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RAPPORT D’ENQUETE DE SECURITE

www.bea.aero
@BEA_Aero

Incident grave survenu à l'Airbus A330-941N


immatriculé F-HHUG
le 17 janvier 2022
en croisière transocéanique
entre Fort-de-France (972) et Orly (94)
Heure Vers 23 h 501
Exploitant Corsair International
Nature du vol Transport commercial de passagers
Personnes à bord Commandant de bord, copilote2, 8 membres d’équipage
de cabine, 284 passagers
Conséquences et dommages Aucun

Incapacité du commandant de bord en phase de montée


lors d’un vol transatlantique, poursuite du vol, nouvelle
incapacité en croisière, déroutement
1 DÉROULEMENT DU VOL
Note : Les informations suivantes sont principalement issues de l’enregistreur de paramètres FDR3,
des témoignages, des dossiers de vol des pilotes, des enregistrements des radiocommunications
ainsi que des données radar. Les données de l’enregistreur phonique CVR n’ont pas été préservées.

L’équipage réalise le vol CRL925 entre Fort-de-France – Le Lamentin et Paris-Orly. Il sait que
l’aéroport de Fort-de-France sera fermé peu de temps après leur décollage en raison de travaux.
Lors de ce vol ETOPS4, les aérodromes d’appui prévus sont Antigua (Antigua-et-Barbuda) dans les
Caraïbes, Lajes aux Açores (Portugal) et Santiago (Espagne). Le décollage s’effectue de nuit,
à 23 h 19. Le commandant de bord (CDB) est PF et la copilote est PM.

À 23 h 27, au niveau de vol FL 130, en montée vers le FL 380, le PF engage le pilote


automatique AP15. Par la suite, l’équipage obtient la clairance océanique puis il contacte les
opérations de la compagnie (OPS) pour actualiser les informations météorologiques. L’équipage
a expliqué au BEA qu’en raison d’une panne de l’imprimante ACARS de bord, il ne pouvait pas
obtenir directement les mises à jour des données météorologiques (voir § 2.2) et devait pour
cela contacter les OPS.

1
Les heures figurant dans ce rapport sont exprimées en UTC. Le jour de l’événement, il convient d’y soustraire
quatre heures pour obtenir l’heure à Fort-de-France, d’y soustraire une heure pour obtenir l’heure à Lajes et
d’y ajouter une heure pour obtenir l’heure en France métropolitaine.
2
Ou Officier pilote de ligne (OPL).
3
Le glossaire des acronymes fréquemment utilisés par le BEA est disponible sur son site.
4
Extended-range Twin-engine Operations Performance Standards.
5
L’Airbus A330 est équipé de deux pilotes automatiques, l’AP1 étant commandé depuis la place de gauche
et l’AP2 depuis la place de droite.

septembre 2023 BEA2022-0016


Le PF explique qu’il se sent alors fatigué et qu’il souhaite se reposer un peu. La copilote précise
que le CDB ne lui a pas fait part de ce besoin de repos et qu’en conséquence la répartition des
fonctions PF/PM est restée inchangée. Il est alors environ 23 h 45, l’avion se trouve proche
du FL 300 en fin de montée.

Vers 23 h 50, peu avant d’atteindre l’altitude de croisière, la copilote constate que le CDB semble
endormi et ne répond pas lorsqu’elle lui parle ou qu’elle le secoue. Après deux tentatives de
réveil, elle utilise la phraséologie d’urgence prévue en cas d’incapacité de l’un des PNT afin de
faire venir la chef de cabine principale (CCP). Lorsque cette dernière entre dans le poste de
pilotage, le CDB est en train de reprendre ses esprits ; il explique être un peu fatigué mais aller
bien. L’avion se trouve alors à environ 200 NM de Fort-de-France.

La CCP pose des questions auxquelles le CDB répond normalement. Elle lui applique des
compresses humides sur la nuque et sur le front et mesure sa température, sa tension, son taux
d’oxygène dans le sang et sa glycémie : les résultats sont normaux, hormis un taux d’oxygène
faible (90 %)6.

À 23 h 55, la copilote demande ses intentions au CDB qui répond qu’il souhaite continuer le vol.
La CCP donne de l’oxygène au CDB qui ne comprend pas l’agitation qui l’entoure. L’avion a
atteint le niveau de croisière FL 380. La copilote prend les fonctions de PF et engage le pilote
automatique AP2.

À 0 h 10, après qu’un appel a été effectué auprès des passagers, l’une des PNC informe la CCP
qu’une passagère est médecin. Cette dernière, gastro-entérologue, est invitée à rejoindre le
poste de pilotage : après avoir reçu un exposé de la situation, elle reprend les constantes du CDB
qui sont normales. Elle diagnostique un malaise vagal qui nécessite une simple surveillance et
ajoute que le CDB devrait consulter un médecin à l’arrivée. L’équipage place la médecin en classe
affaire, à proximité du poste de pilotage, et décide de poursuivre le vol. Une PNC reste dans le
poste de pilotage.

Le CDB précise qu’il souhaite se reposer à nouveau pendant quelques temps sur son siège et
demande à la copilote de le réveiller une demi-heure plus tard.

La copilote prépare un éventuel déroutement. Elle établit un contact radio avec les OPS afin
d’obtenir des informations météorologiques en Guadeloupe, Martinique et à Antigua-et-Barbuda.
Elle reçoit de l’aide de la part de l’équipage du vol Corsair CRL927 effectuant le vol entre Pointe-à-
Pitre (971) et Paris-Orly, qui se trouve derrière, pour obtenir des mises à jour des informations
météorologiques à Lajes. L’enquête n’a pas permis de déterminer si la copilote a évoqué le malaise
du CDB lors de ces premiers échanges avec les OPS et avec l’équipage du vol CRL297.

Lorsque la copilote réveille le CDB, il répond normalement puis annonce qu’il va se reposer
encore 45 minutes. Peu avant 2 h, la copilote le réveille à nouveau et demande à la CCP et à la
médecin de revenir l’examiner : les mesures tensionnelles sont descendues à 10/6 et le taux
d’oxygène à 85 %.

6
Une bonne santé et une bonne condition physique permettent de maintenir un taux d’oxygène supérieur
à 93 % jusqu’à une altitude cabine d’environ 10 000 ft. Au FL 280, l’altitude cabine est de 5 000 ft et elle est
de 6 500 ft au FL 380.

-2-
La CCP enlève les galons des épaulettes du CDB. Après lui avoir administré de l’oxygène, la médecin
demande d’allonger le CDB dans le galley, mais ce dernier refuse afin de ne pas inquiéter les
passagers qui pourraient le voir ; il se lève et s’allonge de lui-même au sol, à l’arrière du poste de
pilotage. L’avion se trouve alors sensiblement à égale distance de Fort-de France et de Lajes, à
environ 1 200 NM des deux aéroports.

Vers 2 h 15, les constantes du CDB se sont encore dégradées. La médecin réalise des tests
neurologiques et constate que le CDB cherche ses mots et présente des signes d’aphasie 7. La
copilote contacte l’équipage du vol CRL927 pour l’informer de la situation et lui demander une mise
à jour des données météorologiques à Lajes. Afin de décharger la copilote, l’équipage du vol CRL927
se propose d’assurer la coordination avec les OPS. La copilote effectue ensuite un calcul des
performances d’atterrissage.

Vers 2 h 30, deux neurologues qui n’avaient pas été identifiés auparavant parmi les passagers se
présentent dans le galley avant où ils s’entretiennent avec la médecin gastro-entérologue. À 2 h 50,
la copilote demande un bilan de la situation médicale : la médecin explique qu’elle suspecte
un AVC8 et recommande d’atterrir au plus vite. La copilote décide de dérouter le vol vers les Açores
(Santa Maria ou Lajes).

Aucun pilote de la compagnie n’étant listé parmi les passagers, la PNC qui était restée dans le poste
de pilotage se porte volontaire pour assister la copilote et vient s’asseoir sur le siège de gauche. La
copilote lui explique le déroulement de l’approche et son rôle pour lire les check-lists.

À 2 h 52, la copilote demande à l’équipage du vol CRL927 une actualisation des données
météorologiques à Lajes. Elle l’informe également de son intention de s’y dérouter.

Vers 2 h 58, l’équipage du vol CRL927 informe les OPS que le vol CRL925 se déroute vers Lajes en
raison de l’incapacité du CDB, précisant que « d’après Necker9 c’est assez sérieux ». L’équipage du
vol CRL927 ajoute aux OPS que « c’est pas la peine de l’appeler puisqu’on va servir de relais ». Il
répète ensuite que « Necker doit être au courant ».

À 2 h 59, la copilote envoie un message d’urgence par ACARS pour déclarer PAN au contrôleur de
Santa Maria et l’informer de sa décision de déroutement. Elle applique la procédure Special
procedure for in-flight contingencies in oceanic airspace en décalant sa trajectoire de 5 NM vers la
droite et de 500 ft vers le bas. Dans le même temps, la CCP informe individuellement chaque PNC
de la situation.

7
Trouble du langage dont l'origine est une pathologie du système nerveux central.
8
Accident Vasculaire Cérébral
9
L’équipage du vol CRL297 est alors persuadé que le diagnostic avait été établi en concertation avec le SAMU
de Paris.

-3-
Figure 1 : trajectoire du vol

À 3 h 10, le contrôle de Santa Maria (Açores) contacte la copilote par liaison satellitaire pour lui
demander ses intentions. Cette dernière, ne se souvenant plus du mot anglais pour AVC (stroke),
annonce une hémorragie cérébrale (brain bleed) et déclare une situation de détresse MAYDAY.

À 3 h 40, la CCP effectue une annonce en cabine afin d’informer les passagers qu’à la suite d’un
problème médical à bord, le commandant de bord a décidé de se poser aux Açores pour que le
malade soit pris en charge par une équipe médicale.

Dans le même temps, le CDB se lève et s’installe par ses propres moyens sur le siège d’observateur
à l’arrière du poste de pilotage.

À 4 h, la copilote s’adresse aux passagers pour leur rappeler la décision de déroutement et annonce
le début de la descente. Elle réalise ensuite le briefing d’approche avec la PNC.

Après avoir été autorisée par le contrôleur à effectuer une approche ILS 15, la copilote configure
l’avion pour l’atterrissage puis réalise la check-list d’atterrissage avec la PNC. Elle atterrit en
piste 15 à Lajes à 4 h 35 et suit un véhicule de piste en direction d’un point de stationnement situé
en zone militaire, où elle arrive à 4 h 42. Après l’ouverture des portes, les secours interviennent
auprès du CDB, puis l’emmènent à l’hôpital où il restera plusieurs jours.

-4-
2 RENSEIGNEMENTS COMPLÉMENTAIRES

2.1 Conditions météorologiques

2.1.1 Informations météorologiques notées avant le décollage


La dernière information météorologique à Fort-de-France notée par l’équipage est l’ATIS « L »,
enregistré à 22 h qui mentionne un vent du 080° pour 6 kt, une visibilité de 10 km, des nuages épars
à 2 800 ft et à 3 300 ft, une température de 25 °C et un QNH de 1 014 HPa.

En plus des informations à destination, les prévisions d’aérodrome (TAF) de Lajes et de Santiago
sont également notés sur le dossier de vol.

2.1.2 Informations météorologiques notées pendant le vol


Les annotations du dossier de vol de la copilote indiquent qu’elle a pris les ATIS d’Antigua de minuit
qui indiquaient de bonnes conditions météorologiques et de Lajes de 1 h où les conditions étaient
moins favorables (pluie, nuages épars à 500 ft, fragmentés à 1 400 ft). Elle a également noté l’ATIS
de Santa Maria où les conditions étaient encore moins bonnes, proches des minima.

Plus tard, après la décision de déroutement, elle a noté à plusieurs reprises les mises à jour de Lajes
et de Santa Maria où les conditions n’avaient pas sensiblement évolué.

2.2 Renseignements sur l’imprimante ACARS de l’A330 F-HHUG


L’A330 F-HHUG est équipé d’une imprimante ACARS permettant d’imprimer des mises à jour des
différentes conditions de vol, dont les informations météorologiques.

Lors du vol précédent, l’imprimante ACARS était tombée en panne et placée sous MEL10. Les pilotes
ont expliqué au BEA que cette panne les obligeait à contacter les OPS par téléphone satellitaire
pour obtenir des mises à jour des informations météorologiques.

Contacté, le constructeur Airbus explique que la lecture des données D-ATIS11 est toujours possible
sur le MCDU. Pour d’autres aérodromes ne disposant pas de D-ATIS, il est également possible de
faire une demande par ACARS et de recevoir en retour un message des OPS contenant les mises à
jour, en format texte, sur le MCDU. Cette fonctionnalité permet également d'échanger en texte
libre des informations opérationnelles avec les OPS.

À la suite de l’événement, la compagnie Corsair a diffusé une note détaillant cette procédure auprès
de ses équipages.

2.3 Renseignements sur l’équipage

2.3.1 Commandant de bord


Le CDB, âgé de 58 ans, a d’abord eu une carrière militaire dans l’aéronavale de 1987 à 1997. Il est
titulaire d’une licence de pilote de ligne de 2001 assortie de qualifications de type sur A320 et A330
obtenues en 2001 et d’une qualification d’instructeur sur simulateur A320 de 2004 et sur
simulateur A330 de 2010.

10
Minimum Equipment List.
11
Digital Automatic Terminal Information Service (Diffusion de messages ATIS par liaison de données).

-5-
Il est ensuite devenu copilote pour plusieurs exploitants aériens dont Corsair International sur
Boeing 747, puis sur A330. Il est devenu CDB sur A330 en juin 2020. Au moment de l’incident, il
totalisait environ 16 000 heures de vol.

2.3.2 Copilote
La copilote, âgée de 40 ans, est titulaire d’une licence de pilote de ligne de 2008 assortie de
qualifications de type sur A320 de 2006 et sur A330 de 2019 et d’une qualification d’instructeur
sur A320 de 2012. Elle a volé en tant que copilote pour plusieurs exploitants aériens sur A320 de
2006 à 2012, puis sur A330 de 2012 à 2019.

Après une interruption liée à la crise sanitaire de la COVID-19, elle est entrée chez Corsair en
mai 2021. Au moment de l’incident, elle totalisait plus de 9 300 heures de vol.

2.3.3 Chef de cabine principale


La chef de cabine principale est PNC chez Corsair depuis 1996. Elle est devenue CCP
le 1er janvier 2022 et réalisait sa seconde rotation à ce poste lors du vol de l’incident.

2.3.4 PNC présente dans le poste de pilotage


La PNC qui a assisté la copilote est PNC chez Corsair depuis 2001. Elle n’a pas d’expérience
de pilotage.

2.4 Témoignages

2.4.1 Commandant de bord


Le CDB explique que les semaines ayant précédé le vol de l’incident avaient été compliquées, avec
un planning chargé depuis la reprise des vols qui avait suivi la crise sanitaire liée à la COVID 19. Il se
sentait anormalement fatigué depuis plusieurs jours.

Habitant à Toulouse, il avait l’habitude de se rendre à Paris la veille des vols. Lors du vol aller entre
Paris-Orly et Fort-de-France, la copilote était PF et le vol s’était déroulé sans particularité. À Fort-
de-France, l’équipage disposait d’un repos de 48 heures, plus long que d’habitude et laissant
suffisamment de temps pour récupérer de la fatigue du vol aller. Le CDB explique que lors de ce
laps de temps, il n’est pas parvenu à dormir correctement et qu’il est peu sorti de sa chambre. Il se
sentait fatigué et avait un peu mal à la tête. Pour autant, il n’a à aucun moment envisagé que son
état de santé ne puisse pas être compatible avec la réalisation du vol.

Il précise que le décollage du vol retour était normal et qu’il a piloté manuellement jusqu’à
environ 10 000 / 12 000 ft, comme il a l’habitude de le faire. Il savait que l’aéroport de Fort-de-
France serait fermé après leur décollage en raison de travaux.

Il indique avoir dit à la copilote qu’il se sentait fatigué et qu’il allait se reposer un peu, mais il ne se
souvient pas de s’être endormi ni d’avoir été réveillé. Il a été très surpris de voir la CCP auprès de
lui, lui demandant si tout allait bien. À ce moment, il n’avait aucunement conscience d’avoir été
victime d’une perte de connaissance.

Lorsque la médecin est intervenue, la copilote lui a demandé « on fait quoi ? », ce à quoi il n’a pas
hésité à répondre « on continue ».

-6-
Il n’a pas de souvenir de ce qui a suivi jusqu’au moment où il a quitté son siège pour s’allonger à
l’arrière du poste de pilotage, puis s’installer sur le siège d’observateur. Il a été rassuré de voir cette
PNC qu'il connaît bien s’asseoir à sa place pour aider la copilote car il sait pouvoir compter sur elle .
Il a ensuite eu une conscience intermittente de la situation et n’a pas compris que le vol avait été
dérouté. Il se souvient d’avoir été pris en charge par les services médicaux après l’atterrissage, mais
n’a plus aucun souvenir entre son transfert vers l’hôpital et le lendemain.

2.4.2 Copilote
La copilote avait déjà volé avec le CDB et s’entendait bien avec lui. Lors du vol aller, le
comportement de ce dernier lui a semblé tout à fait normal. Elle n’a rien décelé d’anormal non plus
lors de leurs discussions au départ de l’hôtel ou lors du briefing avant le vol, dans la navette qui les
menait à l’aéroport.

En cours de montée, le CDB lui a semblé endormi. Elle précise que ce dernier ne lui avait pas fait
part d’un besoin de repos. Elle l’a secoué et a pensé qu’il plaisantait en ne réagissant pas. Lors de
la seconde tentative pour ranimer le CDB, en l’absence de réaction, elle a immédiatement utilisé la
phraséologie d’urgence : la CCP est arrivée très vite, tandis que le CDB commençait à revenir à lui.

Elle a immédiatement envisagé de faire demi-tour et a demandé les conditions météorologiques à


Fort-de-France et Pointe-à-Pitre. Elle explique qu’à ce moment le CDB avait totalement repris ses
esprits et disait que tout allait bien, qu’il était juste un peu fatigué.

La copilote précise que lorsqu’une médecin est intervenue, elle n’a pas semblé inquiète, évoquant
un simple malaise vagal.

Le rétablissement rapide du CDB et son assurance ainsi que le diagnostic rassurant de la médecin
ont conforté la copilote dans son choix de suivre la décision du CDB de poursuivre le vol après ce
premier malaise, sans remettre en cause son aptitude pour exercer ses fonctions de CDB.

Après un nouveau réveil une demi-heure plus tard, le comportement du CDB lui a semblé normal
et cohérent.

Ce n’est qu’au réveil suivant, après un nouveau repos de 45 minutes environ, que les constantes
du CDB se sont nettement dégradées. La copilote s’est alors préparée à un éventuel déroutement
et l’a décidé lorsque la médecin a indiqué envisager un AVC nécessitant un atterrissage au plus vite.
L’aérodrome de Lajes était l’aérodrome d’appui prévu lors du vol ; la copilote ne l’a pas choisi en
fonction de ses capacités d’accueil médical, ne les connaissant pas.

La copilote explique avoir réalisé un briefing avec la PNC assise en place gauche pour lui expliquer
comment réaliser les différentes check-lists. Les procédures ont ainsi pu se faire « le plus
naturellement possible ».

La copilote ajoute qu’elle a su très vite que la situation en cabine était sous contrôle, ce qui a
contribué à la soulager. La présence d’une PNC dans le poste de pilotage pendant presque tout le
vol l’a également déchargée, l’assurant de pouvoir obtenir de l’aide à tout moment en cas
de besoin.

-7-
Elle savait qu’elle pouvait appeler le SAMU, mais ne l’a pas envisagé, sachant qu’une médecin se
trouvait à bord. Elle précise que dans son esprit, le recours au SAMU ne se justifie que lorsqu’aucun
médecin n’est identifié à bord.

Elle explique qu’après avoir quitté son siège le CDB intervenait épisodiquement, avec une
conscience et une élocution dégradées. Lors du roulage après l’atterrissage à Lajes, il lui a ainsi
précisé de ne pas oublier d’enclencher l’APU BLEED, mais il s’est également dit surpris de ne pas
reconnaître les voies de circulation d’Orly.

Elle ajoute que la panne de l’imprimante ACARS a ajouté une charge de travail conséquente : elle
ne pouvait pas obtenir d’actualisation des données météorologiques autrement que par un relais
radio avec les OPS ou avec le vol CRL927 qui suivait.

2.4.3 Chef de cabine principale


La CCP explique qu’elle a vu le CDB à plusieurs reprises lors de l’escale à Fort-de-France et qu’il lui
avait dit avoir mal dormi et ne pas être parvenu à faire une sieste l’après-midi avant le vol.

Lorsqu’elle a entendu la phraséologie d’urgence, elle s’est immédiatement rendue dans le poste de
pilotage où elle a vu le CDB dans une attitude inusuelle : recroquevillé sur son siège, avec la tête
penchée en avant, mais les yeux ouverts. Tandis qu’elle lui appliquait des compresses humides, elle
lui a posé plusieurs questions afin de vérifier son état de conscience et ses réactions, questions
auxquelles il a répondu correctement.

Plus tard, lorsque l’incapacité du CDB est devenue manifeste et qu’il a quitté son siège, elle a fait
l’interface entre les médecins et la copilote. Lorsque les médecins ont estimé qu’un atterrissage le
plus tôt possible était nécessaire, elle a transmis l’information à la copilote. Elle est ensuite allée
prévenir les différents PNC.

Elle précise qu’elle avait déjà été confrontée à des situations d’urgence médicale en vol, mais qu’il
s’agissait toujours de passagers, jamais d’un membre de l’équipage.

Elle ajoute que, dans son esprit, la procédure est de vérifier si un médecin se trouve à bord et de
ne contacter le SAMU que dans le cas où il n’y aurait pas de médecin parmi les passagers.

2.4.4 PNC présente dans le poste de pilotage


La PNC explique qu’elle connaissait le CDB et avait déjà volé avec lui, mais qu’elle ne connaissait
pas la copilote. Lors du vol de l’incident, elle se trouvait dans le galley avant avec la CCP. Lorsqu’elle
a entendu la phraséologie d’urgence, elle a porté assistance à la CCP pour lui fournir des
compresses humides.

Après la première perte de connaissance du CDB, elle n’a pas identifié de signe évoquant un AVC
tel que ceux présentés dans le manuel sécurité-sauvetage (MSS 8.5.7, voir §2.6.10).

Après qu’elle eut pris place dans le poste de pilotage, la copilote lui a expliqué comment réaliser
les check-lists à l’aide d’une tablette dédiée, ce qu’elle n’avait jamais fait auparavant. Elle précise
que durant les check-lists, la copilote paraissait sereine.

-8-
2.4.5 Médecin
La médecin gastro-entérologue s’est fait connaître lorsque la CCP a fait un appel parmi les
passagers. Elle précise n’avoir aucune connaissance aéronautique et ne pas connaître le travail en
équipage dans un avion.

Lorsqu’elle est entrée dans le poste de pilotage pour la première fois, le CDB semblait « ralenti »,
mais reprenait ses moyens. Les signes observés lui ont fait penser à un malaise vagal.

Ce n’est que lorsqu’elle est revenue une seconde fois qu’elle a constaté que les constantes s’étaient
dégradées et que le CDB présentait des difficultés d’élocution. C’est alors qu’elle a suspecté la
survenue d’un AVC ou d’un AIT 12 (voir § 2.5.1) et qu’elle en a discuté avec d’autres médecins qui se
trouvaient à bord. À l’issue de ces échanges, elle a estimé qu’une prise en charge du CDB le plus
rapidement possible était nécessaire.

Elle ajoute qu’elle est intervenue auprès du CDB de la même façon que s’il s’était agi d’un passager :
elle s’est préoccupée de sa prise en charge médicale sans prendre en compte sa fonction de pilote
et les éventuelles répercussions sur la sécurité du vol qu’elle ne connaît pas.

2.5 Renseignements médicaux

2.5.1 Accident Vasculaire Cérébral (AVC) et Accident Ischémique Transitoire (AIT)


L’AVC est une pathologie à risque vital ou entraînant des séquelles neurologiques graves et souvent
irréversibles 13. Un AVC doit être considéré comme une urgence médicale absolue. L’AIT est tout
aussi grave.

Les signes d’un AVC sont multiples et ne sont pas systématiquement tous présents : malaises, maux
de tête, nausées, chaleurs, vomissements, faiblesse ou engourdissement, pertes d’équilibre, signes
neurologiques, troubles de la vue, de l’élocution, paralysie de membre, du visage, comportement
inexpliqué, tension artérielle souvent élevée. Ces symptômes ne sont pas spécifiques à un AVC :
leur identification permet de suspecter un AVC, mais non de le diagnostiquer.

Un AIT peut se manifester par des symptômes similaires qui disparaissent en quelques minutes.
L'urgence et la nécessité d'une prise en charge adaptée sont identiques car le risque de faire un AVC
à court terme est élevé.

En cas de suspicion d’un AVC ou d’un AIT, une prise en charge médicale en urgence permet
d'améliorer considérablement les chances de survie et de rétablissement.

12
Accident ischémique transitoire.
13
L’AVC peut être hémorragique (15 % des cas), un saignement de vaisseau provoque une compression du
cerveau dans la boite crânienne, ou ischémique (infarctus cérébral, 85 % des cas), un vaisseau obstrué
entraîne un manque d’oxygène dans une partie du cerveau

-9-
2.5.2 Renseignements sur les malaises du pilote
L’enquête n’a pas identifié d’antécédents médicaux ni de traitement en cours chez le CDB.

Avant le vol et depuis plusieurs jours, le CDB présentait un état de fatigue prononcé. Il est resté au
repos dans sa chambre d’hôtel pendant l’essentiel de l’escale à Fort-de-France et y a ressenti des
maux de tête. Il n’a pas été possible de déterminer s’il a été victime de malaises dont il n’aurait pas
eu conscience lors de ce temps de repos ou antérieurement à la rotation.

Les premières manifestations de malaise ont été formellement identifiées par la copilote
vers 23 h 50, environ une demi-heure après le décollage de Fort-de-France, lorsque le CDB a perdu
connaissance et n’a pas répondu aux sollicitations de la copilote. Après cette première perte de
connaissance, les PNC et la médecin n’ont pas identifié de symptôme d’un AVC. Le retour à un état
de conscience apparemment normal ne les a pas incitées à envisager un quelconque risque vital et
le faible taux d’oxygène dans le sang n’a pas constitué une alerte. Ce retour à un état apparemment
normal ainsi que le diagnostic rassurant de la médecin n’ont pas incité la copilote à remettre en
cause l’aptitude du CDB pour exercer ses fonctions.

À l’issue de deux nouveaux repos, les constantes ont continué à se dégrader et des troubles de
l’élocution sont apparus, obligeant le CDB à s’allonger au sol à l’arrière du poste de pilotage. La
suspicion d’un AVC a été prononcée vers 2 h 50, soit trois heures après l’identification du
premier malaise.

La prise en charge du CDB par les secours est intervenue vers 4 h 45, soit près de cinq heures après
la constatation du premier malaise 14.

Les examens réalisés lors de l’hospitalisation du CDB n’ont pas mis en évidence la survenue
d’un AVC. Un AIT sans séquelle est suspecté.

2.6 Procédures de l’exploitant


Le manuel d’exploitation de Corsair comprend différentes sections, dont la partie A essentiellement
destinée aux PNT et le manuel sécurité-sauvetage (MSS) qui s’adresse à tout l’équipage.

2.6.1 Partie A 1.5.1 : Responsabilités de chaque membre d’équipage


Ce chapitre met en avant l’autoévaluation de l’état de santé des membres d’équipage sans fournir
de véritable critère pour cette autoévaluation. Il précise notamment que « un membre de
l'équipage ne doit pas exercer de fonctions sur un avion s’il sait qu’il est fatigué ou estime être
fatigué, ou s’il ne se sent pas en état au point que le vol puisse être mis en danger . »

2.6.2 Partie A 8.3.2.1 Procédures standard


Répartition des tâches - Généralités - règles de sécurité
Les procédures standard décrivent les principes permettant d’assurer la sécurité du vol, en
établissant que les pilotes doivent être en état d’exercer leurs fonctions respectives afin de faire
face à toute situation anormale.

14
Notamment dans le cas d’un AVC ischémique, soit 85 % des cas, l’injection d’un médicament visant à
dissoudre le caillot doit être pratiquée dans les 4 h 30 après la survenue de l’AVC.

- 10 -
La partie relative à la coordination et au contrôle mutuel précise que « à l’exception des périodes
de vol où un PNT prend un repos court, les membres de l’équipage de conduite doivent se compléter
et se contrôler mutuellement afin d’assurer la sécurité du vol. »

Ce chapitre définit également un repos court à bord en équipage non renforcé : « Si un PNT ressent
en vol la nécessité d’une prise de repos, celle-ci sera envisagée dans les conditions suivantes :
• Accord du Commandant de Bord ;
• Le repos est pris à son poste de travail ;
• Le repos ne peut être envisagé que pendant la croisière ;
• Le repos n’excédera pas 40 mn ;
• Le passage d’un PNC au poste de pilotage ou le contact interphone est prévu toutes
les 30 mn sur les vols de jours et toutes les 20 mn sur les vols de nuit. »

2.6.3 Partie A 4.3.1 et MSS 4.3.1 : Règle de succession du commandement en cas


d’incapacité physique de l’équipage de conduite
La rédaction de ce chapitre est identique dans le manuel d’exploitation et dans le MSS. Dans le cas
de l’incapacité du CDB, il précise que sa fonction se trouve transférée à l’OPL assis à droite lorsque
l’équipage ne comprend pas deux CDB.

La Partie A 4.3.1 du manuel d’exploitation renvoie au chapitre A 8.3.14 pour les consignes et
procédures en cas d’incapacité d’un membre de l’équipage technique.

2.6.4 Partie A 8.3.14.1 : Défaillance physique d’un PNT en vol


En préambule, ce chapitre précise que « La perte de capacité partielle ou totale d’un membre
d’équipage de conduite est une situation d’urgence ».

Il décrit des moyens de détecter une perte de capacité partielle ou totale : « En dehors des cas
évidents, les observations ci-dessous doivent faire penser à une défaillance physique :
• Après constatation d’écart par rapport aux procédures normales ou au profil standard de
vol, l’écart est annoncé sans réaction appropriée ;
• Le comportement général est anormal ;
• Pas de réponse correcte à deux questions évidentes. »

Il fournit une procédure à appliquer à l’attention du ou des PNT valides : « En cas d’incapacité
partielle ou totale d’un PNT, le ou les membres d’équipage valides assureront la sécurité du vol par
réorganisation du cockpit selon le schéma suivant :
• Assurer en premier lieu le contrôle vitesse/trajectoire de l’avion (Pilote
Automatique, Automanette).
• Immobiliser le membre de l’équipage invalide sur son siège à l’aide des harnais (pas
d’interférence avec les commandes de vol) ou éventuellement l’évacuer en cabine avec
l’aide du PNC.
• Prodiguer si disponible, une assistance médicale en cabine.
• Alerter le contrôle (message d’urgence et assistance médicale).
• Contacter le SAMU NECKER via SATCOM
• Atterrir sur l’aérodrome le plus approprié. »

Contrairement au MSS, la coordination avec les PNC au moyen de la phraséologie d’urgence et


l’assistance éventuelle d’un PNC dans le poste de pilotage ne sont pas abordées dans ce chapitre.

- 11 -
Contrairement au MSS également, ce chapitre de la partie A du manuel d’exploitation demande de
contacter le SAMU de manière systématique, même en présence d’une perte de capacité partielle
et d’atterrir sur l’aérodrome le plus approprié.

2.6.5 MSS 15.2.8 : Procédures d’urgence – Incapacité PNT


Ce chapitre décrit les procédures d’urgence relatives à l’incapacité en vol de l’un des PNT. Le MSS
précise qu’en cas d’incapacité de l’un des pilotes, le PNT valide prévient les PNC au moyen de la
phraséologie d’urgence « Ici le poste de pilotage, chef de cabine au poste ». Le CCP (ou CC) doit se
rendre immédiatement au poste de pilotage tandis que les autres membres de l’équipage de cabine
rangent et sécurisent le matériel hôtelier et rejoignent leur poste.

De façon générale, ce chapitre s’adresse aux PNC et notamment aux CCP/CC. La procédure est
différente de celle qui figure dans la partie A 8.3.14.1. Le CCP/CC doit :
• prendre en charge le PNT invalide ;
• immobiliser le PNT invalide sur son siège à l'aide des harnais ;
• basculer le siège du PNT ;
• en cas d’extraction de siège, ouvrir la porte du poste de pilotage ;
• éventuellement l'évacuer en cabine avec l'aide d'un PNC (extraction de siège) ;
• retirer les galons ;
• prodiguer les premiers soins ;
• faire un appel médecin.

La rédaction de ce chapitre diffère de celle de la partie A 8.3.14.1. Ainsi, il ne décrit pas les moyens
de détecter et de qualifier une perte de capacité partielle ou totale.

Une note précise que « Un PNC pourra être amené à assister le PNT valide au cockpit à sa demande
(lecture check-list…) ». Bien que cela ne figure pas dans le MSS, la formation délivrée par l’exploitant
aux PNC recommande dans ce cas de désigner le PNC le moins expérimenté dans sa fonction de PNC
afin d’aider le PNT valide.

Lors des entraînements annuels des PNC, le cas de l’incapacité d’un PNT est rappelé
systématiquement à l’aide d’une vidéo pédagogique. Cette vidéo est ancienne et montre des
procédures et des outils applicables au Boeing 747, type d’avion qui n’est plus en service
chez Corsair depuis plusieurs années. Également, elle ne montre pas des outils récents qui ont été
mis à la disposition des PNC entre temps.

Cette partie du MSS préconise de faire appel à un médecin à bord, mais ne mentionne pas le recours
au SAMU, contrairement à la partie A 8.3.14.1.

2.6.6 MSS 8.2.1 : Demande d’aide médicale en vol


Ce chapitre du MSS aborde essentiellement, et de façon implicite, le cas d’une urgence médicale
affectant un passager. Il rappelle qu’après une première analyse, l’équipage doit « demander l'aide
d'un médecin éventuellement à bord et dans les cas d’urgence vitale appeler complémentairement
le SAMU. »

L’équipage dispose d’une ligne d’urgence pour contacter le SAMU de Paris qui gère historiquement
les demandes de régulation médicale des aéronefs français : « En cas de problème engageant le
pronostic vital, le SAMU de Paris doit être toujours appelé complémentairement à l’appel médecin. »

- 12 -
Ce chapitre du MSS précise également le rôle du SAMU : « optimiser la prise en charge médicale à
distance par l’assistance et les conseils d’expert. (…)
Le SAMU est en mesure :
• De répondre à toute demande de conseil.
• De participer à l’organisation d’une assistance au sol 15.
• Les conseils du SAMU sont considérés comme des éléments objectifs sur lesquels le
commandant de bord s’appuie pour prendre sa décision.
• Les communications du SAMU sont enregistrées, elles ont en cas de problème une
valeur médicolégale. »

2.6.7 MSS 8.3.6 : Matériel de secourisme – kit diagnostic


Le chapitre 8.3 détaille le matériel de secourisme dont dispose l’équipage, notamment un
tensiomètre et un oxymètre de pouls (ou saturomètre). Il précise que « Les valeurs habituelles de
saturation en O2 au sol pour une personne en bonne santé (normo bars), sont comprises entre 100%
et environ 97%. À 2 400 mètres (7 500 pieds, altitude cabine moyenne) le taux de saturation peut
diminuer légitimement de 96% à 93%. (…) En cas de malaise et de SPO2 basse, de l’oxygène lui est
apporté en complément. Faire un appel médecin. »

Au FL 280, après la première perte de connaissance du CDB où son taux en oxygène a été mesuré
à 90 %, l’altitude cabine était de 5 000 ft. Elle était de 6 500 ft en croisière au FL 380 lorsque le taux
en oxygène du CDB a été mesuré à 85 %.

2.6.8 MSS 8.4.3 : La perte de connaissance


Le MSS décrit les signes d’une perte de connaissance ainsi : « La victime ne répond pas et n’a pas
de réactions normales face aux questions simples et ordres simples, elle respire. »

Il y est précisé qu’il s’agit d’un risque vital et que l’appel à un médecin doit être accompagné d’un
appel au SAMU : « Le SAMU de PARIS doit être toujours alerté complémentairement à l’appel
médecin, pour assister et conseiller l’équipage durant une intervention mettant en jeu le pronostic
vital. Les Opérations de la compagnie seront aussi informées de la détresse vitale à bord. »

2.6.9 MSS 8.5.2 : Les malaises


Les malaises sont décrits dans ce chapitre du MSS comme étant fréquents à bord. Notamment, le
malaise vagal qui « survient souvent chez le sujet jeune et en bonne santé (…) le retour à la conscience
est presque immédiat. »

Ce chapitre du MSS n’associe pas un malaise à un risque vital immédiat. Notamment, il ne précise pas
de façon explicite comment distinguer une perte de connaissance (nécessitant l’appel du SAMU) d’un
malaise. Il ne distingue pas non-plus le cas où le malaise affecte l’un des PNT.

2.6.10 MSS 8.5.7 : Accident vasculaire cérébral


Ce chapitre du MSS précise qu’un « AVC peut se produire à tout âge, avec pour répercussion de gros
handicaps physiques et mentaux conséquence de séquelles neurologiques irréversibles. La mortalité
après une année est de 40%. »

15
Le SAMU dispose notamment d’informations actualisées sur les capacités de prise en charge médicale en
fonction de la pathologie du patient et des destinations envisageables.

- 13 -
Le MSS fait appel à la méthode FAST 16 pour détecter un possible AVC et décrit les symptômes les
plus fréquents. Il précise qu’un AVC sera suspecté en cas d’apparition d’au moins l’un de ces
symptômes et qu’il s’agit d’un risque vital qui nécessite l’appel d’un médecin et du SAMU. Le
déroutement après contact du SAMU et l’accord du CDB peut être envisagé.

2.6.11 Partie A 2.4.1 : Irrégularités – Choix de l’aérodrome de déroutement


Ce chapitre précise que « lorsque le choix est opérationnellement possible entre plusieurs
aérodromes en cas de déroutement, le Commandant de Bord prend en compte les conditions de
dépannage, de réacheminement des passagers, d’hébergement, etc. »

De façon générale, la documentation de l’exploitant ne caractérise pas les aéroports en fonction


des capacités de prise en charge médicale sur place.

2.7 Manuel de Médecine Aéronautique – Partie I, Chapitre 3


Incapacité en vol d’un membre d’équipage de conduite
Le Manuel de Médecine Aéronautique est édité par l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale
(OACI), sous la référence Doc 8984.

Le chapitre 3 de la partie I pose les principes de la gestion en vol des incapacités des membres
d’équipage. L’incapacité y est définie, du point de vue opérationnel, comme « tout état
physiologique ou psychologique ayant des effets défavorables sur l’exécution des fonctions ».

Les représentations des incapacités renvoient le plus souvent à un phénomène brusque qui affecte
visiblement le personnel concerné. Pourtant, le paragraphe 3.1.21 précise qu’elles peuvent
apparaître comme des « incapacités subtiles, souvent de nature partielle, (qui) peuvent être
insidieuses car le pilote affecté pourrait être apparemment en bonne forme et rester aux
commandes, mais avec un niveau de performance qui n’est pas optimal. Le pilote pourrait n’être
pas conscient du problème ou n’être pas capable de l’évaluer rationnellement. »

En conclusion du chapitre, le document souligne que « l’incapacité de pilotes en vol est un danger
pour la sécurité et l’on sait qu’elle a été cause d’accidents. (…) L’incapacité peut se produire sous
différentes formes, depuis la mort soudaine jusqu’à une perte partielle de fonction qu’il n’est pas
facile de détecter, et elle s’est produite dans tous les groupes d’âge des pilotes et à toutes les phases
de vol. (…) L’instruction et l’entraînement de l’équipage de conduite concernant les mesures à
prendre en cas d’incapacité en vol d’un pilote devraient inclure une prompte reconnaissance de
l’incapacité, ainsi que les mesures appropriées à prendre par les autres membres de l’équipage
de conduite. »17

16
Face (paralysie faciale), Arms (paralysie de membre), Speech (altération du langage), Time (risque vital et
facteur temps, donc agir vite).
17
Le BEA a publié en février 2011 un bulletin Incident en Transport Aérien (ITA n°12) consacré aux incapacités
d’équipages de conduite.

- 14 -
3 CONCLUSIONS
Les conclusions sont uniquement établies à partir des informations dont le BEA a eu connaissance
au cours de l’enquête. Elles ne visent nullement à la détermination de fautes ou de responsabilités.

3.1 Scénario
Lors d’un vol transatlantique nocturne entre Fort-de-France et Paris-Orly, le CDB s’est senti fatigué
en fin de montée et a perdu connaissance peu après. Quelques minutes plus tard, la copilote a
constaté que le CDB ne répondait pas à ses sollicitations. Après deux tentatives pour le réveil ler,
elle a fait venir la chef de cabine principale (CCP) en utilisant la phraséologie d’urgence prévue
en cas d’incapacité de l’un des PNT. La CCP est arrivée au moment où le CDB reprenait
progressivement ses esprits.

Une première analyse réalisée par la CCP a amené l’équipage à faire appel à une médecin présente
parmi les passagers et qui a diagnostiqué un simple malaise vagal.

Après environ deux heures et plusieurs repos successifs, l’état de santé du CDB s’est encore dégradé
tandis que l’avion se trouvait au milieu de l’Atlantique, sensiblement à égale distance de Fort-de-
France et de l’archipel des Açores.

Lorsque la médecin a suspecté un AVC et en a fait part à la copilote, celle-ci a réattribué les rôles
au sein de l’équipage et décidé un déroutement en urgence vers Lajes (Açores). Même si les
capacités d’hospitalisation à destination se sont révélées adaptées, ce critère n’a pas fait partie du
processus de décision, la copilote ne disposant pas de cette information.

La copilote a atterri à Lajes, où le CDB a été pris en charge et hospitalisé pendant plusieurs jours.

3.2 Facteurs contributifs

3.2.1 État de santé du CDB avant le vol et décision d’entreprendre le vol


Le CDB ressentait un état de fatigue depuis plusieurs jours. Lors du repos à Fort-de-France, il n’est
pas parvenu se reposer et a mentionné avoir ressenti des maux de tête. Il est probable qu’avant le
vol son état de santé était déjà dégradé et il est même possible qu’il ait déjà subi un malaise dont
il n’aurait pas eu conscience.

Il n’a à aucun moment envisagé que son état de santé puisse ne pas être compatible avec la
réalisation du vol.

Ceci illustre le caractère insidieux d’une incapacité subtile et la difficulté que représente
l’autoévaluation de son propre état de santé pour un membre d’équipage face à la responsabilité
de ne pas être en mesure de remplir sa mission.

3.2.2 Décision de poursuivre le vol


Lors de la première perte de connaissance du CDB, la copilote s’est interrogée sur la poursuite du
vol et a demandé ses intentions au CDB. L’aptitude du CDB pour exercer ses fonctions n’a pas été
remise en cause, il n’y a pas eu de transfert de responsabilité et le CDB a pris la décision de
continuer le vol. La copilote ne s’y est pas opposée sur la base de plusieurs éléments :
• le CDB avait repris ses esprits et se comportait normalement ;

- 15 -
• le CDB était formel sur sa capacité à poursuivre le vol ;
• en se référant au Manuel Sécurité Sauvetage (MSS), les PNC n’ont pas associé les
symptômes observés à un risque vital ;
• la médecin présente à bord a associé les symptômes initialement observés à un
probable malaise vagal : son diagnostic était rassurant.

L’absence initiale de réactions du CDB lors des tentatives de réveil par la copilote n’a pas été
considérée comme un signe d’alerte suffisant pour le déclarer en incapacité, de même que les deux
demandes de repos qui ont suivi.

Ceci illustre la difficulté à identifier et à confirmer une incapacité partielle ou temporaire et par
conséquent à décider le transfert de la fonction de CDB tel que prévu dans les procédures
des exploitants.

3.2.3 Conscience de la situation par les OPS


Les communications entre la copilote et les OPS ont été assurées par l’équipage du vol CRL927.
L’écoute de ces communications indique que l’équipage du vol CRL297 était persuadé que le
diagnostic avait été établi en concertation avec le SAMU et a transmis cette information erronée
aux OPS qui n’avaient plus de contact direct avec la copilote.

Si ce relais a permis de soulager la charge de travail de la copilote, il a diminué la conscience de la


situation des OPS qui n’ont pas suggéré à la copilote de contacter le SAMU.

3.2.4 Gestion de la charge de travail de la copilote


La copilote a été aidée dans la gestion du vol par la cohésion et le calme de l’équipage de cabine.
Notamment, la CCP et la PNC présente dans le poste de pilotage l’ont assistée efficacement dans le
déroulement du vol, tandis que le reste de l’équipage maintenait une situation calme dans
la cabine.

À l’inverse, la panne de l’imprimante ACARS a surchargé la copilote dans la gestion du déroutement.


Elle a expliqué qu’elle n’était notamment pas en mesure d’obtenir directement des mises à jour
des informations météorologiques et devait avoir recours à un relais pour les obtenir.

3.3 Enseignements de sécurité

Recours de l’équipage aux conseils du SAMU


Face à un problème médical en vol, les équipages, notamment commerciaux, sont entraînés à
appliquer des procédures visant à établir en premier lieu le degré d’urgence et si un risque vital
existe pour la personne concernée, que celle-ci soit un passager ou un membre de l’équipage.

Dans le cas de l’incapacité d’un PNT, au risque vital pour la personne s’ajoutent les particularités
associées à sa fonction de pilote et les éventuelles répercussions sur la sécurité du vol qui
concernent l’ensemble des personnes à bord. Les répercussions sur le PNT valide peuvent être
importantes, notamment pour gérer une situation anormale telle qu’une panne ou des conditions
météorologiques dégradées. Un médecin présent à bord ne connaît pas ces particularités et ne peut
pas en tenir compte dans l’établissement de son diagnostic et des mesures à prendre.

- 16 -
Le chapitre 8.3.14.1 de la partie A du manuel d’exploitation de Corsair précise qu’en cas de perte
de capacité physique, même partielle, de l’un des PNT, il convient de contacter le SAMU. Cette
exigence ne figure pas dans le Manuel sécurité sauvetage (MSS) qui ne recommande l’appel
au SAMU qu’en cas d’urgence vitale, sans distinguer le cas où le malade est un PNT.

L’identification et la confirmation de l’incapacité du CDB ont été rendues difficiles par les
symptômes non évidents et par son retour à un état de conscience normal après la première perte
de connaissance. La copilote savait pouvoir recourir aux conseils du SAMU, mais ne l’a pas envisagé,
pensant que cela ne se justifiait que lorsqu’aucun médecin n’est identifié à bord.

Après la première perte de connaissance du CDB, assimilable à un endormissement, la copilote n’a


pas considéré que ce dernier n’était plus de fait en mesure d’évaluer sa propre aptitude et sa
capacité à poursuivre le vol. Sans remettre en cause la pertinence du recours à un médecin à bord,
un contact avec le SAMU aurait pu permettre d’optimiser la prise en charge médicale à distance. Il
aurait fourni à la copilote une assistance objective pour l’aider à prendre sa décision dès la première
perte de connaissance. Sans contact avec le SAMU, elle ne pouvait se baser que sur des
avis subjectifs :
• celui du CDB, qui n’avait pas une pleine conscience de la situation ;
• celui, rassurant à l’issue de la première perte de connaissance, de la médecin qui n’est pas
spécialiste de la médecine d’urgence, qui n’avait aucune connaissance aéronautique et qui
ne pouvait pas prendre en compte les conséquences opérationnelles de la perte de
connaissance du CDB ;
• ceux de la CCP et de la PNC qui ne reconnaissaient pas les symptômes d’un AVC tels que
décrits dans le MSS, ce dernier orientant initialement vers un simple malaise sans risque
vital associé.

Prise en compte des capacités de prise en charge médicale en cas de déroutement


L’aérodrome de Lajes était l’un des aérodromes d’appui prévus. Même s’il dispose effectivement
de capacités de prise en charge médicale adaptées, la copilote ne disposait pas de ces informations
et le déroutement vers Lajes n’a pas été choisi pour ces raisons.

Le recours au SAMU aurait pu permettre à la copilote de disposer de cette information pour prendre
sa décision. Cette information aurait également pu être présentée dans la documentation
de l’exploitant.

À titre de comparaison, la compagnie Air France a mis en place depuis 2021 un programme de
gestion des événements médicaux en vol. L’un des objectifs affichés est d’apporter des éléments
pratiques pour aider les équipages dans leur prise de décision, tout en évitant des déroutements
médicaux non nécessaires.

En cas d’événement médical à bord d’un vol Air France, l’équipage contacte le Centre de contrôle
des opérations (CCO) qui contacte ensuite le SAMU pour établir une communication à trois. Le rôle
du SAMU est alors d’établir le diagnostic médical et d’identifier des situations nécessitant
un déroutement.

En parallèle, la documentation à disposition des équipages (Manuel Statut Aérodromes) d’Air


France comporte des informations relatives aux capacités médicales des terrains accessibles et à la
stratégie opérationnelle optimale identifiée par le CCO. Cette cartographie commune à l’équipage

- 17 -
et au CCO permet un gain de temps dans l’élaboration d’une stratégie partagée. Les principes
d’utilisation associés sont précisés dans les parties A et C du Manuel d’exploitation.

Les terrains « d’appui médical » sont validés collégialement par le SAMU, le service médical d’Air
France et ses escales. Le processus est réactualisé deux fois par an.

En parallèle, Air France a mis en place un programme appelé « Communauté de médecins ». Des
médecins sont présélectionnés selon leurs qualifications médicales (urgentistes, anesthésistes...)
pour répondre aux urgences les plus couramment rencontrées en vol. Leur présence à bord est
signalée à l’équipage dans la liste des passagers. Ces médecins ont suivi une formation afin de
définir leur rôle :
• le CDB est seul responsable de la sécurité du vol et prend toute décision ;
• son autorité est supérieure à celle de l’autorité médicale éventuellement présente à bord ;
• en pratique, la décision du CDB prend en compte, le plus souvent, l’avis du médecin
voyageur « volontaire » requis par l’équipage ;
• la situation juridique du médecin est couverte par les assurances en responsabilité civile de
la compagnie au même titre que ses propres employés.
La présence de l’un de ces médecins à bord ne dispense pas de l'appel vers le SAMU.

Lors du vol de l’incident, disposer d’une telle cartographie de terrains d’appui médical aurait pu
aider la copilote dans sa décision de déroutement, en ne se basant pas uniquement sur les
aérodromes d’appui initialement prévus.

3.4 Mesures prises par Corsair


Corsair a pris certaines mesures à la suite de cet incident grave :
• les parties 8 et 15 du MSS ont été modifiées et précisent qu’en « cas d’incapacité partielle,
totale, ou en cas de doute sur la nature de l’incapacité d’un PN à bord, l’appel au SAMU
par SATCOM doit obligatoirement être effectué par le PNT, même en cas de présence à bord
d’un médecin. » Cette mise à jour détaille le rôle du SAMU en complément du recours à un
éventuel médecin à bord, tout en précisant les rôles de chacun ;
• une « Fiche Médicale d’Urgence » a été élaborée et jointe à chaque trousse médicale
d’urgence et aux Défibrillateurs Automatisés Externes (DAE) présents dans l’avion. Elle doit
permettre aux PNC ou au médecin présent à bord de recueillir, avant l’appel, les
informations qui permettront au SAMU d’apprécier la situation ;
• une communication interne de sensibilisation a également été réalisée auprès des
personnels navigants de Corsair sur le sujet de l’incapacité d’un personnel navigant et sur
le caractère obligatoire de l’appel au SAMU, même dans le cas où un médecin a été identifié
à bord ;
• Corsair a informé le BEA que le sujet est désormais abordé en détail lors de la formation
commune Facteurs Humains PNT/PNC.

Enfin, d’autres prescriptions d’ordre médical sont en discussion au sein de la commission sécu rité
des vols de la compagnie, notamment au sujet de la formation des équipages ou des capacités
médicales sur les différentes destinations.

Les enquêtes du BEA ont pour unique objectif l’amélioration de la sécurité aérienne et ne visent
nullement à la détermination de fautes ou responsabilités.

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