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La femme semblable

La femme dans la tradition celtique

Sylvie Verchère Merle

Sylvie Verchère Merle © Chârost 2013

Sylvie Verchère Merle


8, route de Mareuil
18290 Chârost
06 85 31 91 67
« Du  plus  lointain  de  mon  enfance,  je  me  souviens  d’avoir  toujours  cru  aux  
pouvoirs  d’une  déesse  qui  gouvernait  le  monde  … »

Michel Cazenave, Visages du Féminin Sacré

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Sommaire

Sommaire 3
Introduction 5
La femme celte 7
Une femme différente 8
La femme dans la société antique 13
A partir du Moyen Age 16
Prêtresse  d’autrefois 27
Les prophétesses 31
Les magiciennes ou « sorcières » 34
Les femmes et le sacrifice 39
Enseignante et initiatrice 42
Evolution du statut religieux 45
Rencontre avec « La déesse » 47
Déesse oubliée 50
Guerrière et souveraine 57
Les Reines et les princesses 57
Les femmes guerrières 58
Bouddica et Andrasta 59
Graine, Deirdré, Iseult, Guenièvre 62
Morrigane 63
La souveraineté et le royaume 64
Mebd 69
La Mère divine 71
Dana 76
Tailtiu 77
Boan 80
La Reine du Ciel 83
Brigid 83
Belisama 87
Bougies et feu 88
Linge, tisser, filer 91
La farine, le lait 93
Survivance de Brigid 95
La guérisseuse Airmed 101

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La Reine des Fantômes 103
La Déesse du « mal » 106
La Déesse de la mort 108
La mort et la terre 109
L’Autre  Monde et le Sidh 112
L’autre  monde :  l’inconscient 114
Le sommeil et la mort 114
La mort,    l’île  et  l’eau 116
Morgane  gardienne  de  l’Ile 117
Les dames blanches 120
Les lavandières 122
Les Banshee 124
Les femmes du Sidh 127
Les femmes oiseaux 129
Les Déesses juments 133
Epona 134
Macha 138
Rhiannon 139
Les femmes serpents 141
Melusine 141
Femme impure 145
Les menstrues fécondes: 147
La virginité 152
Sexe et obscénité 156
Reine des métamorphoses 164
Cailleach 167
Blodeuwedd 167
Cerridwen 169
Etain 170
Le féminin retrouvé 176
Le pôle féminin autrement 176

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Introduction

Depuis la nuit des temps, la femme serait reléguée aux fourneaux, aux couches,
au ménage, à la maternité, au silence.
A propos de la femme, qu’elle soit chrétienne ou païenne en faisant référence
aux cultures grecques et romaines, Benoîte Groult conclut :
« En Somme, païenne ou chrétienne, la femme demeurait la mauvaise moitié de
la terre, et  les  Pères  de  l’Eglise,  avec  moins  de  talent  mais  plus  de  fanatisme  que  
les penseurs  de  l’Antiquité,  allaient  confirmer  la  triste  vérité : Platon, Aristote,
saint Paul, Tertullien même combat ! »1

Je respecte   énormément   le   travail   et   l’érudition   de Benoîte Groult, mais elle


pèche là  où  d’autres  pèchent  de  la  même  manière, et nous laisse penser qu’en  
tous temps et en tous lieux la femme a dans les religions et dans les sociétés été
cantonnée à un rôle subalterne et inférieur. Nous ne pouvons pas tout connaître,
c’est  un  fait,  mais l’occultation  d’autres  réalités  ne fait que conforter l’injustice
dont elle est porteuse. Injustice envers ceux dont les croyances et les sociétés
proposaient un tout autre modèle, injustice envers la femme, dont la nature est
alors spoliée par la culture.

L’infériorité  de  la  femme  n’est  pas  une  question  de  nature, mais exclusivement
une question de culture, elle est induite par la société qui la génère.

La  femme  n’a  pas  toujours  et  partout  été considérée comme un sous homme, elle
n’a  pas  toujours  été mise dans un « placard ». Deux exemples de sociétés nous
en  fournissent  la  preuve,  de  par  l’étal  de  leurs  croyances  religieuses  mais  aussi  
de par le modèle de société qu’elles  ont  véhiculé. La société celtique, comme la
société germanique, n’a   pas généré de clivages hiérarchiques entre les deux
protagonistes.
C’est  à  travers  la  société celtique, son évolution et son muselage, que je nous
propose de « creuser » plus avant.

1 Benoîte  Groult,    Histoire  d’une  évasion,  Editions Grasset & Fasquelle, 1997, p 29

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Il   s’agit   pour   moi   de   démontrer   que   la   femme   n’a   pas   « toujours » et pas
« partout » été enrôlée dans une situation que sans ce constat on peut croire
factuelle.
Je suis persuadée que nous trouvons des modèles de sociétés égalitaires,
naturelles, partout dans le monde, en acceptant de sortir de nos ornières et de ne
pas considérer unique le modèle gréco-romain ou judéo – chrétien. Cependant le
choix  de  la  tradition  celtique  n’est  pas  anodin.  Trouver dans notre propre histoire
un  modèle  et  un  exemple  d’une  telle  ampleur,  ne  pouvait  que  m’interpeller,  « me
parler » et me donner envie de le transmettre.

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La femme celte

Il  est  si  difficile  d’appréhender  la  « femme celte » dans toute sa globalité ! Elle
est mouvante et glissante, fluide et insaisissable. Ses multiples visages se
recoupent   et   se   confondent.   Lorsque   l’on   pense   en   comprendre   un,   il   se  
métamorphose aussitôt. Et  c’est  bien  ce  qu’est  la  femme  celte,  cette  magicienne,  
cette force à la fois brumeuse et rayonnante. Cependant elle mérite que nous
fassions   l’effort   dans   l’espace   et   dans   le   temps   de   nous   pencher   sur   ses  
particularités   parce   qu’elle   est   une femme qui démontre   qu’elle   peut
naturellement tenir une place de « semblable ». Loin des clichés et des certitudes
contemporaines, elle nous permet  d’en entrevoir une autre, telle que la donne
Isaure Gratacos dans une société « matristique », à propos de la femme dans la
société  couseranaise  jusqu’à  la  révolution.

« Car  il  ne  semble  pas  qu’il  y  ait  jamais  eu  prééminence  féminine  pour  le  nom  
ou   l’autorité,   l’égalité,   simplement,   existait   entre   hommes   et   femmes,   égalité  
juridique   et   économique   […]   Aussi   plutôt   que   d’une société matriarcale
pouvons–nous  parler  d’une  société  matristique.  Il  y  a  en  effet  dans  les  structures  
sociales et les relations conviviales entre les deux sexes une réciprocité qui est
aussi symétrie. Ici, pas de « complémentarité »  mutilante  pour  l’un  des deux
groupes, mais plutôt une simple égalité dans la différence. »2

Voilà des années que je collecte et que je « tourne autour » de cette femme celte.
J’en   connais   aujourd’hui   suffisamment   les   contours   pour   oser   tenter   de   la  
dessiner. Le plus délicat est de trouver par quel bout commencer et comment la
répertorier sans me perdre. Peu à peu se sont dessinés de grands traits, qui, s’ils  
se   recoupent   n’en   sont   pas   moins   des traits parfaitement identifiables et
reconnaissables.  C’est  par  eux  que  j’ai  choisi  d’essayer  d’aborder  les  différentes  
fonctions inhérentes à la féminité celtique, à savoir, sa réalité dans la
communauté, sa fonction souveraine et guerrière, mère et nourricière, Reine du
ciel (femme solaire) et Reine des Fantômes (Reine de la nuit). Le pouvoir de

2 Isaure Gratacos, Fées et Gestes, Privat, 1986, p 94

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métamorphose est apparu comme « le » pouvoir féminin par excellence, aussi
c’est  lui  qui  clôturera  ce  travail.

Une femme différente

Isaure Gratacos dans son étude sur les traditions pyrénéennes3 ne se trompe que
sur   un   point,   celui   de   ne   pas   relier   la   tradition   qu’elle   étudie   à   la   tradition  
celtique.  En  effet  la  zone  qu’elle  approche,  Comminges,  Couserans,  est  la  zone  
celte  des  Pyrénées,  tant  par  la  toponymie  que  par  les  pratiques  qu’elle  expose.
Les noms des villages et des sites sont très proches des noms gaulois repérés en
Bretagne sud (Région de Vannes par exemple). Ces mots et ces noms finissant
par « ac » se retrouvent aussi dans les zones les plus éloignées, les plus protégées,
les plus excentrées, si on les compare aux places les plus usitées des Romains et
du monde moderne. Ainsi est une grande tranche centrale, comme resserrée,
coincée, qui va de la Bretagne « Gallo » à la zone Comminges Couserans,
passant par la Lozère, le Cantal, le Lot  etc.    Si  l’on  compare  leurs  us  et  leurs  
coutumes,   toutes   empreintes   de   paganisme,   on   peut   constater   d’emblée   leurs
fines similitudes avec   celles   que   l’on   retrouve   dans   toutes   les   campagnes  
françaises,   et   de   l’Alsace   à   l’Irlande.   Si   Isaure Gratacos avait compris que la
tradition  des  Celtes  n’est  pas tant indissociable  de  l’histoire  qui  la  précède,  si  
elle  l’avait  mieux  connue,  elle  aurait  sûrement  fait  le  parallèle  et  aurait  même  
ouvert  d’autres  pans  judicieux.  
Cependant, indépendante de ce fait, son analyse est intéressante. Sa manière de
travailler, en allant directement à la source orale, ses compétences et son
humanité, sont  l’assurance  d’une  collecte vraie. Son approche est astucieuse et
fort intelligente. Recoupant ces travaux à ceux des différents auteurs sur lesquels
je me suis appuyée dans la rédaction de cet ouvrage, nous pouvons accéder à une
synthèse et une vue assez juste de ce que les us et coutumes peuvent contenir de
commun avec la tradition des Celtes.

Le fait que la zone centrale des Pyrénées est à traiter différemment de ses
voisines, Catalanes et Basques est attesté dès le début de son ouvrage :

3 Ibid

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« Il   nous   a   pourtant   fallu   arriver   jusqu’à   ces   dernières   décades   – avec – en
particulier, les travaux de Gabriel Chevalier (La vie humaine dans les Pyrénées
ariégeoises, Génin, 1956) et, surtout, ceux de Jean François Soulet (La vie
quotidienne  dans  les  Pyrénées  sous   l’ancien  régime,  Hachette,  Pris,    1974)   –
pour découvrir, cette caractéristique originale dans nos sociétés patriarcales
européennes. »4

Or  le  premier  exemple  soulignant  cette  singularité  est  l’égalité  des  femmes  et  
des hommes :
« Chez nous, les femmes ne sont jamais restées debout pendant que les hommes
mangeaient », dit fièrement Jean Boué, à Arbon. »5

Et   de   s’étonner   que   cette   particularité   juridique   n’ait   pas   été   plus   souvent  
soulignée. Elle cite Elisabeth Badinter qui dans un ouvrage amplement
documenté   va   jusqu’à   écrire   « Il   est   vrai   qu’à   scruter   la   période   proprement  
historique de nos sociétés, nous ne   trouvons   trace   que   d’un   patriarcat   qui   a  
souvent  pris  la  forme  d’un  pouvoir  masculin  absolu ».6

Voilà  exactement  l’exemple  de  notre  société  qui  prend  pour  acquis  une  vérité  
partielle et ne tient compte ni de sa véritable histoire ni de son véritable passé.
Car enfin le statut de la femme celte est ce statut de femme égale et libre que
décrit si bien Agnès Audibert en parlant de la Bretonne :
« L’histoire  et  la  mythologie  celtique  restituent  les  échos  du  grand  prestige  des  
femmes et il semble impossible d’avoir   de   celles–là   une   idée   juste   si   l’on  
méconnaît les particularités du statut féminin. Analysé en termes actuels propres
à   l’Ethnologie   et   la   Sociologie,   il   est   celui   d’une   très   grande   liberté   et  
autonomie,  d’une  visibilité  sociale  et  politique  certaine,  d’un  pouvoir  d’action  
et de décision manifeste ».7

4 Isaure Gratacos, Fées et gestes, Privat, 1986, p 9


5 Ibid
6 Elisabeth Badinter, L’un  et  l’autre, Odile Jacob, 1986
7 Agnès Audibert, la Femme en Bretagne, Gisserot, 1993, p 14

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Cette  particularité  est  extrêmement  claire  si  l’on  se  réfère  aux  textes  antiques  et  
aux   mythologies   celtiques   qui   ne   sont   pas,   contrairement,   à   ce   que   l’on   peut  
imaginer, pauvres en la matière :
«Il  s’agit  d’annales  et  de  généalogies  mais  aussi  de  légendes  ainsi  que  de  traités  
de  droit.  D’après  Myles  Dillon,  ceux–ci « sont probablement les documents les
plus   importants   de   toute   le   tradition   littéraire   d’Europe   occidentale,   tant   par  
leur volume considérable   que   par   l’archaïsme   de   leur   contenu » (Nora
Chadwick,   Myles   Dillon   et   Christian   Guyonvar’ch,   Les   Royaumes   Celtiques,
Fayard, 1974, P 85) bien que traduit tardivement, ils ont été conservés pendant
des siècles par la tradition orale. »8

Dans le monde celte antique nous est donné un exemple de révérence à la femme
par un Celte célèbre, Caratacus :

« Au livre XII ch 37 des Annales, Tacite décrit le geste suivant de Caratacus,


chef breton illustre fait prisonnier puis gracié par Claude en 51 environ, geste
qui   suscite   l’étonnement   des   troupes   romaines : « Dégagés de leur fer
(Caractacus,  sa  femme  et  ses  frères),  ils  allaient  vers  Agrippine  qu’on  voyait  non  
loin de là sur une autre estrade et lui rendirent les mêmes hommages et les
mêmes actions de grâces  qu’à    l’empereur ».9

Nous  pouvons  imaginer  l’état  d’esprit  qui  peut  animer  un  prisonnier  libéré.  Sans  
doute ne va-t-il pas chercher à blesser ou humilier son libérateur, et encore moins
lui faire quelques farces. En quelque sorte il va agir par instinct suivant sa culture
et son éducation en  l’honorant. Ainsi Caratacus, rend les mêmes hommages à la
Dame  qu’à  L’Empereur.  Il  est  navrant  que  cet  épisode  ne  soit  pas  plus  connu,  
car   il   dénote   clairement   combien   la   femme   dans   l’esprit   celte   n’est   pas   une  
« potiche » ou un « faire valoir », un sous–être, mais un être méritant les mêmes
hommages  que  l’homme.

D’autres  exemples  de  la  position  féminine  nous  sont  connus :

8 Ibid
9 Ibid

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« Polyen dans ses « stratagèmes », déclare même ceci : « Quand les Celtes
délibèrent soit sur  la  paix,  soit  sur  la  guerre,  soit  sur  d’autres  sujets  d’intérêt  
commun pour eux–mêmes  ou  pour  leurs  alliés,  c’est  sur  l’arbitrage  des  femmes  
qu’est  réglée  chaque  affaire ».Il  cite  l’exemple  de  Brenos  qui en 279 avant JC
avant  d’entreprendre  la  campagne  de Grèce avait réuni une grande assemblée
composée  d’hommes  et  de  femmes. »10

Il ressort généralement des témoignages sur les Celtes et leurs femmes une image
claire et parfaitement bien définie de leurs prérogatives, égalitaires et
parfaitement complémentaires à celles des hommes :
« Ce que les observateurs remarquent essentiellement concerne les possibilités
pour les femmes  de  jouer  un  rôle  de  décision,  de  conseil,  d’influence  dans  des  
domaines ordinairement réservés aux hommes, et cela de façon institutionnalisé
et non occulte, de façon non seulement complémentaire mais aussi égalitaire.
Cette action sociale et politique   jouée   par   les   femmes   s’intègre   au   rôle  
domestique et en est le corolaire comme le laisse entendre Tacite qui évoque le
prestige associé à la fonction féminine.
« On a gardé le souvenir « de formations qui fléchissaient déjà et vacillaient,
que des femmes ont redressées par la fermeté de leurs adjurations, faisant une
barrière de leurs poitrines »  […  bien  plus  ils  croient  qu’il  y  a  en  elles  quelque  
chose de sacré et de prophétique, et ils ne dédaignent pas leurs conseils, ils ne
négligent pas leurs réponses. »11

Il  est  évident  que  pour  les  Grecs  et  les  Romains  c’est  une  chose  inconcevable  de  
voir   les   femmes   présentes   sur   un   champ   de   bataille,   qu’elles   jouent   un   rôle  
politique,   qu’elles   semblent   en   leur   foyer   les   égales   des   hommes.   Aussi   une  
certaine caractéristique des femmes gauloises va faire jour, presque caricaturale,
démesurée, cette femme grande, violente, forte, effrayante, « inaccoutumée » :

« Tacite  mentionne  leur  présence  lors  de  l’affrontement   qui   eut   lieu  entre  les  
troupes romaines de Suetonius  Paulinus  et  les  Ordovices  en  61  après  JC,  à  l’île  
de Mona « Criant des imprécations, vêtues de noir comme les Furies, les cheveux

10 Ibid, p 18
11 Ibid

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en désordre, brandissant des torches et la stupéfaction des soldats romains
devant ce spectacle inaccoutumé » (Annales, Livre XIV, ch 30)12

Ou encore ces descriptions physiques terrifiantes :


« Ammien Marcellin nous les décrit prenant une part active à la lutte et il nous
explique  comment  toute  une  troupe  peinait  à  vaincre  au  combat  un  Gaulois  s’il  
appelait sa femme à son aide.
« L’humeur  des  Gaulois  est  querelleuse et  arrogante  à  l’excès.  Le  premier  venu  
d’entre  eux,  dans  une  rixe,  va  tenir  tête  à  plusieurs  étrangers  à  la  fois,  sans  autre  
auxiliaire que son épouse, champion bien plus redoutable encore. Il faut voir
ces viragos, les veines du cou gonflées par la rage, balancer leurs bras robustes
d’une  blancheur  de  neige,  et  jouer  des  pieds  et  des  poings  assenant  des  coups  
qui  semblent  partir  de  la  détente  d’une  catapulte » ( Histoire, Livre XIV, ch 30)13

L’analyse  d’Agnès  Audibert est juste quant à la vision épique qui en est donnée :
« Que  penser  de  ces  descriptions  que  l’on  peut  de  nos  jours  trouver  étonnantes  
voire amusantes, car il nous semble impossible de croire en un pays où les
femmes soient particulièrement et plus que les hommes dotées de cette
corpulence et de cette énergie titanesques, où sans intention théâtrale elles aient
cette apparence impressionnante. En fait les particularités mises en avant sont
à la fois physiques et corporelles : taille, force, mouvement, action. Elles se
rapportent toutes à ce fait qui étonnent tant les historiens : une présence, une
« visibilité »  tellement  stupéfiante  qu’elle  en  est  décrite  sur  un  mode  épique  avec  
dramatisation  des  faits  et  gestes,  des  apparences.  Et  c’est  cette  présence sur les
champs de batailles, dans la vie sociale et politique que tous remarquent et qui
les frappent si fort : il est un pays où les femmes semblent partager avec les
hommes les décisions et les actions concernant la destinée de leur cité, où elles
en sont même les seules dépositaires et souveraines. »14

Nous verrons que « La »   femme   dans   l’imaginaire,   et   dans   la   mythologie  


celtique, par conséquent dans la société qui se veut le reflet du modèle divin, est

12 Ibid p 15
13 Ibid
14 Ibid p 16

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par certains traits, terrifiante, mais aussi d’une   beauté   d’âme,   d’une   grâce   et  
d’une  douceur  peu  communes.

« La mythologie au même titre que les découvertes archéologiques et


linguistiques,   témoigne   de   la   vie   d’un   peuple,   de   ses   craintes   et   de   ses  
aspirations, et nous livre les détails de son univers mental ».15

La femme dans la société antique

Nous  connaissons  bien  les  lois  antiques  de  l’Irlande  et  du  Pays  de  Galles 16 . Et
c’est  à  travers  elles  que  nous  connaissons  particulièrement  bien  le  statut  juridique  
des femmes celtes et le regard de cette société sur la fonction féminine :
« Le  sexe    n’est  pas  envisagé  en  tant  que  distinction  autre  que  physiologique »17

« Et de voir dans la société celtique un reflet des conceptions métaphysiques,


lesquels  ont  créé  la  société  humaine  à  l’image  de  la  société divine. »18

Guyonvarc’h  et  Leroux  l’ont  parfaitement  bien  identifié :


« La femme irlandaise, bretonne ou gauloise possède un statut bien défini, lequel
est  strictement  le  même  que  celui  de  l’homme,  elle  peut  tester,  hériter,  jouir  de  
ses biens, exercer une profession, avoir sa propre domesticité. »19

Les travaux du Pr. Raimund Karl vont plus loin :

15 Agnès Audibert, la Femme en Bretagne, Gisserot, 1993, p 23


16 « Nous avons deux groupes de sources du Droit Celtique, plus récentes, mais cependant encore
empruntes de traces des structures archaïques.
La première de ces sources est la tradition juridique irlandaise. Principalement écrite par les moines
irlandais du 7ème au 10ème siècle de notre ère. Ces textes juridiques, dont le plus gros a été édité par D. A.
Binchy (Corpus Juris Hibernici), et bien que souvent très influencés par des motifs chrétiens, est appelée
le Senchus Mor.
Ces textes nous offrent quelques pistes de ce à quoi ressemblait la loi avant la conquête par les Romains
de la plupart de l'Europe.
La deuxième source est la tradition juridique galloise. D'abord annotée vers le 12ème siècle, elle est
définitivement mise par écrit bien après le droit irlandais et, peut-être pour cette raison, montre
beaucoup plus d'influences étrangères, à commencer par celle du Droit Romain, jusqu'aux influences du
christianisme. Le Droit gallois a été réuni sous le nom de Loi de Hywel Dda en un corpus
unique. « (Travaux de Pr. Raimund Karl)
17 Guyonvarc’h  &  Leroux,  La société celtique, Ouest France, 1990, p 159
18 Guyonvarc’h  &  Leroux,  La société celtique, Ouest France, 1990, p 112
19 Ibid, p 77

Page 13
« Les maris mettent en communauté, avec la somme d'argent qu'ils reçoivent en
dot de leur femme, une part de leurs biens égale, estimation faite, à cette dot. On
fait de ce capital un compte joint et l'on en réserve les intérêts ; celui des deux
époux qui survit à l'autre reçoit la part des deux avec les intérêts accumulés. »
20

L’importance  de  la  famille  « maternelle » est tout aussi symptomatique :


« La parenté maternelle :
La parenté maternelle joue également aussi un rôle majeur. Au mariage, la
femme ne coupe pas totalement ses liens avec sa propre parenté. La parenté
maternelle est aussi amenée à prendre part à une vendetta si l'enfant d'une de
ses filles est tué et si le coupable ne paie pas, elle reçoit une part de l'éraic pour
un tel meurtre, et elle doit intervenir si l'éducation d'un enfant n'est pas
correctement menée à bien. »21

Par ailleurs, la société celte protégeait la femme contre les violences, comme le
viol :
« Le droit irlandais distinguait deux sortes de viol (" forcor " et " sleth "), même
si les mêmes peines s'appliquaient aux deux. Le forcor concernait le viol [forible
?], alors que le sleth couvrait toutes sortes de situation où une femme était
soumise à des relations sans consentement.
Quel que soit le genre de viol, le violeur devait payer le prix de l'honneur, Si la
victime devenait enceinte à la suite du viol, le violeur était entièrement
responsable de l'éducation de l'enfant. »22
Ou  le  harcèlement  sexuel,  l’irrespect :
« Le prix de l'honneur au complet devait être payé à une femme qu'on avait
embrassée sans son consentement. Si sa robe était soulevée, elle devait aussi
être dédommagée. Un assaillant devait payer dix onces d'argent pour avoir
touché une femme ou mis sa main dans son corsage et sept cumal et trois onces
pour avoir mis sa main sous sa robe. »23

20 César, De Bello Gallico,  VI,  19,  in  travaux  de  Pr.  Raimund  Karl  sur  les  anciennes  lois  d’Irlande  et  du  
Pays de Galles
21 Travaux  de  Pr.  Raimund  Karl  sur  les  anciennes  lois  d’Irlande  et  du  Pays  de  Galles
22 Ibid
23 Ibid

Page 14
Sur  le  plan  légal  encore,  elle  jouissait  d’un  certain  nombre  de  droits  quant  aux  
biens  qu’elle  possédait :
« Une femme avait toujours une influence sur le bien commun qu'elle partageait
avec son mari et, en fonction de son statut dans le mariage, pleine influence sur
son bien propre, pouvait toujours dénoncer un contrat conclu par lui si elle
estimait qu'il était préjudiciable aux intérêts de leur maisonnée. »24

« Dans le droit irlandais, les femmes avaient une sorte de dot (coibche) dont la
mariée gardait une part. Le droit irlandais ne s'occupe pas de la virginité de la
mariée.
Le divorce était autorisé pour de nombreuses raisons, et suivant le type de
mariage et en fonction de celui ou celle qui était responsable de la rupture du
mariage, il ou elle recevait moins, voire rien du tout, du partage de la
communauté. La séparation sans amende ni pénalité était également possible.
En outre, une femme a la capacité juridique sur "son" bien, elle peut prêter
serment pour quelqu'un d'autre sur son bien (par exemple ses outils à broderie,
son sac de travail, une robe), et elle peut aussi être témoin dans le cas d'affaires
concernant sa maisonnée ou les travaux de femmes comme le tissage. » 25

« Les héritières : les banchomardae […]   Les filles peuvent hériter d'une
participation à vie dans les terres familiales, ce qui les installe dans la même
pleine capacité légale qu'un homme. Dans le cas où elle épouserait un homme
sans terre ou un étranger, les rôles légaux dans le mariage sont inversés : elle
paye les taxes pour lui et prend les décisions pour la maison commune.
Toutefois, à sa mort, la propriété n'est pas héritée par son mari ou ses fils, mais
elle est reversée à sa propre parenté. » 26

Tous ces extraits démontrent de façon claire la position particulièrement


égalitaire de la femme celte, à tel point que cette question – de  l’égalité  - n’est  
pas abordée dans la matière celtique.

24 Ibid
25 Ibid
26 Ibid

Page 15
« En  tant  qu’être  humain  physiologiquement  différent  de  l’homme,  [la  femme],  
ne pose précisément aucun problème politique, ni social, ni juridique »27

A partir du Moyen Age

A   l’époque   historique,   ce   statut   féminin   n’a   pas   disparu   en   Gaule   du   jour   au  


lendemain. Nous le retrouvons conservé dans les us et coutumes de Bretagne
jusqu’au  IXème siècle  et  jusqu’à  la  Révolution  dans  le  Comminges - Couserans
par exemple comme vu précédemment :
« Car  il  ne  semble  pas  qu’il  y  ait  jamais  eu  prééminence  féminine  pour  le  nom
ou   l’autorité,   l’égalité,   simplement,   existait   entre   hommes   et   femmes,   égalité  
juridique   et   économique   […]   Aussi   plutôt   que   d’une   société   matriarcale  
pouvons–nous  parler  d’une  société  matristique.  Il  y  a  en  effet  dans  les  structures  
sociales et les relations conviviales entre les deux sexes une réciprocité qui est
aussi symétrie. Ici, pas de « complémentarité »  mutilante  pour  l’un  des  deux  
groupes, mais plutôt une simple égalité dans la différence. 28

Des exemples témoins se trouvent jusqu’au  IXème siècle dans les Cartulaires de
Bretagne.
« Nous  savons  qu’au  IXème siècle en Bretagne par les cartulaires, qui contenant
de nombreuses formules en vieux breton avec des termes intraduisibles en latin,
continuent   cependant   d’être   une   source   riche   sur   l’ancien   droit   celtique   en  
Bretagne, en totale opposition avec les idées chrétiennes et romaines concernant
les droits de la femme. »29

Il   est   d’une   évidence   encore   qu’à   cette   époque   la   femme   jouit   d’une  
considération clairement héritée de la tradition celtique.
« Dans ce IXème siècle breton, la femme jouit de droits incontestables, la situation
que lui accordent les lois la privilégie nettement par rapport à sa voisine
franque. Elle   peut   comme   l’homme   exercer   une   souveraineté.   On   ne   trouve  

27 Christian  Guyonvarc’h  & Françoise Leroux, La civilisation celtique, Ouest France, 1990, p.76
28 Isaure Gratacos, Fées et Gestes, Privat, 1986, p 94
29 Agnès Audibert, la Femme en Bretagne, Gisserot, 1993, P35

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aucune   loi   visant   à   interdire   ou   restreindre   l’exercice   de   ses   droits  
seigneuriaux.»30

De  fait,  l’homme  et   la   femme  sont  égaux  sur  la  propriété  de  leurs  biens,  tout  
comme  à  l’époque  celtique :
« Elle  administre  ses  biens  propres  à  son  gré  et  en  dispose  sans  l’intervention  
de   son   mari.   L’homme   et   la   femme   gèrent   ensemble   les   biens   et   le   sort   de
l’association   conjugale,   ils   se   complètent   juridiquement   dans   la   communauté  
matrimoniale. »31

La  principale  preuve  de  l’héritage  de  ce  statut  durant le Haut Moyen Age est que
les femmes administrent et gouvernent encore de façon très différente de ce
qu’elles  pourront  faire à  l’époque  Classique :
« Alors   qu’une   Alienor   d’Aquitaire,   une Blanche de Castille dominent
réellement  leur  siècle,  qu’elles  exercent  le  pouvoir  sans  conteste dans le cas où
le  roi  est  absent,  malade  ou  mort,  qu’elles  ont  leur chancellerie, leur douaire,
leur  champ  d’activité  personnelle,  la  femme  aux  temps  classiques  est  reléguée  
au  second  plan,  elle  n’exerce  plus  d’influence  que  clandestinement,  et  se  trouve  
notamment exclue de toute fonction politique ou administrative. Elle est même
tenue, et cela surtout dans les pays latins, pour incapable de régner, de succéder
au   fief   ou   au   domaine,   et   finalement   selon   notre   Code,   d’exercer   un   droit  
quelconque sur ses biens personnels. »32

En Bretagne les femmes peuvent gouverner le « plou » 33 :


« La femme, admise à gouverner un « plou » peut en avoir la responsabilité, du
vivant même de son mari et certains actes mentionnent les deux époux comme
chacun  à  la  tête  d’un  plou  distinct.  Cette  possibilité  pour  les  femmes  de  débattre  
des affaires publiques est attestée par ailleurs. Certains canons promulgués par
des évêques français, notamment au concile de Nantes en 653, mentionnent que
les femmes assistent aux assemblées publiques. »34

30 Ibid, p 36
31 Ibid , p 39
32 Régine Pernoud, Pour en finir avec le moyen age, Seuil 1977 p 86
33 Plusieurs paroisses
34 Dom Lobineau, « Histoire de Bretagne », Tome1 p 27, in Agnès Audibert, la Femme en Bretagne,

Gisserot, 1993, p 38

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En Comminges Couserans il est bon de noter que la femme, comme les hommes,
en   tant   qu’aînée,   peut   être   Chef   de   Famille   (« Cap   d’Ostau »), gérer la
maisonnée, être héritière et propriétaire de ses biens :
« Le   droit   d’aînesse   et tous les avantages et fonctions attachés à la
primogéniture s’appliquent   aux femmes dans les Pyrénées Centrales et
Occidentales »
« Si  l’aîné  hérite  seul  des  biens  dans  les  Pyrénées  occidentales  et  centrales,  il  
hérite  qu’il  soit  garçon  ou  fille. »
« L’ainé  est « Cap  d’Ostau 35»  qu’il  soit  fille  ou  garçon. »36

Toujours en  tant  qu’aînée, elle peut participer aux assemblées :


« Tout  le  monde  n’allait  pas  sous  l’arbre  communal,  pour  les  décisions  de  la  
communauté. « Seuls y allaient les aînés ». Les aînés chefs de famille. Donc des
hommes et des femmes. […]
« De plus une assemblée annuelle existait pour chacune de ces vallées, les Vics
ou Fraternités, au nom significatif. Des délégués de chacun des villages de la
vallée   y   assistaient,   délégués   qui   pouvaient   être   des   hommes   …   ou   des  
femmes. »37

Elle peut voter :


« On voit par exemple des femmes voter comme les hommes dans les assemblées
urbaines ou celles des communes rurales. »38

Régine Pernoud cite des   exemples   qui   vont   de   l’Alsace   à   la   Touraine   (états  
généraux de 1308) où les femmes sont explicitement nommées. Cette égalité se
retrouve dans les droits et les devoirs éducatifs :
« La communauté conjugale, le père et la mère exerçaient alors conjointement
la   tâche   d’éducation   et   de   protection   des   enfants,   ainsi   qu’éventuellement  
l’administration  de  leurs  biens.    Il est  vrai  qu’alors  la  famille  est  conçue  en  un  
sens beaucoup plus large ; cette éducation pose beaucoup moins de problèmes
parce  qu’elle  se  fait  au  sein  d’un  tissu  familial  vital,  d’une  communauté  familiale  

35 Chef de famille, famille dans le sens large du terme


36 Isaure Gratacos, Fées et Gestes, Privat, 1986, p 79
37 Ibid pp 84- 85
38 Régine Pernoud, Pour en finir avec le Moyen Age, Seuil 1977 p 96

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plus étendue et plus diversifiée que de nos jours puisqu’elle  n’est  pas  réduite    à  
la cellule initiale père-mère enfant, mais comporte aussi grands-parents,
collatéraux, domestiques au sens étymologique du terme. »39

La différence se fit peu à peu avec l’arrivée  du  droit  romain au détriment du droit
coutumier :
« Son influence [de la femme] diminue avec la montée du droit romain dans les
études de juristes, puis dans les institutions, et enfin dans les mœurs. »40

« Le  droit  romain  n’est  pas  favorable  à  la  femme,  pas  plus  qu’à  l’enfant.  C’est  
un droit monarchique,  qui  n’admet  qu’un  seul  terme.  C’est  le  droit  du  « pater
familias », père, propriétaire et chez lui grand prêtre, chef de famille au pouvoir
sacré, en tous cas sans limites, en ce qui concerne ses enfants ; il a sur eux droit
de vie et de mort – il en est de même pour sa femme en dépit des limitations
tardives introduites sous le bas empire ».41

Ce changement qui se fit quasi de façon insidieuse, aboutit cependant à une


réalité que nous connaissons bien.
« Le mouvement régressif ne fut certainement pas   délibéré   et   s’est   opéré  
graduellement   et   insidieusement,   sous   des  dehors   innocents.   L’on  en  voit  une  
première  étape  dans  certaines  Epîtres  de  l’apôtre  Paul,  et  une  seconde  dans  les  
Epîtres dites « pastorales », qui instituent les fondements de la première
Eglise. »42

L’étape  majeure  et  parfaitement  visible  de  la  déchéance  du  statut  de  la  femme  
apparaît au XIIIème siècle. Même si auparavant, Aristote influença grandement la
vision diminuée de la femme :
« Le  philosophe  Aristote  a  encore  durablement  influencé  l’Occident  chrétien  en  
propageant   la   théorie   selon   laquelle   seul   l’homme   est   responsable   de   la  
conception   d’un   enfant,   la   femme   n’étant   qu’une   couveuse   (dans   « De la
génération des animaux »). Pour expliquer   l’origine   accidentelle   des   filles,  

39 Ibid
40 Ibid p 86
41 Ibid p 38
42 Elisabeth Parmentier, La  Femme  ce  qu’en  disent  les  religions, Editeurs de l’Atelier,  2002,  p  59

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Aristote imaginait une gestation immature, non menée à terme. La femme était
une déviance, un « masoccasionatus », c'est-à-dire un « mâle raté », conçu sous
l’influence  des  vents  du  sud ! »43

Aristote disait aussi :


« Ce  corps  est  inaccompli  comme  celui  d’un  enfant,  il  est  dépourvu  de  semence  
comme   celui   d’un   homme   stérile   41(Aristote,   GA,   728   à   17.25).   Malade   par  
nature, il parvient plus lentement à se former dans la matrice, à cause de sa
faiblesse thermique. »44

Ou  encore  Paul,  qui  malgré  les  précautions  que  l’on  nous  dit  de  prendre  en  lisant  
ses écrits, a quand même textuellement écrit :
« Comme cela a eu lieu dans toutes les Eglises des saints, que vos femmes se
taisent dans les assemblées, car elles n'ont pas mission de parler ; mais qu'elles
soient soumises, comme le dit aussi la Loi. Si elles veulent s'instruire sur quelque
point, qu'elles interrogent leurs maris à la maison; car il est malséant à une
femme de parler dans une assemblée. » (1 Co 14, 34-35) ; « Je veux cependant
que vous sachiez que le chef de tout homme c'est le Christ, que le chef de la
femme, c'est l'homme, et que le chef du Christ, c'est Dieu. »45

Il a peut-être puisé son inspiration dans une culture judaïque, dont la Mishna46:
qui nous livre ce terrible message « Mieux vaut brûler les paroles de la Torah
plutôt que les livrer aux femmes »47, mais a de toutes façons profondément
modifié  l’approche  du  Féminin  dans  la  pensée  humaine.

Au XIIème siècle, Thomas   d’Aquin,   haute   figure   du   Christianisme, enfonce le


clou :
« Thomas   d’Aquin   au   XIIIème siècle alla encore plus loin : la femme est plus
imparfaite  même  dans  son  âme,  non  à  cause  du  péché,    mais  parce  qu’elle  est  

43 Ibid, p 57
44 Aristote cité par Georges Duby – Michelle Perrot, Histoire des femmes – L’Antiquité,  Plon,  1990,  p  85
45 1 Co 11, 3)
46 La Mishnah est la première et la plus importante des sources rabbiniques obtenues par compilation

écrite des lois orales juives


47 1 Co 11, 3)

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créée en second et est donc naturellement faible, dépendante en tout de son
mari ».48

Ce  n’est  que  peu  à  peu  que  la  femme  dans  nos  contrées  a  perdu  son  statut  et  sa  
liberté : « Du Cartulaire à la Très Ancienne Coutume de Bretagne49, à cause de
son sexe et de sa faiblesse, les législateurs lui retirent progressivement sa
capacité à mener à bien diverses actions en justice[…] »
« La   primauté   masculine   s’affirme   et   la   puissance   paternelle   et   paritale   est  
maintes fois rappelée. « Nulle fame », dit le chapitre 68, « ne sera tuteresse,
curatesse, procuratesse, juge, ne s’entremettra  de  nul  negociement  de  court,  si  
ce  n’est  pour  ou  pour  son  seigneur  epous,  ou  pour  ses  enfants,  ou  pour  son  père,  
ou  pour  sa  mère  en  cas  de  necessité,  quar  riens  qu’elle  feroit  ne  seroit  de  nulle  
vallue ».50

Le XIIIème siècle  c’est  aussi  le  début  de  la  Grande  Chasse  à  la  Sorcière.  C’est  la  
montée   en   force   de   l’Inquisition   qui   n’est   pas   étrangère   au   changement,   non  
seulement du statut de la femme dans la société mais encore plus profondément
de la projection psychique qui en est faite. Nous sommes en droit de nous
demander ce qui amena ce changement et cette dégradation.
Une des raisons premières semble   tenir   à   l’esprit   de l’époque,   totalement  
conséquent à  l’évolution  du  christianisme  en  ces  temps  post–millénaristes, pour
certains chrétiens et particulièrement certains fanatiques missionnaires. De
mémoire, nous pouvons citer un certain Conrad de Marburg dont, comme le dit
Norman  Cohn,  la  nomination  en  tant  qu’Inquisiteur,  fut  une  « mesure fatale, car
cet homme se révéla comme un fanatique aveugle »51.   La   peur   de   l’hérétique  
susceptible de faire trembler le pouvoir difficilement mis en place par l’église,  
la peur des forces obscures qui prennent possession du monde, engendrèrent une
profonde  modification  psychique  du  rôle  de  la  religion.  L’Eglise  se  dogmatise,  
le  diable  prend  de  l’avancement  et  avec  lui  tout  ce  qui  a  trait  à  la  sensualité,  le  

48 Somme théologique, t,I, 93, 4 ad I, in Elisabeth Parmentier, La  Femme  ce  qu’en  disent  les  religions,
Editeurs  de  l’Atelier,  2002,  p  58
49 Concernant  toute  la  Bretagne,  c’est  le  document  le  plus  important  de  toues  les recueils de coutumes que

nous possédions.
50 Agnès Audibert, la Femme en Bretagne, Gisserot, 1993, pp 48 - 50
51 Norman, Cohn, Démonolâtrie et sorcellerie au Moyen Age, Payot, 1975, p 44

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mystère et la mort, donc la femme, qui nous verrons à travers les déesses s’y  
trouve liée.
« Nous  sommes  bien  loin  de  l’assurance  triomphante  des  premiers  chrétiens.  
Désormais les démons ne sont plus de simples ennemis extérieurs, condamnés à
être   vaincus   à   maintes   et   maintes   reprises   par   les   propagateurs   d’une   foi  
militante, jusqu’au  jour  où  ils  seront  enfin  écrasés  pour  l’éternité.  Ils  ont  envahi  
les  moindres  évènements  de  la  vie,  et  surtout  ils  se  sont  introduits  dans  l’âme  
des individus. »52

L’idée  chrétienne  du  triomphe  de  la  lumière  fait  place  à  la  peur  de  l’obscurité.
« Les   gens   se   sentent   victimes   de   forces   qu’ils   sont   totalement   incapables   de  
maîtriser – et plus les sentiments de piété qui les inspirent sont intenses, plus
leurs   maux   sont   douloureux   […]   Ces   forces   qui   pèsent   sur   eux   comme   une  
menace, ce sont principalement des tentations :   celles   de   l’irrévérence   et   du  
sacrilège,  de  l’indiscipline  et  de  la  rébellion.  Il  n’est  pas  rare  que  les  tensions  et  
les   conflits   psychiques   engendrés   par   cette   situation   s’expriment   par   des  
symptômes physiques tels que vertiges et les indigestions. »53

Le christianisme bascule dans la paranoïa la plus terrifiante et ce sont en majorité


des femmes qui seront brûlées sur les bûchers, car, porteuses du mystère, elles
sont  susceptibles  d’entraîner  l’humanité  dans  le  sillage  d’Eve  et  de  son péché.
La femme est devenue cette « sorcière »   terrifiante   qu’il   faut   combattre   et  
dominer au même titre que la nature.
« Le christianisme se heurtait au corps des femmes, considéré comme un
obstacle  à  l’élévation  de  l’esprit.  Cette  interprétation  ne  venait pas du judaïsme
qui considérait la personne dans sa globalité, mais de la pensée hellénistique
qui a durablement marqué le christianisme des premiers siècles. » Le corps de
la  femme  était  soupçonné  d’impureté,  de  velléités  de  séduction,  d’infériorité, de
grande faiblesse. »54

52 Ibid, p 99
53 Ibid
54 Elisabeth Parmentier, La  Femme  ce  qu’en  disent les religions,  Editeurs  de  l’Atelier,  2002,  P55

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Cette  Inquisition  permet  en  outre  la  mise  en  place  d’une  procédure  qui  elle aussi
va accélérer le processus : à la procédure accusatrice va succéder la procédure
inquisitoriale :
« Partout  jusqu‘au  XIIIéme siècle et dans certaines parties  de  l’Europe  jusqu’au  
XVème siècle, la forme accusatoire prévalut dans la présence criminelle. Cela
signifie  que  la  bataille  juridique  se  livrait  non  pas  entre  la  société  et  l’accusé  
mais entre celui-ci  et  une  personne  privée  qui  l’accusait.  Il  n’y avait à cet égard
aucune   différence   entre   une   affaire   civile   et   une   affaire   criminelle,   dans   l’un  
comme  dans  l’autre  cas  le  plaignant  avait  la  responsabilité  de  découvrir  et  de  
produire   des   preuves   susceptibles   de   convaincre   le   juge.[…] Beaucoup de
choses devaient changer avant que les procès en Maleficium pussent devenir
fréquents, avant, surtout, que pussent commencer la chasse de masse aux
sorcières. Il fallait que la procédure accusatoire fut remplacée par la procédure
inquisitoriale, qui elle fait appel à la délation »55

La   lente   dégradation   du   statut   féminin   va   se   confirmer   jusqu’au   XXème


siècle. Démone elle ne pourra plus participer aux fonctions  de  l’état :
« Ce  n’est  qu’à  la  fin  du  XVIème siècle par un arrêt du Parlement daté de 1593
que la femme est écartée explicitement de toutes fonctions  dans  l’Etat. »56

Elle ne pourra même plus porter son nom de « jeune fille », passant de la tutelle
paternelle à la tutelle maritale.
« Rappelons   que  ce  n’est   qu’au  XVIIème siècle seulement que la femme prend
obligatoirement le nom de son époux »57

Il semble que, quel que fut le chemin emprunté, il avait pris la  direction  d’un  
assujettissement servile et humiliant, mettant tout autant, dans une situation
difficile celui qui, tortionnaire malgré lui, n’avait plus  en  face  de  lui  qu’une  furie,  
enchaînée, muselée, pleine de vindicte et de colère légitime. A moins  qu’elle  ne  
se soit transformée en un animal geignard et souffreteux, tout aussi tyrannique
dans les fers de sa névrose grandissante.

55 Norman Cohn, Démonolâtrie et sorcellerie au Moyen Age, Payot, p 198


56 Régine Pernoud, Pour en finir avec le Moyen Age, Seuil 1977 p 97
57 Ibid p 89

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« L’identité  des  femmes  a  été  réduite  au  rôle  d’épouse  et  de  mère  avec  pour  seule  
alternative la virginité. »58

Au-delà de ce rôle de fille vierge, épouse mère, la femme est devenue


pécheresse, démone maléfique.
« Malgré  l’absence  d’autres  développements bibliques sur le péché de la femme,
cette  idée  qu’Eve  est  coupable  et  que  par  extension,  la  femme  est  pécheresse  et  
séductrice et doit être maintenue en sujétion, va connaître une grande
postérité.[…] Sexualité, inconditionnalité, faiblesse et hystérie se trouvaient
ainsi conjuguées pour caricaturer « la » femme. » 59

Et  ce  jusqu’au  XXIème siècle.


« On  pourrait  multiplier  ainsi  les  exemples  de  détails  fournis  par  l’histoire  du  
droit et celle des mœurs, attestant la dégradation de la place tenue par la femme
entre  les  coutumes  féodales  et  le  triomphe  d’une  législation  « à la romaine »,
dont   notre   code   est   encore   imprégné.   Si   bien   qu’au   temps   où   les   moralistes  
voulaient voir « la femme au foyer », il eut été plus indiqué de renverser la
proposition  et  d’exiger  que  le  foyer  fût  à  la  femme »60.

Il  faut  attendre  l’après-guerre et les années soixante avec la « libération » des


mœurs pour  qu’apparaissent  timidement  quelques  renaissances :
« Ce  n’est  qu’en  1957  que  Pie  XII  déclara  que  l’homme  et  la  femme sont égaux
en droits et en dignité ».61

La guerre de 14–18   amena   les   filles   aux   champs   et   à   l’usine   pendant   que   les  
hommes   faisaient   cette   guerre   qui   n’en   finissait   pas.   Il   est   notoire   que   cette  
époque  changea  définitivement  l’activité  féminine.  Ce  fut la fin des corsets et
des lacets qui enserraient les tailles des femmes à les faire suffoquer. Il fallait
pouvoir respirer pour pratiquer les activités des hommes. Le constat de leurs
possibilités  et  la  place  qu’elles  prirent  alors  ne  permit  plus  un  retour  à  l’ancienne  
école de la femme éternelle mineure.

58 Elisabeth Parmentier, La  Femme  ce  qu’en  disent  les  religions,  Editeurs  de  l’Atelier,  2002,  p  51
59 Ibid, pp 56 - 57
60 Régine Pernoud, Pour en finir avec le Moyen Age, Seuil 1977 p 98
61 Elisabeth Parmentier, La  Femme  ce  qu’en  disent  les  religions, Editeurs  de  l’Atelier,  2002,  p  58

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Les années 20 sont assez symptomatiques de ce relâchement de par la mode des
« garçonnes ». Cette  ouverture  ne  permit  pas  un  retour  vers  les  valeurs  d’une  
femme « libre »   telle   qu’elle   le   fut   au   temps   des Celtes, mais encouragea la
femme à devenir un « homme ». Ce fut sans doute pour certaines un grand
soulagement. Cependant cette tendance nous entraînera ultérieurement vers la
femme  homme  d’aujourd’hui  qui  ne  sait  plus  ni  où  se  trouvent ses aspirations de
femmes,  ni  ses  contraintes  d’hommes.  En  définitive  ce  sont  toujours  les  mêmes  
modèles qui régissent les schémas de nos sociétés. Si la femme est presque
l’égale   de   l’homme,   c’est   toujours   le   principe masculin qui est à valoriser, le
féminin à abattre, et ce dans la psyché des hommes et des femmes.

Les années 70 et leur idéologie libertaire amenèrent une revalorisation de la


position   de   la   femme.   A   l’époque   les   slogans   féministes   de   « mon corps
m’appartient »,   qui   aujourd’hui   peuvent   sembler   dépassés,   voire dérisoires,
étaient de réelles revendications nécessaires et vitales pour que les êtres humains
dans  leur  ensemble  retrouvent  une  certaine  possibilité  d’épanouissement  et  de  
réalisation. Il fallut de nombreuses revendications et de nombreux « combats »
pour que la femme retrouve le droit de vote, le droit du travail, le droit de ses
biens, le droit du divorce et le droit de son corps, sortir du carcan psychique et
physique du XIXème siècle  qui  vit  l’apogée  de  sa servitude la plus rigide.
Il fut possible pour les « filles » de se sentir filles, retrouver le droit et le sens
honorable de choisir ses compagnons, de faire des enfants, de les nourrir sans se
sentir assujetties à un dicta. Nous pouvions enfin exercer une activité ou pas,
sans   que   le   choix   et   l’autorisation   n’en   reviennent   à   l’homme.   La   mode,   si  
symptomatique, permit de nouveau une féminité sans putasserie, qui semble
s’être  depuis  de  nouveau  égarée.  La  magie  de  l’enfantement  reprit sa place sacrée
et la femme un rôle de compagne, ni « pute », ni « soumise ».
Comme   dans   toute   réaction   de   l’inconscient,   qu’il   soit   personnel   ou   collectif,  
quand il répond à une oppression trop longtemps contenue, le mouvement fit
sans doute trop de vagues et des excès dont nous avons par la suite payé la note.
La  liberté  sexuelle,  ravalée  au  dogme  de  l’orgie  et  l’inconscience  accompagnant  
l’expérimentation   de   drogues   extrêmes ne permit pas au mouvement de
réinstaurer un équilibre salutaire, mais nous bascula dans un autre extrême qui
aujourd’hui   semble   de   nouveau   se   profiler.   Il   en   découle   que   c’est   encore   et  

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toujours  sur  la  modèle  masculin  que  se  décline  l’être  de  la  femme.  De  servante  
immature elle est devenue sous-homme,  pâle  copie  d’un  dictateur  qui  s’est  lui-
même perdu dans ses exigences et ne trouve plus ni sa propre place, ni ses
aspirations. Le « mal »  qui  en  découle  n’est  pas  seul  pour  la  femme,  il  est  pour  
l’ensemble  de  l’humanité.

« […]  Tout  se  passe  comme  si  la  femme  éperdue    de  satisfaction  à  l’idée  d’avoir  
pénétré le monde masculin,   demeurait   incapable   de   l’effort   d’imagination  
supplémentaire  qu’il  lui  faudrait  pour  apporter  à  ce  monde  sa  marque  propre,  
celle  qui  précisément  fait  défaut  à  notre  société.  Il  lui  suffit  d’imiter  l’homme,
d’être  jugée  capable  d’exercer  les  mêmes  métiers,  d’adopter  les  comportements  
et  jusqu’aux  habitudes  vestimentaires  de  son  partenaire,  sans  même  se  poser  la  
question de ce qui en soi conteste et devrait être contesté. A se demander si elle
n’est  pas  mue  par  une  admiration  inconsciente,  et  qu’on  peut trouver excessive,
d’un  monde  masculin  qu’elle  croit  nécessaire  et  suffisant  de  copier  avec  autant  
d’exactitude  que  possible, fut-ce en perdant elle-même son identité, en niant
d’avance  son  originalité. »62

La femme a cru que sa liberté passait par la ressemblance  à  l’homme  ou par sa
séduction, et  l’homme  cherche  une  femme  qu’il  ne  trouve  plus.  Aujourd’hui  une  
autre conséquence se fait jour, des mouvances rechignant à cette société
univoque et nivelée propose une camisole de lois presque plus terribles que
celles qui ravagèrent notre société occidentale du XIIIème au XXème siècle, à
savoir  les  extrémismes  religieux  toujours  fondés  sur  l’infériorité  de  la  femme  et  
son nécessaire engloutissement. Ces croyances sont édictées par des hommes, et
des femmes, qui  s’acceptent  inégales  et  inférieures  car  enfin,  elles  n’apparaissent  
jamais dans les cercles dirigeants et décideurs.
Nous sommes bien loin des « Cap  d’Ostau » qui votaient aux assemblées sous
les vieux tilleuls des villages et des reines celtes dont les guerriers honoraient le
panache.

62 Régine Pernoud, Pour en finir avec le Moyen Age, Seuil 1977 p 99

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Prêtresse  d’autrefois

Le  statut  si  naturel  accordé  aux  femmes  dans  la  société  celtique,  n’aurait  pu  être
engendré par un   traitement   différent   sur   d’autres   plans,   ou   alors,   en   tant   que  
particularité  qui  serait  clairement  identifiable  dans  les  mythes,  ce  qui  n’est  pas  
le cas.

Dans les textes irlandais nous rencontrons fréquemment les termes : de ban-bard
pour désigner une « Femme-barde », ban-file pour « Femme-poète », ban-éces
pour «Femme-sage » ou encore ban-drui pour littéralement « Femme-druide »,
le mot « druis » étant accepté de facto comme le terme désignant le druide dans
l’antiquité.  L’existence  du  terme  signifie  la  réalité  de  la  fonction,  si  on  l’accepte  
pour « le » druide, on se doit de le reconnaître pour « elle », « bandrui » veut
dire littéralement « femme druide » :
« Les mots drui, file, faith ainsi que nous le verrons fréquemment, sont
susceptibles  d’être  employés  l’un  pour  l’autre,  surtout  quand  il  s’agit  de  femmes,  
lesquelles sont nommées alors indifféremment bandrui, banfile, banfaith »63

Lors  de  la  bataille  de  Magh  Tuiredh  il  est  clairement  attesté  de  l’acte  magique  
de trois druidesses : « Avant la bataille, les Tuatha de Danann envoyèrent leurs
trois druidesses, Morrigan, Nemain et Macha qui déchaînèrent une pluie de feu
et de sang sur Tara afin d'assombrir les cœurs des guerriers Fir Bolg et leurs
druides eurent bien du mal à repousser cette terrifiante magie. »

L’image  romantique  renaissante des druides qui nous est parvenue du XVIIème
siècle  nous  offre  celle,  caricaturée  d’un  druide  homme,  et  forcément  barbu.  Il  
suffit  pour  s’en  convaincre  de  regarder  la  photo   prise  le  15  août  1908  lors de
l’Initiation de Winston Churchill dans l'Albion Lodge du Ancient Order of
Druids à Blenheim. Les   derniers   travaux   de   Gyonvarc’h   affirment que les
druides étaient des hommes, reléguant, en un schéma dualiste les femmes à des
rangs subalternes, sorcières, dans le sens contemporain du terme. Alors que la
structure même de la société celtique porte en elle la fonction de la femme à son

63 Guyonvarc’h et Leroux, Les Druides, Ouest France, 1986, P40

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rôle le plus juste, nous ne pouvons, confortés en cela par les textes et les mythes,
qu’attester  que  la  femme  avait  un  rôle  religieux  tout  aussi  influant  que  l’homme.  
D’autres  textes  irlandais  mentionnent la « druidesse », la poétesse :
« .. Que dans les meilleurs morceaux des cycles irlandais et gallois, où la saveur
païenne est la plus authentique, la poétesse (ban-file) ou la druidesse (ban-drui)
sont des figures familières»64

Lorsque   les   hommes   et   les   femmes   sont   séparés,   c’est   une   particularité  
suffisamment originale pour qu’elle soit parfaitement précisée. Nous pouvons
cependant identifier  qu’il  n’y  a  pas  d’assujettissement  de  l’un    à  l’autre,  ni  de  
cloisonnement  de  l’un  au  détriment  de  l’autre,  ce  sont  les  deux  qui  sont  isolés  et  
ceci dans un cadre très particulier comme par exemple celui des contrats de
mariage :
« La troisième forteresse que construisit Tuathal du nom de Tailtiu, est dans une
partie  de  la  province  d’Ulster  acquise  par  Midhe ;;  c’est  là  que  se  tenait  la  foire  
de   Tailtiu   pendant   laquelle   les   hommes   d’Irlande   formaient   entre   eux   des  
alliances  de  mariage  ou  d’amitié ; une coutume observée à cette assemblée était
que  les  hommes  se  mettaient  d’un  côté et  les  femmes  de  l’autre  pendant  que  les  
pères et les mères établissaient les contrats. Chaque couple qui avait établi traité
et contrat était marié, comme le dit le poète :
Les femmes ne doivent pas approcher des hommes beaux et brillants ; Les
hommes ne doivent pas approcher des femmes. Mais chacun doit rester à part à
l’endroit  de  la  grande  foire. »65

Un  extrait  des  œuvres  de  Tacite  nous donne un exemple de la femme au sein du
sacerdoce :
« Après lui, les Bretons eurent pour gouverneur Suetonius Paullinus, que ses
talents militaires et la voix publique, qui ne laisse jamais le mérite sans rival,
donnaient pour émule à Corbulon. [...] L'île de Mona [Anglesey], déjà forte par
sa population, était encore le repaire de transfuges : il se dispose à l'attaquer,
et construit des navires dont la carène fut assez plate pour aborder sur une plage
basse et sans rives certaines. Ils servirent à passer les fantassins; la cavalerie

64 Françoise Leroux, Les Druides, PUF, 1961


65 Christian  Guyonvarc’h  et  Françoise  Leroux, Les fêtes Celtiques, Ouest France, 1995, p 22

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suivit à gué ou à la nage, selon la profondeur des eaux. L'ennemi bordait le
rivage: à travers ses bataillons épais et hérissés de fer, couraient, semblables
aux Furies, des femmes échevelées, en vêtements lugubres, agitant des torches
ardentes ; et des druides, rangés à l'entour, levaient les mains vers le ciel avec
d'horribles prières. Une vue si nouvelle étonna les courages, au point que les
soldats, comme si leurs membres eussent été glacés, s'offraient immobiles aux
coups de l'ennemi. » 66

La femme est druide  parmi  les  druides.  D’ailleurs  elle  porte  le  feu,  et  nous  savons  
combien le feu est un élément magique particulièrement réservé aux druides.
« Les   druides   sont   aussi   les   maîtres   du   feu   et   c’est   le   feu   du   druide   le   plus  
puissant, le plus habile en magie,  qui  l’emporte ».67

Il est impensable dans ces conditions que les druides hommes aient laissé porter
le  feu  par  des  femmes  s’ils  les  jugeaient  inaptes  à  la  plus  haute  magie.  D’autre  
part, Tacite   n’est   pas   Celte   et   ne   vit   pas   dans   la   culture   celtique,   il   ne peut
comparer   qu’à   ce   qu’il   connaît : des femmes assujetties qui dans ce cadre ne
peuvent être que des «furies », femmes échevelées en vêtements lugubres. Mais
elles  sont  bien  aux  côtés  des  druides,  faisant  autant  de  chahut  qu’eux.
Un autre exemple peut être pris à propos des femmes cimbres, en général
assimilées aux femmes celtes, qui réclament ce qui est pour elles, leur droit à la
liberté et le droit au sacerdoce :
Leur mort [la mort des femmes des Cimbres] fut aussi spectaculaire que leur
résistance. Ayant en effet envoyé une ambassade à Marius pour lui demander la
liberté et le sacerdoce, elles essuyèrent un refus - le droit religieux ne le
permettait pas - et, après avoir étouffé et écrasé pêle-mêle leurs enfants, elles
tombèrent sous les coups qu'elles se portèrent mutuellement, ou bien,
confectionnant un lien avec leurs chevelures, se pendirent aux arbres et aux
timons des chariots. »68

Un autre exemple cité par Pomponius Mela nous est connu :

66 Tacite, Annales, XIV, 29-30, trad. J.L. Burnouf, 1903, Paris, Hachette.
67 C.  Guyonvarc’h  et  F.  Leroux,  Les Druides, Ouest France, 1987, p 167
68 Florus, Tableau de l'Histoire romaine de Romulus à Auguste, I, 38, trad. Paul Jal, 1967, Paris, les

Belles Lettres.

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«   L’île   de   Sena,   située   dans   la   mer   Britannique,   en   face des Ossismes, est
renommée par son oracle gaulois, dont les prêtresses, vouées à la virginité
perpétuelle, sont au nombre de neuf. Elles sont appelées Gallicènes, et on leur
attribue le pouvoir singulier de déchaîner les vents, de soulever les mers, de se
métamorphoser en tels animaux que bon leur semble, de guérir des maux partout
ailleurs  regardés  comme  incurables,  de  connaître  et  de  prédire  l’avenir,  faveurs  
qu’elles  n’accordent  néanmoins  qu’à  ceux  qui  viennent  tout  exprès  dans  leur  île  
pour les consulter. »
Ou encore chez Strabon :
« Dans l'Océan, non pas tout à fait en pleine mer, mais juste en face de
l'embouchure de la Loire, Posidonius nous signale une île de peu d'étendue,
qu'habitent soi-disant les femmes des Namnètes. Ces femmes, possédées de la
fureur bachique, cherchent, par des mystères et d'autres cérémonies religieuses,
à apaiser, à désarmer le dieu qui les tourmente. Aucun homme ne met le pied
dans leur île, et ce sont elles qui passent sur le continent toutes les fois qu'elles
sont pour avoir commerce avec leurs maris, après quoi elles regagnent leur
île. »69

Les spécialistes ne se sont jamais assez penchés sur ces extraits de textes. Il est
pourtant  particulièrement  intéressant  de  les  analyser  sous  l’angle  celtique,  dans  
l’esprit  du  temps c'est-à-dire dans le contexte du statut de la femme celte. Nous
verrons que la « virginité » possède un tout autre sens que le sens premier avec
lequel on  l’interprète  d’habitude  et  que  le  rôle  religieux  des  femmes  se  trouve  
confirmé par ces témoignages  qui  s’ils  sont  emprunts  de  la  vision  univoque  de  
leur  auteur,  n’en  sont  pas  moins  des  témoignages.

D’autre  part,  même  dans  les  sociétés  où  la  femme  n’a  pas  l’équivalent  social  de  
la femme celte, comme en Grèce ou à Rome, elle jouit dans le domaine du sacré
d’une  place  privilégiée :

69IV, 1 - La Narbonnaise, in Agnès Vinas, 2004-2010


http://www.mediterranees.net/geographie/strabon/sommaire.html

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« La   prêtresse   d’Athéna   Polias   à   Athènes   occupe   le   premier   sacerdoce   de   la  
cité […]   La   prêtresse   d’Artémis,   reçoit   de   chaque   victime   offerte   dans   un  
sacrifice public le morceau de choix »70

Comment cela aurait-il pu être pire chez un peuple aux femmes libres et
autonomes ?

Les prophétesses

Un ensemble de textes gréco-romains et de mythes celtiques nous informe sur


l’activité  prophétique  des  «  druidesses  »  celtes.  
« (Dioclétien)  disait  en  effet  qu’à  un  certain  moment  Aurélien avait consulté des
druidesses  gauloises,  cherchant  à  savoir  si  l’empire  resterait  à  ses  descendants.  
Il  dit  qu’elles  avaient  répondu : « Il  n’y  aura  pas  de  nom  plus  illustre  dans  l’état  
que celui des descendants de Claude »» 71

«  Une  druidesse,  sur  son  chemin  [Alexandre],  s’écria  en  langue  gauloise  :  «  va,  
mais  n’espère  pas  la  victoire  et  n’aie  pas  confiance  en  tes  soldats  ».  »  72

Pour Guyonvarc’h   la   femme   n’est   pas   « druidesse », elle est tout au mieux
« cartomancienne » ou « diseuse de bonne aventure ». Ce jugement semble un
peu rapide et possède une connotation totalement moderne. Nous pourrions nous
demander  si  à  l’époque  où  les  « druides »  dans  leur  ensemble  n’ont  plus  le  droit  
de cité, ils ne sont pas tous devenus des « diseurs de bonne aventure ». Son
analyse pourrait être pertinente si la femme était comparée à un druide homme
en  fonction,  ce  qui  n’est  plus  le  cas  deux  cent  ans  après  JC.  D’autre  part,  tous  
ces « prêtres », interdits de cultes, devinrent tous  des  sortes  d’itinérants, reclus
et marginaux, à qui les forêts et pourquoi pas les « auberges » servent de refuges.

« Lettre de l'empereur Julien à Arsace, grand prêtre de la Galatie : Si


l'hellénisme ne fait pas encore les progrès que l'on devait attendre, nous en

70 Georges Duby – Michelle Perrot, Histoire des femmes – L’Antiquité, Plon, 1990, p 399
71 Vopiscus,  Vie  d’Aurélien  XLIV,  in  Les Druides, Guyonvarc’h  ,  Leroux,  Ouest  France,  1986,  p  41
72 Vie  d’Alexandre  Sévère  in Les Druides, Guyonvarc’h  ,  Leroux,  Ouest  France,  1986,  p  41

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sommes cause, nous qui le professons. L'intervention des dieux, par son éclat et
sa  grandeur,  a  dépassé  tous  les  vœux,  tous  les  espoirs  (puisse  après  ces  paroles  
Adrastée nous demeurer propice). Personne, naguère, n'osait même souhaiter
un changement si brusque, si complet, si important. Mais quoi ? Pensons-nous
que cela suffise? Ne voyons-nous pas que ce qui a le plus contribué à développer
l'athéisme, c'est l'humanité envers les étrangers, la prévoyance pour
l'enterrement des morts et une gravité simulée dans la vie ? Voilà de quoi nous
devons nous occuper, sans y mettre aucune feinte. Et ce n'est pas assez que toi
seul tu t'y décides. Il faut que tous les prêtres de la Galatie, sans exception,
agissent de même. Pour stimuler leur zèle, fais appel à leur amour-propre ou à
leur raison. Écarte-les de leur saint ministère, si, au lieu d'aller prier les dieux
avec femmes, enfants et serviteurs, ils tolèrent que leurs domestiques ou leurs
fils ou leurs épouses galiléennes négligent le culte des dieux et préfèrent
l'athéisme à la religion. Ensuite, engage les prêtres à ne point fréquenter le
théâtre, à ne point boire dans une taverne, à ne point diriger un métier ou un
travail honteux et mal famé. 73

Le fait que la femme, cette diseuse de bonne aventure est dans une auberge,
démontre tout de même, une femme non recluse  à  la  vie  familiale,  telle  qu’elle  
le fut chez les Romains. Rappelons que les grecques et les romaines ne peuvent
ni participer à la vie politique, ni avoir une quelconque autorité :

« On se rappelle  que  l’adoption  d’un  fils  [par  les  romaines],  que  la  gestion  d’une  
tutelle  leur  demeuraient  prohibées,  parce  qu’elles  étaient  privées  de  tout  pouvoir  
sur autrui. Plus généralement elles restaient privées de tout pouvoir. Plus
généralement, elles restaient éloignées des « offices civils » qui portaient encore
le   nom   d’offices   virils   – en droit privé comme en droit public, citoyenneté et
masculinité   se   confondaient   lorsque   l’action   d’un   sujet,   excédant   sa   propre  
personne et son patrimoine, atteignait autrui grâce à la capacité ou chacun était
d’agir  au  nom  d’un  tiers.  Tel  est  précisément    le  domaine  élargi  des  « officia »

73L'empereur Julien, Lettres,  84,  trad.  J.  Bidez,  1960,  Paris,  Les  Belles  Lettres,  in  L’arbre  Celtique,  source  
Patrice Lajoye

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interdits aux femmes :  on  y  retrouve  la  représentation,  la  tutelle,  l’intercession,  
la  procuration,  la  postulation  pour  autrui,  l’action  en  justice  … »74

Ainsi dans les textes, les prophétesses celtes apparaissent souvent comme des
« diseuses de bonne aventure », mais nous devons rattacher ce terme à celui de
« prophétesses », avec le respect dû à leur sexe et le respect dû à la charge sacrée
accordée à cette fonction. Prophétiser est de la magie et non pas la moindre.
« Dès qu’il   arriva   [Mogh   Ruith]   à   Sidh   Breachnatan,   on   lui   souhaita   la  
bienvenue ; il passa la nuit en ce lieu et demanda, du commencement à la fin,
tout ce qui avait rapport à la guerre. Banbuana lui dit alors : « Mets-toi en
marche demain de bonne heure, tu remporteras la victoire avec les gens du
Munster ». »75

«  Puis,  après  que  la  bataille  eut  été  gagnée  et  qu’on  eut  nettoyé  les  cadavres  
restés  du  massacre,  la  Morrigan,  fille  d’Ernmas,  se  mit  à  annoncer  la  bataille  et  
la grande victoire qui avait été remportée…   Elle   prophétisa   aussi   la   fin   du  
monde,   prédisant   tout   ce   qu’il   y   aurait   de   mal,   chaque   maladie,   chaque  
vengeance…  »  76

Toutes ces «déesses », ces « druidesses », interprètent la volonté des dieux. Nous
avons un autre exemple de la reconnaissance et de la place que tient la femme
dans le sacerdoce : elle est celle qui commande le sacrifice. Dans le texte de
O’Curry,  la  prophétesse  demande  aux  druides  d’abattre  la  vache,  elle  ne  le  fait  
pas elle-même, elle est celle qui donne les ordres, la médiatrice privilégiée
écoutée  et  obéie.  Elle  n’est  pas  contrainte  à  n’être  qu’une  éventuelle  assistante,  
elle est «  celle  qui  parle  ».  Je  n’irai  pas  dire  qu’elle  est  au-dessus du druide, mais
la   question   se   pose   de   savoir   qui   donne   le   ton,   de   l’augure   qui   dicte ou de
l’exécutant ?

Si  d’un  côté Guyonvarc’h  assure  que  la  magie  est  affaire  du  seul  druide,  il  ne  
peut  pas  d’un  autre   côté attester que la prophétisation magique quand elle est

74 Georges Duby – Michelle Perrot, Histoire des femmes – L’Antiquité, Plon, 1990, p 155
75 Forbuis Droma Damhghaire
76 Cath Maige Turedh

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faite  par  les  femmes  est  quelque  chose  d’inférieur.  Cette  analyse  trop  attachée à
nos  canons  contemporains  mérite  nuance  et  réajustement.  Dans  l’antiquité  celte  
la prophétisation est pour les Celtes un « Art » proche de la « Poésie » dont les
druides sont les spécialistes :
« Platon a comparé le délire de la Pythie « le plus beau des arts »,  à  l’inspiration  
poétique   due   aux   muses   et   aux   transports   amoureux   d’Aphrodite (Grimal,
Mythologie, P 41). Déjà en Mésopotamie antique, on confondait poésie et
vaticination.   Nougayrol   signale   à   ce   propos   que   l’auteur   d’un   long   poème  
« prétend en avoir reçu   seul   la   révélation   directe   et   textuelle   et   qu’il   n’a  
retranché ni ajouté le moindre mot (Divination babylonienne) »77

Les magiciennes ou « sorcières »

Comme   abordé   précédemment,   d’après   Christian   Guyonvarc’h   et   Françoise


Leroux la magie est réservée aux sacerdoces. Elle ne représente en aucun cas une
sous technique et seul le druide peut la pratiquer :
« La magie proprement dite, est toute entière contenue et exprimée dans la
parole  du  druide  »[…]
« La magie appartient au druide » […]
« En effet, toute  magie,  quelle  qu’elle  soit,  est  au  départ,  d’essence  religieuse  »
[…]

« La magie est donc, dans les faits, comme dans son principe, un moyen à la
disposition des membres de la classe sacerdotale celtique »  […]
« Ceci étant, la satire, qui est inévitablement une incantation, donc une formule
magique ou une suite de formules chantées compte, avec à la divination parmi
les  principales  techniques  rituelles  et  magiques  »  […]
«  Le  non  initié,  c’est  à  dire  celui  qui  ne  détient  aucune initiation sacerdotale ou
autre,  ne  peut  s’en  mêler  » 78

77 Jean Paul Roux, La  Femme  dans  l’histoire  et  les  mythes, Fayard, 2004 p 340
78 Christian    Guyonvarc’h, Médecine, magie et divination, Editions Payot, 1997 ; p 9 - 42

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La   magie   en   tant   que   telle   n’existe   pas,   il   n’y   a   pas   de   mot   celtique   pour  
l’exprimer.  Elle  est  incluse  dans  la  pratique  druidique  et  particulièrement  dans  
la satire, la médecine et la divination, arts reconnus comme pratiqués par les
hommes   et   par   les   femmes.   Si   d’un   côté nous admettons que la femme celte
pratique  la  divination,  et  que  d’un  autre  côté nous admettons que la divination
est de la magie, magie réservée aux seuls druides, il devient impossible de dire
que  la  femme  n’est  pas  druide.  Il  suffit  pour  cela  de  définir  ce  qu’est  la  magie.  
A savoir que dans la tradition celtique elle englobe toutes les techniques
permettant de façon occulte la communication avec les Dieux. Le but attesté
étant d’influer  d’une  manière  ou  d’une  autre  sur  le  cours  des  choses.

Outre les témoignages    qui  nous  l’avons  vu, ne sont pas plus à dénigrer en ce qui
concerne les druidesses, que les druides dont nous ne connaissons qu’un   seul  
druide « historique », Diviacus, nous avons des exemples de femmes pratiquant
les « arts druidiques ». Dans les mythes et les légendes,   elles   s’appellent  
« sorcières » de par la retranscription chrétienne, mais l’acte  reste  empreint de la
magie connue chez les Celtes.
« Les chefs des Tùatha Dè Dànann furent rassemblés autour de Lug. Il
demanda…  «  Et  vous,  ô  Be  Cuille  et  Dianann  ?  »,  dit  Lug  à  ses  deux  sorcières,  
« de quel pouvoir disposerez-vous dans la bataille ?  ».  «  Ce  n’est  pas  difficile »,
dirent-elles : « nous enchanterons les arbres, les pierres et les mottes de terre,
si  bien  qu’ils  deviendront  une  troupe  en  armes  contre  eux  et  qu’ils  les  mettront  
en fuite avec horreurs et tourments. » 79

L’exemple  est  d’importance,  les  druidesses  ne  sont  pas  de  simples  devins,  elles  
commandent aux éléments. Or ces commandements font partie des prérogatives
reconnues   aux   druides.   Guyonvarc’h   et   Leroux   en   font   l’étude   minutieuse   et  
précieuse dans Les Druides80.

Si  l’interprétation  des  pouvoirs  druidiques  peut être faite à partir des textes quand
il  s’agit  de l’archétype  du  druide,  il  est impossible de ne pas faire la même chose

79 Cath Muige Tuired Cunga (La première bataille de Mag Tured )traduction française est de Ch.-J.
Guyonvarc'h, dans Textes Mythologiques Irlandais, éd. Ogam-Celticum, Rennes, 1980
80 Les Druides, de la page 138 à la page 171

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quand nous avons affaire à  l’archétype  de  la  femme  celte,  de  la  femme  druide.  
Un autre exemple est donné des pouvoirs féminins sur les éléments par la magie
druidique.
« Bodh, Macha et la Morrigan arrivèrent alors à la colline de la Prise des
Otages,  et  à  la  colline  de  l’Avertissement  des  Armées  à  Tara.  Elles  envoyèrent  
des averses de magie druidique, des nuages denses de brouillard et de violentes
pluies  de  feu,  avec  des  chutes  de  sang  tombant  de  l’air  sur  les  têtes  des  guerriers.  
Elles ne permirent pas aux Fir Bolg, pendant trois jours et trois nuits, de se
reposer  ou  d’être  en  paix. » 81

L’existence  de  «  magiciennes  »  dans  le  Dorset  en  Grande  Bretagne est suggérée
par plusieurs tombes de femmes âgées qui avaient été décapitées, la tête placée
sur les genoux, privée de la mâchoire inférieure. Ces manipulations semblent
avoir servi à empêcher ces femmes, que  l’on  qualifie  de  sorcières, de continuer
à proférer des mauvais sorts depuis la tombe.
Hors "jeter le sort", avant la déchéance du terme, est un pouvoir dévolu
exclusivement au druide. Lui seul a le pouvoir de jeter le Geïs82, les Glam Dicim,
l’Imbas   Forosnai83, le Dichetal Do Chesnnaib84 et autres incantations
magiques85.
La  femme  jeteuse  de  sort  n’est  donc  qu’un  druide  usant  de  son  savoir  magique.  

Le geïs, cet interdit exclusivement donné par le druide est souvent « lancé » par
les déesses dans la mythologie. Le geis est une magie de parole, il passe par le
langage. Il est un interdit qui, transgressé, provoque la mort. Il est la formule
magique qui «lie »   l’interdit.   Le   geis   est   inhérent   au   porteur.   Les   femmes   ne  
subissent pas de geasa, mais elles les dispensent. Elles les lancent, nous pouvons
le voir à travers quelques exemples.

81 Cath Muige Tuired Cunga , in Médecine, magie et divination,  Christian    Guyonvarc’h,  Editions  Payot,  
1997
82 Pluriel  geasa,  est  une  incantation  magique  prononcée  par  le  seul  druide.  Il  n’a  pas  de  traduction  littérale  

mais  a  force  d’interdit.  Il  est  basé  sur  le  pouvoir  du  verbe,  et  donc  est  obligatoirement  oral.
83 Opération divinatoire réservés aux Ollamh,(druides) et signifie « science qui illumine »
84 « Incantations par le bout des os »
85 Ces incantations magiques sont parfaitement bien décrites dans Les Druides,  Christian  Guyonvarc’h  et  

Françoise Leroux, Editions Ouest France 1986, de p132/135 et p 177/179

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Dans le mythe de Grainne et Diarmuid, lorsque Grainne demande à Diarmuid
d’être  son  compagnon  et  qu’il  lui  répond  par  la  négative, elle lui impose un geis :
« Il ne peut sous peine de déshonneur, se  soustraire  à  ce  geïs  qui  l’oblige  à  partir  
avec Grainne commettant ainsi une double infraction : il quitte la garde de la
forteresse et trahit son chef, Finn, en lui prenant sa fiancée Le geïs de Graine
est plus puissant que les devoirs du guerrier »86

« Deirdre lance aussi le geïs sur Naisi, en le prenant par les deux oreilles, elle
lance : »
« Honte  à  toi  si  tu  ne  m’emmènes  pas  avec  toi »87

Le pouvoir du mot magique est utilisé par Levorcham, la nourrice de Deirdre,


qui est aussi poète, et indique où se  trouve  l’homme  de  ses  rêves.
« Le  pouvoir  du  langage  peut  transformer  les  choses,  faire  atteinte  à  l’honneur  
ou même décider de la vie si ce qui est demandé est refusé ». On a bien
l’impression  que  le  geïs,  dans  l’emploi  que  ces  femmes  en  font,  est  une  puissance
féminine.  C’est  le  pouvoir  du  lien,  de  l’attraction… »88

Dans  le  mythe  d’Arianrhod,  les  geasa  qu’elle  lance  ne  pourront  être  contournés  
que  par  une  magie  druidique,  c’est  donc  un  égal  pouvoir  au  pouvoir  du  druide.  
Seule la magie des druides pourront « fabriquer » une femme avec des fleurs et
contrer le geïs de la mère sur le fils :

Arianhrod est appelée à la Cour de Math par son frère Gwydion, et on lui
demande de servir à la place de Goewin qui se tient auprès de Math et recouvre
ses  pieds.  Car  c’est  le  geis  de  Math  de  ne  pas  toucher  terre  et  de  garder  ses  pieds  
dans  le  giron  d’une  jeune fille. Afin de postuler à ce rôle Arianrhod doit prouver
sa virginité. On lui demande de passer au-dessus de la baguette magique de
Gwydion afin de vérifier ses dires. Elle saute et donne naissance à ses deux fils.
Dylan  s’enfuit  à  quatre  pattes  au  loin et se glisse dans la mer, alors que le second
est  saisi  par  Gwydion.  La  colère  d’Arianrhod  est  grande  devant  cet  affront  et  elle  

86 Anne Berbard Kearney , Six femmes celtes,    Editions  L’Herne,1996,  p  144


87 Ibid
88 Ibid

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jure   que   l’enfant   dans   les   bras   de   son   frère   n’aura   jamais   de   nom,   ne   portera  
jamais  l’épée,  et  ne  se  mariera  jamais  avec  une femme de cette terre, car tout
ceci  ne  peut  être  accordé  que  par  la  mère  de  l’enfant.  

Arianrhod lui lança ces trois geïs :


- il n'aurait pas de nom tant qu'elle ne lui en aurait pas donné
- il n'aurait pas d'armes tant qu'elle ne lui en aurait pas fourni
- il n'aurait pas de femmes de race humaine.

Le temps passe et à travers une succession de mensonges et de déceptions


Gwyddion  réussit  à  tromper  Arianrhod.  Elle  donne  un  nom  à  son  fils,  l’arme,  
mais  c’est  seulement  par  la  création  de  Blodeuwedd  par les druides, la femme
fleur, que le jeune Llew prend femme. Avec l'aide de son oncle Gwydion, qui
l'avait élevé, Lleu surmonta ces interdits, mais Blodewedd, tomba amoureuse
d'un autre homme et chercha à le tuer. Blessé Lleu s'éleva dans les airs sous la
forme d'un aigle. Après de longues recherches, Gwydyon le retrouva en
décomposition sur un chêne avec l'aide d'un porcher et de sa truie, l'attira à l'aide
de trois quatrains qui lui rendirent sa mémoire et son apparence humaine et
guérirent ses blessures. Blodewedd rattrapée fut transformée en chouette.

Si  nous  reprenons  l’exemple  de  Cuchulain  et  du  geis  qui lui interdit de manger
de  la  viande  chien  et  l’oblige d’en  porter  le  nom,  il  s’agit  d’un  geïs  révélé par un
druide homme :
« Bien que cela ne soit dit nulle part, il ressort du contexte de ces récits, que les
geasa de Cuchulain lui ont été imposées par le même druide Cathbad ; qui lui a
donné son nom de chien »89

Mais  c’est  oublier  la  présence  de  la  sorcière  qui  précipite  les  choses :
« Alors il s’approcha  d’elle  et  la  sorcière  lui  donna  la  moitié  du  chien  de  sa  main  
gauche »90

Les druides ne sont jamais enserrés par un geïs :

89 Guyonvarc’h  &  Leroux,  les  druides  Editions  Ouest  France,  1987  p  133
90 Ibid

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« Mais des geasa […]  qui  n’enserrent  jamais  le  druide  … »91

Il est à noter que les femmes, comme les druides, ne sont jamais soumises aux
geasa.  Aucun  exemple  n’apparaît  ni  dans  les  témoignages,  ni  dans  les  textes.  

Les femmes et le sacrifice

Parce que les femmes grecques et romaines, malgré leur forte présence au sein
du  sacré,  étaient  frappées  de  l’interdiction  de  pratiquer le sacrifice, nous en avons
conclu que les Celtes étaient soumises au même interdit. Il va être intéressant,
par conséquent de se pencher sur ce  qui  génère  cet  interdit  et  de  découvrir  qu’il  
se révèle caduque dans le monde celte. Au sujet de la Grèce, les études sont
claires et attestent que cet interdit est lié au fait que les femmes ne sont pas
citoyennes :
« Une première constatation : les femmes sont exclues du sacrifice sanglant et
du   partage   de   viande   qui   le   suit.   Or   ce   sacrifice   est   au   cœur   de la pratique
sacrificielle de la cité grecque, dans la mesure où elle fonde le politique, en
manifestant  l’accord  des  hommes  avec  les  dieux d’une  part,  en  renouvelant  le  
lien  entre  les  hommes  qui  constituent  la  communauté  des  citoyens,  d’autre  part.  
Le fait  que  les  femmes  n’y  prennent  pas  part  en  tant  que  telles,  mais  seulement  
par  l’intermédiaire  de  leurs  époux,  coïncide  dès  lors  avec  leur  exclusion  de  la  
vie civique et politique active :   il   n’y   a   pas   en   Grèce   antique   des   femmes  
« citoyennes », mais seulement des mères, des épouses ou des filles de
citoyens. »92

Elles ne participent pas à la vie politique, ni aux assemblées, ni aux votes, par
conséquent  il  semble  logique  qu’elles  ne  puissent  acter  dans  ce  qui  sur  le  plan  
sacré correspond à cette citoyenneté, le sacrifice. Du côté des Celtes nous savons
qu’il  en  était  autrement,  que  les  femmes  participaient  aux  assemblées,  aux  choix  

91 Ibid
92 Georges Duby – Michelle Perrot, Histoire des femmes – L’Antiquité, Plon, 1990, p 364

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et aux actes politico-guerriers :  il  n’y  a  donc  aucune  raison  qu’elles  ne  puissent  
acter les sacrifices.

Rome suit les prérogatives  de  la  Grèce  et  interdit  aux  femmes  l’accès    à  l’acte  
sacrificateur. Elles ne sont pas non plus ici, « légales dans la cité », puisque nous
savons par exemple que les hommes et les eunuques pouvaient adopter un enfant,
mais pas les femmes, ou encore que la légitimité de leur statut passe toujours,
par  le  biais  du  père  puis  de  l’époux.

« D’abord  dire  que  les  femmes  sont  exclues  du  sacrifice  sanglant  appelle  une  
première précision : elles sont exclues du sang et de la manipulation de la
viande, elles ne font pas partie du groupe de ceux que Marcel Detienne appelle
les « co-mangeurs, ceux dont le partage de la viande sacrificielle fait des égaux
dans la cité »93

Parlant des Celtes, Strabon dans Géographie associe le féminin à des rituels
utilisant des sacrifices humains. Même exagérée, même symbolique, il est à
prendre en compte que la vision de la femme sous cet aspect sacrificateur était à
proscrire  dans  l’Antiquité  gréco- romaine, et donc n’aurait  pu  être  imaginée  par  
l’auteur.   Il   y   a   donc   du   vrai   dans   l’image   de   la   femme   en   blanc,   pieds nus
sacrifiant l’ennemi :
«   Elles   étaient   grises   parce   qu’âgées,   portaient   des   tuniques   blanches  
recouvertes par des manteaux de lin le plus fin et des ceintures de bronze. Elles
étaient   pieds   nus.   Ces   femmes   pénétraient   dans   le   camp   l’épée   à   la   main,   se  
précipitaient  sur  les  prisonniers,  les  couronnaient  puis  les  conduisaient  jusqu’à  
un chaudron de bronze. Une femme montait sur une marche et, se penchant au-
dessus  du  chaudron,  tranchait  la  gorge  du  prisonnier  que  l’on  maintenait  sur  le  
bord   du   récipient.   D’autres   découpaient   le   corps   et,   après   avoir   examiné   les  
entrailles, prédisaient la victoire à leurs concitoyens. »

93Marcel Detienne, Dionysos mis à mort, 1977, pp177 – 179, in Georges Duby – Michelle Perrot, Histoire
des femmes – L’Antiquité, Plon, 1990, p 365

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Nous retrouvons précisément la place de la femme devin, et de son pouvoir
sacrificiel  dans  le  texte  de  Strabon  au  sujet  des  femmes  à  l’embouchure  de  la  
Loire :
«Ce  sont  des  femmes  Samnites  qui  l’habitent,  elles  sont  possédées  de  Dionysos  
qu’elles  apaisent  par  des  cérémonies  et  des  rites  sacrés.  […].  Il  y  a  une  coutume  
selon laquelle elles doivent une fois par an démonter le toit du sanctuaire et le
refaire le même jour avant le coucher du soleil, chaque femme portant son
fardeau.  Si  l’une  d’elles  laisse  choir  sa  charge,  les  autres  la  mettent en pièces,
en portent les morceaux en tournant autour du temple, tout en poussant des cris,
et  ne  s’arrêtant  pas  avant  que  ne  cesse  leur  frénésie.  Et  toujours  il  arrive  que  
l’une  d’entre  elles  tombe  et  doive  subir  ce  traitement.»  94

Il  s’agit  bien  d’un  sacrifice rituel. Le texte parle de lui-même. En effet donner la
mort en « mettant en pièces » si le fardeau a chu, porter les morceaux en tournant
autour du temple, sont des actions magiques et rituelles, faisant suite au sacrifice.
L’image  terrible  suscitée,  même  si  elle  est  exagérée  par  l’auteur  dont  la  vision  
n’est  pas  celle  d’un  Celte,  ne  peut  pas  avoir  été  inventée  de  toutes  pièces.  Encore  
une   fois,   l’inconcevable   ne   peut   se   laisser   inventer,   il   ne   peut   être   que  
l’exagération  d’une  réalité,  non  accessible  par  l’observateur,  qui  nous  le  savons  
possède une culture ne lui donnant pas toutes les clés de compréhension.

Cela  contredit  aussi  la  thèse  des  femmes  n’ayant  pas  accès  au  sacrifice  sanglant  
de par leurs cycles menstruels. Nulle trace de ce type de restriction, dans les
pratiques celtes, nulle trace de ce type de questionnement dans les pratiques
druidiques. Nous verrons auprès de Morrigane que le sang, la magie des femmes
et leurs menstrues portent un tout autre sens que celui que nous lui connaissons
aujourd’hui   et   qui   sert   trop   souvent   de   référence.   La   femme   tranche   la   gorge  
aussi  bien  que  l’homme  s’il  en  est  besoin.  
Ce  n’est  pas  parce  qu’on  ne  trouve  pas  trace  d’une  chose  qu’elle  ne  se  faisait  
pas, mais peut-être parce  qu’on  ne  trouve  pas  trace  de son contraire que cela peut
se  faire.    Il  nous  faut  tenir  compte  de  l’importance  des  prêtresses  dans  tous  les  
cultes primitifs et païens, conjuguée au fait que la femme des sociétés celtes

94IV, 1 - La Narbonnaise, in Agnès Vinas, 2004-2010


http://www.mediterranees.net/geographie/strabon/sommaire.html

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possède un statut fort enviable par ses congénères de la même époque mais en
d’autres  sociétés.  Il  n'y  a  dans  les  mythes  celtiques,  ou  dans  les  lois  de  coutumes,    
aucun indicateur fort d'un interdit sur le sang menstruel comme il existe dans le
monde méditerranéen.

En définitive, la femme celte pratique le sacrifice, la divination, les louanges et


le blâme, et célèbre le rite :
« Les Celtes possédaient donc des « hommes et des femmes de pouvoirs » qui
pratiquaient   l’art   de   la   divination,   de   la   proclamation   des   desseins,   de   la  
louange et du blâme comme régulateurs de la vie  sociale… […]  Les  femmes  ne  
sont pas absentes des pratiques rituelles et du maniement des choses sacrées. »
95

Des traces historiques font preuves de la déchéance de la prêtresse au profit du


« prêtre » :
« L’association  des  femmes  aux  rituels  a  perduré longtemps après la disparition
de  l’ancienne  tradition,  au  Vieme siècle de notre ère, des prêtres bretons (donc
catholiques)   sont   admonestés   par   des   évêques   Francs   du   fait   d’accepter   des  
femmes  auprès  d’eux,  des  conhospitae  en  latin,  lors  des  cérémonies  religieuses.
Il  s’agit  de  la  fameuse  lettre  de  Melaines  de  Rennes  un  évêque  collaborateur  des  
Francs,  envoyée  à  deux  prêtres  bretons  (c’est–à-dire de Bretagne bretonnante),
Lovocat et Cahitern qui se déplaçaient en terre celtique, accompagnés de deux
femmes. Faut-il   rappeler   que   la   présence   d’éléments   féminins   lors de
l’eucharistie  ne  fut  proscrite  en  Gaule  qu’au  IVème siècle de notre ère. Rien ne
permet  de  réfuter  l’influence  celtique  dans  ces  faits ».96

Enseignante et initiatrice

« - Et  toi,  Ô  mon  aîné,  d’où  es-tu venu ?

95 Yvan Guéhenec, Les Celtes et la parole sacrée, label LN, 2006, p.146
96Agnès Audibert, la Femme en Bretagne, Gisserot, 1993, p 38

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Ferchertne

Ce  n’est  pas  difficile,  le  long  des  colonnes  de  l’âge  


Le long des fleuves de Leinster
Le long de la colline magique de la femme de Nechtan
Le  long  de  l’avant-bras de la femme de Nuada
Le long du pays du Soleil
Le long de la demeure de la lune
Le long du cordon ombilical du jeune homme

L’enseignement  arrive  par  l’homme  comme  par  la  femme,  comme  le  divin  est  
ici décrit immanent de la lune et du soleil. Nous pouvons lire à travers cet extrait
du « Dialogue des deux sages »  que  l’enseignement  reçu  par  le  druide,  passe  par  
les  colonnes  de  l’âge  et  les  fleuves  mais  aussi  par  la  colline  magique  et  l’avant-
bras d’une  femme  de  guerrier  royal.  C’est  à  dire  que  l’on  retrouve  deux  fonctions  
attribuées aux druides, assumées par des énergies féminines. Ces deux fonctions
ne   sont   rien   d’autre   que   la   magie   et   l’art   de   guider   le   roi,   rôle   druidique   par  
excellence  (la  colline  est  dite  magique,  Nechtan  est  un  Dieu  de  la  Mer,  l’avant-
bras est porteur du bouclier, Nuada est un Dieu guerrier, un roi). Pour qui connaît
la tradition celtique, son tripartisme et ses répartitions, cet extrait éclaire
totalement  sur  l’origine  des  enseignements  druidiques  sans  conflits  d’idées  au  
sujet des hommes et des femmes.

S’il  est  un  point  que  tout  le  monde  s’accorde  à  reconnaître  à  la  femme,  c’est  celui  
d’initiatrice.  On  trouve  trace  de  ce  rôle  dans  les  mythes  et  ce  profil  de  femme  est  
largement  commenté.  N’est-il  pas  le  relent   d’un   vieux   rêve de « spécialiste »
(homme) qui projette là son propre fantasme ?  L’image  de  la    femme  sauvage  
invitant à la « chaleur de ses cuisses » a sur la gent de notre époque un fort
impact qui fait que  l’on  puisse  accorder  à  la  femme  un  rôle  de  « putain sacrée »,
mais pas de « maîtresse du culte ».

Dans la tradition irlandaise, les héros comme Cûchulainn et Finn Mac Cool sont
initiés à l'art de combattre par d'étranges femmes guerrières et magiciennes
(Uatach et Scathach, dont le nom signifierait à la fois "celle qui fait peur" et

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"celle qui protège"). On retrouve le thème dans le cycle du Graal où, d'après la
version galloise, Perceval reçoit une éducation guerrière (et sexuelle) des
Sorcières de Kaer Loyw (Gloucester).

Nous ne devons pas oublier Aifé :


Après  un  an  d’apprentissage  auprès  de Scathach et de Uatach, Cùchulainn va
parfaire son éducation chez Aifé, qui lui apprend trois tours secrets dont le
fameux gai bolga, le « javelot dans le sac ». Puis retourne de nouveau pendant
une  période  d’un  an  auprès  de  Scathach  avant  de  rentrer  en  Irlande.

Cette éducation guerrière passe par une éducation magique et nous savons que
la magie est affaire de druide. Que sont donc ces femmes sinon des druides
spécialisées   dans   l’initiation   de   la   guerre   et   de   la   magie   ?   Pourquoi   la   magie  
serait-elle affaire  de  druide  quand  il  s’agit  d’homme  et  affaire  de  « sorcière »
quand  il  s’agit  de  femme ?

Le mot “sorcier”  vient du bas latin « Sortiones » « jeteur de sort »97, sortes
d’oracles, jeteurs de baguettes divinatoires98. Il désigne alors un paysan qui
pratiquait la vieille coutume : les sourcières, les astrologues et les devins, les
sages-femmes, herboristes, guérisseurs, rhabilleurs, tireurs de feu, tous arts
médicaux hérités des Celtes, des druides qui furent pourchassés depuis
l’occupation   romaine.   Le sorcier est un druide dépouillé de ses prérogatives
politiques, sociales et guerrières.
La   thèse   qui   veut   qu’il   existe   des   femmes   consacrées,   amantes   sacrées,  
constituant une sorte de caste, très à part, très en dehors de la société semble
assez farfelue. Elle semble elle aussi issue de fantasmes contemporains sur les
femmes secrètes et inaccessibles La femme qui donne la vie, et la femme qui
l’enlève  n’est  qu’un  des  schémas  de  base  des  croyances  druidiques,  celui  de  la  
déesse multiple, celle aux trois visages, de la Belisama à la Morrigane, entre la
femme qui donne et celle qui reçoit. Ces femmes sont, de par leur ambivalence,
des êtres « merveilleux », possédant la connaissance et la magie du Monde, tous
pouvoirs accordés aux druides...

97 VIème siècle Close de Reinchenau


98 Les baguettes divinatoires sont les Oghams celtes

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Evolution du statut religieux

Nous   avons   vu   qu’il   existait   des   traces   historiques   de   la   présence   de   femmes  


dans  le  rite,  même  si  c’est  sous  la  forme  et l’expression  de  son  rejet :
« Il est dit aussi que « les femmes qui demeuroient avec les  prestres  s’ingéroient  
à  les  servir  à  l’autel » (in Dom Lobineau, « Histoire de Bretagne », Tome1 P 26)
[…]   Cette   particularité   d’origine   vraisemblablement   celtique   déplait  
profondément au clergé gallo-romain ;;   elle   témoigne   non   seulement   d’autres  
habitudes  mais  aussi  d’un  statut  féminin  plus  valorisé  qu’à  l’accoutumée.99 »

Voilà la trace effective de la femme au sein du sacerdoce. On ne change pas


facilement des habitudes profondément ancrées dans la psyché et vieilles de
milliers  d’années.  C’est  le christianisme et la plupart des religions monothéistes,
le droit gréco romain, qui lui imposeront un rôle marginal de simple devineresse
et imposeront la  croyance  actuelle  d’une  femme  dévolue  d’éternité  aux  fonctions  
subalternes :
« Déjà dans le judaïsme les femmes jouèrent un rôle central comme prophétesse,
mais  il  n’était  pas  pensable  qu’elles  soient  prêtresses.  Sans  doute  pour  éviter  
l’amalgame  avec  les  prêtresses  des  religions  païennes  environnantes. »100

Il est vrai que nous connaissons des femmes à la   tête   d’abbayes   qui   furent  
reconnues pour leurs travaux et leur érudition.
« Certaines abbesses étaient des seigneurs féodaux dont le pouvoir était respecté
à   l’égal   de   celui   des   autres   seigneurs,   quelques-unes portaient la crosse de
l’évêque ; elles administraient souvent de vastes territoires avec des villages,
des  paroisses  … »101

L’encyclopédie  la  mieux  connue  du  XIIème siècle est le Hortus deliclarum (jardin
des  délices)  de  l’abbesse  Herrade  de  Landsberg.  Nous avons tous entendu parler
d’Hildegarde   de   Bingen   ou   encore   de   la   grammairienne   passée   à   l’état   de  

99 Agnès Audibert, la Femme en Bretagne, Gisserot, 1993, p 38


100 Elisabeth Parmentier, La  Femme  ce  qu’en  disent  les  religions,  Editeurs  de  l’Atelier,  2002,  p  53
101 Régine Pernoud, Pour en finir avec le Moyen Age, Seuil 1977 p 91

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théologienne Gertrude de Helfa au XIIème siècle.  Mais  le  moins  que  l’on  puisse  
dire  est  qu’elles  représentent  déjà  une  exceptionnelle  minorité.

En définitive :

« C’est  assez  dire  que  le  statut  de  la  femme  dans  l’Eglise  est  exactement  le  même  
que dans la société civile et que peu à peu lui a été retiré, après le Moyen Age
tout ce qui lui confère quelque autonomie, quelque indépendance, quelque
instruction. »102

Et Marie Louise Von Franz de faire remarquer que sur le plan psychologique
aussi le XIIIème siècle sera un temps de bascule fort vers une autorité univoque :
« Il  fut  un  temps  où  dans  l’idée  que  l’on  se  faisait  de  la  nature,  le  bon,  le  généreux  
et l’obscur   s’équilibraient   dans   une   certaine   mesure,   mais   depuis   le   XIIème et
XIIIème siècles environ comme on peut le voir par exemple dans la mythologie,
la poésie et les mouvements religieux, les processus ne sont plus censés devoir
s’aligner  que  sur  une  attitude  unilatéralement  lumineuse. »103

102 Ibid p 94
103 Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 79

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Rencontre avec « La déesse »

Si rencontrer la déesse demande de retrouver Sa trace à travers les matières qui


nous  sont  accessibles,  il  est  rapidement  nécessaire  aussi  d’en  saisir  l’essence  et  
tout   ce   qu’elle   implique   d’angle   de   vue,   d’angle   de   Vie,   Son   impact   dans   la  
psyché, Sa présence dans le quotidien. Nous allons voir que nous avons
réellement beaucoup perdu   d’Elle   et   même que nous vivons dans un monde
inversé.

Une  des  matières  les  plus  parlantes  pour  retrouver  l’Esprit  de  la  déesse est portée
par  les  mythes.  C’est  en  effet  à  travers  eux  que  nous  pouvons avoir une vision
des  plus  justes  de  ce  qu’est  le  divin  dans  l’esprit  Celte.  Mais  aussi  les  contes  de  
fées :
« Il a parfois été dit – à tort je crois – que  le  mythe  est  l’histoire  des  Dieux, et
les  contes  de  fées  celles  d’êtres  humains.  Cette  théorie  se heurte au fait que, dans
certains récits folkloriques, les personnages portent des noms de dieux
mythologiques. Ainsi dans certaines versions de la Belle au Bois dormant, les
fées ont des noms de déesses »104

Ces mythes et ces contes nous ouvrent la compréhension  de  ce  qu’est  la  divinité  
féminine  dans  la  tradition,  les  Archétypes  qui  la  portent,  l’essence  première  de  
sa réalité.

« Dans les mythes comme dans les contes, les personnages sont des figures
archétypiques »105

Les mythes et les contes, permettent d’identifier   comment cela se passe de «


l’autre  côté », du côté spirituel et inconscient. Marie Louise Von Franz le signale
tout particulièrement, ces « outils » permettent un va et vient entre le conscient
et  l’inconscient,  comme  autant  de  passerelles :
« Les contes se terminent, souvent par une phrase de ce genre : « et le coq chanta
cocorico,  l’aube  est  venue  et  mon  conte  est  fini ». Ce qui signifie que le moment

104 Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 27
105 Ibid

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est  venu  de  se  réveiller  de  l’atmosphère  onirique  du  conte,  car  lorsque  le  coq  
chante, c’est  l’heure  de  sortir  du  lit ! Il existe bien des formules qui, toutes, sont
des sortes de « rites de sortie ». Elles nous rappellent que le conte se passe dans
un  monde  imaginaire  et  que  les  personnages  et  les  évènements  qui  s’y  déroulent  
appartiennent  à  un  univers  qui  est  le  domaine  de  l’inconscient.  C’est  un  « autre
monde » qui contraste avec celui de la vie et des gens ordinaires. Ainsi s’établit  
un mouvement de va-et-vient entre  le  conscient  et  l’inconscient. »106

Les dieux pour les Celtes ne sont pas des super  êtres  humains  que  l’on  puisse  
représenter, ils ne le furent que partiellement après la colonisation. Ils sont les
Archétypes en mouvement qui nous insuffle la vie. Ils font partie de cet univers
qui semble nous échapper et qui fut cependant particulièrement bien cerné par
nos ancêtres.
« C’est  ainsi  qu’il  arrive  que  des  gens  rêvent  spontanément  de  figures  de  contes  
ou de mythes, ou de dieux païens qui correspondent mieux au contenu qui
cherche à se manifester. »  […]  « Il  est  en  effet  pour  nous  d’expérience  courante  
que  ces  thèmes  archétypiques  peuvent  surgir  n’importe  où  et  à  n’importe  quel  
moment ».107

Marie Louise Von   Franz,   dont   le   travail   ne   porte   pas   sur   l’étude   des   mythes  
celtiques,  mais  sur  l’étude  de  l’analyse  de  l’inconscient  et  le  rôle  des  contes  de  
fées, donne, cependant, une analyse parfaite si on la met en parallèle avec nos
mythes ancestraux. Les schémas apparaissent clairement, les symboles sont
clairs,  tant  sur  la  notion  de  pays  stérile  ou  fécond  que  sur  l’action  d’un  héros.

« Les   récits   mythologiques   où   le   héros   ou   l’héroïne   se   conduit   de   façon  


spécifique  sont  une  tentative  de  l’inconscient  pour  créer un modèle de complexe
du moi qui fonctionne de façon adéquate. Le héros représente le complexe du
moi idéal, demeurant en harmonie avec les exigences de la psyché. Il est celui
qui  met  fin  à  la  stérilité  d’un  pays  et  y  rétablit  une  santé  florissante  en  faisant
couler la vie sous des formes bénéfiques. Chaque conte a un sens particulier,
mais le héros – modèle  s’y  comporte  toujours  selon  ses  instincts.  […]  Le  héros  

106 Ibid p 27
107 Ibid p 36

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et   l’héroïne   nous   proposent   une   sorte   d’esquisse   de   correspondance  
archétypique entre le moi et  le  Soi,  qui  demande  à  s’accomplir  et  à  se  réaliser  
de façon concrète dans la vie de chaque personne. »108

Les analystes les plus pointus dans le sillage de Jung ont accordé aux anciennes
croyances  une  réalité  psychique,  qui  nous  permet  aujourd’hui  de  comprendre le
sens profond de leur nature, de leurs actes qui sans cet angle peuvent paraître
bien difficiles à comprendre et à retrouver.
« Qu’est-ce que cela signifie sur le plan psychologique ? Il est évident que les
dieux représentent des contenus archétypiques  de  l’inconscient,  c'est-à-dire des
complexes que chacun possède en soi et qui ne sont en aucune façon
pathologiques. Comme le dit Jung, les complexes sont tels que ceux du moi ou
de  l’ombre  sont  normaux  dans  notre  société.    Il  y  a  dans  la  psyché,   différents
centres dynamiques qui font partie des structures normales. Ces archétypes de
par leur puissance et leur vie partiellement autonome, apparaissent comme des
figures numineuses et ont généralement été personnifiés par des dieux. »109

Il  ne  s’agit  pas de faire des mythes et des contes une lecture à un premier niveau,
d’y  voir  des  querelles  d’amoureux,  des  guerres  de  pouvoirs  ou  des  manuels  de  
bonne   éducation,   mais   d’y   reconnaître l’ombre   et   la   lumière,   les   schémas  
numineux qui sont les nourritures profondes de notre propre psyché. En ce sens,
nous pouvons y lire La déesse et toutes les projections que ses Archétypes
engendrent en nous et autour de nous.

« Dans notre langage psychologique, les dieux de la mythologie sont des


archétypes, et les archétypes ont toujours à la fois un aspect psychique qui tend
à se traduire en images, et un aspect instinctif. Ils ont pour base une structure
instinctuelle :  le  fondement  biologique  de  l’archétype  de  la  mère  est  la  maternité,  
celui de la conjonction, la sexualité etc. C’est   pourquoi   l’on   peut   rattacher  
chaque   dieu   à   un   champ   biologique   instinctif,   le   premier   étant   l’aspect  
psychique du second.»110

108 Ibid, p 52
109 Ibid, p 62
110 Ibid, p 112

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Déesse oubliée

Dans nombres de contes dont nous ne connaissons que les versions christianisées
ou tout au moins ayant perdu leurs traits les plus archaïques, il est aisé de lire ce
qui est arrivé à la féminité au cours du temps.

« Le culte même de la déesse mère a tourné   court   et   a   été   réprimé.   S’il   a  


réapparu   plus   tard   dans   la   dévotion   à   la   Vierge   Marie,   c’est   accompagné  
d’importantes  restrictions  mentales  et  de  précautions, visant à purifier la déesse
de son ombre. On accueillait à nouveau la déesse mère, mais dans la mesure
seulement   où   elle   se   soumettait   à   l’approbation   de   l’homme   et   se   comportait  
convenablement.  L’aspect  d’ombre  de  la  déesse  mère  antique,  n’a  pas  encore  
fait sa réapparition dans notre civilisation, ce qui nous laisse sur une
interrogation car il est évident  qu’avec  elle  un  élément  important  est  absent. »111

Cet élément féminin manque,  nous  l’avons  vu  dans  le  fait  « société », à travers
la lente dégradation du statut des femmes en Occident. Il manque aussi en soi,
en tant que femme mais aussi en tant qu’homme  par  le  biais  de  son  anima112.
Nous   aurons   l’occasion   d’aborder   ce clivage dans le dernier chapitre de cet
ouvrage.

« Dire  qu’un  dieu  ou  une  déesse  se  trouve  oublié  signifie  qu’un  comportement  
psychologique naturel est négligé ou refoulé. On a soit par artifice, soit par
stupidité,   omis   de   le   prendre   en   considération   […] Qu’un   dieu   soit   oublié  
signifie que certains aspects du conscient collectif se trouvent placés au premier
plan  de  telle  sorte  que  d’autres  sont,  dans  une  large  mesure,  rejetés  dans  l’oubli.  
C’est   bien   le   sort   qu’a   subi   l’archétype   de   la   déesse   mère   dans   notre  
civilisation ».113

Surestimer  une  force  de  la  nature  au  détriment  d’une  autre, imposer une moralité
non « naturelle »,   engendre   un   déséquilibre   qui   dans   l’esprit     traditionnel   est

111 Ibid, p 57
112 Nature  féminine  de  l’âme  des  hommes,  selon  Jung.
113 Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 62 - 63

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source de mal. Ce  mal  qui  dans  une  tradition  tripartite  n’est  pas une entité, mais
la résultante de ce déséquilibre,   d’une loi naturelle non respectée. L’idée  
tripartite  ne  considère  pas  l’existence  d’une  entité  malveillante  en  butte  à  une  
énergie bienfaisante.  Il  ne  s’y  trouve  pas  une  séparation  absolue  du  bien  et  du  
mal. Tous les phénomènes animés ou inanimés peuvent être aussi bien positifs
que négatifs, cela dépend des circonstances.

Cette résultante peut être considérée comme une maladie. Le déséquilibre  d’une  
partie va entraîner la  souffrance  de  l’ensemble. La loi physique qui sous-tend à
cette  vérité  peut  à  son  tour  s’appliquer  au  psychisme :
« Comme  la  maladie  d’un  organe  peut  aboutir  à  une  détérioration  complète  de  
la santé, ainsi un complexe qui ne fonctionne pas de façon juste désorganise
l’ensemble  de  la  psyché. »
On voit apparaître une névrose, ou pire, et il faut découvrir ce qui ayant été
négligé, détruit la personnalité toute entière. »114

Le  psychisme  individuel  n’est  qu’une  partie  d’un  tout  auquel  nous  sommes  tous  
reliés115 et   dans   lequel   s’expriment   les   dieux et les déesses. Ainsi de façon
analogique   le   refoulement   de   l’Archétype   de   la   déesse a engendré tout un
ensemble  de  névroses  sociales,  allant  jusqu’à  poser  la question de l’existence  de  
son âme116. Il implique aussi un déséquilibre notoire aux niveaux des
Archétypes ; qui ne pourrait pas   être   sans   conséquence,   par   effet   d’écho   et  
d’interdépendance.

« On prétend ignorer un besoin archétypique vital, organique, pourtant évident


et qui demande à être vécu. Au lieu de cela des lois sont promulguées et
appliquées avec des résultats désastreux : la déesse est ignorée ».117

Dans les mythes et les contes de fées nous retrouverons cet oubli par des thèmes
que nous connaissons depuis notre petite enfance :

114 ibid
115 Je  fais  référence  ici  à  la  notion  d’inconscient  collectif  
116 Elisabeth Parmentier, « Une âme floue », La  femme  ce  qu’en  dit  la  religion, de  l’Atelier,  p  57
117 Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 68

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« Le thème du sommeil de la princesse nous ramène au fait que certains facteurs
de la vie psychologique féminine ont été refoulés par une censure
inconsciente ».118
Qui est cette déesse ?

Il   n’est   par   conséquent   pas   facile   de   retrouver cette déesse, cela nécessite de
déjouer les pièges de nos habitudes, de nos cultures, de nos écrits et des
croyances qui nous sont inculquées depuis notre naissance. Elles sont prises
comme « vérités » car souvent données pour vraies de vraies par des spécialistes
reconnus en la matière. Nous pouvons comparer ces croyances à celles que nous
avons traînées  durant  de  longues  années  depuis  l’école  de  la  République,  sur  nos  
ancêtres les Gaulois, ces êtres barbares et incultes. C’est   de   cette manière
beaucoup sont persuadés que le statut féminin, sa nature et son essence ont de
tous temps été traités de la même manière et ont véhiculé les mêmes servages.
En bref ils prennent pour naturels et allant de soi que nous sommes quelque part
des moins quelque chose, des inférieures, des maléfiques, des impures. Soit, de
nombreuses croyances véhiculent ces idées, mais la plupart sont empruntes du
manichéisme  qui  dans  toute  l’histoire  du  monde  est  somme  toute  relativement  
récent, et sont interprétées d’une manière dualiste et machiste. Les Grecs et les
Romains dont nos intellectuels se revendiquent les fiers héritiers, traitaient déjà
leurs femmes comme des mineures incapables :
« La légitimité du statut de la femme passe toujours, on le voit, par le biais du
père  ou  de  l’époux. »119

C’est  oublier  d’autres  réalités,  d’autres  vérités  sur  le  possible,  d’autres  preuves  
historiques,

La déesse refoulée engendre tout un ensemble de maladies sociales et


personnelles :
« Appliqué  à  l’attitude  collective,  le  tournant dangereux est le moment où le
principe féminin refoulé et devenu de ce fait, maléfique, réapparaît à la

118 Ibid, p 92
119 Georges Duby – Michelle Perrot, Histoire des femmes – L’Antiquité, Plon, 1990, p 365

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conscience. Toute notre tradition historique présente le féminin comme négatif,
car  le  principe  de  la  nature  n’est  pas  reconnu. »120

Les forces en présence, comme un animal sauvage pris au piège, tenteront de


« s’en sortir »,   de   vivre   de   quelque   manière   que   ce   soit.   Comme   l’eau   d’un  
ruisseau trop longtemps retenu « forcera » le barrage, elles envahissent le monde
dans un acte de folie meurtrière. Elles sont alors les sorcières et les méchantes
fées.

« Nous  avons  remarqué  que,  dans  les  pays  catholiques  tout  au  moins,  l’aspect  
clair  de  la  Grande  Mère,  de  l’anima  et  de  la  femme  fut  projeté  sur  la  Vierge  
Marie, tandis que son aspect Chthonien refoulé devenait sorcière. »121

Seule une reconnaissance de leur réalité, une acceptation de leur besoin vital,
une porte ouverte, créative sur le monde nous évitera la rencontre de leur divine
colère.  Ces  forces  que  l’on  dit  maléfiques  ne  le  sont  que  parce  que  nous ne leur
donnons plus aucun « cadre »   où   s’exprimer,   la   nuit   paisible   devient   alors   le  
gouffre  sans  fond  de  l’horreur.  Tout  comme  un  soleil  sans  ombre  porte  la  mort.  
Nous ne proposons plus de rites et de soumission pour ces puissances divines, et
par là-même nous nous mutilons nous-mêmes.
C’est  un  peu  comme  si  le  « mâle » contenait, retenait, enfermait le « femelle »
au lieu de lui laisser le cadre légitime, hardi   et   protecteur   où   s’exprimer.   Il
s’ensuit     une   incompréhension   et   une   déviance   des   valeurs   génératrices de
souffrance  pour  l’un  comme  pour  l’autre.  

Il devient nécessaire pour comprendre le divin féminin chez les Celtes, de


procéder à une réévaluation de Sa Nature. Son obscure face, comme sa
lumineuse esquisse ne sont pas « le mal »,  il  ne  s’agit  pas de mettre en opposition
des forces qui se complètent et se nourrissent :

120 Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 205
121 Ibid p 253

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« Plutôt que de considérer les archétypes de la Vie et de la Mort comme des
opposés, il faut les maintenir ensemble, comme le côté gauche et le côté droit
d’une  même  pensée. »122

Le  mal  est  l’encloisonnement  et  la  non  reconnaissance  d’une  réalité.  Il s’agirait
de  sortir  d’un  système  binaire  et  dualiste,  manichéen, pour entrevoir les possibles
d’une  tripartition ! Il  s’agit  de  cycle  et  non  plus  de  temps  linéaire,  il  s’agit  de  
complicité  et  d’enchaînement,  non  de  confrontation,  de  conflit  et  de  combat,  il  
s’agit  de  possibles  métamorphoses :
« Du  fait  de  la  nature  de  Vie/Mort/Vie,  le  Destin,  les  liens  affectifs,  l’amour,  la  
créativité   évoluent   selon   d’amples   schémas   sauvages   qui se suivent dans cet
ordre : création, accroissement, force, dissolution, mort, incubation, création et
ainsi  de  suite.  […]123

Que  ce  soit  le  rapport  de  l’ombre  et  de  la  lumière  ou  celui  du  corps  et  de  l’âme,  
l’angle  de  compréhension  doit  être différent :
« C’est   dans   ce   sens   que   la   femme   sauvage   peut   faire   des   recherches   sur   le  
caractère  numineux  de  son  corps  et  comprend  que  le  corps  n’est  pas  un  poids  
qu’il  nous  faut  traîner  toute  la  vie,  ni  une  bête  de  trait  qui  nous  traîne  à  la  vie,  
mais une série de portes,  de  rêves,  de  poèmes  … »124

Nous devons apprendre à renverser les valeurs pour mieux les approcher et les
comprendre :
« On remarquera que dans les contes relatifs à la psychologie féminine, lors de
la  quête  de  l’héroïne  sous  la  forme  d’un  voyage  céleste de ce type, il se produit
très souvent un renversement des valeurs habituelles : le soleil y est la puissance
la plus maléfique, tandis que la lune y est seulement relativement néfaste et la
nuit avec ses étoiles scintillantes, bénéfique : ceci est contraire  à  l’interprétation  
courante   selon   laquelle   le   soleil   est   la   source   de   l’illumination   et   la   nuit   le  
domaine des puissances ténébreuses à éviter.

122 Clarissa Pinkola Estés, Femmes qui courent avec les loups, Grasset & Fasquelle, 1996, P194
123 Ibid p 423
124 Ibid p 293

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Ce thème vient sous cette forme dans la plupart des voyages initiatiques, relatifs
au  problème  de  l’héros,  de  l’amour,  tandis  que  lorsqu’il  s’agit  d’aller  chercher  
l’illumination  spirituelle  et  mentale  dans  l’au-delà, le soleil représente la plus
haute  valeur.  […]  Mais  ici,  comme   en  beaucoup  d’autres   contes,  le  motif   est  
inversé comme dans la flûte enchantée de Mozart où le prince dit à son épouse :
« Ne fais pas trop confiance au soleil ou à la lune, descends avec moi dans
l’obscurité  de  la  nuit. »  L’obscurité  du  mystère  est  donc,  dans  certains  cas,  le  
but, et le soleil, la puissance qui brûle et qui anéantit. »125

C’est  alors que nous serons plus à même de comprendre Qui et Quoi se cache
sous les jupes des déesses des Celtes, nous pourrons les entrevoir encore actives
dans les habitudes de nos vieilles campagnes qui parfois ont su garder dans leurs
schémas de société la nature tripartite du monde, comme sont les déesses Celtes,
ces « matrones », ces trois Femmes divines dont le reflet dans la société se trouve
encore au XIXème siècle.

« A  Minot,  trois  femmes,  chacune  spécialiste  d’une  technique,  sont  appelées  à


intervenir   et   à   exercer   leurs   savoirs   à   l’un   ou   l’autre   de   ces   moments   de  
passage : la femme qui aide, la couturière, la cuisinière, toutes trois chargées
de « faire la coutume »126.

Nous allons redécouvrir les mille et un visages de cette Femme Divine, Son aile
sur notre quotidien, la force de Son amour et de Son pouvoir.
Cette déesse est  une  multiple,  symbole  de  l’Eternité,  du  non  temps,  elle  règne  
sur la magie du monde et sur le religieux par un pouvoir particulier qui lui est
toujours relié, celui de la métamorphose.

Une preuve en était de notre attitude envers les obscures voiles de la Dame
Sacrée. Autrefois les robes de mariée étaient noires :
« Notons   tout   d’abord   qu’anciennement   la   robe   de   mariée   était   noire.   C’est  
Lucile qui en 1890, la première du village se mariera en « blanc ».127

125 Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 230
126 Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire, Gallimard, 1979, p 80
127 Ibid, p 247

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Et  nous  pouvons  constater  ce  fait  sur  les  gravures  d’autres  contrées  que  celle  de  
Minot. Pourrions-nous imaginer que les hommes du temps jadis aient affublé
leurs « mariées »  d’une  couleur  tachée  de  vilainie ? Ne peut-on au contraire y
voir la vieille foi en la puissance magnifique, belle et généreuse de la Grande
Déesse de nos rêves ? Les femmes ne portaient-elles pas ces robes pour
s’imprégner  du  pouvoir  de  fécondité  de  la  terre  dans  ce  qu’elle  a  de  plus  riche et
de plus tendre ? Nous qui pensons que nos aïeux ne savaient pas faire sans
« signer »  leur  geste  d’un  symbole  profond, pouvons-nous imaginer que sur ce
fait  ils  aient  voué  leurs  filles  à  l’obscur  de  l’enfer ?

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Guerrière et souveraine

Les Reines et les princesses

Les preuves historiques de « princesses » et de « reines » celtes ne sont pas


absentes. Elles confirment tout ce que nous avons pu aborder précédemment, à
savoir le statut particulier de la femme celte, voire son prestige. Il semble encore
que   sur   ce   point   l’attention   ne   fut   pas   assez   portée.   Il   est   peu   de   traditions
anciennes qui   firent   à   leurs   femmes   des   tombes   à   l’égale   de   rois. Peut-être
l’Egypte  ancienne,  mais  ni  la  Grèce,  ni  Rome,  dites  évoluées  ne  proposèrent  ces  
mausolées.

« De ces   dames   guerrières   et   souveraines   nous   avons   d’autres   témoignages,  


historiques   et   archéologiques,   qui   en   confirment   l’existence.   Les   historiens  
latins ont fait connaitre les reines Cartismandua et Bouddica. Mais il y eut aussi
la Reine Medb dans la « Tain Bo Cualne Razzia des Vaches de Cooley » qui en
est la plus forte personnalité.
La Dame de Waldalgesheim appartient probablement à la même lignée de reines
guerrières.  Il  s’agit  de  la  sépulture  d’une  femme  enterrée  avec  un  mobilier  d’une  
qualité admirable » ;128

Nous avons des traces historiques de « princesses », (« reines ») notamment à


Vix où fut trouvé le célèbre trésor de Vix avec ses cratères, quarante mille
tessons de céramique, une figure en bronze, des amphores, des coupes, vingt-
cinq vases à figurines noires, des boucles d'oreilles, des bracelets, des anneaux,
des  perles,  quelques  armes  et  surtout  la  tombe  d’une  femme  de  haut  rang  de  par  
sa chambre funéraire de 9m2, reposant sur un char et parée de nombreux bijoux,
bracelets en schiste et en perles d'ambre et datant du cinquième siècle avant J.C.
La sépulture princière de Waldalgesheim découverte en 1869 en Allemagne est
celle  d’une tombe de femme inhumée au IVe siècle av J.C.

128 Agnès Audibert, la Femme en Bretagne, Gisserot, 1993, p 20

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Les femmes guerrières

Les femmes celtes ont, nous  l’avons  vu, une présence et une réalité dans toutes
les sphères de la société. Elles ne peuvent être absentes du religieux, comme
elles ne peuvent être absentes du guerrier. La guerre, elles peuvent y participer
si nécessaire, de façon magique :
«  L’usage  pour  les  femmes    de  se  découvrir  la  poitrine  quand  elles  demandent  
grâce   se   retrouve   dans   la   littérature   de   l’Irlande   avec   le   même   caractère  
provoquant    qu’au  siège de Gergovie. »129

Elles peuvent aussi y participer de façon concrète. Des témoignages historiques


en sont les témoins :
« C’est  ainsi  que,  témoins  de  la  conquête  romaine,  les  historiens  latins  ont  été  
très impressionnés par le rôle guerrier des femmes, par leur aptitude à la
guerre. »130

Il  semble  en  effet  que  si  ce  n’est pas une « spécialité » des femmes, elles peuvent
se joindre aux hordes guerrières par nécessité :
Tacite   mentionne   leur   présence   lors   de   l’affrontement   qui   eut   lieu   entre   les  
troupes romaines de Suetonius Paulinus et les Ordovices en 61 après JC, sur l’île  
de Mona « Criant des imprécations, vêtues de noir comme les Furies, les cheveux
en désordre, brandissant des torches et la stupéfaction des soldats romains
devant ce spectacle inaccoutumé »131

C’est  sur  le  champ  de  bataille  qu’elles  peuvent  se    joindre à leur mari.
« Ammien Marcellin nous les décrit prenant une part active à la lutte et il nous
explique  comment  toute  une  troupe  peinait  à  vaincre  au  combat  un  Gaulois  s’il  
appelait sa femme à son aide ».
« L’humeur  des  Gaulois  est  querelleuse et arrogante  à  l’excès.  Le  premier  venu  
d’entre  eux,  dans  une  rixe,  va  tenir  tête  à  plusieurs  étrangers  à  la  fois,  sans  autre  
auxiliaire que son épouse, champion bien plus redoutable encore. Il faut voir

129 D’Arbois de Jubainville cité in Jean Paul Picot, Dictionnaire Historique de la Gaule, La Différence,
2002 ; p 308
130 Agnès Audibert, la Femme en Bretagne, Gisserot, 1993, p 15
131 Annales, Livre XIV, ch 30, in Agnès Audibert, la Femme en Bretagne, Gisserot, 1993, p 15

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ces viragos, les veines du cou gonflées par la rage, balancer leurs bras robustes
d’une  blancheur  de  neige,  et  jouer  des  pieds  et  des  poings  assenant  des  coups  
qui  semblent  partir  de  la  détente  d’une  catapulte »132

Et  c’est  sans  doute encore, sous le coup de la nécessité, que certaines ont pris le
commandement des armées, suivies sans aucun problème par les guerriers,
comme le décrit Tacite :
« Les  Brigantes,  sous  la  conduite  d’une  femme  ont  été  capables  d’incendier  une  
colonie,  d’enlever  un  camp,  et  si  le  succès  ne  les  eut  engourdis,  ils  auraient  pu  
secouer le joug » 133

L’exemple le plus connu de reine guerrière est celui de la reine Bouddica.

Bouddica et Andrasta

Bouddica134 est une reine celte, de la tribu des Icéniens. Femme du roi Pasturgas,
elle mena à la mort de celui-ci, en 61 après J.C, une révolte sanglante contre
Rome ; en effet elle fut brutalisée et ses filles violées par les occupants. Ses
batailles restent célèbres mais ne menèrent pas à la victoire. Elle se suicida ainsi
que  ses  filles  par  le  poison.  Bouddica  est  aussi  le  nom  d’une  déesse  et  signifie  
« la victorieuse ».

« Bouddica et sa contemporaine Carrtismandua, reine des Brigantes, la plus


grande fédération indigène de Grande Bretagne parmi les royaumes clients des
Romains, impressionnèrent au plus haut point les historiens grecs et latins par
la vigueur de leur personnalité et leur prestige politique et militaire. Les
historiens  romains  n’ont  remarqué  dans les défenseurs de la Grande Bretagne
celtique, aucun homme qui ait la stature de Bouddica et de Cartismandua »135

132 Marcellin, Histoire, Livre XIV, ch 3O, in Agnès Audibert, la Femme en Bretagne, Gisserot, 1993, p 15
133 Vie  d’Agricola,  Ch  21
134 Voir. Kutra, Les Celtes, Histoire et dictionnaire, Laffont, 2000
135 Nora Chadick (Les Royaumes Celtiques, p 147, in Agnès Audibert, la Femme en Bretagne, Gisserot,

1993, p 16

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L’honneur   femelle   et   la   résolution   d’une   femme,   sa   liberté   de   choix   et   son  
pouvoir guerrier apparaissent particulièrement bien toujours dans les
témoignages de Tacite :
« Boadicée   montée   sur   un   char,   ayant   devant   elle   ses   deux   filles,   dès   qu’elle  
arrivait  près  d’une  de  ses  peuplades,  protestait  que  tout  accoutumés  qu’étaient  
les  Bretons  à  marcher  à  l’ennemi  conduits par des femmes, elle ne venait pas
maintenant comme issue de nobles aïeux, réclamer son royaume et ses richesses,
mais comme une simple femme, venger sa liberté perdue, son corps déchiré de
verges,  l’honneur  des  ses  filles  flétri.  […]  Si  l’on  réfléchissait  au  nombre  des  
combattants et  aux  causes  de  la  guerre,  on  verrait  qu’il  fallait  vaincre  dans  cette  
bataille  ou  bien  y  périr.  Femme  c’était  là  sa  résolution : les hommes pourraient
choisir  la  vie  et  l’esclavage » 136

Cette  possible  vengeance,  ce  regard  sur  l’honneur  bafoué,  ce  possible choix de
vaincre ou de  mourir  sont  des  caractéristiques  sûres  d’une  femme  au  statut  libre  
et   égalitaire.   Une   femme   ayant   ces   marges   de   manœuvre,   tant   morale   que  
politique,  n’apparaît  jamais  sous  ce  jour  dans  l’histoire  ultérieure  de  l’occident.  
Elle  n’est ici ni suivante, ni obéissante, elle est dans sa dignité de femme la stricte
égale  de  l’homme.  Ce  fait  doit  avoir  suffisamment  subjugué  les  anciens  latins  
pour  qu’ils  en  rendirent  le  témoignage.  

Bouddica en tant que reine et chef de guerre procède à la divination, à


l’invocation  de  la  déesse  de  la  victoire,  aux  sacrifices. :
« Quand elle [Bouddica] eut fini de parler, elle procéda à une sorte de
divination, laissant s'échapper un lièvre d'un pli de sa robe ; et comme il courut
dans une direction qu'ils considéraient comme de bon augure, toute la multitude
s'exclama de joie, et Bouddica, levant la main vers le ciel, dit : "je te remercie,
Andrasta, et fais appel à toi, comme une femme parle à une femme. [suit un long
discours contre les Romains]. Mais pour nous, Maîtresse, puisses-tu être notre
seule conductrice". [...] Tout cela, ils le firent en accompagnement de sacrifices,
de banquets et de comportements impudiques, pas uniquement dans tous leurs
autres lieux sacrés, mais particulièrement dans le bois d'Andate. C'était pour

136 Vie  d’Agricola,  Ch  16,  in  Agnès  Audibert,  la Femme en Bretagne, Gisserot, 1993, p 17

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eux le nom de la Victoire, et ils en faisaient l'objet d'une vénération
exceptionnelle. »137

Bouddicea en tant que déesse de la Victoire est connue par une épitaphe en son
nom retrouvé à Bordeaux   et   une   au   nom   d’Andrasta   à   Thetford   en   Grande
Bretagne.  Aujourd’hui  le  mythe  et  l’histoire se confondent. Bouddica dans son
rôle   historique   rejoint   les   héroïnes   dans   leurs   modèles   celtiques.   D’autres  
héroïnes pourraient rejoindre le mythe, mais sans autres sources historiques que
celles des témoignages de Plutarque ou Tite Live, elles sont tombées dans
l’oubli.  Nous  ajoutons  foi  à  ces  témoignages  lorsqu’il  s’agit  de  faits  guerriers  
masculins, aussi nous pourrions réfléchir plus avant sur la vérité qui sous-tend à
ces  rapports  de  fait,  qui  même  s’ils  ne  peuvent  qu’être  emprunts  des  exagérations  
du  mythe  (les  témoins  n’ont  pas  connu  les  acteurs),  sont  sûrement  le  résultat  d’un  
phénomène bien connu des traditions orales, le mythe tissé sur un fait historique.

Un autre exemple de Reine historique nous est donné par Cartimandua.


Cartimandua est reine des Brigantes entre 50 et 60 après J.C. Même si son rôle
n’est  pas  très  honorable  (elle  livra  le  roi  Celte  Caratacus  après  qu’il se fut réfugié
chez elle et  pactisa  avec  Rome)    elle  porte  jusqu’à  nous  la  preuve  de  la  royauté  
femme, dans le sens celtique du terme.

Une autre héroïne nous est connue par Plutarque et a pour nom Camma138.
Camma était une prêtresse dont le mari avait été tué par un quidam qui la désirait.
Impuissante   à   lui   échapper,   elle   résolut   de   l’épouser,   mais,   le   jour   des   noces  
avant de boire la coupe sacrée, elle y versa du poison et l’entraîna  avec elle dans
la mort.
Titie Live,  rapporte  lui,  l’histoire  de  Khiomara139. Khiomara était tombée aux
mains  d’un  centurion  romain  qui  l’avait  violée.  Animée  par  le  désespoir,  elle  ne  
pensait  plus  qu’à  venger  son  honneur.  Elle  parvint  à  faire  tuer  l’officier,  lui  coupa  
la tête, la porta à son mari. Celui-ci  s’écria  « ô Femme, que la fidélité est une

137 Dion Cassius, Histoire romaine, 62, 6-7,  in  l’arbre  celtique,  Patrice  Lajoye
138 Ou Chiomara, Plutarque, Vertu des femmes, II
139 Tite Live, XXXVIII, 24

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belle chose ! ». Elle répondit « Ce  qui  est  plus  beau  encore,  c’est  de  pouvoir  
dire :  deux  hommes  vivants  ne  se  vanteront  pas  de  m’avoir  possédée. »
Tout comme dans les textes de lois  de  l’ancienne  Irlande,  nous  pouvons  constater
que de tous temps, certains hommes tendent à violenter le corps des femmes. A
cela près que la loi les protège et leur permettent, le cas échéant, de se venger
elles –mêmes.  Le  viol  n’est  pas  une  acceptation de leur condition, ne serait-ce
que par le silence et la soumission. La mort vaut mieux que le déshonneur.
Bernard Félix, dans son ouvrage Iseult  et  ses  sœurs  celtiques - essai sur la liberté
du choix amoureux140, aurait pu étayer encore plus ses analyses en y joignant ces
témoignages quasi-historiques de la liberté du choix amoureux des femmes
celtes.

Cependant  ne  nous  y  trompons  pas,  il  ne  s’agit  pas  de  furies,  il  ne  s’agit  pas  de  
guerrières qui se comportent comme des hommes.

Graine, Deirdré, Iseult, Guenièvre

Les héroïnes précédentes, reines ou guerrières, ou simples femmes à la volonté


bien trempée véhiculent une image de femme souveraine, en soi, libre et forte.
Elles  ne  sont  pas  sans  faire  penser  aux  sœurs  qui  les  suivront  dans  la  littérature  
médiévale et font le ravissement de la matière celtique dans son ensemble. La
notion de destinée assumée et jouée sur le mode féminin est tout dans la lignée
de la femme « souveraine ». De cette souveraineté que nous connaissons
parfaitement bien dans la structure  du  monde  et  de  l’esprit  celtes.

« L’influence  celtique,  même  quand  elle  a  été  masquée  par  d’autres  tendances,  
n’est  pas  aussi  inexistante  qu’on  le  croit  aujourd’hui.  Notre  civilisation  ne  s’est  
pas totalement dégagée des légendes qui ont fondé celle qui  l’a  précédée  sur  nos  
terres  occidentales.  Nous  ne  vivons  pas  que  de  l’héritage  juif,  grec  ou  latin.  Les  
mythes celtiques restent riches et ont trouvé dans notre littérature une vie sous-
jacente. »141

140 Coop Breizh, 1995


141 Bernard Felix, Iseult  et  ses  sœurs  celtiques, Coop Breizh, 1995, p 15

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Différentes versions des contes, ont laissé filtrer quelques traces de ces femmes
guerrières et souveraines quant à leur destinée :
« Quand  à  Deirdré,  elle  n’a  pas  toujours  connu  la  fin  misérable  que  nous  avons  
dite. Certains textes la font mourir les armes à la main, en même temps que les
fils  d’Uisliu. […] Au lieu de se lamenter sans cesse sur la prophétie de Cathbad,
Deirdré agit, combat, se rebelle. Et dans cette rébellion contre les appétits du
roi, elle vit quelques années exaltantes, merveilleuses. Ce succès temporaire,
cette   lutte   farouche,   jusqu’au   bout des possibilités que la vie lui ouvre, ce
dépassement   de   soi   qui   est   l’idéal   des   meilleurs   des   guerriers,   toutes   ces  
caractéristiques nous éloignent des plaintes plus ou moins régulières des héros
et des héroïnes des tragédies grecques qui se laissent porter par leur destin. »
142

Ces héroïnes portent en elles toutes les caractéristiques des déesses celtes, de la
féminité celtique.

Morrigane

Morrigane,  contrairement   aux  idées  reçues,  n’est  pas  à  proprement  parler  une  
déesse de  la  guerre.  Elle  y  préside  par  la  mort  qu’elle  symbolise,  les  corbeaux  
sont  son  voile  de  nuit,  mais  elle  n’est   pas  La   guerre.  Elle  l’est   moins  que  ses  
consœurs Bouddica et Andrasta qui, elles, nous   l’avons   vu, président à la
victoire.

« En fait chaque fois  qu’elle  apparaît,  la  déesse  – Bodh ou Morrigu - emprunte
une  nouvelle  forme,  ces  manifestations  animales  sont  autant  d’indications  de  ses  
possibilités. Il semble dérisoire de la réduire purement et simplement à une
déesse guerrière car ses activités dépassent nettement le cadre du champ de
bataille. »143

142
Ibid, pp 25 - 27
143
Véronique Guibert De La Vaissière, Les   Quatre   fêtes  d’ouverture   de   saison  de   l’Irlande   Ancienne,
Armeline, 2003, p 126

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Nous   la   retrouverons   donc   plus   précisément   dans   l’étude   de   la   mort   et   des  
métamorphoses.

La souveraineté et le royaume

La souveraineté   celtique   est   un   trait   parfaitement   bien   connu   aujourd’hui,   il  


s’agit  de  la  fonction  féminine  de  transcender  la  « Terre », le « Royaume », terre
dont le roi doit faire « bel servitude ».  C’est  sous  cet  angle  que  le  féminin  est  
compris, comme la fécondité de la terre celte.

« C’est   dans   toutes   les   civilisations, y compris dans la nôtre, un véritable


leitomtiv, une rengaine obsédante de mettre en parallèle productions de la terre
et   production   de   la   femme,   de   faire   dépendre   l’une   de   l’autre,   au   « sens
religieux » (Dictionnaire des Symboles, P 625) dit van Der Leeuw144. Eliade
résume des pages de déclarations savantes en une ligne : « La fécondité de la
femme influe sur celle des champs ;;  l’opulence  de  la  végétation  aide  à  son  tour  
la femme à concevoir »145

Ce  trait  n’est  semble-t-il pas caractéristique de la tradition celtique, il se retrouve


un  peu  partout  dans  le  monde.  C’est  la  fonction  féminine  par  essence  de  mère  
nourricière. Cependant nous devons porter notre l’attention  sur  le  fait  que  cette  
fonction est très révérée en pays celte, y compris en Gaule où furent trouvés de
nombreux témoignages de ce culte. La révérence accordée à la fécondité
terrienne est une projection de la fécondité cosmique, c'est-à-dire spirituelle. Ne
perdons jamais de vue que  dans  l’esprit  celte  le  spirituel  est  toujours  sous-jacent
au profane.

« Par les sculptures, les dédicaces en latin, retrouvées en Gaule, les récits
légendaires, nous savons que le féminin, compris comme source de fécondité,

144 (Van Der Leeuw, La Religion, P78, in Jean Paul Roux, La  Femme  dans  l’histoire  et  les  mythes, Fayard,
2004 p 225
145 Ibid p 225

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est révéré en ce que donnant la vie, il assure la fécondité cosmique. Les
personnages  représentés  portent  des  paniers  de  fruits,  des  cornes  d’abondance  
ou tiennent des enfants sur leurs genoux. Le dieu au maillet Succelos est
accompagné de sa parèdre, Natosuelta ; Loxovius de Brixia, Bormo de Damona.
Mais donnant la fertilité, ils confèrent aussi la puissance. Les héros guerriers
irlandais  ne  peuvent  être  rois  que  par  l’accord  d’une  femme,  mortelle  ou  déesse,  
que par mariage avec celle qui incarne la souveraineté. »146

La fonction sous un jour celtique engendre une royauté très caractéristique, qui
n’a   rien   à   voir   avec   la   notion   de   roi   telle   que   nous   la   connaissons   depuis   les  
Mérovingiens, ni avec la « royauté - absolue » que nous connaissons depuis le
Haut Moyen–Age et la Chrétienté. Le roi celte est celui qui reçoit la royauté que
lui accorde la Reine. De fait il y avait plusieurs types de rois :
Il est un roi, de plusieurs rois/
[…]  la  hiérarchie  administrative  est  verticale,  représentée  d’ailleurs  par  un  seul  
personnage, le « roi » :
Au sommet de la hiérarchie
- L’ardri  ou  « haut roi », ou « roi suprême »  d’Irlande,  siégeant  à  Tara,  
dans la province centrale du Mide
- A la tête de chaque « province » ou « cinquième » :
- - le Rí ou roi siégeant dans la capitale de chacune des quatre
« provinces » périphériques
- A la tête de chaque Canton, le ri ruaithe ou « roi de canton »
[…]  Il  a  dû en  aller  de  même  en  Gaule  …147

Les anciennes  lois  d’Irlande148 ont, elles aussi, laissé de nombreuses traces de ce
roi archaïque défini par des obligations légales, dont le non-respect peut
entraîner  une  perte  de  son  statut.  La  conséquence  naturelle  de  l’infraction  du  roi  
aux lois qui lui incombent est la stérilité de la terre149, ainsi qu'une instabilité
politique.  Le  roi  se  devait  d’observer  la  loi  comme  tout  autre  membre  de  la  tribu  

146 Agnès Audibert, la Femme en Bretagne, Gisserot, 1993, p 24


147Guyonvarc’h,  La société celtique, Ouest France p 124
148 Livres  de  lois  d’Irlande  Senchus Mor. du 7ème au 10ème siècle, le Llyfr Gwyn Rhydderch, le "Livre

Blanc de Rhydderch" et le Llyfr y Damweiniau,


149 Tel le roi pécheur du conte du Graal

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(túath),   même   s’il   pouvait   se   faire   représenter   par   une   sorte   de   "substitut150"
(aithech fortha).
Nous sommes donc bien loin du « roi absolu » tel que nous l’ont  transmis  Charles  
VII,  Louis  XI,  Louis  XIV,  roi  absolu  et  divin,  centralisation  d’un  pouvoir.   Le
but  ultime  reste  pour  le  roi  celte,  d’agir  dans  les  règles  d’un  schéma  d’une  société  
tripartite, société structurée à partir de la vision théophanique des Celtes. Si le
rôle  d’un  roi  Franc,  Carolingien,  Valois,  Bourbon,  roi  de  pouvoir  personnel,  est  
de rendre le royaume fort, contre un ennemi, celui du roi celte consiste à garder
l’équilibre,  faire  prospérer  le  royaume,  le  rendre  fécond  dans  un  rapport  premier
avec la « nature »   et   l’interdépendance   qui   en   découle.   Cette   nature   est   par  
essence liée au roi par la « Souveraineté », la déesse, la « Reine » :
« [La  souveraineté]…  […]  elle,  est  la  conjonction  de  l’autorité  spirituelle  et  du  
pouvoir temporel. C’est  avant  tout  un  point  d’équilibre  et  d’harmonie  que  nos  
contemporains ont le plus souvent quelque peine à comprendre. »151

Cette  différence  est  de  taille,  elle  met  le  roi  celte  au  service  d’une  communauté  
(Plaire aux dieux pour  qu’ils  soient  généreux),  le roi « absolu » lui est au service
du pouvoir politique de « son » propre règne.

Revenons à la souveraineté qui est la compagne du roi des Celtes :

Dans la version de Dindshenchas, la jeune fille dit à Lugaid :


« Je te dirai, ô mon aimable jeune homme
Que les rois suprêmes partagent ma couche
C’est  moi  qui  suis  la  jeune  fille  gracieuse  et  svelte
La  Souveraineté  d’Ecosse  et  d’Irlande. »152

Mebd, que nous verrons en détails plus loin, représente  aussi  cette  royauté.  N’est  
Roi que celui à qui se « donne » la souveraine : « tant que Medb ne dormit pas
avec  lui,  Cormac  ne  fut  pas  roi  d’Irlande »

150 Personne de bas rang dépendant du roi qui peut être saisi sans affecter l'honneur du roi. Si le roi n'a pas
de tel « manant-substitut », le plaignant peut alors saisir le roi, mais seulement par une procédure très
particulière.
151Guyonvarc’h,  Leroux, La Société Celtique, Ouest France, p 136
152 Niall aux Neuf Otages, Agnès Audibert, la Femme en Bretagne, Gisserot, 1993, p 25

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Car   il   est   nécessaire   pour   que   le   roi   soit   roi   qu’il   ait   pour   épouse   une  
« souveraine » disponible ! Sans elle il est « gaste ».  C’est  un  jeu  subtil  entre  elle  
et  lui.  Une  terre  stérile  ne  l’est  que  parce  qu’un  roi  ne  la  féconde  pas,  mais  le  roi  
ne peut féconder la reine que si elle le choisit pour cela. Cette disponibilité, nous
le verrons correspond à la notion de virginité. Nous retrouvons clairement le jeu
dévolu en soi, de la conscience et de la psyché, qui séparées, engendrent les
névroses, mais complices et unies proposent la transcendance L’union  du  roi  et  
de  la  reine  peut  imager  l’union recherchée en psychologie analytique, amenant
l’individu  vers  le  processus  d’individuation,  si  cher  à  Jung :
« L’union   des   opposés est à la fois la force qui provoque le processus
d'individuation et son but ». 153

Dans  l’homme  et  ses  symboles  il  ajoute :


« Plus la conscience se trouve influencée par des préjugés, des erreurs, des
fantasmes, et des désirs puérils, plus s'élargit le fossé déjà existant jusqu'à la
dissociation névrotique, amenant une vie plus ou moins artificielle, très
éloignée des instincts normaux, de la nature et de la vérité.» 154

En quelque sorte nous retrouvons le schéma de base du royaume  stérile  d’un  roi  
pécheur, dans le conte du Graal. Ce royaume dont le roi ne peut féconder la terre,
de  par  sa  blessure  à  l’aine,  symboliquement  sa  virilité.  

De  la  souveraine  à  la  guerrière  il  n’y  a  qu’un  pas.  D’ailleurs nous ne savons pas
si les princesses des tombes historiques sont des reines ou des princesses, mais
elles  sont  affublées  d’un  titre  de  guerrière,  à  partir  du  moment  où l’on  trouve  des  
armes dans leur tombeau.
Quoiqu’il  en  soit,  nous  savons  que  les  « fonctions » celtes, transposées dans la
société ne génèrent pas de « classes », ni de cloisonnement hermétique. Au
contraire   la   nature   de   l’esprit   celte   repose   sur   la   fluidité,   la   souplesse   et   les  
passerelles entre les niveaux, les fonctions, les classes et les différents mondes.
La frontière est toujours mince, ainsi en est-il de la vie et de ses manifestations.

153 C.G. Jung, Les Racines de la Conscience, p.331, p. 134


154 C.G. Jung " L'homme et ses symboles ", Robert Laffont, 1964 p 49.

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Ainsi la frontière entre reine et guerrière est tout aussi franchissable que les
autres dans la mesure où la royauté est liée à la guerre.

« La Souveraineté, de nature féminine, est chez les Celtes la condition préalable,


indispensable,  à  la  fécondité  qui  assurera  la  prospérité  d’un  règne.  Mais  cette  
souveraineté, productrice, pourrait–on   écrire,   c’est-à-dire pourvoyeuse de
bienfaits multiples et aussi guerrière, à la fois combattante et royale :  c’est  ainsi  
que  s’explique  le  nombre  important  de  reines  guerrières,  de  déesses chefs des
armées. Et les deux fonctions « maternelle » et guerrière ne sont pas
incompatibles,  auxquelles  s’ajoutent, indissociablement liées l’accomplissement  
de la souveraineté, celle sacerdotale et voyante, c'est-à-dire satiriste et de
prophétesse. »155

Nous pouvons constater aussi dans les mythes le glissement de la fonction


souveraine à la fonction guerrière. Macha en est un exemple tout particulier :
« Macha  est  guerrière.  Fille  d’un  Roi  d’Irlande,  Aed  le  Rouge,  elle  conquiert  la  
royauté et a raison de ses ennemis par les armes, son surnom « Grian » c'est-à-
dire « Soleil » rappelle son  essence  divine.  Son  mari  Cimbaeth  n’est  que  le  chef  
des troupes. »156

Arianrot en est un autre :


« La princesse Aranrot dirige le territoire appelé Kaer Aranrot. Elle conduit les
armées,  il  est  d’ailleurs  écrit  que  les  gens  de  l’île  ne  se  seraient jamais assemblés
en  pareil  nombre  pour  personne  d’autre  qu’elle. »157

Mebd  en  est  sans  doute  l’exemple  le  plus  parlant :

155 Agnès Audibert, la Femme en Bretagne, Gisserot, 1993, p 26


156 Ibid
157 Ibid

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Mebd

Mebd est « la » reine celte par excellence, la souveraine. Elle possède tous les
traits de ces fonctions, mais aussi la preuve par ses actes, de son statut, de son
pouvoir et de sa réalité. Elle a des droits et des biens, elle se confronte à son
mari, engage une guerre.

Mebd est la reine héroïne dans « La raazzia des vaches de Cuanlgé ». Ce récit
est  celui  de  l’affrontement  entre  deux  provinces  d’Irlande,  l’Ulster  dont  le  roi  est  
Conchobar, et le Connemara dont Medb est justement la reine. La défense de
l’Ulster  est  assurée  par  son  champion  Cuchulain.  A  lui  seul,  il  doit  faire  face  aux  
troupes de la reine Medb, parce que les autres guerriers  de  l’Ulster  sont  frappés  
d’impuissance  par  suite  de  la  malédiction  de  Macha.  Cuchulain  est  le  plus  fort  
et  aucun  des  combattants  qui  s’opposent à lui ne parvient à égaler ses prouesses.
Contre   Cuchulain   s’alignent   cependant   nombre   de   valeureux   combattants, en
particulier  Fergus,  l’ancien  roi  de  l’Ulster,  détrôné  par  les  astuces  de  la  mère  de  
Conchobar  et  brouillé  avec  ce  dernier.[…]  Dans  le  Connemara  la  souveraineté  
est partagée entre le roi Aillil et la reine Medb. Aillil signifie « fantôme ». Il n’a  
été  choisi  par  elle  que  parce  qu’il  était  dénué  de  crainte,  d’avarice  et  de  jalousie.  
Medb signifie « ivresse ». L’affrontement  entre  les  deux  peuples  de  l’Irlande  fait
suite au vol, sur  ordre  de  la  reine,  d’un taureau, le « Brun de Cualnge », parce
qu’au   cours   d’une   dispute   sur   l’oreiller où Medb et Aillil comparent leurs
apports respectifs dans le mariage afin de déterminer qui a la préséance sur
l’autre,  Medb  constate  que  ses  biens  égalent  en  tout  les  biens  de  son  mari,  sauf  
en ce qui concerne le taureau : Aillil possède ce taureau magnifique, « le Beau
Cornu »,  et    Medb  ne  peut  faire  preuve  d’une  possession  équivalente ; or elle
tient  à  montrer  que  c’est  elle  la  plus  riche    et  qu’elle  est  donc  l’origine  du  pouvoir  
dans  ce  pays.[…]  A  la  fin  de  l’histoire, le royaume de Connemara, semble avoir
perdu  et  l’Ulster  a  conservé  son  indépendance.  Cependant,  l’objet  du  litige,  le  
fameux taureau convoité par Medb, lui reste acquis, et gagne au combat le
taureau  d’Aillil. De son côté Cuchulain meurt.

Page 69
« C’est  cette dispute qui doit retenir. Elle éclaire le personnage de Medb, qui,
même   si   elle   est   en   réalité   un   peu   moins   riche   qu’Aillil,   détient   réellement   le  
pouvoir, prend les décisions pour le couple, recrute des troupes et les dirige. »158

Soit ! Les choses sont claires sur ce point et ce texte sert de base à de nombreuses
analyses au sujet de la souveraineté celtique. Il est assurément très instructif tant
sur la réalité de la femme dans la société celte, que sur ses pouvoirs politiques et
guerriers. Sur un plan  plus  spirituel,  il  indique  tout  aussi  clairement  que  c’est  le  
tandem  reine/roi  qui  assure  la  réalité  d’un  « royaume »  et  que  si  l’âme  n’est  pas  
mise  à  égalité  avec  le  roi  intérieur,  il  s’ensuit  une  quête  d’équilibre  qui  peut  être  
aussi  douloureuse  qu’un  état  de  guerre.  L’étude  détaillée  de  cette  guerre,  le  rôle  
clé de Cuchulain et sa place de héros serait une étude à part entière non dénuée
d’intérêt  mais  qui  ne  trouve  pas  sa  place  ici.  
Ce  que  nous  pouvons  noter,  et  qui  entre  tout  à  fait  dans  l’étude  qui nous intéresse,
c’est  l’absence  d’un  jugement  de  valeur  dans  un sens  manichéen  de  l’histoire.  A  
la lecture de cette saga, nous sommes bien incapables de dire qui est le
« méchant » et qui est le « gentil ». Bien sûr Cuchulain a  souvent  l’avantage,  de  
par sa flamboyante épopée, cependant Medb de par sa puissance et sa liberté,
son  intelligence,  ne  peut  nous  laisser  insensibles.  Elle  n’est  pas  une  « méchante
reine ».  La  couche  dualiste,  l’ombre  qui  couvre  la  déesse n’a  pas  encore  posé  
son voile sur le mythe. Nous pouvons aisément voir que cette énergie qui pousse
à  se  surpasser,  et  qui  peut  souvent  ressembler  à  la  guerre,  qui  cherche  l’équilibre  
de   richesse   en   soi     n’est   ni   mauvaise,   ni   méchante,   elle   est.   Elle   est   forte   et  
indestructible, elle doit être canalisée et confrontée au héros de notre conscience
afin   de   parvenir   à   l’épanouissement   de   tout   le   royaume.   Voilà un certain
raccourci, qui pourtant me semble une parcelle de lecture tout à fait intéressante.
Avant les méchantes fées de nos rêves, les mythes celtiques nous offrent le
visage des déesses obscures dans toute leur beauté et leur nécessité.

158 Bernard Felix, Iseult  et  ses  sœurs  celtiques, Coop Breizh, 1995, p 38

Page 70
La Mère divine

La Mère divine est la désignation de celle qui est la Mère de Dieux, la Mère des
Hommes, la Mère du cosmos, la Mère Première. En effet il existe une vision du
monde qui, non   pas   sortie   d’une   « intelligence »   divine,   d’un   front   divin,  
essentiellement masculin (le Dieu), est  issue  d’une  masse :
« La  plupart  des  grandes  civilisations  ont  imaginé  l’univers  primordial  comme  
« une masse compacte et   homogène   dans   laquelle   aucune   forme   n’était  
discernable. »159

« Comme un tout auquel on donne en général, à la suite des Grecs, le nom de


chaos, par opposition au cosmos, le monde organisé. Certaines, comme celles
de Mésopotamie, considèrent que « seule une  matière  indifférenciée  s’étendait  
de toute éternité » 160

Ovide :
« La  nature,  sur  toute  l’étendue  du  monde,  n’offrant  qu’une  apparence  unique,  
ce  qu’on  appelle  chaos,  masse  informe  et  confuse » 161

Cette  masse  qui  toute  indifférenciée  qu’elle  soit  a  tout  d’un  ventre  de  mère,  une  
« matrice » :
« Ce serait la tâche des  philosophes  d’expliquer  ce  qu’avait  pu  être  cet  abîme,  
la masse informe des éléments mêlés, diraient-ils en général avec les Stoïciens.
D’autres   au   contraire   le   verraient   comme   une   matière première portant vie,
possédant   en   puissance   l’avenir   de   tout   ce   qui   serait : « ce monde antérieur
contient  en  lui,  mais  à  l’état  latent  […]  toutes  les  matières  premières  qui  vont  
être  mises  en  œuvre  pour  la  création » (Sauneron et Yoyotte, La Naissance,, SO,
I  ,  P  211)  disent  les  Egyptiens.  Souvent  on  se  le  représente  comme  un  œuf,  donc  
une cellule vivante, une matrice. »162

Les mondes les plus archaïques ont les traces de cette antériorité de croyance :

159 Mircea Eliade, Méphistopheles, p 142 - 143


160 Jean Paul Roux, La  Femme  dans  l’histoire  et  les  mythes, Fayard, 2004 p 216
161 Ovide, Métamorphoses, I
162 Jean Paul Roux, La  Femme  dans  l’histoire  et  les  mythes, Fayard, 2004 p 216

Page 71
« Dans la Grèce archaïque Hésiode affirme l’antériorité   de   la   terre   et   ses  
fonctions de mère. « Alors Gaia donna naissance à Ouranos égal à elle-même
afin   qu’il   l’enveloppe   de   toutes   parts.   (Hésiode,   Théogonie).   Dans   une   telle  
vision, le principe féminin est antérieur au principe masculin : la femme a la
primauté  sur  l’homme. »163

Nous touchons là la plus vieille des croyances, mais aussi la plus mystérieuse.
Nous parlons « du mystère », car le seul et unique mystère se trouve bien dans
ce Graal, ce ventre de Mère, ce ventre de Terre, ce ventre de femme, ce secret
que   personne   ne   pourra   jamais   percer,   car   il   dépasse   l’entendement   de   nos  
cerveaux. Ce secret qui fascine, qui envoûte, qui nous remplit d’amour  ou  de  
terreur :
« Comment peut-elle transformer la graine semée en une multitude de graines,
ou en faire naître un buisson, un arbre ?  On  se  trouve  au  seuil  d’un  angoissant  
mystère   car   nul   ne   peut   répondre   à   ces   questions.   C’est   ce   même   angoissant  
mystère  que,  pour  l’homme, représente la femme. »164

Ce mystère par son essence même porte en lui la terreur  que  l’on  accorde à tout
ce  que  l’on  ne  connaît  pas.  Ainsi  peut  se  traduire  l’imagerie  terrifiante  qui  suit  
pas  à  pas,  la  féminité  dans  ce  qu’elle  a  de  plus  obscur:  la  terrible  Lilith,  ou  très  
exactement chez les Grecs « Nuit » :
« Terre a existé dès le premier commencement juste après Abîme – au tout début,
la  faille  ou  la  fente,  désignée  au  neutre,  s’en  est-on avisé ? -, et elle a enfanté
Ciel (Ouranos) moins comme un fils (il en est un) que comme un partenaire
« égal à elle-même »,   cependant   qu’Abîme   donnait   naissance   à   Nuit.   Mais  
comme si le premier temps était un temps pour rien, tout va désormais se jouer
entre  Terre  et  Nuit.  Terre  n’a  pas  plus  tôt  enfanté  un  être  capable  de  la  couvrir  
toute  entière  que  déjà   elle  s’unit   à  lui dans  l’amour.  On  connaît  la  suite : la
procréation  d’enfants  terribles  que  le  père  prend  en  haine  et  repousse  dans  les  
profondeurs de la mère, laquelle gémit, et poste en embuscade son dernier né,
Kronos,  armé  d’une  serpe.  Et  Ouranos  est  châtré  La  seconde génération peut

163 Ibid, P 219


164 Ibid, p 232

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voir le jour. »  […]    « Pendant ce temps, Nuit née de la fente primordiale et qui
ne connaît que la division, enfante, sans amour, par scissiparité, une
descendance  rassemblant  tout  ce  que  les  Grecs  comptent  de  négatif.  […]  Toute  
divine et donc miraculeuse (ou monstrueuse), la parthénogenèse nocturne : loin
de tout principe masculin. Nuit a conçu et enfanté seule, cependant que Terre,
avant  de  se  révolter  contre  l’étreinte  insatiable  de    Ciel,  s’est  maintes fois unie
à  lui  dans  l’amour. »»165

Cette  notion  de  Femme   première  qui   engendre  seule  n’est   pas  un  phénomène  
observable uniquement dans une croyance mythique. Nous retrouvons
précisément   ce   modèle   dans   l’analyse   de   la   création   psychique,  
l’autofécondation  d’un  esprit  artiste :
« Un strict parallèle  existe,  en  effet,  entre  la  création  mentale  et  l’engendrement  
biologique.  Dans  les  deux  cas  vient  d’abord  le  moment  de  la  fécondation,  de  la  
conception.  Dans  la  création  mentale,  l’élément  fécondant  est  parfois  constitué  
par une simulation externe qui frappe brusquement et suscite de profondes
émotions, des sentiments intenses et met en mouvement l‘activité du
supraconscient.   […]   parfois   il   s’agit   de   stimuli   externes   multiples,   moins  
intenses,  dont  l’effet  direct  sur  le  supraconscient  agit  de  façon  telle  qu’ils  ne  sont  
même  pas  perçus  par  la  conscience  de  l’artiste.  Dans  beaucoup  d’autres  cas,  
l’inverse,  le  stimuli  déterminant  n’est  pas  externe  mais  interne ; il est constitué
de   tendances,   d’impulsions,   de   sentiments,   de   problèmes   qui   s’agitent   dans
l’âme  de  l’artiste  et  qui,  ne  pouvant  trouver  d’issue  satisfaisante  ou  de  solution  
dans   la   vie,   s’expriment   dans   une   création   imaginaire   et   la   chargent   de   leur  
force motrice.[…]Le  stimuli  peut  aussi  être  de  nature  plus  haute,  à  savoir  une  
intuition vive de  la  Réalité  supérieure,  un  éclair  d’illumination  intérieur.  C’est  
arrivé   souvent   dans   les   époques   spirituelles,   où   l’art   avait   un   caractère  
religieux,  où  le  poète  était  un  prophète  et  un  voyant.  […]  Dans  des  cas  de  ce  
genre, le stimulus initiateur de la production supraconsciente est interne et on
peut   parler   d’autofécondation,   c'est-à-dire   d’un   rapport   créatif   entre   les  
différents parties, ou éléments, du même psychisme. »166

165 Georges Duby – Michelle Perrot, Histoire des femmes – L’Antiquité, Plon, 1990, p 57
166 Roberto Assagioli, le développement transpersonnel, Desclée Brouwer, 1994, p 56

Page 73
Encore  une  fois,  s’il  était  nécessaire  de  l’exposer,  le mythe représente à la fois
l’expression  d’une  idée  cosmogonique  et  environnementale,  comme  il  peut  être  
porteur  d’un  pan  historique  et  mémorial.  Cependant  il  est  tout  autant  l’expression  
d’une   réalité   intérieure, écho de nos profondes réalités. Ce phénomène de
correspondances à plusieurs niveaux de lecture du mythe, lui donne toute sa
force et sa puissance, signant son appartenance à notre éternité, et notre propre
appartenance à la Nature du monde.

Ce mystère de la fécondation et de la naissance (de la création) est chez les


Celtes, celui qui vient de la  nuit  la  plus  profonde,  l’instant  de  Samonios167 duquel
jaillira  l’année  celtique,  l’instant  obscur duquel surgira  le  jour,  l’instant  d’une  
fécondation,   dans   les   profondeurs   d’une matière. Il est parfaitement
compréhensible   que   ce   mystère   puisse   s’approcher   de   deux   manières.   Nous  
pouvons nous y abandonner en confiance, par ce que certains appellent « foi »,
ou bien le rejeter par peur de son obscurité et de son impossible approche.

« Le sens du mot fécondité va au-delà de la fertilité ; il englobe la productivité,


comme on dit que la terre est productive. Elle est cette terre noire, riche de
particules brillantes de mica, de racines sobres, de toute vie qui est passée là et
se trouve maintenant fractionnée pour former cet humus odorant. Derrière le
mot  fertilité  il  y  a  des  graines,  des  œufs,  des  êtres,  des  idées.  La  fécondité  c’est  
le milieu fondamental dans lequel sont déposées, préparées, réchauffées,
incubées et sauvegardées les graines.   C’est   pourquoi   on   appelle   souvent   la  
vieille mère par ses noms les plus anciens, Mère poussière, Terre Mère, Mère,
car de cette boue les idées jaillissent. »168

Cette Mère, qui seule ou unie au Mâle divin169 portera  l’enfant  monde  dans  son  
ensemble a par analogie des correspondances avec tout ce qui est creux, noir,
humide, terreux. La grotte en particulier.

167 Saminos  est  le  premier  de  l’an  des  Celtes  qui  se  trouve  le  1 er novembre, c'est-à-dire pour eux au
premier  jour  de  l’hiver,  comme  ils  comptaient  le  temps  en  comptant  les  nuits.
168 Clarissa Pinkola Estés, Femmes qui courent avec les loups, Grasset & Fasquelle, 1996, p 575
169 Il  est  nécessaire  d’interpréter  le  fait  que  l’Amant  est  aussi  le  Fils  dans  le  sens  où  ils  sont  de  même  nature  

divine  que  la  Mère  et  non  dans  un  sens  humain  d’inceste.

Page 74
Nous   savons   l’importance   des   grottes   dans   les   premiers   cultes   archaïques,  
lorsque  le  paysage  s’y  prête.  Que  ce  soit  Lascaux  ou  les  Trois  frères,  la  présence
de signes qui nous semblent magico religieux, engendre chez nous un ensemble
de fantasmes dont la profondeur rejoint la mémoire du monde.

« La grotte lieu sombre et humide est dans la préhistoire et largement encore


dans  l’histoire,  un  symbole  de  ventre de la mère. Son obscurité, son humidité,
sont celles de la matrice. Comme celle-ci est placée au centre du corps de la
femme, celle-là est au centre de la terre. »170

Il ne faut pas de longues tergiversations pour faire le lien entre ce lieu de nuit et
de  chaleur,  d’humidité  et  de  silence  et la symbolique de la vie et de la mort, car
enfin  quoiqu’il  arrive,  si nous sortons toujours  d’un  ventre  de  femme,  c’est  aussi  
toujours sur ou dans la terre que nous retournons à  l’heure  de  notre mort, que ce
soit sous forme de cendre ou pas.

La mer est aussi la mère et rejoint par son symbolisme au monde chtonien la
notion de mère première.

« Naissance, vie et mort ! Les mythes abondent dans toutes les religions qui
montrent à quel point la grotte  est  liée  à  tous  les  moments  de  l’existence,  mais  
les plus nombreux, les plus significatifs se rapportent à des unions sexuelles et
à des accouchements. »171

Entre la fécondation et la mort se trouve tout un ensemble de « passages »,


comme le coït, la naissance, le passage des âges, le mariage, la mort, passages
auprès desquels la femme tient un rôle capital dans la tradition. Nous aurons
l’occasion  de  revenir  en  détails  sur  ces  caractéristiques  dans  les  chapitres  leur  
correspondant.

Pour les Celtes, la déesse Mère, celle que les Grecs nommaient Gaïa a pour nom
Dana, ou Ana.

170 Jean Paul Roux, La Femme  dans  l’histoire  et  les  mythes, Fayard, 2004 p 226
171 Jean Paul Roux, La  Femme  dans  l’histoire  et  les  mythes, Fayard, 2004 p 226

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Dana

Dana ou Ana, est parfaitement bien connue par le Glossaire de Cormac :


« Dana ou Ana, c'est-à-dire la mère des dieux d’Hibernie.   C’était   elle   qui  
nourrissait les dieux dont ils tirent leur nom : Ana, c'est-à-dire abondance172»
Deux  collines  à  l’ouest  de  Luachair  portent  le  nom  des  « Seins de Dana » (Da
Chich Ana, The paps of Anu)
« Cela  exprime  avec  toute  la  clarté  désirable  qu’elle  est  la  Terre  Mère  qui  donne  
au Munster la  fertilité  et  non  pas  au  Munster  seulement,  mais  à  toute  l’Irlande,  
l’île  en  effet  s’appelle  iath  Anann »173

On la retrouve peu dans les mythes et les contes sous ce nom. Par contre elle est
restée  très  présente,  par  l’importance  qu’elle  avait  dans  la  psyché humaine, sur
les lieux de cultes et ce sur tout le territoire celtique. Tout le monde a entendu
parler des Ste Anne en Bretagne, mais les autres régions ne semblent pas en reste
et les Ste Anne pullulent.

Dana, Danu, est Don au Pays de Galles. Elle est   l’épouse   de   Beli,   mère  
d’Amaethon,   de   Gwydion   et   d’Arianrhod,   de   Govannon.   Comme   Dana   est   la  
mère des Thuata, elle est la génitrice de la dynastie divine « des enfants de Don »
en lutte contre la famille des géants « les enfants de Llyr ».

Elle est Eriu en  terre  d’Irlande

Attachée à sa fonction terrienne, nous la connaissons aussi sous le nom de


Tailtiu. Paradoxalement en tant que déesse mère, ici elle ne donne pas la vie, elle
est  mère  adoptive  d’un  dieu  (Lugh)  qui la célébrera à travers la mort :

172 O’Donovan,  Le Glossaire de Cormac, p 4, in Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre fêtes
d’ouverture  de  saison  de  l’Irlande Ancienne, Armeline, 2003, p 223
173 Véronique Guibert De La Vaissière, Les  Quatre  fêtes  d’ouverture  de  saison  de  l’Irlande  Ancienne,

Armeline, 2003, p 223

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Tailtiu

« Selon  le  mythe,  Lug  institua  la  fête  de  Lughnasad  en  l’honneur  de  Tailtiu,  sa  
mère  nourricière  morte  aux  calendes  d’août ;;  c’est  une  assemblée  comprenant  
des jeux funéraires, un banquet, des marchés (une célébration religieuse, des
sacrifices ?).   Le   mythe   d’origine   brièvement   conté   d’Oenach   Tailten174 ou
« Assemblée de Tailtiu »  d’après  le  poème  en  54  quatrains  des  « Dindshenchas
métriques»175 et  «Le  livre  des  Conquêtes  d’Irlande »176 est le suivant : Le site
tire son nom de la reine Tailtiu, épouse du dernier roi Fir Bolg, Eocahid Mac
Erc. Lorsque celui-ci fut défait et tué à la bataille de Mag Tured, elle épousa en
secondes noces Eochaid Garb du peuple vainqueur Tuatha Dé Danann. Taitiu
était fille de Maghmor, « Grande Plaine »,  roi  d’Espagne,  ce  pays était une des
anciennes   localisations   irlandaises   de   l’Autre   Monde177. Elle fut la mère
nourricière de Lug, fils de Cian, aussi appelé Scal Balb, « Fantôme muet », et
d’Eithne,  fille  de  Balor.  Sous  son  règne  elle  fit  défricher  la  forêt  de  Coill  Chuan  
et en  un  an  la  forêt  devint  une  plaine  couverte  de  trèfles.  Elle  demanda  qu’on  
donne  son  nom  à  la  plaine  et  qu’on  l’y  enterrât.  Sa  tombe  serait  au  nord–est du
lieu   de   l’assemblée.   Elle   mourut   aux   calendes   d’août. Lug institua des jeux
funéraires annuels qui devaient se tenir quatorze nuits avant et quatorze nuits
après « Lughansad ».
Un  autre  récit  suggère  qu’elle  était  captive  accomplissant  un  travail  forcé  et  que  
le   dur   labeur   (de   défrichage)   fut   cause   de   sa   mort.   Les   hommes   d’Irlande  
s’assemblèrent   sur   son lit de mort et elle leur demanda de tenir des jeux
funéraires pour la pleurer.»178

Quelque soit la version choisie, nous pouvons voir Tailtiu en tant que mère
adoptive, comme la mère « spirituelle »,    celle  venue  de  l’Autre  monde,  fille  du  
roi  de  l’Autre  Monde. Elle « guide » et inspire un dieu tel que Lugh qui est un

174 Tailtiu génitif Tailen


175 The Métrical Dindshenchas, éd Gwynn, IV, p 146 – 162, in Véronique Guibert De La Vaissière, Les
Quatre  fêtes  d’ouverture  de  saison  de  l’Irlande  Ancienne, Armeline, 2003, p 528
176 Lebor Gabala Erenn, éd Macalister, IV, p 116, in Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre

fêtes  d’ouverture  de  saison  de  l’Irlande  Ancienne, Armeline, 2003, p 528
177 F Le roux, Ogam XIV, p 344 – 348, in Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre fêtes

d’ouverture  de  saison  de  l’Irlande  Ancienne, Armeline, 2003, p 528


178 Véronique Guibert De La Vaissière, Les   Quatre   fêtes   d’ouverture   de   saison   de   l’Irlande   Ancienne,

Armeline, 2003, p 528

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dieu majeur du panthéon celte, de par sa position de « polytechnicien ». Elle
« produit », fertilise la terre et la couvre de trèfles, elle sème dans la conscience.
Lugh   ne   permet   pas   d’oublier   ça,   fort   de   cette   éducation   féconde,   alliée   à   sa  
propre nature obscure de par ses parents (son grand-père maternel est Balor, dieu
Fomoré, forces obscures et ombres, et son père a pour nom « fantôme muet »
caractéristiques des revenants dans les croyances traditionnelles). Tailtiu est
alors   l’inspiration   divine,   cette   sorte   d’intuition   magique   qui   porte   dans   son  
sillage fertilité et générosité. Sa mort ne doit pas être oubliée mais célébrée, car
elle   symbolise   la   naissance   d’un   autre   niveau.   Nous   verrons   que   les   déesses,
reines des métamorphoses, se régénèrent et se rendent éternellement disponibles.

Si nous regardons de plus près la  description  d’une  célébration  proche de celle


de Lughnad, de nombreux points éclaircissent cette analyse :
« Voilà  ce  que  le  File  (Cuan  O’Lothchain)  du  roi  en  titre  (Maelsechlainn)  relate  
de  l’Oenach (Autre célébration que celle de Tailtiu, qui avait lieu à Carman, où
il est aussi question  d’une  femme)  tel  qu’il se tint en 1006. Après avoir raconté
le  mythe  d’origine  cinq  quatrains  décrivent  l’assemblée,  ses lois, ses règlements,
ses obligations :

1. Elle a fait une prophétie véritable. Tailtiu au côté brillant dans son pays ;
aussi longtemps  qu’un  prince  la  reconnaîtrait,  l’Irlande  ne serait pas sans
perfection de chant.
2. Une   assemblée   avec   de   l’or,   avec   de   l’argent, avec des jeux, avec de la
musique,  des  chars,  avec  l’ornement  du  corps  et  de  l’esprit  par  le  savoir  et  
l’éloquence.
3. Une assemblée sans blessures, sans mensonges et quiconque, sans injure,
sans querelle, sans pillage, sans contestation, sans réclamation, sans
assemblée légale, sans évasion, sans arrestation
4. Une assemblée sans reproche, sans ruse, sans injure, sans honte, sans
dispute, sans saisie, sans vol, sans rachat.
5. Les hommes ne vont pas au terre-plein des femmes, les femmes ne vont pas
au terre-plein des hommes beaux et purs, mais chacun est à la place de son
rang  à  l’endroit  de  la  grande  assemblée.

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6. C’est  la  grande  amitié  de  l’assemblée  – par  l’Irlande  et  l’Ecosse  – que les
hommes y aillent et viennent, sans aucune inimitié méchante.
7. Blé  et  lait  à  chaque  hauteur,  paix  et  beau  temps  à  cause  d’elle,  ont  été  donnés
aux tribus des Grecs : pour maintenir la justice …179

1 : Tailtiu fait des prophéties, qui est un pouvoir magique et elle présente les
caractéristiques des déesses de la souveraineté telles que nous les avons vues
précédemment à savoir que ce sont les reines qui légitiment le roi en son
royaume.
2 : Or et argent forment la complétude du soleil et de la lune, astres lumineux et
tous deux pouvant être rattachés aux déesses.  Nous  aurons  l’occasion  de  revenir  
sur ce point avec la Reine du Ciel et la Reine des Fantômes. Les jeux, la musique,
les  ornements,    l’esprit sont  autant  d’attributs  de  la  déesse Brigid,  que  j’ai  choisi  
de présenter à travers son profil de lumière, déesse des Arts, dans le chapitre
suivant.
3, 4, 5 : soutiennent que le moment de la célébration soit placé dans un espace-
temps sacré, non soumis aux  travers  du  monde  profane.  Mais  tout  aussi  vrai  qu’il  
ne  doit  pas  s’y  produire  les  « fautes » majeures que sont le mensonge, le vol et
la trahison.180
6 : C’est  à  Lughnasad  (célébration celtique du 1 er août) que se font les mariages
ou les contrats. On y connaît les espaces des épousés. Dans ce cadre il est tout à
fait  nécessaire  qu’il  existe  un  moment  de  séparation  claire  entre  les  deux  sexes.
19 Le blé se lie lui aussi à la fécondité de la terre, à la souveraineté, à la déesse
que nous connaissons alors sous le nom de Brigid

Déjà nous pouvons saisir la difficulté de cerner les déesses des Celtes tant leurs
visages   sont   moirés   comme   un   voile   brillant.   D’une   fonction   elles   glissent   à  
l’autre  et  lorsque  l’on  pense  les  saisir  dans  une  particularité  elles  sont déjà dans
un autre rôle, jamais tellement différent, jamais totalement opposé, mais autre
face de son essence et de son caractère.

179 Ogam XIV, p 345, in Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre  fêtes  d’ouverture  de  saison  de  
l’Irlande  Ancienne, Armeline, 2003, p 528
180 Ces  trois  fautes  majeures  se  retrouvent  dans  l’histoire  du  druide Nédé, qui ayant trahit son Roi, lui

ayant  Ravi  sa  Reine,  voulu  régner  à  sa  place  et  fut  tué  par  un  éclat  de  rocher  qui  creva  son  œil  de  druide.  
Le symbole est clair, dans la mesure ou le Druide est celui qui « voit ».

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Boan

Boand est bo vinda, la « vache blanche ». Sans faire de comparatisme outrancier


nous pouvons voir en cette dénomination, la femme des premiers temps, la
femme bison des amérindiens.  Boand,  est   l’éponyme  de  la  Boyne  et   mère  du  
dieu, Mac Oc ou Oengus, fruit de son adultère avec le Dagda. La légende raconte
qu’après  sa  relation  elle  alla  à  la  source  magique  de  la  Segais  pour  se  purifier.  
Mais  l’eau  de  cette  source  brûlait  comme  le  feu  et  nul  ne  pouvait  en  approcher  
sans  l’accord  de  son  propriétaire,  Nechtan.  Boand, fait le tour de la source dans
le  sens  contraire  de  la  marche  du  soleil.  L’eau  jaillit  et  lui  ôte  un  œil,  un  bras  et  
une  jambe.  Elle  s’enfuit  et,  poursuivie  par  l’eau,  provoque  par  sa  course  jusqu’à  
la mer le jaillissement de la Boyne.
Bien entendu, vous n’allez  pas  attendre  de  ma  part  une  analyse  d’adultère,  de  
culpabilité et de punition, non, je tente de remonter aux sources, là où le
jugement  de  dieu  ne  se  porte  pas  sur  des  raisons  morales,  où  le  système  de  l’ordre  
des choses ne passe pas par la punition. Le châtiment ne fait pas partie de la
pensée celtique qui cherche un équilibre et non la victoire de  l’un contre l’autre.

« On   livrait   l’homme   à   terre,   non   pas   pour   par   châtiment   – la notion de


châtiment   est   d’ailleurs  étrangère  à  la   religion   celtique   – mais à seule fin de
rétablir un équilibre mystique »181

Sur un plan analytique nous pouvons dire que si Boan conçoit le fils avec le frère
de  son  mari,  ce  n’est  pas  parce qu’elle  est  malsaine  ou  « putain », mais parce que
la   conscience   que   représente   le   roi   en   place   n’est   pas   apte,   ni   éveillée. Par
conséquent son frère, (de même nature divine), représente la tentative de la
souveraineté  de  s’accoupler  avec  celui  qui  est  le  Dagda, la conscience « père ».
Le   Dagda   ne   l’oublions   pas   est « le »   Père,   c’est   donc   avec   ce   principe  
fondamental  que  le  fruit  doit  être  conçu.  Il  ne  s’agit  pas  d’un  adultère  mais  du  
bon choix des fonctions. La reine doit savoir éveiller la fonction paternelle,  c’est  
bien   ce   que   fait   Boan   en   s’accouplant   avec   « le frère ». Elle éveille la part
paternelle du roi.

181 Françoise Leroux, Les Druides, PUF 1961 P93

Page 80
Une  fois  l’enfant  né,  le  voyage    à  la  source  génère  bien  des  échos  et  des  images.  
Elles  parlent  d’elles-mêmes.
Une  fois  l’enfant  né  la  déesse doit retrouver sa « disponibilité », et nous verrons
que cela fut ultérieurement confondu avec « virginité », comment les déesses se
régnèrent  par  l’eau,  retrouvent  toujours  leur  disponibilité  par  un  bain  rituel  (Voir  
p 152). Seulement retrouver sa disponibilité implique de « lâcher » prise avec
l’enfant  précédent.  Le  fait  de  mettre  au  monde,  de  laisser  grandir  et  de  laisser  
partir un enfant représente pour une mère un « déchirement »  que  celles  qui  l’ont  
vécu  pourront  confirmer.  Il  s’agit  réellement  de  perdre  une  partie  de  soi-même,
comme  on  coupe  le  cordon  à  la  naissance,  on  perd  un  peu  de  soi  lorsque  l’enfant  
va « faire sa vie ».  Et  c’est  bien  ce  qui  se  passe  pour  Boan, elle  y  perd  un  œil,  
une jambe et un bras. Ces pertes ne sont pas des « punitions », elles sont
exactement les symboliques de la « magie de la grue ». Cette magie est la même
que celle utilisée par Lugh dans la seconde bataille de Mag Tured (Cath Maige
Turedh), durant laquelle le dieu se livre à ce rite singulier quasi-chamanique.
Pendant la bataille, Lugh se tient immobile, debout sur une jambe, un bras dans
le  dos  et  fermant  un  œil,  ce  qui  revient  à  les  rendre  inactifs,  inexistants  dans  le  
monde visible. L'action magique de cette posture est appelée corrguinecht ou
« sorcellerie de la grue ».  La  mise  en  œuvre  vitale  se  nourrit  de  primordial.  Le  
bras,   la   jambe,   l’œil   permettent   d’avancer,   de   tendre   le   bras,   de   regarder   au-
devant,   d’aller   plus   loin.   Il   s’agit   d’un   acte   initiatique   comme   la   vie   nous   en  
propose à chacun de ses virages, nous y perdons de nous, une part de nous-
mêmes,  mais  enfin  nous  avançons,  devenant  autre.  C’est  sans  aucun  doute  une  
des plus grandes magies à laquelle il est possible de faire appel, car elle demande
courage  et  sagesse,  le  dieu  sait  qu’en  occultant ou en sacrifiant physiquement
(consciemment)  les  forces  disponibles  par  son  œil,  sa  jambe  et  son  bras  il  les  
rend disponibles dans le monde inconscient et par la même magique.
Pour Boan, ce « sacrifice »  est  le  don  d’une  part  de  soi  pour  que  l’enfant accède
à sa propre vie, et prend tout son sens quand de sa course douloureuse naît une
rivière qui porte désormais son nom.

Page 81
Dans le conte des sept corbeaux, analysé par Marie Louise Von Franz182,
l’héroïne  se  coupe  le  petit  doigt  pour  servir  de  crochet  et ouvrir la porte qui va
libérer les frères corbeaux gardés par un nain. La symbolique est la même, le
don  d’une  part  de  soi  pour  la  liberté  de  ceux  qui  nous  sont  chers,  nos  proches  
mais aussi nos propres créations intérieures.   C’est   à   mon   sens   la   plus   grande
preuve  d’amour,  la  plus  belle  leçon  de  la  déesse et Boan le fait à travers une si
belle histoire.

182 Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 231

Page 82
La Reine du Ciel

Celle-ci est sans aucun doute la plus connue et la plus familière. Elle a toujours
marqué  notre  environnement  car  c’est  elle  qui  brille  et  porte  désormais  le  nom  
de Marie. Elle est la mère de la lumière,  la  Grande  Céleste.  Elle  n’est  pas  le  divin  
féminin lié à la terre, mais la force créatrice qui illumine le ciel. Elle porte le
vert,  le  bleu,  le  blanc  et  l’or,  le  diadème.

« La « Brideog, cette Biddy signifie nymphe, demoiselle, vierge, mariée,


mannequin que les jeunes gens promenaient de maison en maison (souvent
drapée  d’une  longue  robe  verte) ».183
« Mais elle peut porter une couronne et un voile ».184

Pour les Celtes le nom le plus connu avec laquelle on la rencontre est Brigid.

Brigid

Sous la forme de Brigid, son nom est très proche de la force et de la grandeur :
« Le nom Brigit donné au Moyen Age, dérive fort probablement de Brigenti qui
a donné Brigantia en latin. Ce nom viendrait du participe présent de la racine
bargh, en sanscrit brih, « grandir, fortifier, élever » dont le participe passé
brihant pour briguant veut dire « gros, grand, élevé ». A cette racine se rattache
le substantif féminin irlandais brig « supérieur, puissant, autorité », en gallois,
bri, « dignité, honneur » » 185

Mais aussi la luminosité :

« Son principal nom a dû être « Brigantia » la Très haute », ou « Bricta » qui


est encore la Brillante. »186

183 P. Sébillot, Folklore de France, t II


184 Mircea Eliade Images et Symboles chap V, p 201
185 H  D’Arbois  de  Jubainville,  CLC,  t,  II,  p  146,    in Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre fêtes

d’ouverture  de  saison  de  l’Irlande  Ancienne, Armeline, 2003, p 222


186 Histoire des Religions, L a Pléiade, t, I, p 799

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L’un  comme  l’autre  renferme  la  notion  de  puissance  et  de  « Grande » majesté.

Brigitte est la part claire de la déesse, elle est triple comme toute divinité qui
comporte en elle-même sa propre complétude, de ce chiffre trois si cher aux
Celtes.  Les  trois  fonctions  sont  sises  au  sein  d’une.  Le  tripartisme  se  retrouve  
enclos et exprimé par la divinité elle-même.   C’est   en   ce   sens   que   les   triples  
déesses peuvent être regardées comme « complètes » dans leur expression et
leurs fonctions. Brigid est de celle qui saura modifier son visage et se
métamorphoser à chacune de ses manifestations. En tant que – mère – sœur  –
fille – épouse du divin elle est plurifonctionnelle et préside à tout.

« Nous   avons   introduit   la   triple   Brigid.   Cela   est   loin   d’être   sa   seule  
caractéristique, car elle est – telle que nous la livre les textes – tout à la fois fille,
sœur,  épouse,  mère,  en  un  mot  la  manifestation  sacrée,  divine  de  la  femme  totale.  
Brigit,  fille  du  Dagda,  sœur  des  principaux  dieux Tuatha Dé Dannann, épouse
de  Bress,  dieu,  roi  Fomoré,  fils  d’Elatha  (Science,  composition  littérature). De
leur union naquirent trois dieux primordiaux, Brian, Luchar et Uar (Iucharba).
De leur descendant Ecné (Sagesse) vint File : le poète ». 187

Elle apparaît alors comme fille du dieu « père »,  sœur  des  dieux solaires que sont
les Tuahta Dé Dannann. Elle  est  cependant  épouse  d’un  dieu  de  l’obscur,  un  roi  
Fomoré. Elle est en ce sens la lumière de la conscience qui s’unit   à   l’obscur  
inconscient et dont la créativité sera le fruit le plus lumineux : le file, à savoir un
des arts les plus magiques et les plus en avant dans la tradition celtique. Il ne
s’agit  pas  de  la  poésie  de  salon  que  nous  pouvons  connaître  aujourd’hui,  mais  
d’un  Art  poétique  qui  est  un  art  du  langage  et  de  l’expression,  de  reliance,  issu  
d’une  sainte  inspiration,  liant  les  différentes  parties  de  notre  psyché,  canalisant  
les   soubresauts   terribles   de   notre   ombre   vers   l’expression   formidable   de   son  
essence. En définitive Brigid est la déesse des Arts, dans le sens noble du terme
et à ce titre préside  à  bien  d’autres  fonctions  de la création artistique sacrée :

187 H  D’Arbois  de  Jubainville,  CLC,  t,  II,  p  283  – 284, in Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre
fêtes  d’ouverture  de  saison  de  l’Irlande  Ancienne, Armeline, 2003, p 223

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« La triple fonction de Brigid, Ban file (patronne des poètes), bé legis (patronne
des   médecins)   be   goibne   (patronne   des   forgerons)   lui   a   valu   l’attribution   de  
déesse des arts »188

« Brigit c'est-à-dire la « fille »,  fille  de  Dagda,  c’est  Brigit  la  Poétesse  ou  pour  
nous  exprimer  autrement,  c’est  Brigit  la  déesse  qu’adoraient  les  Filid  à  cause  
de   la   très   grande   et   très   illustre   protection   qu’ils   recevaient   d’elle.   Voilà  
pourquoi les poètes l’appelèrent  déesse.  Il  y  avait  trois  sœurs du même nom :
outre Brigit la file, une seconde Brigit qui pratiquait la médecine et une
troisième Brigit qui forgeait le fer. Toutes trois étaient déesses, toutes trois filles
de Dagda et chez les Irlandais, le nom de Brigit les désignait toutes trois
ensemble ».189

Tous semblent s’entendre  sur  l’analyse  de  Brigid  et  ses  différentes  fonctions :
« La Brigitte Celte avait été identifiée par Frazer comme la déesse « de la poésie,
de la sagesse, la patronne des bardes, des médecins et des forgerons (Frazer, Le
Rameau  d’or,  I,  P  392). »
Elle   l’est   encore   plus   maintenant   qu’on   la   connaît   mieux : elle préside à la
médecine, aux arts, ceux du feu en particulier, et surtout à la poésie».190

Déesse des Arts, art de la Poésie, art du feu et de la médecine, elle est toujours
aussi celle qui légitime le royaume, la souveraine, la déesse tutélaire tel que nous
le trouvons exposé dans cet extrait le Glosssaire de Cormac rédigé autour de
900 :
« Brigit comme Dana est déesse tutélaire, du royaume de Leinster où se trouve
la   ville   de   Kildare.   Or   l’on   sait   que   les   intérêts de la déesse territoriale
coïncident avec ceux de la royauté sacrée : le critère du roi légitime est que la
terre soit prospère et inviolée sous sa gouverne et cela ne peut être achevé que

188 Véronique   Guibert   De     La   Vaissière,   Les   Quatre   fêtes   d’ouverture   de   saison   de   l’Irlande   Ancienne,  
Armeline, 2003, p 223
189 CF Whitley Stokes, Three Irish Glossaries, p 8, in Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre fêtes

d’ouverture  de  saison  de  l’Irlande  Ancienne, Armeline, 2003, p 222


190Le Roux, Religion des Celtes I, p 799, in Jean Paul Roux, La   Femme   dans   l’histoire   et   les   mythes,

Fayard, 2004 p 341

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s’il   est   accepté comme légitime époux par la déesse qui personnifie son
royaume ».191

Bonne mère, elle protège et porte bénédiction. Longtemps et même encore


aujourd’hui  à  travers  sainte  Brigitte,  c’est  elle que les paysans prient dans leurs
demande de protection.

« Sainte Brigid protège-nous de toute maladie, de la faim et du feu »192

Dans son ouvrage « Les   Quatre   fêtes   d’ouverture   de   saison   de   l’Irlande  


Ancienne », Véronique Guibert de la Vaissière, donne de très nombreux
exemples  de  l’importance  de Brigid dans les pratiques paysannes irlandaises, de
son caractère proche, maternel et protecteur. Elle apparaît entre autre comme
protectrice des hommes et des bêtes.

« La ceinture, corde de paille tressée dans laquelle on faisait passer le bétail et


les   membres   de   la   famille.   C’était   un   charme   de   protection   contre   les  
maladies. »193

Nous venons de voir que Brigid est déesse tutélaire de Kildare (voir page 85).
Cela   n’est   qu’une   partie   de   la   grande   similitude   entre   la   déesse   et   la   sainte.  
L’excellent  travail  de  recherche  fait  par Véronique Guibert De La Vaissière 194
nous permet de constater combien Brigitte de Kildare possède de très nombreux
traits de Brigid.
Sa relation avec le feu est très net. Elle naît au lever du soleil et un jour sa mère,
alors dehors pour traire les vaches, avait laissé Brigitte enfant dans la maison.
Celle-ci lui apparut en flammes mais elle ne trouva en  s’approchant  que  l’enfant  
endormie dans une maison paisible. Lorsque Brigitte prit le  voile,  l’évêque  vit  
sur sa tête une colonne de flammes.  Mais  c’est  sans  doute  par  le  feu  du  couvent
des religieuses de Kildare que Brigitte est connue. Brigitte et dix-neuf religieuses

191 P.Mac Cana, Celtic Mythology, p 95, in Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre fêtes
d’ouverture  de  saison  de  l’Irlande  Ancienne, Armeline, 2003, p 223
192 Véronique Guibert De La Vaissière,   Les   Quatre   fêtes  d’ouverture   de   saison  de   l’Irlande   Ancienne,

Armeline, 2003, p 154


193 Ibid, p 161
194 Ibid, p 188

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gardaient  ce  feu,  à  tour  de  rôle  afin  qu’il  ne  s’éteigne  jamais  dans  « la maison du
feu ». Il fut éteint en 1222 pour dit-on « couper court à des superstitions
grotesques ».

D’autres  traits  de  la  sainte  sont  tout-à-fait les mêmes que ceux de la déesse. A sa
naissance elle fut baignée dans du lait de vache surnaturelle (blanche avec les
oreilles rouges). Le lait et la vache sont signes de  fécondité  …
La  légende  dit  qu’elle tissa  la  première  étoffe  d’Irlande.  Elle  mettait  le  fil  blanc  
sur le métier à tisser et ces fils avaient un pouvoir de guérison.

Elle   est   l’amie   des   animaux   et   guérissait   les   pauvres.   « Tout ce que touche
Brigitte  s’accroît ».  Le  bois  reverdit  quand  elle  le  touche,  d’ailleurs  le  nom  de  
Kildare lui-même semble lié au chêne,   l’église   (Cill)   du   Chêne   (Dara).   Une  
source jaillit quand elle frappe le sol de son bâton.

Le   fait   qu’elle   fonda   une   école   d’art   comprenant   le   travail   du   métal   et   de  


l’enluminure  ne  fait  que  rajouter  aux  liens  des  fonctions  entre  les  deux  femmes.  
Ste Brigitte est la patronne des forgerons, des artisans, des artistes, des étudiants
et des médecins.

Il devient difficile de ne pas faire de comparaison et  de  voir  l’héritage  païen  de  
la   sainte.   C’est   preuve   de   l’importance   de   cette   déesse   auprès   des   gens   et la
marque indélébile de son archétype.

Brigid est aussi la « Belisama » :

Belisama

« Cette Minerve gauloise, était différemment nommée, telle que Sirona (Etile),
Divonna (source) Damona (vache ou biche). Selon une épigraphie à Saint Lisier
dans  l’Ariège, elle est Minerva Belisama sacrum, Belisama étant dans ce cas
pris comme épithète et voulant dire « très brillante » ce qui rappelle le nom
irlandais Brigid. Elle apparait aussi comme Nantosuelta (naton = vallée et par

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extension, torrent, ruisseau, et suel « briller », ou svelta de la racine supelta
« bonne pousseuse ». Serait-elle celle qui fait couler la rivière195 en compagnie
de   Succelos   (le   bon   frappeur)   sur   l’autel   de   Sarrebourg,     où   elle   porte   une  
maison soutenue par une hampe (Musée de Metz) ? »196

L’analyse   du   nom   relis Brigid et Belisama, et   nous   ne   pouvons   douter   qu’il  


s’agisse  de  la  même  fonction,  du  même  Archétype  de  grandeur  éblouissante,  de  
force lumineuse :
« Le  cas  de  cette  dernière  est  éloquent  puisque  l’analyse  étymologique  du  nom  
a mis en évidence  qu’en  aucun  cas,  on  ne  pouvait  accepter  la  coupure  « Beli –
sama » qui en faisait un semblable de Bel, mais que la juste césure était Bel –
isama suffixe superlatif. Belisama voulant dire à ce moment là « la très
brillante » donc équivalant strictement à Bricta. Dans ce cas, cette divinité
féminine  […]  est   celle   – là même que nous venons de quitter en refermant le
dossier de la déesse Brigid. »197

Cette luminescence, cette lumière, est celle émanant des chandelles attribuées à
Brigid.

Bougies et feu

« Les bougies de Brigitte ? Elles sont allumées pendant toute la Veillée, une est
mise à la fenêtre de la cuisine. « Leur  nombre  peut  varier  jusqu’à  12. »198

Ces bougies sont des « chandelles ».  C’est  de  ce  mot  chandelles  que  viendra  le  
mot « Chandeleur »    qui  tombe  exactement  au  même  moment  de  l’année  que  
l’ancienne  fête  de  Brigid,  Imbolc.  En  Comminges  et  en  Couserans  on  fabrique  
le Plec, chandelle réalisée à partir des restes du filage du lin, et pliées. Ces

195 R Christinger, t. II, p 30, in Véronique Guibert De La Vaissière, Les  Quatre  fêtes  d’ouverture  de  saison  
de  l’Irlande  Ancienne, Armeline, 2003, p 224
196 Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre fêtes  d’ouverture   de   saison  de   l’Irlande   Ancienne,

Armeline, 2003, p 224


197 Ibid, p 298
198 Ibid, p 161

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chandelles étaient bénies puis gardées toute  l’année.  « On  les  sort  en  cas  d’orage  
dont elles protègent les maisons ».

Mais la pratique est aussi vivace en Irlande :

« Le soir du 31 janvier, les bougies de la Sainte Brigid, étaient allumées dans


les maisons ou portées en procession à l’église.. »199

Ces  bougies  que  les  femmes  font  bénir  et  que  l’on  garde  toute  l’année,  protègent
partout des orages et sont allumées à chaque décès de la famille200. Nous
retrouvons à travers ces traits coutumiers une trace marquée de pratiques
païennes. La déesse qui protège et la bougie qui en est le vecteur restent attachées
à la maison, au foyer, au feu.

« Il semble que présenter le plec de chaque maison à la bénédiction ait été tâche
féminine.   Comme   d’ailleurs   de   l’allumer   et   de   le   porter   lors   des   fêtes   de la
Toussaint. »201

Tout ce qui a trait à la lumière et au feu appartient à la déesse, les bougies, les
lumières, le feu,  feu  du  foyer,  feu  des  forgerons,  feu  solaire  …

« La  fête  d’Imbolc  est  marquée  de  sacralité  solaire.  Brigid  est  mère    des  Tuatha  
Dé Danann, tribu héliaque : elle est déesse des forgerons et des techniques donc
du feu. En tant que sainte Brigitte elle est née dans une maison en flammes, signe
de son appartenance aux dieux de lumière »202

Brigid est donc la féminité vue sous l’angle  de  la beauté  lumineuse,  qu’elle  soit  
solaire ou lunaire elle « illumine », elle éclaire :

199 « Le soir du 31 janvier, les bougies de la Sainte Brigid, étaient allumées dans les maisons ou portées en
procession  à  l’église.  C’est  cette  coutume  qui  a fait attribuer le nom de Chandeleur à la fête. »
Véronique Guibert de la Vaissière, Les  quatre  fêtes  d’ouverture  de  saison  de  l’Irlande  ancienne, Armeline,
2003, p 204
200 Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire, Gallimard, 1979
201 Isaure Gratacos, Calendrier pyrénéen, Privat, 1995, p 71
202 Véronique Guibert De La Vaissière, Les   Quatre   fêtes  d’ouverture   de   saison  de   l’Irlande   Ancienne,

Armeline, 2003, p 228

Page 89
« Oui la femme est lumière, la Donna mobile de Rigoletto, c'est-à-dire
changeante comme elle (et non comme une plume au vent) ou est étroitement
liée   à   la   lumière,   à   celle   de   la   lune,   sa   sœur,   pâle   mais   si   belle,   ou   à   celle  
clignotante  des  étoiles  qui  permettent    de  s’orienter  dans  la  nuit,  à  celle  du  feu  
qu’elle  entretient  comme  prêtresse  ou  seulement  comme  femme  au  foyer,  à  celle  
du soleil, plus éclatante, ou pour tout résumer et aller au fond des choses, à
celle de Dieu, car est-il lumière qui ne soit pas divine […]   Comme toute
lumière, elle éclaire, elle permet de percer les obscurités des mystères, de voir
ce qui est caché, elle peut donner la connaissance innée de la religion ou plus
généralement, celle des lois du cosmos, de la volonté des dieux,  de  l’inconnu,  de  
l’avenir,   et   elle   fait   de   la   femme   la   grande   devineresse   intuitive,   la   grande  
inspiratrice.  C’est   en  tant   que  mère  et   que  lumière  qu’elle  protège,  conseille,
enseigne, montre  le  chemin,  qu’elle  peut  arracher  aux  ténèbres,  sauver,  qu’elle  
peut donner naissance à la vie spirituelle, à la vie éternelle, comme elle donne
naissance à la vie d’ici-bas. Toute naissance à la chair passe par la femme.
Toute  naissance  à  l’esprit  doit  passer  par  elle,  et  toute  renaissance  pour  l’au-
delà. » 203

Elle est à la fois la lumière du soleil et la clarté de la lune :

« Par  conséquent  il  est  essentiel  de  souligner  l’auréole  luni-solaire qui entoure
la Feil Bridge. Bridge dont le message serait : la naissance, la vie et la mort sont
identiques. Tout dans la nature naît, vieillit et meurt. La notion de fertilité
débouche  sur  l’Autre  Monde. »204

La divinité sous sa forme féminine apparaît tantôt sous la forme solaire ou sous
la forme lunaire. Dans certaines traditions la lune est masculin et le soleil
féminin. Que  le  féminin  sacré  soit  lié  à  la  lune  ou  au  soleil  c’est  à  sa  luminosité  
que  l’on  fait  référence,  cette  luminosité  qui  peut  éblouir  (reine du ciel) ou être
« cachée », fluctuante.

203
Jean Paul Roux, La  Femme  dans  l’histoire  et  les  mythes, Fayard, 2004, pp 324- 326
204
Véronique Guibert De La Vaissière,   Les   Quatre   fêtes  d’ouverture   de   saison  de   l’Irlande   Ancienne,
Armeline, 2003, p 228

Page 90
Au-delà  de  la  luminosité,  de  par  son  pouvoir  sur  la  vie  et  la  mort  (c’est  elle  qui  
nous protège des maladies) la déesse règne sur les domaines du linge, du filage
et du tissage qui symbolisent le « fil » de la vie.

« Mircea Eliade a parfaitement exprimé le rôle attribué à la lune de tisser le


destin  des  hommes,  cette  conception  fondamentale  est  à  l’origine  des  interdits  
du 1er février. Dans ce temps de passage magiquement fort où le destin était en
« possibles » en marquant une trêve dans leur activité de filage et de tissage, au
risque de nouer les fils du destin. »205

Linge, tisser, filer

La symbolique de tout ce qui touche au fil, du cardage au tricot, à la couture, en


passant par le filage concerne la déesse et par analogie, la femme.

« Le  fuseau,  lui,  est  un  symbole  à  la  fois  féminin  et  phallique.  Dans  l’Allemagne  
médiévale on parlât de la « parenté du fuseau » pour désigner la famille
maternelle.  C’était  aussi  l’emblème  de  Sainte  Gertrude  qui  avait  la  plupart  des  
qualités des déesses mères pré–chrétiennes, telles que Freya, Hulda, Perchta, et
d’autres.   Le   fuseau   est   aussi   de   symbole   des vieilles femmes sages et des
sorcières.   Le   lin   qu’elles filent est également relié aux activités féminines.
[…]Semailles,   filatures,   et   tissage   du   lin   sont   donc   liés   à   l’essence   de   la   vie  
féminine, avec ses implications de sexualité et de fertilité. »206

Sur ce trait se rejoignent les fonctions de mère et de gardienne des morts que
nous  étudierons  plus  avant  à  travers  la  Reine  des  Fantômes,  mais  il  s’agit  bien  
de « La » déesse dans son éternelle essence divine, de mise à vie, mise à mort.

205 Ibid, p 227


206 Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 84

Page 91
« Le mystère entourant le fait de donner la vie est fondamentalement associé à
l’idée   de   filage   et   de   tissage,   activités   féminines   complexes   consistant   à  
assembler des éléments naturels dans un certain ordre. »207

A travers ce « filage » se retrouve la capacité du féminin de mettre les choses en


place, de les sortir du chaos, et par projection tout le système éducatif et
enseignant.   C’est   sans   doute   aussi   à   ce   titre   que   le   féminin   apparaît   dans   les  
mythes   comme   partie   intégrante   de   l’enseignement   sous   les   traits   d’une  
magicienne,   d’une   « sorcière », telle que peut les avoir connues comme
« guides » un héros comme Cuchulain (voir page 69)

« Le mystère concernant la façon dont un enfant devient un tout à partir de


modèles   psychologiques   et   physiques   hérités   est   figuré   par   le   tissage.   […]   Il  
semble  qu’il  est  extrêmement  important  et  même  essentiel  pour  l’enfant  que  les  
phantasmes de la femme enceinte se concentrent dès les premiers mois sur
l’enfant [ ..] c'est-à-dire « file » et « tisse » pour lui, cette activité mentale
prépare   la   terre   nourricière   où   il   naîtra.   L’attention   de   la   mère   qui   tourne  
naturellement  autour  du  mystère  de  l’enfant  à  naître  et  s’émerveille  à  son  sujet,  
influence son sentiment à son égard et lui offre un sein bienveillant. »208

Sans hésitation nous pouvons avancer que le fuseau entre les mains des femmes
est tout comme cet « animus » au creux de leur âme :

« Le  fuseau  instrument  d’une  activité  essentiellement  féminine,  est aussi par sa


forme,  un  objet  de  caractère  phallique.  C’est  ce  qui  tournoie  et  autour  de  quoi  
tout   pivote.   […]   Psychologiquement,   une   parole   piquante,   peut   effectivement  
tuer. »209

207 Ibid, p 85
208 Ibid
209 Ibid, p 89

Page 92
La farine, le lait

La fête de la déesse Brigid est Imbolc, le 1 ou le 2 février. Cette fête est devenue
la chandeleur qui outre le carnaval en a gardé les caractéristiques les plus fortes :
les bougies, et les crêpes. Les crêpes portent en elles tous les symboles de Brigid,
à savoir, rondes et lumineuses comme le soleil et la pleine lune, faites de blé,
d’œuf  et  de  lait.  Car  enfin  ces  trois  éléments  font  partie  des  attributs  de  la  déesse.

La crêpe qui rassemble ces trois éléments se retrouve au centre des croyances
protectrices dans  l’ensemble  des traditions françaises :

Du Berry :
« Dans  l’Indre  à  l’occasion  de  la  Chandeleur,  on  faisait  brûler  des  cierges  dits  
de   la   Chandeleur   que   l’on   sortait   en   cas   d’orages violents. On a toujours
coutume de manger des crêpes ce jour-là. Dans le Bas-Berry, la Chandeleur est
baptisée « Notre Dame des crêpes ».210
Aux Pyrénées :
« Au  cœur  de  l’hiver,  la  composition  des  crêpes  fait  de  celles-ci une nourriture
très appréciée :  œufs,  céréales  – sarrasin jusque dans les années 20 »211

En passant par la Bretagne dont nous connaissons tous les fameuses


« Krampouz ».

La  crêpe  n’est  pas  une  simple  gourmandise,  elle  est un symbole de célébration
mais aussi une volonté magique. Ces ingrédients nous les retrouvons associés
aux lois de Tailiu. Toujours   dans   l’assemblée   de   l’Oenach   citée   au   sujet   de  
Tailtiu (Voir page 77) nous trouvons dans les descriptions des lois de
l’assemblée  
« Blé  et  lait  à  chaque  hauteur,  paix  et  beau  temps  à  cause  d’elle… » 212

210 Brigitte Lucas, Le Bas Berry insolite, Nouvelle République, 1991, p 73


211 Isaure Gratacos, Calendrier pyrénéen, Privat, 1995, p 60
212 Ogam XIV, p 345, in Véronique Guibert De La Vaissière, Les  Quatre  fêtes  d’ouverture  de  saison  de  

l’Irlande  Ancienne, Armeline, 2003, p 528

Page 93
Lors   des   fêtes   d’Imbolc,   on   mange   et   on   fait   offrande   ou   on   collecte  
essentiellement des produits traditionnellement attribués à la Grande Déesse
Brigid, à savoir, le lait, le beurre.

«La  collecte  ou  la  mise  en  réserve  d’aliments  bien  caractérisés lait et beurre »213

Voilà un parfait exemple de geste païen ayant perdu une partie de son origine
tout en gardant son habitude.  Elle  allie  l’œuf,  le  beurre,  la  farine  et  le  feu  en  un  
cercle « solaire » de renaissance. Le  nom  même  d’Imbolc  englobe  à  lui  seul  ces  
interprétations. Il porte en lui cette volonté de nourriture maternelle, mais aussi
de purification. Même si il apparaît souvent comme une « purification »  par  l’eau  
(averses) le sens reste le même puisque le feu (de  Brigid)  comme  l’eau  sont  les  
deux éléments de purification, de métamorphose :
« Oimelc,  lactation  des  brebis,  c’est  le  temps  où  le  lait  vient  aux  brebis  
Imb – préfixe réfléchi ou intensif et folc « averses »
L’étymologie   a   été   contestée mais non remplacée et   il   est   évident   qu’elle   est  
bonne »214

Nous avons vu, cité pour Tailtiu le blé associé au lait. Dans les crêpes, la farine
est  faite  des  grains  de  blé.  Voici  ce  qu’en  dit  Marie  Louise  Von  Franz :
« Les grains de blé sont étroitement liés à la Déesse Mère, dans son aspect
souterrain ; ils sont, entre autres choses, le symbole des âmes des morts, des
esprits des ancêtres. Dans la Grèce antique, on plaçait dans la maison, à côté
de  l’âtre,  des  pots  remplis  d’un  mélange  de  grains de blé, de figues et d’autres  
ingrédients. Ces récipients représentaient symboliquement les entrailles de la
terre, du monde souterrain où reposent les morts en attendant de renaitre. On
appelait les esprits des morts, les « Démétrients », ceux qui appartiennent à
Déméter et qui reposent dans son sein, comme le blé qui ressuscite au
printemps. »215

213 Guyonvarc’h  et  Leroux, Les fêtes Celtiques, Ouest France, 1995, p 90
214 Christian  Guyonvarc’h et Françoise Leroux, Les Druides, Ouest France, 1986, p. 253
215 Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 259

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Le rapprochement entre  le  blé,  la  terre,  les  morts,  le  lait,  les  œufs,  la  naissance,  
la protection est une constante qui sans en avoir la profondeur antique se
perpétue encore aujourd’hui  pour  la  grande  joie  des  parents  et  des  enfants.  Sans  
doute n’attribuons  plus à la crêpe son pouvoir protecteur, mais son rôle festif et
relieur fonctionne encore au-delà des croyances.

Survivance de Brigid

Tout cela expose une très nette survivance de Brigid à travers des croyances et
des rites plus ou moins édulcorés. Mais il est un autre biais par lequel la déesse
s’est  glissée  à  travers  le  temps. De fait Brigid apparaît sous de très nombreux
vocables et comme dit en début du chapitre, a marqué très durablement la psyché
humaine. Entre les marques du passé et les traditions qui ont perduré dans le
monde paysan attaché à ses habitudes, nous pouvons en suivre clairement la trace
tout  au  long  de  l’histoire.

« Il faut croire que cette « Minerve Gauloise » était fortement enracinée dans
l’esprit   du  peuple,  puisque  au  VIIième siècle saint Eloi admonestait encore les
petites  gens  qui  l’invoquaient  dans  les  travaux  de  filage,  teinture  et  autres  tâches  
et que « nulle  femme  ne  suspende  de  l’ambre  à son  cou,  n’en  mette  dans  telle  ou  
telle   teinture   ou   autre   chose,   en   invoquant   Minerve   ou   d’autres   fausses  
divinités ».216

Malgré   les   tentatives   du   christianisme   d’engloutir   Brigid   sous   les   voiles   de  


Marie,  l’Archétype  de  Brigid  se  retrouve  jusqu’à  très   tardivement. Au Moyen
Age il est encore fait état de croyances en une « Reine Surnaturelle » qui a de
nombreuses caractéristiques de la déesse.

« En  fait  beaucoup  plus  qu’à  Minerve,  c’est  à  la  déesse  germanique  Holda  qu’il  
convient de comparer Brigid. Holda qui a survécu dans les traditions populaires

216 Ch Barthélémy, Vie de St Eloi, Paris, 1847, p 169, in Véronique Guibert De La Vaissière, Les Quatre
fêtes  d’ouverture  de  saison  de  l’Irlande  Ancienne, Armeline, 2003, p 224

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sous le nom de Frau Berchta connue en France comme Berthe « est la grande
déesse filandière des Germains, protectrice des femmes, surtout des femmes en
mal   d’enfants,   déesse   de   la   fertilité   végétale   et   animale, mais aussi divinité
chtonienne »217

Cette reine va traverser le temps et perpétuer le culte, de façon plus ou moins


occulte.  Brigid  touche  le  cœur  des  hommes,  car  elle  touche  à  leur  quotidien,  à  
leur  affect  et  c’est  tout  naturellement  qu’elle  va  continuer à accompagner leur
vie, quitte à porter les noms exotiques de Diane ou de la Holda.

« Cette reine surnaturelle mérite que nous nous y intéressions de plus près.
Burchard,  comme  Regino,  l’appelle  « Diane, déesse des païens » mais il ajoute,
« ou Hérodias » et dans un autre paragraphe du Corrector il lui donne le prénom
de Holda (Corrector, chapitre V paragraphe 70) A eux trois ces noms nous
conduisent tout droit à un ensemble particulier de croyances populaires. Au
début du Moyen Age, la   déesse   romaine   Diane   continuait   à   bénéficier   d’un  
certain  culte.  Une   vie  de  St   Césaire  qui   fut  évêque  d’Arles  au  début   du   VIeme
siècle mentionne « un démon que les simples gens appellent Diane ». Grégoire
de Tours raconte comment au cours de ce même siècle, un ermite des environs
de Trèves détruisit une statue de Diane que la paysannerie indigène adorait,
bien  qu’elle  fût  indubitablement  d’origine  romaine.  Plus  à  l’Est  dans  ce  qui  est  
maintenant la Franconie, ce culte était encore vivace à la fin du VIIe siècle.
L’évêque  missionnaire  britannique  saint  Kilian  fut  martyrisé  lorsqu’il  chercha  
pour convertir les Francs orientaux à leur faire abandonner le culte de
Diane. »218

La Horla est très présente en Allemagne :


« Mais  c’est  Holda  l’autre  nom  de  la  reine qui  caractérise  le  mieux  l’idée  que  
s’en  faisaient ses fidèles. En proposant ce nom comme équivalent de ceux de
Diane  et  d’Hérodias,  Burchard  évoque  une  figure  qui  devait  conserver  une  place  
imminente   dans   le   folklore   allemand   jusqu’au   XIXeme siècle -Holda (Hulda,

217 Krappen La genèse des mythes, p 121


218 Norman Cohn, Démonolâtrie et sorcellerie au Moyen Age, Payot, P254

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Holle  Hulle,  Frau  Holl  etc.)  est  un  être  surnaturel  et  maternel  qui  vit  d’ordinaire  
dans les airs en tournant autour de la terre. »

Mais  ces  croyances  ne  se  limitaient  pas  à  l’Allemagne.  Le  français  Guillaume  
l’Auvergne,  évêque  de  Paris,  qui  mourut en 1249, a des histoires du même genre
à  raconter.  On  lui  a  parlé  d’esprits  qui  certaines  nuits,  prennent  l’apparence  de  
filles et de femmes en robes brillantes et fréquentent sous cet aspect bois et
bocages.

En Italie aussi on connaît les « dames de la nuit ». Au XIIème siècle  l’archevêque  


de Voragine les mentionne dans son recueil de vies légendaires des saints qui
sous le titre de Légende dorée devient un des ouvrages religieux les plus
populaires et les plus traduits au Moyen Age. Au XIVéme siècle le dominicain
Jacopo   Passavanti,   dans   son   guide   d’ascétisme   montre   que   le   fantasme   décrit  
dans le canon Episcopi avait persisté cinq siècles durant. Encore récemment
beaucoup  de  paysans  siciliens  croyaient  à  l’existence  d’êtres  mystérieux  qu’ils  
appelaient « dames du dehors », mais aussi parfois « dames de la nuit », « dames
de la demeure », « maîtresse de la demeure », « belles dames » ou simplement
les « dames ».219
Que ces croyances remontent très loin dans le temps ne fait aucun doute. Et leur
persistance prouve la force de leur impact spirituel.

« De   tout   cela   ressort   le   tableau   cohérent   d’une   croyance   populaire  


traditionnelle. Ses origines semblent remonter à une vision du monde
préchrétienne, païenne. Elle est sans aucun doute fort ancienne et en dépit de
certaines variations de détail, ses traits essentiels sont demeurés constants
pendant   un   millénaire   au   moins   dans   une   grande   partie     de   l’Europe  
occidentale. »220

En quelque sorte nous retrouvons cette Reine surnaturelle dans tous les pays
d’Europe,  et  ce  jusqu’au  XIIIème siècle,  ce  XIIIème  siècle  qui  fut,  nous  l’avons  
vu   le   tournant   capital   de   la   dogmatisation   chrétienne,   de   l’instauration  

219 Ibid, p 255


220 Ibid, p 259

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inquisitoriale   et   de   la   terreur   qui   s’en   suivit.   Au   XIIIème siècle les Dames
deviennent des êtres humains, et des démons.

« Le vieux fantasme de la reine surnaturelle et de sa suite commence à se


confondre avec le nouveau fantasme du sabbat des sorciers. »221

Alors les Dames de la nuit ne seront plus que les fantômes de nos souvenirs, les
« sorcières » de nos  cauchemars  …

Il est par contre fort judicieux de se pencher plus avant sur cette Horla, et dévoiler
un peu du caractère de cette Dame surnaturelle.

« Elle joue aussi un rôle sur les naissances, les bébés proviennent de ses lieux
secrets, de son arbre, de son étang. Fécondité et productivité dans tous les
domaines, voilà ce qui la préoccupe particulièrement. »222

La voilà assimilée aux déesses mères, nourricières et protectrices. Elle est liée à
sa nature, à ses plantes, à ses arbres, à ses sources et à tous les attributs du
quotidien qui lui sont référents. On peut lier et entremêler le culte de la Horla, à
ceux des eaux sacrées désormais dédiés aux Saintes dont les noms font peu de
doute quant à leur  origine  païenne  (Anne,  Brigitte  …).  Horla  se  trouve  associée    
à des traits celtiques parfaitement connus comme les attributs du druide antique,
du chêne et du noisetier. Nous savons que les chênes sont des arbres sacrés chez
les Celtes

« Chez les Celtes le chêne est la représentation visible de la divinité. Le chêne


est donc partout dans le monde celtique en haut de la hiérarchie végétale. »223

Quant au noisetier il est tout aussi sacré, fruit de la connaissance et de la sagesse :


« L’Irlande  groupe  sous la même dénomination générique de « coll » le sorbier,
le  noisetier  et  le  coudrier.  [  …]  Mais  si  le  coudrier  est  fréquemment  utilisé  dans  

221 Ibid
222 Ibid, p 255
223 Guyonvarc’h  et  Françoise  Leroux,  Les Druides, Ouest France, 1986, p 156

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le  tirage  au  sort  et  la  magie  du  bois,  la  raison  est  bien  évidemment,  qu’il  est  
l’arbre  de  science  et  que  la  consommation de son fruit procure la connaissance
et inspire la sagesse. »224

C’est  sur  eux  que  cette  « femme volatile » peut se reposer.

« Et de minuit au chant du coq, elle peut se poser sur les chênes et les noisetiers
et se reposer de son voyage éternel dans le vide »225

Notons  que  son  repos  se  fait  à  l’heure  de  la  lune  et  dans  le  temps  symbolique  qui  
correspond au début du jour car les Celtes comptent leur temps en nombre de
nuits et  font  commencer  l’année  à  l’hiver,  par  conséquent  par analogie le début
du jour se situe à la mi nuit ;;  à  l’instant  où  la  magie  du  monde  enfante  le  jour  à  
venir.
Protectrice des « mères » et de la maison, comme on la retrouve encore très
tardivement dans les  rites  prophylactiques  de  l’Irlande  ancienne,  elle  se  trouve  
liée aussi au  filage,  à  l’agriculture,  aux  récoltes,  elle  a  gardé  tous les attributs des
déesses antiques.

« Dans  l’ensemble  elle  ne  se  fait  terrifiante  que  lorsqu’elle  est  en  colère  – et ce
qui  l’irrite  par-dessus  tout  c’est  le  laisser-aller  dans  l’entretien  de  la maison ou
le travail de la ferme.
Car  Holda  n’est  pas  toujours  dans  le  ciel ; elle visite la terre et elle y exerce
alors  les  fonctions  de  patronne  de  l’agriculture.  La  charrue  lui  est  sacrée,  et  elle  
aide  aux  récoltes.  Elle  s’intéresse  en  particulier  aux travaux féminins de filage
et de tissage ;;  et  si  elle  punit  la  paresse,  elle  récompense  l’application,  souvent  
en introduisant des cadeaux par la fenêtre »226

Nous retrouvons cette reine et ses suivantes porteuses des bougies de Brigid dans
les caractéristiques des « Dames du Sydhe »,   qui   sont   des   femmes   de   l’autre  
monde... Ce sont encore ces revenantes pour qui les « paysans » laissent à la

224 Ibid
225 Reinardus Vulpes éd F.J. Mone Stuttgart et Tübingen 1832 lib I lignes 1143 – 1164, in Norman Cohn,
Démonolâtrie et sorcellerie au Moyen Age, Payot, P254
226 Ibid p 255

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Noël  des  plats  auprès  de  l’âtre,  ces  êtres  de  l’autre  monde  qui  se  reconnaissent  
par leur silence. Ces traits archaïques  se  retrouvent  de  l’Irlande  à  l’Ariège  et  ce  
jusqu’à  très  tardivement :

« Elles se montrent dans les étables, des chandelles de cire à la main, et elles y
nattent les crinières des chevaux. Mais surtout ces « dames de la nuit » visitent
les demeures privées, sous la conduite de leur maitresse dame Abundia
(d’abundetia)  aussi  appelée  Satia  (satietas  qui  a  le  même  sens)  Si  elles  y  trouvent  
nourriture et boisson préparées à leur intention elles se les partagent, mais sans
que   la   quantité   de   l’une   ou   l’autre diminue ; et elles récompensent le foyer
hospitalier par une abondance de biens matériels. Si en revanche, elles
s’aperçoivent  que  toute  la  nourriture  et  toute  la  boisson  ont été mises sous clé,
elles   quittent   la   place   avec   mépris.   Sous   l’effet   de   cette   croyance   de   stupides  
vieilles femmes et des hommes tout aussi stupides ouvrent leurs armoires et ôtent
le  couvercle  de  leurs  tonneaux  les  nuits  où  ils  s’attendent  à  une  visite. »227

Si ces « femmes » se promènent des bougies à la main, comme autant de feux


follets dans la nuit (elles ne se promènent semble-t-il  pas  le  jour),  c’est  en  rapport  
avec les bougies attribuées à Brigid. Enfin leur visage se rapproche de plus en
plus des « Dames Blanches » qui dans tous les pays celtes hantent la nuit et la
vie de leur douceur ou de leur juste colère :
« Ce sont de grandes et belles demoiselles aux longs cheveux brillants. Elles
n’apparaissent  jamais  le  jour,  mais  certaines  nuits,  celles du jeudi en particulier,
elles  vont  à  l’aventure  sous  la  direction  d’une  « dame » qui est leur chef. Quand
elles trouvent une maison qui est bien tenue, elles y entrent par les fentes de la
porte ou par le trou de la serrure. Les familles qui les traitent bien et qui leur
offrent nourriture, boisson, musique  et  danse  peuvent  attendre  d’elles  en  retour  
toutes sortes de  bienfaits.  En  revanche  tout  signe  d’irrespect, toute résistance à
leurs ordres attire la pauvreté et maladies sur la maison. Mais même alors, elles
sont promptes à pardonner si elles se trouvent convenablement traitées à leur
visite suivante. »228

227 Ibid, P255 256


228 Ibid, P255 256

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La guérisseuse Airmed
Airmed est la fille du dieu-médecin Diancecht, soeur de Miach et Oirmiach des
Túatha Dé Danann. Son nom signifie « mesure, équilibre », du celtique med. Ils
sont les quatre dieux de la médecine, ils président à la médecine magique par les
incantations  qu’ils  font  au-dessus de la source de santé, vaste chaudron où renaît
à la vie chaque guerrier blessé au combat :
« On fit alors ceci : mettre du feu dans les guerriers qui avaient été blessés là
afin  qu’ils  fussent  plus  brillants  le  lendemain  matin.  C’est  pour  cette  raison  que  
Diancecht   et   ses   deux   fils   et   sa   fille,   c’est-à-dire Octriuill, Airmed et Miach,
chantaient des incantations sur la source dont le nom est Santé. Leurs hommes
blessés  mortellement  y  étaient  cependant  jetés  tels  qu’ils  avaient  été  frappés.  Ils  
étaient vivants quand ils en sortaient. Leurs blessures mortelles étaient guéries
par   la   force   de   l’incantation   des   quatre   médecins qui étaient autour de la
fontaine. »229

Airmed est tout particulièrement la déesse de la phytothérapie car elle range les
plantes  dans  son  manteau.  Nous  pourrions    entrer  plus   avant   dans  l’étude  des  
symboles  que  sont  les  quatre  guérisseurs,  l’art  de  la chirurgie et les fonctions de
chaque  garçon.  Mais  c’est  la  fonction  d’Airmed  ici  qui  nous  intéresse.

« Puis Miach fut enterré par Diancecht, et des plantes au nombre de trois cent
soixante cinq poussèrent sur sa tombe, identiques au nombre de ses jointures et
de ses nerfs. Airmed ouvrit son manteau et rangea ces plantes d'après leurs
qualités. Mais Diancecht vint à elle et mêla les plantes, si bien qu'on ne connaît
pas leurs effets propres, à moins que le Saint Esprit ne l'ait révélé par la suite.
Et Diancecht dit : « Si Miach n'est plus, il reste Airmed »." 230

Comme la terre porte les plantes, Airmed garde les plantes dans son manteau.
Ces plantes sont au nombre de 365, le nombre de jours de l’année  terrienne. Son
manteau sera aussi celui que nous retrouverons sur Epona, ce manteau dont
héritera  Marie  lorsqu’elle  sera  consolatrice  et  protectrice.  La  Grande  Déesse  de  

229 « La Seconde Bataille De Mag Tured (Cath Maige Turedh) » La traduction donnée ici est celle de Ch.J.
Guyonvarc’h,  Textes  mythologiques  irlandais,  vol.  1,  1980,  pp.  47-59 :
230 Ch.-J. Guyonvarc'h, Textes mythologiques irlandais, I, Ogam-Celticum, Rennes, 1980

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la vie et de la magie du monde est là présente en la fille de Miach. Elle est le
profil nourricier, protecteur, magique et bienfaisant de la Dame du Monde.
L’expression  de  Diancecht,  disant  que  si  Miach  n’est  plus  il  reste  Airmed, peut
paraître mystérieuse car nous pouvons difficilement imaginer que la médecine
des plantes puisse remplacer la médecine minutieuse « nerfs sur nerfs » que sut
faire  Miach  sur  le  bras  de  Nuada.  C’est  ne  pas  avoir  compris  qu’Airmed  n’est  
pas une simple herboriste, elle est par son manteau celle du dernier recours, du
dernier espoir, la magie des forces de la terre.

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La Reine des Fantômes

Si Brigitte nous est facilement accessible de par son coté lumineux, son côté
maternel  qui  a  survécu  sous  l’ombre  de  Marie,  il  est  une  part  du  féminin  sacré  
qui nous a été confisquée et  s’est  lovée en nous comme la croyance en quelque
chose de terrifiant et de malsain. La face de cette Femme, cette Brigid noire et
ondulante,   tout   comme  Lilith,   se   trouve   reléguée   au   fin   fond   de   l’oubli,   bouc  
émissaire de nos plus profondes douleurs. La voilà qui se tortille, tel un serpent
battu et pousse son cri de chouette au plus profond de notre inconsciente matière.
Or  cet  Autre  Monde,  ce  profil  de  nuit,  cette  mort  qui  nous  effraie  tant,  n’était  pas  
perçu de la même manière chez nos ancêtres. Chez les celtes, la mort ne fait pas
peur :
« La mort, si ce que vous chantez est réel, est le milieu d'une longue vie.
Heureuse illusion des peuples que regarde l'Ourse car la plus forte des craintes
ne  les  saisit  point,  la  terreur  du  trépas.  De  là  des  cœurs  prompts  à  courir  aux  
armes, des âmes capables de mourir, et le sentiment qu'il est lâche d'épargner
une vie qui doit revenir ».231

Pas  plus  de  peur  éprouvée  pour  sa  cohorte  de  compagnons,  la  nuit,  l’obscur,  le  
cri, le mystère. Se trouve un ordre naturel  des  choses  qui  se  doit  d’être  respecté,  
sans doute en sommes-nous les gardiens oublieux. La souffrance, le mal ne sont
que  le  résultat  de  cet  oubli,  une  absence  de  vigilance  et  d’attention  respectueuse.
Et Morrigane fait partie de cette occultation, ce rejet, cette barbarie. Cette déesse
fait peur, à ceux qui ont coupé le monde en deux. Le pouvoir de son essence a
fait tremblé ceux qui ont voulu Son pouvoir à portée de mains, pouvoir sur la
vie, pouvoir sur la mort. Retrouver  l’essence  profonde  et  le  sens  véritable  de  la  
tradition  des  Celtes  c’est  retrouver La Morrigane, ses voiles, ses chants terribles
et ses consolations. Alors et alors seulement nous serons capables de regarder la
lumière  car  dans  l’ombre  de  Sa  nuit  elle  brillera.

231
Lucain, La Guerre civile, I, 453-465, trad. A. Bourgery, 1926, Paris, Les Belles Lettres. In Les
Druides,  C  Guyonvarc’h  et  F  Leroux,  Ouest  France,  p  270  

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Dans les contes, celle qui joue la méchante, la mauvaise, celle qui dérange, et
qui bouscule, sans doute celle qui nous mènera à nous surpasser, porte les habits
de cette vieille déesse :
« Dans les contes où paraissent les fées marraines, la référence est faite à trois
déesses, Lucina (Junon), Venus et Thémis. Junon était entre autres la déesse qui
aide  les  mères  durant  l’accouchement.  Le  nom  de  Vénus  parle  lui-même. Quant
à  Thémis  la  Justice  et  la  Vengeance,  c’est  elle  qui  joue  le  rôle  de  la  mauvaise  
marraine fée. Elle incarne un aspect de la déesse mère qui a été largement oublié
dans notre civilisation, mais qui a existé dans beaucoup de civilisations antiques
et primitives. Elle représente un principe féminin de sévérité et de vengeance qui
ne   coïncide   pas   avec   l’attitude   parallèle   masculine.   Quand   nous   évoquons  
vengeance ou punition – la vengeance étant la forme primitive du châtiment –
nous pensons aux lois établies, à leur violation et aux peines appliquées
conformément  à  elles,  car  c’est  notre  coutume.  
Faire des lois et décider des peines encourues par ceux qui ne les observent pas
est la façon masculine de traiter le problème de la justice. Nos lois sont basées
sur le Code Romain et la mentalité patriarcale, de telle sorte que nous
envisageons généralement la punition comme ayant affaire avec le monde
masculin tandis   que   la   charité   et   l’exemption   seraient   reliées   au   principe  
féminin. Au Moyen Age, la Vierge Marie était parfois représentée couvrant les
pécheurs de son manteau232 : ceux qui, sous la loi divine, seraient allés en enfer
ou au purgatoire, voyaient, grâce à elle, leur sort adouci. Le fait que les hommes
édictent des lois et traitent des problèmes mondiaux et que les femmes aient le
rôle de plaider la clémence suit le vieux modèle familial patriarcal où le père
châtie   et   exige   le   travail   et   l’effort   et   la   mère   sollicite   l’indulgence ; même
lorsque  ce  principe  n’est  plus  appliqué,  il  demeure  malgré  tout. Les modèles de
justice et de punition dans le monde masculin sont rattachés à la notion de lois
statiques,  et  l’on  entend  par  justice  que  chacun  subisse  la même peine pour le
même délit ;;  il  n’y  a  aucune  exception,  à  moins  qu’il  n’y  ait  une  réglementation  
pour les couvrir.
[…]Si  l’on  en  croit  les  données  mythologiques,  il  existe  un  autre  principe  féminin  
de justice, de vengeance et de châtiment. Je comparerai ce processus au

232 Nous  verrons  qu’Epona  jouait  ce  rôle  de  protectrice  de  par  ce  même  manteau,  dont  hérita  St  Martin

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caractère vindicatif de la nature : si, pendant des années, une personne mange
à la hâte et sans même prendre  le  temps  de  s’asseoir,  elle  sera  punie  par  des  
désordres  d’estomac.  Cela  n’a  rien  à  faire  avec  une  législation  quelconque,  c’est  
une conséquence naturelle : un comportement incorrect entraîne le malheur et
la maladie.
La vengeance et la punition ne dépendent donc pas seulement des décisions
humaines, mais aussi des conséquences naturelles. Cela est également vrai sur
le plan psychologique. Une attitude fausse (pas nécessairement immorale, mais
en désaccord avec la nature) est punie par la malchance et la névrose. Bien
qu’aucune   loi   éthique   n’ait   été   enfreinte.   Dans   la   plupart   des   mythologies  
primitives, il existe une figure féminine divine de la nature analogue aux déesses
grecques Némésis, la vengeance, ou Thémis, la Justice »233

Voilà exprimées de façon explicite, à la fois les notions de « bon ordre des
choses » et de nécessité de rester  les  garants  de  l’archétype  féminin  qui   sous-
tend à cette énergie. Morrigane est de celle-là.

233 Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 77

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La Déesse du « mal »

Il y a mal et Mal. Dans la conception dualiste du monde, il y a le Mal, entité à


part entière qui souhaite et nous pousse à notre perte. Ce mal est personnifié par
le désir sexuel, la mort, la nuit,  l’obscur,  la  femme et est responsable du mal et
de nos souffrances. Est « bien » tout ce qui est lumière, chaleur, homme, esprit,
vie.
La   tradition   celtique   n’est   pas   fondée   sur   ce   schéma,   mais   sur   un   schéma  
tripartite  dans  lequel  le  mal  est  le  résultat  d’un  non  respect  des  lois naturelles.
Parmi ces lois la nuit, le désir sexuel, la femme, les chats noirs et les hiboux ne
sont   pas   maléfiques,   ils   sont   l’autre   versant   de   la   Vie,   aussi   nécessaire   à   sa
réalisation. Ils ne sont pas sources de nos souffrances, mais de nos cycles et de
nos métamorphoses. Morrigane est la grande déesse de cette pat mystérieuse.
Tout comme son pâle avatar Morgane, elle dérange, elle nous pousse, elle nous
emporte  dans  la  mort,  elle  nous  séduit  et  reste  dernière  gardienne  de  l’île  des  
morts.  C’est  Morgane  qui  enferme  les  Chevaliers  dans  le  Val  sans  retour,  c’est  
Morgane qui veille  au  chevet  d’Arthur  sur  l’Ile  des  morts.

Le  mal  existe,  il  est  ce  trop  peu  ou  pas  assez,  les  élans  incontrôlables  d’énergies  
maltraitées et par conséquent devenues malsaines. La douleur, la souffrance sont
les scories des mutations, les mues, les débordements, les excès, les manques.
Morrigane  est  l’accompagnatrice,  les  hommes  ne  se  muraient  pas  d’elle,  bien  au  
contraire, elle est celle qui interfère dans Son domaine. Elle porte les rites
libérateurs,   les   coups   d’épées   qui   tranchent,   les   chaudrons   qui ramassent les
feuilles  mortes  de  l’automne.  Les  anciens  avaient  des  rituels pour faire face à la
souffrance et au mal, en cloîtrant Morrigane nous avons cru vaincre la mort, nous
perdîmes son aide et sa grande compassion.

« Un autre aspect du problème réside  dans  le  fait  que  la  plupart  d’entre  nous  
éprouvent  une  terrible  difficulté  à  approcher  le  mal,  car  nous  n’avons  plus  de  
nos  jours,  ni  concepts  ni  rites  pour  nous  protéger.  Nous  n’avons  en  fait,   plus  
d’attitude  religieuse  face  au  mal. »234

234 Ibid, p 288

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Morrigane apparaît   toujours   lorsqu’il   y   a   dérangement,   modification,   magie,  
mort qui rôde. Elle est ce serpent silencieux qui glisse sans bruit, prêt à nous
enlacer du venin mystérieux de sa force. Pour ce faire, elle passe toujours par
différentes métamorphoses correspondant à Sa nature et lui permettant de mieux
approcher sa cible :

« Lors même que la déesse est amenée, pour assouvir une rancune personnelle
à  combattre  effectivement,  ce  n’est  pas  dans  un  appareil  guerrier  qu’elle  vient  
s’attaquer  au  héros  Cùchulain, c’est  sous  la  forme  d’une  anguille  qui  s’enroule  
autour  de  ses  jambes,  tandis  qu’il  combat  dans  un  gué  ou  sous  celle  d’une  louve  
qui pousse contre lui les troupeaux affolés ou  sous  la  forme  d’une  vache  rouge  
et  sans  cornes  … »235

Toutefois   c’est   sous   la   forme   d’une   corneille   que   la   Morrigu   est   la   mieux  
connue :
Toutefois,   la   corneille   comme   son   nom   l’indique « Badh »   est   l’épiphanie  
animale privilégiée de la déesse :  c’est  la  Badh,  Catha,  « corneille du combat »,
qui apparaît à plusieurs reprises dans les textes  insulaires,  c’est  la  corneille  qui  
vient   se   percher   sur   l’épaule   de   Cuchulain   à   l’instant   de   sa   mort   et   « c’est  
également  sous  la  forme  d’un  oiseau  que  la  Morrigù  vient  se  percher  auprès  du  
taureau  de    Cuailnge  pour  l’exciter  dans  une  incantation  magique » 236

C’est  encore  Elle  qui  préside  à  la  nuit,  à  l’hiver,  accompagnée  de  ses  fantômes,  
alors   même   que   le   nom   même   de   Morrigane   est   oublié   mais   qu’elle   hante  
l’imaginaire  collectif  sous  le  nom  de  Horla.

« Elle est particulièrement active au plus fort de  l’hiver : les flocons de neige
sont les plumes qui lui tombent quand elle fait son lit. Durant les douze jours qui
séparent   Noël   de   l’Epiphanie,   elle   voyage,   et   cela   rend   la   terre   fertile   pour  
l’année  qui  vient  – d’où  on  peut  conclure  qu’il  s’agissait  à l’origine  d’une  déesse  
païenne  associée  au  solstice  d’hiver  et  à  la  renaissance  de  l’année.

235 ML Sjoestedt, Dieux et Héros des Celtes, p 45


236 Ibid

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Elle peut parfois être terrifiante :  il  lui  arrive  de  conduire  l’armée  furieuse  « qui
traverse   le   ciel   en   chevauchant   l’orage   ou   de   se   changer   en   hideuse   vieille  
mégère aux grandes dents et au long nez – la terreur des enfants. Dans
l’ensemble  elle  ne  se  fait  terrifiante  que  lorsqu’elle  est  en  colère »237

« Quand  Horla  fait  ses  trajets  nocturnes,  une  suite  l’accompagne : ce sont les
âmes des disparus, parmi lesquelles celles des enfants et des bébés qui sont
morts sans baptême.
Notons   comme   l’auteur   que   les   randonnées   ne   sont   ni   destructrices   ni  
meurtrières mais au contraire bénéfiques et réconfortantes. »238

Quelle que   soit   l’origine   de   son   nom,   « Grande Reine » ou « Reine des
fantômes », elle est la Reine de la nuit et de la mort.

La Déesse de la mort

Voilà   comment   l’on   connaît   le   mieux   cette déesse,   c’est   Elle   qui   préside   aux  
champs   de   bataille.   L’odeur   de   la   peur et de la violence lui sont comme une
attente. Elle guette, comme Ses oiseaux noirs attendent les charognes. Et jusque
dans les mots vibrants d’un  Baudelaire  inspiré,  c’est  à  travers  l’horreur  de  Sa
présence que Sa Beauté transparaît. Comment ne pas penser à la Morrigane en
lisant ces vers :

Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l'abîme,


Ô Beauté ? Ton regard infernal et divin,
Verse confusément le bienfait et le crime,
Et l'on peut pour cela te comparer au vin.

Tu contiens dans ton oeil le couchant et l'aurore;


Tu répands des parfums comme un soir orageux;

237 Norman Cohn, Démonolâtrie et sorcellerie au Moyen Age, Payot, P255


238 Ibid, p 255

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Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore
Qui font le héros lâche et l'enfant courageux.

Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres ?


Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien;
Tu sèmes au hasard la joie et les désastres,
Et tu gouvernes tout et ne réponds de rien.

Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques;


De tes bijoux l'Horreur n'est pas le moins charmant,
Et le Meurtre, parmi tes plus chères breloques,
Sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement.

L'éphémère ébloui vole vers toi, chandelle,


Crépite, flambe et dit : Bénissons ce flambeau !
L'amoureux pantelant incliné sur sa belle
A l'air d'un moribond caressant son tombeau.

Que tu viennes du ciel ou de l'enfer, qu'importe,


Ô Beauté, monstre énorme, effrayant, ingénu!
Si ton oeil, ton souris, ton pied, m'ouvrent la porte
D'un Infini que j'aime et n'ai jamais connu ?

De Satan ou de Dieu, qu'importe ? Ange ou Sirène,


Qu'importe, si tu rends, - fée aux yeux de velours,
Rythme, parfum, lueur, ô mon unique reine ! -
L'univers moins hideux et les instants moins lourds.

Charles Baudelaire (extrait des Fleurs du Mal)

La mort et la terre

La Déesse Mère, la première, la Terre Mère propose elle aussi une facette que
nous pouvons relier à la Morrigane. Cette terre à la fois couveuse des devenirs

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et tout  autant  nourrie  de  la  mort.  C’est parfois en son sein que se trouvent les
lieux de résidence des morts.

« Parfois  les  Irlandais  ont  localisé  l’Autre  Monde  dans  les  collines  et  sous  les  
lacs : dans tous les textes mythologiques le Brug na Boinne ou « Auberge de
Boyne », autrement dit le tumulus de New Grange, est la résidence du
Dagda. »239

Ce choix  du  pays  des  morts  n’est  pas  une  singularité  du  monde  celtique,  ni  une  
originalité,  il  rejoint  un  symbole  vivant  d’une  réalité  transcendante :
« De nombreuses sociétés ont situé le lieu de survie au ciel, mais de plus
nombreuses ont imaginé un au-delà au sein de la terre. »240

La terre est cette mère divine, mais elle est aussi la mère dévoreuse :
« La  terre  est  avide,  gloutonne.  Elle  absorbe  l’eau  qui  tombe  du  ciel  comme  si  
elle  demeurait  toujours  assoiffée,  et  aussi  le  sang  qu’on  lui  offre  en  oblation ou
que  le  meurtre  fait  couler  sur  elle,  et  les  cadavres  des  bêtes  et  des  hommes  qu’on  
enfouit en  son  sein.  Elle  détruit,  dissout,  mange  tout  ce  que  l’on  dépose  en  elle.  
On  le  constate  quand  pour  l’un  de  ces  rites  assez  souvent  pratiqués,  on  déterre  
un mort : il ne reste pas grand-chose de lui au bout de quelques semaines. »241

Il parait tout à fait normal que le séjour des morts puisse se trouver en son sein.
C’est  là  que  l’on  nous enterre,  c’est  là  que  nous  retournons  tous.  Elle  nous  berce,  
mais elle nous mange aussi.

« Elle est ainsi le début et la fin de tout être »242

Président à chaque pôle, à chaque porte, Elle est celle qui fait naître et celle qui
fait   mourir.   Et   l’on   peut   voir   à   travers   sa   puissance   et   la   peur   qu’elle   peut  
engendrer que se profile aussi la tendresse miséricordieuse de celle dont la
fonction est de nous « faire passer ».

239 C  Guyonvarc’h  et  Leroux,  Les Druides, Ouest France, 1986, p 281
240 Jean Paul Roux, La  Femme  dans  l’histoire  et  les  mythes, Fayard, 2004 p 234
241 Ibid
242 Ibid

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« Au  sein  d’autres  cultures,  comme  la  culture  de  l’Insulinde  ou  celle  des  Mayas,  
qui  veillent  plus  à  enseigner  ce  qu’il  en  est  de  la  roue  de  la  vie  « et » de la mort.
Dame Mort vient envelopper les mourants apaisant leurs souffrances et les
réconfortant. Elle tourne le bébé dans la matrice, dit-on et le place la tête la
première  afin  qu’il  puisse  naître.  Elle  guide  les  mains  de  la  sage-femme, ouvre
les canaux du lait maternel dans les seins ; réconforte celui qui pleure tout seul
dans   son   coin.   Plutôt   que   d’en   faire   un   personnage   négatif,   ceux   qui   en  
connaissent son cycle entier respectent ses largesses et ses leçons. »243

Dans le conte de « La belle Wassilissa », Marie Louise Von Franz analyse


parfaitement ce que peut être cet esprit de la mère, la liant tout à la fois à la vie,
à la mort en une bénéfique alternance :

« Le thème central de ces contes est que quelque chose de surnaturel et de


numineux survit à la mort de la figure maternelle positive et la remplace ;;  c’est  
une  sorte  de  fétiche  dans  lequel  s’incarne  l’esprit  de  la  mère.  Chez  les  peuples  
archaïques, les esprits des ancêtres sont souvent assimilés à de tels fétiches et
continuent à travers ceux-ci à distribuer leur influence bénéfique. »244

Ce lien visible entre la terre, la mère et la mort entraîne aussitôt et par analogie
celui entre la terre, la femme et la mort :

« Que le lien entre la terre et la mort en entraîne aussi un entre la mort et la


femme ».245

Nous pourrons voir comme vie/mort se retrouvent mêlées tant dans le mythe et
la légende que dans la tradition des hommes, que ce soit à travers les mythes des
Dames Blanches, ou dans l’hégémonie  les « femmes qui aident » présidant à la
naissance et à la mort de ceux de leur clan.

243 Clarissa Pinkola Estés, Femmes qui courent avec les loups, Grasset & Fasquelle, 1996, p 195
244 Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 243
245 Jean Paul Roux, La  Femme  dans  l’histoire  et  les  mythes, Fayard, 2004 p 234

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L’Autre  Monde  et  le  Sidh

Le  lieu  où  se  trouve  les  morts  nous  l’avons  vu,  peut    se  trouver  sous  terre,  sous  
les  lacs.  En  tous  cas  on  y  va  en  partant  à  l’Ouest :
« Ce « paradis »  celtique  se  situe  très  loin  à  l’ouest   de  l’Irlande,   au-delà du
soleil couchant, là où vont les morts. »246

Ce pays porte différents noms :


Tir na mBeo (Terre des vivants), Tir na mBan (terre des femmes), Mag Mor
(grande plaine), Mag Meld (plaine des plaisirs), Tir na nOg (terre des jeunes). Il
est à la fois le pays des morts, mais aussi celui des dieux et cet espace fabuleux,
sorte de paradis, le Sidh.

« Les défunts y trouvent un sort enviable par comparaison à celui des vivants de
notre monde. Tout y est beau, jeune, attirant et pur. Cet autre monde porte en
irlandais   le   nom   spécifique   dont   l’emploi   fréquent   épargne   bien   des  
circonlocutions,  c’est  le  sid,  (forme  moderne  sidh),  pluriel  side,  mot  qui  signifie  
étymologiquement « paix ».247

Toujours décrit comme une vallée de plaisir le Sidh présente des conceptions
originales et invariables, quelles que soient les sources étudiées :
La messagère du Sidh
La localisation dans les îles lointaines, rendant indispensable un passage
par bateau
Une merveilleuse musique qui endort
L’absence  de  fonction  et  de  hiérarchie  humaine
La   consommation   de   mets   succulents   et   inépuisables.   L’absorption   de  
boissons enivrantes, bière, hydromel, vin
L’abolition  du  temps  et  de  l’espace
La disparition des fautes et des maladies

246 C  Guyonvarc’h  et  Leroux,  Les Druides, Ouest France, 1986, p 281
247 C  Guyonvarc’h  et Leroux, Les Druides, Ouest France, 1986, p 281

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Guyonvarc’h   fait   remarquer   qu’il   est   curieux   de   constater   que   ces   aspects  
appartiennent tous à la troisième fonction et de conclure aussitôt :
« La   raison   en   est   claire,   le   sid   étant   en   principe   et   en   fait,   l’expression,  
l’accomplissement   d’une perfection, toutes les distinctions de classes et de
fonctions  sont  abolies  parce  qu’elles  ne  sont  plus  nécessaires. »248

Quoiqu’il  en  soit  c’est  un  lieu  merveilleux.

« C’est  pour  cette  raison  qu’on  allait  si  volontiers  dans  l’Autre  Monde.  La  mort  
n’était  pas,  pour  les  Celtes,  la  délivrance  d’une  vie  de  souffrance  ou  la  punition  
d’une  multitude  de  mauvaises  actions.  C’était, pour  reprendre  l’expression  de  
Lucain, « le  milieu  d’une  longue  vie »249

Nous pouvons de la même manière observer combien cet espace est organisé par
les femmes qui en sont les messagères, les gardiennes, les « prêtresses ».  C’est  
la  femme  que  nous  trouvons    à  l’orée  de  la  vie,  au  pouvoir  de  procréation,  mais  
c’est  aussi  la  femme  que  nous  trouvons  dans  les  îles  bienheureuses,  au  chevet
des mourants, aux passages difficiles et aux anses initiatiques.

Sous différentes facettes, la vie et la mort sont imbriquées en une danse cyclique,
l’une génère  l’autre,  l’une nourrit  l’autre.  C’est  alors  exactement  le  mécanisme  
qui s’active  à  Samonios, à savoir la venue des défunts qui seront autant de forces
vitales  pour  la  nouvelle  année  qui  s’annonce :
« Les morts qui pour une nuit, reviennent dans la maison, apportent avec eux les
forces vitales des profondeurs de la Terre–Mère et permettent ainsi à la vie de
la surface de continuer. »250

La  mort  n’est  pas  l’opposée  de  la  vie,  elle  est  son  potentiel,  son  alter  égo.  Chez  
les   Celtes   elle   est   bien   plus   souvent   rapprochée   du   sommeil   que   d’un  
anéantissement.

248 Ibid, p 288


249 Ibid, p 284
250 Isaure Gratacos, Calendrier pyrénéen, Privat, 1995, p 243

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L’autre  monde :  l’inconscient

L’Autre   Monde   c’est aussi cet espace-temps mythique dans lequel quelques
héros   s’aventurent.   Il   s’agit   des   « Navigations ». Nous connaissons « La
navigation de Maelduin », « La Navigation des Hui Corra », « La navigation
de Snegdus et MacRiagla », « Le Voyage de Bran » et « le Voyage de Condlé ».
Ces  navigations  portent  le  nom  d’Imramas,  que  l’on  interprète  par « ramer de ci
de là ». Elles possèdent aussi une autre étymologie qui proviendrait du mot
gaëlique Immchella qui signifie circulation, voyage (du soleil et de la lune) dans
le ciel251.

« Les navigations mythiques, nous révèlent que nous pouvons y avoir accès de
notre vivant (Aux îles bienheureuses) même, confirmant par-là, la symbolique
du voyage initiatique intérieur ».252

En  quelque  sorte  il  s’agit  de  rencontre  avec son âme.

Le sommeil et la mort

Dans le monde Celte la mort est souvent entendue comme un sommeil, un


moment   dans   un  temps  différent.   C’est   ainsi   qu’Arthur   est   non   pas   « mort »,
mais  en  dormition  sur  l’Ile  d’Avalon,  par  essence  Ile  de  l’autre  monde,  île  des  
morts. Le mécanisme est le même sous  l’angle  psychologique :
« Psychologiquement, un contenu est « mort »   lorsqu’il   est   complètement  
endormi. »253

Nous pouvons associer à  l’endormissement  la  notion  de  stérilité  symbolique :


« Ces périodes de stérilité apparente montrent donc que quelque chose de
spécifique  est  en  gestation  dans  l’inconscient. »254

251 Ozeagan, magasine Keltia, N° 1, p 25 - 27


252 Ibid
253 Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 81
254 Ibid, P 59

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Tout   autant   qu’avec   les tours de verre dans lesquelles se trouvent enfermés
Merlin ou Etaine :

« Le  verre  illustre  un  état  d’isolement  partiel »255

Sommeil, mur de verre ou mort, sont une mise à distance, une mise en silence,
ce même silence qui permet aux gestations de poursuivre leur cours :
« Le   silence   protège   les   contenus   de   l’inconscient   contre   l’incompréhension  
collective,  aussi  bien  extérieure  qu’intérieure. »256

Les navigations, sont autant   d’incursions   dans   l’autre   monde,   où   peuvent   se  


croiser l’Inconscient  personnel,  et l’Inconscient  collectif. On peut y rencontrer
ce  que  l’on  nomme  aujourd’hui  communément  des  « fantômes257 », ou bien nous
mener plus ou moins directement au Soi, voyage qui n’est  pas  sans  danger.

«Toute   personne   se   trouvant   sur   le   chemin   de   l’individuation   découvrira   la  


nécessité de garder pour elle-même certaines expériences, en particulier dans
le  domaine  de  l’amour  et  du  sacré,  qui  ne  peuvent  être  racontées  à  personne  
[…] Il est des choses sur lesquelles  l’on  ne  peut  même  pas  se  questionner  soi-
même et  qu’il  faut  laisser  dans  le  clair-obscur pour ne pas les violer, certains
aspects   secrets   de   l’âme   ne   peuvent   se   développer   que   dans   le   sein   de  
l’obscurité.  Le  soleil  trop  clair de la conscience tue la vie. »258

Ne sommes-nous pas proches de ce Graal qui ne peut se regarder de face ? Les


excursions trop violentes dans le domaine de la psyché, menant ou pas à la clarté
de sa reliance, peuvent engendrer des états de crises ou coupures   que   l’on  
retrouve sans équivoque dans les descriptions de retour des navigations
celtiques.

255 Ibid, P 233


256 Ibid, P 225
257 Voir les travaux de Boris Cyrulnick
258 Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, P164

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De   la   même   manière   que   l’inconscient   personnel   frôle   et   interfère   avec  
l’inconscient  collectif  afin  de  parvenir  à  rejoindre  le  Soi, ce Centre psychique de
notre globalité, les   mondes   celtiques   s’interfèrent   et   le   monde   des   dieux, le
monde des morts et le monde après la vie se tressent dans un espace-temps qui
nous échappe.

La mort, l’île  et  l’eau

L’île   est   par-delà l’eau,   il  est nécessaire de prendre une barque pour aller sur
l’Ile,  constante  du  Sidh, que  ce  soit  l’île  de  navigations  dont  le  héros  revient,  que  
ce  soit  l’Ile  de  dormition  où Arthur repose. L’eau  est  toujours  le  passage  entre  
ces  mondes,  et  la  femme  celle  qui  guide  au  passage,  qu’elle  soit  femme  du  Sidh,  
ou  Prêtresse  d’Avalon,  c’est  elle  qui  préside  à  ces  silencieuses  mutations.

« Auprès de certaines sources on a retrouvé des statues de facture romaine


accompagnées   d’inscriptions   latines : matres ou matronea, représentant les
déesses mères  lingones.  Maîtresse  de  la  destinée,  c’est  singulièrement  un    rôle  
de passeur qui leur a été attribué ; elles agissent à la naissance et « après avoir
protégé les hommes durant toute leur vie terrestre, elles les aident à passer dans
l’Autre  Monde ». Comment ?  En  les  entraînant  dans  l’eau  pour  accomplir  leur  
dernier voyage. »259

Cette eau est un élément majeur de la féminité.

« L’expérience  le  prouve,  la  terre  n’est  fertile  que  si  elle  est  arrosée.  Quand  les  
pluies  se  déversent  sur  elle,  elle  les  absorbe  goulûment  […]  Puisqu’elle  est  terre,  
la  femme  est  étroitement  liée  à  l’eau  et  les  psychologues  ont  souvent  souligné  à  
quel point elle en avait conscience. »260

259 Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire, Gallimard, 1979, p 142
260 Jean Paul Roux, La  Femme  dans  l’histoire  et  les  mythes, Fayard, 2004 p 230

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Serions-nous sérieux si nous ne faisions pas le lien entre la symbolique  de  l’eau,  
de la mer et le monde psychique ? Dans son sens archaïque, la mer est le symbole
de  l’inconscient,  « la mer », la « mère »  et  nous  venons  de  voir  qu’il  n’y  a  qu’un  
pas   entre   l’inconscient   et   la   mort,   entre   le   sommeil   et   la   mort,   entre   l’eau,   la  
naissance  et  la  mort.  Si  l’eau  est  l’élément du premier voyage, de par le liquide
où   baigne   l’enfant,   il   est   aussi   celui   dans   lequel   va   baigner   le   mourant.  
Anciennement ce sont des femmes qui lavaient les morts et les préparaient, cette
mort qui peut avoir été annoncée par une Banshee ou une lavandière.
On  ne  parle  que  des  femmes  sur  l’île  où  gît  Arthur.  Cette  île  où  avec  ses  huit  
sœurs  (Moronoe,  Mazoe,  Gliten,  Glitonea,  Gliton,  Tyronoe,  Thiten,  Thiton)261,
Morgane soigne Arthur en attendant sa guérison et son retour.

Morgane  gardienne  de  l’Ile

Morgane  est  la  Prêtresse  d’Avalon  et  Avalon  est  bien  l’Autre  Monde :

« Avalon  est  bien  un  lieu  de  L’Autre  Monde  celte  ….  Une  île  où  ceux  qui  s’y  
échouent ne vieillissent plus, ne sont jamais malades et où le bonheur est
continu. »262

Le personnage de Morgane   n’apparaît   que   tardivement   dans   la   littérature.   La  


première   fois   que   nous   la   rencontrons   c’est   sous   la   plume   de   Geoffroy   de  
Montmouth dans la Vita Merlini (1135)

C’est  elle  qui  recueille  la  dépouille  d’Arthur,  blessé  mortellement et veille sur sa
« dormition ». Morgane est à rapprocher de Morrigane, et non du sens de « née
de la mer ». Morgane est Morrigu :
« Morgane est la force littéraire qui a été calquée sur une divinité féminine
archaïque dont elle est la réminiscence lointaine.  Cela  tient  aussi  au  fait  qu’elle  

261 Chritian  Guyonvarc’h, Les Druides, et Françoise Leroux


262 Artecara, La Tribune Celtique, Les Héroïnes Celtes, Hors Série N) 7, 2002p 17

Page 117
a  souvent  été  occultée  dans  les  récits,  surtout  les  plus  christianisés,  parce  qu’elle  
semble trop « sulfureuse » pour être recommandable. »263

Tout comme la Grande Reine porte les voiles de Son obscurité, Morgane
provoque  et  sème  des  pièges  sur  la  route  de  ceux  qu’elle  rencontre.  Elle  est  tout  
comme  Morrigu  portée  sur  les  choses  du  sexe  et  de  la  magie.  C’est  une  agitatrice,  
une provocatrice, une initiatrice.
Elle enferme les chevaliers infidèles à leur dame dans le Val Sans Retour de la
forêt de Brocéliande ;;  ce  qui  est  aussi  une  manière  de  les  inclure  dans  l’Autre  
Monde, de les perdre ailleurs, de les forcer à regarder leur ombre.
Elle   est   maîtresse   de   l’île   d’Avalon   où   elle   vit   en   compagnie   de   neuf   sœurs,  
autres prêtresses qui comme Morrigane possède la faculté de se transformer en
oiseau. Ce mythe se rapproche des apports historiques de Pomponius Mela au
sujet  des  neuf  prêtresses  de  l’île  de  Sein  ou  encore  celui  de  Strabon  au  sujet  des  
prêtresses   de   l’île   près   de   l’embouchure de la Loire. Comme chaque fois le
monde celtique tente de faire coïncider le monde visible au monde invisible, ce
n’est   pas   le   divin   qui   prend   forme   humaine,   mais   l’humanité   qui   aspire   à
l’incarner.

Ce  n’est   pas  parce  qu’elle  est   là,  à  guetter  l’odeur du sang sur les champs de
bataille  qu’elle  le  fait  d’un  air  de  hyène  sauvage,  c’est  avec  toute  la  tendresse  
d’une  mère  qu’elle  veille  à  nos  agonies,  qu’elle  accompagne  nos  morts  et  nos  
pleurs. Elle est à la fois celle qui lave notre dernier linge et celle qui nous pleure.
C’est   encore  elle  qui   traîne  dans  les  abords  des  rivières  et   des  sources   en ces
lavandières du soir que chacun se garde de croiser.

Le  lien  est  fait  entre  la  mort,  la  nuit  et  l’eau  et  ces  traces  se  trouvent  dans  tout  le  
folklore  de  l’Europe.
Tout  un  ensemble  d’interdits  et  de  croyances,  autour  de  « laver » sont en rapport
avec la divination et la mort.

263 Jean Markale, Les Dames du Graal, Pygmalion, 1999, p 289

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« C’est  singulièrement  dans  son  chapitre  sur  les  funérailles  que  Van  Gennep  en  
rassemble les principaux éléments :
Ainsi sont présages de morts dans le pays de Montebéliard « un drap plongé
dans  une  lessive,  s’entêtant  à  ne  pas  disparaître  complètement », ou encore une
lessive coulée, trouver dans le cuvier du linge pas complètement imbibé
(VGManuel  t  I  vol  2  P  662)  Dans  le  nord  de  l’Ecosse,  lorsque  le  savon  ne  s’élève  
pas  sur  les  linges,  c’est  qu’il  y  a  dans  le  cuvier  le  linge  d’une  personne  destinée
à   mourir   bientôt   […] En basse Normandie on se garde bien de mettre les
chemises  sens  dessus  dessous  quand  on  est  en  train  d’asseoir  la  lessive  dans  la  
cuve  de  peur  d’attirer  la  mort  de quelqu’un  de  la  maison ».264

Les interdits de laver sont « comme par hasard » les jours où Morrigane promène
son cortège.

« Très   répandus   surtout   sont   les   interdits   calendaires   de   lessive   […]   toutes
périodes qui ont un point commun : elles se trouvent être celles-là mêmes où
sont censées circuler sur terre les âmes des morts. (A Varagnac, 1948)265

La   divination   de   la   santé   ou   de   la   mort   prochaine   d’une   personne,  


particulièrement des enfants, se faisait, et ce sur toute la frange celtique, par
l’observation  du flottement  d’une  chemise  sur  l’eau :
« C’est  lancer  la  pièce  de linge  dans  l’eau,  la  laisser  s’épandre,  flotter,  puis  la  
ramener. Or ce geste est celui-là même de la divination dans les fontaines où
l’oracle  se  lit  par  l’intermédiaire  d’un  linge  trempé :  s’il  flotte  la  personne  pour  
laquelle  on  consulte  guérit,  s’il  s’enfonce,  la  personne  meurt.  Le  flottement  du  
linge est essentiellement utilisé pour interroger la fontaine sur le destin des
nouveaux-nés. (on prend le lange) sur le sort des malades, (on prend une
chemise) »266

264Sébillot, 1895, Chap Lavandières et Blanchisseuses, p 11


265 Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire, Gallimard, 1979, p 17
266 Ibid, p 17

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Yvonne Verdier note que le terme de « gaisser » c'est-à-dire rincer en laissant
flotter   puis   ramener   le   linge,     n’est   pas   sans   intérêt   en   ce   qui   concerne   notre  
étude :
« Le  terme  a  également  un  emploi  plus  restrictif  plus  local  puisqu’il  désigne  un  
geste  d’offrande  accompli  encore  au  début  du  siècle, tous les ans, le jour de la
chandeleur. »267

Détail, certes, mais de grande importance car il lie, la déesse des Fantômes à la
Brigid lumineuse  dont  la  fête  est  la  chandeleur.  S’il  existe  une  trace  occulte  de  
survivance archétypale, en voici une.

Avec les  esprits  féminins,  la  terre,  les  forêts,  l’eau,  le  linge,  la  vie,  la  mort,  se  
trouve le mythe des Dames Blanches. Il est très surprenant de voir comme à notre
époque   si   peu   portée   sur   le   magique,   l’évocation   de   ces   personnages   suscite  
encore un doute,  une  envie  d’y  croire.

Les dames blanches

Les dames blanches, les banshees et les lavandières se confondent fréquemment.


On les retrouve toutes sur tout le territoire celtique. En France elles sont les
Daeas blanches, en Angleterre les White Lady, en Allemagne les Weisse Frauen,
en Hollande les Witte Wieven ou Wittewijven, et en Europe centrale les Bílá paní.
Si elles ont quelques points divergents, elles ont toutes en commun leur lien avec
l’eau,  l’humide,  l’obscur, que ce soit de par leur présence aux sources, étangs,
marais ou lavoirs, ou bien encore dans les grottes et le fond des forêts sauvages.
Il peut s'agir de fées, de sorcières, de lavandières, ou de messagères, mais le nom
de Dame Blanche est sans doute le plus connu. Il est donné à des mythes ou
apparitions de natures diverses.

267 Ibid

Page 120
Il fait partie des croyances que la Dame Blanche fut un être ayant réellement
existé,  mais  d’une  autre  race  que  les  humains.  Il  nous  serait  aisé  d’en  faire  ce  
« petit peuple » rencontré dans les légendes celtiques, qui serait les derniers
survivants  d’une  espèce  d’homme  ayant  habité  l’Europe  avant  les  Celtes.  De  cela  
il sera difficile de trouver la vérité. Pourquoi pas le souvenir   de   l’homme   du  
Néandertal devant  l’avancée  de  l’Homo  sapien ? Que savons-nous vraiment ?
Ce  qui  est  sûr  c’est  que  les  traits  celtes  se  retrouvent  dans  leurs  caractéristiques.  
Nous  ne  pouvons  par  conséquent  pas  écarter  l’idée  qu’elles  soient  l’héritage  de  
croyances anciennes.

« Nombre de ces personnages féminins fantastiques aux dénominations variées,


fées, vouivres, dames blanches, lavandières nocturnes – bénéfiques ou
maléfiques – hantent les sources, fontaines, puits, grottes. »268

À Châteauneuf-sur-Loire des Dames blanches apparaissent le jour de Noël, à


minuit, sur la motte de l'ancien château de Chalençois accompagnées d'un
mouton monstrueux ayant parole humaine. Une Bonne Dame est toujours
vénérée à Nevoy, où une fontaine lui est dédiée. Preuve du caractère bien vivant
de ces légendes. 269

Plus nombreux sont les personnages qui se montrent, non pas au-dessus des eaux
stagnantes, mais dans leur voisinage. Quelques-uns, bien que paraissant
appartenir au monde des morts, s'y livrent à des ébats qui n'ont rien de lugubre.
Sur les bords de la Mare à Cornu, à Neuville Chant d'Oisel (Seine-Maritime.),
on voyait apparaître et danser les Demoiselles, c'est-à-dire les Dames blanches.

Ces Dames se rencontrent parfois sous la forme de lavandières de la nuit.

268 Ibid, p 142


269 C. Chenault,, L'imaginaire orléanais, Editions Page à page, 1997.

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Les lavandières

Le mythe des lavandières de nuit est présent dans de nombreuses régions, sous
des noms divers :
Night washerwoman (Angleterre), Kannerez-noz (Bretagne ), Bean Nighe (la
laveuse du gué), Bean Sith, Caointeach (la pleureuse). (Ecosse), Ben niaghyn
(Ile de Man), Bean niochain, Bean Si, Bean Shide, Bean Chaointe, Badhbh
(Irlande ), Lamina (Pays Basque ), Lavandeira Da Noite (Portugal ), Bugadiero
(Provence ), Gollières à noz (Suisse romande ), Cyhyraeth, Gwrach y Rhibyn.
(Pays de Galles).

Les lavandières font partie des Dames Blanches, mais semblent posséder des
caractéristiques particulières. Elles se manifestent plutôt la nuit, et surtout les
nuits de pleine lune ou de la Toussaint. C'est dans le voisinage des étangs ou des
mares qu'on en a constaté le plus grand nombre. Elles sont un mauvais présage
et sont dangereuses si on les approche. Elles sont souvent âgées, d'un aspect
pitoyable, mais restent robustes. Il semble plus récent de les voir en tant que
fantômes de femmes mortes qui reviennent pour expier une faute dont l'origine
varie.

« En Bretagne, des femmes blanches, qu'on appelle lavandières ou chanteuses


de nuit, lavent leur linge en chantant, au clair de lune, dans les fontaines
écartées; elles réclament l'aide des passants pour tordre leur linge et cassent les
bras à qui les aide de mauvaise grâce.»270

Lorsqu'un passant s'approche, les lavandières lui demandent de les aider à


essorer leurs linges ou linceuls, en les tordant. Il faut alors impérativement le
tordre dans le même sens qu'elles pour qu'elles se lassent et abandonnent.
Malheur à celui qui se trompe, il a les bras happés et brisés par le linge qui finit
par l'entourer jusqu'à l'étouffer. S'il refuse de les aider elles l'enroulent dans les
linges et le noient dans le lavoir, tout en le frappant avec leurs battoirs.

270 (Collin de Plancy, Jacques Albin Simon, Dictionnaire Infernal, Plon, 1863, p. 267

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« N’y   allez   pas   le   soir,  pendant   les   nuits   sereines,   ou   bien   prenez   garde.   Les  
dames de la fontaine sont trois nocturnes, trois pâles lavandières
gémissantes. »271

Dans l'Autunois aussi, les lavandières qui lavaient les linceuls des morts
obligeaient les paysans à les tordre avec elles, et, le matin on retrouvait le
malheureux évanoui sur le pré, les bras tordus ; heureux s'il survivait à l'aventure.
Les Gollières à noz, les lavandières de nuit de la Suisse romande, sont des filles
belles, mais méchantes, que l'on voit au clair de lune faire leur lessive près des
fontaines et des mares solitaires. Elles invitent les passants à les aider, mais si,
par distraction, ils tordent à rebours, elles leur tordent le cou. En Berry et en
Beauce la légende des lavandières de nuit rapporte que de mystérieuses laveuses
se retrouvaient la nuit auprès des mares pour y laver les âmes des enfants morts
sans baptême ou des damnés. Près d'Orléans, à Saint-Ay on raconte l'histoire
d'une religieuse de l'ancien couvent de Voisins, morte, enfermée dans un
souterrain et qui revient en ce lieu les nuits de pleine lune pour y faire sa lessive.
C’est  aussi  une  Dame  Blanche  qui  peut  se montrer aux lavandières humaines, à
un lavoir près d'Oberbronn, en Alsace, une dame blanche se montrait depuis un
temps immémorial aux lavandières qui y allaient la nuit; elle ne regardait
personne, ne parlait à personne, et s'asseyait à une place écartée pour laver des
chemises, que l'on croyait être celles des trépassés. Son apparition présageait la
mort d'un membre de la famille d'une des laveuses.

Bien entendu ce sont les propriétés de purification et de régénération de l'eau qui


se retrouvent dans la croyance aux lavandières. Purification initiatique. Ces
propriétés ont tout un ensemble de répercussions sur les lavandières humaines.
Ainsi, avaient-elles choisi de se mettre sous le patronage de la « purification de
la Vierge » célébrée (comme par hasard !) à la Chandeleur. Dans les villes, la
fête des blanchisseuses et des lingères avait lieu lors de la mi-carême. On élisait,
encore, à cette occasion, par exemple à Orléans, au début du XXème siècle, une
reine des blanchisseuses qui présidait et conduisait la cavalcade. Gaston Couté,

271 Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire, Gallimard, 1979, p 143

Page 123
dans son poème « Jour de lessive » reprend ce thème de la lessive capable de
laver les souillures du linge, mais aussi celles de l'âme.
L'alchimie du lavage, dans la société traditionnelle, reste un savoir-faire
strictement féminin et les endroits où l'on lave sont quasiment interdits à
l'homme. Le lavoir est un lieu de rencontre, de communication important pour
la communauté villageoise féminine. La vindicte y est souvent féroce ; c'est la
« gazette locale ». C'est un lieu, comme l'atteste la tradition orale qui est
également joyeux : on y plaisante, on y rit, on y chante, et nous retrouverons
cette caractéristique dans  le  cadre  de  l’obscénité  féminine  
L’importance   magique   de   la   lessive,   son   lien   ténu avec la mort engendre de
nombreux interdits.

« Le 5 février, pour la Ste Agathe, on ne devait faire « ni hor ni ruscada » (ni


four ni lessive). La transgression  de  l’interdit  était   une  folie  qui   entraînait   la  
mort dans la maison ».272

« […]  Les  récits  sont nombreux qui mettent en scène « la vieille à la quenouille »
si  l’interdit  concernant  la  lessive  est  transgressé  le  jour  de  la  Ste  Agathe,  une  
vieille  fileuse  inconnue  vient  s’asseoir  près  du  foyer  Elle  ne  part  que  lorsque  le  
feu sur lequel bout la lessive  a  été  éteint  à  coup  de  casseroles  d’eau ».273

Cette relation, est constante dans les traditions populaires, les lavandières étant
souvent celles qui sont préposées à la toilette des défunts et de leurs vêtements.

Elles sont connues aussi sous le nom de messagères.

Les Banshee

La dame blanche annonciatrice d'une mort prochaine quand elle n’est   pas  
forcément lavandière est dite « messagère ». Elle est la transposition exacte du
mythe celtique de la banshee.

272 Isaure Gratacos, Calendrier pyrénéen, Privat, 1995, p 75


273 Ibid

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Ce sont ses hurlements qui annoncent cette mort. Une banshee peut revêtir
plusieurs apparences. Dans le folklore traditionnel irlandais, la banshee était une
femme vêtue  d’une  robe  blanche,  à  la  longue  chevelure  hirsute  et  au  visage  très  
pâle. On   la   rencontre   parfois   sous   la   forme   d’une   belle   jeune   fille   au   visage  
dévoré par les pleurs au point que ses yeux sont rouges de sang, mais plus
souvent d’une  vieille  femme hideuse  aux  longs  et  maigres  cheveux,  vêtue  d’une  
robe  verte  et  d’un  manteau  gris.
Le cri de la banshee, le keening, est le plus horrible qui puisse s'imaginer. Il tient
à la fois du hurlement du loup, des appels de l'enfant abandonné, des plaintes de
la femme qui accouche, et des cris de l'oie sauvage. Ceux qui l'ont entendu
affirment que ce cri réveillerait n'importe qui dormant d'un sommeil profond,
qu'il resterait audible au milieu d'une violente tempête et qu'il blanchirait les
cheveux de celui qui l'entend. Lorsqu'une banshee émet ce cri, on sait qu'un
membre de sa famille est mort, ou s'apprête à mourir. Il arrive parfois que des
banshees se réunissent pour hurler à l'unisson, annonçant l'arrivée d'une grande
catastrophe ou le décès d'une personne importante.

« A Tavers, si l'on en croit le récit original de 1890, tous les soirs, dans cette
commune, "la fée Houlippe sortait des brouillards de la Loire, sur un char léger
traîné par deux colombes et allait jusqu'à l'endroit où est plantée la Croix
Houlippe puis retournait dans les brumes du fleuve". Il s'agit bien là d'un esprit
du fleuve, d'une naïade. Le personnage fait penser aux Banshees irlandaises qui
apparaissent sous la forme de cygne et sont en liaison avec l'eau ».274

J’ai  le  souvenir,  très  net, de ce cri dans mon enfance. Réellement réveillée par
une  longue  plainte  lugubre,  j’alertais  toute la maison pour aller voir « quel enfant
était   en   train   d’hurler   dans   la   nuit ».   Je   l’imaginais   en   train   de   se   noyer   et  
d’appeler  au  secours.  Ce  fut  une  expérience terrible. Ce cri fendait la nuit comme
une plaie traverse  la  chair.  J’en  avais  des  frissons .  De  fait  c’était  le  cri  du  « chat
huant »,  et  je  n’ai  pas  mémoire  qu’un  décès  eut lieu aux alentours de ce moment-
là, mais il se peut que sur ce point ma mémoire fasse défaut.

274 Archives du Conseil Général du Loiret

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Au sujet du bruit fait par les lavandières, Georges Sand propose une origine :
« Nous avons entendu souvent le battoir des laveuses de nuit résonner dans le
silence   autour   des   mares   désertes.   C’est   à   s’y   tromper.   C’est   une   espèce   de
grenouille qui  produit  ce  bruit  formidable.  Mais  c’est  bien  triste  d’avoir  fait  cette  
puérile   découverte   et   de   ne   plus   pouvoir   espérer   l’apparition   des   terribles  
sorcières, tordant leurs haillons immondes, dans la brume des nuits de
novembre,  à  la  pâle  clarté  d’un  croissant  blafard  reflété  par  les  eaux. » 275

Banshee vient du gaélique Bean Si ou Bean Sidhe (Irlande) ou encore Bean Sith
(Écosse) signifiant « femme du Sidh».
Quoi qu’il  en  soit  ces  femmes  sont  des  aides au « passage ».
« La femme mediale se tient entre le monde de la réalité consensuelle et celui de
l’inconscient  mystique,  et  fait  le  lien  entre  les  deux.  Elle  est  le  transmetteur  et  le  
récepteur de deux valeurs ou idées, ou plus. Elle est celle qui donne vie aux idées
neuves, échange les vieilles idées contre des innovations, sert de traductrice
entre  le  monde  du  rationnel  et  le  monde  de  l’imaginaire.  Elle  « entend », « sait »,
« sent », ce qui va arriver. »276

Nous retrouvions cette fonction dans le paysage social, où les femmes se tenaient
aux différentes étapes de la vie, comme à Minot, décrit par Yvonne Verdier :
« A écouter les femmes de Minot, la marque du destin, sa griffe, se poserait en
effet en des moments bien précis du cours de la vie, en ses moments de
vulnérabilité, aux étapes mêmes de son développement dans le temps : à la
naissance, lors des étapes du grandissement (à Minot la première communion),
au mariage et à la mort et au voisinage de celle-ci, la maladie : tous moments
affectant le corps dans ses transformations. »277

Elle  précise  même  qu’il  s’agit  bien  de  « passage » et de pouvoir accompagner le
temps :
« Or,  c’est  singulièrement  lors  de  ces  « moments de passage »  que  s’affirme  la  
prééminence de certains rôles féminins à Minot, rôles qui font intervenir des

275 Georges Sand, Légendes rustiques, 1858, éditions Verso, Guéret, 1987
276 Clarissa Pinkola Estés, Femmes qui courent avec les loups, Grasset & Fasquelle, 1996, p 394
277 Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire, Gallimard, 1979, p 77

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techniques   exclusivement   féminines,   de   celles   qu’on   n’échange pas avec les
hommes : laver, coudre, cuisiner ; Ces savoir-faire sont partagés par toutes les
femmes dans le cadre quotidien de leur  vie  familiale,  délimitant  l’existence  bien  
tranchée   d’une   aire   de   culture   féminine   avec   ses   techniques   propres,   ses  
traditions, son langage, son échelle de maîtrise, sa topographie, ses rythmes.
Mais, exercées hors de ce cadre domestiques, « pour les autres » et précisément
dans « ces moments-là », ils prennent alors une autre ampleur, ayant pour
fonction de régler le déroulement de la vie individuelle dans sa progression
temporelle  de  la  prise  d’âge.[…]  Les  femmes  dont  nous  avons  pu  saisir  à  travers  
les  représentations   associées  à  leur  corps,   l’intime  connivence  avec  le  temps,  
auraient-elles  pour  fonction  sociale  d’aménager  les  étapes  qui  conduisent  de  la  
naissance à la mort ? »278

Elles sont reconnues comme les officiantes de rites de passages, passages dans
leurs aspects les plus secrets, ceux de la naissance et de la mort :
« Maîtresse  de  la  naissance  et  par  là  au  contact  des  forces  les  plus  secrètes,[…]  
les femmes jouent aussi à ce titre un rôle spécifique dans les rituels qui
accompagnent la mort. Comme elles ont partie liée par la naissance avec ce qui
dans  le  corps  échappe  à  la  culture  pour  obéir  aux  lois  d’une  nature  sauvage,  
elles veillent aux rituels de préparation du corps pour le purifier avant de le
rendre aux regards des proches et de ses amis ».279

Les femmes du Sidh

Le lien entre les femmes du Sidh, les banshees et la Morrigane semble acquis :
« On a généralement traduit Morrigu ou Morrigan par la « Reine des mares,
des fantômes », en fonction de la racine germanique « Mattir ». Je ne pense pas
que   l’on   puisse     réellement   justifier   de   la   présence   d’une   telle   racine   dans  
l’irlandais  « Morrigu » (Grande Reine), mais ce que dit Françoise Le Roux à

278 Ibid, p 80
279 Georges Duby – Michelle Perrot, Histoire des femmes – L’Antiquité, Plon, 1990, p 395

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propos de Morwyn me parait beaucoup plus censé : morwyn en gallois veut dire
« jeune fille » or non seulement il vient de mori-gna mais le sens initial est
« vierge »,  ceci  suggère  que  l’équivalence  établie  par  le  folklore,  de  la  Badh,  ou  
Morrigu   et   de   la   Banshee   n’est   pas   le   fruit   d’un   hasard   confusionniste   et  
témoigne dune conception profondément inscrite dans la mentalité irlandaise ;
elles  sont  autant  d’aspects  d’une  représentation  féminine  initiale : la « Baschee
– bean sidh – ou  femme  du    Sidh  est  une  messagère  de  l’Autre  monde.  
« Elle  voyage  sous  la  forme  d’un  oiseau,  d’un  cygne  de  préférence. Mais cette
qualité  n’a  plus  été  comprise  lors  de  la  christianisation  et  les  transcripteurs  en  
ont  fait  une  amoureuse  venant  chercher  l’élu  de  son  cœur.  La  Banshee  est  par  
définition  un  être  doué  de  magie.  Elle  n’est  pas  soumise  aux  contingences des
trois   dimensions   et   la   pomme   ou   la   branche   qu’elle   remet   ont   des   qualités  
merveilleuses.  Le  plus  puissant  des  druides  ne  peut  retenir  celui  qu’elle  appelle  
et  quand  elle  s’éloigne  provisoirement  l’élu  tombe  en  langueur ». (Dictionnaire
des Symboles, t II, p 303 – 304)
En somme les métamorphoses animales, oiseaux, ou autres, de la « Banshee »
ne  constituent  qu’une  partie  symbolique  de  ses  virtuosités,  « car si les femmes
du Sidh se changent en oiseaux pour jouer leur rôle de messagères, elles ne
cessent  pas  pour  autant  d’être  des  messagères  quand  elles  gardent  l’apparence  
humaine  …  […]  Par  ailleurs  ces  ressortissants  terrestres  appelés  dans  le  Sid,  
changent   de   condition   sans   passer   nécessairement   par   ce   changement   d’état  
qu’est  la  mort  physique   »280

L’analyse  concorde  chez  Guyonvarc’h  et  Leroux :


« En outre – on ne le dit pas toujours – le thème est tragique (celui de la femme
du   Sid   venue   chercher   un   vivant)   car   ce   véritable   ange   de   la   mort   qu’est   la  
femme   de   l’Autre   monde   emmène   chaque   fois   le   vivant   dans   un   pays   d’où  
normalement, on ne revient jamais. Et les incantations des Druides sont
impuissantes contre la force irrésistible de cet appel. »281

280 Véronique Guibert De La Vaissière, Les   Quatre   fêtes  d’ouverture   de   saison  de   l’Irlande   Ancienne,
Armeline, 2003, p 127
281 C Guyonvarc’h  et  Leroux,  Les  Druides,  Ouest  France,  1986,      p  284

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Les femmes du Sidh si nombreuses dans la mythologie celtique sont donc des
messagères  de  l’Autre  Monde.  Elles annoncent et elles accompagnent la mort,
tout comme leurs héritières. Les femmes du Sidh, élément important de la
tradition se retrouvent dans la matière mythique et littéraire, lien ténu entre les
deux mondes, le passage possible, tentateur, insaisissable et poétique.

« Les  femmes  de  l’Autre  Monde  sont  les  messagères  des  Dieux. Mais elles ne se
montrent pas toujours de prime abord sous une apparence humaine : elles
arrivent  très  souvent  sous  l’aspect  d’oiseaux  (des  cygnes). »282

De  fait  les  métamorphoses  de  femmes  en  oiseaux  et  d’oiseaux  en  femmes  sont  
très présentes dans la mythologie celtique à tel point que nous pourrions appeler
les femmes du Sidh, les femmes oiseaux. Ce rapprochement entre la femme et
l’oiseau  est  lourd  de  sens et de symbolique.

Les femmes oiseaux

« Les femmes oiseaux qui se retrouvent sont parmi les plus universels des être
surnaturels qui entrent parfois en contact avec les humains et se laissent, à leur
corps défendant, capturer par eux. On les rencontre en  Asie  du  Sud  Est    […]  très  
probablement en Chine, certainement en Asie centrale chez les Turcs et les
Mongols, en Asie Orientale chez les Mandchous, au nord chez les Lapons et les
Samoyèdes, en Europe chez les Polonais, les Russes et les Germains. Parfois
mais rarement ce sont des pigeons ou des colombes, le plus souvent des cygnes
ou des oies, les deux espèces animales étant généralement confondues. »283

Nous  l’avons  vu  Morrigu  est  liée  à  la  corneille,  aux  oiseaux  de  nuit, mais les
« femmes », intermédiaires entre les mondes, les « femmes du Sidh », les déesses
dans  leurs  métamorphoses  sont  liées  à  l’ensemble  des  oiseaux.

282 Ibid p 289


283 Jean Paul Roux, La  Femme  dans  l’histoire  et  les  mythes, Fayard, 2004 p 244

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« Un  homme  se  rend  au  bord  d’un  lac  ou  d’une  rivière  et  voit  des  femmes  qui
s’y  baignent  nues.  Elles  ont  laissé  sur  le  rivage  leurs  vêtements.  Par  jeu  ou  par  
calcul,  il  dérobe  les  habits  de  l’une  d’elles.  Toutes  après  le  bain,  s’habillent  et  
s’envolent  sous  la  forme  de  cygnes,  celle  à qui on a volé son vêtement reste seule
et sans pouvoir.  Elle  tombe  alors  aux  mains  de  l’homme, devient sa chose, lui
livre  ses  secrets  ou  son  corps.  S’il  l’épouse,  elle  le  rend  père  d’un  ou  plusieurs  
fils,  généralement  fondateur  d’une  dynastie  ou  d’un  peuple.    […]  Dans  certaines  
versions  au  bout  d’un  certain temps elle retrouve ses ailes et part rejoindre les
siens. » 284

Dans la mythologie celtique les oiseaux les plus fréquemment rencontrés sont la
corneille ou corbeau, et le cygne. Etaine, nous  aurons  l’occasion  de  le  voir, passe
par  l’état  de  cygne   tout comme la bien aimée d’Oengus,   Elles entraînent leur
complice amoureux dans cette même métamorphose.

Transposant le trait  d’union entre les mondes de la mort et de la vie, nous nous
trouvons en présence d’un  lien  entre  l’inconscient  et  le  conscient.  En ce sens les
oiseaux représentent tout simplement les idées, les intuitions, les « messages ».
Ou   encore   plus   précisément   la   nature   de   l’âme   elle-même. La réalité
psychologique de ce sens est parfaitement bien attestée par Marie Louise Von
Franz.

En ce qui  concerne  la  nature  de  l’âme :


« Un constant effort conscient est nécessaire pour que ces entités intérieures
s’humanisent  en  restant  reliées  à  la  conscience,  car  les  épouses  cygnes  et  les  
frères oiseaux amants, tendront toujours à reprendre leur vêtement et à
s’envoler.   C’est   pourquoi   pris   négativement   le   cygne   représente   la   qualité  
inconstante  et   inhumaine  de  l’anima.  Sous  son   aspect   positif,   il  représente  la  
possibilité de la connaissance et de hautes réalisations intérieures. »285

En ce qui concerne les intuitions et les messages du Soi :

284 JP Leroux, Faune et flore, p 248 - 355


285 Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 208

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« Comme à tous les volatiles, on lui a de tout temps associé certaines qualités
démoniaques, qui correspondent psychologiquement aux intuitions,
pressentiments, idées et sentiments qui surviennent brusquement comme de nulle
part, et qui disparaissent de même. »286

Les oiseaux annonciateurs, accompagnateurs guident sur le chemin d’un  


changement  d’état,  de  situation,  d’idée,  d’inspiration,  de  créativité.  Ils  sont  ainsi  
l’intuition,  (les  messages  que  portent  ces  femmes  aux vivants) ou la méditation
(navigation).

L’oiseau,  le  cygne  et  le  corbeau  sont  des  éléments  inconscients  qui  à un moment
ou un autre sont conscientisés. Ils représentent le « signe »  qu’un  lien  s’est  fait,  
qu’une   prise   de   conscience   s’est   faite.   C’est   pourquoi   parfois   l’oiseau   prend  
forme humaine, alors  que  d’autres  fois  il  repart  dans  l’autre  monde,  se  trouve  
« refoulé ».  Il  est  cette  part  d’âme  dont  nous  nous  languissons quand nous en
avons  fait  la  rencontre.  Tel  est  l’amour  de  Myddir  pour  Etaine,  qu’il  ne  cesse  
d’aimer  et  de  chercher  à  conquérir,  alors  que  des  forces  et  des  volontés  contraires  
l’éloignent et la poussent à  se  métamorphoser.  Tel  est  aussi  le  rêve  d’Oengus
atteint  d’une  maladie  de  langueur  depuis  qu’il  a  vu  celle  qui  sera  le  « cygne » de
sa destinée.

Désignation  d’un  changement  de  niveau  de  conscience,  d’une  étape  psychique,  
l’oiseau  transcende aussi les différents niveaux. Interprété de façon plus globale
et  communautaire  l’oiseau  peut  tout  aussi  bien  être  appliqué  à  la  vieille  religion :
« Par rapport à la conscience chrétienne, le cygne représente un contenu pré-
chrétien. Dans son livre, Wotan und germanischer Schicksalsglaube, Marin
Ninck dit que le cygne est le compagnon naturel de Wotan. Si un aspect déjà
relié  à  la  conscience  humaine  est  contraint  de  reprendre  son  aspect  d’oiseau,  il  
subit   une   régression.   Autrement   dit,   des   contenus   de   l’inconscient   déjà  
partiellement   intégrés   peuvent   en   raison   d’une   détérioration   de   l’attitude  
humaine  consciente,  être  à  nouveau  refoulés  dans  l’inconscient. »287

286 Ibid
287 Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 208

Page 131
Le  cygne  serait  l’oiseau  sacré  visionnaire  :
« Parce   qu’il   connait   l’avenir   le   cygne   est   l’oiseau   sacré   d’Apollon   dans   la  
mythologie grecque et de Njödr dans la mythologie nordique. » 288

Alors que le corbeau :


« Le corbeau est le seul animal à être resté sur la terre à se repaître des cadavres
et ne suivit pas Noé dans son arche. « depuis lors, le corbeau fut mal coté dans
la bible ».289
Cependant par le jeu de leur plumage, noir et blanc, de par leurs opposés, ils ne
sont  ni  contraires  ni  combattants,  mais  l’un  contenant  l’essence  de  l’autre,  tel  un  
cercle  du  Yin  Yang  où  l’un  se  trouve  en  potentiel  dans  l’autre.    Le  cygne  et  le  
corbeau sont alors très proches dans leur symbolique.

« Ces oiseaux ont un symbolisme analogue sous bien des aspects »290

« Le corbeau représente les pensées sombres en même temps que la lumière qui
tout  à  coup  peut  en  surgir  et  les  transpercer  […]  L’oiseau  figure  les  concepts  et  
les intuitions involontaires qui apparaissent en nous tout à coup. Nous croyons
que  ces  pensées  sont  de  notre  fait,  alors  qu’elles  se  posent  dans  nos  têtes,  tel  des  
oiseaux. »291

C’est  cet  aspect  sombre  pouvant  générer  la  lumière  jaillissante  qui   rattache le
corbeau  à  Lugh,  le  dieu  fils  de  l’ombre  et  de  la  clarté. Tout comme il se trouve
l’oiseau  compagnon  de  Morrigu,  cette  obscure  déesse,  noire  et  brune  de  qui  la  
vie jaillit en une grande lueur.

« La  conscience  rationnelle  a  périodiquement  besoin  d’être  obscurcie pour que


la lumière nouvelle puisse jaillir et avec elle de nouvelles possibilités créatrices,
c’est  pourquoi  le  cygne  et  le  corbeau  traduisent  des  réalités  très  proches »292

288 Ibid
289 Ibid p 210
290 Ibid p 211
291 Ibid
292 Ibid

Page 132
Il arrive parfois que ce soit des hommes qui se présentent ou disparaissent sous
forme  d’oiseaux. Un dieu sous la  forme  d’un  oiseau  peut venir aimer une reine
et lui engendrer un fils :
« Quand  elle  était  là,  elle  vit  un  oiseau  venir  à  elle  par  l’ouverture  du  toit.  Il  
laissa  son  vêtement  d’oiseau  au  milieu  de  la  maison.  Il  alla  à  elle et il la posséda,
en disant : « Ils viennent vers toi de la part du roi pour détruire ta maison et
t’emmener  à  lui  par  la  contrainte.  Tu  seras  enceinte  de  moi  et  tu  enfanteras  un  
fils.   Ce   fils   ne   tuera   pas   d’oiseaux,   son   nom   sera   Conaire,   fils   de   Mess
Buachalla. »293

L’oiseau,   cet élément   de   l’autre   monde   vient   ou   retourne   toujours   au   nord,  


symbole de l’inconscient  dans  ce  qu’il  a  de  plus  insondable,  de  plus  prometteur :
« Mais  tous  les  oiseaux,  quels  qu’ils  soient,  quand  ils  surgissent  dans  la  légende,
viennent   du   nord,   de   l’Autre   Monde,   et   ce   sont   des   cygnes   qui   chantent   une  
musique merveilleuse »294

Les Déesses juments

Les déesses sont   tout   autant   liées   aux   chevaux   qu’elles   peuvent   l’être   aux  
oiseaux et plusieurs mythes l’attestent.
Le   cheval   est   un   passeur.   Là   où   l’oiseau   va   symboliser   le   passage   intuitif,   le  
cheval peut symboliser le passage instinctif. Nous sommes toujours dans le
domaine   du   passage,   d’une   sorte   de   tissage   entre   les   mondes.   Sans   parler  
d’éléments  essentiellement  psychopompes, les déesses juments sont détentrices
d’une  grande  force  intérieure  symbolisée  par  la  force  même  du  cheval.  Les  trois  
déesses cheval que nous connaissons bien sont Epona, Macha et Rhiannon. A la
fois portée ou porteuse comme   l’animal, elles en représentent la fonction de
voyage entre les mondes.

293 Togail  Bruidne  Da  Derga,  in  C  Guyonvarc’h  et  Leroux,  Les Druides, Ouest France, 1986, p 292
294 C  Guyonvarc’h  et  Leroux,  Les Druides, Ouest France, 1986, p 289

Page 133
La déesse jument  n’est  pas  que psychopompe,  sous  forme  de  cheval  elle  n’est  
pas uniquement celle qui porte les âmes dans la mort. Elle peut être cela, mais
projetée sur le plan psychique, cette « jument » est aussi la force et le courage,
la constance nécessaire au va et vient vital entre notre part inconsciente et notre
part consciente.
Dans  l’étude  des  rêves  Marie  Louise  Von  Franz,  regarde  la  gare  de  triage  comme  
reflet d’une  activité au  niveau  de  l’inconscient  et  de  fait  il  nous  arrive  lorsque  
les énergies psychiques sont en grand remembrement de la voir sous forme de
véhicule moderne, voiture, camion ou train. Le temps du mythe ne connaît que
le cheval comme moyen véhicule. Il est par conséquent possible de regarder le
pouvoir « cheval » de la déesse, ce long travail que nous devons effectuer pour
« prendre conscience » des choses et les amener à maturité.
En  tant  qu’élément  instinctuel  cette  prise  de  conscience n’omet  pas  nos  instincts,  
nos besoins vitaux et le respect de leurs attentes. En termes de psychologie
analytiques  nous  dirions  que  le  cheval  représente  l’effort  et  la  force  nécessaire  
sur  le  chemin  de  l’individuation  englobant  tout  à  la  fois  nos  instincts et notre
spiritualité.

Nous ne pouvons pas dissocier ces trois déesses juments, dans la mesure où leurs
traits, leurs caractéristiques se recoupent et parlent le même langage :
« Il ressort des différents travaux de ceux qui ont examiné les documents ou la
statuaire  qu’Epona,  est  une  représentation  pouvant  être  assimilée  à  Rhiannon  
(Pays de Galles) et à Macha (Irlande) »295

Epona

Epona est la déesse jument la  plus  connue  parce  qu’elle  a  survécu  à  l’invasion  
romaine et que, contrairement  à  ses  sœurs, elle garde son nom et sa fonction à
travers  la  société  de  l’écriture  et de  la  sculpture  qui  nous  transmet  d’elle  nombre  

295 H Hubert, Mélanges Vendryes, p 187 à 191

Page 134
traces  archéologiques.  Mais  nous  n’avons  pas  l’histoire  et  le  mythe  lié  à  Epona.  
Ce seront Macha, et Rhiannon qui nous les livreront.

Epona veut littéralement dire « cheval » :


« Epona (Epo-s « cheval », voir le breton ebeul « poulain »,   l’irlandais   ech  
« cheval », le latin equus), qualifiée par certaines inscriptions (70 au total) de
Régina, Augusta, Sancta, tandis que ses monuments (plus de 250) ont été
dispersés  dans  tout  l’Empire  par  les  légionnaires  (fait  exceptionnel)  pour  une  
divinité gauloise. Elle a été révérée à Roma mais réduite à l’état  de déesse des
écuries »296

Les textes  qui  parlent  d’Epona,  ne  le  font  pas  en  grande  pompe  et  la  rabaissent
toujours  au  niveau  d’une  déesse  des  écuries.  Ainsi  en  parle  Plutarque :
« Fulvius Stellus, par misogynie, avait commerce avec une jument. Celle-ci, avec
le temps, finit par mettre bas une belle jeune fille et il lui donna le nom d'Epona.
Elle est la déesse qui prend soin des chevaux. »297

Prudence :
« Personne ne donne l'empire sur les astres aux déesses Cloacine ou Epone, bien
que de ses mains sacrilèges, il [le païen] leur offre les émanations infectes d'une
cassolette et la farine sacrée et explore les entrailles des victimes. »298

Juvénal:
« Immole-t-il, suivant le rite de Numa, au pied de l'autel de Jupiter, une brebis,
un taureau au front menaçant, il ne jure que par Epone ou telle autre figure
peinte sur les murs de ses écuries nauséabondes. »299

Apulée
« [...] voici qu'en me retournant j'aperçus, à mi-hauteur du pilier qui soutenait
les poutres de l'écurie et au milieu de celle-ci, une statue de la déesse Epona

296 Françoise Le Roux, Histoire des Religions, La pléiade, t, 1, p 800


297 Plutarque : Collection d'histoires parallèles grecques et romaines, 29
298 Prudence: Apotheosis, 197-199, trad. M. Lavarenne, 1945, Paris, Les Belles Lettres.
299 Juvénal: Satires, 8, 157, trad. M. Courtaud Divernéresse, 1878, Paris, Firmin-Didot, (collection Nisard).

Page 135
assise dans une chapelle que l'on avait soigneusement ornée avec des couronnes
de roses toutes fraîches. »300

Minucius Felix
« Qui serait assez insensé pour avoir une pareille divinité, et assez simple pour
s'imaginer qu'on pût l'adorer, à moins que ce ne fût vous, qui avez consacré dans
les étables tous les ânes avec votre déesse Epone »301

Ou encore Tertullien :
« Seulement, ce sont des ânes entiers que vous adorez, avec leur Epone, et tous
les animaux domestiques, gros et petits, et les bêtes sauvages. Vous consacrez
en même temps leurs écuries.»302

Il  semble  évident  qu’Epona  ne  fut  pas  juste  une  « déesse des écuries ». Aucune
déesse celte ne correspond à un élément simplifié, à un attachement matériel de
ce type. Au contraire les déesses celtes ne se comprennent pas en dehors d’un  
Archétype :

« Sans vouloir ombrager archéologues et historiens des religions, on ne peut


manquer  d’être  frappé  par  le  réflexe  qu’ils  ont  de  confiner  chaque  divinité  dans  
un  type,  lui  attribuant  ainsi  une  sorte  d’hyperspécialisation  et  interdisant de fait
toute possibilité de compréhension globale. »303

Si  Epona  n’est  pas  une  simple  déesse  des  écuries,  elle  n’est  pas  non  plus   une  
déesse uniquement psychopompe,  elle  possède  d’autres  attributs :
« Portée par un cheval elle peut avoir valeur de symbole funéraire : sur quelques
stèles  tout  au  moins,  elle  évoque  à  mon  avis,  le  voyage  de  l’âme  outre-tombe.
[…]    En  Irlande,  les  chevaux  passaient  pour  conduire  les  morts  dans  l’au-delà.
Protectrice des juments   et  des  poulains,  elle  assure  prospérité  agricole  d’une  

300 Apulée: Métamorphoses, 3, 27, trad. Pierre Grimal, 1975, Paris, Folio.
301 Minucius Felix : Octavius, 28, 7
302 Tertullien: Ad Nationes, I, 11, 6
303 Véronique Guibert De La Vaissière, Les   Quatre   fêtes  d’ouverture   de   saison  de   l’Irlande   Ancienne,

Armeline, 2003, p 138

Page 136
façon générale :   c’est   pourquoi   on   lui   voit   souvent   entre   les   bras,   une   corne  
d’abondance,  une  patère  ou  une  corbeille  de  fruits. »304

« Il faut ajouter à cette description un élément extrêmement important


caractéristique  d’Epona,  au  point  qu’il  a  pu  servir  d’indice  dans  certains  cas,  
pour identifier une statue mise au jour détériorée, à savoir le manteau flottant
sur les épaules, voire même au-dessus de sa tête. »305

Saint Martin semble avoir combattu  et  hérité  des  traits  d’Epona,  et  le  fait  qu’il  
soit lui-même célébré à la date de Samonios permet de considérer que la déesse
était fêtée à la même époque.

« Or,  si  le  saint  a  coiffé  la  déesse,  il  a  par  conséquent  certainement  reçu  d’elle  
le privilège  d’hériter  de  la  fête  à  laquelle  elle  était  liée.  On  comprend  mieux  dès  
lors pourquoi on ne trouve pas de dieu associé à, ou régissant, la fête de
Samain. »306

« Finalement  ce  que  nous  savons  d’Epona  (statuaire,  épigraphie),  de  Rhiannon  
(Mythologie galloise) ou de Macha (Mythologie irlandaise) renvoie
incontestablement  à  une  divinité  non  pas  chthonienne  mais  envoyée  de  l’Autre  
monde, et lui confère en conséquence un rôle fécondant. »307

Envoyée  de    l’Autre  Monde,  Epona,  assume  une  fonction  fécondante. Fonction
qui acquiert tout son sens à Samonios, fête entre toutes où le temps doit être
régénéré.  C’est  le  sens  qui  ressort  de  la  plupart  des  mythes  de  cette célébration,
tel celui de la « Neuvaine des Ulates » et de la course de Macha.

304 p.M Duval, Les Dieux de la Gaule, p 50


305 Véronique Guibert De La Vaissière, Les   Quatre   fêtes   d’ouverture   de   saison   de   l’Irlande   Ancienne,
Armeline, 2003, p 137
306 Ibid, p 137
307 Ibid, p 141-142

Page 137
Macha

Dans la Razzia de Cooley, elle est mariée à un homme qui est fier de sa force et
de  son  courage,  mais  elle  lui  a  demandé  de  n’en  rien  dire  à  personne.  Pourtant  
ce mari vante les forces de sa femme auprès du roi d'Ulster, Conchobar Mac
Nessa, qui pariant sur elle l'oblige à faire la course avec ses chevaux. Elle gagne
la course, mais l'effort fourni provoque la naissance de ses jumeaux et cause sa
mort. Juste avant de mourir, elle jette un sort sur les hommes d'Ulster : pendant
neuf générations, ils devront endurer les plus violentes douleurs de l'enfantement
durant cinq jours et quatre nuits.

Le mythe de Macha pointe sur la force et le secret, ce thème fondamental sera


aussi celui de Mélusine. Mais déjà il nous permet de saisir avec précision la
fonction première  de  l’énergie  divine  féminine  sous  son  angle  obscur.  Quelle  est  
cette  Femme,  dont  la  force  extraordinaire  doit  rester  un  secret  et  lui  permet  d’être  
aussi  forte,  et  même  plus  forte  qu’un  cheval ? Nous pouvons nous pencher sur
les réflexions émises au sujet du paragraphe 220 du Coir Anmann, P 376 – 379
de  l’édition  de  Witlley  Stokes  que  Leroux  et  Guyonvarc’h  eux-mêmes n’hésitent  
pas à gratifier de « perles dont la pureté est au-dessus de tout soupçon ». Et qui
sous « son aspect terne et insipide est le  vestige  d’un  lointain  passé,  fragment  de  
théologie ayant échappé à tous les censeurs chrétiens ». 308

De cet extrait Georges Dumézil fit une analyse reprise par Leroux et
Guyonvarc’h :
« Il  ressort  de  l’ensemble  du  texte  que  le  premier  des  trois  jumeaux,  né le soir
est défini par ses richesses et son goût des richesses ; que le second né à minuit,
amateur des nuits sombres, est un homme « fort » défini par son goût des
chevaux et des chars :  que  le  troisième  fils  enfin  né  le  matin,  n’est  défini  que  par  
sa beauté, qui parait « diale », solidaire du rayonnement du jour ».

Dans ce texte nous relevons les images premières, notamment le lien entre la
nuit,  la  force  et  le  cheval  puisque  c’est  ainsi  que  se  trouve  qualifié  le  second  né.  

308 C  Guyonvarc’h  et  Leroux,  La société Celtique, Ouest France, 1991, p 98

Page 138
Ces trois « signes » sont exactement corollaires avec les déesses juments qui sont
à la fois fortes, nocturnes et chevalines.
La fonction symbolisée par la force chevaline (porter, avancer, passer, voyager
…)  se  trouve  rattachée à  la  nuit  et  c’est  le  sens  de  la  nuit  qui  par  son  obscurité
est le  sens  du  secret.  Cet  obscur  secret  est  l’élément  déclencheur  dans  l’histoire  
de  Macha,   c’est   en   révélant   le  secret   de  sa  force   que  son  époux,  l’oblige   à  le
prouver. Si sa course chevaline désigne son appartenance au symbole du cheval,
la  levée  du  secret  entraîne  l’abus des forces de la déesse qui par sa mort et ses
malédictions entraîne à leur tour le désastre du monde.
Nous retrouverons le sens du secret des forces Femme dans le cas de Mélusine,
à la différence que celle-ci  n’est  pas  une  déesse Jument mais une Image Serpent.

Ce schème de la force chevaline de passeuse mais aussi du secret se retrouve


aussi très clairement avec Rhiannon.

Rhiannon

La déesse Rhiannon, est, elle aussi, une "Grande Reine ". Elle est la Jument
Blanche, la  reine  de  l’Autre  Monde.  Ses  oiseaux apaisent les âmes tourmentées.

Et les oiseaux de Rhiannon


Viennent chanter pour eux
Leur apportant la joie309

Rhiannon apparaît dans deux Branches du Mabinogion, Pwyll, Prince de Dyfed


et Manawyddan, Fils de Llyr. Dans ces deux histoires Elle est encore celle qui
est forte et ténébreuse.

« Une Epona celtique, cavalière, écuyère, nourrice des chevaux, protectrice des
muletiers  et  des  écuries,  et  d’autre  part  génie  de la mort et mère dans la douleur

309 Mabinoggion

Page 139
et   dans   la   honte   d’un   étalon   divin : une Epona celtique, Grande Reine
conduisant les âmes au palais de son époux, le roi de la mer et des morts, une
Epona – jument celtique, nous la tenons semble-t-il. »310

Rhiannon séduit le roi en caracolant sur son cheval. Elle   l’épouse, puis mère
d’un   enfant   enlevé   et   accusée   de   cette   disparition,   son   époux   la   condamne   à  
porter les voyageurs sur son dos pour les faire entrer dans le palais. Rhiannon
apparaît « jument » et « portée », « porteuse », mais elle est aussi auréolée de
secrets : celui  de  son  origine,  celui  de  l’enlèvement  de  son  enfant,  celui  de  sa  
force.    Le  secret  de  Rhiannon,  n’est  pas dévoilé. Seul celui  de  l’enlèvement  de  
son enfant, échangé avec un poulain, va la libérer. Si le fruit ne tient pas son rôle
d’enfant  et  de  lien  entre  la  reine  et  le  roi  (l’ombre  et  l’animus/anima), alors  l’âme  
doit durement arpenter les méandres de sa volonté pour atteindre le Soi, ce
royaume intérieur et central. Nous pourrions sous cet angle analytique aborder
ce  schéma  sans  qu’il  ne  s’en  trouve  dénaturé.  Rhiannon  se trouve officiante de
l’âme,  reliant les deux mondes par sa force et sa nature, elle se trouve passeuse
une fois de plus, analogiquement représentante des éléments forts que sont
l’instinct  et  l’intuition.

Ce  n’est  pas  un  hasard  si  Rhiannon déesse cheval est  accompagnée  d’oiseaux  
qui  nous  l’avons  vu, représentent le lien intuitif et le fil ténu entre les mondes.

« Ils  se  dirigèrent  vers  Harddlech,  s’y  installèrent,  se  pourvurent à suffisance de
nourriture et de boisson et se mirent à manger et à boire. Trois oiseaux vinrent
leur chanter un chant en comparaison duquel tous les autres étaient sans valeur.
Les oiseaux étaient pour eux une vision lointaine au-dessus de la tête des vagues
au-dehors   et   ils   leur   étaient   aussi   distincts   que   s’ils   avaient   été   avec   eux. Ils
furent sept ans à ce repas »311

310 Véronique Guibert De La Vaissière, Les   Quatre   fêtes  d’ouverture   de   saison  de   l’Irlande   Ancienne,
Armeline, 2003, P 138
311 C  Guyonvarc’h  et  Leroux,  Les Druides, Ouest France, 1986, p 290

Page 140
Les femmes serpents

Autre type de femmes porteuses de secrets et de forces magiques, les femmes


serpents. Les « Wouivre » sont de cette famille et nous savons comme le serpent
est un animal fortement présent dans les traditions natives.

« Sans doute pourrions-nous retirer des observations enrichissantes de


comparaisons de la « banshee » et de la fée Mélusine, toutes deux surprises
parfois en train de peigner leur longue chevelure, et tandis que Morrigu se
transforme en anguille, Mélusine retrouve périodiquement une queue de
serpent »312

Sans  aucun  doute,  la  plus  connue  d’entre  elle  est  « la » Melusine.

Melusine

« Le roi Hélinas d'Albanie rencontre une belle inconnue au bord d'une fontaine,
et elle accepte de l'épouser pourvu qu'il lui promette de ne pas la voir pendant
ses couches.
Celle-ci, Pressine, met bientôt au monde trois filles : Mélusine, Mélior et
Palestine. Mais Hélinas ne peut s'empêcher d'entrer alors qu'elle les baigne.
Aussitôt, Pressine s'enfuit avec les bébés, et gagne l'île d'Avalon.
Ayant grandi, les trois soeurs apprennent la faute de leur père. Elles décident de
le punir en l'enfermant sous une montagne. Pressine, qui n'avait sans doute pas
oublié Hélinas, ne peut rien changer à leur geste, mais, furieuse, elle punit à son
tour ses filles : Mélior sera condamnée à garder un épervier dans un château
d'Arménie ; Palestine sera enfermée dans le mont Canigou, avec le trésor de son
père ; et Mélusine se transformera tous les samedis en serpente "du nombril en
aval" et ne pourra échapper à cette malédiction qu'en épousant un homme qui
accepte de ne point la voir en cette situation.

312
Véronique Guibert De La Vaissière, Les   Quatre   fêtes  d’ouverture   de   saison  de   l’Irlande   Ancienne,
Armeline, 2003, p 127

Page 141
Raimondin, dont le père, le comte de Forez, avait lui aussi rencontré une fée au
bord d'une fontaine, est élevé chez son oncle, le comte de Poitiers. Hélas,
Raimondin le tue accidentellement au cours d'une chasse au sanglier. Eperdu
de douleur, il erre à l'aventure à travers la forêt de Coulombiers.
C'est ainsi qu'il parvient à une fontaine où se tenaient "trois dames de grand
pouvoir". Tout à sa peine, il ne les remarque pas, mais Mélusine quitte ses
compagnes, vient vers lui et arrête son cheval. Il est immédiatement ébloui par
sa beauté. Elle l'appelle par son nom, et lui promet bonheur et prospérité s'il
l'épouse. Il devra seulement ne jamais chercher à savoir, ni révéler à quiconque
où elle va et ce qu'elle fait le samedi.
C'est ainsi que Raimondin va devenir le plus puissant seigneur du Poitou. Les
noces sont somptueusement célébrées. Près de la fontaine où ils se sont
rencontrés, Mélusine édifie le château de Lusignan. Et elle donne naissance à
dix fils, dont les huit premiers sont porteurs d'une tare physique. Mais aucun
nuage ne vient pour autant ternir le bonheur et la prospérité du couple ...
Jusqu'au jour où le frère de Raimondin insinue des choses sur les activités de
Mélusine le samedi. Raimondin, bouleversé, ne peut s'empêcher de rejoindre le
bas de la tour où elle s'est enfermée. De son épée il perce un trou dans la porte,
et il découvre sa femme prenant son bain, " jusqu’à  la  taille,  blanche  comme  la  
neige sur la branche, bien faite et gracieuse, le visage frais et lisse. Certes on ne
vit jamais plus belle femme. Mais son corps se termine par une queue de serpent,
énorme et horrible. "
Le pauvre homme, pris de frayeur, se signe. Mais, très vite, il rebouche le trou.
Il retourne auprès de son frère et c'est contre lui qu'il rejette sa fureur. Il déclare
Mélusine irréprochable, et le met à la porte du château.
Mélusine, de son côté, feint de ne s'être aperçue de rien, et la vie continue comme
avant ...
Jusqu'au jour où un de leurs fils, Geoffroy la Grand'Dent, incendie sauvagement
l'abbaye de Maillezais, avec les moines qu'avait rejoints son frère Fromont.
Raimondin, horrifié, voit là le signe du caractère diabolique de sa femme, et il
ne peut s'empêcher de la traiter en public de "très fausse serpente".
C'en était trop, le serment était rompu. Mélusine saute par la fenêtre. Elle
redevient serpente, et s'envole. " Elle fait trois fois le tour de la forteresse,

Page 142
poussant à chaque tour un cri prodigieux, un cri étrange, douloureux et
pitoyable. "
Raimondin ne l'a jamais revue. Mais on dit qu'elle revint nuitamment allaiter ses
deux derniers fils qui n'étaient pas sevrés. Et qu'elle se manifeste, en criant,
chaque fois que la mort va toucher sa descendance, ou que son château s'apprête
à changer d'occupant ».313

De nombreuses études se penchent sur Mélusine, mais celle qui m’a paru la plus
précieuse est celle proposée par Jung lui-même. Dans sa comparaison au
symbole  primitif  de  l’âme,  et  au  processus  de  transformations psychiques, il se
rapproche parfaitement bien de la notion de métamorphose :
« Car  le  lieu  d’origine  de  la  Mélusine  est  le  ventre  des  mystères  qui  correspond  
de  toute  évidence  à  ce  que  nous  appelons  aujourd’hui  inconscient. »
« Mais avec le sang, principe vital, nous avons affaire à un symbole primitif de
l’âme,  et  c’est  pourquoi  on  peut  interpréter  Mélusine  comme  un  fantôme,  c'est-
à-dire un phénomène psychique. »
« Quiconque connaît les processus de transformations psychiques subliminaux
n’aura  aucun  mal  à  interpréter  cette  figure  comme  une  image  d’Anima »314

Il   parle   de   l’origine   celtique   de   la   légende,   signifiant   par-là que nos ancêtres


étaient  assez  fins  d’esprit  pour  y  exprimer  autre  chose  qu’une  vulgaire  histoire
de   femme   serpent.   D’après   lui,   le   thème   de   l’être   humain   à   moitié   poisson  
correspond à une structure universellement répandue.

« Il  faut  mentionner  tout  particulièrement  la  notice  de  Conrad  Vecerius,  d’après  
laquelle Mélusine (« Melyssina »)  viendrait  d’une  île  de  l’océan  habitée par neuf
sirènes,  qui  entre  autres  choses  pratiquaient  l’art  de  se  transformer  en  diverses  
figures. »315

Voici donc Mélusine qui se transforme en diverses figures. Ce thème est celui
de la métamorphose. Le sens psychique de la métamorphose qui mène et attire,

313 Source http://www.mythofrancaise.asso.fr/mythes/figures/MErecit.htm


314 C.G Jung, Synchronicité et Paracelsia, Albin Michel, 1988, p 189
315 C.G Jung, Synchronicité et Paracelsia, Albin Michel, 1988, p 230

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se meut à la fois dans les mythes comme un possible devenir, comme un possible
égarement. Nous ne sommes jamais aussi près des mythes celtiques que dans ces
métamorphoses, qui tout autant nous font penser à Morgane attirant les
chevaliers infidèles dans les méandres de son Val sans retour.

« Les gesta Mélosynes sont des fantasmes trompeurs dans lesquels le sens le
plus élevé se mêle au plus funeste des non-sens, un véritable voile de la « maya »
qui attire les mortels dans tous les labyrinthes de la vie »316

« En tant que fée aquatique, Mélusine est très proche de Morgane « née de la
mer ». Sa réplique orientale, antique est Aphrodite, celle qui est née de
l’écume ».  Comme  je  l’ai  déjà  dit,  l’union  à  l’inconscient  personnifié  sous  des  
traits féminins est une expérience eschatologique. »317

Sans doute faut-il voir dans les mythes de femmes au bain, cette relation avec
l'eau, amniotique, lustrale, baptismale, purifiante, le secret des "matrices"
divines donneuses de vie. Comment l'eau fend la graine  et  fait  jaillir  la  vie.  C’est  
le chant de la femme de l'autre monde qui entraîne Bran dans une navigation sur
"l'océan impénétrable", les divinités féminines dédiées aux sources, aux rivières,
aux fleuves. Il n'y a là rien d'impur sinon peut-être pour les sociétés occidentales
puritaines à outrance du XIXème siècle ; il y a un pouvoir dont le secret ne peut
être  dévoilé.  Il  est  question  d’autre  monde et de surnaturel.

Mélusine cette femme serpent, est comme la femme cheval, une femme du
passage, du secret, de la métamorphose. Tout comme pour Macha la chevaline,
son secret ne doit pas être divulgué sous peine de maudire le royaume. Sa queue
de  serpent,  de  poisson,  d’anguille, sous- tend à une force magique et obscure. Le
serpent  passe  de  sous  la  terre  à  la  terre,  comme  le  cheval  passe  d’une  contrée    à  
l’autre.

316 Ibid p 230


317 Ibid

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Femme impure

Voilà  qui  est  très  orienté  et  ne  fait  pas  couler  beaucoup  d’encre,  dans  la  mesure  
où cette croyance semble acquise et vraie par tous : la femme qui a ses menstrues
est impure. Cependant la femme chez les Celtes, son statut, sa présence et sa
« royauté » soulève quelques questions. Comment pourrait-on  d’un  côté porter
sur cette femme un regard plein de respect et d’égalité   et   d’un   autre   côté
concevoir  qu’elle  est  pour  une  raison  ou  pour  une  autre  un  être  « impur », ne
serait-ce que temporairement ?

La femme serait impure de par ses « menstrues », ce sang que certains


considèrent   sale  et   comme  preuve  d’une  infériorité.  Cela  est   vrai   si   l’on  reste  
dans   l’angle   de   vue   manichéen,   dans   cet   esprit   qui   rejette   tout   ce   qui   est   par  
analogie lié au sang des menstrues, la nuit, la mort, le sexe.
Aristote déjà disait « Dans  toutes  les  espèces  le  mâle  l’emporte  sur  la  femelle.
Il  n’y  a  point  d’exception  dans  la  race  humaine ».  C’est  dire  qu’il  n’avait  pas  
beaucoup regardé la nature où bien souvent ce sont les mâles qui font « le beau »
pour  des  femelles  plus  costaudes  voire  plus  agressives  qu’eux.  Schopenhauer  de  
son côté confirme, il voit dans la femme : « un  être  intermédiaire  entre  l’enfant  
et  l’homme »,  de  telle  sorte  qu’il  est  nécessaire  dans  la  société  « de lui refuser le
droit à la propriété […]  La  femme  est  un  animal  à  cheveux  longs  et  aux  idées  
courtes ». Nietzsche lui, avance que : « les  femmes  sont  des  oiseaux  qu’il  faut  
enfermer  dans  des  cages  pour  qu’ils  ne  s’envolent  pas » et ajoute : « c’est  par  
sollicitude  pour  l’homme  et  par  ménagement  pour  la  femme  que  l’Eglise  décréta  
mulier taceat in ecclesia » (que  la  femme  se  taise  dans  l’assemblée).  Pour  lui  la  
femme est un « être   destiné   à   la   sujétion,   qui   ne   s’accomplit   qu’à   travers   la  
sujétion ».318

Tout cela est en totale contradiction avec le statut de la femme celte qui nous
l’avons   vu   n’est   ni   confinée dans une attitude servile, ni jugée mineure par
essence. Elle peut être propriétaire, reine, chef de guerre, et parle dans les
assemblées.

318 La Femme,  ce  qu’en  disent  les  religions,  Editions  de  l’Ateliers,  collégiale,  2002,  p  18

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Par conséquent notre regard doit se tourner différemment pour savoir comment
les femmes peuvent être vues sans  ce  carcan  de  bêtises  et  d’ignominie,  et  par-
delà comment peuvent avoir été « jugés » leur sexe et leurs menstrues.

Tout  d’abord  nous  pouvons  constater  que  dans  les  mythes  les  plus  archaïques  
qui   nous   intéressent,   l’idée   d’une   femme   impure   et   de   la   saleté de son sang
n’apparaît  absolument  pas.  Si  les  Déesses sont  enfermées,  écartées,  ce  qui  n’est  
pas  souvent  le  cas,  c’est  toujours  pour  une  histoire  de  jalousie,  mais  jamais  pour  
un tabou de ce type. Aurait-il  existé  qu’il  serait  aussi  clairement  identifié que les
gesa des héros, les rois, les dieux.

Le sang des femmes a quelque chose à voir avec son sexe et par conséquent sa
sexualité,  la  vie  et  la  mort,  tout  ce  que  l’église  chrétienne  a  légitimé  diabolique.  
En fait le sang des femmes est lié à cette Reine des Fantômes, qui porte en elle
toute la magie du monde.
La femme « impure »   n’est   que  l’incarnation  du  rejet  de  cette  déesse,  de  son  
« oubli », de son lien avec la nature, de la diabolisation qui en a été faite.

« Les interdits liés au sang menstruel […].  Les  historiens  et  ethnologues  pensent  
que le facteur déterminant dans ces tabous était le lien entre la femme et la
nature ou la femme et la fertilité ».319

La présence de Morrigane, ses fonctions sont suffisamment honorés dans la


tradition celtique, encore même sous les traits de la vilaine « Morgane »,  qu’il  
nous est impossible de croire que les Celtes en croyaient impurs les attributs.
Non seulement la face obscure   de   la   femme   n’est   pas   une   infériorité,   tout  
concorde pour nous le prouver, mais en plus il est possible de trouver des traces
de la vision bénéfique de ces mêmes menstrues.

319 Elisabeth Parmentier, La  Femme  ce  qu’en  disent  les  religions,  Editeurs  de  l’Atelier,  2002,  p  57

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Les menstrues fécondes:

Dans certains cas, de façon archaïque, elles représentent une force, une magie
puissante :
« Euripide  le  savait  déjà  qui  disait  qu’une  goutte du sang de la Gorgone « écarte
les   maux   et   entretient   la   vie   que   l’autre   tue   (Markarius   Structuration   et  
Ethnologie, P 220) ».  Pline  dans  son  histoire  naturelle,  en  donne  l’un  des  plus  
anciens exemples : « si  des  femmes  ayant  leurs  règles  font,  après  s’être dénudées
le   tour   d’un   champ   de   céréales,   on   voit   tomber   les   chenilles,   les   vers,   les  
scarabées et autres insectes nuisibles (Pline, Histoire naturelle, VII, 13, XXVIII,
78)320

L’exemple  souvent  repris  sans  être  parfaitement  expliqué  démontre  parfaitement


bien comme « ce » sang peut « protéger » des « nuisibles ». Il est protecteur et
bénéfique.   On   ne   peut   absolument   pas   taxer   ces   femmes   d’être inférieures et
impures alors même que leur « mystère » joue en la faveur de la vie.
Mieux encore, cette magie du monde ouvre grand les portes du sacré, quand les
Hommes avaient encore conscience du lien qui unissait ce mystère au divin.

« Dans  l’Antiquité,  les  femmes  réservaient  un  lieu  sacré  pour  cette  recherche  et  
cette  communion  et  aujourd’hui  encore, les femmes aborigènes font souvent de
même. On dit que cela avait traditionnellement lieu pendant les menstrues, car
à cette période, la femme est plus proche de la connaissance de soi que
d’habitude.   La   membrane   entre   l’esprit   conscient   et   l’inconscient s’amincit  
considérablement. »321

D’autres  vertus  magiques  positives,  de  grande  force  sont  connues :


« Pline rapporte : « que la grêle, les tourbillons sont chassés par une femme qui
se dénude au moment de ses règles face aux éclairs eux-mêmes :   c’est   ainsi
qu’on   détourne   la   colère   du   ciel   et   au   cours   des   navigations,   les   tempêtes   et  
même  si  les  femmes  n’ont  pas  leurs  règles,  en  se  dénudant »322

320 Jean Paul Roux, La  Femme  dans  l’histoire  et  les  mythes, Fayard, 2004 P 271
321 Clarissa Pinkola Estés, Femmes qui courent avec les loups, Grasset & Fasquelle, 1996, P 401
322 Pline, Livre XXVIII, chap XXIII

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Ainsi  le  pouvoir  conféré  par  les  menstrues  s’étend  entièrement  à  la  femme.  Nous  
pouvons ici faire un parallèle avec les   femmes   gauloises   connues   pour   s’être  
découvert la poitrine (voir page 58) face aux ennemis romains. La volonté de cet
acte   n’a   pas   d’autres   sources   que   d’éloigner   par   le   pouvoir   magique   l’orage  
symbolique que représente la guerre.

Un autre exemple du même ordre est attesté dans un contexte plus récent :

« Vertu paratonnerre des femmes encore en usage en Serbie : « Par temps


d’orage,  une  femme  nue  accrochée  à  la  barrière  de  sa  maison,  expose  son  sexe  
à  la  fureur  du  ciel  et  la  foudre  s’éloigne »323

Le sang et le sexe des femmes possèdent donc un pouvoir qui éloigne le danger.
On  l’utilise  aussi  dans  les  philtres  d’amour. Dans certaines campagnes, on savait
encore   mettre   de   son   sang   dans   le   gâteau   préparé   pour   celui   que   l’on   voulait  
séduire.

« Rosée lunaire et sang menstruel ont les mêmes vertus magiques et fonctionnent
selon  le  même  principe  d’attirance.  Comme  le  sang  menstruel  efface  les  verrues,  
[…]   De   même   que   le   sang   menstruel   est   un   ingrédient   de   base   des   philtres  
d’amour  (J.  PH  Chassany,  1970,  P  198)324

« Non seulement  la  périodicité  féminine  s’ajuste  finement  sur  le  cycle  lunaire,  
mais encore les pouvoirs dont sont investies les femmes durant leurs règles sont
tout à fait comparables à ceux de la lune dans certaines de ses phases.
Cependant ceux de la lune portent sur une sphère beaucoup plus vaste. »325

C’est  à  partir  du  moment  où  ce  pouvoir  de  la  femme,  lié  aux  mystères  de  la  Reine  
des   Fantômes,   fut   rejeté   et   non   plus   honoré   que   l’impureté   s’est   glissée   dans  
l’idée  de  tout  ce  qui  touche  à  son  secret.  Ce  pouvoir  nous  l’avons  vu  est  lié  aux  
fonctions de La Morrigane, sur tous les points qui y sont rattachés. Nous pouvons

323 Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire, Gallimard, 1979, P 64


324 Ibid
325 Ibid

Page 148
tenter  de  la  retrouver  à  travers  les  interdits  qui  n’ont  pas  manqué  de  se  greffer  au  
fil  du  temps  sur  les  activités  de  la  communauté  et  essayer  d’en comprendre le
mécanisme.

Le « pouvoir »  des  femmes  …

Que  l’on  respecte  ou  que l’on  porte l’opprobre  sur  la magie de la femme, elle
porte en elle un grand secret : la femme est le seul être qui perd du sang sans en
risquer  la  mort.  Ce  n’est  pas  une  blessure  qui  nécessite  une  intervention,  mais  la  
preuve de son pouvoir de régénérescence, un pouvoir de métamorphose. Ce
pouvoir nous avons vu au niveau de la déesse est sacralisé :
« Ne  croyons  surtout  pas  que  ces  fantasmes  ne  sont  nés  que  dans  l’imagination  
masculine. « La femme se sent elle–même dans une situation plus sacrale que
l’homme  et  elle  doit  à  ce  titre  observer plus de tabous (Durkheim, la prohibition,
P 64) »326

Ce sens sacré se trouve aussi dans la tradition populaire :


« Le   souffle,   le   sang,   c’était   quelque   chose   de   sacré   qui   avait   un   sens   sacré  
autrefois »327

La tradition garde encore profondément la relation de la femme et de la déesse


dans son pouvoir de « putréfaction »,  car  c’est  bien  à  Morrigane  que  nous  offrons  
tout  ce  qui  doit  mourir,  c’est  Elle  qui  passe  de  son  chaudron  récolter  le compost
de nos vies, de là vient son cri sur les champs de bataille.

« Nous   retiendrons   cependant   que   ce   qui   est   reconnu   à   Minot,   c’est   qu’une  
femme   lorsqu’elle   est   indisposée,   précipite   une   échéance   naturelle,   la  
putréfaction, opération que les techniques de conservation ont précisément pour
but  de  retarder,  d’annuler ou de contrôler. Dans le cas des boissons fermentées,
elle accélère outrageusement le processus de la fermentation ; dans celui des
activités  culinaires,  elle  va  à  l’encontre  des  émulsions  et  des  liaisons  qui,  elles,  

326 Jean Paul Roux, La  Femme  dans  l’histoire et les mythes, Fayard, 2004 P 271
327 Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire, Gallimard, 1979, P 41

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se font dans la rapidité. Ou bien elle fait « prendre » trop vite, ou bien elle
empêche de « prendre »328

Le tabou ne touche pas une impureté mais un pouvoir qui à un certain moment
n’est  pas  celui  attendu,  ce  qui  confirme  qu’en  d’autres  situations,  faire  éloigner  
les tempêtes ou les insectes  dits  nuisibles,  ce  pouvoir  est  attendu.  Il  n’est  pas  un  
jugement de « bien » ou de « mal », de « pur » ou « d’impur ».

Le lien avec la déesse changeante et Reine des métamorphose se retrouve encore


lui aussi très vivace dans les campagnes, parfaitement bien relevé par Yvonne
Verdier dans son ouvrage sur le village de Minot. Nous avons vu que le pouvoir
de la femme était bénéfique pour faire fuir les tempêtes  et  les  orages.  C’est  un  
effet de « sympathie » de nature qui est ici comparé au phénomène orageux :
« Ce pouvoir putréfiant, les femmes, quand elles sont indisposées, le partagent
avec   un   phénomène   météorologique,   l’orage.   Mêmes   effets   sur   les   mêmes  
choses »329

L’orage  dans  la  nature,  cet  effrayant,  ou  fascinant  phénomène  est   connu  pour  
nettoyer les lacs, les étangs, peigner les bois.
« Les  règles  sont  d’ailleurs  perçues  à  Minot,  comme  une  sorte  de  grand  orage  
biologique »330

Nous  pourrions   pousser   encore  plus   loin  l’affinité  entre  l’orage   et   la   force  de  
Morrigane quand elle engendre l’hiver  et ses vents mortels, une certaine forme
de propreté imposée au monde, de pureté.

L’énergie  sexuelle  n’est  pas  absente  des  traces  de  ces  croyances.  Nous  avons  vu  
comme Morrigane et son ombre couvrent à la fois, la vie, la mort, mais aussi, la
magie et la sexualité. Ici le lien est encore vivace : la femme fortement « sexuée »
est  porteuse  d’un  grand  pouvoir  de  métamorphose  sur  les  choses :

328 Ibid, P 20
329 Ibid, p 41
330 Ibid, P 42

Page 150
« Et   ce   n’est   pas   un   hasard   s’il   nous   est   apparu   que   les   femmes   qui   font  
facilement tourner les saloirs ou les mayonnaises sont aussi particulièrement
marquées sur le plan sexuel ;;   qu’elles   soient   bien   connues   comme   femmes  
légères,  qu’elles  soient  spécialement  fécondes  ou  que  l’on  sente  simplement    que  
le  couple  s’entend  bien  sur  ce  plan. »331

« Tout se passe comme si faire tourner  le  saloir  donnait  la  mesure  de  l’ardeur  
amoureuse. »332

Le plus connu de tous les liens est sans doute celui entre la femme et la lune, et
c’est  donc  sans  surprise  que nous la retrouvons comme prétexte entre la femme,
son sang et le pouvoir de son état de femme.

« Ces   grands   rythmes   physiologiques   qui   ont   leur   siège   dans   l’organisme  
féminin ne sont pas une donnée première :  tout  le  monde  reconnaît  à  Minot  qu’ils  
répondent  au  rythme  cosmique  d’un  astre,  la  lune. »333

Avec précision les menstrues des femmes sont comparées à la nouvelle lune,
cette face sombre et mystérieuse qui par analogie prouve encore la présence de
l’Energie   de   Morrigane.   La   nouvelle   lune   est   celle   des   commencements   (les  
Gaulois comptent le temps par leur nuit), du début, du mystère de la naissance,
elle   est   donc   tout   comme   Samonios   est   à   l’année,   le   début   d’un   cycle,   son  
mystère :
« La   nouvelle   lune   imprime   donc   un   mouvement   d’effervescence   et  
d’agitation ».334

« La lune quand elle est nouvelle a sensiblement les mêmes effets que les femmes
indisposées, et sur les mêmes choses. »335

331 Ibid
332 Ibid
333 Ibid, P 61
334 Ibid
335 Ibid

Page 151
Ce mystère, cet instant premier, dans ses bouillonnements et ses agitations porte
en lui le Secret, ce secret que ne partage pas les hommes, qui comme son ombre
profonde se doit d’être  protégé. Le fait de « surprendre la femme dans ses secrets
(la déesse dans ses mystères) engendre de grandes souffrances pour les uns et
pour  les  autres.  C’est  le  message  qui  nous  est  transmis  et  que  nous  ne  savons  pas  
souvent  lire.  C’est  aussi  les  tourments  de  Mélusine  et  de toute  sa  famille  qui  l’ont  
reléguée   au   fond   de   l’obscure nuit de notre inconscient et nous laisse juste
entendre   son   cri   de   désolation   d’être   par   trop   de   mots,   séparés   de   notre  
conscience.  C’est  dans  cet  état que se trouve La déesse, la Grande Dame porteuse
des mystères depuis que nous avons lié Son pouvoir des mystères et des
métamorphoses à une impureté, un diabolique état.

La virginité

Un autre point crucial et portant à polémique est la notion de « virginité ». Cette


fameuse virginité qui fait les femmes « pures » et relèguent les dépucelées dans
les vastes ombres des femmes « sales. »
Il est un fait que de nombreuses sociétés, de nombreuses cultures, en général
toutes celles qui sont patriarcales, valorisent cet état, mais nous avons vu que du
côté de  l’Irlande  ancienne  il  en  est  tout  autrement.  L’Irlande  ne  s’occupe  pas  de  
la virginité de ses filles :
« Dans le droit irlandais, les femmes avaient une sorte de dote (coibche) dont la
mariée gardait une part. Le droit irlandais ne s'occupe pas de la virginité de la
mariée.. » 336

La virginité paternaliste qui impose la présence de l’hymen   comme   preuve  


d’honorabilité  et  de  « pureté »,  n’est  pas  une  simple  vision  d’homme,  mais  une  
vision  d’homme  « propriétaire »  d’une  femme  « propriété ».  C’est  le  père  qui
donne  sa  fille  avec  la  preuve  qu’aucun  autre  homme  ne  soit  « passé par là ». Le
corps  de  la  femme  est  ravalé  au  statut  d’objet,  il  est  la  propriété  de  celui  qui  le  
pénètre.

336 Travaux  de  Pr.  Raimund  Karl  sur  les  anciennes  lois  d’Irlande  et  du  Pays  de  Galles

Page 152
La notion de « disponibilité », celle qui nous intéresse, est tout autre. Il implique
un  respect  de  la  femme,  respect  de  son  choix  (d’être  vierge  ou  pas).  Cela  respecte  
sa réalité physique, sa liberté et sa volonté,  son  intégrité  d’être  humain.
Ne serait-il  pas  absurde  d’imaginer  une  société  qui  respecte  tant  l’intégrité  de  la  
femme et ne la considère pas comme un objet puisse faire de son corps une
propriété privée ?

Dans le thème  d’Arianhrod  appelée  à  la  Cour  de  Math  par  son  frère  Gwydion,  
on lui demande de servir à la place de Goewin qui se tient auprès de Math et
recouvre ses pieds.  Car  c’est  le  geis  de  Math  de  ne  pas  toucher  terre  et  de  garder  
ses  pieds  dans  le  giron  d’une  jeune  fille.  Afin  de  postuler  à  ce  rôle  Arianrhod  
doit prouver sa virginité. On lui demande de passer au-dessus de la baguette
magique de Gwydion afin de vérifier ses dires. Elle saute et donne naissance à
ses deux fils.

La version chrétienne a superposé le terme vierge à la notion de disponibilité,


pourtant nous pouvons, avec un peu de recul, relire cet extrait, plus justement :
Le symbole de tenir ses pieds dans  le  giron  d’une  femme  est  tout  sauf  celui  d’un  
pucelage préservé.

« Le pied a, on le sait, une signification phallique ».337

En  effet  le  sens  est  bien  plus  poche  d’une  pénétration  que  d’une  préservation. En
réalité le roi  se  doit  de  choisir  une  femme  disponible,  dont  le  ventre  n’est  pas  
offert   à   l’autre,   qu’il   soit   fœtus ou homme et   c’est   bien   ce   que   signifie  
l’enchaînement  suivant.  Le  sens  de  sauter  par-dessus  la  baguette,  n’est  pas  celle  
d’un   « test »,   mais   celui   d’une délivrance.   Arianrhod   n’est   ni menteuse, ni
tricheuse  et  le  druide  n’est  pas  un  juge, il est celui qui permet à Arianrhod de
retrouver sa « virginité ». Les enfants nés, la dame est de nouveau disponible.
La  femme  n’est  pas  une  catin,  elle  offre  son  giron ou saute sur la baguette de qui
elle choisit, quand elle se veut « disponible ». Nous pourrions analyser ce texte
plus   avant   et   y   lire   bien   d’autres   subtilités   comme   les   initiations   nécessaires  

337 C.G Jung, Psychologie  de  l’Inconscient, Poche, 1993 , p 147

Page 153
quand le destin nous lance sur une piste spirituelle, mais ici   c’est   le   sens   de  
virginité  que  nous  retiendrons.  Cette  virginité  qui  en  réalité  n’est  que  l’autre  face  
de  l’indisponibilité  et  n’a  rien  à  voir  avec  l’hymen.  

« Il en va ainsi de la femme :  avant  d’être  épouse  et  mère,  elle  est  enfant  et  jeune  
fille. Chacune  passe  nécessairement  par  l’état  de  virginité.  Certaines  y  restent ;
presque toutes le quittent,  ce  qui  est  conforme  à  leur  destin.  Mais  puisqu’elles  
sont terre, toutes peuvent y revenir. La virginité perdue peut se recouvrer. Ce
qui   nous   parait   aujourd’hui   irréalisable   ne   l’est   que   pour   nous.   Shakespeare  
l’avait  compris  qui  fait  dire  à  l’une  de  ses héroïnes : « on peut retrouver dix fois
sa virginité perdue » (Shakespeare Tout est bien qui finit bien, I, 1). Il ressort de
ce   parallèle   entre   la   femme   et   la   terre   qu’il   y a absolue hétérogénéité entre
vierges et non vierges et en même temps possibilité de similitude, aucune
différenciation définitive. Nous touchons là deux points essentiels. »338

Pour preuve, nous savons que les déesses celtes possèdent ces caractéristiques
d’être  à  la  fois  vierge  et  mère,  c'est-à-dire possèdent la capacité des deux états,
celui de se régénérer :
« L’un  des  exemples  les  plus  pertinents  de  la  non  opposition  entre  vierge  et  mère  
est apporté par la déesse celtique connue sous divers noms (dont le plus célèbre
est Brigitte) car elle possède à la fois les deux fonctions de vierge et de mère. 339

« Cette  union  et  sa  qualité  d’épouse  et  de  mère  n’empêche  pas  Brigid  d’être  une  
déesse  vierge.  L’idée  de  maternité  tant  corollaire  à  celle  de  la  virginité »340

Il   s’agit   une   fois   de   plus   du   pouvoir   de   métamorphose,   pouvoir   que   d’autres  


déesses, autres que Celtes, mais aux traits archaïques, possèdent, cette capacité
de   retrouver   leur   virginité,   en   l’occurrence     leur   disponibilité,   comme   Héra,  
retrouve sa virginité en se baignant dans une source sacrée.

338 Jean Paul Roux, La  Femme  dans  l’histoire  et  les  mythes, Fayard, 2004, p 238
339 Dictionnaire des symboles, p 102, in Jean Paul Roux,  La  Femme  dans  l’histoire  et  les  mythes, Fayard,
2004, p 239
340 Celticum XV, p 37, in Véronique Guibert De La Vaissière, Les  Quatre  fêtes  d’ouverture  de  saison  de  

l’Irlande  Ancienne, Armeline, 2003, p 223

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Yvonne Verdier rapporte dans son livre « Façons de dire, façons de faire »  qu’il  
est aussi question de « disponibilité ». Il  n’est  pas  dit  « virginité », qui rend la
participation  aux  jeux  d’amour  possible.  Si  tel  est  le  mot  rendu  c’est  que  tel  il  
est employé par les acteurs.

En mai, « L’élection  reste  courtoise  et  ne  mène  apparemment  à  rien.  Les  garçons  
n’acquièrent   aucun droit individuel sur les filles, aucun couple ne se forme.
[…]La   disponibilité   amoureuse   est   donc   un   des   critères   essentiels   de   la  
constitution  des  groupes  d’adolescents qui posent et reçoivent le mais »341

D’ailleurs   la   liberté   sexuelle   des   femmes   se   retrouve   intacte   en   Couserans  


Ariège, où Isaure Gratacos, rapporte les coutumes libres des habitants, et ce
jusqu’à  la  révolution.

« Alors que le XIXème siècle centralisateur prive les femmes pyrénéennes de


l’égalité   civique   qu’elles   avaient   avec   les   hommes,   il   subsiste   chez   elles   une  
liberté sexuelle exceptionnelle, semble-t-il dans notre Occident. »342

Et Isaure Gratacos de raconter ces histoires de « commandos » de jeunes filles,


souvent les cadettes, partant à l’assaut  des voyageurs esseulés qui, semble-t-il,
n’étaient  pas  réfractaires  à  ce  que  communément  nous  devrions  appeler  « viol ».

Nous pourrions nous pencher sur le statut des prêtresses païennes qui sont
souvent présentées comme systématiquement vierges.  Or  c’est  méconnaître  la  
réalité, même dans les sociétés machistes que proposèrent la Grèce et la Rome
antique,   ce   rôle   important   mais   assujetti   aux   lois   des   hommes   n’imposait   pas  
forcément cet état pubère.

« Si les textes font apparaître pour les prêtres comme pour les prêtresses des
exigences   de   pureté   rituelle   associées   à   la   chasteté,   l’opposition   entre  
« parthenoi » et « gunaikes » observée au niveau des prêtrises féminines fait que
le statut à la fois social et biologique des femmes se trouve réinvesti dans la

341 Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire, Gallimard, 1979, p 69


342Isaure Gratacos, Fées et Gestes, Privat, 1986, p 129

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place que les hommes leur attribuent dans leur relation au divin. Loin que la
prêtrise   soit   automatiquement   synonyme   de   virginité   […]   Il   faut   se   souvenir  
qu’en  Grèce  ancienne  les  prêtres  échappent tout à fait à la notion de clergé.
[….]Il   existe  d’ailleurs  des  prêtrises  assumées  parallèlement   par  un  prêtre  et  
son épouse. »343

Nous pouvons raccrocher le mot même de « vierge » au sens de « qui se régénère


sans cesse ».

« Celle qui se régénère sans cesse, et qui chaque matin est de nouveau libre et
disponible, et également « puissante », ce qui est finalement le sens étymologique
du mot "vierge »,   d’un   latin   « virgoé où l’on   retrouve   « vis » (génitif viris,
« force ») ;;  ou  d’un  ancien  celtique  « wakra »  qui  est  à  l’origine  du  mot  breton  
« groac’h  (sorcière),  ainsi  que  du  français  « virgo » ».344

Sexe et obscénité

Voilà sans aucun doute un des thèmes qui a le plus fasciné et le plus fait
fantasmer nos chercheurs, qui pour la grande majorité sont des hommes et qui
ont pour certains peut-être un peu trop axé leurs conclusions sur des fantasmes
somme toute très contemporains, à savoir la « putain sacrée » qui permettrait de
se « taper une pute »  sans  avoir  mauvaise  conscience  puisqu’elle  était « sacrée ».
J’exagère  et  je  provoque    - à  peine.  Qu’en  est-il, que peut-il en être vraiment de
cette  histoire  de  sexe  et  d’obscénité  sacrée  dans  un  monde  archaïque  oublié  et  
non à travers une déviance moderne dont les répercussions touchent tous les pans
de toutes les sociétés.

« Quel aspect de la déesse mère, c'est-à-dire  de  la  nature  féminine,  s’est  trouvé  
artificiellement écarté par le christianisme et par notre société. Ce qui apparait
d’abord  et  qui  est  devenu  un  problème  à  l’époque  moderne  est  son  aspect  sexuel.

343 Georges Duby – Michelle Perrot, Histoire des femmes – L’Antiquité, Plon, 1990, p 400
344 Jean Markale, Les Dames du Graal, Pygmalion, 1999, p 295

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L’ordre   social   considère   la   sexualité   comme   dangereuse   […]   Mais   il   est  
impossible de décider arbitrairement comment il convient de maitriser un dieu.
C’est   l’énorme   erreur   commise   dans   le   système   chrétien   qui   a   eu   pour  
conséquence  que  le  dieu  s’est mis à vivre de façon autonome. Cette législation
de  la  morale  sexuelle  n’a  jamais  été  bien  observée ;;  ou  bien  les  gens  s’y  sont  
tenus et sont devenus névrosés, ou bien ils ont vécu une double vie, ou bien sont
tombés « dans le péché, pour le regretter ensuite. »

Il faut une femme et une femme libre, c'est-à-dire non contrainte dans sa féminité
(par conséquent elle peut être en couple, mariée et mère de famille), une femme
qui  connaisse  l’état  de  virginité  à  la  mode  celtique  pour  exposer  la  question  du  
sexe dans la féminité sacrée. Ainsi comme le souligne Marie Louise Von Franz,
la sexualité fait partie de la « nature » et son refoulement ne fait que la rendre
malsaine  au  lieu  de  la  laisser  s’épanouir  avec  beauté  comme  toute  essence  divine  
parfaitement bien « ritualisée ». Je pèse mes mots.

La sexualité est une énergie terrifiante, parce que très puissante. Seule et déviée,
elle  fait  des  ravages,  alliée  à  l’amour, au respect, elle déplace les montagnes.
C’est  bien  la  raison  pour  laquelle,  refoulée,  elle  engendre  de  terribles  tourments  
et des maladies incurables. Par contre reconnue  pour  ce  qu’elle  est,  « sacrée »
elle  est  aussi  l’énergie  la  plus  créative  qui  soit.  C’est  d’une  part  celle  qui  « fait
faire des enfants » et celle qui « engendre  les  plus  belles  œuvres  artistiques ».
L’amour  serait-il  la  sexualité  de  l’âme ?

La sexualité qui nous intéresse ici est celle de la femme, ce sexe qui fut relégué
aux rôles démoniaques. Je ne reviendrai pas sur les détails sordides de ce qui fut
colporté au sujet des femmes et de leur faible sexe, si tentateur et si diabolique,
qu’il  est nécessaire de le « tenir » à distance (ou de les exciser ?)
A force de refouler leur sexualité les femmes ont développé des névroses,
amputé  leur  vie  et  leur  corps  d’un  élément  majeur.  Les  besoins  des  femmes  sont  
tout aussi réels que ceux des hommes, comme leur possible jouissance et leur
possible dégoût.

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Un  livre  ne  suffirait  pas  à  faire  l’étude  et  l’approche  de  la  sexualité,  cependant  
le thème de la Femme Celtique ne peut occulter ce trait si particulier et si présent
dans sa mythologie.
Les déesses celtes sont sexuées, elles ont toutes un mari, un amant, un soupirant,
un amoureux, un bel amour, mais la plus « coquine »  d’entre  elles est sans aucun
doute La Morrigane.

« Le Dagda avait une maison dans le nord. Il avait cependant rendez-vous de


femme cette année-là, à la fête de Samain de la bataille à Glenn Etinn. La rivière
Unius de Connaught y gronde au sud. Il vit la femme en Unius en Corann, se
lavant,  l’un  de  ses  deux  pieds  à  Allod  Echae,  c'est-à-dire  Echumed,  devant  l’eau  
au  sud,  et  l’autre  à  Loscuin  devant  l’eau,  au  nord.  Elle  avait  neuf  tresses  libres  
sur la tête. Le Dagda lui parla et ils firent une union. Le Lit du Couple est le nom
de  l’endroit  à  cause  de  cela.  La  femme  qui  est  mentionnée  ici  est  la  Morrigan. ».
« Elle dit au Dagda que les Fomoire toucheraient terre à Mag Scene et elle lui
dit  d’appeler  les  hommes  d’Irlande  devant  elle  au  gué  d’Unius.  Elle  irait  à  Scene  
pour tuer le roi des Fomoire, c'est-à-dire Indech, fils de De Domnan. Elle lui
enlèverait  le  sang  de  son  cœur  et  les  rognons de sa valeur. Elle montra ensuite
ses deux mains remplies de ce sang aux troupes qui attendaient devant le gué
d’Unius.   Le   gué   de   destruction   fut   alors   le   nom   de   ce   gué,   à   cause   de   cette  
destruction-là »345

La lecture de cet extrait, à un premier niveau n’a  aucun  intérêt.  Ce  qui  compte  
c’est  sa  lecture  symbolique  et  magique.  Nous  pouvons  y  voir  en  place  des  dieux
très importants du panthéon celtique à savoir le Dagda et la Morrigane. Le Dagda
possède une maison dans le nord : il  fait  partie  de  l’autre  monde (l’inconscient),
le monde de la sagesse, le monde de la magie. A Samonios il a rendez- vous avec
Morrigane. Le fait est de grande importance car il signifie que dans cet
espace/temps sacré, le dieu et la déesse se rencontrent, « s’unissent ».  Ce  n’est  
donc pas à Beltaine ( 1er mai) qu’est  symbolisée  la  magie  de  l’union  sacrée  mais  
au  tout  début  de  l’année,  en  ce  temps  qui  n’est  plus  un  temps  et  qui  représente  
toute  la  magie  du  monde.  La  Femme  a  les  pieds  au  bord  de  la  rivière,  l’un  au  

345Textes  Mythologiques  Irlandais  I,  1,  p  53  in  Christian  Guyonvarc’h  et  Françoise  Leroux, Les fêtes
Celtiques, Ouest France, 1995, p 39

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sud,  l’autre  au  nord.  De  cette  manière  Morrigane  possède  deux  visages  et  deux  
entrées possibles, une entrée dans le monde incarné, réalisé (sud), une autre dans
l’autre  monde  (nord).  Plus  précisément   nous  pouvons  lire  que  Morrigane  a  le  
pouvoir de passer de  l’un  à  l’autre  ou  d’être  présente  en  même  temps  dans  les  
deux mondes. Elle permet en tous cas le lien, la reliance. Les neufs tresses ne
font que confirmer la maîtrise, et le complet aboutissement de Sa force et de Sa
sagesse. Le chiffre du tripartisme cher aux Celtes ne peut que signifier la
plénitude   de   sa   réalisation   lorsqu’il   est   lui-même multiplié par trois. Voilà la
Grande Union, la magie du monde, celle dont jamais personne ne pourra dévoiler
le  mystère.   Il   n’est   par  conséquent   pas  farfelu   de  célébrer  l’autre  monde  et   la  
mort   à   Samonios   mais   tout   autant   la   magie   de   l’union   du   principe   Mâle au
principe  Femelle,  puisque  c’est  cette  union  qui  va  donner  le  nom  au  lit,  au  lieu :
lui  donner  vie.  Une  chose  n’existe  que  lorsqu’elle  reçoit  son  nom,  ainsi  la  matière
prend  forme  par  le  nom  qu’elle  reçoit.  Nous  avons  affaire  avec  cet  extrait  à  la  
célébration de la plus vieille croyance du monde, issue en droite ligne des
croyances primitives. Morrigane et Dagda sont les porteurs de ce mystère.
Et je ne suis pas surprise en regardant la gravure proposée par Jung pour la
346
Conjonction, dans son ouvrage Psychologie du transfert de découvrir un
couple enlacé, dans  le  lit  d’une  rivière.

Mais  le  mythe  ne  s’arrête  pas  là,  il  ne  s’agit  pas  de  « célébrer » un coït.
Leur union engendre immédiatement un fait que la déesse va révéler aux Dieux
et   aux   Hommes.   Elle   sait   qu’une   fois   l’union   consommée,   les   Fomoire,   ces  
forces inconscientes, ces pulsions de Vie (cette ombre) , vont se présenter au
« passage ».    C’est  aux  vivants qu’elle  va  montrer  que  la  création  passe  par  la  
mort   (initiation),   en   leur   présentant   le   sang   du   cœur   et   des   reins   (amour   et  
courage)  du  roi  des  Fomoire.  La  leçon  est  claire,  l’union  des  principes  mâle  et  
femelle  nécessaires  à  la  Vie,  engendre  l’activation de forces transcendantes. Ces
forces inconscientes révélées aux énergies conscientes doivent passer par
l’initiation afin de devenir créative.
.

346
C G Jung, Psychologie du transfert, Albin Michel, p 112

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Se  focalisant  sur  l’acte  sexuel  lui-même,    elle  n’a  l’air  ni  d’une  « salope », ni
d’une  « pute », elle ne se donne pas, ni ne se vend, elle a rendez-vous et Dagda,
lui  parle  avant  l’union. Aucune trace de femme soumise, de femme « Eve », ce
qui lui assure un  archaïsme  particulièrement  intéressant.  Avant  l’union  elle  ne  
minaude  pas,  elle  n’obéit  pas  à  un  seigneur  autoritaire,  après  l’union  Morrigu  
n’est    pas  reléguée  à  ses  cuisines.  Elle  a  une  réputation  de  « femme légère » mais
pas non plus décrite comme une écervelée dont le seul intérêt serait la chaleur
de ses cuisses.

La   sexualité   de   Morrigane   n’a   pas   pour   seul   but   la   sexualité.   Aucun   mythe  
celtique  ne  fait  état  de  cela.  L’union  est  toujours  dans  un  ensemble  de  dires et
d’actes   dont   les   conséquences   sont de grande importance. Le charme des
Femmes  décrites  dans  la  mythologie  celtique  qu’elle  soit  la  plus  ancienne  ou  la  
plus héritée à travers les légendes arthuriennes décrivent des femmes, désirables,
à courtiser (des femmes à qui on parle !). La sexualité de la femme ne se limite
pas  à  l’union  des  corps,  elle  passe  par  tout  un  avant  et  un  après,  un  autour.

« La  chaleur  d’une  femme  n’est  pas  un  état  d’excitation  sexuelle,  mais  un  état  
de  conscience  sensorielle  intense  qui   inclut   sa  sexualité  sans   s’y  limiter pour
autant. »347

Cela  peut  sembler  difficile  à  comprendre  sauf  si  l’on  considère  que  la  sexualité  
et  la  sensualité  chez  la  femme  ne  font  qu’une  et  qu’alors  le  charme  et  le  pouvoir  
débordent amplement le simple espace entre ses jambes.

En premier lieu   si   l’on   veut   comprendre   la   sexualité   sacrée   nous devons


comprendre la réalité du désir féminin, attirer, prendre, rendre, sans que cela ne
soit entaché de vulgarité ou de penchants malsains. Une femme sans pathologie
particulière ressent ce désir et chaque Shella Neg expose sans complexe son sexe
ouvert prêt à donner, ou à prendre. Il est une attente à être comblée.
A voir ces petites figures obscènes nous pouvons imaginer que la sexualité ne
fut  pas  pour  nos  ancêtres,  un  péché,  une  vilaine  chose,  mais  qu’elle  ne  fut  pas  

347 Clarissa Pinkola Estés, Femmes qui courent avec les loups, Grasset & Fasquelle, 1996, p 457

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non plus une orgie débridée et sans borne ; nous pouvons nous rappeler ce qui a
été  dit  au  sujet  des  anciennes  lois  d’Irlande,  qui prouve combien la femme est
respectée jusque dans son intimité.

C’est  dans  cet  état  d’esprit  que  nous  devons  approcher  la  notion  d’Obscénité :
« Il   existe   un   aspect   de   la   sexualité   féminine   qu’on   appelait   dans   l’Antiquité  
l’obscénité  sacrée.  Il  ne  faut  pas  comprendre le terme « obscénité » au sens où
nous   l’entendons   actuellement ;;   il   s’agit   d’une   sagesse   de   la   sexualité   pleine  
d’esprit,  en  quelque  sorte.
[…]   Il   existait   des   Déesses de   l’obscénité,   ainsi   nommées   pour   leur   lascivité  
innocente mais maligne. Notre langue courant nous rend difficile la
compréhension du terme « Déesses obscènes »   d’une   manière   exempte   de  
vulgarité.  Il  suffit  pour  cela  de  jeter  un  œil  sur  les  définitions  que  nous  donnent  
les dictionnaires, où le mot « obscène » - du vieil hébreu, ob, qui signifie sorcier,
sorcière – se voit renvoyer au mot « sale »   et   à   la   notion   d’impureté   qui  
l’accompagne. »348

L’obscénité  serait  le  jeu,  la  provocation,  l’activation  des  énergies  sexuelles  dans  
un   cadre   ritualisé.   En   quelque   sorte   il   s’agit   d’un   acte magique, le signe
permettant  la  mise  en  œuvre  de  façon  occulte, ici encore plus précieuse, dans la
mesure où l’énergie  sexuelle  éveillée  ne  doit  pas  passer  le   cadre de son désir
mais se trouver canalisée. La libération de cette énergie sans la canaliser
deviendrait malsaine, il convient de l’orienter...    C’est  le  rôle  du  rite  de  canaliser  
les  énergies  qui  sans  cela  nous  sont  incontrôlables,  comme  l’agressivité,  la  peur.  
Il  ne  s’agit  en  aucun  cas  de  passer  à  l’acte  et  de  générer  une  grande  partouze, et
pas non plus de refouler, un besoin si primitivement vivant.

« Obscénité
On a tenté une transposition moderne de ces geasa. Certains les ont comparés
aux actes par lesquels les femmes provoquent les hommes, par leur habillement,
leurs parfums, voire leur exhibitionnisme. Embrasser, enlacer un homme sont
aussi « formes de provocation ».349

348 Ibid, p 459


349 Bernard Felix, Iseult  et  ses  sœurs  celtiques, Coop Breizh, 1995, p 35

Page 161
Ce ne sont pas nos blagues salaces qui diront le contraire. Cette obscénité
possède  un  pouvoir  libérateur,  tant  qu’il  ne  tombe  pas  dans  l’asservissement.

« Il y a quelques années,  quand  j’ai  commencé  à  raconter  « des histoires de


déesses sales »,  mes  auditeurs  souriaient,  puis  riaient  à  l’écoute  des  exploits  de  
ces  femmes,  presque  réelles  ou  personnages  mythologiques,  qui  s’étaient  servies  
de la sexualité, de la sensualité, pour faire un bon mot, pour alléger la tristesse
et ainsi rétablir ce qui allait de travers dans la psyché. »350

Toucher le sexe, sans le toucher, en vivifiant sa source joyeuse est un rite


magique de haute science car il active  l’instinct  le  plus  primaire et le plus sain,
le protégeant des déviances. Quelque part, pointer le sexe sur le plan psychique
c’est aussi rappeler à notre âme que nous sommes vivants.

« Par leur humour et leur malice, les Déesses obscènes envoient dans le système
nerveux et le système endocrinien une forme vitale de remède. […]  C’est  une  
sorte  d’enchantement  sexuel  /  sensuel  qui  provoque  une  émotion  bénéfique. »351

Nous  retrouvons  ces  rites  d’obscénité  dans  la  manière  dont  certaines paysannes
se comportaient au lavoir,  monde  de  l’eau  et  de  la  lessive  qui  nous  l’avons  vu  
sont des lieux de femmes. Ces lavoirs sont rarement approchables par les
hommes. Mais ces  attitudes  ne  sont  pas  d’un  mode autoritaire et sectaire, le mode
est « grivois ».

« Les hommes en bloc sont exclus du lavoir. Ils y font allusion à Minot de façon
grivoise »352

Il semble y avoir eu un jeu sans équivoque entre ces femmes qui se retrouvent
entre elles sur un lieu traditionnellement féminin et les hommes qui ne peuvent
s’en  approcher  sans  subir  les  quolibets  et  les  allusions  des  femmes :

350 Clarissa Pinkola Estés, Femmes qui courent avec les loups, Grasset & Fasquelle, 1996, p 458
351 Ibid
352 Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire, Gallimard, 1979, p 132

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« Le  jeu  d’agression  verbale  et  même  gestuelle  entre  les  laveuses  et  l’homme  qui  
passe est traditionnellement avéré dans le folklore des laveuses, et ce qui frappe,
c’est  le  caractère bien établi de leur langage, un langage ordurier. […]Quand  
elles arrivaient au bout du rôle de leurs injures actives et passives, elles
n’avaient  autre  recours  de  garantie  qu’à  se  montrer  et  trousser  leur  derrière  à  
partie adverse »353

Les hommes ne doivent pas approcher sous réserve de déclencher la provocation


qui les rendra « forts » ou « faibles »,  c’est  à  dire  qui  mettra en exergue le pouvoir
des  femmes  sur  les  hommes,  la  séduction,  l’excitation. (Pouvoir réciproque !)
Il  est  à  parier  qu’aucune  de  ces  scènes  de  lavoirs  n’aboutit  à  de  réelles  agressions  
sexuelles, tant de la part des femmes que de la part des hommes. Il reste comme
un relent de rite même si le rôle sacré de ce « geste »  n’est  plus  ni  compris  ni  
compréhensible.
Toutefois cela peut  nous  être  d’une  aide  précieuse  pour  comprendre  l’habitude  
des femmes celtes de dénuder leur poitrine face à un ennemi.
Dans   le   contexte   celtique   il   est   peu   de   chance   qu’elles   montrent   leur   poitrine  
dans un geste attendrissant de maternité, espérant faire appel à la sensibilité des
hommes   et   demander   clémence.   Il   parait   plus   juste   qu’elles   opèrent   là   une  
gestuelle magique, qui  tend  à  dévier  l’énergie  guerrière  vers  une  énergie  sexuelle  
étant entendu que ces deux énergies sont proches et interchangeables dans leur
violence.   Exposer   sa   poitrine   revient   alors   à   pratiquer   le   rite   de   l’obscénité  
sacrée, comme les femmes nues de l’Europe  de  l’Est  s’exposent  pour  faire  fuir  
l’orage   (voir   page   150). Elles dévient, elles mettent en mouvement, elles
dérangent,  elles  changent  le  cours  des  choses  et  c’est  bien  le premier grand rôle
tenu par la Reine des Fantômes.

353 Sébillot, 1895, CHap Les Lavandières et Blanchisseuses, PP 2 et 3

Page 163
Reine des métamorphoses

Le  moins  que  l’on  puisse  dire  c’est  que  les  déesses des Celtes sont impossibles
à « caser » dans une définition stricte et immuable. Chaque profil est difficile à
définir sans qu’aussitôt  effleure un autre visage ; de la lumière se dévoile l’ombre  
et  de  l’ombre  monte  la  lumière ; de la mort irise la vie et la vie couve la mort.
Ainsi sont-elles, ainsi est-elle, ainsi soit-elle. Pour mieux approcher son profond
mystère   il   est   nécessaire   de   faire   l’effort   de   cette   acceptation   d’insaisissable  
regard, insaisissable magie de la vie. A peine nait-on que   l’on   glisse  
inéluctablement vers la mort. A peine voit-on le soleil  du  matin  que  l’ombre  du  
soir se profile et à peine glissons-nous dans les brumes des rêves que se dessine
doucement  la  prochaine  aube  claire.  C’est  comme  un  ruisseau  qui  serpente,  un  
temps  qui  n’en  finit  pas,  une  sûre  et  lente  métamorphose.  Car  enfin  d’avoir  tenté  
de   mettre   des   mots   sur   les   ailes   de   ces   Femmes   Sacrées,   d’avoir   tenté   de   les  
cerner un tant soit peu, a laissé affleurer deux faces qui se croisent et
s’entrelacent,  mais  plus  encore,  a  laissé  émerger un fil de tissage qui boucle et
serpente. Le lien de toutes ses caractéristiques, le fond premier de son mystère
repose sur la magnifique et grande magie de la métamorphose. Sans dire que La
déesse repose  sur  ce  principe,  il  n’en  est  qu’une  vue,  il  me  semble  précieux  d’y  
voir comme une clé de compréhension,  un  angle  d’approche,  un  tout  petit  peu  
de  son  secret  …

« Car   lorsqu’on   n’a   plus   foi   dans   la   transformation,   on   craint   par   la   même  
occasion  les  cycles  naturels  d’accroissement  et  d’usure. »354

Guyonvarc’h   voit   dans   les   métamorphoses   une   simple   trace   de   l’existence   de  


techniques   magiques   d’un   niveau   très   élevé   et   une   preuve   de   l’instabilité  
morphologique  des  personnages  mythiques  et  divins.  Pour  lui  rien  n’y  rappelle  
la métempsychose et rien non plus un quelconque semblant de chamanisme, de
totémisme ou de naturisme. Pour lui quand il existe, le zoomorphisme est un
support ou  l’expression  d’un  symbole.

354 Clarissa Pinkola Estés, Femmes qui courent avec les loups, Grasset & Fasquelle, 1996, p 190

Page 164
Cela est en contradiction avec les mêmes travaux de Françoise Leroux
notamment en ce qui concerne la métempsychose :
« La littéraire insulaire semble connaître surtout la métempsychose. »355

Nous pourrions nous demander ce que certains universitaires connaissent du


chamanisme.   N’est-il pas le « pouvoir » de métamorphose premier, celui de
changer de nature, de passer  d’un  état   à  un  autre,  d’un  monde  des   vivants au
monde des Esprits ?  Mais  point  n’est  notre  sujet.  La  métamorphose  peut  être  vue  
comme la nécessaire modification de la profondeur des choses et des êtres afin
de leur permettre la lente et constante « avance » de la vie. Sans les
métamorphoses, pas  de  vie,  sans  les  passages  de  l’un  à  l’autre, pas de Vie.

Nous retrouvons ce besoin vital de métamorphose dans la transformation


progressive des complexes psychologiques et leur nécessité absolue du « pouvoir
modifier » sous peine de rentrer dans un état névrotique :
« Le déroulement, tel un film à épisodes, les rebondissements successifs des
incidents par lesquels s'expriment l'imagination vivante et l'imaginaire vécu,
étalent les divers éléments dont est formé le complexe, démontent ses
mécanismes et ses structures fines, et démontrent sa transformation progressive
et la dissolution de son autonomie. Cette transformation est le but de la
confrontation du Moi et de l'inconscient. Si cette transformation ne se produit
pas, l'inconscient conservera intégralement une puissance de conditionnement
sur le conscient qui pourra aller jusqu'à entretenir et imposer des symptômes
névrotiques, en dépit de toute analyse et de toute compréhension ; ou encore, il
maintiendra un transfert contraignant et obsédant qui est tout aussi grave,
gênant et préjudiciable qu'une névrose.» 356

Le don de métamorphose, ce pouvoir divin, est le fondement du pouvoir de


régénérescence.  C’est  cette  lente  mouvance  obscure  et  intérieure  qui  œuvre  à  la  
transmutation, à la matière en vie. Elle permet par ses possibles ouvertures, la
fin et la renaissance :

355 Françoise Leroux, Les Druides, PUF, 1961 P198


356 C.G. Jung « Dialectique du moi et de l'inconscient », Idées / Gallimard, 1973 p 193/194.

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« La régénération du temps, telle est bien la signification profonde à accorder
aux  récits  de  morts,  enlèvements,  disparition  survenant  aux  temps  d’Halloween  
qui entraîne tout contact avec  l’Autre  Monde.  Cette  intrusion  des  gens  du  Sid  
doit  être  comprise  comme  l’abolition  du  temps  humain  et  l’effacement  du  temps  
usé, auquel succédera, après la période rituelle de bouleversement et de chaos,
la « paix »357

Les métamorphoses sont très nombreuses dans les mythes celtiques et nous les
rencontrons sous de nombreuses formes.

Dans le Mabinogi de Math, Gilwaethy et Gwydyon ayant eu des relations avec


celle qui servait de porte pied à Math, devront passer par tout un ensemble de
métamorphoses qui permettent   tour   à   tour   d’expérimenter   les   faces mâles et
femelles.

« Alors il (Math ) prit sa baguette magique et il transforma brusquement


Gilwaethy en une biche de grande taille ; immédiatement après cela, il empêcha
l’autre  de  s’enfuir  et,  le  frappant  de  sa  baguette,  il  en  fit  un  cerf.  « Puisque vous
êtes maintenant liés, je ferai en sorte que vous marchiez ensemble. Vous serez
un   couple   et   vous   aurez   l’instinct   des   animaux   dont   vous   avez   la   forme.   A  
l’époque   où   ils en ont la coutume vous aurez un petit. Dans un an à partir
d’aujourd’hui  vous  viendrez  auprès  de  moi ».358

Ils reviennent au bout  d’un  an  avec  un  faon,  que  Math  transforme  en  humain.  
Puis il les transforme en sanglier et sa laie, en loup et louve, puis leur rend forme
humaine.

Ce don de métamorphose se retrouve trop clairement et trop souvent sur le mode


divin   pour   n’être   qu’un détail ou une anecdote du concept de la tradition
Celtique. Certaines déesses en sont même les héroïnes et nous ouvrent grandes
les portes des métamorphoses magiques.

357 Véronique Guibert De La Vaissière, Les   Quatre   fêtes  d’ouverture   de   saison  de   l’Irlande   Ancienne,
Armeline, 2003, p 143
358 Textes mythologiques irlandais, C Guyonvarc’h  et  Leroux,  Les Druides, p 275

Page 166
Cailleach

Cailleach   est   une   grande   figure   des   métamorphoses.   On   l’appelle   Cailleach


Bheur ou Carlin en Écosse ; Cally Berry en Irlande du Nord ; Cailleach ny
Groamch sur l'Île de Man ; Black Annis en Bretagne ; la Sorcière de Beare ou
Digne  en  Irlande.  C’est  une  déesse  très  ancienne  reliée  aux  anciens  âges : « Les
trois grands âges : l'âge de l’if,  l'âge  de  l'aigle  et  l'âge  de  la  Sorcière  de  Beare. »
Elle est éternellement jeune et ses nombreux amants meurent de vieillesse quand
elle retourne périodiquement à sa jeunesse. Elle contrôlait les saisons et la
température, déesse cosmique de la Terre et du Ciel, de la Lune et du Soleil, elle
porte le mystère du temps au creux de sa propre éternité. En Ecosse  on  dit  qu’elle  
était changée en pierre à tous les Beltaine et reprenait vie à Samonios ce qui
signifie  son  appartenance  à  l’hiver  et  à  la   magie  de  la  renaissance  de  l’année.  
Considérée comme la Grand-Mère  des  clans  elle  était  aussi  l’ancêtre  de  la  tribu  
Caledonii  qui  parle  d’elle  comme  de  la  reine  des  montagnes  de glace, la « grande
dame bleue des Highlands sacrées. Protectrice elle est la mère première. Déesse
première  elle  est  à  la  fois  l’amour  et  la  mort,  on  la  vénère,  on  la  craint.  Elle  est  
la « sorcière bleue », la déesse ourse, la déesse sanglier, le visage du hibou. Tous
ces  attributs  sont  ceux  que  l’on  retrouve  chez Morrigu, chez Blodeuwedd. Elle
est la force inconsciente primitive et féconde.
On  l’appelle  parfois  « la voilée »  et  cela  fait  penser  au  mystère  qu’elle  porte,  à  
la face cachée que nous ne pouvons voir, mais peut-être aussi à ce grand manteau
que   l’on   retrouve   sur   les   épaule   d’Airmed   et   d’Epona   qui   du     « voile de
mystère »  prend  la  forme  d’un  manteau  de  protection.

Blodeuwedd

Blodeuwedd est une version galloise et sans doute plus récente dans profil de
déesse des métamorphoses.
Son épopée nous révèle trois visages, trois étapes de son devenir et de sa
condition. Elle est les trois visages de la déesse dans  la  vie,  l’amour  et  la  mort.

Page 167
Blodeuwedd est une reine initiatrice, fruit de la magie druidique. En plein mythe
de métempsychose, Blodeuwedd est la transformation de plantes en être humain.
Dans le sens du Cad Goddeu où les arbres présentent un anthropomorphisme
latent,359 ici la fleur se métamorphose en femme.

« Ils prirent alors les fleurs du chêne, les fleurs du genêt, les fleurs de la reine
des près, et par leurs charmes ils en firent la plus belle et la plus parfaite jeune
fille  qu’un  homme  ait  jamais  vue.  On  la  baptisa  du  baptême  que  l’on  faisait  alors  
et  on  l’appela Blodeuwed (aspect de fleurs) »360

C'est la femme fleur aux doigts « plus blancs que l'écume de la mer ». Composée
et animée par Gwydion et Math, elle devient l’épouse   de   Llaw   Llew   Gyffes  
(Lugh), mais en raison de son absence lui préfère le chasseur de cerf (seigneur
de pouvoir temporel) Grow Pebyr seigneur de Penllyn (Seigneur du Lac) à qui
elle révèle les secrets permettant de faire mourir son époux.

La métamorphose est présente à plusieurs niveaux et sous différents angles.


Apres celui de la fleur devenue femme, nous la retrouvons chez le Roi Llew
trompé et blessé qui se transforme en aigle, puis dans la métamorphose de
Blodeuwedd en chouette. Imposée ou provoquée la métamorphose est celle qui
permet   de  passer  d’un  état   à  un  autre,  d’une  étape  à  une  autre,  d’un  monde  à  
l’autre.   Ici   les   trois   règnes,   végétal,   animal   et   humain,   s’entremêlent   et   se  
rencontrent.   Comme   à   chaque   fois,   il   ne   s’agit   pas   de   faire   de   ce   mythe   une  
lecture   au   premier   degré,   il   ne   s’agit   pas   d’une   sombre   histoire   de   cocufiage,  
mais plus subtilement de transgression qui pour retrouver le « sens » doit
absolument passer par une métamorphose. En quelque sorte il ne suffit pas de
dire ou de faire, il faut absolument intérioriser et vivre en soi aussi le
changement,  c’est  sans  doute  le sens profond de la métamorphose. Sans elle le
mythe  pourrait  se  contenter  d’exprimer  des  mouvements  et  des  situations,  des  
prises  de  positions  et  des  anathèmes.  Il  n’est  jamais  que  cela,  il  porte  toujours  en  

359 Dans  le  Cad  Goddeu  les  arbres  sont  présentés  en  rang  guerriers  comme  s’il  s’agissait  d’hommes  partant  
à la guerre
360 J  Loth,  les  Mabinogion  1,  in    C  Guyonvarc’h  et  Leroux,  Les Druides, 1986, p 277

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lui, en plus, et clairement signifié dans l’image,  le  changement  profond  de  nature  
qui nous incombe dans la métamorphose.

Cerridwen

Cerridwen est sans conteste la reine des métamorphoses. Elle représente la force
vive de la vie qui par ses propres métamorphoses nous pousse à nous surpasser.

Car ce sont  des  métamorphoses  encore  qui  interviennent  dans  l’histoire  galloise  
de Taliesin, quand la magicienne Cerridwen poursuit le nain Gwion Bach qui a
indûment  acquis  le  savoir  par  quelques  gouttes  de  la  décoction  qu’elle  préparait  
dans son chaudron :
« Elle  courut  à  sa  poursuite.  Quand  il  l’aperçut  il  prit  la  forme  d’un  lièvre  et  se  
mit  à  courir.  Mais  elle  se  donna  la  forme  d’un  lévrier,  elle  le  poursuivit  et  le  
chassa  vers  une  rivière.  Il  prit  la  forme  d’un  poisson  et  elle  prit  la  forme  d’une  
loutre.  Elle  le  chercha  sous  l’eau.  Il  lui  fallut  prendre  la  forme  d’un  oiseau  dans  
le ciel et elle se fit épervier à sa poursuite. Elle ne lui laissa pas de tranquillité
dans  le  ciel.  Quand  elle  fut  sur  le  point  de  l’atteindre  et  qu’il  fut  dans  l’angoisse  
de la mort il remarqua un tas de froment moissonné dans une aire. Il descendit
dans le froment et il prit la  forme  d’un  grain.  Elle  prit  la  forme  d’une  poule  noire  
à  crête  et  alla  dans  le  froment.  Elle  gratta  de  ses  pattes,  le  reconnut  et  l’avala,  
ainsi  que  dit  l’histoire.  Elle  fut  neuf  mois  grosse  de  lui  et  après  l’avoir  mis  au  
monde  elle  n’eut  le  courage  de le tuer, tant il était beau. Mais elle le mit dans
un sac de cuir et, selon la volonté de son mari, elle le lança dans la mer le vingt-
neuf avril »361

Cerridwen la galloise est une déesse majeure, elle est la poule noire, noire
comme la nuit, noire comme les voiles de Morrigane, noire comme la peau de
ces « Vierges Noires » qui ont poussé aux creux de nos vieux chênes.

361 « L’histoire  de  Taliesin »  traduction  Christian  Guyonvarc’h,  Les Druides, 1986, p 275

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Elle se transforme elle-même, elle porte Gwyon qui renaîtra en Taliesin, mais
elle l’oblige  avant  tout à la métamorphose. Elle se transforme pour transformer
l’autre.  La  leçon  est  claire,  qui  veut  détenir  les  secrets  du  savoir  doit  passer  par  
les  affres  de  la  poursuite  vertigineuse  de  Sa  volonté.  Ce  n’est  que  « digéré », par
elle, porté en Son Sein, que métamorphosé nous pourrons accéder à la clarté  d’un  
front brillant, car tel est le sens du nom de Taliesin.
Reine du ciel, Reine de la nuit, Reine des fantômes, la grande leçon de La Dame
se retrouve synthétisée dans  l’œuvre  de  Cerridwen  qui  est  de  nous  faire  passer  
d’un  état  à  un autre, avec force et avec « amour ».

Etain

Comment ne pas tomber sous le charme de la belle Etaine ? Elle porte en elle
toute la lumière du monde et toutes les profondeurs de son obscure réalité. Etaine
qui   se   métamorphose   d’un   règne   à   l’autre,   d’un état   à   l’autre   par   amour,   par  
destin, par vérité. C’est  une  authentique  Dame, jamais elle ne triche. Elle est sans
aucun doute une de celles qui  me  touche  l’âme  avec  le  plus  de  douceur.  Comme  
une plume de cygne posée sur nos rêves.

« La métamorphose est un autre thème courant dans les histoires de ces femmes.
Dervorgilla et sa suivante se transforment en cygnes, la nourrice de Finn en
nénuphar  pour  livrer  combat.  Edaine,  transformée  en  une  flaque  d’eau  par  une  
femme jalouse, se métamorphose ensuite en ver ;;  puis  en  bel  insecte.  […]  Après  
elle renaît femme et plus tard se change en cygne. […]  Edaine  achève  sa  suite  
de métamorphoses en se démultipliant en cinquante femmes toutes identiques
par leurs traits et leur habillement. »362

362 Anne Bernard Kearney, Six femmes Celtes, L’Herne,  1996,  p16

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La courtise d'Etain

« Midhir,  l’oncle  et  père  adoptif  d'Aengus,  tombe  amoureux  de  la  fille  du  roi  
Ailill, Etaine Echraidhe (ou encore Edaine). Aengus part alors à la recherche
de cette fille et la ramène à son père. Fuamhnach, la première femme de Midhir,
en est jalouse. Ayant la connaissance druidique, elle frappe Etaine avec une
baguette de sorbier et la transforme en une flaque d'eau, qui devient un ver puis
un énorme et magnifique papillon (une autre version parle d'une mouche). Mais
Midhir prend énormément de plaisir à voir voler ce papillon. Alors Fuamhnach
crée un vent qui emporte Etaine autour du monde et ce jusqu'à la maison
d'Aengus. Ce dernier la dépose dans une coupe de cristal contenant des plantes
et des herbes merveilleusement parfumées. Il l'emmène partout avec lui.
Fuamhnach en est mécontente, et attire Aengus hors de sa demeure. Elle envoie
un nouveau vent qui emporte Etaine jusqu'à la maison du guerrier Edar, où elle
pénètre par la cheminée et tombe dans la coupe de vin de son épouse, qui avale
le papillon. La femme d'Edar tombe enceinte, et Etaine revient ainsi à la vie. La
nouvelle Etaine est élevée par Edar. Pendant ce même temps, le roi d'Irlande,
Eochaid Airemh cherche une épouse. Il envoie alors des émissaires à travers
tout le pays, en les chargeant de lui en trouver une. Ces derniers entendent
parler de la beauté de la fille d'Edar. Et le roi ordonne qu'on aille la chercher.
Il ramène Etaine chez lui, et Ailill, qui est aussi le frère du roi Eochaid, tombe
amoureux de la jeune fille. Il garde son amour secret jusqu'à ce que le roi parte
en voyage dans son royaume. Courtisée sans cesse par Ailill, Etaine accepte un
rendez-vous amoureux avec lui à la condition que ce soit le premier et le dernier.
Or pendant trois nuits de suite, Ailil dort sans se réveiller, et ne peut donc pas
se rendre au rendez-vous avec Etaine. Pendant ce temps, la jeune fille rêve d'un
étranger. La troisième nuit, cet étranger lui confie son identité. C'est Midhir. Il
annonce à Etaine qu'on a rapporté combien Etaine était belle, et qu'il a reconnu
en elle la femme que la jalousie de Fuamhnach lui a fait perdre. Il la supplie de
partir avec lui, mais celle-ci refuse de s'en aller sans la permission de son époux.
A son retour, Midhir parle à Eochaid. Celui-ci accepte de lui donner Etaine s'il
arrive à le battre aux échecs. Lors de la première partie, Midhir laisse gagner
Eochaid, et, en gage, défriche un passage dans les marécages de Meath. Midhir
gagne la seconde partie. Il vient alors réclamer son prix, mais Eochaid ferme

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toutes les portes de Tara et festoie avec ses guerriers. Midhir utilise alors ses
pouvoirs magiques, et parvient à pénétrer dans la grande salle pour délivrer
Etaine. Ils s'envolent ensemble, sous la forme de deux cygnes, et s'échappent par
la cheminée de la grande salle. En colère, Eochaid et ses guerriers poursuivent
le couple, et commencent à fouiller l'Autre Monde. Midhir propose un marché à
Eochaid. Il promet de lui rendre Etaine si celui-ci la reconnaît parmi cinquante
répliques. Eochaid, accepte. Midhir garde la vraie Etaine, et de leur union
naîtra un fils, le héros Conaire Meplicas.

« Viens O Midir », dit Fuamanch, « que je te montre ta maison et tes étendues


de terre et que la fille du roi voie tes richesses ». Midir fit avec Fuamanch le
tour complet de son domaine et elle le lui montra à lui et à Etaine. Puis il
emmena à nouveau Etaine devant Fuamanch. Fuamnach alla au-devant d’eux  
dans la chambre où elle dormait et elle dit à Etaine : « c’est   dans  la   couche  
d’une  femme  noble  que  tu  es  venue ». « Quand  Etaine  s’assit  sur  la  chaise  au  
milieu de la maison de Fuamnach, la frappa avec une baguette de coudrier
pourpre   et   elle   en   fit   une   flaque   d’eau   au   milieu   de   la   maison.   Fuamnach  
retrouna   chez   son   tuteur,   Bresal,   et   Midir   abandonna   la   maison   à   l’eau   en  
laquelle Etaine avait été transformée. Midir fut sans femme après cela.
La chaleur du  feu  et  de  l’air,  le  bouillonnement  du  sol  firent  leur  effet  sur  l’eau  
si bien que la flaque d’eau  qui  était  au  milieu  de  la  maison  fut  transformée  en  
un ver. Et ce ver devint ensuite une mouche pourpre363. Elle était de la taille de
la  tête  d’un  homme  et  c’était  la  plus  belle  qui  fut  au  monde.  Le  son  de  sa  voix,  le  
bourdonnement de ses ailes était plus doux que les cornemuses, que les harpes
et que les cornes. Ses yeux brillaient comme des pierres précieuses dans
l’obscurité.   Son   odeur   et   son   parfum   faisaient passer la soif et la faim à
quiconque  autour  de  qui  elle  venait.  Les  gouttelettes  qu’elle  lançait  de  ses  ailes  
guérissaient de tout mal, toute maladie et toute peste chez celui autour de qui
elle venait. Elle accompagnait et entourait Midir par toute sa terre partout où il
allait. Cela aurait nourri des armées dans les conseils et les assemblées de
camps  que  de  l’écouter   et   de  la   regarder.  Midir  savait  que  c’était   Etaine  qui  
était  sous  cette  forme.  Il  ne  prit  pas  de  femme  tant  que  cette  mouche  s’occupa  de

363 Mouche ou papillon, le terme irlandais « cuil »  veut  dire  l’un  et  l’autre,  insecte  en  général

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lui  et  cela  le  nourrissait  que  de  la  regarder.  Il  s’endormait  à  son  bourdonnement  
et  elle  le  réveillait  quand  il  venait  vers  lui  quelqu’un  qui  ne  l’aimait  pas.

« Fuamanch   entendit   parler   de   l’amour   et   de   l’homme   dans   lesquels   elle  


[Etaine] était chez le Mac Oc. Fuamanch dit à Midir : « fais appeler ton fils
adoptif  que  je  fasse  la  paix  entre  vous  deux,  et  j’irai  à  la  recherhce  d’Etaine.  Un  
messager  vint  chez  le  Mac  Oc  de  la  part  de  Midir  et  il  alla  pour  s’entretenir  avec  
lui. Fuamanch vint en faisant un  détour  jusqu’au  Brug  et  elle  envoya  sur  Etaine  
le  même  souffle  qui  la  chassa  de  la  pièce  et  l’envoya  dans  le  même  vol  qu’elle  
avait  fait  auparavant  à  travers  l’Irlande.  Le  souffle  de  vent  la  poussa  dans  sa  
misère  et  dans  sa  faiblesse  jusqu’à  ce  qu’elle  se  pose  sur  le  toit  d’une  maison  
dans  laquelle  les  Ulates  étaient  à  boire.  Elle  tomba  dans  la  coupe  d’or  qui  était  
dans  la  main  de  la  femme  d’Etair,  le  champion  d’Inber  Cichmaire  de  la  province  
de   Conchobar.   Elle   l’avala   avec   le   liquide   qui   était   dans   la   coupe. Elle fut
conçue ensuite en son sein et elle fut sa fille. On lui donna  le  nom  d’Etaine,  fille  
d’Etar. Il y eut mille  douze  ans  depuis  la  première  apparition  d’Etain  par  Aillil,  
jusqu’à  la  dernière  conception  par  Etar »364

Encore une fois et même tardivement, c’est  Morrigane que nous identifions sous
le nom de Morgane par le don des métamorphoses. Se transformer en oiseau est
nous le savons le don de la déesse, la Grande Reine, quand elle met son manteau
de nuit.
Retrouvons-là, non plus dans les vieux mythes, mais dans les écrits plus tardifs
de Geoffroy de Montmouth :
« L’île  des  Pommes,  qui  est  appelée  fortunée,  tire  son  nom  de  ce  qu’elle  produit  
tout par elle-même.  Il  n’est  pas  nécessaire  aux  habitants  de  tracer  des  sillons.  Il  
n’y  a  aucune  culture,  hormis  celle  dont  la  nature  prend  soin  d’elle-même. Elle
produit elle-même  d’abondantes  moissons,  des  raisins  et  des  pommes  dans  ses  
forêts couvertes de fruits. La terre y engendre tout elle-même, en surabondance
au   lieu   d’herbe.   On   y   vit   cent   ans   et   plus, Neuf   sœurs,   par   une   loi   agréable,  
accordent  des    droits  à  ceux  qui  viennent  vers  elles  de  nos  régions.  Celle  d’entre  
elles  qui  est  la  première  est  devenue  la  plus  savante  dans  l’art  de  guérir  et  elle  

364Textes  mythologiques  irlandais  1/1,  pp  241,  in    C  Guyonvarc’h  et  Leroux,  Les Druides, Ouest France,
1986, p 279

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dépasse   ses   sœurs   par   sa   remarquable   beauté.   Son   nom   est Morgane et elle
enseigne  qu’elle  ait l’utilité  de  toutes  les  plantes  pour  guérir les corps malades.
Un art qui lui est bien connu est de savoir changer de visage et, comme Dédale,
de voler dans les airs avec des plumes neuves. Quand elle le veut elle est de
Bristus, de Carnotus, ou de Paia, quand elle veut elle glisse des airs sur nos
rivages.  On  dit  qu’elle  a  enseigné  l’astrologie  à   ses  sœurs : Monroe, Mazoe,
GLiten, GLitonea, Gliton, Tyronoe, Thiten,  Thilton  très  habile  à  la  cithare.  C’est  
là que nous conduisîmes Arthur grièvement blessé après la bataille de Camlann,
sous la direction de Barinthius à qui étaient connues les eaux et les étoiles du
ciel. Conduits par ce navire, nous y arrivâmes avec le roi et Morgan nous reçut
avec les honneurs convenables. Elle le porta dans sa chambre sur une couche
d’or   et   de   sa   main   charmante,   elle   découvrit   la   blessure.   Elle   l’examina  
longuement  et  enfin  elle  dit  qu’elle  pouvait  lui  rendre  la  santé  s’il  restait  assez  
longtemps et voulait absorber ses remèdes. Nous en réjouissant donc, nous lui
confiâmes le roi et nous fîmes voile pour le retour avec des vents favorables. »365

Lors de la lente dévolution des mythes ou des contes  de  fées,  parce  qu’elles  en  
sont les clés principales, les métamorphoses en gardent la place la plus
significative :
« Morgane  est  à  l’évidence  une  femme  de  l’Autre  Monde  et  sa  magie  n’est  pas  
accessible au commun des mortels. Plus tard cette même magie devait envahir
les   contes   de   fées   dont   les   métamorphoses   sont   restées   l’aspect   le   plus
spectaculaire, à cette nuance près qu’elles  font  désormais  partie  de  thèmes  ou  
de narration vidés de leur substance religieuse. »366

Il n’y  a  pas  que  les  dieux, les déesses et leurs pâles avatars à posséder le don de
métamorphose. Quelques exemples très clairs signent de ce savoir-faire non plus
des   êtres   mythiques   mais   des   êtres   de   l’histoire.   Quelques   historiens   anciens  
témoignent de ce fait au sujet de prêtresses vivant sur des îles. Elles semblent
procéder aux mêmes artifices que la Grande Morrigu, à savoir ceux de pouvoir
se transformer en animal, à volonté. Bien entendu nous ne pouvons croire de tels
faits,   concrètement.   Cependant   s’agissant   d’un   témoignage historique nous

365 Geoffroy  de  Monmouth,  Vitta  Merlini  E  Faral  in  C  Guyonvarc’h  et  Leroux,  les Druides, 1986, p 276
366 C  Guyonvarc’h  et  Leroux,  Les Druides, 1986, p 276

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pouvons  aisément  d’une  part  le  relier  à  la    croyance  mythique  d’un  peuple  qui    
la  colporte  et  d’autre  part  le  relier  aux  croyances  primitives  – chamaniques – Car
telles sont les métamorphoses encore présentes dans la quasi-majorité des
croyances vivantes, héritées en ligne directe des chamanismes anciens.

« Sena, dans la mer britannique, en face du littoral, chez les Osismii, est
remarquable  par  l’oracle  de  la  divinité  gauloise  dont  les  prêtresses  sont  dit-on
au nombre de neuf dans une virginité perpétuelle. On les appelle Gallisenae :
elles prétendent calmer par leurs chants et par les singularités de leurs artifices
les   mers   en   tempête   et   les   vents,   et   prendre   la   forme   des   animaux   qu’elles  
veulent.  Elles  savent  guérir  ce  qui  par  d’autres est inguérissable et prédire ce
qui doit arriver ».367

367 Pomponius  Mela  III,  6,  48  in  C  Guyonvarc’h  et  Leroux,  Les Druides p 275

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Le féminin retrouvé

Cette Femme qui se dévoile à travers les traces historiques, les mythes et les
croyances des Celtes est donc par essence bien éloignée de celle que nous avons
coutume de voir, et de croire. Libre et forte elle est le pendant égal, différent
mais semblable,    de  l’homme,  son  compagnon.  
Le  mâle  de  la  femelle,  le  masculin  du  féminin,  qu’il  se  joue  sur  le  mode  physique  
et sexuel, sur le mode psychique ou émotionnel, et le nécessaire miroir de son
rêve et de son incarnation.

Le pôle féminin autrement

Le  pôle  féminin  n’est  pas  que  « la femme », il se conjugue sur plusieurs temps
et  à  plusieurs  niveaux  d’incarnation.  Il  est  la  femme,  certes,  mais  aussi la part de
l’âme  dans  l’homme,  l’anima  :
« On sait que Jung désigne par-là, ce que l’on  peut  appeler  le  « pôle féminin »
de   l’homme,   constitué   principalement   de   ces   qualités   de   sensibilité,  
d’imagination,  d’intuition,  etc.,  que  l’image  collective  du    mâle  « viril » oblige
un homme à refouler plus ou moins. »368

Une part de sensible et de créatif ;;   une   part   d’intuition   et   de   don   de  


métamorphose.

De   son   côté,   il   ne   s’agit   pas   de   voir   la   femme   comme   un   deuxième   homme,  


comme un supérieur ou comme un inférieur. La femme est dans la tradition
celtique une semblable, tout comme les analystes ont su le définir à travers les
plis de nos âmes :

Du côté des hommes :


« Un   des   problèmes   de   l’homme   est   d’apprendre   […]   à   reconnaître   en   sa  
partenaire un autre individu humain : rien de plus, mais rien de moins ! »369

368 Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 21
369 Ibid, p 21

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Du côté des femmes :
« Elles ont conscience   de   leur   importance   du   fait   qu’elles   ont   des   traits  
particuliers  qui  les  différencient  de  l’homme  et  de  ce  que ceux-ci  n’impliquent
aucune infériorité. »370

L’un   comme   l’autre   possède   en   chacun   de   lui   les   deux   aspects   de   la   nature,  
masculin, féminin.

« C’est  pourquoi  pour  se  réaliser  de  façon  équilibrée  dans  sa  totalité,  une  femme  
doit développer son animus, ses qualités intellectuelles et « viriles », tandis que
l’homme   a   besoin   de   développer   son anima, ses qualités, féminines et son
éros. »371

A propos de métamorphose, le mot est textuellement utilisé par Marie Louise


Von Franz :

« Le principe masculin et le principe féminin sont destinés à se compléter et à


se féconder réciproquement. »372

Le   don   de   métamorphose   n’est   pas   une   invention   de   nos   ancêtres, ni une


découverte  de  nos  spéléologues  de  l’âme,  il  est  une  réalité  qui  dans  les  cycles  
vie/mort/vie se retrouve sauvage et naturelle :
« Au contraire des humains, les loups ne sont pas surpris par les hauts et les bas
de  l’existence,  de  l’énergie, de  la  nourriture,  des  opportunités,  pas  plus  qu’ils  
ne les considèrent comme des punitions. Ils les prennent comme ils viennent et
s’en   accommodent   du   mieux   qu’ils   peuvent.   La   nature   instinctuelle   a   une  
capacité miraculeuse : elle passe à travers le positif et le négatif sans pour
autant altérer la relation à soi et aux autres.
Les loups font face aux cycles de Vie/Mort/Vie de la nature et du destin avec
grâce, intelligence et avec le désir durable de rester unis, de vivre bien et
longtemps. »373

370 Ibid
371 Ibid
372 Ibid
373 Clarissa Pinkola Estés, Femmes qui courent avec les loups, Grasset & Fasquelle, 1996, p 189

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Ils  s’adaptent, ils se métamorphosent.

Les  mythes  qui  nous  permettent  de  retrouver  ce  fil  perdu  entre  l’homme  et   sa
nature semblent être la  sagesse  même  car  ils  sont  l’écho  d’une  lecture  de  cette
nature  dans  l’appartenance  à son essence qui est la nôtre:
« Les mythes doivent-ils être considérés comme des créations purement
humaines, ou bien révèlent-ils objectivement la face cachée de la nature ? Sont-
ils une projection ou correspondent-ils  à  une  vérité  plus  vaste  que  l’homme ?
[…]   On   est   en   droit   de   penser   qu’il   ne   s’agit   pas   d’une   pure   projection   car
l’inconscient  « est »  la  nature  dans  l’être  humain. »374

Dans  leur  nature  respective  ce  n’est  pas  de  différencier  l’homme  et  la  femme,  le  
masculin et le féminin qui les sépare, bien au contraire, les différencier leur
donne corps et leur permet de se rencontrer :
« Ovide conclut que « La séparation du ciel et de la terre mit fin au conflit en
assignant à chacun sa place distincte. (Ovide, Métamorphoses, I) »375

Les vieilles croyances semblent bien plus sages que toutes nos tergiversations
contemporaines.

« La mentalité primitive et celle de gens bien plus évolués perçoivent un rapport


fondé  sur  ce  qu’on  a  nommé  parfois  la  magie  sympathique  entre  la  fertilité  du  
sol et les agissements sexuels : « ce   qu’on   accomplit ensemble donne de
meilleurs résultats »  (J  Duval,  cité  par  Gelis,  l’Arbre,  P  25). »376

Il  ne  s’agit  pas  de  louvoyer  entre  deux  eaux  et  d’ouvrir  sur  une  lubricité  sans  
limites. Le monothéisme a ouvert les portes de la distance en lui donnant la
pulsion verticale, une hiérarchie des genres. Pourtant le regard sur la femme dans
toute sa réalité, dans toute son humanité ne passe pas par la case concupiscence
qui se révèle n’être   qu’un   autre   extrême.   Ce   fait  se   retrouve   lui   aussi   dans   la  
nature et dans la symbolique qui en découle :

374 Marie Louise Von Franz, La femme dans les contes de fées, la Fontaine de Pierre, 1979, p 281
375 Jean Paul Roux, La  Femme  dans  l’histoire  et  les  mythes, Fayard, 2004 p 220
376 Ibid

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« Les  comportements  illicites  en  amour,  l’inceste  en  premier,  l’adultère  ensuite  
ou  toute  déviation  de  l’instinct,  tendent  à  nuire  à  la  fertilité du sol et aux récoltes
parce  qu’ils  dérangent  l’ordre  établi »377

Remettre le féminin sur un mode semblable, implique de retrouver à la fois ses


réalités, ses forces et ses obscurs songes, mais aussi le respect qui lui est dû. Il
ne  s’agit  pas  de  rouvrir la  boite  aux  clivages  qui  font  d’elle  une  « pute » ou une
« soumise ».  C’est  à  travers  le  respect  de  Sa  force  et  la  beauté  de  Son  expression  
entière que nous retrouverons le chemin du Féminin.

« Nous   ne   cessons   de   l’avilir   par   nos   grivoiseries,   notre   voyeurisme, notre


lubricité, par notre manque de respect. »378

Pour conclure nous pouvons faire appel à Jean Paul Roux qui pourrait si
parfaitement décrire la féminité dans sa nature, car son analyse fine et juste
permet le lien ténu entre la force femme « comme un cheval » , sa lumière
« Reine du Ciel » et son pouvoir de Métamorphose, de procréation.

« Il réside dans la femme une force considérable, essentiellement spirituelle ou


morale,  qui  s’oppose  à  cette  faiblesse  physique  qui  lui  a  souvent  valu  mépris,  
commisération   ou   projection.   C’est   une   puissance   très   mystérieuse   et  
démesurée,  celle  qu’à  la  terre,  qui  lui  permet,  comme  à  celle-ci, de donner la
vie ; celle aussi de la lumière sans qui rien ne croît, rien ne naît. »379

Nous pouvons aussi faire référence à Clarissa Pinkola Estès chez qui éclot
comme une mémoire ravivée, un souvenir étrange, le souvenir de la femme
ancestrale, celle qui est trois, celle qui est à elle seule une trinité sacrée.

377 Jean Paul Roux, La Femme  dans  l’histoire  et  les  mythes, Fayard, 2004 p 229
Confirmé  par  Frazer  Le  Rameau  d’Or,  I,  p  321
378 Ibid, p 325
379 Ibid

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« Le jardinier, le roi, et le magicien représentent trois personnifications de
l’archétype   masculin.   Ils   correspondent   à   la   trinité   sacrée   du   féminin   que  
personnifient la jeune fille, la mère et la vieille. »380

Peut-être pouvons-nous, nous, hommes et femmes du XXIème siècle, retrouver


les chemins fleuris ou enneigés de notre mère première, de notre Dame du Ciel,
de notre Reine des fantômes.

380 Clarissa Pinkola Estés, Femmes qui courent avec les loups, Grasset & Fasquelle, 1996, p 571

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