guerriers. Midhir utilise alors ses
pouvoirs magiques, et parvient à pénétrer dans la grande salle pour délivrer
Etaine. Ils s'envolent ensemble, sous la forme de deux cygnes, et s'échappent par
la cheminée de la grande salle. En colère, Eochaid et ses guerriers poursuivent
le couple, et commencent à fouiller l'Autre Monde. Midhir propose un marché à
Eochaid. Il promet de lui rendre Etaine si celui-ci la reconnaît parmi cinquante
répliques. Eochaid, accepte. Midhir garde la vraie Etaine, et de leur union
naîtra un fils, le héros Conaire Meplicas.
363 Mouche ou papillon, le terme irlandais « cuil » veut dire l’un et l’autre, insecte en général
Page 172
lui et cela le nourrissait que de la regarder. Il s’endormait à son bourdonnement
et elle le réveillait quand il venait vers lui quelqu’un qui ne l’aimait pas.
Encore une fois et même tardivement, c’est Morrigane que nous identifions sous
le nom de Morgane par le don des métamorphoses. Se transformer en oiseau est
nous le savons le don de la déesse, la Grande Reine, quand elle met son manteau
de nuit.
Retrouvons-là, non plus dans les vieux mythes, mais dans les écrits plus tardifs
de Geoffroy de Montmouth :
« L’île des Pommes, qui est appelée fortunée, tire son nom de ce qu’elle produit
tout par elle-même. Il n’est pas nécessaire aux habitants de tracer des sillons. Il
n’y a aucune culture, hormis celle dont la nature prend soin d’elle-même. Elle
produit elle-même d’abondantes moissons, des raisins et des pommes dans ses
forêts couvertes de fruits. La terre y engendre tout elle-même, en surabondance
au lieu d’herbe. On y vit cent ans et plus, Neuf sœurs, par une loi agréable,
accordent des droits à ceux qui viennent vers elles de nos régions. Celle d’entre
elles qui est la première est devenue la plus savante dans l’art de guérir et elle
364Textes mythologiques irlandais 1/1, pp 241, in C Guyonvarc’h et Leroux, Les Druides, Ouest France,
1986, p 279
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dépasse ses sœurs par sa remarquable beauté. Son nom est Morgane et elle
enseigne qu’elle ait l’utilité de toutes les plantes pour guérir les corps malades.
Un art qui lui est bien connu est de savoir changer de visage et, comme Dédale,
de voler dans les airs avec des plumes neuves. Quand elle le veut elle est de
Bristus, de Carnotus, ou de Paia, quand elle veut elle glisse des airs sur nos
rivages. On dit qu’elle a enseigné l’astrologie à ses sœurs : Monroe, Mazoe,
GLiten, GLitonea, Gliton, Tyronoe, Thiten, Thilton très habile à la cithare. C’est
là que nous conduisîmes Arthur grièvement blessé après la bataille de Camlann,
sous la direction de Barinthius à qui étaient connues les eaux et les étoiles du
ciel. Conduits par ce navire, nous y arrivâmes avec le roi et Morgan nous reçut
avec les honneurs convenables. Elle le porta dans sa chambre sur une couche
d’or et de sa main charmante, elle découvrit la blessure. Elle l’examina
longuement et enfin elle dit qu’elle pouvait lui rendre la santé s’il restait assez
longtemps et voulait absorber ses remèdes. Nous en réjouissant donc, nous lui
confiâmes le roi et nous fîmes voile pour le retour avec des vents favorables. »365
Lors de la lente dévolution des mythes ou des contes de fées, parce qu’elles en
sont les clés principales, les métamorphoses en gardent la place la plus
significative :
« Morgane est à l’évidence une femme de l’Autre Monde et sa magie n’est pas
accessible au commun des mortels. Plus tard cette même magie devait envahir
les contes de fées dont les métamorphoses sont restées l’aspect le plus
spectaculaire, à cette nuance près qu’elles font désormais partie de thèmes ou
de narration vidés de leur substance religieuse. »366
Il n’y a pas que les dieux, les déesses et leurs pâles avatars à posséder le don de
métamorphose. Quelques exemples très clairs signent de ce savoir-faire non plus
des êtres mythiques mais des êtres de l’histoire. Quelques historiens anciens
témoignent de ce fait au sujet de prêtresses vivant sur des îles. Elles semblent
procéder aux mêmes artifices que la Grande Morrigu, à savoir ceux de pouvoir
se transformer en animal, à volonté. Bien entendu nous ne pouvons croire de tels
faits, concrètement. Cependant s’agissant d’un témoignage historique nous
365 Geoffroy de Monmouth, Vitta Merlini E Faral in C Guyonvarc’h et Leroux, les Druides, 1986, p 276
366 C Guyonvarc’h et Leroux, Les Druides, 1986, p 276
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pouvons aisément d’une part le relier à la croyance mythique d’un peuple qui
la colporte et d’autre part le relier aux croyances primitives – chamaniques – Car
telles sont les métamorphoses encore présentes dans la quasi-majorité des
croyances vivantes, héritées en ligne directe des chamanismes anciens.
« Sena, dans la mer britannique, en face du littoral, chez les Osismii, est
remarquable par l’oracle de la divinité gauloise dont les prêtresses sont dit-on
au nombre de neuf dans une virginité perpétuelle. On les appelle Gallisenae :
elles prétendent calmer par leurs chants et par les singularités de leurs artifices
les mers en tempête et les vents, et prendre la forme des animaux qu’elles
veulent. Elles savent guérir ce qui par d’autres est inguérissable et prédire ce
qui doit arriver ».367
367 Pomponius Mela III, 6, 48 in C Guyonvarc’h et Leroux, Les Druides p 275
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Le féminin retrouvé
Cette Femme qui se dévoile à travers les traces historiques, les mythes et les
croyances des Celtes est donc par essence bien éloignée de celle que nous avons
coutume de voir, et de croire. Libre et forte elle est le pendant égal, différent
mais semblable, de l’homme, son compagnon.
Le mâle de la femelle, le masculin du féminin, qu’il se joue sur le mode physique
et sexuel, sur le mode psychique ou émotionnel, et le nécessaire miroir de son
rêve et de son incarnation.
Le pôle féminin n’est pas que « la femme », il se conjugue sur plusieurs temps
et à plusieurs niveaux d’incarnation. Il est la femme, certes, mais aussi la part de
l’âme dans l’homme, l’anima :
« On sait que Jung désigne par-là, ce que l’on peut appeler le « pôle féminin »
de l’homme, constitué principalement de ces qualités de sensibilité,
d’imagination, d’intuition, etc., que l’image collective du mâle « viril » oblige
un homme à refouler plus ou moins. »368
368 Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 21
369 Ibid, p 21
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Du côté des femmes :
« Elles ont conscience de leur importance du fait qu’elles ont des traits
particuliers qui les différencient de l’homme et de ce que ceux-ci n’impliquent
aucune infériorité. »370
L’un comme l’autre possède en chacun de lui les deux aspects de la nature,
masculin, féminin.
« C’est pourquoi pour se réaliser de façon équilibrée dans sa totalité, une femme
doit développer son animus, ses qualités intellectuelles et « viriles », tandis que
l’homme a besoin de développer son anima, ses qualités, féminines et son
éros. »371
370 Ibid
371 Ibid
372 Ibid
373 Clarissa Pinkola Estés, Femmes qui courent avec les loups, Grasset & Fasquelle, 1996, p 189
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Ils s’adaptent, ils se métamorphosent.
Les mythes qui nous permettent de retrouver ce fil perdu entre l’homme et sa
nature semblent être la sagesse même car ils sont l’écho d’une lecture de cette
nature dans l’appartenance à son essence qui est la nôtre:
« Les mythes doivent-ils être considérés comme des créations purement
humaines, ou bien révèlent-ils objectivement la face cachée de la nature ? Sont-
ils une projection ou correspondent-ils à une vérité plus vaste que l’homme ?
[…] On est en droit de penser qu’il ne s’agit pas d’une pure projection car
l’inconscient « est » la nature dans l’être humain. »374
Dans leur nature respective ce n’est pas de différencier l’homme et la femme, le
masculin et le féminin qui les sépare, bien au contraire, les différencier leur
donne corps et leur permet de se rencontrer :
« Ovide conclut que « La séparation du ciel et de la terre mit fin au conflit en
assignant à chacun sa place distincte. (Ovide, Métamorphoses, I) »375
Les vieilles croyances semblent bien plus sages que toutes nos tergiversations
contemporaines.
Il ne s’agit pas de louvoyer entre deux eaux et d’ouvrir sur une lubricité sans
limites. Le monothéisme a ouvert les portes de la distance en lui donnant la
pulsion verticale, une hiérarchie des genres. Pourtant le regard sur la femme dans
toute sa réalité, dans toute son humanité ne passe pas par la case concupiscence
qui se révèle n’être qu’un autre extrême. Ce fait se retrouve lui aussi dans la
nature et dans la symbolique qui en découle :
374 Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 281
375 Jean Paul Roux, La Femme dans l’histoire et les mythes, Fayard, 2004 p 220
376 Ibid
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« Les comportements illicites en amour, l’inceste en premier, l’adultère ensuite
ou toute déviation de l’instinct, tendent à nuire à la fertilité du sol et aux récoltes
parce qu’ils dérangent l’ordre établi »377
Pour conclure nous pouvons faire appel à Jean Paul Roux qui pourrait si
parfaitement décrire la féminité dans sa nature, car son analyse fine et juste
permet le lien ténu entre la force femme « comme un cheval » , sa lumière
« Reine du Ciel » et son pouvoir de Métamorphose, de procréation.
Nous pouvons aussi faire référence à Clarissa Pinkola Estès chez qui éclot
comme une mémoire ravivée, un souvenir étrange, le souvenir de la femme
ancestrale, celle qui est trois, celle qui est à elle seule une trinité sacrée.
377 Jean Paul Roux, La Femme dans l’histoire et les mythes, Fayard, 2004 p 229
Confirmé par Frazer Le Rameau d’Or, I, p 321
378 Ibid, p 325
379 Ibid
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« Le jardinier, le roi, et le magicien représentent trois personnifications de
l’archétype masculin. Ils correspondent à la trinité sacrée du féminin que
personnifient la jeune fille, la mère et la vieille. »380
380 Clarissa Pinkola Estés, Femmes qui courent avec les loups, Grasset & Fasquelle, 1996, p 571
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