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PREMIÈRE CHAMBRE S2023-1247

DEUXIÈME SECTION

OBSERVATIONS DÉFINITIVES
(Article R. 143-11 du code des juridictions financières)

LES CRYPTO-ACTIFS : UNE


RÉGULATION À RENFORCER

Le présent document, qui a fait l’objet d’une contradiction avec les destinataires concernés,
a été délibéré par la Cour des comptes, le 18 octobre 2023.

13, rue Cambon ◼ 75100 PARIS CEDEX 01 ◼ T +33 1 42 98 95 00 ◼ www.ccomptes.fr


LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

TABLE DES MATIÈRES

SYNTHÈSE...................................................................................................................... 5
RECOMMANDATIONS .............................................................................................. 10
INTRODUCTION ......................................................................................................... 11
1 UN DÉVELOPPEMENT RAPIDE QUI REPRÉSENTE UN DÉFI POUR
LES POLITIQUES PUBLIQUES .......................................................................... 13
1.1 Des actifs numériques émis, échangés et stockés sans banques ni États ......... 13
1.1.1 Des actifs échangés et stockés de manière sécurisée et sans
intermédiaire............................................................................................ 13
1.1.2 Des limites technologiques qui interrogent sur les usages futurs ............ 15
1.2 Une diversification des types de crypto-actifs et de leurs usages qui
témoigne de la consolidation du secteur........................................................... 16
1.2.1 Des générations successives porteuses d’innovations ............................. 16
1.2.2 De nouveaux actifs qui se sont inscrits durablement dans le
paysage technologique et financier ......................................................... 17
1.2.3 Un marché en croissance très rapide en dépit d’une forte volatilité ....... 18
1.3 Des défis pour la régulation et la souveraineté monétaire des États ................ 20
1.3.1 Une virtualisation de la valeur qui limite la capacité de contrôle des
États ......................................................................................................... 20
1.3.2 Une empreinte environnementale et énergétique qui reste à
maîtriser ................................................................................................... 21
1.3.3 Des enjeux de stabilité financière et de souveraineté monétaire ............. 23
1.3.3.1 Des risques pour la stabilité financière réels mais encore limités .......................... 23
1.3.3.2 Des projets de monnaie numérique de banque centrale aux objectifs et
contours encore mal définis .................................................................................... 26
2 L’ADAPTATION EN COURS DE LA RÉGLEMENTATION EN
FRANCE ET EN EUROPE ................................................................................... 32
2.1 Une réglementation française précoce qui a montré ses limites ...................... 32
2.1.1 Un cadre qui repose sur un enregistrement obligatoire et un
agrément facultatif des prestataires ......................................................... 32
2.1.2 Des demandes d’enregistrement instruites avec efficacité par
l’AMF ...................................................................................................... 35
2.1.3 Des contrôles qui montent en charge, des sanctions peu
nombreuses .............................................................................................. 35
2.1.3.1 Un nombre de contrôles sur place encore limité en 2022 ....................................... 35
2.1.3.2 Des moyens de détection limités concernant les prestataires non-enregistrés ........ 36
2.1.3.3 Une action répressive dont les résultats semblent faibles eu égard aux enjeux ...... 37

2
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

2.1.4 Au total, une réglementation utile à la structuration du secteur mais


insuffisante pour la protection des investisseurs ..................................... 38
2.1.4.1 Une réglementation qui a accompagné le développement du secteur des
actifs numériques en France ................................................................................... 38
2.1.4.2 Un encadrement qui n’a pas renforcé la protection des investisseurs..................... 40
2.2 Un renforcement des exigences réglementaires dans le cadre français en
2023 puis européen en 2024 ............................................................................. 40
2.2.1 Une réglementation européenne qui entrera en vigueur fin 2024 ........... 40
2.2.1.1 Un renforcement de l’encadrement des prestataires de services ............................ 41
2.2.1.2 Un renforcement des exigences applicables à l’émission des stablecoins.............. 42
2.2.2 Un renforcement de la réglementation dès 2023 en France .................... 44
2.3 Une période de transition délicate entre la réglementation française et le
règlement européen .......................................................................................... 45
2.3.1 Un pic d’activité à anticiper pour les autorités de françaises de
régulation ................................................................................................. 45
2.3.2 Des ressources à identifier pour absorber de nouvelles missions
tout en réduisant les délais d’instruction des demandes .......................... 46
3 UNE LUTTE COMPLEXE CONTRE LE FINANCEMENT D’ACTIVITÉS
CRIMINELLES ..................................................................................................... 49
3.1 Un secteur à haut risque, soumis à des règles strictes pour lutter contre le
blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ................................ 49
3.1.1 Des risques identifiés et élevés, qui ont conduit à la mise en place
rapide de règles adaptées ......................................................................... 49
3.1.1.1 Des risques avérés mais dont l’ampleur est difficile à mesurer .............................. 49
3.1.1.2 La mise en place rapide de règles de LCBFT adaptées .......................................... 52
3.1.1.3 Le rôle central de l’ACPR dans la supervision et le contrôle des acteurs .............. 54
3.1.2 Un cadre juridique de la LCBFT qui évolue pour mieux prendre en
compte les spécificités des crypto-actifs ................................................. 54
3.1.2.1 Des moyens juridiques efficacement mobilisés au service de la LCBFT ............... 54
3.1.2.2 Un nouveau cadre européen de LCBFT en cours de déploiement.......................... 56
3.1.2.3 Un équilibre à préserver entre contrainte, attractivité et protection des
libertés individuelles............................................................................................... 57
3.2 Une efficacité limitée par des difficultés techniques majeures qui
nécessitent de renforcer la coordination et la formation des acteurs ................ 59
3.2.1 Des activités qui se heurtent à des limites techniques, des
compétences difficiles à acquérir et à conserver ..................................... 59
3.2.1.1 Une efficacité limitée par les obstacles techniques rencontrés ............................... 59
3.2.1.2 Des services confrontés à la difficulté d’acquérir et de conserver des
compétences techniques rares................................................................................. 61
3.2.2 Des enjeux qui appellent une coopération renforcée à l’échelle
nationale et internationale ....................................................................... 62
3.2.2.1 Des efforts de communication et de coopération avec les acteurs du secteur
à poursuivre ............................................................................................................ 62
3.2.2.2 Une coopération internationale devenue indispensable, en particulier au
niveau européen...................................................................................................... 64

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LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

4 DES DISPOSITIONS FISCALES TROP PEU CONNUES, DES


AJUSTEMENTS NÉCESSAIRES ........................................................................ 67
4.1 Des ajustements à anticiper pour garantir la cohérence du cadre fiscal ........... 67
4.1.1 Une imposition des actifs numériques dans le cadre du droit
commun ................................................................................................... 67
4.1.2 Un dispositif simplifié pour les plus-values réalisées par les
particuliers ............................................................................................... 70
4.1.3 Un cadre fiscal qui pourrait être ajusté face à la diversification des
usages ...................................................................................................... 72
4.1.3.1 Un cadre fiscal qui limite l’utilisation des actifs numériques comme moyens
de paiement ............................................................................................................ 72
4.1.3.2 Un traitement fiscal des NFT qui pourrait évoluer à moyen terme ........................ 75
4.2 Une imposition qui doit être mieux expliquée aux contribuables et mieux
contrôlée par l’administration .......................................................................... 77
4.2.1 Un enjeu fiscal mal connu et probablement sous-estimé ........................ 77
4.2.2 Une information des usagers à compléter et à approfondir ..................... 78
4.2.3 Des contrôles à renforcer pour les particuliers et les entreprises ............ 80
4.2.3.1 Des obligations déclaratives croissantes concernant les prestataires de
services sur actifs numériques ................................................................................ 80
4.2.3.2 Une visibilité très faible pour les comptes gérés sans recourir à des
prestataires .............................................................................................................. 81
4.2.3.3 Des enjeux qui justifieraient une attention accrue de la part des services de
contrôle fiscal ......................................................................................................... 82
Annexe n° 1. Les outils d’analyse transactionnelle..................................... 85
Annexe n° 2. Les origines idéologiques des « cryptomonnaies » ............... 87

4
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

SYNTHÈSE

Les crypto-actifs sont des représentations numériques de valeurs ou de droits, échangés


et conservés sur des chaînes de blocs (blockchains). Ces chaînes de blocs, registres dont les
informations sont partagées par tous leurs utilisateurs, permettent d’effectuer des transactions
sans recourir à des tiers de confiance. Depuis la création du Bitcoin en 2009, des milliers de
projets ont vu le jour avec des usages variés permettant d’explorer les possibilités
technologiques des chaînes de blocs. Leur potentiel d’innovation semble encore important,
comme en témoigne le développement des jetons1 non-fongibles (non fongible tokens, NFT),
des jetons stables (stablecoins) et des jetons au service du Web3.
La valorisation du marché des crypto-actifs avoisinait 1 100 Md$ fin 2023, contre
18 Md$ début 2017. On estime à environ 14 millions de personnes le nombre d’utilisateurs de
ces actifs au sein de la zone euro2 et entre 3 % et 9 % de la population adulte française selon les
estimations disponibles, soit à 1,5 à 5 millions de Français.
Les crypto-actifs, initialement conçus comme des alternatives aux monnaies étatiques,
ont un rôle actuellement marginal dans le financement de l’économie. Leur développement
constitue toutefois un défi pour les États en termes de contrôle des flux et des acteurs,
d’empreinte environnementale, de stabilité financière, voire de souveraineté monétaire. En
France et en Europe, les pouvoirs publics ont adapté certaines normes sectorielles et fiscales
préexistantes et établi une réglementation dédiée à la fourniture des services sur actifs
numériques.

Des prestataires soumis à un encadrement initial volontairement allégé

La France s’est dotée dès 2019 d’une réglementation encadrant l’activité des prestataires
de services sur actifs numériques (PSAN) selon deux niveaux graduels de contraintes. Le
premier niveau repose sur un enregistrement obligatoire des PSAN par l’Autorité des marchés
financiers (AMF), qui a permis d’établir un socle de contrôle minimal relatif à l’honorabilité
des acteurs, à leur compétence et à leur capacité à respecter les dispositions concernant la lutte
contre le blanchiment et le financement des activités illicites. Le second niveau permet aux
PSAN d’obtenir de l’AMF un agrément optionnel, à condition qu’ils disposent de règles
prudentielles et de procédures de gestion interne plus exigeantes, attestant leur maîtrise des
risques financiers et offrant aux investisseurs un niveau de transparence plus satisfaisant.
Cette réglementation à deux niveaux traduisait la recherche d’un équilibre entre
l’encadrement des acteurs et les particularités d’un secteur émergeant dont les activités peuvent
être délocalisées très facilement. Des contraintes trop importantes auraient limité le
développement des prestataires installés en France sans entraver l’action des entreprises
proposant leurs services depuis l’étranger et non soumises à la réglementation française. Ce
régime a conduit à l’enregistrement de 90 PSAN entre 2020 et septembre 2023, participant à la

1
Un jeton (token) peut être considéré comme l’unité de compte des crypto-actifs.
2
Banque centrale européenne, Study on the payment attitudes of consumers in the euro area (SPACE) –
2022, décembre 2022.

5
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

construction d’un écosystème dynamique qui compte des entreprises françaises reconnues et
des champions mondiaux du marché des actifs numériques. Il a permis d’identifier les acteurs
inscrits dans une démarche de conformité réglementaire, d’améliorer l’information offerte aux
investisseurs et d’étendre aux PSAN les obligations de lutte contre le blanchiment de capitaux
et le financement du terrorisme (LCBFT) applicables aux autres activités financières.
Ce régime présente plusieurs limites. La première tient à la difficulté des autorités à
lutter contre les opérateurs qui offrent des services en France sans y être enregistrés. Les moyens
juridiques, techniques et humains manquent pour détecter, contrôler et sanctionner
efficacement les comportements fautifs, dans un environnement entièrement virtuel où la
coopération entre États est variable. La lutte contre les pratiques abusives est également
compliquée par le fait que les opérateurs non enregistrés ont le droit de fournir leurs services
aux clients français lorsque ceux-ci en font la demande, au nom du principe de la
« commercialisation passive » (reverse solicitation) commun à la réglementation des produits
financiers. La seconde limite tient au fait qu’un seul agrément optionnel a été délivré par
l’Autorité des marchés financiers, en juillet 2023.
Eu égard aux risques associés à ces investissements et au développement des crypto-
actifs depuis 2019, les vérifications préalables à l’enregistrement obligatoire sont désormais
trop faibles, ce qui appelle un renforcement des normes applicables à l’émission de jetons et à
la fourniture de services sur actifs numériques. Conscientes des limites attachées aux normes
nationales concernant un secteur dont les enjeux sont internationaux, les autorités françaises
soulignent la nécessité de renforcer ces règles à l’échelle européenne.

Avec le renforcement des exigences réglementaires, une période de transition


délicate pour les entreprises et les autorités de régulation concernées

Le règlement européen MiCA (markets in crypto-assets), qui entrera progressivement


en vigueur entre juin 2024 et juin 2026, s’inspire très directement du modèle français et le
prolonge. Il donne une définition des crypto-actifs qui va au-delà de la notion d’actifs
numériques prévue par la loi PACTE3 et met en place un agrément européen qui permettra aux
prestataires agréés par un État membre de fournir des services dans l’ensemble du marché
européen. Le règlement renforce certaines contraintes pesant sur les opérateurs pour mieux
protéger les investisseurs et réduire les risques financiers.
Souhaitant renforcer l’encadrement des prestataires sans attendre l’application du
règlement MiCA, le Parlement français a prévu la mise en œuvre d’un enregistrement
« renforcé » obligatoire pour la fourniture de services sur actifs numériques en France dès le
1er janvier 2024.
Le renforcement des exigences applicables aux prestataires de services sur actifs
numériques va demander un effort de structuration important pour les entreprises du secteur et
augmenter la charge de travail des autorités de régulation. L’AMF et l’Autorité de contrôle
prudentiel et de résolution (ACPR) devront conduire des vérifications plus approfondies dans
des délais plus contraints pour répondre aux demandes d’agrément des entreprises dans un cadre
national puis européen plus exigeant que par le passé. Le nombre de dossiers en cours d’examen

3
Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.

6
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

à l’AMF et l’ACPR, déjà élevé, devrait augmenter rapidement du fait de l’enregistrement


renforcé que certains prestataires vont solliciter dès 2023 pour faciliter leur transition vers
l’agrément européen.
Les autorités de régulation devront faire respecter l’obligation d’agrément en luttant
efficacement contre les entités non agréées au sein de l’Union européenne et remplir des
missions de supervision et de surveillance plus approfondies dans le cadre du règlement
européen. Cette garantie d’une concurrence loyale est aussi une condition de l’efficacité de la
régulation du marché et de la protection des investisseurs.
Elles devront enfin contribuer à l’élaboration des textes d’interprétation et d’application
appelés par le règlement MiCA, en lien avec l’Autorité européenne des marchés financiers, tout
en contribuant aux travaux de la Commission européenne sur le traitement des NFT et de la
finance décentralisée.
Pour garantir l’efficacité des nouvelles réglementations en vigueur, l’AMF et l’ACPR
devront donc mobiliser les ressources nécessaires afin d’accompagner les entreprises en
amplifiant les activités de contrôle des acteurs et de surveillance du marché tout en veillant à la
maîtrise des délais d’instruction.

Des dispositifs à renforcer pour lutter contre le financement d’activités


criminelles

Le risque d’utilisation des crypto-actifs pour le financement d’activités criminelles est


jugé très élevé par le Comité d’orientation de la lutte contre le blanchiment et le financement
du terrorisme. Certaines caractéristiques les rendent en effet attractifs pour des opérations de
blanchiment de capitaux ou de financement d’activités terroristes, en particulier l’anonymat des
portefeuilles, l’absence d’intermédiaire et le caractère entièrement virtuel des flux et du
stockage de valeur.
Les services en charge de la LCBFT disposent de moyens juridiques qui ont rapidement
évolué pour prendre en compte les spécificités des crypto-actifs. Depuis la loi PACTE, les
PSAN enregistrés sont soumis aux mêmes obligations que les autres établissements financiers
et contribuent à la LCBFT, même s’il s’agit d’acteurs récents qui doivent parfois encore monter
en compétence. Les moyens juridiques et techniques à la disposition des services de l’État leur
permettent notamment de tracer des flux de transactions pour lever l’anonymat de certains
portefeuilles, d’incriminer des plateformes et des fournisseurs de services et d’effectuer des
saisies de crypto-actifs.
Les obstacles rencontrés sont principalement techniques et nécessitent notamment le
développement d’outils en complément ou en remplacement de ceux acquis à un prix élevé
auprès de sociétés privées étrangères, dont l’État est aujourd’hui dépendant. Ils sont aussi
d’ordre humain, car les compétences nécessaires sont pointues et recherchées.
Enfin, la lutte contre l’utilisation de crypto-actifs dans le cadre d’activités criminelles
implique une amélioration de la coopération entre les acteurs. Au plan national, il est nécessaire
d’accélérer la montée en compétence des PSAN sur la LCBFT. À l’échelle internationale, le
sujet des crypto-actifs est désormais pris en compte dans les instances politiques et techniques
en charge de la LCBFT, comme l’illustre notamment la révision en cours des textes européens
pour renforcer les contraintes pesant sur les PSAN et appliquer les recommandations du Groupe

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LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

d’action financière. Ce « paquet LCBFT » vise à renforcer la coopération entre les États
membres et prend en compte les caractéristiques spécifiques aux crypto-actifs. Des évolutions
des obligations pesant sur les plateformes d’échange de NFT en matière de LCBFT pourraient
être envisagées à l’issue du rapport que la Commission européenne doit produire d’ici la fin de
l’année 2024 sur les derniers développements concernant les NFT.

Un cadre fiscal encore peu adapté à la diversité des crypto-actifs et de leurs


usages

L’administration fiscale dispose de très peu de données sur la détention des crypto-actifs
et les revenus qu’ils génèrent, alors qu’ils concerneraient entre 1,5 et 5 millions de personnes
en France. Pour l’année 2021, 20 000 contribuables ont déclaré des plus-values de cession de
crypto-actifs aux services fiscaux, pour un montant total d’environ 400 M€.
Comme la plupart des pays de l’OCDE4, la France a choisi d’appliquer aux actifs
numériques les principes habituels du droit fiscal concernant les faits générateurs d’imposition
ou les impôts concernés. Un régime simplifié est prévu pour les plus-values réalisées par les
particuliers lors de ventes d’actifs numériques à titre non professionnel, selon un principe de
taxation à la sortie de la sphère des crypto-actifs : les gains réalisés par des particuliers lors
d’échanges entre actifs numériques ne sont pas imposables et seule leur cession contre des
monnaies « fiat »5, des biens ou des services donne lieu à une imposition.
Ce régime fiscal est inadapté à l’utilisation des crypto-actifs comme moyens de
paiement, alors que le règlement MiCA fait des jetons de monnaie électronique une catégorie à
part entière des crypto-actifs. Par ailleurs, le développement des jetons non-fongibles se
poursuit dans des domaines très variés et de nombreux NFT pourraient ne pas être assimilables
à des actifs de type financier.
L’assujettissement des actifs numériques à l’impôt pourrait gagner en efficacité en
améliorant l’information mise à disposition des usagers. L’Allemagne, la Grande-Bretagne et
la Suisse ont mis en place des communications précises et accessibles sur la fiscalité des crypto-
actifs, dont l’administration fiscale française pourrait s’inspirer pour offrir au public une
information répondant aux besoins des contribuables.
Enfin, la difficulté du contrôle fiscal des revenus liés aux crypto-actifs rejoint celle de
la LCBFT et l’administration se heurte aux mêmes difficultés techniques et de compétences.
La récente révision des normes européennes de coopération fiscale entre les États devrait
améliorer la visibilité des administrations fiscales à partir de janvier 2026, en prévoyant
l’obligation pour les PSAN de leur transmettre des informations concernant les portefeuilles et
transactions de leurs clients européens. Sans attendre l’entrée en vigueur de ces mesures, la
direction générale des finances publiques doit se doter de la stratégie et des compétences
nécessaires pour accentuer le contrôle fiscal portant sur les actifs numériques, et être à terme en
mesure d’exploiter pleinement les informations qu’elle recevra au titre de ces échanges
automatisés entre États-membres.

4
Organisation de coopération et de développement économiques.
5
Une monnaie fiat est une devise fiduciaire ayant cours légal, par opposition par exemple aux monnaies
marchandises (métaux précieux, biens rares…) et aux monnaies locales.

8
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

S’agissant des comptes de crypto-actifs détenus sans recourir aux services d’un PSAN
(portefeuilles auto-hébergés), sur lesquels l’administration fiscale ne dispose à ce jour d’aucune
visibilité, une obligation de notification pourrait être imposée aux contribuables à partir d’un
seuil défini en valeur. L’administration devrait étudier les conditions juridiques et pratiques
d’une telle obligation déclarative dans le respect des enjeux attachés à la protection de la vie
privée.

9
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

RECOMMANDATIONS

Recommandation n° 1. (DG Trésor, direction du budget, AMF et ACPR) : établir une


trajectoire pluriannuelle des moyens nécessaires à l’encadrement des prestataires de services
sur actifs numériques, afin de diminuer les délais de traitement des demandes d’autorisation, de
garantir le contrôle des opérateurs enregistrés et d’amplifier la lutte contre les opérateurs non-
autorisés.

Recommandation n° 2. (DGDDI, DGFiP, Tracfin, COLB) : étudier les conditions du


développement d’outils souverains partagés entre les services en charge de la lutte contre le
blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

Recommandation n° 3. (DGDDI, DGFiP, Tracfin, COLB) : renforcer les moyens, la


formation et l’expertise sur les crypto-actifs des services en charge de la lutte contre le
blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

Recommandation n° 4. (DGFiP) : adapter le cadre fiscal applicable aux crypto-actifs pour


tenir compte de la diversification de leurs usages et du règlement européen sur les marchés de
crypto-actifs.

Recommandation n° 5. (DGFiP) : instaurer une obligation de notification à l’administration


fiscale de la détention de portefeuilles de crypto-actifs auto-hébergés à partir d’un seuil défini
en valeur.

Recommandation n° 6. (DGFiP) : garantir l’assujettissement des crypto-actifs à l’impôt en


complétant l’information mise à disposition des contribuables et en accentuant la prise en
compte de ces actifs dans le cadre des contrôles fiscaux.

10
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

INTRODUCTION

Les crypto-actifs sont des représentations numériques de valeurs ou de droits sur une
chaîne de blocs ou une technologie équivalente. Cette notion très large embrasse des réalités
diverses.
Le droit français s’est efforcé, dès 2019 et en avance par rapport à beaucoup d’autres
pays, de donner une définition juridique de ces actifs particuliers pour mieux les encadrer.
Désignés sous les termes d’« actifs numériques » dans le code monétaire et financier, ils
comprennent, d’une part, les « jetons », c’est-à-dire « tout bien incorporel représentant, sous
forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au
moyen d'un dispositif d'enregistrement électronique partagé permettant d'identifier,
directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien »6, à l’exclusion de ceux remplissant
les caractéristiques des instruments financiers7, et, d’autre part, « toute représentation
numérique d'une valeur qui n'est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une
autorité publique, qui n'est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui
ne possède pas le statut juridique d'une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes
physiques ou morales comme un moyen d'échange et qui peut être transférée, stockée ou
échangée électroniquement »8.
Cette première définition a été remise en question par l’émergence de nouveaux types
d’actifs, comme les jetons non fongibles (NFT), qui pouvaient sembler à la limite de plusieurs
catégories juridiques.
Le règlement européen MiCA (markets in crypto-assets)9 adopté en avril 2023 introduit
la notion de « crypto-actifs » et les définit comme « une représentation numérique d’une valeur
ou d’un droit pouvant être transférée et stockée de manière électronique, au moyen de la
technologie des registres distribués ou d’une technologie similaire ».
La plupart des crypto-actifs utilisent la technologie de la chaîne de blocs, autrement
appelée technologie des registres distribués. Une chaîne de blocs est un registre partagé entre
ses utilisateurs et dont le fonctionnement est décentralisé. Cette technologie permet aux crypto-
actifs d’être émis, échangés et stockés sans intermédiaire, sur un réseau virtuel.
Depuis la création du Bitcoin en 2009, qui ambitionne de remplacer les monnaies des
États (dites monnaies « fiat »), le secteur des crypto-actifs a connu de nombreuses crises, en
particulier des vols, faillites et chutes brutales des cours. Mais il a aussi évolué et s’est
progressivement consolidé. Sa capitalisation a été multipliée par 100 entre 2017 et 2023 et
représentait environ 1 000 Md$ début 2023, soit l’équivalent du tiers du produit intérieur brut
de la France. Deux actifs représentent à eux seuls environ 70 % de ce marché (50 % pour le
Bitcoin et 20 % pour l’Ethereum).

6
Article L. 552-2 du code monétaire et financier (CMF).
7
Sont exclus les instruments financiers tels que définis à l’article L. 211-1 du CMF (titres financiers et
contrats financiers) et les bons de caisse tels que définis à l'article L. 223-1 du CMF.
8
Article L. 54-10-1 du CMF.
9
Règlement du Parlement européen et du Conseil sur les marchés de crypto-actifs, et modifiant les
règlements (UE) n° 1093/2010 et (UE) n° 1095/2010 et les directives 2013/36/UE et (UE) 2019/1937.

11
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

Le développement des crypto-actifs et leur diffusion dans l’économie sont difficiles à


mesurer, faute de données centralisées et vérifiables. La crise sanitaire liée à la Covid-19 a
vraisemblablement été un accélérateur de leur adoption par les institutions financières comme
par les particuliers.
En 2022, la Banque centrale européenne indiquait que 4 % des citoyens de la zone Euro
de plus de 18 ans détenaient des crypto-actifs10, parmi lesquels 3 % des Français (1,5 million
de personnes). Une étude publiée en avril 2023 par l’Association pour le développement des
actifs numériques évaluait la part des détenteurs de crypto-actifs à 9,4 % des Français, soit
5,1 millions de personnes11. Dans les deux cas, les chiffres reposent sur des sondages et doivent
être pris avec prudence.
La détention de crypto-actifs correspond principalement à un objectif d’investissement.
Les autres usages, en particulier comme moyens de paiement, sont encore très peu développés
en Europe même s’ils émergent dans certains secteurs d’activité et certaines régions du monde,
suscitant l’intérêt croissant des acteurs traditionnels du paiement. La diversification des types
de crypto-actifs et de leurs usages ouvre de nouvelles perspectives, comme l’expansion d’actifs
dont la valeur est adossée à une devise pour en garantir la stabilité (les stablecoins) ou la
possibilité que des banques centrales émettent à l’avenir des monnaies numériques ayant des
caractéristiques communes avec les crypto-actifs.
Les premiers crypto-actifs ont été conçus contre les États, pour échapper à leur contrôle.
Les défis posés ne sont pas fondamentalement nouveaux dans la mesure où ils s’inscrivent dans
la perspective plus large du développement du numérique et de la virtualisation des échanges.
Pour autant, ils prennent ici une acuité particulière, car le contrôle des flux et des stocks de
valeurs échappe largement aux États, ce qui pose notamment des problèmes de régulation, de
taxation et de lutte contre le financement d’activités criminelles.
Des réponses se mettent en place, qui marquent une forme de normalisation de cette
dynamique. C’est l’objet du présent rapport que d’examiner les réponses apportées par l’État,
en France, au développement de l’usage des crypto-actifs. Dans un premier temps, il décrit les
défis que représente le développement rapide des crypto-actifs pour les politiques publiques
(partie 1), avant d’analyser dans les parties suivantes les réponses apportées par l’État dans les
domaines de la réglementation des prestataires (partie 2), de la lutte contre le financement
d’activités criminelles (partie 3) et de la fiscalité (partie 4).

10
BCE, Study on the payment attitudes of consumers in the euro area (SPACE) – 2022, décembre 2022.
11
ADAN et KPMG, Web3 et crypto en France et en Europe, avril 2023.

12
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

1 UN DÉVELOPPEMENT RAPIDE QUI REPRÉSENTE UN DÉFI


POUR LES POLITIQUES PUBLIQUES

Depuis leur émergence au début des années 2010, les crypto-actifs se sont développés
et diversifiés pour exploiter les possibilités des technologies de la chaîne de blocs. Leur
croissance rapide, intervenue dans un environnement peu voire pas régulé, a mis les États face
à des défis de contrôle et de régulation alors que les crypto-actifs reposent sur des principes de
désintermédiation, de pseudonymat et de virtualité de la valeur.
En dépit d’une forte volatilité, la valorisation totale du marché des crypto-actifs a
progressé très rapidement, portée à la fois par l’intérêt grandissant des investisseurs et par les
possibilités d’innovation. De phénomène marginal, les crypto-actifs sont devenus un secteur
technologique et financier d’importance, attirant l’attention des pouvoirs publics.

1.1 Des actifs numériques émis, échangés et stockés sans banques ni États

1.1.1 Des actifs échangés et stockés de manière sécurisée et sans intermédiaire

Les principaux crypto-actifs font appel à la technologie de la chaîne de blocs12, qui peut
être définie comme un registre numérique décentralisé, qui permet aux participants d’effectuer
des transactions sans recourir à un tiers de confiance.
La chaîne de blocs est un registre numérique dont les pages sont des blocs. Chaque bloc
contient un certain nombre de transactions ainsi qu’un en-tête constitué d’un identifiant unique,
d’un horodatage et d’une synthèse cryptée de l’en-tête du bloc précédent. Chaque bloc est ainsi
lié de manière immuable au précédent et aucun maillon de cette chaîne ne peut être modifié
sans la modification de tous les blocs suivants. Cette technique cryptographique rend la chaîne
de blocs extrêmement sécurisée.
Les transactions effectuées par les utilisateurs sont regroupées et inscrites dans un bloc,
qui est soumis à la validation du réseau. Des utilisateurs (les nœuds) vérifient l’authenticité des
transactions, la disponibilité des fonds et l’absence de double-dépense. Une fois le bloc validé,
il est ajouté à la chaîne et la transaction est réalisée.

12
Il existe des crypto-actifs utilisant des technologies alternatives, comme IOTA et Nano.

13
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

Schéma n° 1 : Les principales étapes d’une transaction dans une chaîne de blocs

Source : Cour des comptes

Étape critique du processus, la validation des blocs est obtenue par un mécanisme de
consensus, dont les principaux modèles sont :
- la « preuve de travail » (proof of work), utilisée notamment par la chaîne de blocs
Bitcoin : les valideurs (appelés « mineurs » sur le réseau Bitcoin) doivent résoudre
un problème mathématique complexe en utilisant la puissance de calcul de leur
ordinateur. La difficulté s’adapte en permanence à la puissance de calcul déployée
par les valideurs afin de maintenir le rythme de validation des blocs et la stabilité de
la chaîne ;
- la « preuve d’enjeu » (proof of stake), utilisée notamment par la chaîne de blocs
Ethereum : les valideurs gagent un dépôt en guise de caution et sont sélectionnés en
fonction de critères comme leur ancienneté et leur implication dans le
fonctionnement du réseau. Ce mécanisme a l’intérêt de ne pas nécessiter une
importante puissance de calcul.
Tous les mécanismes de consensus utilisés pour la validation des transactions visent,
d’une part, à produire un système garantissant la confiance des utilisateurs et la sécurité du
réseau et, d’autre part, à inciter les utilisateurs à participer au fonctionnement du réseau par un
système de rémunération. Chacun présente des avantages et des inconvénients, en particulier
en ce qui concerne sa consommation énergétique.
Les crypto-actifs offrent à leurs utilisateurs des avantages qui en expliquent le succès,
en particulier :
- la désintermédiation des échanges : à la différence d’un compte bancaire par
exemple, les portefeuilles de crypto-actifs ne sont pas détenus et enregistrés auprès
d’un établissement ou d’une autorité mais sont créés et gérés directement sur la
chaîne de blocs au moyen d’une clef publique (l’équivalent d’un numéro de compte)
et d’une clef privée, qui permet d’en disposer.
- l’absence d’intermédiaire permet une relative simplicité d’usage (un portefeuille
peut être créé en quelques secondes, sans contrôle ni formalisme) mais peut aussi
alimenter la méfiance et faciliter les actes malveillants voire criminels ;

14
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

- la confiance et la sécurité : en l’absence d’un intermédiaire pour jouer le rôle de tiers


de confiance, la sécurité est obtenue par des procédés technologiques, comme la
chaîne de blocs, qui garantissent la réalisation des transactions et assurent leur
caractère immuable. Bien qu’elles présentent des vulnérabilités intrinsèques13,
aucune des principales chaînes de blocs n’a été à ce jour piratée malgré leur
ancienneté, le volume et le nombre des transactions effectuées ;
- le coût des transactions : en l’absence d’intermédiaire, les frais servent uniquement
à rémunérer les opérateurs du réseau (en particulier les valideurs). Ils varient selon
la chaîne de blocs et peuvent être fixes ou dépendre du montant de la transaction.
Pour des transactions importantes, ils peuvent être très faibles en comparaison de
certains frais bancaires. À l’inverse, ils peuvent être comparativement élevés pour
des transactions de faible montant ou en cas de congestion du réseau de validation ;
- la vitesse des transactions, qui ne nécessitent d’autres validations que celles du
réseau et peuvent donc être effectuées en quelques minutes voire quelques secondes,
selon les chaîne de blocs et selon le niveau de sollicitation du réseau. L’avantage
comparatif par rapport aux moyens de paiement classique dépend du moyen utilisé :
un virement international (hors zone SEPA) prend deux à trois jours mais un
paiement sans contact ne prend que quelques secondes.

1.1.2 Des limites technologiques qui interrogent sur les usages futurs

Les crypto-actifs utilisant la technologie de la chaîne de blocs sont confrontés à des


limites désignées par l’expression de « trilemme des chaînes de blocs »14, qui interdiraient
l’atteinte simultanée des trois objectifs de sécurité, de capacité (scalability) et de
décentralisation.
En effet, pour faire face à son utilisation croissante, une chaîne de blocs peut :
- accroître la décentralisation du réseau, c’est-à-dire augmenter le nombre de nœuds
chargés de vérifier, stocker et transférer l’information. Cela provoque toutefois une
augmentation des délais et des frais de transaction (réduction de la capacité) et rend
le réseau vulnérable à la congestion (y compris par une attaque informatique) ;
- augmenter la capacité du réseau en réduisant le nombre de nœuds pour augmenter
la vitesse des transactions. Cela diminue toutefois la décentralisation de la chaîne de
blocs ce qui la rend plus vulnérable à des attaques extérieures.
À titre d’illustration, l’entreprise Binance a communiqué15 sur la réalisation, en
mars 2023, d’une transaction pour un montant de 985 M$ en 15 secondes et pour un coût de
1,29 $, en dehors des heures d’ouverture des banques. Un système de paiement centralisé et
fermé comme Visa indique être capable de traiter 24 000 transactions par seconde alors que les
réseaux Bitcoin et Ethereum ne peuvent en traiter que quelques dizaines.

13
En particulier l’attaque dite « des 51 % » qui permettrait à un acteur ou un réseau d’acteurs disposant
de plus de la moitié des nœuds du réseau de modifier le registre.
14
Expression attribuée à Vitalik Buterin, l’un des fondateurs de la chaîne de blocs Ethereum.
15
https://twitter.com/cz_binance/status/1635131601884700674

15
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

1.2 Une diversification des types de crypto-actifs et de leurs usages qui


témoigne de la consolidation du secteur

1.2.1 Des générations successives porteuses d’innovations

De la création du Bitcoin en 2009 à aujourd’hui, plusieurs dizaines de milliers de projets


de crypto-actifs ont vu le jour. Début 2023, le site de référence coinmarketcap.com en recensait
près de 9 000 en circulation. Plusieurs « générations » de crypto-actifs illustrent une
diversification des usages et un approfondissement des technologies :
- la première génération est celle des « crypto-monnaies » qui, à l’instar du Bitcoin
(2009), visaient à créer des moyens de paiement sans tiers de confiance, alternatifs
aux monnaies des États ;
- la deuxième génération est celle de l’Ethereum (2015) et des « contrats intelligents »
(smart contracts) s’exécutant sans intervention extérieure, ouvrant la voie à des
applications décentralisées et des usages autres que le transfert de valeur ;
- la troisième génération est constituée des nombreux projets cherchant par exemple
à dépasser le « trilemme des chaînes de blocs », à améliorer la performance
énergétique des réseaux, à permettre l’interopérabilité entre des chaînes de blocs.
Une catégorie particulière de crypto-actifs s’est rapidement développée au cours des
dernières années : les « crypto-monnaies stables » (stablecoins), qui ont la particularité d’être
adossées à une autre valeur. Par divers mécanismes, elles ont vocation à conserver la même
valeur qu’une monnaie étatique (principalement le dollar américain) ou que d’autres actifs
(crypto-actifs, matières premières, métaux précieux…). En théorie, elles permettent de
neutraliser la volatilité du marché et peuvent constituer des réserves de valeur, à condition que
la parité avec le sous-jacent soit effectivement maintenue, ce qui n’est pas possible dans toutes
les situations16.

Brève chronologie des crypto-actifs


Années 1990 et début des années 2000 : premières expériences de monnaies numériques décentralisées
(Hashcash, B-Money et Bit gold).
2008 : publication du document de présentation du Bitcoin par un individu ou un collectif, connu sous
le pseudonyme de Satoshi Nakamoto. Minage du premier Bitcoin en 2009.
2014-2015 : création des premiers stablecoins.
2015 : lancement d’Ethereum, chaîne de blocs permettant notamment l’exécution de smart contracts
sans avoir recours à des tiers de confiance.
Septembre 2021 : le Bitcoin devient une monnaie légale du Salvador.
Novembre 2021 : le cours du Bitcoin dépasse 60 000 $ et la valorisation totale du marché approche
3 000 Md$ avant de reculer brutalement jusqu’à atteindre 800 Md$ à la fin de l’année 2022.
Septembre 2022 : la chaîne de blocs Ethereum adopte la validation par preuve d’enjeu.

16
En mai 2022, le troisième stablecoin le plus utilisé (UST) n’a pas maintenu sa parité avec le dollar
américain, provoquant son effondrement en quelques heures.

16
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

1.2.2 De nouveaux actifs qui se sont inscrits durablement dans le paysage


technologique et financier

Le secteur des crypto-actifs est très innovant et ses possibilités de développement ne


sont pas encore toutes connues. Trois tendances méritent d’être relevées.
La première concerne les « jetons non-fongibles », qui ont gagné en visibilité à
l’occasion d’une bulle médiatique et spéculative en 2021-2022. Contrairement aux autres
crypto-actifs qui sont interchangeables (fongibles), les NFT ont pour principale caractéristique
d’être uniques et non-fongibles, ce qui pourrait les rapprocher d’un certificat numérique
d’authenticité. Un NFT peut par conséquent être attaché à un objet, matériel ou immatériel,
dont il garantit l’authenticité à son porteur.
Les usages possibles de la technologie des NFT, qui sont impossibles à falsifier ou à
reproduire, sont très variés et encore en exploration. Les plus connus sont dans les domaines de
la création artistique numérique (un NFT associé à une image numérique), du jeu vidéo (NFT
associé à un objet dans un jeu) ou de l’événementiel (NFT associé à un billet d’accès à un
événement). Cette technologie intéresse aussi les secteurs du luxe, de l’immobilier et de la
logistique industrielle et alimentaire pour gérer la traçabilité et garantir l’authenticité d’objets.
Les NFT pourraient contribuer à une diffusion plus large des crypto-actifs dans l’économie
traditionnelle.
La deuxième tendance est désignée par l’expression de « finance décentralisée »17
(DeFi). La DeFi vise à créer un système financier décentralisé et sans intermédiaire, offrant les
mêmes services que les institutions financières traditionnelles (prêts, assurances, échanges
d’actifs…). Elle utilise pour cela des smart contracts, programmes automatisés inscrits sur la
chaîne de blocs, qui exécutent les termes d’un accord lorsque certaines conditions sont remplies,
sans intervention extérieure. Ces contrats permettent de régler toutes les relations entre les
utilisateurs comme le taux d’intérêt et l’échéance d’un prêt, les garanties exigées d’un
emprunteur ou les conditions de déclenchement d’une assurance.
La DeFi peut améliorer l’accès aux services financiers et rendre l’économie plus
inclusive, en particulier dans des économies faiblement bancarisées ou dotées d’un système
financier fragile. Elle créé un marché financier mondial accessible à tous, tout en augmentant
le risque d’exclusion pour les personnes ayant un accès limité voire pas d’accès au numérique
ou en situation d’illectronisme18.
La DeFi est porteuse de certaines innovations financières, comme les offres au public
de jetons (ICO – voir encadré ci-après) et le développement des services visant à générer des
revenus passifs19. Elle est aussi porteuse de risques pour les investisseurs du fait de l’absence
de tiers de confiance et de l’expertise technique qui peut être requise. Elle permet par ailleurs à

17
La DeFi est parfois définie de manière plus restrictive pour exclure toute l’activité liée aux crypto-actifs
sur les échanges centralisés (Binance, Coinbase, Kraken…).
18
Par analogie avec l’illettrisme, l’illectronisme, ou illettrisme électronique, désigne les difficultés ou
l’incapacité d’un individu à utiliser les appareils numériques et informatiques en raison d’un manque de
connaissance quant à leur fonctionnement.
19
Un revenu passif est un revenu généré sans effort de la part du bénéficiaire, par exemple le revenu
généré par l’épargne.

17
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

des acteurs d’offrir des services financiers sans respecter la réglementation, notamment en
matière de protection des investisseurs et de lutte contre le financement d’activités criminelles.

Les offres publiques de jetons (ICO)


Une offre au public de jetons (ICO, pour Initial Coin Offering) est une méthode de levée de fonds,
généralement utilisée dans le cadre de projets basés sur la technologie chaîne de blocs, qui peut être
comparée au financement participatif. Lors d’une ICO, une entité émet des jetons numériques qui sont
achetés par des investisseurs. Le paiement est réalisé en crypto-actifs. Ces jetons peuvent représenter
différents droits pour l'investisseur, comme l’accès à un service à venir.
Ces offres sont généralement annoncées par le biais d'un « livre blanc » détaillant le projet, son modèle
économique, ses modalités techniques, l'équipe à l’origine du projet et la répartition des jetons.
Les années 2017 et 2018 ont été marquées par un fort engouement pour les ICO, considérées comme un
outil financier innovant pour tous les investisseurs potentiels, sans limite géographique ou de montant.
Ces levées de fonds échappaient à toute forme de régulation et n’offraient aucune protection aux
investisseurs et un nombre non négligeable d’ICO se sont soldées par des échecs économiques voire des
escroqueries, ce qui a conduit à la mise en place des premières réglementations ad hoc (cf. infra).
La troisième tendance est celle du « Web3 », expression qui désigne le développement
d’un internet décentralisé, construit, exploité et détenu par ses utilisateurs, en opposition à
l’internet actuel reposant sur des producteurs et distributeurs de contenu centralisés. Si le
concept de Web3 n’est pas encore figé, il se rapporte à des projets basés sur la décentralisation,
le contrôle des données des utilisateurs et la confidentialité, rendus possibles par la chaîne de
blocs.
Alors que l’économie de l’internet actuel repose principalement sur la monétisation par
les entreprises des données de leurs utilisateurs, le Web3 vise à une nouvelle répartition de la
valeur créée, permise par la décentralisation de la production, du stockage et de la diffusion des
contenus. L’économie de ces systèmes repose sur l’échange de crypto-actifs permettant aux
utilisateurs d’acheter et vendre des droits d’usage, des données, des services.
De nombreux projets sont engagés qui visent à reproduire les services actuellement
proposés par des entreprises centralisées (distribution de vidéo ou de musique, stockage de
données en ligne, métaverses…) en y appliquant les principes et les technologies du Web3.

1.2.3 Un marché en croissance très rapide en dépit d’une forte volatilité

Les technologies sous-jacentes aux crypto-actifs peuvent avoir une multitude d’usages,
qui ne sont pas encore tous identifiés. Le champ des crypto-actifs est par conséquent très
évolutif et son périmètre ne peut être définitivement fixé. Les catégories qui peuvent être faites
suivant leur utilité ou leur usage sont poreuses :
- les jetons de paiement ont vocation à être utilisés comme moyens de paiement,
réserves de valeur ou instruments d’investissement. Le Bitcoin en est l’exemple le
plus connu ;
- les jetons financiers (security tokens) représentent une participation dans une
entreprise ou un projet et sont assimilés à des instruments financiers ;
- les jetons de service (utility tokens) donnent à leurs détenteurs des droits sur un
produit ou un service. Ils permettent par exemple d’accéder à des fonctionnalités
particulières ou à des réductions sur des plateformes d’échange de crypto-actifs ;

18
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

- les jetons stables (stablecoins), dont la valeur est adossée à des devises fiat (le dollar
américain dans la plupart des cas) ou à d’autres crypto-actifs.
Les principaux crypto-actifs ne sont pas émis et gérés par une entreprise ou un acteur
identifiable mais de manière décentralisée. C’est notamment le cas pour le Bitcoin, dont le ou
les créateurs, connus sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto, ne sont pas identifiés. Les
fondateurs d’Ethereum participent quant à eux à la communauté créée autour du projet sans
exercer de droit particulier sur sa direction. Ce point illustre le caractère difficilement
appréhendable des acteurs des crypto-actifs.
Faute d’une supervision unifiée, il est impossible de connaître précisément la taille du
marché mondial des crypto-actifs. La valorisation totale du marché est extrêmement volatile et
très liée à celle du Bitcoin. Elle est passée de 18 Md$ début 2017 à 830 Md$ début 2018, avant
une brutale correction. La valorisation a dépassé 1 000 Md$ en janvier 2021, 2 000 Md$ trois
mois plus tard en avril 2021 et atteint près de 3 000 Md$ en novembre de la même année, son
maximum jusqu’à présent. Le marché représentait environ 1 200 Md$ mi-2023.

Graphique n° 1 : Capitalisation totale du marché des crypto-actifs depuis 2017, en Md$

Source : coinmarketcap.com, 25 mai 2023

Ce marché est très marqué par la prédominance du Bitcoin, dont la part dans le total est
passée sous les 50 % en 2017, sans jamais descendre en dessous de 30 %.

19
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

Schéma n° 2 : La capitalisation des principaux crypto-actifs, en Md$

Source : coinmarketcap.com, 23 mai 2023

D’un côté, la prédominance du Bitcoin, actif qui n’a d’autre usage que d’être un moyen
de paiement ou d’investissement, illustre le caractère principalement financier de ce marché.
De l’autre, la réduction de son poids dans l’ensemble et l’émergence de nombreux autres actifs,
en particulier les stablecoins comme USDT et USDC, peut être interprété comme le signe d’un
approfondissement de ce marché et de l’apparition de différentes classes d’actifs associées à
des finalités et des risques différents.

1.3 Des défis pour la régulation et la souveraineté monétaire des États

1.3.1 Une virtualisation de la valeur qui limite la capacité de contrôle des États

Les crypto-actifs poussent à l’extrême certaines problématiques liées à l’expansion du


numérique, en particulier en matière de territorialité. Ils sont en effet marqués par une
virtualisation avancée dans plusieurs domaines.
Le premier est celui de la virtualisation des échanges, qui ne transitent pas par des
serveurs localisés, des institutions identifiées ou des réseaux spécifiques mais par les chaînes
de blocs hébergées directement par les utilisateurs et communiquant par l’internet. Les
transactions sont publiques mais ne sont pas localisées (elles ne s’inscrivent pas dans une réalité
physique géographique).
Le deuxième est la virtualisation de la valeur, qui n’est plus stockée sur un compte, dans
un établissement ou dans un coffre, mais directement sur le réseau, sur la chaîne de blocs, dans
un portefeuille dont tous les utilisateurs peuvent connaître le contenu mais contrôlable
uniquement par le détenteur de la clé privée. Il n’existe donc aucun stockage physique de
crypto-actifs (y compris les portefeuilles physiques « cold wallets ») qui puisse faire l’objet

20
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

d’une saisie ou d’un contrôle. Un portefeuille n’a ni existence physique ni nationalité ou


localisation. La notion de « compte à l’étranger » ne s’applique pas aux crypto-actifs20.
Enfin, la virtualisation des acteurs concerne les opérateurs des crypto-actifs (valideurs,
échanges, émetteur…), qui peuvent ne pas être des entreprises et n’avoir aucun siège et les
utilisateurs, qui ne sont pas des clients identifiés et enregistrés auprès d’un tiers mais les
dépositaires des clés privées des portefeuilles créés sur une chaîne de blocs. L’identification de
leur localisation est d’autant plus difficile qu’il existe aujourd’hui de nombreux moyens légaux
et accessibles au grand public de modifier la localisation apparente des connexions (à
commencer par les réseaux virtuels privés, VPN).
Cette virtualisation rend difficile l’appréhension par les États des problématiques liées
aux crypto-actifs. D’abord parce que la compétence des États est, en règle générale, liée à un
espace géographique ou juridique, à un territoire ou à une nationalité.
Ensuite parce que la réglementation implique d’identifier des acteurs sur lesquels faire
peser la contrainte voire la sanction, ce à quoi la virtualisation et le pseudonymat font obstacle.
S’il est possible (mais parfois compliqué) de fermer des sites internet proposant des contenus
illégaux, il n’est pas possible de « fermer » une chaîne de blocs publique, sauf à fermer tous les
nœuds dans le monde entier et à supprimer toutes les copies de la chaîne de blocs.
Enfin, la taxation suppose l’identification d’une assiette taxable et d’un contribuable,
deux conditions qu’il peut être difficile de réunir dans le champ des crypto-actifs.

1.3.2 Une empreinte environnementale et énergétique qui reste à maîtriser

La montée en charge des crypto-actifs soulève de nombreuses questions sur leur


empreinte écologique. D’une part, comme toute activité liée au numérique, les crypto-actifs
nécessitent des équipements informatiques, dont la fabrication est polluante (elle représenterait
75 % de l’empreinte environnementale du numérique en France21) et qui sont encore
insuffisamment recyclés malgré les efforts pour favoriser le développement d’une économie
circulaire du numérique22.
D’autre part, le développement des crypto-actifs participe de l’augmentation de
l’activité numérique et de la consommation énergétique nécessaire au fonctionnement de
réseaux toujours plus puissants pour faire transiter plus de données plus rapidement.
Enfin, le modèle de validation par preuve de travail, utilisé par certaines chaînes de blocs
est par nature consommateur en énergie pour alimenter la puissance de calcul mobilisée.
L’université britannique de Cambridge a développé une méthode d’estimation de la
consommation électrique du Bitcoin (Cambridge Bitcoin Electricity Consumption Index), qui
aboutit à une consommation annuelle de 108 TWh en 2022.

20
Un portefeuille peut toutefois être ouvert via un opérateur (entreprise) qui a une siège social localisable.
21
https://www.ecologie.gouv.fr/numerique-responsable
22
Dans le cadre notamment de la loi n° 2021-1485 du 15 novembre 2021 visant à réduire l'empreinte
environnementale du numérique en France.

21
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

Graphique n° 2 : Estimation de la consommation électrique du Bitcoin


(université de Cambridge), en TWh

120
100
80
60
40
20
0

Source : Cambridge Bitcoin Electricity Consumption Index, https://ccaf.io/cbeci/index

Le gouvernement américain a publié en septembre 2022 un rapport23 examinant les


implications climatiques et énergétiques des crypto-actifs, qui estime que ces derniers
représentent entre 0,4 et 0,9 % de la consommation mondiale d’électricité, soit 120 à 240 TWh,
et entre 0,9 et 1,7 % de la consommation américaine. La validation par preuve de travail du
réseau Bitcoin représenterait à elle seule 60 à 77 % de cette consommation. Le rapport met en
évidence les risques pour le réseau électrique américain mais aussi la possibilité de le stabiliser
par une réduction voire une interruption des activités liées aux crypto-actifs en période de forte
demande en électricité.
Ces données ne tiennent pas compte de l’adoption par le réseau Ethereum (20 à 40 %
de la consommation énergétique identifiée auparavant) d’un mécanisme de validation par
preuve d’enjeu, faiblement consommateur en énergie, en septembre 2022. La consommation
énergétique annuelle de ce réseau serait ainsi passée de 22 TWh à 0,003 TWh24.
La fiabilité de ces données fait cependant l’objet de nombreux débats.
La France n’a pas produit d’étude ou de rapport sur la question, qui n’existe pas non
plus parmi ses documents stratégiques pour un numérique responsable. Le sujet a été porté dans
le cadre de l’élaboration du règlement européen MiCA, qui obligera les personnes ou les
plateformes qui proposent des crypto-actifs à rédiger un « livre blanc » pour chaque crypto-
actif, contenant notamment des informations sur les principales incidences négatives sur le
climat et sur l’environnement, en particulier liées au mécanisme de validation utilisé. Ces
informations devront être communiquées au public par les PSAN sur leurs sites.
Enfin, la Commission devra présenter au plus tard en 2025 un rapport sur l’application
du règlement MiCA faisant état, notamment, des répercussions environnementales et
climatiques de ces activités et proposant les mesures envisageables pour atténuer ces effets.

23
The White House, Climate and energy implications of crypto-assets in the United States,
septembre 2022.
24
Source : https://indices.carbon-ratings.com/ethereum-merge

22
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

1.3.3 Des enjeux de stabilité financière et de souveraineté monétaire

1.3.3.1 Des risques pour la stabilité financière réels mais encore limités

Les crises qui ont frappé le marché des crypto-actifs n’ont jusqu’à présent pas eu de
répercussions importantes sur les marchés traditionnels. À l’inverse, des événements financiers
comme des faillites bancaires (par exemple la Silicon Valley Bank en mars 2023), des décisions
de politiques monétaires ou des chocs sur les marchés financiers traditionnels ont eu de fortes
répercussions négatives sur le marché des crypto-actifs.
Le marché des crypto-actifs reste en effet d’une taille très modeste par rapport aux
marchés financiers traditionnels : ils équivalait mi-2022 à environ de 1 % de la capitalisation
boursière mondiale25. À mesure que le marché des crypto-actifs se développe, il devient un
facteur de risque pour la stabilité des marchés financiers mondiaux. Il fait par conséquent l’objet
d’une surveillance particulière de la part des institutions nationales et internationales
concernées, dont les nombreux travaux sur la question s’accordent pour considérer que les
risques, aujourd’hui relativement limités, pourraient s’accroître rapidement.
Si son rapport annuel 2022, le Haut conseil de la stabilité financière considérait que « le
secteur des crypto-actifs ne semble pas représenter à ce stade un risque systématique, de par
sa taille relativement limitée et des interconnexions faibles avec la finance traditionnelle »26,
le Comité de la stabilité financière (Financial Stability Board), qui regroupe les autorités
financières et monétaires des principaux pays industrialisés, indiquait en février 2022 que les
marchés des crypto-actifs « pourraient à terme représenter une menace pour la stabilité
financière mondiale en raison de leur ampleur, de leurs vulnérabilités structurelles et des
interdépendances avec le système financier traditionnel »27.
Les risques du secteur tiennent à son caractère récent en comparaison à la finance
traditionnelle. Il pourrait en résulter des risques opérationnels, comme la saturation des réseaux
lors d’épisodes de stress des marchés et d’augmentation brutale des flux, comme cela a pu être
constaté à plusieurs occasions.
Les risques portant sur la cybersécurité sont aussi jugés élevés, en particulier sur les
échanges centralisés qui sont les cibles d’attaques informatiques constantes. Le recours à des
portefeuilles auto-hébergés constitue de ce point de vue une solution mais l’objectif de stabilité
financière et de protection des investisseurs entre alors en contradiction avec ceux de lutte
contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et de contrôle de l’assiette
fiscale.
Enfin, la gouvernance de certaines entreprises du secteur, y compris parmi les plus
importantes, est marquée par un manque de transparence. Les structures juridiques, sociales et
financières ainsi que les relations hiérarchiques et économiques entre sociétés peuvent être
opaques. La faillite de l’entreprise FTX en 2022 témoigne de ce point de vue des dérives que

25
Haut conseil de la stabilité financière, Rapport annuel, septembre 2022
26
Haut conseil de la stabilité financière, Rapport annuel, septembre 2022.
27
Financial Stability Board, Assessment of Risks to Financial Stability from Crypto-assets, février 2022.
« Crypto-assets markets are fast evolving and could reach a point where they represent a threat to global financial
stability due to their scale, structural vulnerabilities and increasing interconnectedness with the traditional
financial system. » Traduction Cour des comptes.

23
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

peuvent connaître des entreprises échappant à tout contrôle et à toute régulation dans des
juridictions peu regardantes.
Un autre facteur de risque est lié à l’exposition du secteur financier traditionnel au
marché crypto-actifs, principalement du fait de l’intérêt des investisseurs institutionnels pour
des actifs offrant de nouvelles perspectives de rentabilité et de diversification. Ce phénomène,
sur lequel il existe très peu de données, est en progression, comme le soulignent la Banque de
France28, l’OCDE29 et le Fonds monétaire international30.
Les établissements bancaires traditionnels montrent une réticence certaine vis-à-vis du
secteur des crypto-actifs, en France plus encore que dans d’autres pays31. En décembre 2022,
le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire a publié ses règles prudentielles sur l’exposition aux
crypto-actifs32, qui entreront en application début 2025. Elles limitent très fortement les
possibilités d’exposition des banques au moyen de ratios prudentiels désincitatifs, à la mesure
du risque évalué par le comité.
Si les banques se tiennent relativement à l’écart de ce marché, ce n’est pas le cas des
fonds d’investissement et de capital-risque, dont les investissements dans des entreprises liées
aux crypto-actifs sont passés de 2,8 Md$ en 2020 à 13,7 Md$ en 2021 avant de reculer à
10,5 Md$ en 202233.
Certains grands investisseurs institutionnels participent à ce marché en détenant des
crypto-actifs dans leurs portefeuilles financiers, soit directement en procédant à des opérations
d’achat et de vente sur les marchés (les transactions réalisées par cette catégorie d’investisseurs
auraient représenté jusqu’à 90% de l’ensemble des transactions mi-202134), soit indirectement
via des instruments de placement (le premier fonds indiciel ou exchange traded funds – ETF
visant à répliquer les performances du Bitcoin a été introduit sur la bourse de Paris en octobre
2021). La Banque centrale européenne (BCE) estime que 56 % des investisseurs institutionnels
européens étaient exposés aux crypto-actifs en 2022 contre 45 % en 2020 et que leur intérêt
pour ces actifs va croissant35.
Le développement rapide des stablecoins constitue une troisième zone de risque.
Neutralisant théoriquement la volatilité du marché, ils remplissent une fonction de réserve de
valeur et se prêtent particulièrement à des usages de paiement, d’épargne voire de protection
contre le risque de change.
Les émissions totales des cinq principaux stablecoins, tous adossés au dollar américain,
sont passées de 10 Md$ mi-2020 à 125 Md$ mi-2023. Bien qu’ils ne représentent qu’une petite
partie de la capitalisation totale des crypto-actifs (environ 10 à 15 %), les stablecoins sont

28
Banque de France, Évaluation des risques du système financier français, décembre 2021.
29
OCDE, Institutionnalisation of crypto-assets and DeFi-TradFi interconnectedness, mai 2022.
30
Fonds monétaire international, Global Financial Stability Report, octobre 2021.
31
D’après une étude du cabinet Coincub publiée en avril 2023, seules 2 des 55 banques européennes
favorables aux crypto-actifs sont françaises : https://coincub.com/ranking/report-crypto-friendly-banks-in-2023/
32
Basel Committee on Banking Supervision, Prudential treatment of cryptoasset exposures, décembre
2022.
33
« Private equity and institutional investors back away from crypto and DeFi », S&P Global
34
OCDE, Institutionnalisation of crypto-assets and DeFi-TradFi interconnectedness, mai 2022.
35
BCE, Financial Stability Review, mai 2022.

24
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

devenus les actifs les plus utilisés sur ce marché. Le volume des transactions de Bitcoin ou
d’Ether contre des stablecoins dépasse ainsi celui des transactions contre des devises fiat36.

Graphique n° 3 : La capitalisation des cinq premiers stablecoins, en Md$

200

150

100

50

0
août-20

août-21

août-22
oct.-20

févr.-21

oct.-21

févr.-22

oct.-22

févr.-23
juin-20

juin-21

juin-22
déc.-20

déc.-21

déc.-22
avr.-21

avr.-22

avr.-23
Source : coingecko.com

Le rôle structurant que les stablecoins prennent dans le marché des crypto-actifs peut
avoir des effets contrastés. D’un côté, ils offrent aux investisseurs des réserves de valeurs dans
un marché marqué par sa forte volatilité et ils participent à l’émergence de services répliquant
la finance traditionnelle dans le cadre de la DeFi. Mais de l’autre, ces actifs présentent des
fragilités importantes, qui ont notamment été révélées à l’occasion de l’effondrement du
stablecoin UST en 2022 et peuvent expliquer le recul de la capitalisation des principaux
stablecoins observé depuis mars/avril 2022.
Leur valeur repose en effet tout entière sur la confiance des détenteurs dans l’ancrage
sur un autre actif (le plus souvent le dollar américain). Une perte de confiance dans l’ancrage,
c’est-à-dire dans la capacité de l’émetteur à convertir les jetons des utilisateurs qui en feraient
la demande, provoquerait une « course au guichet », ou bank run, phénomène connu des
marchés financiers traditionnels. Cet ancrage est obtenu par divers procédés, en particulier par
l’adossement aux réserves constituées des dépôts des utilisateurs (qui « achètent » pour 1 $ un
jeton d’une valeur d’1 $). L’utilisation et la liquidité des réserves ainsi accumulées font parties
des déterminants de la solidité des stablecoins et de la crédibilité de leur ancrage.
Or les principaux stablecoins sont émis par des entreprises privées comme Tether pour
l’USDT, Circle pour l’USDC et Binance pour le BUSD. Le manque de transparence sur la
constitution de leurs réserves et sur la liquidité de celles-ci alimente les doutes et les
controverses. Une crise de confiance dans les stablecoins pourrait non seulement conduire à
des pertes financières considérables mais enlèverait surtout au marché un pilier devenu
structurant. L’expérience conduit toutefois à nuancer ce risque : l’effondrement de l’UST en
mai 2022, qui était l’un des principaux stablecoins, a eu des répercussions relativement limitées
sur le marché, qui a montré une certaine résilience.
Le caractère systémique pris par les stablecoins, ainsi que leur potentiel comme moyen
de paiement et d’épargne, ont conduit le législateur européen à adopter une réglementation

36
BCE, Stablecoins’ role in crypto and beyond: functions, risks and policy, 2022.

25
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

exigeante vis-à-vis de leurs émetteurs dans le cadre du règlement MiCA, qui vise à protéger les
investisseurs et à réduire les risques pesant sur la stabilité financière (cf. infra). Cette dynamique
alimente aussi la réflexion sur le développement de projets publics de monnaies numériques.

1.3.3.2 Des projets de monnaie numérique de banque centrale aux objectifs et contours
encore mal définis

Les crypto-actifs comme le Bitcoin et l’Ether ont pu être considérés comme ne


remplissant pas les conditions pour devenir des monnaies. Les stablecoins répondent quant à
eux – malgré les fragilités évoquées supra – à la problématique de la volatilité des prix mais
présentent d’autres limites qui peuvent faire obstacle à leur utilisation comme moyen de
paiement, en particulier la vitesse et le coût des transactions37. D’après la BCE, seuls 18 % des
détenteurs français de crypto-actifs38 les utiliseraient comme moyen de paiement.
Cet usage pourrait toutefois se développer, soit directement lorsque des acteurs
acceptent le paiement en crypto-actifs, soit par le biais d’une carte de paiement adossée à un
portefeuille de crypto-actifs. Les acteurs majeurs du paiement comme Visa, Mastercard et
Paypal, ont témoigné de leur intérêt pour ce marché et lancé divers projets visant à faciliter le
règlement de biens et services à partir de portefeuilles de crypto-actifs sans recourir à
l’intermédiaire d’un établissement bancaire.
Ces initiatives sont de nature à remettre en question le cadre de déclaration fiscale actuel,
essentiellement adapté aux opérations simples d’achat et de vente de crypto-actifs. Elles ouvrent
la voie à la diffusion de monnaies qui ne soient ni de banque centrale (les espèces) ni de banque
commerciale (les monnaies électroniques principalement).
Annoncé en 2019, le projet Libra (rebaptisé Diem) de Facebook (rebaptisé Meta) a
constitué un tournant et participé à une prise de conscience sur les implications du
développement à grande échelle de monnaies privées non-bancaires.

Projet Libra/Diem de Facebook/Meta


Le projet Diem, anciennement connu sous le nom de Libra, était une initiative lancée par Facebook pour
créer un crypto-actif mondial dont la valeur aurait été adossée à un panier de devises et à des bons du
Trésor américain afin d'éviter la volatilité.
Le projet était géré par une association de droit suisse, composée notamment d’entreprises de paiement
ou du secteur des technologies, de fournisseurs de services sur la chaîne de blocs et d’investisseurs en
capital-risque. Cette association devait jouer le rôle de banque centrale et émettre ou retirer des unités
monétaires en fonction de la demande.
Le projet Diem a suscité des critiques et des oppositions de la part des banques centrales et des
régulateurs du monde entier, ciblant particulièrement son incidence sur les politiques monétaires, la
régulation financière et la lutte contre le blanchiment d'argent. Plusieurs partenaires majeurs comme
Visa, Mastercard et Paypal se sont retiré du projet, officiellement abandonné en février 2022.
La mise à disposition à grande échelle d’un moyen de paiement numérique stable
pourrait avoir des conséquences majeures. Dans des économies faiblement bancarisées,

37
BCE, Stablecoins’ role in crypto and beyond: functions, risks and policy, 2022.
38
BCE, Study on the payment attitudes of consumers in the euro area (SPACE) – 2022, décembre 2022.

26
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

touchées par une forte inflation ou marquées par un manque de confiance dans les politiques
économiques, un tel moyen de paiement pourrait concurrencer les devises officielles. Or c’est
dans les économies émergentes que l’adoption des crypto-actifs a été la plus rapide, comme en
témoigne la nationalité des utilisateurs des principales plateformes d’échange de crypto-actifs.

Tableau n° 1 : Localisation des utilisateurs des principaux échanges de crypto-actifs


(octobre 2020 – juin 2021)

Rang Binance Huobi Coinbase Kraken FTX Bithumb Bitfinex


Corée du
1 Turquie Chine États-Unis États-Unis Turquie Russie
Sud
Royaume- Corée du
2 Russie Ukraine Allemagne Russie Taïwan
Uni Sud
Royaume-
3 Vietnam Espagne France Chine Turquie Allemagne
Uni
États- Royaume-
4 Brésil Allemagne Taïwan États-Unis Ukraine
Unis Uni
Hong-
5 Argentine Russie France Pays-Bas Pologne Brésil
Kong
Source : Fonds monétaire international, Crypto ecosystem and financial stability challenges, 2021

En réaction au développement des crypto-actifs, plusieurs banques centrales se sont


engagées dans des projets de monnaies numériques (appelées monnaies numériques de banques
centrales ou MNBC) utilisant ou non les mêmes technologies que les crypto-actifs, en
particulier les chaînes de blocs.
Un rapport de la Banque des règlements internationaux publié en janvier 202139 en
détaille les principales motivations : tandis que les pays émergents cherchent plutôt à
approfondir leur inclusion financière internationale et une meilleure efficacité des systèmes de
paiement, les pays économiquement plus avancés s’attachent principalement au renforcement
de la stabilité financière et à la sécurisation des moyens de paiement.
De ces objectifs peuvent résulter des projets très différents : alors que les pays émergents
travaillent en priorité à des MNBC « de détail » à destination de l’ensemble des citoyens, les
pays développés sont plus intéressés par des MNBC « de gros », c’est-à-dire des monnaies
interbancaires réservées aux seuls organismes financiers.

39
« BIS Papers No 114 - Ready, steady, go ? – Results of the third BIS survey on central bank digital
currency », Banque des règlements internationaux, 2021, https://www.bis.org/publ/bppdf/bispap114.pdf.

27
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

Carte n° 1 : Carte et état d’avancement des projets de MNBC dans le monde

Source : https://cbdctracker.org

La Chine a notamment lancé un projet de « e-Yuan » en 2017 qui serait déjà utilisé dans
plusieurs dizaines de villes. Certaines banques, notamment françaises, ont noué des partenariats
avec la banque centrale chinoise pour relier le portefeuille numérique des utilisateurs à leur
compte bancaire. La Chine a également jeté les bases d’un réseau de monnaie numérique
consacrée aux transactions transfrontalières, en collaboration avec les banques centrales de
Thaïlande, des Émirats Arabes Unis et de Hong Kong.
Le projet étatique chinois soulève des questions, en particulier sur la protection des
libertés individuelles (les portefeuilles numériques ne sont pas hébergés sur une chaîne de blocs
publique mais sur un réseau centralisé gouvernemental). Il s’inscrit aussi dans le cadre d’une
compétition avec les États-Unis et d’une remise en question de la domination du dollar
américain dans les échanges internationaux.
La Banque centrale européenne a publié en octobre 2020 un rapport sur un euro
numérique40 qui concluait notamment que, dans un contexte de digitalisation croissante des
paiements, l’Eurosystème devait se préparer pour être en capacité d’introduire rapidement un
euro numérique si cela s’avérait nécessaire, en particulier si la progression des paiements
électroniques et la diminution de l’usage des espèces venaient à remettre en question la place
de la monnaie de banque centrale.
Ce rapport a été suivi par l’annonce, en juillet 2021, du lancement d’une phase d’études
portant en particulier sur la conception et la distribution d’un éventuel euro numérique. Dans
ce cadre, la Banque de France a conduit plusieurs expérimentations portant à la fois sur une
MNBC « de détail », accessible à tous, et sur une MNBC « de gros » réservée aux institutions
financières.

40
https://www.ecb.europa.eu/euro/html/digitaleuro-report.en.html

28
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

Cette distinction conceptuelle entre monnaie pour les particuliers et monnaie pour les
relations interbancaires est cependant à nuancer. En effet, d’une part, les entreprises pourraient
trouver plus d’intérêt à utiliser un euro numérique que les particuliers, pour leurs opérations
financières comme dans leurs relations commerciales avec leurs clients et fournisseurs. D’autre
part, des acteurs financiers comme des établissements de services de paiement et des entreprises
du secteur des crypto-actifs pourraient adopter et diffuser un euro numérique plus rapidement
que les établissements bancaires.
Un projet d’euro numérique soulève de nombreuses questions, à commencer par celle
de ses objectifs. Pour la BCE, l’objectif est de « préserver le rôle de la monnaie publique
comme point d’ancrage monétaire du système de paiement »41 face au déclin de l’usage des
espèces.

Graphique n° 4 : Part des différents moyens de paiement dans les transactions en zone Euro

100% 7% 8% 8% 2% 2% 4%
0% 1% 3%
90% 0% 2% 4% 19%
25%
80%
39% 34%
70%
47% 46%
60%
50%
40% 79% 72%
30% 54% 59%
20% 43% 42%
10%
0%
2016 2019 2022 2016 2019 2022
En valeur En nombre
Espèces Cartes Applications mobiles Autres

Source : BCE, Study on the payment attitudes of consumers in the euro area (SPACE), décembre 2022

De son côté, le Haut conseil pour la stabilité financière français privilégie un objectif de
souveraineté monétaire et considère qu’une MNBC « pourrait constituer une alternative
crédible à des monnaies numériques privées comme les stablecoins dont une majeure partie
risque d'être adossée au dollar et/ou contrôlée par des acteurs d'autres juridictions »42.
Cette disparité des objectifs n’est pas problématique tant qu’elle ne se traduit pas par
des incompatibilités opérationnelles et technologiques. Le ou les objectifs mériteraient d’être
clairement indiqués et partagés.
À l’issue de la phase d’études, la BCE a décidé en octobre 202343 de poursuivre le projet
d’euro numérique, à destination des particuliers et des entreprises. Celui-ci serait distribué par

41
BCE, Arguments en faveur d’un euro numérique : objectifs principaux et réflexions conceptuelles,
juillet 2022.
42
Haut conseil de stabilité financière, Rapport annuel, 2022.
43
BCE, A stocktake on the digital euro, octobre 2023.

29
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

les établissements bancaires et de paiement et non par la banque centrale elle-même et aurait
vocation à compléter les espèces et la monnaie de banque commerciale et non à s’y substituer.
Des plafonds de dépôts ou une rémunération décroissante des dépôts en euro numérique
pourraient être mis en place afin d’éviter que l’euro numérique devienne une forme de
placement et fasse concurrence aux dépôts dans les banques commerciales, ce qui aurait pour
effet de remettre en question le modèle de financement du système bancaire traditionnel.
Directement émis et garanti par une banque centrale, un euro numérique pourrait en effet être
considéré comme plus sûr que les dépôts bancaires, ce qui affecterait la rentabilité des banques
et pourrait augmenter le risque de panique bancaire en période de crise.
La Commission européenne a initié le processus législatif permettant la création d’un
euro numérique en soumettant une proposition de texte législatif au Parlement et au Conseil
européens en juin 2023. La décision d’émission d’un euro numérique restera toutefois soumise
à la décision du Conseil des gouverneurs de la BCE, qui ne pourra intervenir qu’en 2025, à
l’issue de la phase préparatoire.
Il n’existe à ce stade pas d’études en France ou en Europe sur l’appétence réelle des
particuliers et des professionnels pour un euro numérique, bien que des consultations aient été
réalisées sur des dimensions techniques (par exemple les fonctionnalités attendues d’un
portefeuille numérique44) et sur les principales préoccupations du public à l’égard d’un tel
projet45. Celles-ci se concentrent sur la protection de la vie privée (43 % des mentions) et, dans
une moindre mesure, sur la sécurité (18 %).
En février 2022, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a
alerté sur les « risques élevés pour les libertés »46 d’un projet d’euro numérique, en insistant
sur l’équilibre à trouver entre la protection de l’anonymat et des données et l’intérêt public. La
CNIL recommande notamment d’adopter pour un euro numérique des standards similaires à
ceux imposés aux espèces, comme l’utilisation libre au-dessous de 1 000 € en France. De
même, elle considère que l’identification des utilisateurs au-dessus du seuil retenu devait être
strictement encadrée et l’utilisation d’une identité déclarative ou pseudonyme permise en
matière commerciale selon le niveau de confiance associé.
Le Comité européen de la protection des données a lui aussi réagi47 aux premières
orientations prises par la BCE en l’invitant à revoir son approche sur trois points :
- offrir dès le début la possibilité d’utiliser un euro numérique via un portefeuille hors
ligne, notamment pour des paiements de pair à pair sans connexion internet ;
- prévoir un seuil de confidentialité pour éviter un traçage généralisé de toutes les
transactions, à partir duquel les données de transaction seraient stockées sur le
terminal de l’utilisateur et ne feraient pas l’objet d’un traçage par l’Eurosystème ou
des intermédiaires. Les transactions d’un montant inférieur à ce seuil bénéficieraient
du même régime d’anonymat que les espèces ;
- introduire en droit européen un régime juridique spécifique à l’euro numérique pour
déterminer l’équilibre entre protection de la vie privée et des données et LCBFT.

44
BCE, Study on digital wallet features, mars 2023.
45
BCE, Rapport de l’Eurosystème relatif à la consultation publique sur un euro numérique, avril 2021.
46
CNIL, Euro numérique : quels enjeux pour la vie privée et la protection des données personnelles ?,
2022.
47
https://edpb.europa.eu/system/files/2022-10/edpb_statement_20221010_digital_euro_en.pdf

30
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

Aucune étude sur le coût de développement d’un euro numérique n’a été produite
jusqu’à présent. Même si ce projet devait être financé par les banques centrale sur leurs
financements propres, une connaissance partagée et publique de ces coûts semble un prérequis
indispensable à toute décision sur l’avenir du projet.
Ces éléments doivent alimenter le débat démocratique sur un projet autant politique que
technique, dont le succès dépendra largement des garanties de protection de la vie privée
apportées et de la capacité à répondre à un besoin avéré.

______________________ CONCLUSION INTERMÉDIAIRE ______________________

En un peu plus d’une décennie, le développement des crypto-actifs a été rapide et


marqué par la diversification de leurs formes et de leurs usages. Ils permettent une
désintermédiation des échanges de valeur dans un environnement numérique décentralisé. La
sécurité, le coût et la vitesse des transactions sur les chaînes de blocs constituent l’intérêt des
crypto-actifs.
Au Bitcoin, qui fut précurseur et reste dominant sur ce marché, se sont ajoutés de
nombreux autres crypto-actifs porteurs, ou non, d’innovations pour répondre aux difficultés
rencontrées et proposer de nouveaux usages et de nouveaux services. Le développement de la
finance décentralisée, l’expansion rapide des stablecoins et le déploiement progressif du Web3
témoignent de l’inscription des crypto-actifs dans le paysage technologique et financier. Leur
place dans le financement de l’économie demeure cependant encore limitée.
Il en résulte des défis particuliers pour les États liés à la virtualité des échanges et du
stockage de valeur, qui échappent à toute forme de territorialité. L’objectif de mesure et de
réduction de l’empreinte écologique, notamment énergétique, des activités relatives aux crypto-
actifs préoccupe également un grand nombre d’États. Enfin, la croissance du marché des
crypto-actifs et certaines de ses évolutions comme le développement des stablecoins pourraient
avoir des conséquences sur la stabilité financière.
Le projet d’euro numérique porté par la BCE, comme d’autres projets de monnaies
numériques de banques centrales, a notamment pour objectif de lutter contre le risque de perte
de la souveraineté monétaire des États. Alors que les expérimentations et travaux préparatoires
se poursuivent et que des choix doivent être opérés à moyen terme, les facteurs de succès sont
de mieux en mieux identifiés : répondre à un besoin avéré, apporter aux utilisateurs des
garanties sur la protection de leur vie privée et faire partager le sens et les objectifs du projet.
Un débat démocratique éclairé est nécessaire sur des enjeux qui sont avant tout politiques.

31
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

2 L’ADAPTATION EN COURS DE LA RÉGLEMENTATION EN


FRANCE ET EN EUROPE

La France a encadré dès 2019 l’activité des prestataires de services sur actifs numériques
(PSAN) afin de répondre à deux objectifs : d’une part, « permettre la mise en place d’un
environnement favorisant l’intégrité, la transparence et la sécurité des services » et d’autre
part, offrir un « cadre sécurisant pour le développement d’un écosystème français robuste »48.
La réglementation française repose sur deux niveaux de contrôle des prestataires par
l’Autorité des marchés financiers (AMF) : un enregistrement obligatoire, permettant d’établir
un socle de contrôle minimal, et un agrément optionnel, dont la délivrance implique des
exigences plus poussées relatives à la maîtrise des risques et à la gestion des entreprises.
L’AMF a délivré 90 enregistrements et un seul agrément de 2019 à septembre 202349.
Cela marque les limites de cette réglementation, qui a certes permis le développement des
prestataires en garantissant une régulation minimale, mais n’a pas fourni l’incitation nécessaire
à une structuration plus robuste et plus transparente des entreprises du secteur.
Le niveau des exigences réglementaires applicables aux PSAN a augmenté le 1er juillet
2023 avec le renforcement de leur régime d’enregistrement en France, et ce renforcement va se
poursuivre avec l’application du règlement européen MiCA50 sur les marchés de crypto-actifs
fin 2024. Ces évolutions vont nécessiter un effort de structuration important pour le secteur des
actifs numériques et les autorités de régulation concernées.

2.1 Une réglementation française précoce qui a montré ses limites

2.1.1 Un cadre qui repose sur un enregistrement obligatoire et un agrément


facultatif des prestataires

La France fait partie des premiers pays européens à avoir établi un encadrement
réglementaire des activités liées aux crypto-actifs. Dès 2018, l’Autorité des normes comptables
(ANC) a publié un règlement51 fixant les règles de traitement des actifs numériques dans les
comptes des personnes morales ou physiques selon les différentes motivations de détention.
En 2019, la loi PACTE a défini les actifs numériques comme des représentations
numériques de valeurs acceptées comme moyens d’échange électronique entre des personnes
physiques ou morales, qui ne sont ni émises ni garanties par une autorité publique52. La

48
Exposé des motifs de l’amendement n° 2492 déposé lors de l’examen du projet de loi relative à la
croissance et la transformation des entreprises (loi PACTE) par l’Assemblée nationale.
49
Deux radiations ont été réalisées.
50
Règlement du Parlement européen et du Conseil sur les marchés de crypto-actifs, et modifiant les
règlements (UE) n° 1093/2010 et (UE) n° 1095/2010 et les directives 2013/36/UE et (UE) 2019/1937.
51
Règlement ANC n°2018-07 du 10 décembre 2018 et règlement ANC n°2020-05 du 24 juillet 2020.
52
Art. L54-10-1 du CMF.

32
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

détention d’un actif numérique au sein d’un réseau est représentée par la possession d’un jeton
(token), que la loi définit comme « tout bien incorporel représentant, sous forme numérique,
un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d'un
dispositif d'enregistrement électronique partagé permettant d'identifier, directement ou
indirectement, le propriétaire dudit bien »53.
La loi PACTE a en déterminé cinq types de services sur actifs numériques : la
conservation (1), l’échange d’actifs numériques contre des monnaies ayant cours légal (2),
l’échange entre actifs numériques (3), l’exploitation de plateformes d’échanges (4) et les autres
services (5) comprenant notamment la gestion de portefeuilles et le conseil aux investisseurs.
La fourniture en France des services n°1, 2, 3 et 4 est conditionnée à l’enregistrement
obligatoire des prestataires par l’AMF.
L’AMF a fixé les conditions dans lesquelles un prestataire établi à l’étranger est
considéré comme fournissant ses services en France et doit donc être enregistré : c’est
notamment le cas lors qu’un prestataire dispose d’un nom de domaine en .fr ou lorsqu’il adresse
des communications promotionnelles ou fournit des services, de sa propre initiative, depuis
l’étranger à des clients établis en France54.
Dans le cadre de la procédure d’enregistrement, l’AMF s’assure de l’honorabilité et de
la compétence des dirigeants et des propriétaires des sociétés concernées. Lorsque les
prestataires prévoient de fournir les services n°1 et n°2, l’AMF vérifie également leur capacité
à respecter leurs obligations au titre de la LCBFT et sollicite l’avis de l’ACPR à cette fin
(cf. partie 3).

Schéma n° 3 : vérifications effectuées par l’AMF lors de l’enregistrement des PSAN

Source : Cour des comptes

53
Art. L. 552-2 du CMF.
54
Art. 721-1-1 du règlement général de l’AMF.

33
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

En mars 2023, 65 des 67 prestataires enregistrés par l’AMF fournissaient les services
n°1 et 2, et ont donc fait l’objet des vérifications relatives à la LCBFT.
En plus de cet enregistrement, les PSAN peuvent solliciter un agrément optionnel de
l’AMF. Ils sont dans ce cas soumis à des exigences précises en matière d’organisation, de
ressources financières et de gestion des actifs numériques.
Pour être agréés55, les prestataires doivent en particulier disposer d’une assurance ou
d’un niveau de fonds propres fixé par le règlement de l’AMF56. Ils doivent se doter de
dispositifs de contrôle interne et de gestion des conflits d'intérêts adaptés et s’appuyer sur un
système informatique sécurisé. Ils doivent enfin avertir leurs clients des risques associés aux
actifs numériques et disposer d’un service de gestion des réclamations.
Afin de recevoir l’agrément, les prestataires de conservation d’actifs numériques
(service n°1) doivent également garantir la séparation entre les actifs de leurs clients et leurs
actifs propres, être en capacité de restituer les actifs de leurs clients « dans les meilleurs délais »
ou encore établir des conventions de conservation définissant leurs missions et leurs
responsabilités. Des exigences spécifiques sont également prévues pour les services d’achat, et
de vente et d’échange d’actifs numériques (services n°2 et n°3).
À ce jour, un seul agrément a été délivré. Plusieurs demandes ont été déposées
récemment et sont en cours d’examen par les services de l’AMF.
Enfin, les émissions de jetons peuvent être réalisées sans enregistrement ni agrément.
Les émetteurs de jetons doivent cependant solliciter le visa optionnel de l’AMF57 pour pouvoir
faire le démarchage de leur offre auprès des consommateurs français par voie électronique58.
L’AMF vérifie alors que l'émetteur des jetons est en mesure de respecter ses obligations en
matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme et qu’il propose un
dispositif de sauvegarde des actifs recueillis dans ce cadre. Elle vérifie enfin que l’émetteur a
produit un document d'information59 complet et compréhensible pour les investisseurs.
Depuis 2019, quatre émissions de jetons ont été visées par l’AMF, sur un total
d’opérations dont le recensement n’est pas disponible. Si une quinzaine de levées de fonds via
des émissions de jetons ont été identifiées entre 2016 et fin 201860, ces opérations semblent plus
rares depuis lors.

55
Art. L 54-10-5 du CMF.
56
Les PSAN agréés doivent disposer en permanence de fonds propres dont le montant est basé sur les
frais généraux, le capital minimal ou le niveau d’activité. Art. 721-5 et 721-6 du règlement général de l’AMF, et
instruction DOC-2019-23 de l’AMF.
57
Art. L. 552-4 du CMF.
58
Art. L 222-16-1 du code de la consommation.
59
Les informations que ce document doit obligatoirement comporter sont précisées à l’art. 712-2 du
règlement général de l’AMF. Elles comprennent notamment une description détaillée du projet de l'émetteur de
jetons, des raisons de l'offre, de l'utilisation prévue des fonds recueillis dans ce cadre, ainsi que des droits et
obligations attachés aux jetons.
60
LE MOIGN Caroline, « ICO françaises : un nouveau mode de financement ? », in Revue d'économie
financière, n°135, 2019, p 131-144.

34
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

2.1.2 Des demandes d’enregistrement instruites avec efficacité par l’AMF

De fin 2019 à septembre 2023, 90 PSAN ont été enregistrés et trois ont été radiés par
l’AMF.
L’instruction menée par la Cour a montré que les enregistrements se sont déroulés dans
des conditions satisfaisantes même si certains prestataires et entreprises du secteur soulignent
la longueur des délais d’instruction61.
Pour rendre sa décision, l’AMF dispose d’un délai légal de six mois à compter de la date
de dépôt d’un dossier considéré comme complet. En pratique, plusieurs mois s’écoulent entre
le dépôt de la première version d’une candidature et la notification de la complétude du dossier.
Un travail préalable à l’examen du dossier peut être nécessaire lorsque la candidature initiale
est incomplète, repose sur une qualification juridique inadaptée des prestations, présente des
informations trop imprécises ou conduit à découvrir que d’autres autorisations connexes sont
nécessaires à la viabilité d’ensemble du projet (par exemple l’enregistrement en tant qu’agent
de prestataire de services de paiement).
Pour les demandes initiales déposées en 2021 et 2022, le délai de traitement s’est ainsi
établi à huit mois en moyenne, dont six mois entre la demande initiale et la complétude dossier,
et deux mois entre la notification de la complétude et la décision finale de l’AMF.
Dans les faits, ce travail préalable est favorable aux candidats. Il traduit le choix de
l’AMF d’accompagner les acteurs et de garantir la qualité du dossier avant le lancement formel
de la procédure d’enregistrement, plutôt que de prendre une décision de refus.
Ce délai moyen de traitement est en diminution graduelle et s’établissait à sept mois en
2022, contre neuf mois en 2021 et 11 en 2020, alors que le nombre de candidatures reçues a
doublé en 2022 par rapport à 2020 et 2021.
Cette amélioration est liée à l’augmentation des moyens consacrés par l’AMF au
traitement des dossiers. L’équipe dédiée aux PSAN est passée de 1,5 à 4,5 équivalents temps
plein entre 2020 et 2023. La réduction des délais de traitement reflète aussi l’amélioration de la
qualité des dossiers dès leur dépôt initial dans le cadre d’un dialogue facilité par le
regroupement d’un certain nombre d’acteurs du secteur au sein de l’Association pour le
développement des actifs numériques (ADAN), qui s’est imposée comme un interlocuteur
important pour les autorités de régulation.

2.1.3 Des contrôles qui montent en charge, des sanctions peu nombreuses

2.1.3.1 Un nombre de contrôles sur place encore limité en 2022

Après leur enregistrement, les PSAN relèvent du contrôle de l’ACPR au titre du respect
des dispositions de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCBFT). Dans

61
Difficultés déjà soulignées : Assemblée nationale, Monnaies, banques et finance : vers une nouvelle
ère crypto, rapport personnel de M. Pierre PERSON faisant suite au rapport relatif aux monnaies virtuelles, 2022,
p 18, et Association pour le développement des actifs numériques (ADAN), Newsletter du 18 octobre 2022.

35
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

ce cadre, ils sont tenus d’établir une classification des risques en fonction de la nature des
produits ou services offerts, des conditions de transaction proposées, des caractéristiques des
clients et du pays ou du territoire d’origine ou de destination des fonds. Comme pour les autres
acteurs assujettis, l’ACPR évalue l’activité LCBFT de tous les PSAN au moyen d’un
questionnaire annuel permettant de mettre à jour leur profil de risque, et réalise des contrôles
sur site pour analyser leurs procédures et leurs bases de données.
Les contrôles ont démarré en 2022 et trois visites ou contrôles sur place ont alors été
réalisés par l’ACPR sur 69 PSAN enregistrés. Ces contrôles, diligentés sur la base de signaux
préoccupants, ont entraîné la radiation de deux PSAN en raison de la défaillance sérieuse de
leur dispositif LCBFT et du défaut d’honorabilité et de compétences de leurs dirigeants.
Le nombre de contrôles en 2022 peut sembler limité eu égard au nombre de PSAN
enregistrés, mais de nombreux PSAN n’avaient pas encore démarré leur activité, ou avaient une
activité encore marginale à cette date.
En 2023, un peu plus de 20 % des PSAN relevant du contrôle de l’ACPR ont fait l’objet
d’une visite ou d’un contrôle sur place. Le nombre de contrôles marque ainsi un progrès
significatif que la Cour appelle à poursuivre.

2.1.3.2 Des moyens de détection limités concernant les prestataires non-enregistrés

L’AMF dispose de prérogatives afin de lutter contre les entreprises qui fournissent des
services en France sans être enregistrées comme PSAN, ou qui indiquent de façon mensongère
qu’elles disposent de l’agrément de l’AMF ou de son visa pour les émissions de jetons.
Lorsqu’elle détecte une entreprise agissant sans enregistrement, l’AMF doit la mettre
en demeure de supprimer ses communications promotionnelles envers les clients établis en
France et lui rappeler l’obligation de déposer une demande d’enregistrement. À défaut de
réponse satisfaisante dans le cadre de la procédure contradictoire, l’AMF peut placer l’opérateur
sur liste noire et saisir le juge judiciaire afin qu’il ordonne le blocage de l’accès aux sites
concernés62. Le prestataire encourt par ailleurs des sanctions pénales allant jusqu’à deux ans
d'emprisonnement et 30 000 € d'amende63.
La mise en œuvre de ces prérogatives se heurte à des limites.
La détection de ces situations par l’AMF se fait principalement grâce aux réclamations
des investisseurs, aux signalements adressés par certains PSAN et par la veille en ligne assurée
par l’AMF dans la limite des ressources dont elle dispose à cette fin.
Cette veille est limitée par le fait que l’AMF ne peut l’exercer au sein des groupes privés
de réseaux sociaux et de messageries que de nombreux acteurs utilisent pour promouvoir leurs
activités. En effet, les dispositions du règlement européen sur la protection des données
personnelles (RGPD)64 ne permettent pas à l’AMF d’y collecter des données de façon

62
Art. L. 621-13-5 du CMF.
63
Art. L. 572-23 du CMF.
64
Règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du
traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.

36
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

automatisée et la loi ne lui permet pas d’utiliser des identités d’emprunt pour accéder à ces
réseaux.
Par ailleurs, un client établi en France peut, de sa propre initiative, solliciter la fourniture
de services par un prestataire installé hors de France. Dans ce cas précis, qualifié de
« sollicitation inversée »65, le prestataire peut fournir légalement les services requis sans être
enregistré comme PSAN. Compte tenu des méthodes utilisées par certains opérateurs, une
enquête approfondie peut être nécessaire pour établir que la fourniture de services a bien été
initiée du fait de l’opérateur et non à l’initiative du client. La réponse des autorités françaises
dépend de la réactivité et du degré de coopération des pays où les sociétés étrangères sont
localisées.
Sur les dix principales plateformes d’échange de crypto-actifs, dont les services sont
aisément et légalement accessibles à des clients français, seules deux ont fait l’objet d’un
enregistrement en France et une plateforme est inscrite sur la liste noire de l’AMF.

2.1.3.3 Une action répressive dont les résultats semblent faibles eu égard aux enjeux

Lorsque des violations sont détectées et signalées à l’autorité judiciaire par l’AMF, elles
débouchent rarement sur le blocage effectif des sites concernés.
Depuis 2021, 12 adresses internet ont été bloquées (6 en 2021 et 6 en 2022), tandis que
l’AMF a transmis à l’autorité judicaire 70 signalements relatifs à la fourniture illicite de services
sur actifs numériques et à l’usurpation de l’identité de PSAN.
La détection et le blocage des activités des prestataires non enregistrés présentent ainsi
des résultats très limités. Compte tenu des difficultés propres à la caractérisation des infractions
et à la localisation géographique des entreprises, les autorités disposent de moyens trop limités
pour traiter avec réactivité une part significative des signalements.
Au sein du parquet de Paris, la juridiction nationale chargée de la lutte contre la
criminalité organisée (Junalco) dispose de 10 personnes au sein des sections dédiées à la
criminalité financière (7 équivalents temps plein – ETP) et à la cybercriminalité (3 ETP). Ces
effectifs, qui doivent couvrir l’ensemble des affaires relatives à la criminalité en ligne, au
blanchiment et au financement du terrorisme, n’ont pas évolué à la suite de l’adoption de la
réglementation des PSAN.

65
La fourniture de services par un prestataire non enregistré en réponse à une sollicitation (« reverse
sollicitation » ou commercialisation passive) est également possible pour les services d’investissement (directive
2014/65 UE).

37
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

2.1.4 Au total, une réglementation utile à la structuration du secteur mais


insuffisante pour la protection des investisseurs

2.1.4.1 Une réglementation qui a accompagné le développement du secteur des actifs


numériques en France

L’amélioration de la qualité des candidatures reflète l’expérience acquise depuis 2020


par les entreprises du secteur et les autorités de régulation (AMF et ACPR). Les procédures
d’enregistrement ont conduit l’AMF à préciser la réglementation de façon plus opérationnelle66
tandis que les candidats ont amélioré leur compréhension des garanties demandées par le
régulateur. La procédure d’enregistrement a ainsi permis la constitution d’un panel de
prestataires ayant franchi le premier niveau de contrainte réglementaire et avec lesquels le
régulateur entretient un dialogue constructif.
Plusieurs PSAN contribuent ainsi à la veille relative aux activités des sociétés non
enregistrées en les signalant à l’AMF, et certains ont fourni un appui aux services d’enquête et
à l’autorité judiciaire dans la lutte contre la cybercriminalité. L’AMF et l’ACPR rencontrent
par ailleurs les PSAN dans le cadre de groupes de travail, au sein du forum Fintech ou en lien
avec l’ADAN. Enfin, la publication par l’AMF d’une liste des prestataires enregistrés et d’une
liste noire des prestataires exerçant sans enregistrement a été utile pour orienter le choix des
investisseurs.
L’existence d’une réglementation spécifique et d’un interlocuteur unique (AMF) pour
le dépôt et le traitement des demandes des prestataires a pu constituer un facteur d’attractivité
par rapport aux environnement normatifs proposés dans d’autres pays, en allégeant les coûts de
conformité des PSAN et en sécurisant juridiquement le développement de ce secteur en France.

Un cadre français potentiellement avantageux par rapport à d’autres environnements


réglementaires
En établissant dès 2019 une réglementation spécifiquement applicable aux services sur actifs
numériques, la France a vraisemblablement offert aux prestataires un environnement plus propice à leur
développement que dans de nombreux autres pays.
En effet, si l’absence de régulation peut être exploitée à très court terme, elle génère des aléas majeurs
dès lors que leur activité repose sur un projet sérieux. Ainsi, selon un sondage réalisé par des chercheurs
de l’université de Cambridge auprès de 270 entités en 2021, les prestataires de services sur actifs
numériques seraient davantage attirés par les pays qui leur offrent une réglementation stable et
sécurisée67.
Ce régime d’enregistrement a permis aux porteurs de projets de disposer en France d’une interface
unique capable de leur indiquer l’ensemble des normes connexes applicables à leur activité, ce qui
améliore leur sécurité juridique et allège leurs coûts de conformité par rapport à d’autres pays, tels que
l’Allemagne, le Canada ou le Royaume-Uni.

66
L’AMF a ainsi complété à trois reprises depuis 2021 ses positions relatives aux actifs numériques et à
l’enregistrement des PSAN sous formes de questions/réponses apportant des indications précises concernant
notamment les difficultés d’interprétation rencontrées lors de l’instruction des premiers dossiers.
67
BLANDIN Apolline, PIETERS Gina et al., 3rd Global Cryptoasset Benchmarking Study, Université
de Cambridge, septembre 2020, pp 56-58.

38
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

En Allemagne, les entreprises doivent elles-mêmes identifier les normes qui les concernent au sein d’un
corpus comprenant plus de 15 textes sectoriels potentiellement applicables à leurs activités68. Il en va de
même au Royaume-Uni, qui ne dispose pas d’une réglementation dédiée aux actifs numériques69.
L’environnement réglementaire est particulièrement complexe pour les prestataires aux États-Unis,
puisqu’ils doivent s’adapter à des régulations différentes dans chaque État70, le régulateur fédéral
n’ayant pas encore déterminé de doctrine relative aux actifs numériques et la compétence respective de
la Securities and Exchange Commission (SEC) et de la Commodity Futures Trading Commission
(CFTC) faisant encore débat.
Au Canada, l’encadrement des cryptomonnaies et des plateformes de négociation est assuré par la
réglementation applicable aux marchés de valeurs mobilières (protection des investisseurs contre les
asymétries informationnelles, règles contre les manipulations de marché, contrôles prudentiels…). Ces
normes étant parfois trop exigeantes pour les entreprises innovantes, qui présentent des risques limités
eu égard à leur faible volume d’activité, des « bacs à sable réglementaires » ont été mis en place par les
autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM)71. Les ACVM ont ainsi « accordé des dispenses à
de nombreuses entreprises liées aux cryptomonnaies, dont des plateformes de négociation, des fonds
d’investissement et des plateformes internationales de transfert fonctionnant sur chaînes de blocs ».
Comme la France, le Canada a été confronté à la nécessité de concilier l’innovation et la régulation, et
a établi une réglementation à deux niveaux (un cadre général exigeant d’une part, des dispenses
accordées à de nombreuses entreprises d’autre part), selon des modalités toutefois différentes de celles
retenues en France.
Plusieurs pays ont récemment entrepris de se doter d’un cadre réglementaire dédié aux actifs
numériques. C’est notamment le cas de la Belgique, dont la procédure d’enregistrement des prestataires
s’est inspirée des dispositions en vigueur en France. Les autorités britanniques ont également amorcé
l’établissement d’une réglementation, en lançant en 2021 et 2022 de larges consultations72, dont
certaines conclusions ont été publiées au printemps 202373.
Ainsi, l’existence d’une réglementation spécifique aux actifs numériques en France a pu être un facteur
d’attractivité pour les prestataires. Bien que les données actuellement disponibles ne permettent pas
d’objectiver cette hypothèse avec précision, cette réglementation a apporté aux entreprises une stabilité,
une lisibilité et une sécurité juridiques dont elles ne pouvaient pas disposer dans d’autres pays en 2019,
tout en soumettant leurs activités à des normes compatibles avec leur faible niveau de maturité.

En autorisant les PSAN à fournir leurs services sur la base des critères peu exigeants
prévus par la procédure d’enregistrement, la réglementation française n’a cependant pas créé
d’incitation suffisante pour les conduire à adopter les normes prévues facultativement par la loi
PACTE pour garantir une protection efficace des investisseurs.

68
Cf. étude du cabinet Deloitte disponible en ligne : Krypto-Assets im Investment Management
69
Factsheet: cryptoassets technical - www.gov.uk
70
BLANDIN Apolline, PIETERS Gina et al., op. cit. p 40.
71
CLEMENTS Ryan, La cryptomonnaie : difficultés pour la gouvernance conventionnelle des opérations
financières, rapport à la Commission sur l’état d’urgence du gouvernement canadien, septembre 2022, p 24-25
72
Voir notamment Département du Trésor du Royaume Uni, UK regulatory approach to cryptoassets
and stablecoins: Consultation and call for evidence, février 2023, et Future financial services regulatory regime
for cryptoassets Consultation and call for evidence, janvier 2021.
73
House of Commons Treasury Committee (comité du Trésor de la Chambre des communes), Regulating
Crypto, Fifteenth Report of Session 2022–23, mai 2023.

39
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

2.1.4.2 Un encadrement qui n’a pas renforcé la protection des investisseurs

Un seul agrément a été délivré par l’AMF depuis 2020 et seulement six demandes étaient
en cours d’instruction au 1er septembre 2023. Ces demandes ont été déposées pour la plupart
fin 2022 et début 2023, dans un contexte marqué par les difficultés rencontrées par certaines
grandes entreprises du secteur et par la prochaine entrée en vigueur du règlement européen
MiCA qui incite certains PSAN à anticiper un effort d’adaptation réglementaire.
Entre 2019 et 2022, le volet optionnel de la réglementation française n’a donc pas
conduit les entreprises à se doter volontairement des règles de gestion, de contrôle interne et de
transparence prévues par la loi PACTE pour apporter des garanties de maîtrise des risques
financiers associés aux actifs numériques. Les opérateurs intervenant auprès du public français
présentent dès lors des faiblesses structurelles similaires à celles qui affectent le marché
mondial : concentration autour de quelques acteurs qui ont une forte influence sur les prix74,
manque de transparence financière75, de contrôle interne, et audit des réserves insuffisant76,
alors même que les opérateurs sont fortement interconnectés et interdépendants77.
En autorisant la fourniture de services sur actifs numériques sur la base de critères
concernant principalement la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, la
réglementation française n’offre pas à ce stade de garanties robustes pour la protection des
investisseurs.
Face à cette situation et en réaction aux chocs subis par le marché mondial des actifs
numériques en 2022, la loi a renforcé dès 2023 le cadre réglementaire applicable aux PSAN en
France, sans attendre l’entrée en vigueur du règlement européen MiCA qui poursuivra les
mêmes objectifs à partir de 2024.

2.2 Un renforcement des exigences réglementaires dans le cadre français


en 2023 puis européen en 2024

2.2.1 Une réglementation européenne qui entrera en vigueur fin 2024

Alors que l’utilisation des actifs numériques se développe à des vitesses variables dans
les pays européens78 et que les législations nationales sont particulièrement hétérogènes, le
Parlement européen a adopté en avril 2023 un règlement relatif aux marchés d’actifs

74
Direction générale du Trésor, « Enjeux et risques des crypto-actifs », in Trésor-Éco n° 309, juin 2022.
75
Banque de France, Évaluation des risques du système financier français, décembre 2022, p 20.
76
Banque de France, « Crypto-actifs : l’année 2022 confirme les risques identifiés », Billet n°310,
mars 2023.
77
Banque centrale européenne, Financial Stability Review, mai 2022, p 115-117.
78
Une étude de la Banque centrale européenne montre que 16 des 19 pays de la zone euro ont un taux
d’adoption des crypto-actifs supérieur à la France (seules l’Italie et la Lituanie ont un taux inférieur).

40
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

numériques (dit règlement MiCA)79 dans le cadre d’un ensemble de mesures relatives à la
finance numérique80. Son but est d’améliorer la sécurité juridique des acteurs et la protection
des investisseurs, d’assurer la stabilité financière et de soutenir ainsi le développement de ce
marché et de ses potentialités en termes d’innovation.

2.2.1.1 Un renforcement de l’encadrement des prestataires de services

Les conditions prévues par le règlement MiCA pour fournir des services sur actifs
numériques au sein de l’Union européenne (UE) s’inspirent largement des dispositions de la loi
PACTE. Elles concernent notamment l’organisation interne des prestataires, la ségrégation des
actifs et les garanties prudentielles81. Des normes équivalentes à celles de l’agrément facultatif
prévu en France seront obligatoires dès l’entrée en vigueur du règlement européen fin 2024.
Le règlement MiCA ajoute des normes supplémentaires, en prévoyant que les PSAN
disposent d’un plan de liquidation ordonnée démontrant leur capacité à « procéder à leur
liquidation sans causer de préjudice économique excessif à leurs clients »82 et d’un plan de
prévention des abus de marché. Par ailleurs, le règlement MiCA soumet à une évaluation des
régulateurs nationaux les prises de participation dans des sociétés agréées comme PSAN à partir
de 20 % des droit de vote ou de parts de capital83.
Les prestataires agréés par leur autorité nationale pourront fournir des services dans
l’ensemble du marché unique. Les établissements de crédit, les dépositaires centraux de titres,
les entreprises d’investissement, les établissements de monnaie électronique, les sociétés de
gestion d’organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) pourront être
autorisées à fournir des services sur actifs numériques (pour certains, selon un principe
d’équivalence des services) après simple notification de leur dossier aux autorités nationales
compétentes.
Le règlement européen précise également les critères qualifiant un service comme offert
au sein de l’UE. Ainsi, un jeton de monnaie électronique se référant à une monnaie officielle
d'un État membre sera réputé faire l'objet d'une offre au public de l’UE 84, ce qui implique que
les émetteurs, même établis dans des pays tiers, seront soumis aux dispositions du règlement.
À l’inverse, les entreprises de pays tiers pourront toujours offrir des services sans
solliciter d’agrément si cela résulte de l’initiative exclusive d’un client (principe de la
« sollicitation inversée »)85.

79
Règlement du Parlement européen et du Conseil sur les marchés de crypto-actifs, et modifiant les
règlements (UE) n° 1093/2010 et (UE) n° 1095/2010 et les directives 2013/36/UE et (UE) 2019/1937.
80
Ce train de mesures concernant la finance numérique comporte notamment une proposition de régime
pilote pour les infrastructures de marchés utilisant la technologie des registres partagés (COM, 2020, 594), une
proposition sur la résilience opérationnelle numérique (COM, 2020, 595) et une proposition de modification des
règles connexes de l’UE sur les services financiers (COM, 2020, 596).
81
Art. 60 du règlement du Parlement européen et du Conseil précité.
82
Art. 74 du règlement du Parlement européen et du Conseil précité. Une disposition similaire s’applique
en France dès 2023. Cf. décret n°2023-787 du 17 août 2023.
83
Art. 41 et 83 du règlement du Parlement européen et du Conseil précité.
84
Art. 48 du règlement du Parlement européen et du Conseil précité.
85
Art. 61 du règlement du Parlement européen et du Conseil précité.

41
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

2.2.1.2 Un renforcement des exigences applicables à l’émission des stablecoins

À la différence du cadre français actuel, le règlement européen distingue plusieurs types


de jetons et module les règles applicables aux entreprises qui les émettent.
Il définit les « jetons utilitaires » comme ceux destinés à fournir à leurs acquéreurs
l’accès à un bien ou à un service numérique sur une chaîne de blocs, et qui ne sont acceptés que
par leur émetteur initial. Ces jetons sont émis pour financer le développement d’une chaîne de
blocs ou pour moduler les droits des personnes qui y contribuent. Ils ne présentent pas
directement d’enjeux pour la stabilité financière et ne peuvent être utilisés comme moyens de
paiement.
Ils se distinguent des « jetons stables » (stablecoins) eux-mêmes répartis en deux
catégories :
- des « jetons se référant à des actifs » (soit un panier d’au moins deux monnaies ayant cours
légal, des matières premières, un ou des crypto-actifs, ou une combinaison de ces actifs) ;
- des « jetons de monnaie électronique », adossés à une seule monnaie ayant cours légal86.
Le règlement MiCA établit des normes plus exigeantes concernant l’emission de ces
deux derniers types de jetons, car ils présentent risques jugés importants pour la protection des
consommateurs et pourraient poser à terme « des défis supplémentaires en matière de stabilité
financière, de bon fonctionnement des systèmes de paiement, de transmission de la politique
monétaire ou de souveraineté monétaire »87.
Les émetteurs de jetons se référant à des actifs devront notamment disposer d’une
réserve d’actifs distincte de leur patrimoine, permettant de faire face aux risques de liquidité et
au droit de remboursement permanent dont bénéficieront les détenteurs de ces jetons88.
Le règlement MiCA plafonne l’activité des émetteurs de stablecoin lorsque ceux-ci sont
adossés à une monnaie non-européenne. Les émetteurs de stablecoins concernés devront ainsi
cesser leurs émissions si leurs jetons dépassent une limite d’échange fixée à un million de
transactions ou 200 M€ par jour.

86
Art. 3 du règlement du Parlement européen et du Conseil précité.
87
Considérant n°5 du règlement du Parlement européen et du Conseil précité.
88
Art. 36 du règlement du Parlement européen et du Conseil précité.

42
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

Schéma n° 4 : Principales dispositions conditionnant l’émission de jetons et la fourniture de services


sur actifs numériques dans le cadre du règlement européen MiCA à compter de 2024

Source : Cour des comptes

Lorsque ces jetons franchiront certains seuils en termes de clientèle, de capitalisation ou


de nombre de transactions, ils pourront être qualifiés de « jetons d’importance significative » et
leurs émetteurs seront alors soumis à des normes additionnelles plus strictes.
Enfin, le règlement MiCA définit les pouvoirs d’instruction, de contrôle et de sanction
dont disposeront les autorités nationales pour en appliquer les dispositions et encadrer le secteur
des actifs numériques en articulation avec l’Autorité européenne des marchés financiers et
l’Autorité bancaire européenne, à compter de son entrée en vigueur fin 2024. Ces dispositions,
qui prévoient notamment la possibilité de bloquer la fourniture des services en cas de « motifs
raisonnables de soupçonner qu'il y a eu infraction » au règlement MiCA89, marqueront un
renforcement des pouvoirs de contrôle dévolus à l’AMF et à l’ACPR.

Des actifs non-fongibles et services décentralisés qui demeurent hors du champ de MiCA
Certains actifs numériques et services sur actifs numériques demeurent hors du champ d’application du
règlement MiCA. C’est notamment le cas des jetons non fongibles (NFT), sauf s’ils comportent des
caractéristiques permettant de les assimiler aux jetons fongibles. La Commission européenne est chargée
d’évaluer le développement de ce nouveau marché et la nécessité de proposer une réglementation
spécifique aux NFT, dans un délai de 18 mois à compter de l’entrée en vigueur du règlement.

89
Art. 94 du règlement du Parlement européen et du Conseil précité.

43
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

De même, les services sur actifs numériques fournis de manière totalement décentralisée et sans
intermédiaires (finance décentralisée ou DeFi), notamment par les organisations autonomes
décentralisées (DAO, decentralized autonomous organizations) en sont exclus. La Commission
procédera à une évaluation du développement de la finance décentralisée et fera, le cas échéant, des
propositions pour son encadrement réglementaire. Le Haut comité juridique de la place financière de
Paris publiera en 2023 un rapport concernant les organisations autonomes décentralisées, qui comportera
des propositions en vue de préciser le traitement de leurs opérations en droit français.
Enfin, le règlement MiCA n’apporte pas d’avancée significative concernant l’encadrement éventuel des
portefeuilles d’actifs numériques détenus directement par leurs propriétaires sans recours à un tiers
(portefeuilles auto-hébergés ou self-hosted wallet).

2.2.2 Un renforcement de la réglementation dès 2023 en France

Afin de renforcer la réglementation des PSAN à un rythme plus rapide que le calendrier
issu du règlement MiCA, la loi française a prévu la mise en œuvre anticipée d’un enregistrement
« renforcé » pour la fourniture de services sur actifs numériques en France90.
Depuis le 1er juillet 2023, les entreprises concernées ne peuvent plus solliciter
l’enregistrement « simple » tel qu’initialement prévu par la loi PACTE, mais devront s’inscrire
dans une procédure d’enregistrement « renforcée » qui correspondra globalement aux attendus
de l’agrément français, à l’exception des conditions relatives aux garanties en fonds propres ou
en police d’assurance.
Les entreprises disposant déjà d’un enregistrement simple, d’un enregistrement renforcé
ou d’un agrément au titre de la loi PACTE pourront poursuivre leurs activités, à destination des
clients français uniquement, durant une période transitoire de 18 mois après l’entrée en
application du règlement MiCA. Durant cette période, quatre niveaux d’autorisation par les
pouvoirs publics cohabiteront et donneront le droit de fournir des services sur actifs numériques
en France.

90
Dispositions prévues dans le cadre de la loi du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d’adaptation
au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de
l’agriculture.

44
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

Schéma n° 5 : Autorisations permettant de fournir des services sur actifs numériques


en France durant la transition entre les dispositions de la loi PACTE et celles du règlement MiCA

Source : Cour des comptes

2.3 Une période de transition délicate entre la réglementation française et


le règlement européen

2.3.1 Un pic d’activité à anticiper pour les autorités de françaises de régulation

Par rapport au cadre initial de la loi PACTE, l’application du règlement MiCA conduira
l’AMF et l’ACPR à mener des vérifications plus complètes et plus approfondies pour la
délivrance des agréments. Cet approfondissement des vérifications préalables à l’autorisation
de nouveaux PSAN devrait survenir dès la mi-2023 dans le cadre des demandes
d’enregistrement renforcé par certains opérateurs.
En mars 2023, 52 dossiers de demandes d’enregistrement avaient été déposés, dont 27
pour lesquels aucune rencontre entre l’AMF et les candidats n’avait encore eu lieu.
L’AMF anticipait le dépôt d’environ 55 nouvelles demandes en 2023 et d’autant en
2024 (tous niveaux d’autorisation confondus). Par ailleurs, le délai d’instruction des demandes
d’agrément prévues par le règlement MiCA sera réduit à 40 jours calendaires, contre six mois
(182 jours) dans le cadre de la loi PACTE. De plus, le règlement européen étend le champ des
prestations soumises à un agrément obligatoire en y intégrant le conseil et la gestion de
portefeuilles de crypto-actifs et en définissant de nouveaux services tels que le transfert d’actifs
numériques pour compte de tiers.
L’application de ce règlement augmentera par ailleurs les missions de supervision et de
surveillance dévolues à l’AMF et l’ACPR, qui devront contrôler le respect d’un champ plus
large de dispositions par un nombre d’entreprises qui devrait continuer à croître.

45
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

En amont de l’entrée en vigueur du règlement européen, les autorités de régulation


devront enfin contribuer à la rédaction des textes d’application et des normes techniques appelés
par le règlement MiCA, en lien étroit avec l’Autorité européenne des marchés financiers.
Dès lors, l’AMF, et dans une moindre mesure l’ACPR, connaîtront une augmentation
sensible de leur charge de travail liée à l’encadrement des PSAN entre juillet 2023 et avril 2026.
Après cette période, leurs missions de supervision des PSAN demanderont par ailleurs plus de
ressources que dans le cadre actuel.

2.3.2 Des ressources à identifier pour absorber de nouvelles missions tout en


réduisant les délais d’instruction des demandes

Si l’AMF dispose de leviers réglementaires pour faciliter la transition entre les deux
cadres réglementaires, elle devra aussi identifier des ressources suffisantes pour répondre aux
nouvelles missions liées à l’application du règlement MiCA.
Il conviendra de garantir la lisibilité du parcours des entreprises au cours de cette période
de transition, qui cumulera jusqu’à quatre types d’habilitations différentes pour la fourniture de
services sur actifs numériques.
À ce titre, l’AMF prévoit d’aligner à brève échéance les normes techniques de
l’agrément français sur celles de l’agrément européen. Il semble possible d’aller plus loin en
intégrant les critères prévus par l’enregistrement renforcé dans cet alignement réglementaire.
Par ailleurs, le règlement européen offre aux régulateurs nationaux la possibilité de
mettre en place une procédure d’agrément européen simplifiée pour les entreprises qui
bénéficieront déjà d’un enregistrement ou d’un agrément comme PSAN au 1er octobre 202491.
Une telle procédure inciterait les entreprises à anticiper leur effort d’adaptation réglementaire,
en sollicitant les autorisations prévues par la loi PACTE avant l’entrée en vigueur du règlement
MiCA, pour bénéficier ensuite d’une procédure d’agrément européen simplifiée.
L’AMF, qui envisage de mettre en place cette procédure, devra déterminer les niveaux
d’autorisation qui y donneront accès. La procédure simplifiée pourrait être accessible aux
entreprises disposant d’un enregistrement renforcé, ou être réservée aux entreprises disposant
d’un agrément (les exigences de deux niveaux d’autorisation sont les mêmes, à l’exception des
normes prudentielles, dont l’atteinte n’est pas demandée pour l’enregistrement renforcé).
Il conviendra de déterminer rapidement les modalités de la procédure simplifiée après
avoir recueilli l’avis des acteurs du secteur, afin de permettre aux entreprises de planifier leur
parcours d’adaptation réglementaire en disposant de toutes les informations nécessaires.
Réserver la procédure d’agrément MiCA simplifiée aux entreprises disposant de l’agrément
prévu par la loi PACTE pourrait améliorer la lisibilité du parcours des entreprises. L’agrément
prévu par la loi PACTE serait ainsi identifié par les candidats comme le niveau d’autorisation
le plus exigeant, mais le plus avantageux par la suite, tandis que l’enregistrement renforcé
permettrait aux entreprises ne disposant pas de fonds propres d’amorcer, de façon subsidiaire,
leur adaptation réglementaire.

91
Art. 143 du règlement du Parlement européen et du Conseil sur les marchés de crypto-actifs.

46
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

L’AMF, et dans une moindre mesure l’ACPR, devront déployer une organisation leur
permettant d’assumer la charge liée à la période de transition et de remplir par la suite leurs
missions de supervision sur un périmètre d’activités élargi. L’AMF a prévu le recrutement de
deux personnes supplémentaires pour atteindre un effectif total de 6,5 ETP spécifiquement
dédiés à l’encadrement des PSAN début 2024. Il n’est pas certain que cela suffise pour absorber
le pic d’activité lié au règlement MiCA tout en menant à bien les autres missions (protection
des investisseurs, lutte contre les opérateurs non autorisés).
Il semble donc nécessaire d’affiner l’estimation du plan de charge lié à la réglementation
des PSAN sur la période 2023-2026 pour établir une trajectoire pluriannuelle des effectifs
garantissant la réduction des délais de traitement des demandes et l’augmentation des résultats
en termes de lutte contre les opérateurs non autorisés, tout en remplissant les nouvelles missions
de supervision et de contrôle prévues par le règlement européen.

Recommandation n° 1. (DG Trésor, direction du budget, AMF et ACPR) : établir une


trajectoire pluriannuelle des moyens nécessaires à l’encadrement des prestataires de
services sur actifs numériques, afin de diminuer les délais de traitement des demandes
d’autorisation, de garantir le contrôle des opérateurs enregistrés et d’amplifier la lutte
contre les opérateurs non-autorisés.

______________________ CONCLUSION INTERMÉDIAIRE ______________________

Depuis 2019, l’encadrement des prestataires des services sur actifs numériques (PSAN)
repose en France sur deux niveaux de contrôle : un enregistrement obligatoire, permettant aux
autorités de régulation d’effectuer des vérifications a minima, et un agrément optionnel, dont
la délivrance implique des exigences plus poussées concernant la maîtrise des risques et la
gestion des entreprises.
L’AMF a délivré 90 enregistrements de 2019 à septembre 2023. Les premières
demandes d’agrément n’ont été déposées qu’à partir de 2022 et seul un agrément a été délivré.
La réglementation à deux niveaux a permis le développement des prestataires selon des
modalités d’encadrement volontairement allégées, et n’a donc pas fourni l’incitation
nécessaire à une structuration plus robuste des entreprises du secteur pour garantir la
protection des investisseurs.
Après les faillites de grandes entreprises du secteur en 2022 à l’échelle mondiale, la
France a décidé d’augmenter le niveau des exigences réglementaires applicables aux PSAN.
Depuis le 1er juillet 2023, les entreprises souhaitant fournir des prestations de services sur
actifs numériques doivent demander auprès de l’AMF un enregistrement renforcé, qui reprend
la quasi-totalité des exigences auparavant applicables pour l’obtention de l’agrément.
Afin de répondre à ces mêmes enjeux, et pour éviter la fragmentation du marché des
actifs numériques au sein de l’UE, le Parlement européen a adopté un règlement relatif aux
marchés de crypto-actifs (règlement européen MiCA) applicable à partir de décembre 2024.
Ces évolutions vont entraîner un effort de structuration important pour le secteur des
actifs numériques et augmenter la charge de travail des autorités de régulation. Le traitement

47
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

des demandes d’enregistrement renforcé et des demandes d’agrément vont conduire l’AMF et
l’ACPR à mener des vérifications plus complètes et plus approfondies, tout en augmentant leurs
missions de supervision et de contrôle.
La France offre depuis 2019 un cadre réglementaire stable et connu à l’échelle
internationale. Pour maintenir l’attractivité du marché français durant cette période de
renforcement réglementaire, l’AMF et l’ACPR devront contribuer à fluidifier le parcours des
entreprises, en précisant rapidement leurs attentes et en garantissant la mobilisation de
ressources adaptées pour les accompagner efficacement dans des délais plus contraints.
La Cour des comptes formule la recommandation suivante :
1. (DG Trésor, direction du budget, AMF et ACPR) : établir une trajectoire
pluriannuelle des moyens nécessaires à l’encadrement des prestataires de
services sur actifs numériques, afin de diminuer les délais de traitement des
demandes d’autorisation, de garantir le contrôle des opérateurs enregistrés et
d’amplifier la lutte contre les opérateurs non-autorisés.

48
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

3 UNE LUTTE COMPLEXE CONTRE LE FINANCEMENT


D’ACTIVITÉS CRIMINELLES

Le risque d’utilisation des crypto-actifs pour le financement d’activités criminelles est


avéré et illustré par les affaires qui ont émaillé leur développement. Cet environnement sans
réelle régulation à ses débuts a attiré des personnes souhaitant exploiter les possibilités, réelles
ou supposées, de dissimulation et d’anonymisation des flux offertes par ces technologies.
Les autorités en charge de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement
du terrorisme (LCBFT) se sont rapidement dotées des outils et des compétences pour faire face
à ce nouveau risque, de mieux en mieux appréhendé par le cadre juridique.

3.1 Un secteur à haut risque, soumis à des règles strictes pour lutter contre
le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme

3.1.1 Des risques identifiés et élevés, qui ont conduit à la mise en place rapide de
règles adaptées

3.1.1.1 Des risques avérés mais dont l’ampleur est difficile à mesurer

Les crypto-actifs représentent une nouvelle frontière technologique dans les politiques
de LCBFT. Leur usage à des fins illicites ne se distingue pas fondamentalement des
problématiques rencontrées plus largement dans la LCBFT et dans la lutte contre la
cybercriminalité mais les crypto-actifs présentent des caractéristiques particulières qui peuvent
être exploitées par des acteurs criminels, en particulier :
- le pseudonymat des transactions : les crypto-actifs permettent des transactions
anonymes, en utilisant des portefeuilles qui ne sont pas liés à des identités
personnelles mais dont le contenu est public ;
- la fluidité des transactions, qui peuvent être réalisées rapidement avec des frais très
faibles. Cette caractéristique facilite le transfert de fonds et la dissimulation de
l'origine des fonds par la multiplication des transactions ;
- la désintermédiation : les crypto-actifs peuvent s’échanger sans intermédiaire, de
pair à pair (peer-to-peer) et les transactions ne nécessitent pas la validation d’un
tiers, comme une banque ou un organisme financier ;
- la diversification des sous-jacents et des investissements en crypto-actifs dans des
secteurs à risque, en particulier dans le marché de l’art numérique et de l’immobilier.
A contrario, les crypto-actifs présentent des caractéristiques que les services en charge
de la LCBFT peuvent exploiter :
- la volatilité des prix, qui expose les utilisateurs, y compris criminels, à un risque de
perte en capital, à l’exception des stablecoins ;

49
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

- la nécessité de convertir les crypto-actifs en monnaie fiat car leur usage comme
moyen de paiement est encore très limité même s’il se développe ;
- la traçabilité des transactions dans la chaîne de blocs, sans limite de durée ni de
nombre de transactions. Ce n’est toutefois pas vrai de chaînes de blocs conçues pour
garantir l’anonymat des transactions, comme la chaîne de blocs Monero.
Les risques liés à l’usage des crypto-actifs peuvent être regroupés en trois familles. La
première, la plus fréquemment rencontrée, est celle du blanchiment à l'aide de crypto-actifs,
c’est-à-dire la conversion en actifs numériques du produit d’activités illicites comme le trafic
de stupéfiants, les escroqueries ou la fraude fiscale. Le blanchiment peut être réalisé en utilisant
des plateformes qui ne sont pas soumises à des obligations de LCBFT ou dont les contrôles sont
défaillants, sur lesquelles les fraudeurs peuvent convertir des fonds illicites en crypto-actifs afin
de les transférer vers d’autres comptes ou de les revendre contre des monnaies « fiat ».
Le blanchiment peut aussi faire appel à des systèmes de compensation en dehors de la
chaîne de blocs (système de l’« hawala ») permettant la conversion et le transfert de fonds sans
recourir aux intermédiaires institutionnels, ce qui rend les opérations plus difficiles à détecter.
La deuxième famille de risques correspond aux infractions criminelles dont le produit
est généré directement en crypto-actifs. Cette cybercriminalité comprend les introductions
frauduleuses dans un système d'information, telles que les rançongiciels (« ransomwares »), les
« cryptojackings » (détournement de la puissance de calcul d’un ordinateur pour « miner » des
crypto-actifs à l’insu du propriétaire de l’ordinateur) et les « exit scams » (détournement des
crypto-actifs stockés sur une plateforme d’échange).
La cybercriminalité liée aux crypto-actifs comprend aussi le paiement en crypto-actifs
de produits et contenus illégaux, notamment sur le « darknet », ainsi que les escroqueries
pyramidales liées à des projets dans le secteur des crypto-actifs, de type classique ou par le biais
d'ICO.
La troisième famille de risques concerne le financement du terrorisme et le
contournement des sanctions économiques par le biais de crypto-actifs. Les services en charge
de la LCBFT constatent une banalisation de ces techniques de financement dont l’usage était
jusqu’à présent réservé à des criminels cybers spécialisés. En 2020, le Parquet national
antiterroriste et la Police judiciaire ont ainsi communiqué sur le démantèlement de réseaux de
financement par des crypto-actifs de l’État islamique en Syrie.
L’ampleur des activités illicites, qu’elles soient ou non liées aux crypto-actifs, est par
nature difficile à mesurer92. En 2022, Tracfin93 indiquait que les estimations de la part des
crypto-actifs liée à des activités douteuses voire criminelles allait de 0,62 % à 9,9 % pour
l’année 2021. Le service évoquait « une estimation haute de la valeur de ces flux suspects à

92
Europol, cité par la Cour des comptes européenne, estimait en 2021 que les transactions suspectes, tous
secteurs d’activité confondus, équivalaient à 1,3 % du PIB de l’UE (Cour des comptes européenne, L'UE et la lutte
contre le blanchiment de capitaux dans le secteur bancaire : des efforts fragmentés et une mise en œuvre
insuffisante, rapport spécial 13/2021, juin 2021.
93
Tracfin (pour « traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins ») est un
service de renseignement placé sous l'autorité du ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté
industrielle et numérique.

50
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

5,1% des échanges, soit près de 6 milliards USD quotidiennement » (5,3 Md€) à l’échelle
mondiale.
Les services en charge de la LCBFT en France s’accordent sur plusieurs constats.
D’abord, l’usage des crypto-actifs à des fins criminelles a très fortement progressé depuis 2020
et la crise sanitaire liée à la Covid-19, probablement sous l’effet à la fois d’une adoption
croissante par le grand public et d’un ralentissement brutal de la circulation d’espèces.
Le deuxième constat est celui d’une tendance de fond, décrite par la Cour des comptes
en 201994, à savoir la sophistication technologique croissante de la délinquance économique et
financière qui a de plus en plus recours aux outils numériques. L’usage des crypto-actifs, un
temps réservé à des réseaux spécialisés dans la cybercriminalité, est désormais largement
adopté par la criminalité organisée traditionnelle.
Enfin, le dernier constat est que les crypto-actifs ne créent vraisemblablement pas de
nouveaux schémas de fraude et de nouvelles activités criminelles mais qu’ils viennent s’ajouter
aux canaux et modalités de blanchiment à la disposition des auteurs d’infractions. Il en résulte
une activité criminelle liée aux crypto-actifs en très forte augmentation sur la période récente,
avec un nombre encore limité d’affaires menées à terme mais portant sur des montants
relativement élevés.
Dans son analyse nationale des risques publiée en janvier 202395, le Conseil
d’orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme
(COLB) considérait que la menace liée aux crypto-actifs était « encore aujourd’hui peu
matérialisée » mais qu’elle pourrait se révéler importante à moyen terme au vu de la
multiplication et de la complexification des schémas de fraude détectés. En tenant compte des
mesures d’atténuation mises en œuvre, le COLB considère que les actifs numériques présentent
un niveau de risque « très élevé », au même titre que les échanges en espèces et les monnaies
électroniques.
Ces risques ont aussi été soulignés par Tracfin dans son rapport annuel consacré à l’état
de la menace en matière de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme publié en
octobre 202396. Tracfin relève à cette occasion un « recours croissant aux crypto-actifs [qui]
sont utilisés aussi bien pour le blanchiment de fonds issus d’activités criminelles (attaque par
rançongiciel par exemple) que dans des circuits de fraude fiscale (via des NFT par exemple)
ou de financement du terrorisme ».

94
Cour des comptes, Référé à Mme la Garde des sceaux, ministre de la justice, et à M. le ministre de
l’intérieur, Les moyens consacrés à la lutte contre la délinquance économique et financière, mars 2019.
95
COLB, Analyse nationale des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme,
janvier 2023.
96
Communiqué de presse associé à la publication de la dernière partie du Rapport annuel 2022 de Tracfin :
« LCB-FT : état de la menace », octobre 2023

51
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

Schéma n° 6 : Évaluation du COLB suivant l’intensité de la menace et de la vulnérabilité

Source : COLB, Analyse nationale des risques 2023

3.1.1.2 La mise en place rapide de règles de LCBFT adaptées

La réglementation nationale et internationale en matière de LCBFT est largement


inspirée des travaux du Groupe d'action financière (GAFI), organisation inter-gouvernementale
de 39 membres créée en 1989 pour lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement
du terrorisme. Le GAFI a établi 40 recommandations97 régulièrement mises à jour, dont deux
concernent les crypto-actifs :
- la recommandation 15 porte spécifiquement sur les crypto-actifs et concerne
l’enregistrement ou l’agrément des entreprises du secteur et leur assujettissement
aux règles de LCBFT. Le contenu de cette recommandation a été précisé par des
lignes directrices en 201998 ;
- la recommandation 16 s’applique plus généralement aux virements électroniques et
porte sur la communication d’informations permettant d’identifier l’émetteur et le
bénéficiaire des virements (régime dit de la « travel rule »).

97
https://www.fatf-gafi.org/fr/publications/Recommandationsgafi/Les40recommandations.html
98
GAFI, Lignes directrices de l’approche fondée sur les risques appliquée aux actifs virtuels et aux
prestataires de services liés aux actifs virtuels, juin 2019.

52
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

Inspirée notamment par les travaux du GAFI, la cinquième directive anti-blanchiment


de l'Union européenne99 adoptée en 2018 a actualisé le cadre européen de LCBFT et en a
explicitement étendu l’application aux crypto-actifs.
La France s'est distinguée par l’adoption rapide d’un cadre plus exigeant que celui prévu
par l’Union européenne, notamment en élargissant le périmètre des assujettis aux règles de
LCBFT à certains services sur actifs numériques dès 2016 alors que la directive ne le prévoyait
qu’en 2020, en mettant en place un dispositif d’enregistrement obligatoire des PSAN et en
interdisant les transactions anonymes.
Les dispositions de la cinquième directive et du GAFI ont été reprises dans le cadre de
la loi PACTE en 2019 et de l'ordonnance n°2020-1544 du 9 décembre 2020, qui prévoient une
double obligation pour les entreprises proposant des services sur actifs numériques :
l’enregistrement préalable obligatoire auprès de l’AMF100 et la mise en œuvre, sous le contrôle
de l’ACPR, d’un dispositif LCBFT efficace et conforme aux obligations applicables notamment
au secteur financier.
Depuis 2019, les PSAN sont assujettis aux obligations en matière de LCBFT et de gel
des avoirs101. Ils sont en particulier soumis à des obligations de connaissance des clients (KYC
pour « know your customer ») qui imposent l’identification pour toutes les transactions102 au
moyen de deux mesures de vérification, ce qui peut s’avérer particulièrement difficile pour des
acteurs opérant intégralement dans un environnement numérique103. Un référentiel d’exigences
applicables aux prestataires de vérification d’identité à distance a été publié en mars 2021104
par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information. La première certification d’un
prestataire est intervenue en avril 2023.
Le système mis en place présente un double intérêt. D’une part, il permet de distinguer
les acteurs qui affichent une volonté de se conformer aux règles et de coopérer avec les autorités.
D’autre part, il crée pour les blanchisseurs des zones supplémentaires de vulnérabilité en les
soumettant à des contrôles susceptibles de révéler leur implication dans des opérations illicites,
fût-ce a posteriori, dans la mesure où les chaînes de blocs permettent généralement de remonter
l’historique de transactions. Un seul passage par un opérateur régulé, même plusieurs années
auparavant, peut permettre aux services d’enquête d’associer une identité à des clefs publiques.
Ce régime a permis d’alimenter un registre des PSAN enregistrés, partagé au sein du
groupe « Egmont », réseau international de coopération entre 166 cellules de renseignement
financier, auquel Tracfin participe pour la France. La tenue de ce registre contribue à
l’identification des acteurs régulés et à la collecte d’information.

99
Directive (UE) n°2018/843 du 30 mai 2018.
100
L’exercice de prestations de services sur actifs numériques sans enregistrement est puni de deux ans
d'emprisonnement et 30 000 € d'amende (article L. 572-23 du CMF).
101
Article L. 561-2 du CMF.
102
Décret n° 2021-387 du 2 avril 2021.
103
Article R. 561-5-2 du CMF. Dans les activités bancaires, la deuxième vérification est généralement
obtenue par un rendez-vous physique avec le nouveau client. Une seule mesure de vérification peut être mise en
œuvre lorsqu’elle répond aux dispositions de l’article R. 561-5-1 du CMF.
104
https://www.ssi.gouv.fr/actualite/publication-du-referentiel-dexigences-applicables-aux-prestataires-
de-verification-didentite-a-distance-pvid/

53
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

3.1.1.3 Le rôle central de l’ACPR dans la supervision et le contrôle des acteurs

L’ACPR est chargée105 de contrôler le respect par les PSAN de leurs obligations
relatives à la LCBFT. La procédure d’enregistrement des PSAN constitue un élément clef du
dispositif et implique une collaboration étroite entre l’ACPR et l’AMF, cette dernière assurant
le rôle de guichet unique (réception des dossiers et délivrance finale de l’enregistrement).
L’enregistrement est en particulier soumis à l’avis conforme préalable de l’ACPR qui
intervient sur deux champs. D’une part, l’Autorité vérifie, en lien avec l’AMF, que les
dirigeants possèdent l’honorabilité et la compétence requises pour exercer leurs fonctions.
L’enregistrement peut ainsi être conditionné à la formation des dirigeants sur la LCBFT, en
particulier lorsque ceux-ci n’ont pas occupé de fonctions en lien avec ces sujets. L’ACPR se
base aussi sur ses interactions avec le candidat pour appréhender sa capacité à prendre
effectivement en compte les risques lors de la conception ou de la modification du modèle
d’affaires. La vérification de l’honorabilité des dirigeants passe par le contrôle de l’extrait de
casier judiciaire fourni par le candidat et par la consultation de diverses bases de données.
D’autre part, l’ACPR évalue le dispositif LCBFT des candidats à l’enregistrement sur
cinq points clefs : la classification des risques, les mesures de vigilance, le dispositif d’examen
renforcé, les obligations déclaratives et le dispositif de gel des avoirs. Ses attentes, qui tiennent
notamment compte du modèle d’affaires et de l’exposition au risque du candidat, ont été
explicitées en novembre 2022, dans des « principes d’application sectoriels »106 élaborés en lien
avec Tracfin et la DG Trésor.
L’agrément optionnel délivré par l’AMF n’emporte pas d’obligations supplémentaires
en matière de LCBFT par rapport à l’enregistrement. L’ACPR n’est donc sollicitée dans cette
procédure que si l’opérateur n’était pas préalablement enregistré.
Une fois l'enregistrement délivré par l’AMF, l’ACPR devient l'autorité responsable du
contrôle du respect de la réglementation LCBFT. Deux contrôles et une visite sur place de
PSAN ont été réalisés en 2022, et 11 opérations de ce type ont été effectuées en 2023.

3.1.2 Un cadre juridique de la LCBFT qui évolue pour mieux prendre en compte
les spécificités des crypto-actifs

3.1.2.1 Des moyens juridiques efficacement mobilisés au service de la LCBFT

Le traitement des risques de CB-FT liés aux crypto-actifs entre dans le cadre plus
général de la LCBFT décrit notamment par la Cour des comptes dans son rapport de
février 2023107 et fait appel aux mêmes administrations pour la prévention, le renseignement et
la répression.
Confrontés au développement rapide de l’usage des crypto-actifs dans des activités
criminelles et illicites, administrations et services se sont dotés de cellules spécialisées dans les

105
Articles L. 561-36 et suivants du CMF.
106
https://acpr.banque-france.fr/sites/default/files/media/2022/12/09/20221209_pas_psan.pdf
107
Cour des comptes, L’évolution du dispositif français de lutte contre le blanchiment, février 2023.

54
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

investigations « cyber » et sont rapidement montés en compétence. Il en va de même de


l’autorité judiciaire, en particulier au sein de la juridiction nationale chargée de la lutte contre
la criminalité organisée (Junalco), formée au sein du tribunal judiciaire de Paris, dont la
compétence s’exerce sur l’ensemble du territoire pour les affaires dites de « très grande
complexité ».
Bien qu’ils interviennent dans des champs différents, tous les services de l’État,
administratifs comme d’enquête judiciaire, sont confrontés à la nécessité de lever le
pseudonymat pour identifier le ou les détenteurs d’un portefeuille de crypto-actifs.
Les administrations disposent pour cela de divers outils procéduraux permettant
l’identification et le suivi des transactions : la direction générale des finances publiques
(DGFiP) s’appuie ainsi sur le droit de communication nominatif et non-nominatif auprès
d’opérateurs français ; la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) utilise le
droit de communication prévu par le code des douanes auprès des PSAN enregistrés et des
opérateurs étrangers, qui n’ont toutefois pas l’obligation de répondre aux sollicitations ; enfin,
Tracfin s’appuie sur le code monétaire et financier108 pour interroger les PSAN enregistrés.
La présomption de blanchiment, prévue par le code pénal109 est un outil efficace contre
les instruments de blanchiment et a notamment pu être utilisée pour saisir fin 2020 des
« distributeurs automatiques de Bitcoin » permettant l’achat de crypto-actifs directement sans
vérification d’identité. La présomption de blanchiment peut aussi être justifiée par le seul
recours à des opérateurs suspects, qui sont alors tenus de justifier que les opérations auxquelles
ils prêtent leur concours présentent bien un caractère licite.
Cette présomption a aussi pu être utilisée contre des « mixeurs », poursuivis pour leur
nature même d’instruments de dissimulation de l’origine et des bénéficiaires effectifs des fonds.
Depuis la loi du 18 juillet 2023110 visant à donner à la douane les moyens de faire face
aux nouvelles menaces, le blanchiment douanier peut concerner des opérations portant sur des
actifs numériques.
Ce dispositif juridique est complété par la capacité de saisie de crypto-actifs dans le
cadre d’enquêtes, réalisée par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et
confisqués. Cette procédure a été renforcée par la loi en janvier 2023111 afin de la rendre plus
réactive et d’augmenter les chances de saisir les avoirs en crypto-actifs. Cette procédure ne
s’applique toutefois qu’aux actifs détenus sur une plateforme d’échange d’un PSAN enregistré.
La saisie des crypto-actifs conservés hors d’une plateforme centralisée ou par un
prestataire non enregistré sur le territoire est complexe. Le délai entre la découverte des crypto-
actifs et leur captation effective par les services d’enquête peut être long du fait des difficultés
d’identification et d’accès ainsi que de la multiplicité des intervenants, ce qui augmente le
risque de fuite de ces actifs. Une évolution du cadre juridique des saisies pourrait être envisagée
sur le modèle de la découverte d’espèces lors d’une perquisition112.

108
Article 561-25 CMF.
109
Article 324-1-1 du Code pénal.
110
Article 30 de la loi n° 2023-610 du 18 juillet 2023.
111
Loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur
112
Si des espèces sont découvertes lors d’une perquisition, elles sont directement placées au coffre-fort
du service enquêteur avant transfert à la Caisse des dépôts et consignations.

55
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

S’il peut sans cesse être amélioré et renforcé, le cadre juridique de la LCBFT associée
aux crypto-actifs donne globalement aux administrations et services concernés des moyens pour
réaliser leurs missions et ne présente pas de carence flagrante. Comme dans toutes les autres
problématiques de LCBFT, ces dispositifs sont soumis à la nécessité de s’adapter à l’évolution
des pratiques, plus rapide dans le domaine des crypto-actifs que dans d’autres champs plus
traditionnels des activités de BC-FT.

3.1.2.2 Un nouveau cadre européen de LCBFT en cours de déploiement

Le cadre de la LCBFT est en cours d’évolution et de renforcement à l’échelle


européenne pour prendre en compte des problématiques propres aux crypto-actifs et pour
accélérer la mise en œuvre des recommandations du GAFI.
La Commission européenne a présenté en juillet 2021 un ensemble de textes visant à
renforcer les règles européennes en matière de LCBFT. Ce « paquet LCBFT » était initialement
composé de quatre propositions législatives :
- un règlement instituant une nouvelle autorité européenne en matière de LCBFT ;
- un règlement sur la LCBFT contenant des règles directement applicables,
notamment sur les obligations de vigilance des opérateurs ;
- une sixième directive sur la LCBFT remplaçant la cinquième directive actuellement
en vigueur et contenant des dispositions qui seront transposées dans le droit national,
en particulier des règles relatives aux autorités nationales de surveillance et aux
cellules de renseignement financier ;
- une révision du règlement de 2015 sur les transferts de fonds afin de renforcer la
traçabilité des transferts de crypto-actifs.
Ce dernier texte, portant spécifiquement sur les crypto-actifs, a été traité séparément
pour former un ensemble avec le règlement MiCA. Adopté le 20 avril 2023 en même temps
que MiCA, le nouveau règlement « transfert de fonds » (dit règlement TFR) prévoit l’extension
aux crypto-actifs de règles auparavant applicables sur d’autres marchés financiers, en
particulier la « travel rule ». Il s’appliquera 12 mois après son entrée en vigueur, c’est-à-dire à
partir de mi-2024.
L’application de la « travel rule » aux transferts de crypto-actifs imposera aux
prestataires agréés de transmettre, préalablement ou simultanément à une transaction, des
informations vérifiées sur le donneur d’ordre et sur le bénéficiaire, dès le premier euro. Ces
informations porteront notamment sur l’identité du donneur d’ordre et du bénéficiaire, leurs
adresses publiques sur la chaîne de blocs concernée ainsi que l’adresse postale ou le numéro de
document officiel du donneur d’ordre ou ses date et lieu de naissance.
Cette mesure s’inspire des échanges d’informations entre prestataires de services de
paiement pour les virements électroniques et vise à renforcer la traçabilité des fonds. Cette
obligation pèsera dès le premier euro alors qu’elle s’applique à partir de seuils variables dans
les transactions financières classiques (par exemple 1 000 € pour les clients occasionnels113).

113
Article R. 561-10 du CMF.

56
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

L’obligation d’identification des détenteurs de portefeuilles auto-hébergés (self-hosted


wallets) a fait l’objet de nombreux débats lors de la discussion du règlement TFR, qui prévoit
désormais une application de la « travel rule » pour toutes les transactions vers ou depuis un
portefeuille auto-hébergé. Considérant que l’utilisation de ces portefeuilles constitue un risque
particulier, le règlement impose aux PSAN de recueillir et de conserver les informations
d’identité du donneur d’ordre et du bénéficiaire du transfert, de prendre des mesures spécifiques
d’atténuation des risques et de prendre « les mesures appropriées » pour déterminer si le
portefeuille appartient bien au donneur d’ordre ou au bénéficiaire déclaré pour toutes les
transactions supérieures à 1 000 €.
Les autres textes du « paquet LCBFT » sont en cours de discussion au sein des instances
européennes, en particulier s’agissant de la création d’une autorité européenne en charge de la
LCBFT (AMLA pour Anti-Money Laundering Authority) assurant la coordination entre les
autorités nationales. Elle aura notamment pour mission de mettre en place un système intégré
de surveillance par une convergence des normes et méthodes, ainsi que la surveillance directe
des établissements financiers considérés comme les plus risqués.

3.1.2.3 Un équilibre à préserver entre contrainte, attractivité et protection des libertés


individuelles

L’élaboration et le renforcement de ce cadre de LCBFT posent des difficultés pratiques


pour leur correcte application et doivent s’inscrire dans la recherche d’un équilibre entre
contrainte et attractivité tout en garantissant la préservation des droits et libertés individuelles,
en particulier en matière de protection de la vie privée. L’application de certaines règles
actuelles ou à venir peut en effet se heurter à des problématiques techniques et à l’absence
d’organisation centralisée et territorialisée du secteur des crypto-actifs, en comparaison
notamment avec le secteur financier traditionnel.
La « travel rule » ne s’appliquera ainsi qu’aux PSAN localisés dans l’Union européenne
et ne peut être étendue aux prestataires hors-UE. À la réception d’une transaction venue d’un
PSAN hors-UE, il reviendra donc aux PSAN européens, voire à leurs clients, d’obtenir les
informations d’identité requises auprès de prestataires plus ou moins coopératifs.
L’extension de l’obligation de transmission d’information aux transactions avec des
portefeuilles auto-hébergés pose la question de sa faisabilité technique dans la mesure où la
création de ce type de portefeuilles ne donne actuellement pas lieu à une déclaration et une
vérification d’identité. De même, les modalités de collecte et de transmission des informations
ne sont actuellement pas prévues dans la conception de ces portefeuilles.
Aux questions techniques s’ajoute la recherche d’un équilibre entre les contraintes
appliquées aux acteurs qui cherchent à se conformer à la réglementation, en particulier les
entreprises qui solliciteront l’agrément de PSAN pour exercer leur activité, et la préservation
de l’attractivité du marché européen. Des normes dont l’application serait trop complexe ou
trop coûteuse pour les entreprises comme pour leurs utilisateurs pourraient en effet entraîner un
effet d’éviction au profit de plateformes, centralisées ou décentralisées, sur lesquelles les
régulateurs et les autorités de contrôles n’ont pas de prise, soit parce qu’elles opèrent depuis un
État hors-UE, soit parce qu’elles n’ont pas d’implantation territoriale définie (plateformes
décentralisées).

57
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

Cette préoccupation rejoint celle de la bancarisation des entreprises du secteur des


crypto-actifs en France. Ces acteurs rencontrent en effet depuis plusieurs années 114 des
difficultés dans l’accès à des services bancaires auprès des banques françaises, en particulier
pour des motifs liés aux risques de BC-FT. Face à ces difficultés pour ouvrir ou conserver un
compte auprès de banques françaises, les entreprises se tournent vers des acteurs étrangers. Le
même phénomène d’expatriation bancaire peut être observé pour les clients particuliers
confrontés à des banques qui bloquent les virements depuis les PSAN voire clôturent les
comptes concernés. Le contrôle exercé par les autorités françaises s’en trouve diminué, en
particulier lorsqu’il s’agit de banques localisées dans des États non coopératifs.
La loi PACTE a mis en place un dispositif spécifique d’accès au compte de paiement
pour les PSAN, qui s’avère plus long et compliqué à mettre en œuvre que le droit au compte
classique115. En 2020, un groupe de travail réunissant l’ACPR, l’AMF, la direction générale du
Trésor, Tracfin, des acteurs du secteur des crypto-actifs ainsi que des représentants du secteur
bancaire et de la Fédération bancaire française a débouché sur un rapport en mars 2021116, avec
des pistes pour améliorer la compréhension commune des modèles d’affaires entre les secteurs
bancaire et des crypto-actifs et pour faciliter le processus d’entrée en relation.
La FBF a refusé de s’associer aux conclusions de ce rapport et la situation a peu évolué.
Aucune suite n’a été donnée aux conclusions du groupe de travail et les administrations
concernées, en particulier l’ACPR, l’AMF et la DG Trésor, n’ont pas entrepris de nouvelles
démarches. La plupart des PSAN s’adressent à un établissement bancaire français réputé plus
accueillant à leur égard ou, plus fréquemment, à des établissements étrangers.
L’instruction menée par la Cour a montré que certains PSAN rencontrent toujours des
difficultés dans leurs relations avec les banques qui refusent de leur ouvrir un compte, ferment
leurs comptes voire ferment les comptes de clients particuliers qui auraient des transactions vers
ou depuis un PSAN, y compris pour le paiement des salaires de leurs employés. Les banques
arguent de leurs obligations relatives à la LCBFT pour refuser ou mettre fin à la relation.
Or les PSAN qui ont obtenu l’enregistrement auprès de l’AMF ont vu leur dispositif de
LCBFT examiné et validé par l’ACPR, qui en assure ensuite le contrôle. Cette validation par
l’ACPR devrait rassurer les banques et fluidifier leurs relations avec les PSAN, ce qui ne semble
pas être le cas. Cela pourrait s’expliquer par une mauvaise connaissance du secteur des crypto-
actifs, la crainte de sanctions étrangères (notamment américaines) ou une réticence vis-à-vis
d’activités qui pourraient remettre en question l’intermédiation bancaire.
Dans tous les cas, le défaut d’accessibilité des entreprises françaises, en particulier des
PSAN, à des services bancaires en France pourtant garantis par le droit au compte devrait être
une préoccupation pour les pouvoirs publics, tant pour le développement du secteur et la
souveraineté française dans ce domaine que pour l’efficacité des dispositifs de LCBFT.
L’entrée en vigueur du règlement MiCA va imposer aux entreprises du secteur des normes plus

114
Rapport d’information parlementaire n° 162 d’Éric Woerth et Pierre Person en conclusion des travaux
de la mission d’information relative aux monnaies virtuelles, janvier 2019.
115
Article L. 312-1 du CMF. Les problématiques rencontrées font écho à celles soulignées par la Cour
des comptes à propos de l’effectivité du droit au compte pour les clients particuliers : Les politiques publiques en
faveur de l’inclusion bancaire et de la prévention du surendettement : des outils adaptés, une mise en œuvre à
conforter, Rapport public annuel 2021.
116
https://acpr.banque-france.fr/forum-fintech-acpr-amf-publication-du-rapport-du-groupe-de-travail-
sur-lacces-des-prestataires-de

58
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

exigeantes et nécessiter de leur part la mobilisation de moyens financiers plus importants. Dans
ce contexte, il faudra veiller à ce que les limites affectant leurs relations avec les banques
n’entravent pas leur parcours d’adaptation réglementaire.

3.2 Une efficacité limitée par des difficultés techniques majeures qui
nécessitent de renforcer la coordination et la formation des acteurs

3.2.1 Des activités qui se heurtent à des limites techniques, des compétences
difficiles à acquérir et à conserver

3.2.1.1 Une efficacité limitée par les obstacles techniques rencontrés

Le GAFI réalise des évaluations mutuelles de la mise en œuvre et de l’efficacité des


mesures de LCBFT de ses États-membres. Le dispositif français a fait l’objet d’une évaluation
publiée en mai 2022117 qui, pour la première fois dans un rapport du GAFI, portait aussi sur le
secteur des PSAN. Tout en soulignant que « les autorités ont une bonne compréhension du
secteur » ce rapport d’évaluation souligne que la procédure d’enregistrement est trop récente
pour que son efficacité puisse être mesurée. Les dix « actions prioritaires » envisagées par le
GAFI ne font pas référence aux crypto-actifs (désignés par l’expression « actifs virtuels »), sauf
pour recommander à l’État d’« affiner ses analyses des risques liés à certains secteurs
(immobilier), activités (espèces et actifs virtuels) et menaces (corruption), avec un examen plus
détaillé des données disponibles ».
Dans le cadre de son rapport, le GAFI s’est notamment livré à l’évaluation de la mise
en œuvre de ses 40 recommandations et considère en particulier que « la France est en grande
partie conforme » avec la recommandation n° 15 portant spécifiquement sur les crypto-actifs,
du fait de son régime de réglementation et de supervision des PSAN. Il souligne des axes de
progrès : l’achèvement des travaux de l’ACPR sur sa méthodologie et ses outils de contrôles,
l’élargissement des postes de direction concernés par le contrôle de l’honorabilité et enfin
l’extension aux actifs numériques des règles de transmission d’information d’identité (« travel
rule ») prévue par la recommandation n° 16 du GAFI.
Le cadre étant de plus en plus complet et appliqué par les acteurs enregistrés, les
difficultés rencontrées en matière de LCBFT sont principalement d’ordre technique et liées aux
caractéristiques des crypto-actifs. La mise en œuvre des dispositifs de LCBFT nécessite
notamment des moyens d’identification des acteurs et de suivi des transactions, dont les
principaux sont les « outils d’analyse transactionnelle », qui lisent et déchiffrent les chaînes de
blocs pour retracer l’historique complet des transactions depuis leur origine.
Plusieurs sociétés offrent ce type de services à la fois aux États et aux entreprises. Pour
les administrations, ces outils permettent de remonter dans les historiques de transactions et
d’analyser des groupes de portefeuilles pouvant appartenir à la même personne ou à la même

117
https://www.fatf-gafi.org/fr/publications/Evaluationsmutuelles/Rem-france-2022.html

59
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

organisation. Pour les entreprises, en particulier pour les PSAN, ces sociétés utilisent différentes
techniques, notamment l’exploitation de sources ouvertes, pour indiquer avec un certain niveau
de confiance l’exposition au risque LCBFT d’un portefeuille voire l’identité de son détenteur.
Ces outils sont devenus essentiels dans la lutte contre les activités illicites liées aux
crypto-actifs. Pour autant, les techniques des fraudeurs ont évolué en conséquence, notamment
par l’utilisation de chaînes de blocs conçues pour garantir la confidentialité des transactions (en
particulier la chaîne de blocs Monero) et par le recours à des « mixeurs » (outils qui mélangent
les transactions) et « tumblers » (qui multiplient artificiellement les échanges pour perdre la
trace de la transaction originelle).
Le marché des outils d’analyse transactionnelle a émergé très rapidement et s’est
concentré autour d’un nombre réduit d’entreprises, la société américaine Chainalysis occupant
pour l’instant une position dominante. La dépendance des services de l’État vis-à-vis de ces
outils soulève de nombreuses questions.
D’une part, la situation oligopolistique des acteurs et la sophistication des outils
entraînent des coûts élevés. Une seule licence Chainalysis basique coûte environ 50 000 € par
an. Le besoin des administrations ne cessant d’augmenter pour faire face à la diffusion de
l’usage des crypto-actifs dans des activités de BC-FT, l’État est confronté à la nécessité d’opérer
des arbitrages budgétaires qui ne permettent pas de doter tous les services pouvant faire usage
de ces outils.
D’autre part, ces outils sont développés et configurés par des entreprises étrangères sans
qu’il soit possible d’en contrôler le fonctionnement, de garantir la complétude de l’information
ou encore de maîtriser l’identification des portefeuilles déclarés comme suspects. Le travail des
services français pourrait se heurter à la défense d’intérêts privés ou publics étrangers.
Enfin, les modalités d’accès aux outils (le plus souvent en mode non-hébergé, mode
« SaaS ») peuvent poser des problèmes de confidentialité dès lors que les fournisseurs ont la
capacité de connaître les recherches effectuées par les services de contrôle. Des solutions plus
intégrées existent, qui nécessiteraient d’importantes capacités d’hébergement informatique et
auraient un coût d’achat de licence nettement plus élevé.
La récupération par l’administration de l’intégralité des registres publics des chaînes de
blocs et leur intégration dans une interface développée par la puissance publique seraient
théoriquement possibles et permettraient de garantir la confidentialité des investigations. Le
développement d’un tel projet serait très coûteux et impliquerait la mobilisation d’expertises
techniques rares. De plus, un tel outil nécessiterait une maintenance importante et des
améliorations constantes afin de contrecarrer les techniques de contournement et de
dissimulation développées par les auteurs de BC-FT.
Pour autant, la situation actuelle présente d’importantes faiblesses. À court terme, une
coordination opérationnelle renforcée entre les services concernés, déjà initiée, peut permettre
à la fois d’améliorer la position de l’État dans les discussions tarifaires avec les fournisseurs
d’outils et de mutualiser les connaissances et consolider un socle commun d’expertise.
À moyen terme, une amélioration du partage d’information entre les administrations
concernées peut être envisagée, sous réserve des régimes juridiques propres à l’échange de
données personnelles et à la protection des investigations. À titre d’illustration, certaines
données fournies par Europol à la DGDDI ne peuvent pas être partagées avec un service tiers.
De même, les informations recueillies par Tracfin ne peuvent être transmises à la DGFiP que si
elles portent sur des faits susceptibles de relever de la fraude fiscale.

60
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

À plus long terme, il pourrait être étudié le développement d’outils complétant voire
remplaçant les solutions proposées par des fournisseurs étrangers afin de conserver la maîtrise
des outils de contrôle et d’enquête. Dans un contexte de renforcement du niveau européen en
matière de LCBFT, ce projet d’outils « souverains », permettant à l’État d’en avoir l’entière
maîtrise, pourrait faire l’objet d’une coopération européenne afin d’élargir l’expertise
disponible et la mobilisation des acteurs.

Recommandation n° 2. (DGDDI, DGFiP, Tracfin, COLB) : étudier les conditions du


développement d’outils souverains partagés entre les services en charge de la lutte contre
le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

3.2.1.2 Des services confrontés à la difficulté d’acquérir et de conserver des compétences


techniques rares

L’un des principaux points d’achoppement du dispositif de LCBFT en matière de


crypto-actifs tient à la faible disponibilité de compétences rare, difficulté rencontrée par tous
les services mais aussi par les entreprises du secteur. Le sujet est à la croisée entre deux champs
exigeant une haute technicité : la LCBFT d’un côté et les crypto-actifs de l’autre. Il a émergé
en peu de temps et s’est très rapidement développé et la difficulté à l’appréhender est accentuée
par le caractère très innovateur et évolutif du secteur des crypto-actifs.
C’est pourquoi il est compliqué pour tous les services intervenant dans la LCBFT de
disposer d’agents ayant un niveau d’expertise suffisant pour lutter contre des pratiques de plus
en plus sophistiquées. Tous se sont dotés de cellules spécialisées qui partagent leurs
compétences dans le cadre d’échanges opérationnels mais cette connaissance repose en France
sur quelques dizaines de personnes118.
Cette expertise est d’autant plus difficile à acquérir et à conserver qu’elle nécessite une
importante formation continue pour suivre les évolutions technologiques. Ces compétences
étant rares, elles font l’objet d’une compétition entre les autorités publiques et les entreprises,
qui recrutent fréquemment des agents formés au sein des administrations de régulation et de
contrôle. Enfin, les administrations sont confrontées à la nécessité d’offrir des possibilités de
progression professionnelle à leurs agents, alors même que ce champ d’intervention est
relativement restreint et que les opportunités sont encore peu nombreuses.
Ces difficultés font directement écho aux constats dressés par la Cour des comptes en
2019 à propos des moyens consacrés à la lutte contre la délinquance économique et
financière119. La Cour formulait plusieurs recommandations portant sur la gestion des moyens
humains pour répondre à des problématiques de plus en plus techniques nécessitant des
compétences et méthodes spécifiques. Elle recommandait notamment de mettre en place des

118
À titre d’illustration et de manière non exhaustive : 5 agents spécialisés au commandement cyber de
la Gendarmerie nationale, une quinzaine d’agents consacrés aux activités cyber à la DNRED (DGDDI) et 3 à
Tracfin.
119
Cour des comptes, Référé à Mme la Garde des sceaux, ministre de la justice, et à M. le ministre de
l’intérieur, Les moyens consacrés à la lutte contre la délinquance économique et financière, mars 2019.

61
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

filières de recrutement adaptées aux missions d’investigation spécialisée et des formations


spécifiques à destination des unités d’enquête économique et financière.
De même, dans son rapport publié en mai 2023 consacré aux moyens affectés aux
mission de police judiciaire120, la Cour des comptes mettait en lumière la nécessité pour les
services spécialisés d’un « maintien du niveau de compétences dans des domaines très
techniques comme le cyber ou le blanchiment d’argent ». La prise en compte de ces enjeux a
notamment conduit la Gendarmerie nationale et la Police nationale à établir en 2022 un centre
de formation commun à la cybersécurité.
L’enjeu pour les administrations est double. D’une part, il s’agit de former et de
conserver en nombre suffisant des experts capables d’intervenir, directement ou en appui, sur
des affaires nécessitant un haut niveau de compétence. D’autre part, il faut faire face à la
banalisation de l’usage des crypto-actifs dans les affaires de fraude et de cybercriminalité en
diffusant le plus largement possible au sein des services un socle de connaissances permettant
de détecter l’utilisation de ce type de valeurs, reconnaître un portefeuille auto-hébergé,
identifier les applications mobiles indiquant la détention de crypto-actifs etc.

Recommandation n° 3. (DGDDI, DGFiP, Tracfin, COLB) : renforcer les moyens, la


formation et l’expertise sur les crypto-actifs des services en charge de la lutte contre le
blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

3.2.2 Des enjeux qui appellent une coopération renforcée à l’échelle nationale et
internationale

3.2.2.1 Des efforts de communication et de coopération avec les acteurs du secteur à


poursuivre

L’efficacité des dispositifs de LCBFT repose en partie sur la capacité à détecter les
risques et coordonner la réponse. L’activité déclarative des PSAN illustre, en même temps que
l’augmentation du nombre de prestataires, leur montée en compétence et leur acculturation aux
problématiques de la LCBFT.

120
Cour des comptes, Les moyens affectés aux missions de police judiciaire, mai 2023.

62
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

Graphique n° 5 : Nombre de déclarations de soupçons adressées par les PSAN à Tracfin

350 330
312
300
250
200
150
100 87

50 37

0
2019 2020 2021 2022

Source : Tracfin

La maturité des PSAN sur ces sujets est très variable du fait de la jeunesse de ce secteur,
leur implication dans la LCBFT pourrait être améliorée. L’ADAN participe depuis 2022 à la
« Commission consultative LCBFT » placée auprès de l’ACPR et chargée de rendre des avis
sur les instructions de cette dernière concernant les personnes assujetties à son contrôle. Bien
que certains PSAN aient pu être invités à y assister, ces entreprises ne sont pas membres des
instances régulières réunies par Tracfin pour organiser des échanges opérationnels avec les
acteurs assujettis.
L’établissement d’un dialogue plus intense avec les PSAN devrait faire l’objet d’efforts
coordonnés par le COLB dont l’une des missions est de favoriser la concertation avec les
assujettis afin d’améliorer leur participation à la LCBFT121. Le nombre relativement réduit de
PSAN enregistrés et leur coordination, notamment au sein de l’ADAN, sont de nature à faciliter
la communication et la coopération avec ces acteurs.
Il revient au COLB d’associer davantage les PSAN aux travaux de place sur la LCBFT
et d’accélérer leur montée en compétence sur ces sujets.
Cela pose la question du périmètre des assujettis à la LCBFT et en particulier des
plateformes d’achat et de vente de NFT. Ces jetons étant échangés contre d’autres crypto-actifs,
les principales plateformes de NFT ne sont pas soumises au régime des PSAN et n’entrent pas
dans le champ de la LCBFT. Pour autant, les montants considérés et la proximité des
problématiques rencontrées avec celles des PSAN et des marchands d’œuvres d’art invitent à
une réflexion sur l’opportunité de les inclure dans le périmètre de l’assujettissement.
Cette question n’est pas tranchée dans les textes actuellement négociés au niveau
européen. Le règlement MiCA prévoit notamment l’élaboration par la Commission européenne
d’ici la fin 2024 d’un rapport sur les derniers développements liés aux NFT, qui pourra donner
lieu à des propositions d’évolutions réglementaires, en particulier sur le cadre LCBFT
applicable.
Le besoin de renforcer la coopération et la coordination est aussi valable au sein des
autorités publiques. Des communautés opérationnelles se sont développées, favorisées par le

121
Article D. 561-51 du CMF.

63
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

faible nombre d’experts concernés et leurs problématiques partagées. Les services des
ministères économiques et financiers concernés (Tracfin, DGDDI et DGFiP) se sont réunis en
février 2023 pour échanger sur les méthodes, outils et difficultés rencontrées. Une journée
d’échanges a été organisée à la Junalco avec les services de la Police nationale, de la
Gendarmerie nationale et de la DGDDI. Ces coopérations informelles sont récentes, elles
doivent être préservées et encouragées.

3.2.2.2 Une coopération internationale devenue indispensable, en particulier au niveau


européen

Le défi de la virtualité et de la déterritorialisation des activités permise par le numérique


est commun à tous les sujets liés au domaine cyber. Il est particulièrement prégnant dans le
domaine des crypto-actifs du fait du fonctionnement des chaînes de blocs qui ne sont pas
hébergées sur des serveurs localisés et identifiables et de la désintermédiation des transferts de
valeurs.
De ce fait, les infractions peuvent être commises dans un pays tandis que les acteurs
opérant les transactions sont basés dans d'autres juridictions. De surcroît, l'absence
d'implantation physique de certaines entreprises du secteur des crypto-actifs peut rendre
difficile l'identification des responsables et la collecte de preuves. Leurs activités intégralement
dématérialisées leur permettent de dissocier leur domiciliation sociale, qui peut être dans des
pays où la coopération en matière de LCBFT est limitée, voire inexistante, des lieux d’exercice
réel de leur activité, dans des pays offrant des conditions attractives pour une main-d’œuvre
très spécialisée et recherchée.
À titre d’illustration, une des principales plateformes d'échange de crypto-actifs a été
fondée en Chine en 2017 mais a progressivement implanté des bureaux ou créé des compagnies
dans plusieurs dizaines de pays, notamment au Japon, en France à Malte, en Irlande, à Jersey
ainsi que dans les Îles Caïmans. Dans ses déclarations publiques, son PDG revendique l’absence
de siège social mondial au nom des principes de décentralisation. La structure financière et
sociale ainsi que la domiciliation des revenus de cette plateforme sur laquelle sont réalisées
quotidiennement plus de 5 Md€ de transactions, font l’objet de nombreux questionnements.
La compétence des juridictions françaises à l’égard d’entreprises et d’acteurs qui ne sont
pas localisés sur le territoire national n’est pas clairement établie. Certaines dispositions
juridiques les rendent compétentes, en particulier lorsque l’un des faits constitutifs de
l’infraction a eu lieu sur le territoire national (art. 113-2 du code pénal), lorsque l’infraction a
été commise par le biais d’un réseau de communication électronique au préjudice d’une
personne physique ou morale résidant en France (art. 113-2-1) ou lorsque les victimes sont
françaises (art. 113-7). Cependant, la capacité à localiser les faits et plus encore leurs auteurs
est un frein et la jurisprudence en la matière est encore incertaine.
Si tant est qu’elle soit juridiquement envisageable, l’option consistant à bloquer les sites
des fournisseurs qui ne bénéficient pas d’un enregistrement permettrait peut-être d’en tenir
éloignés le grand public. Ce blocage serait toutefois aisément contourné par des moyens légaux
et accessibles à tous comme les réseaux privés virtuels (VPN) et serait donc inefficace contre
les utilisateurs en ayant la volonté.

64
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

Dans ce contexte, la coopération internationale est essentielle à la mise en œuvre des


dispositifs LCBFT. Elle s’exerce de plus en plus au niveau opérationnel, notamment à l’échelle
européenne par des rencontres et formations communes entre services de police judiciaire et
d’enquête, en particulier dans le cadre d’Europol. À une échelle plus large, le groupe Egmont
offre aux cellules de renseignement financier comme Tracfin une instance d’échange sécurisé
d’expertise et d’informations, s’appuyant sur les expériences de ses membres.
Le « paquet LCBFT » en cours de discussion a vocation à renforcer la coopération entre
les États membres. Il prévoit la création d’une agence européenne de la lutte contre le
blanchiment afin notamment d’harmoniser et de coordonner les pratiques de surveillance dans
les secteurs financier et non financier. Cette nouvelle agence assurera la coordination des
cellules de renseignement financier et exercera la supervision directe d’entités financières à
haut risque et transfrontières, ce qui pourrait concerner des prestataires de services sur crypto-
actifs considérés comme risqués.
La coopération judiciaire est aussi variable dans le domaine des crypto-actifs que sur les
autres sujets de lutte contre le blanchiment. Elle est fortement dépendante des États concernés
et les suites données aux demandes d’entraide judiciaire émises par les juges français varient
selon les pays et les périodes.
La mise en place, l’application et le contrôle de normes partagées constituent un enjeu
majeur, qui relève principalement du GAFI. Celui-ci considère le sujet comme d’importance
prioritaire et a procédé à plusieurs révisions de sa recommandation n° 15 portant
spécifiquement sur les crypto-actifs. Le GAFI envisage également de publier une liste indiquant
l’état de mise en œuvre de cette recommandation et de la travel rule dans chacun des pays dans
lesquels le secteur des crypto-actifs a pris une importance notable.
Les autorités américaines (Office of Foreign Assets Control du département du Trésor)
ont mis en place des listes noires de portefeuilles de crypto-actifs attribués à des personnes ou
à des organisations faisant l’objet de sanctions, qui s’imposent à toutes les entreprises exerçant
une activité aux États-Unis. La menace de poursuites exerce un fort effet dissuasif sur ces
acteurs.
S’inspirant de l’expérience américaine, il pourrait être envisagé l’établissement de listes
publiques à l’échelle européenne, comprenant notamment les portefeuilles identifiés par les
services européens et nationaux comme présentant des risques élevés de BC-FT. Ces listes,
dont les modalités de mise en œuvre et le régime juridique devraient être précisés,
s’imposeraient à tous les fournisseurs enregistrés en Europe, en complément des outils et
registres qu’ils peuvent déjà utiliser. Les travaux actuels sur le « paquet LCBFT » pourraient
être l’occasion d’introduire des dispositions de cet ordre.

______________________ CONCLUSION INTERMÉDIAIRE ______________________

Les risques d’utilisation des crypto-actifs pour le financement d’activités criminelles


sont considérés comme très élevés du fait de la désintermédiation des échanges, du
pseudonymat des transactions et de la mondialisation des réseaux.
Les principaux risques identifiés portent sur le blanchiment des revenus d’activités
illicites à l’aide des crypto-actifs, la commission d’infractions criminelles dont le produit est
directement généré en crypto-actifs et enfin le financement du terrorisme. Les estimations de

65
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

ces flux sont à la fois difficiles et très variables mais le constat d’une augmentation massive et
rapide de l’utilisation des crypto-actifs dans des schémas de fraude est partagé par tous les
services en charge de la LCBFT.
La France s’est saisie avant la plupart des autres pays de ce sujet en appliquant des
règles plus restrictives que les recommandations du GAFI et que les dispositions européennes.
Le régime d’enregistrement obligatoire des PSAN a permis une montée en charge rapide de
ceux-ci sur les problématiques de LCBFT, même si des progrès restent à accomplir, sous le
contrôle de l’ACPR qui doit mobiliser des moyens adaptés à ses missions.
La réglementation française actuelle et les travaux en cours sur la future réglementation
européenne s’inscrivent dans une recherche d’équilibre entre la contrainte imposée aux
entreprises du secteur pour qu’elles prennent part activement à la LCBFT et la préservation
de l’attractivité du marché national et européen pour prévenir la fuite des entreprises vers des
juridictions moins exigeantes ou celle des clients vers des fournisseurs non soumis aux règles
européennes.
L’action des services de recherche et d’investigation se heurte à des obstacles
techniques qui nécessitent des capacités, humaines et technologiques, de plus en plus
complexes à acquérir et à conserver. Il s’agit d’un enjeu majeur d’efficacité de ces dispositifs
et de souveraineté vis-à-vis d’acteurs privés et étrangers. Le développement d’outils
d’investigation sur la blockchain dont l’État conserverait la maîtrise est ainsi devenu une
nécessité et pourrait être envisagé dans le cadre de coopérations européennes.
La lutte contre l’utilisation des crypto-actifs à des fins de financement d’activités
criminelles exige un renforcement de la coopération, aussi bien au niveau national en
améliorant la participation des PSAN, qu’au niveau international pour coordonner la réponse
des États.
La Cour des comptes formule les recommandations suivantes :
2. (DGDDI, DGFiP, Tracfin, COLB) : étudier les conditions du développement
d’outils souverains partagés entre les services en charge de la lutte contre le
blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ;
3. (DGDDI, DGFiP, Tracfin, COLB) : renforcer les moyens, la formation et
l’expertise sur les crypto-actifs des administrations en charge de la lutte contre
le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

66
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

4 DES DISPOSITIONS FISCALES TROP PEU CONNUES, DES


AJUSTEMENTS NÉCESSAIRES

La détermination du traitement comptable des actifs numériques et leur définition légale


ont permis de définir dès 2019 leur régime fiscal en France. Le législateur a choisi de ne pas
traiter les actifs numériques comme des devises étrangères et de leur appliquer les principes
habituels du droit fiscal, s’agissant des faits générateurs d’imposition ou des impôts concernés.
Un régime simplifié a cependant été mis en place pour l’imposition des plus-values réalisées
par les particuliers lors de ventes d’actifs numériques à titre non professionnel.
Si le cadre fiscal français a ainsi recherché la simplicité, certains ajustements pourraient
s’avérer nécessaires à l’avenir, face à l’évolution de la législation européenne et à la
diversification de leurs usages.
Par ailleurs, l’assujettissement des actifs numériques à l’impôt pourrait gagner en
efficacité, en améliorant l’information mise à disposition des usagers et en leur consacrant
davantage d’attention dans le cadre du contrôle fiscal.

4.1 Des ajustements à anticiper pour garantir la cohérence du cadre fiscal

Les entreprises et les particuliers peuvent réaliser avec les actifs numériques la plupart
des opérations constituant habituellement des faits générateurs d’impôt. Ils peuvent percevoir
ces actifs dans le cadre d’une rémunération, d’un don ou d’un héritage, les prêter, les vendre ou
les utiliser pour octroyer des garanties, générant ainsi des revenus imposables, qui peuvent être
perçus en monnaie « fiat » ou en actifs numériques. Ils réalisent également des opérations
propres au fonctionnement des chaînes de blocs et au développement des actifs numériques
(notamment le « minage », le staking122 et le lending123.
Les opérations impliquant les actifs numériques sont imposées dans le cadre du droit
commun, mais les plus-values réalisées par les particuliers lors de la cession d’actifs
numériques sont imposées selon des modalités simplifiées lorsqu’ils agissent dans un cadre non
professionnel.
Si ce cadre fiscal est cohérent et globalement adapté à la nature actuelle des actifs
numériques, la diversification des usages et le nouveau cadre juridique issu du règlement MiCA
pourraient rendre nécessaires certains ajustements dans les années à venir.

4.1.1 Une imposition des actifs numériques dans le cadre du droit commun

Comme dans la plupart des pays de l’OCDE, les actifs numériques sont imposés en
France dans le cadre des catégories fiscales et des impôts existant avant leur apparition.

122
Le staking désigne la participation au mécanisme de validation par preuve d’enjeu
123
Le lending est un prêt d’actifs numériques en échange d’intérêts.

67
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

La fiscalité applicable à une rémunération versée en actifs numériques est la même que
celle d’une rémunération en monnaie ayant cours légal. Les revenus en actifs numériques tirés
d’une activité indépendante sont soumis à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices
non commerciaux (BNC), des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) ou des bénéfices
agricoles selon la nature de l’activité, et les salaires perçus en actifs numériques sont imposés
dans la catégorie des traitements et salaires. De même, la fiscalité habituellement applicable
aux dons ou aux successions s’applique dans sa totalité aux actifs numériques.
Pour les entreprises, les produits de cession d’actifs numériques sont imposables à
l’impôt sur le revenu (catégorie des BIC) ou à l’impôt sur les sociétés124. Les plus-values de
chaque cession doivent être comptabilisées et déclarées par les entreprises à l’administration
fiscale, qu’il s’agisse d’échanges entre actifs numériques ou de cessions d’actifs numériques
contre des monnaies ayant cours légal.
Les opérations propres au fonctionnement des chaînes de blocs et à certains services sur
actifs numériques relèvent également du droit commun fiscal. En particulier, les rémunérations
perçues par les entreprises et les particuliers en contrepartie d’opérations de minage sont
imposées dans la catégorie des BNC, qu’elles soient versées en euros ou en actifs numériques.
Le cas échéant, le montant à déclarer est calculé selon le cours ou la valeur des jetons en euros
au moment de leur versement.
La doctrine fiscale a également précisé l’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée
(TVA) des opérations impliquant des actifs numériques. Les sommes perçues par les entreprises
dans le cadre d’offres publiques de jetons (initial coin offering) ne sont pas assujetties à la TVA
lors de la vente des jetons. À ce stade en effet, ces jetons donnent à leur acquéreur un droit sur
un bien ou un service qui ne sont pas encore déterminés ni disponibles. En revanche, lorsque
ces jetons seront utilisés par leurs détenteurs pour obtenir le bien ou le service concerné,
l’opération sera alors soumise à la TVA125. Par ailleurs, les prestations d’échange entre actifs
numériques et d’échange d’actifs numériques contre des monnaies ayant cours légal sont
exonérées de TVA.

Des actifs numériques imposés dans plus de la moitié des pays du monde
Selon les données réunies par le Congrès des États-Unis126, les actifs numériques étaient imposés dans
103 pays en 2021 (contre 21 pays en 2018), sur environ 140 pays dans lesquels ils sont autorisés.
À l’inverse, 51 pays interdisent les actifs numériques de façon explicite (9 pays dont la Chine, l’Algérie,
le Maroc et le Bengladesh) ou de façon implicite, en interdisant aux entreprises et aux banques d’offrir
des services relatifs aux actifs numériques (42 pays dont la Turquie, l’Arabie Saoudite, le Vietnam,
l’Indonésie, le Nigéria, la République démocratique du Congo ou encore le Mali et le Cameroun).
Les crypto-actifs sont traités fiscalement comme actifs incorporels ou financiers dans la quasi-totalité
des pays de l’OCDE.

124
Art. 34 et 209 du code général des impôts.
125
Bulletin officiel des finances publiques, Rescrit - TVA - Assujettissement et base d'imposition d'une
offre au public de jetons, BOI-RES-000054.
126
U.S. Global Legal Research Directorate, Regulation of Cryptocurrency Around the World : November
2021 Update, Bibliothèque du Congrès des États-Unis d’Amérique, novembre 2021.

68
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

Les actifs numériques sont imposés comme des actifs incorporels127 dans plupart des pays de l’OCDE,
tels que l’Allemagne, l’Australie, le Chili, l’Espagne, la France, le Luxembourg, le Royaume-Uni, la
Suède) ou comme des actifs financiers dans certains autres pays (Afrique du Sud, Argentine, Brésil,
Croatie, Danemark, Israël, Japon, Slovaquie) 128.
Ils sont très rarement traités comme des devises, compte tenu de leur caractère décentralisé, de la
volatilité de leurs cours et de l’absence de garanties. Alors que la Belgique, l’Italie et la Pologne
indiquaient être dans cette situation en 2019, les actifs y numériques sont désormais traités comme des
actifs incorporels.
Les actifs numériques sont désormais soumis à l’impôt dans 22 des 27 États membres de l’UE
Seuls Chypre, l’Estonie, la Grèce, Malte et la Slovénie ne prévoient pas d’imposition des actifs
numériques : le nombre d’États membres n’imposant pas les actifs numériques s’est progressivement
réduit au cours des dernières années.
Au Portugal, les actifs numériques n’étaient pas imposés (à l’exception des salaires versés en jetons) à
la suite d’un avis de l’administration fiscale qui avait refusé en 2016 de les catégoriser comme des
devises ou comme des actifs. Le parlement portugais a mis fin à cette situation en 2022 et les actifs
numériques sont désormais imposés.
En Italie, ils bénéficiaient d’un régime particulièrement favorable car ils étaient considérés comme des
monnaies étrangères sur le plan fiscal. L’Italie a cependant mis fin à ce régime en 2022, en prévoyant
notamment une imposition au taux de 26% pour les gains réalisés lors de la vente d’actifs numériques.
En l’Allemagne, les plus-values de cessions de crypto actifs sont exonérées pour les jetons détenus
durant plus d‘un an avant revente. Cependant, ces plus-values sont assujetties à l’impôt sur les sociétés
ou à l’impôt sur le revenu lorsque les durées de détention sont inférieures à un an. De plus, le ministère
allemand de l’économie a publié en 2021 un avis précisant les impôts applicables à l’ensemble des
opérations impliquant des actifs numériques : les revenus issus de prêts en actifs numériques,
d’opération de « minage », de staking et de lending y sont imposés.
La grande majorité des pays de l’UE disposent à présent de normes fiscales leur permettant d’imposer
la plupart des opérations relatives aux actifs numériques. Ces normes restent cependant très hétérogènes
au sein de l’UE, comme l’illustre l’imposition des plus-values de cessions.

L’imposition des plus-values de cessions est très hétérogène selon les États membres de l’UE
Plusieurs sites d’information spécialisés dans les actifs numériques ou les produits financiers comparent
la fiscalité des plus-values de cessions en se concentrant parfois exclusivement sur les taux applicables.
Ces comparaisons ont une portée très limitée car elles ne prennent pas en compte la diversité des assiettes
auxquelles ces taux sont appliqués, ni les caractéristiques qui conditionnent parfois leur
assujettissement.

127
Selon l’Autorité des normes comptables, un actif incorporel est un actif non monétaire sans substance
physique, qui est susceptible d’être vendu, transféré, loué ou échangé. Art. 211-5 du Règlement ANC n° 2014-03
relatif au plan comptable général.
128
OCDE, Fiscalité des monnaies virtuelles : Panorama des traitements fiscaux et des sujets émergents
de politique fiscale, OCDE, 2020

69
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

Ainsi, les plus-values réalisées par des particuliers lors d’échanges entre actifs numériques sont
imposées dans la plupart des pays, mais ce n’est pas le cas en France. Par ailleurs, l’imposition
s’applique à partir de seuils très variables selon les abattements et les barèmes appliqués dans chaque
pays. Si les plus-values des particuliers sont exonérées lorsqu’elles sont inférieures à 102 € en
Roumaine, 305 € en France et 600 € en Allemagne, elles ne sont imposées qu’à partir de 1 000 € en
Finlande, 2 000 € en Italie et 6 000 € en Espagne dans le cadre des barèmes progressifs prévus par ces
États-membres.
Certains pays comme l’Allemagne, l’Espagne, la France et le Luxembourg imposent les plus-values des
particuliers de façon différente selon qu’elles sont réalisées dans les conditions d’une activité
professionnelle ou relèvent de simples opérations de gestion privée. Au sein de cette seconde catégorie,
la Belgique distingue les gains résultant de la « gestion normale d'un patrimoine privé »129, non-
imposables, et les gains issus d’opérations ayant un caractère spéculatif, imposés au taux de 33%.
Sous réserve de ces limites, la comparaison des taux applicables aux plus-values réalisées par les
particuliers fait apparaître quatre groupes de pays au sein de l’UE :
- 5 pays dans lesquels les plus-values ne sont pas imposées car les actifs numériques n’y sont pas
imposables (Chypre, l’Estonie, la Grèce, Malte et la Slovénie) ;
- 3 pays dans lesquels elles sont imposées à un taux forfaitaire de 10 % (Bulgarie, Croatie, Roumanie) ;
- 8 pays qui présentent des taux allant de 10% à 25 % dans le cadre d’impositions forfaitaires ou
progressives (Allemagne, Espagne, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Pologne, République tchèque,
Slovaquie) ;
- 11 pays qui présentent des taux allant de 25 % à 50 %, soit dans le cadre d’une taxation forfaitaire dont
le taux est proche de 30 % (Autriche, France, Hongrie, Italie, Pays-Bas, Portugal, Suède), soit dans le
cadre d’un barème progressif qui est généralement celui de l’impôt sur le revenu (Belgique, Danemark,
Finlande, Irlande).

4.1.2 Un dispositif simplifié pour les plus-values réalisées par les particuliers

Le législateur a mis en œuvre un principe de taxation « à la sortie » de la sphère des


actifs numériques pour les plus-values réalisées par les particuliers dans un cadre non-
professionnel. Ainsi, les éventuels gains réalisés lors d’échanges entre actifs numériques ne
sont pas imposables : seule leur cession contre des monnaies fiat ou des biens et des services
donne lieu à une imposition.
Les particuliers doivent déclarer une fois par an à l’administration chacune des
opérations de cession imposables et calculer la plus-value générée par ces opérations, nette des
moins-values éventuelles130.
La plus-value nette totale est ensuite soumise à l’impôt sur le revenu dans le cadre du
prélèvement forfaitaire unique au taux de 12,8 % hors prélèvements sociaux (soit 30 % en

129
Art. 90-1° du code belge des impôts sur les revenus (CIR92).
130
Les moins-values issues de la cession d’actifs numériques ne sont pas déductibles d’autres types de
revenus et ne sont pas reportables sur les années suivantes.

70
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

incluant ces prélèvements)131. Si le produit des cessions imposables est inférieur à 305 €
annuels, les plus-values correspondantes ne sont pas imposées.
Ce régime n’est pas applicable aux plus-values générées par des particuliers dans des
conditions analogues à celles de professionnels. Dans ce cas, les gains sont imposés à l’impôt
sur le revenu dans la catégorie des BNC. Pour qualifier ces situations, l’administration
considère notamment le temps et l’effort déployé par les particuliers pour rechercher des cibles
d’investissement, l’utilisation de logiciels spécifiques et le développement d’un savoir-faire
propre à cette activité132. Ainsi, un particulier qui se borne à acheter et revendre des crypto-
actifs sur des plateformes d’échange n’est pas considéré comme se livrant à une activité
professionnelle, même s’il réalise des transactions fréquentes ou impliquant des montants
importants.
Ce régime simplifié a été créé pour tenir compte des capacités déclaratives des
particuliers agissant dans un cadre non professionnel. En effet, les actifs numériques sont
particulièrement liquides et leurs détenteurs peuvent réaliser un très grand nombre d’échanges
entre jetons sur des périodes de temps très courtes. Or, contrairement aux entreprises, ils ne sont
pas tenus d’enregistrer chaque opération dans un journal comptable et ne disposent pas
nécessairement des outils et des compétences le leur permettant.
En excluant de son champ les échanges entre actifs numériques, ce régime permet de
limiter les obligations déclaratives des contribuables, qui ne déclarent que les ventes d’actifs
numériques contre des monnaies fiat, des biens ou des services. Ce régime implique que les
plus-values réalisées lors d’échanges entre actifs numériques ne seront taxées
qu’ultérieurement, lors de la conversion des jetons en monnaie fiat ou en biens et services.
Ce dispositif peut toutefois conduire à des difficultés pour certains contribuables. En
effet, lors d’une cession imposable, la plus-value n’est pas calculée par rapport au prix
d’acquisition des seuls jetons cédés, mais en référence aux prix d’acquisition de l’ensemble du
portefeuille et à sa valeur totale au moment de la cession, selon une formule fixée par la loi133 :
𝑝𝑟𝑖𝑥 𝑑𝑒 𝑐𝑒𝑠𝑠𝑖𝑜𝑛
𝑝𝑙𝑢𝑠 𝑣𝑎𝑙𝑢𝑒 = 𝑝𝑟𝑖𝑥 𝑑𝑒 𝑐𝑒𝑠𝑠𝑖𝑜𝑛 − 𝑝𝑟𝑖𝑥 𝑑′ 𝑎𝑐𝑞𝑢𝑖𝑠𝑖𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑑𝑢 𝑝𝑜𝑟𝑡𝑒𝑓𝑒𝑢𝑖𝑙𝑙𝑒 × ( )
𝑣𝑎𝑙𝑒𝑢𝑟 𝑑𝑢 𝑝𝑜𝑟𝑡𝑒𝑓𝑒𝑢𝑖𝑙𝑙𝑒 à 𝑑𝑎𝑡𝑒

Les contribuables doivent donc enregistrer soigneusement le prix des différentes


acquisitions qu’ils réalisent au fil du temps, afin de disposer de ces données lorsqu’elles seront
nécessaires pour calculer la plus-value d’une cession imposable.
Or, certains contribuables n’enregistrent pas précisément le coût d’acquisition de leurs
jetons, car ils ne réalisent aucune opération imposable pendant plusieurs années et pensent,
faute d’une bonne connaissance du cadre fiscal, que ce suivi n’est pas nécessaire. Lorsqu’ils
réalisent une cession imposable, ils sont confrontés à une difficulté, notamment lorsque le
portefeuille a été constitué de très nombreuses acquisitions de faibles montants.

131
Art. 150 VH bis du code général des impôts. Les redevables peuvent cependant opter pour l’application
du barème de l’impôt sur le revenu en lieu et place du taux du prélèvement forfaitaire unique si cela leur est plus
favorable (art. 200 C du code général des impôts).
132
Bulletin officiel des finances publiques, BIC - Champ d'application - Précisions doctrinales ou
jurisprudentielles relatives à certaines professions - Autres professions. BOI-BIC-CHAMP-60-50.
133
Art. 150 VH bis du code général des impôts.

71
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

Il est donc important de mettre à disposition une information claire sur la fiscalité des
actifs numériques.

4.1.3 Un cadre fiscal qui pourrait être ajusté face à la diversification des usages

Alors que la fiscalité des crypto-actifs détenus par des particuliers vient d’être stabilisée
en France, de nouvelles catégories de jetons tels que les stablecoins viennent d’être définies par
le règlement européen MiCA, tandis que les jetons non-fongibles (NFT) sont utilisés dans des
domaines de plus en plus variés. Ces évolutions pourraient rendre nécessaires certains
ajustements du cadre fiscal.

4.1.3.1 Un cadre fiscal qui limite l’utilisation des actifs numériques comme moyens de
paiement

La plupart des pays de l’OCDE ont choisi d’imposer les échanges d’actifs numériques
dans un cadre similaire à celui des actifs incorporels et se sont refusé à les assimiler fiscalement
à des monnaies.
Selon cette logique, l’utilisation d’un actif numérique pour régler un achat de bien ou
de service est imposée comme une cession d’actif numérique dans le cadre fiscal français. Ce
traitement répond à la nature des jetons dominant actuellement le marché : ils présentent pour
la plupart une valeur très volatile et sont souvent acquis dans une logique d’investissement,
parfois à très court terme.
Lorsqu’un particulier détient un jeton contenant une plus-value latente et l’utilise pour
payer un bien ou un service, il acquiert une contrepartie dont la valeur est supérieure à la valeur
d’acquisition initiale du jeton. Il réalise ainsi une plus-value qui doit être imposée, comme le
prévoient les normes applicables aux entreprises et aux particuliers en France.
Ce régime limite cependant le développement des actifs numériques comme moyens de
paiement, notamment via des cartes de paiement adossées à des portefeuilles de crypto-actifs.
Ainsi, un particulier qui utilise des jetons pour réaliser des achats doit déclarer à
l’administration chacun de ces achats en tant que cession d’actifs, et calculer l’éventuelle plus-
value pondérée liée à chaque achat selon la formule prévue par la loi pour l’application du
prélèvement forfaitaire unique.
Or, certains actifs numériques pourraient à l’avenir fonctionner comme des moyens de
paiement sans permettre à leur détenteur de générer de plus-value dans le cadre d’un usage non-
spéculatif. Ce devrait être le cas notamment pour les jetons de monnaie électronique, qui
forment l’une des trois catégories d’actifs numériques définies par le règlement MiCA134, en
particulier lorsqu’ils seront adossés à l’euro. Les jetons de monnaie électronique seront adossés
à une seule monnaie ayant cours légal et ne pourront être émis que par les établissements de
crédits et les établissements agréés comme émetteurs de monnaie électronique. Garantis par

134
Les caractéristiques des jetons de monnaies électroniques prévues par le règlement MiCA
correspondent à la définition actuelle des monnaies électroniques retenue par le droit français aux articles L. 315-
1 et suivants du CMF.

72
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

une réserve d’actifs dans un rapport de un à un, ils devront être remboursés immédiatement et
à leur valeur nominale par l’émetteur sur la demande du client.
Dans ces conditions, les jetons de monnaie électronique adossés à des euros et certains
jetons référencés à des actifs ne devraient pas permettre à leur détenteur de constituer de plus-
value dans le cadre d’une utilisation privée comme moyen de paiement (en revanche, la
réalisation d’opérations de change entre jetons de monnaie électronique adossés à des monnaies
différentes pourra permettre de générer des gains de change, notamment lorsque ces opérations
seront réalisées dans des conditions assimilables à celles des professionnels). La jurisprudence
de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a déjà assimilé certains actifs numériques
à des moyens de paiement, s’agissant de leur traitement fiscal, lorsqu’une entreprise fournit des
services d’échanges entre actifs numériques et moyens de paiement légaux.
A minima, il conviendra de clarifier dans le droit fiscal les conséquences du règlement
MiCA. En effet, ce règlement range les jetons de monnaie électronique parmi les crypto-actifs,
alors que le droit français distingue d’une part les actifs numériques135, et d’autre part les
monnaies électroniques136, qui suivent chacun un régime fiscal différent137. Dès lors, en
l’absence d’une clarification des normes, les usagers pourraient légitimement hésiter quant au
cadre fiscal applicable aux cessions de jetons de monnaie électronique.
Par ailleurs, il pourrait être envisagé de faire évoluer le cadre fiscal pour prendre en
compte la spécificité des jetons qui présenteront à l’avenir les caractéristiques propres aux
moyens de paiement. L’une des hypothèses de travail serait d’imposer la plus-value contenue
dans certains actifs numériques en amont, lors de leur utilisation pour acquérir des jetons de
paiement, ces jetons étant ensuite traités fiscalement comme des moyens de paiement lors de
leur utilisation à titre privé pour effectuer des achats.

135
Art. L 54-10-1 et suivants du CMF.
136
Art. L 315-1 et suivants du CMF.
137
La fiscalité des plus-values de cessions d’actifs numériques des particuliers est régie par l’art. 150 VH
bis du code général des impôts (CGI), tandis que la fiscalité des plus-values liées aux monnaies électroniques
relève du régime prévu à l'article 150 UA du CGI concernant les cessions de biens meubles.

73
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

Schéma n° 7 : Exemple de piste de réflexion concernant le traitement fiscal des actifs numériques
présentant les caractéristiques de moyens de paiement

Source : Cour des comptes. PFU : prélèvement forfaitaire unique.


Une telle évolution pourrait être réservée aux jetons gagés par des réserves en euros.
Elle ne serait envisageable que si les sociétés émettrices démontrent leur capacité à respecter
les normes prévues par le règlement MiCA et à garantir que la valeur de leurs jetons suive
effectivement le cours de l’euro. Elle serait enfin réservée aux jetons utilisés directement pour
effectuer des achats, la réalisation de gains de change via des transactions entre différents jetons
de paiement restant imposable selon les modalités habituelles.

L’exonération de TVA concernant les échanges de Bitcoins considérés comme des moyens de
paiement
Au sein de l’Union européenne, les opérations d’échange entre moyens de paiement légaux (devises,
billets de banque et les monnaies) sont exonérées de TVA138. En 2015, une société suédoise a souhaité
savoir si cette exonération serait applicable aux échanges entre Bitcoins et devises traditionnelles avant
de proposer de tels services à sa clientèle.
La CJUE a jugé que les Bitcoins ne pouvaient pas être qualifiés de « biens corporels » dans le cadre de
ces services, mais qu’ils devaient être traités comme des moyens de paiement 139. Elle a considéré que
les Bitcoins, « sans être des moyens de paiement légaux », étaient cependant « acceptés par les parties
à une transaction en tant que moyen de paiement alternatif » et n’avaient alors « pas d’autre finalité que
celle de moyen de paiement ».

138
Exonération prévue à l’art. 135 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative
au système commun de taxe sur la valeur ajoutée.
139
Arrêt de la CJUE du 22 octobre 2015, Skatteverket contre David Hedqvist, affaire C-264/14

74
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

Ainsi, les services d’échange de devises contre des Bitcoins « constituent des opérations financières »
pouvant présenter les mêmes « difficultés liées à la détermination de la base d’imposition et du montant
de la TVA déductible » que pour les opérations entre devises traditionnelles. Dès lors, la CJUE a jugé
que l’exonération de TVA applicable aux échanges entre moyens de paiement traditionnels s’appliquait
aussi aux opérations de même nature impliquant des Bitcoins.
Si cette jurisprudence n’est pas nécessairement applicable aux achats réalisés au moyen de Bitcoins par
des particuliers, elle établit cependant que les actifs numériques doivent dans certains cas être traités
fiscalement comme des moyens de paiement et non comme des biens.

4.1.3.2 Un traitement fiscal des NFT qui pourrait évoluer à moyen terme

Du point de vue réglementaire et fiscal, les jetons non fongibles (NFT) constituent des
actifs numériques en France. Certaines parties prenantes soulignent toutefois que les NFT
trouvent des applications dans des domaines très variés et que cette diversification va
s’amplifier à l’avenir. En effet, les NFT certifient l’unicité et la propriété d’un objet physique
ou virtuel dans le cadre d’une chaîne de blocs. Des projets de NFT sont ainsi en cours de
développement pour émettre des billets d’accès nominatifs, des titres de propriété, des jetons
permettant de suivre des produits tout au long d’une chaîne logistique ou encore de conférer
des droits particuliers à des clients dans le cadre de programmes commerciaux.
Dans le cadre de la réflexion en cours sur le traitement fiscal des NFT, un amendement
au projet de loi de finances pour 2022 a proposé de les imposer non plus systématiquement
comme des actifs numériques, mais en fonction de leur sous-jacent : selon les cas, comme un
droit d’accès à un service, comme un bien immobilier, ou, lorsqu’ils sont dénués de sous-jacent,
comme un actif numérique.
L’administration fiscale rappelle toutefois que les NFT ne forment pas une catégorie
distincte des autres actifs numériques définis par la loi PACTE. Pour elle, leur caractère unique
ne les distingue pas des autres jetons et ne justifie pas de les écarter du régime d’imposition
applicable aux actifs numériques. Par ailleurs, les NFT ne constituent pas des œuvres d’art au
sens du code de la propriété intellectuelle140.

Jetons non-fongibles et fiscalité des œuvres d’art


Les NFT ont été initialement utilisés pour garantir l’unicité et l’authenticité des œuvres auxquelles ils
se rattachent le cas échéant, et pour céder certains droits attachés à la propriété de ces œuvres dans le
cadre de transactions sur des chaînes de blocs.
Cependant, la plupart des NFT présentés comme des œuvres d’art ne constituent pas l’œuvre elle-même,
qu’elle soit physique ou virtuelle. Ils confèrent seulement à leur détenteur un accès exclusif à l’œuvre
et certains droits associés à sa propriété141. De plus, la plupart des NFT ne confèrent aucun droit d’auteur
à leur détenteur, ces droits restant la propriété de l’artiste142.

140
Art. L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle.
141
MEGHRAOUI Kada, et DOYEN PROUDOM Emilie, « L’expert-comptable face aux NFT », in Revue
Française de Comptabilité, n°565, juin 2022.
142
L’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que « l’auteur d’une œuvre de l’esprit
jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ».

75
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

Selon l’administration fiscale, il serait donc pertinent de préciser que la vente de NFT ne relève pas de
la taxe forfaitaire sur les objets précieux (TFOP)143 qui régit l’imposition des objets d’art et de collection.
Cela permettrait d’éviter que leur cession n’entre indûment dans le champ de la TFOP, qui est plus
attractive du fait de la franchise de 5 000 € dont elle permet de bénéficier. Une modification de l’article
150 VI du code général des impôts permettrait ainsi de préciser que la TFOP s’applique « sous réserve
des dispositions » relatives aux actifs numériques, conférant à ces dispositions un caractère dérogatoire
par rapport aux dispositions concernant les actifs numériques.
S’il convient effectivement d’empêcher l’application de la fiscalité des œuvres d’art aux NFT qui n’en
relèvent pas, la réflexion concernant le statut des NFT reste ouverte. En effet, certains NFT pourraient
à l’avenir constituer des œuvres d’art, car cette qualification dépend largement de l’opinion subjective
du public. Si les chaînes de blocs poursuivent leur développement, certains NFT pourraient être à
l’avenir reconnus comme les vecteurs d’un message artistique, à raison de leurs propriétés techniques
ou des actions qu’ils rendraient possibles dans le mode réel, selon des codes qui seraient identifiés par
les utilisateurs des chaînes de blocs et les acteurs du marché de l’art.
La diversification des applications des NFT pourrait à l’avenir remettre en question la
cohérence de leur traitement fiscal dans le cadre actuel. En effet, de très nombreux NFT
s’écarteront des caractéristiques applicables aux valeurs mobilières, en conférant par exemple
à leur détenteur un droit d’usage unique dépourvu de prix de marché. De fait, si certains NFT
« peuvent être négociés sur les marchés et être accumulés de manière spéculative, ils ne sont
pas aisément interchangeables et la valeur relative d'un tel crypto-actif par rapport à un autre,
chacun étant unique, ne peut être déterminée par comparaison avec un marché existant ou un
actif équivalent »144. De telles caractéristiques limitent dès lors la capacité de certains NFT « à
avoir une utilisation financière »145.
Contrairement aux jetons de monnaie électronique, les NFT sont exclus du champ du
règlement européen MiCA à ce stade. La Commission européenne pourra évaluer la nécessité
de proposer un encadrement spécifique à ces jetons dans le cadre du rapport relatif à
l’application du règlement MiCA, qu’elle devra établir au plus tard en avril 2026146.
En lien avec ces travaux, l’administration pourrait évaluer les pistes de révision du cadre
fiscal des NFT qui permettraient de répondre aux évolutions de leur statut juridique et de leurs
usages. Comme indiqué précédemment (cf. 4.1.3.1), l’administration devrait en outre anticiper

143
Art. 150 VI du CGI.
144
Règlement du Parlement européen et du Conseil sur les marchés de crypto-actifs, considérant n°10.
145
Idem.
146
Art. 142 du règlement précité.

76
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

les conséquences éventuelles du règlement MiCA sur le plan fiscal, puisque ce règlement
propose une nouvelle définition des actifs numériques structurée selon trois types de jetons.

Recommandation n° 4. (DGFiP) : adapter le cadre fiscal applicable aux crypto-actifs


pour tenir compte de la diversification de leurs usages et du règlement européen sur les
marchés de crypto-actifs.

4.2 Une imposition qui doit être mieux expliquée aux contribuables et
mieux contrôlée par l’administration

4.2.1 Un enjeu fiscal mal connu et probablement sous-estimé

Les données concernant le nombre et la valeur des portefeuilles d’actifs numériques


détenus par des contribuables français sont estimatives, fragmentaires et peu nombreuses.
Sur la base de sondages conduits auprès de 2 000 personnes, l’ADAN et le cabinet
KPMG estiment que cinq millions de Français détenaient des actifs numériques en France en
2022, contre quatre millions de personnes en 2021147. Une autre étude148 fait état de 3,4 millions
de détenteurs d’actifs numériques en France en 2022 (contre 2,3 millions en 2021), mais sans
préciser la méthode employée.
Aucune estimation n’est disponible concernant la valeur totale des portefeuilles d’actifs
numériques en France. D’après l’ADAN et KPMG, les Français auraient investi entre 20 Md€
et 25 Md€ en actifs numériques en 2023, mais ces données ne permettent pas d’estimer la valeur
des portefeuilles détenus. Les différentes études s’accordent pour dire que la majorité des
détenteurs posséderaient des portefeuilles d’une valeur inférieure à 5 000 €, et environ
1,3 million de personnes établies en France détiendraient des portefeuilles d’une valeur
supérieure à 5 000 €.
Enfin, la société Chainalysis a produit la seule estimation actuellement disponible
concernant les plus-values réalisées en France par des détenteurs d’actifs numériques, pour
l’exercice 2021149. L’entreprise estime les plus-values réalisées pour les différents jetons
échangés sur les plateformes dont elle peut suivre l’activité, puis répartit par pays ces bénéfices
estimés selon la part du trafic internet provenant de chacun d’entre eux sur chaque plateforme.
Elle évalue ainsi à 3,5 Md€ les plus-values nettes réalisées en 2021 sur les portefeuilles d’actifs
numériques en France.

147
ADAN, KPMG, Web 3 et crypto en France et en Europe : adoption par le grand public et applications
dans les industries, avril 2023.
148
Étude de la société Triple A : Cryptocurrency Ownership Data for France 2022 | Triple-A
149
Données disponibles en ligne : 2021 Cryptocurrency Gains by Country: Ethereum Leads as Gains
Skyrocket Around the World - Chainalysis

77
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

La DGFiP indique pour sa part que 20 000 contribuables ont déclaré 400 M€ de plus-
values imposables aux services fiscaux au titre de l’exercice 2021. Elle ne dispose à ce stade
d’aucune autre donnée quantitative relatives à la fiscalité des actifs numériques.
L’écart entre les plus-values estimées par Chainalysis (3,5 Md€) et déclarées à la DGFiP
(0,4 Md€) tient notamment au fait que l’estimation inclut les plus-values issues d’échanges
entre actifs numériques, alors que celles-ci ne sont pas imposées lorsqu’elles sont le fait des
particuliers. À l’inverse, l’évaluation fournie par Chainalysis exclut les gains relatifs aux
transactions conclues sans recourir aux plateformes d’échanges.
Dès lors, l’écart entre l’estimation du total des gains réalisés par Chainalysis et les
montants déclarés à l’administration reste significatif, et semble indiquer qu’une part non
évaluée des plus-values de cessions d’actifs numériques n’est pas déclarée à l’administration
fiscale.
Compte tenu de cet enjeu et de l’acquisition d’actifs numériques par un nombre croissant
de contribuables français, il est nécessaire que l’administration fiscale s’attache à garantir
l’efficacité de l’assujettissement des actifs numériques à l’impôt. La DGFiP pourrait mener un
effort de sensibilisation des contribuables, en complétant l’information fiscale disponible,
notamment sur internet. Elle pourrait par ailleurs porter des propositions en vue de renforcer
les obligations déclaratives relatives à ces actifs.

4.2.2 Une information des usagers à compléter et à approfondir

Du fait de l’apparition récente de ces actifs, de leur nature juridique parfois difficile à
qualifier et des nombreuses informations erronées présentes sur internet, les contribuables
peuvent rencontrer des difficultés à identifier certaines de leurs obligations fiscales.
Par ailleurs, certaines opérations financières propres aux actifs numériques ou au
fonctionnement des chaînes de blocs ne sont pas assimilables aux opérations réalisées avec des
actifs traditionnels. C’est notamment le cas des activités de farming150, de lending151 ou de
staking152, et de l’attribution de jetons dans le cadre de jeux en ligne ou d’opérations de
distribution gratuite (air drops).
De fait, la Cour a constaté une appréhension très variable du cadre fiscal applicable, y
compris par les acteurs du secteur des crypto-actifs les plus favorables à la régulation des actifs
numériques et intéressés à la sécurité juridique des opérations réalisées par leurs clients.
Anticipant ces difficultés, l’OCDE avait invité dès 2020 les États à publier « des
orientations exhaustives, qui prennent en compte les principaux faits générateurs de l’impôt et
les principales formes de revenus associés aux monnaies virtuelles »153 pour permettre aux
redevables de clarifier leur situation fiscale le plus efficacement possible.

150
Le farming consiste à immobiliser des crypto-actifs sur un protocole ou une plateforme dans le but de
lui fournir de la liquidité en contrepartie d’une rémunération.
151
Le lending est un prêt d’actifs numériques en échange d’intérêts.
152
Le staking désigne la participation au mécanisme de validation par preuve d’enjeu.
153
OCDE, 2020, op. cit., p. 61.

78
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

Or, l’information mise à disposition par l’administration fiscale en France est inégale
selon les faits générateurs d’impôts et globalement insuffisante.
L’administration propose une information précise concernant la fiscalité des plus-values
de cessions et l’application de la TVA aux différents services impliquant des actifs
numériques154. De même, les obligations déclaratives liées à la détention d’un portefeuille
d’actifs numériques ouvert auprès d’un établissement étranger sont rappelées aux contribuables
et le formulaire afférent annexé à la déclaration de revenus a été simplifié en 2023155.
Mais aucune information garantie par l’administration n’est disponible sur internet
concernant la fiscalité des salaires, des dons et legs, des prêts, des attributions « gratuites » ou
des récompenses de jeux versées en actifs numériques, ou concernant la fiscalité des activités
de finance décentralisée et des opérations propres au fonctionnement des chaînes de blocs.
Ainsi, la page internet de référence de la DGFiP sur les actifs numériques156 ne traite
que le cas des plus-values de cession et des revenus de minage, alors même que son titre (« Quel
régime fiscal s'applique aux crypto-monnaies ? ») laisse entendre qu’elle présente l’ensemble
du cadre fiscal qui leur est applicable.
Certains cas sont pourtant évoqués dans la documentation interne de l’administration
fiscale, qui prévoit par exemple que les revenus du staking sont imposés dans la catégorie des
BNC157 et que les prêts d’actifs numériques sont dans la plupart des cas imposables comme
cessions158, mais ces informations ne sont pas disponibles sur internet. De même, il serait utile
d’expliciter le traitement fiscal des distributions de jetons « gratuites » et de préciser les règles
de valorisation de ces jetons lors du calcul des plus-values de cessions. Par ailleurs,
l’articulation entre l’imposition d’un actif numérique perçu comme rémunération et
l’imposition ultérieure de ce même actif lors de sa revente suscite des interrogations que
l’administration devrait lever.
Eu égard aux particularités des actifs numériques, qui concernent un nombre croissant
de contribuables, une présentation complète et approfondie du cadre fiscal par l’administration
est donc nécessaire pour permettre aux détenteurs de respecter leurs obligations et d’améliorer
l’efficacité de leur assujettissement à l’impôt. Or les sites de l’administration fiscale présentent
une information trop lacunaire pour permettre aux redevables de connaître par ce biais
l’ensemble de leurs obligations fiscales liées aux crypto-actifs.
À titre de comparaison, le gouvernement allemand a publié en 2022 un document159
décrivant la position de l’administration fiscale concernant la fiscalité de l’ensemble des
opérations imposables impliquant des actifs numériques (salaires, revenus de minage, de
staking, de lending, jetons issus de hard forks, airdrops, ICO, distributions de jetons « gratuits »

154
Voir notamment la page internet du Bulletin officiel des finances publiques consacrée à la cession
d’actifs numériques à titre occasionnel : BOI-RPPM-PVBMC-30-30 et les pages présentant des informations
relatives à l’assujetissement des opérations à la TVA : BOI-RES-TVA-000054 ; BOI-TVA-CHAMP-10-10-10
155
Modalités de déclaration des comptes d'actifs numériques détenus à l'étranger, impots.gouv.fr
156
Quel régime fiscal s'applique aux cryptomonnaies ?, economie.gouv.fr
157
Note de la direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF) du 14 avril 2023.
158
Annexe à la note 2022/16725 de la DGFIP relative au traitement fiscal des actifs numériques.
159
Document du Ministère des finances de la république fédérale d’Allemagne relatif au traitement fiscal
des monnaies virtuelles et autres jetons (Einzelfragen zur ertragsteuerrechtlichen Behandlung von virtuellen
Währungen und von sonstigen Token) disponible en ligne : Bundesfinanzministerium - Einzelfragen zur
ertragsteuerrechtlichen Behandlung von virtuellen Währungen und von sonstigen Token.

79
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

à des salariés). Ce document public, disponible en allemand et en anglais, précise également la


doctrine applicable pour délimiter les différents faits générateurs et l’assiette taxable lorsque
cela est nécessaire.
Le gouvernement suisse dispose pour sa part d’une page internet160 listant l’ensemble
des impôts applicables et confirmant l’application du cadre fiscal de droit commun le cas
échéant.
Au Royaume-Uni, l’administration a publié sur internet un manuel complet161 qui
permet aux usagers de déterminer le régime fiscal applicable selon une arborescence intuitive,
des catégories générales aux différents cas d’usages présentés pour chaque impôt applicable
aux actifs numériques.
Enfin, les PSAN pourraient également jouer un rôle plus important dans l’information
des contribuables.
Pour différents types de transactions entre particuliers (locations immobilières, vente de
biens, services de transports), les opérateurs des plateformes concernées doivent informer les
utilisateurs de leurs obligations fiscales et mettre à leur disposition un lien électronique vers les
sites de l’administration permettant de s’y conformer162. Cependant, la doctrine fiscale ne
précise pas si ces obligations sont également applicables aux PSAN.
La DGFiP devrait compléter la doctrine relative aux obligations d’information qui
incombent aux opérateurs de plateformes, en précisant si ces obligations sont applicables ou
non aux PSAN. Cette information devrait être accessible sur la page internet du bulletin officiel
des finances publiques (BOFIP)163 relative au périmètre de ces obligations.

4.2.3 Des contrôles à renforcer pour les particuliers et les entreprises

4.2.3.1 Des obligations déclaratives croissantes concernant les prestataires de services


sur actifs numériques

Le renforcement des obligations déclaratives des PSAN est prévu dans le cadre de la
huitième modification de la directive européenne relative à la coopération entre États membres
dans le domaine fiscal164, qui est en cours de négociation (projet de directive « DAC 8 »).
Si les dispositions prévues à ce stade sont définitivement adoptées, les PSAN européens
devront déclarer à l’administration de l’État membre dans lequel ils sont agréés un ensemble
d’informations relatives aux transactions réalisées par leur intermédiaire ou sur leurs

160
Fiscalité des cryptomonnaies en Suisse - taxes et exonérations (questiondedroit.ch)
161
Cryptoassets Manual - HMRC internal manual - GOV.UK (www.gov.uk)
162
Art. 242 bis du code général des impôts.
163
Paragraphe 40 du BOI-BIC-DECLA-30-70-40-10 - BIC - Régimes d'imposition et obligations
déclaratives - Obligations déclaratives - Obligations déclaratives spécifiques ou communes - Obligations des
opérateurs de plateforme de mise en relation par voie électronique - Champ d'application | bofip.impots.gouv.fr
164
Directive 2011/16/UE relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal entre les États
membres.

80
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

plateformes, qu’il s’agisse d’échanges entre actifs numériques ou d’échanges contre des
monnaies ayant cours légal.
Ils devront en particulier communiquer la valeur des transactions et l’identité des
personnes concernées. Ces informations feront ensuite l’objet d’un échange automatique entre
États. Si elles sont adoptées, ces dispositions entreront en vigueur au plus tard en 2026.
L’administration fiscale devrait donc disposer à terme d’une visibilité satisfaisante concernant
les bénéfices réalisés par les entreprises et les particuliers à travers des plateformes d’échange.

4.2.3.2 Une visibilité très faible pour les comptes gérés sans recourir à des prestataires

La visibilité de l’administration fiscale est à l’inverse très limitée concernant les


portefeuilles et les transactions gérés sans recours à des prestataires, et aucune amélioration
n’est prévue à ce stade.
Les redevables doivent déclarer le cas échéant la détention d’un portefeuille d’actifs
numériques auprès d’un établissement étranger165 et l’administration fiscale peut, dans le cadre
de ses contrôles, récupérer auprès des PSAN ou d’entreprises non enregistrées en France les
informations relatives aux transactions réalisées sur des plateformes166.
En revanche, les redevables ne sont pas tenus de déclarer les portefeuilles qu’ils
détiennent directement sur une chaîne de blocs sans recourir aux services d’un PSAN
(portefeuilles auto-hébergés). Dans ce cas de figure, l’administration ne dispose d’aucun tiers
pour confirmer l’existence d’un portefeuille d’actifs non déclaré, et il lui est donc très difficile
d’appréhender les actifs numériques qui ne sont pas hébergés sur une plateforme centralisée.
Compte tenu des possibilités de transferts offertes par les chaînes de blocs, l’absence
totale de visibilité de l’administration concernant l’existence des portefeuilles auto-hébergés
limite très fortement sa capacité à garantir à l’intégrité de l’assiette fiscale. Cette situation induit
en outre un déséquilibre entre les comptes ouverts auprès de prestataires à l’étranger, qui
doivent être déclarés à l’administration, et les comptes auto-hébergés, qui ne sont pas soumis à
cette obligation. Cette différence de traitement n’apparaît pas justifiée et pourrait conférer aux
comptes auto-hébergés un attrait particulier pour les contribuables désireux de soustraire une
partie de leur patrimoine à l’impôt.
Dès lors, il pourrait être envisagé de soumettre l’ouverture ou la détention d’un
portefeuille d’actifs numériques auto-hébergé à une obligation de notification à l’administration
fiscale à partir d’un seuil défini en valeur. Les contribuables seraient tenus de notifier
l’existence de leurs portefeuilles auto-hébergés à l’administration, mais ne fourniraient aucune
autre donnée relative à ces comptes dans le cadre de cette déclaration, compte tenu des enjeux
attachés à la protection de la vie privée.

165
Obligation déclarative prévue à l'article 1649 bis C du CGI. En cas de manquement les contribuables
sont passibles d’une amende de 750 € pour chaque compte à l’étranger non déclaré.
166
Art. L. 96 G du livre des procédures fiscales.

81
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

Recommandation n° 5. (DGFiP) : instaurer une obligation de notification à


l’administration fiscale de la détention de portefeuilles de crypto-actifs auto-hébergés à
partir d’un seuil défini en valeur.

4.2.3.3 Des enjeux qui justifieraient une attention accrue de la part des services de
contrôle fiscal

En matière de contrôle fiscal, la direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF)


conduit au sein du réseau de la DGFiP des actions de sensibilisation aux actifs numériques,
concernant les concepts essentiels et les signaux qui peuvent permettre de détecter la présence
d’opérations imposables non déclarées. Par ailleurs, la DNEF, la DGDDI et Tracfin articulent
leurs interventions concernant certains dossiers afin d’optimiser la mise en œuvre des pouvoirs
d’enquête propres à chaque service.
Mais la DGFiP ne dispose d’aucune donnée concernant spécifiquement le contrôle fiscal
des actifs numériques, qu’il s’agisse du nombre de dossiers dans lesquels ils sont impliqués ou
du montant des droits récupérés dans ce cadre. Par ailleurs, les actifs numériques ne font pas
l’objet d’un programme de contrôle en tant que tel : les manquements qui les concernent ne
sont donc détectés que dans le cadre de contrôles fiscaux ordinaires ou à la suite d’enquêtes
initiées par la douane ou par l’autorité judiciaire.
Or, les actifs numériques bénéficient de propriétés technologiques qui facilitent les
transactions sans recours à des tiers déclarants, leur régime fiscal est souvent mal connu des
redevables et l’enjeu financier lié à leur imposition n’est pas connu par l’administration. Ces
facteurs justifieraient dès lors une attention accrue de la part des services de contrôle fiscal.
Lorsque les mesures prévues par le projet de directive « DAC 8 » s’appliqueront, la
DGFiP recevra les données transmises par les PSAN enregistrés en France et par les services
fiscaux des autres États membres concernant les échanges d’actifs numériques réalisés sur les
plateformes. Elle devrait ainsi bénéficier d’un gisement d’informations utiles pour améliorer le
traitement fiscal des actifs numériques, à condition de disposer d’une stratégie et des
compétences nécessaires pour les exploiter.
La DGFiP devrait dès lors augmenter les ressources et les compétences consacrées aux
actifs numériques, afin d’accentuer leur prise en compte au sein des programmes de contrôle
fiscal. Les résultats de ces contrôles permettraient à l’administration de préciser en retour sa
doctrine et sa connaissance des niveaux de risques correspondant aux différents types de
contribuables et de faits générateurs d’imposition des crypto-actifs.

82
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

Recommandation n° 6. (DGFiP) : garantir l’assujettissement des crypto-actifs à l’impôt


en complétant l’information mise à disposition des contribuables et en accentuant la prise
en compte de ces actifs dans le cadre des contrôles fiscaux.

______________________ CONCLUSION INTERMÉDIAIRE ______________________

Les actifs numériques sont imposés en France dans le cadre commun du droit fiscal,
avec un régime simplifié a été mis en place concernant les plus-values réalisées par les
particuliers lors de ventes dans un cadre non professionnel.
L’apparition récente des actifs numériques, leur qualification juridique parfois difficile
et les nombreuses informations erronées présentes sur internet rendent parfois difficile
l’identification par les redevables de leurs obligations fiscales.
Eu égard aux particularités de ces actifs qui seraient détenus par 1,5 à 5 millions de
contribuables, une présentation complète et approfondie du cadre fiscal par l’administration
est ainsi nécessaire pour faciliter l’identification par les redevables de leurs obligations
fiscales et améliorer l’efficacité de leur assujettissement à l’impôt.
Par ailleurs, la DGFiP pourrait ainsi établir un programme de contrôle dédié aux actifs
numériques, dont les résultats permettraient d’améliorer sa connaissance des niveaux de
risques selon les contribuables et les faits générateurs d’imposition des actifs numériques.
Enfin, la cohérence du cadre fiscal applicable aux actifs numériques est remise en cause
par la diversification de leurs usages. De fait, le régime fiscal français limite l’utilisation des
actifs numériques comme moyens de paiement et pourrait être amené à évoluer à moyen terme
du fait de la diversification des NFT.
En amont de l’entrée en vigueur du règlement MiCA et en lien avec les travaux de la
Commission européenne relative aux NFT et à la finance décentralisée, il est souhaitable que
soient étudiés les ajustements nécessaires du traitement fiscal des actifs numérique, afin de
répondre aux évolutions de leur statut juridique et de leurs usages.
La Cour des comptes formule les recommandations suivantes :
4. (DGFiP) adapter le cadre fiscal applicable aux crypto-actifs pour tenir compte
de la diversification de leurs usages et du règlement MiCA ;
5. (DGFiP) instaurer une obligation de notification à l’administration fiscale de
la détention de portefeuilles de crypto-actifs auto-hébergés à partir d’un seuil
défini en valeur ;
6. (DGFiP) garantir l’assujettissement des crypto-actifs à l’impôt en complétant
l’information mise à disposition des contribuables et en accentuant la prise en
compte de ces actifs dans le cadre des contrôles fiscaux.

83
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

ANNEXES

Annexe n° 1. Les outils d’analyse transactionnelle ................................................. 85


Annexe n° 2. Les origines idéologiques des « cryptomonnaies » ........................... 87

84
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

Annexe n° 1. Les outils d’analyse transactionnelle


Un outil d'analyse transactionnelle est un logiciel ou une plateforme qui permet de
visualiser et d'interpréter les transactions enregistrées sur une chaîne de blocs. Ces outils
peuvent fournir différentes fonctionnalités et informations selon leur complexité et leur objectif
spécifique.
Le mode de collecte de données est en fonction de la chaîne de blocs et des outils utilisés.
Certains outils peuvent se connecter directement aux nœuds du réseau, qui contiennent une
copie complète ou partielle de la chaîne de blocs. D'autres outils peuvent utiliser des interfaces
de programmation (API) fournies par les réseaux pour accéder aux données.
Les outils d'analyse transactionnelle interrogent ensuite les transactions enregistrées sur
la chaîne de blocs. Ils peuvent spécifier des critères de recherche tels que des adresses
spécifiques, des plages de dates ou des types de transactions pour récupérer les données
pertinentes. Les outils extraient alors les données des transactions sélectionnées. Cela peut
inclure des informations telles que les adresses source et de destination, les montants des fonds
transférés, les frais de transaction, les horodatages, les identifiants de bloc etc.
La collecte de données peut être limitée par la nature décentralisée et sécurisée de la
technologie. Certaines chaînes de blocs peuvent limiter l'accès aux données à des fins de
confidentialité ou de sécurité. De plus, des chaînes de blocs privées peuvent nécessiter des
autorisations spécifiques pour accéder aux données.
À partir des données collectées, les outils d'analyse transactionnelle de la chaîne de
blocs permettent :
- l’exploration de la chaîne de blocs, c’est-à-dire la visualisation des blocs, des
transactions et des adresses associées ;
- l’analyse des transactions à partir d’informations comme les adresses source et de
destination, le montant des fonds transférés, les frais de transaction, l'heure et la date
de la transaction ;
- le suivi d’adresses spécifiques et des transactions associées, ce qui peut être utile
pour identifier les adresses associées à des activités suspectes ou frauduleuses ;
- la visualisations des flux de transactions, les connexions entre les adresses et d'autres
informations pertinentes. Cela facilite la compréhension des modèles et des relations
dans la chaîne de blocs ;
- la détection de schémas et d’anomalies au moyen d’algorithmes d'analyse pour
détecter les schémas de transaction inhabituels ou les comportements anormaux, qui
peuvent indiquer des activités frauduleuses ;
- la surveillance en temps réel des nouvelles transactions et des mises à jour de la
chaîne de blocs.

85
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

Schéma n° 8 : Exemple de visualisation de transactions sur la chaîne de blocs

Source : chainalysis.com

86
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

Annexe n° 2. Les origines idéologiques des « cryptomonnaies »


Bien que les crypto-actifs ne se soient véritablement développés qu’à partir de la
seconde moitié des années 2010-2020, leur genèse remonte aux années 1990, à la faveur des
progrès technologiques liés au déploiement de l’informatique. L’augmentation exponentielle
de la puissance de calcul des ordinateurs offrait en effet de nouvelles possibilités en matière de
cryptographie et devait permettre aux individus de protéger leur vie privée du contrôle des États.
La problématique principale à laquelle les premiers projets voulaient répondre était celle
de la confiance dans l’économie, en particulier monétaire : il s’agissait de trouver des
mécanismes offrant des garanties équivalentes voire supérieures aux tiers de confiance existants
(États, banques centrales, institutions privées et publiques…) pour pouvoir s’en passer.

Cypherpunk, crypto-anarchisme, libertarisme : les origines idéologiques des crypto-actifs


Les fondamentaux conceptuels des crypto-actifs peuvent être trouvés dans le mouvement
« cypherpunk » apparu dans les années 1980-1990 à San Francisco. Ce groupe informel regroupait
notamment des informaticiens, des universitaires et des mathématiciens convaincus que le
développement de la cryptographie allait apporter à tous les citoyens les moyens de protéger leur vie
privée et leur liberté d’expression, réduisant d’autant le pouvoir de contrôle des États.
En 1988, le « manifeste crypto-anarchiste » de Thimothy C. May considérait ainsi que « l’informatique
[était] sur le point de permettre aux individus et aux groupes de communiquer et d’interagir entre eux
d’une façon totalement anonyme. […] Ces développements modifieront complétement la nature de la
régulation gouvernementale, sa capacité à taxer, à contrôler les interactions économiques et à garder
les informations secrètes, et pourront peut-être même modifier la nature même de la confiance et de la
réputation »167.
En 1993, le « manifeste cypherpunk » d’Eric Hughes déclarait que « dans l’ère électronique où nous
vivons, le droit à une vie privée est un élément essentiel d’une société libre et ouverte. […] Nous, les
cypherpunks, avons vocation à édifier des systèmes anonymes. Nous défendons notre droit à la vie privée
avec la cryptographie, des systèmes de messagerie anonyme, des signatures numériques et de l’argent
électronique »168.
Ces idées et textes, parfois qualifiés de libertariens ou « crypto-anarchistes », ont inspiré certains
précurseurs des crypto-actifs et figurent sur les principaux sites et forums des communautés
correspondantes. Si le document fondateur du Bitcoin publié en 2008 ne fait pas de référence explicite
au mouvement et aux idées des cypherpunks, il cite les travaux de certaines de ses figures comme Adam
Back et Wei Dai.
Ces premières initiatives ont vu le jour entre la fin des années 1990 et le début des
années 2000169. En 2008, une personne ou un collectif utilisant le pseudonyme de Satoshi
Nakamoto publia un document s’inspirant des expériences précédentes et tirant les leçons de
leurs échecs pour proposer une solution technique garantissant la confiance dans un système
monétaire décentralisé : le Bitcoin170.
Alors que le système financier classique fait appel à des tiers de confiance (banques,
États, notaires etc.) afin de contrôler, valider et enregistrer les transactions, le principe du

167
Source : https://www.activism.net/cypherpunk/crypto-anarchy.html. Traduction Cour des comptes.
168
Source : https://nakamotoinstitute.org/static/docs/cypherpunk-manifesto.txt. Traduction Cour des
comptes.
169
Projets Hashcash d’Adam Back (1997), B-Money de Wei Dai (1998) et Bit gold de Nick Szabo (2005).
170
Satoshi Nakamoto, Bitcoin: a peer-to-peer electronic cash system, 2008.

87
LES CRYPTO-ACTIFS : UNE RÉGULATION À RENFORCER

Bitcoin est de remplacer les tiers de confiance par une transparence complète et un
enregistrement immuable des transactions. La confiance repose non pas dans des institutions
mais dans le système lui-même. Toutes les transactions sont publiques mais la confidentialité
est garantie par l’anonymat des portefeuilles. Ce régime est qualifié de « pseudonymat ».

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