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Politique étrangère

Les relations nippo-coréennes et les traités de Tokyo du 22 juin


1965
Lazar Focsaneanu

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Focsaneanu Lazar. Les relations nippo-coréennes et les traités de Tokyo du 22 juin 1965. In: Politique étrangère, n°4-5 - 1965
- 30ᵉannée. pp. 369-409;

doi : 10.3406/polit.1965.2237

http://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1965_num_30_4_2237

Document généré le 21/04/2016


LES RELATIONS NIPPO-CORÉENNES

ET LES TRAITÉS DE TOKIO DU 22 JUIN 1965

I. INTRODUCTION ET RAPPEL HISTORIQUE.

1. Généralités. Après quatorze années de négociations, le


Japon et la République de Corée (Corée du Sud) ont conclu,
le 22 juin 1965, une série d'accords tendant à établir des
relations normales entre ces deux pays.
Or, les deux Etats paraissent faits pour s'entendre, car les
données objectives de la politique et de l'économie
internationales tendaient à les rapprocher. Sur le plan politique, tous
les deux étaient et sont engagés dans une lutte sans répit
contre l'expansion communiste. Dans le domaine
économique, le Japon hautement industrialisé et la Corée agricole,
insuffisamment développée et dévastée par une guerre
destructrice, constituent un exemple typique d'espaces
géographiques complémentaires. Si, après la deuxième guerre
mondiale, il a néanmoins fallu aux deux pays quatorze ans pour
établir entre eux des relations normales, c'est que de puissants
facteurs psychologiques avaient rendu leur rapprochement
difficile. L'origine de ces facteurs se trouve dans l'histoire et
dans la géographie.

2. Les données géographiques. La Corée, que le langage


fleuri de l'Extrême-Orient désignait comme le « Pays du
matin calme » ou le « Royaume ermite » constitue, depuis la
fin de la deuxième guerre mondiale, un pays divisé. Le 38e
parallèle sépare la République populaire démocratique de
Corée (Corée du Nord), de la République de Corée (Corée du
Sud). Le territoire de la République de Corée représente
moins de la moitié de la surface totale du pays (environ
99.200 km2 sur un total de 220.800 km2), mais la Corée du Sud
comptait, en 1960, une population de près de 25 millions
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d'habitants, tandis que la population de la Corée du Nord


n'était que de 10 millions.
Vers la fin du xixe siècle, la Corée était un petit royaume
d'environ 13 millions d'habitants, situé entre trois grands
empires : la Chine, le Japon et la Russie. Cette situation
géographique devait avoir des conséquences tragiques pour
le peuple coréen qui s'est vu entraîné dans les rivalités et les
intrigues des trois puissances environnantes.

Sur le continent asiatique, la Corée a une longue frontière


commune avec la Mandchourie, qui était une « dépendance
extérieure » de l'empire chinois. La frontière sino-coréenne
suit le cours du Yalou, à l'Ouest, celui du Toumen, à l'Est.

Depuis 1860, la Corée a aussi une frontière avec la Sibérie


russe, actuellement soviétique. Cette frontière est très courte.
Elle mesure à peine 17 km. et se situe à l'embouchure du
Toumen.

Enfin, le détroit de Corée sépare ce pays du Japon. Pour


l'Empire nippon, la péninsule coréenne a toujours présenté
une importance de premier ordre, car cette péninsule constitue
la partie du continent asiatique la plus proche de l'archipel
japonais. On a dit, non sans raison, que la Corée était pour
le Japon ce que la Belgique était pour l'Angleterre.
L'installation d'une grande puissance dans la péninsule constituerait
une menace pour la sécurité militaire de l'Empire du Soleil
Levant. Par ailleurs, la Corée fut la route classique des
entreprises militaires nippones sur le continent asiatique.

3. Les facteurs historiques d'inimitié entre les peuples de


Corée et du Japon. Depuis la fin du XIVe siècle, les côtes de
Corée étaient ravagées par les pirates japonais, ce qui créait
un climat d'irritation dans la péninsule.

En 1592, Hidéyochi, le grand chef politique et militaire du


Japon, décida d'envahir la Chine. Une puissante armée
japonaise débarqua en Corée et occupa le pays, jusqu'à la frontière
chinoise. Les armées de Pékin refoulèrent l'envahisseur, mais
les Japonais ne quittèrent définitivement la péninsule qu'en
1598. L'expédition de Hidéyochi plongea le peuple coréen
dans la misère, car la famine et les épidémies vinrent s'ajou-
TRAITÉS DE TOKYO 371

ter aux atrocités de la guerre. L'invasion de 1592-1598 laissa


subsister en Corée une profonde rancune contre les Japonais.
En 1876, le gouvernement de Séoul, sous la contrainte d'une
démonstration navale, s'est vu obligé d'ouvrir son pays au
commerce japonais. Aux termes du traité de Kanghoa, signé
le 26 février 1876, la Corée consentait à établir des relations
diplomatiques et consulaires avec le Japon et s'engageait à
lui donner accès à trois de ses ports. La Corée accordait, en
outre, aux Japonais, le bénéfice de l'exterritorialité.
Enfin, par le même traité de Kanghoa, le gouvernement
coréen répudiait la suzeraineté séculaire de la Chine et se
déclarait indépendant.
« La Corée étant un Etat indépendant, jouit des» mêmes
droits souverains que le Japon ».

4. Ouverture de la Corée. La Chine ne reconnut pas la


déclaration d'indépendance de la Corée contenue dans le traité
de Kanghoa. Elle s'efforça de reprendre son influence à la
cour de Séoul.
Pour neutraliser l'influence japonaise, elle conseilla au
gouvernement coréen de conclure des traités similaires avec les
puissances occidentales et de se servir de ces dernières pour
contenir le Japon.
S'inspirant de ces conseils, le gouvernement coréen conclut
des traités d'amitié et de commerce avec les Etats-Unis (22
mai 1882), la Grande-Bretagne (26 novembre 1883),
l'Allemagne (26 novembre 1883), l'Italie (26 juin 1884), la Russie (25
juin - 7 juillet 1884), la France (4 juin 1886). Aux termes de
ces traités, la Corée ouvrait plusieurs de ses ports aux
étrangers.

5. Les interventions japonaises de 1882, 188h et 189k.


A la suite du traité de Kanghoa, et des traités d'ouverture
de 1882-1886, le « Royaume ermite », qui avait vécu dans un
état d'isolement presque total, fut appelé à avoir une
politique étrangère. Un parti pro-japonais (le parti des Kim), un
parti pro-chinois (le parti de la reine, des Min) et un parti
opportuniste et conservateur (le parti du régent) se
disputèrent le pouvoir. Coups d'Etat et insurrections marquent la fin
du XIXe siècle en Corée.
372 LAZAR FOCSANEANU

En 1882, un coup d'Etat du régent provoqua une première


intervention nippone. Celle-ci aboutit au traité de Tchémoul-
po, du 30 août 1882, aux termes duquel le Japon fut autorisé
à établir une petite garnison à Séoul, pour la garde de sa
légation. Comme la Chine établissait, elle aussi, sa garde dans
la capitale coréenne, troupes chinoises et troupes japonaises
tenaient simultanément garnison à Séoul.

En 1884, un coup d'Etat du parti pro- japonais des Kim fut


réprimé par les troupes chinoises. Aussitôt les Japonais
intervinrent. Occupée par les événements -du Tonkin, la Chine
désira régler rapidement l'affaire de Corée. Elle signa, le
18 avril 1885, une convention avec le Japon, à Tientsin. Cette
convention prévoit que :
(a) La Chine et le Japon retireront, dans un délai de quatre
mois, toutes leurs troupes stationnées en Corée.
(b) Le roi de Corée îsera invité 'à organiser une armée
coréenne moderne et à en confier l'entraînement à une
puissance tierce.
(c) Au cas où des troubles graves obligeraient l'une ou
l'autre des parties contractantes ou les deux à la fois, à
envoyer des troupes en Corée, avis officiel devra en être donné
à l'autre partie, préalablement et par écrit. Les troupes seront
retirées aussitôt l'affaire terminée.
En mai 1894, une révolte de la secte religieuse des Tong
Hak éclata dans le Sud de la Corée. Des paysans mécontents
se joignirent aux insurgés et mirent en déroute l'armée royale.
Le 2 juin 1894, la cour de Séoul, dominée par la reine, appela
la Chine à son secours. Le gouvernement de Pékin envoya en
Corée un corps expéditionnaire et en avisa Tokio,
conformément au traité de Tien-tsin. Le gouvernement japonais profita
de l'occasion pour faire entrer, lui aussi, ses troupes en Corée.
Mais, Chinois et Japonais ne purent se mettre d'accord sur
les mesures à prendre, Les premiers prétendirent avoir seuls
qualité pour intervenir en Corée dans le but de mettre de
l'ordre dans leur Etat tributaire. Les Japonais déniaient à la
Chine tout droit de suzeraineté et déclaraient ne pouvoir se
désintéresser de la situation politique de leur pays voisin. Ils
proposèrent à la Chine d'agir conjointement pour réprimer
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la rébellion et réformer l'administration coréenne. Cette


proposition fut repoussée par le gouvernement chinois.
A la suite de ce refus, le gouvernement japonais décida
d'agir seul. Le 26 juin il invita le roi de Corée à procéder à
diverses réformes. Le 28 juin 1894, il le somma de se déclarer
indépendant de la Chine.
Comme le roi ne donna pas suite à l'ultimatum, le 23 juillet
1894 les troupes japonaises s'emparèrent du Palais,
déposèrent le roi et instaurèrent un nouveau gouvernement dirigé
par le régent.
Le 25 juillet 1894, le nouveau gouvernement présidé par le
régent dénonça les traités avec la Chine et chargea le
gouvernement japonais de chasser les troupes chinoises de Corée.
Dès le même jour, les actes d'hostilité commencèrent entre
le Japon et la Chine. La guerre fut officiellement déclarée
par une proclamation de l'empereur du Japon du 1er août
1894.

6. Le traité d'alliance nippo-coréen. Le 26 août 1894, le


gouvernement coréen présidé par le régent conclut un traité
d'alliance avec le Japon. Le but de l'alliance était l'expulsion
des Chinois et le maintien de l'indépendance de la Corée.

7. La guerre sino-japonaise de 189^-1895. Le traité de paix


de Simonoseki (17 avril 1895). En neuf mois, les Japonais
chassèrent l'armée chinoise de Corée/ occupèrent la
Mandchourie méridionale, détruisirent une flotte chinoise au large
de l'embouchure du Yalou, s'emparèrent de Port Arthur, de
la péninsule du Liaotoung en Mandchourie méridionale et du
port de Weï-Laï-weï sur la côte du Chantoung.
Le traité de paix de Simonoseiki, du 17 avril 1895, apporta
au Japon Formose et les îles Pescadores, ainsi que le
Liaotoung, avec Port Arthur. Le Japon dut cependant renoncer au
Liaotoung, à la suite de la triple intervention franco-russo-
allemande .qui aboutit à la convention du 8 novembre 1895.
En ce qui concerne la Corée, l'article 1er du traité de
Simonoseki stipule :
« La Chine reconnaît de manière formelle l'indépendance
pleine et complète et l'autonomie de la Corée. En consé-
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quence, le paiement du tribut et l'accomplissement de


cérémonies et formalités par la Corée à l'égard de la Chine,
contraires à l'indépendance et à l'autonomie cesseront à l'avenir ».

8. Le Coup d'Etat du 8 octobre 1895. L'assassinat de la reine.


La rétrocession du Liaotoung porta une atteinte sérieuse au
prestige du Japon en Corée. La reine et son parti se
tournèrent vers la Russie.
Les adversaires des Min, groupés autour du vieux régent
tentèrent un coup d'Etat. Dans la nuit du 8 octobre 1895, les
conjurés pénétrèrent dans le palais, assassinèrent la reine et
se saisirent du roi. Un nouveau cabinet pro-japonais fut
formé.
En février 1896, le parti pro-russe enleva le roi et son fils
et assassina le chef du parti pro-japonais.

9. Le roi de Corée à la légation de Russie (février 1896 -


février 1897). Le roi fut transféré et gardé à la légation de
Russie à Séoul, où il résida pendant une année. L'influence
russe devint temporairement prépondérante en Corée.
En février 1897, le roi quitta la légation russe et s'installa
dans son nouveau palais. Le 12 octobre 1897, il prit le titre
d'empereur de Corée.
Cependant, dès la même année, la Russie se détourna de la
Corée pour concentrer ses efforts sur la Mandchourie. En
1897, elle s'installa provisoirement à Port-Arthur, en 1898, elle
se fit attribuer Port-Arthur et Dalny à titre de « concession à
bail », en 1900, à l'occasion de la révolte des Boxers, elle fit
entrer ses troupes en Mandchourie, en invoquant la nécessité
de protéger le chemin de fer dont la construction lui avait été
concédée en 1896.

10. Le traité d'alliance anglo-japonais du 30 janvier 1902.


Pour endiguer l'avance russe, la Grande-Bretagne signa à
Londres, le 30 janvier 1902, un traité d'alliance avec le Japon.
Tout en reconnaissant l'indépendance de la Chine et de la
Corée, les parties contractantes soulignaient les « intérêts
spéciaux » qu'elles avaient toutes deux en Chine et « les intérêts
spéciaux », politiques, commerciaux et industriels du Japon
en Corée. Chacun des Etats contractants pourrait prendre
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toute mesure de sauvegarde au cas où ses intérêts seraient


menacés par une tierce puissance ou par des troubles
survenant en Chine ou en Corée. Si l'un d'eux était entraîné dans
une guerre, l'autre observerait une stricte neutralité et
s'efforcerait d'empêcher d'autres puissances de se joindre à
l'adversaire de son allié. S'il n'y parvenait pas, il prendrait part aux
opérations aux côtés de son allié.

11. La guerre russo-japonaise de 190^-1905 et le traité de


paix de Portsmouth, du 5 septembre 1905. Après deux ans de
vaines discussions et négociations entre le Japon et la Russie
au sujet de la délimitation de leurs sphères d'influence en
Mandchourie et en Corée, la guerre entre ces Etats éclata en
février 1904, pour se terminer par la victoire du Japon.
Par le traité de paix, signé à Portsmouth (New Hampshire,
Etats-Unis), le 5 septembre 1905, la Russie « reconnaissant que
le Japon possède en Corée des intérêts prédominants,
politiques, militaires et économiques, s'engage à ne point
intervenir ni mettre d'obstacle aux mesures de direction, de
protection et de contrôle que le gouvernement impérial du Japon
pourrait considérer nécessaire de prendre en Corée ».

12. L'établissement progressif du protectorat japonais sur


la Corée. Dès l'ouverture des hostilités avec la Russie, le
Japon signa avec la Corée le protocole du 23 février 1904, qui
lui permettait d'utiliser le territoire coréen comme base
d'opérations et d'y occuper des points stratégiques. Toutefois, aux
termes de l'article III du protocole, le gouvernement impérial
du Japon garantissait l'indépendance et l'intégrité territoriale
de l'Empire coréen.
Le 22 août 1904, un nouvel accord intervint entre les
gouvernements du Japon et de la Corée, en vertu duquel ce dernier
s'engageait à entrer en consultation avec le premier avant de
conclure des traités ou des conventions avec des puissances
étrangères, ainsi qu'à l'occasion de toutes les affaires
diplomatiques importantes, telles que les concessions et contrats
avec les étrangers. La Corée s'engageait également à prendre
à son service un conseiller financier et un conseiller
diplomatique, recommandés par le gouvernement japonais.
En vertu d'un accord signé le 1er avril 1905, la Corée trans-
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ferait au Japon l'administration de ses services postaux,


télégraphiques et téléphoniques.
Aux termes de la convention signée le 17 novembre 1905,
la Corée confiait au gouvernement du Japon le contrôle et
la direction de ses relations internationales. Les représentants
diplomatiques et consulaires de l'Empire nippon devaient
assumer La défense des intérêts coréens à l'étranger. La Corée
s'engageait à ne conclure des actes ou engagements
internationaux que par l'intermédiaire du gouvernement japonais.
Ce dernier devait être représenté à Séoul par un résident
général chargé des affaires diplomatiques de l'empereur de
Corée.
Les Coréens, d'esprit nationaliste et indépendant, causèrent
de sérieuses difficultés à l'administration nippone. A la suite
de complots et d'insurrections auxquels ils durent faire face,
les Japonais déposèrent le vieil empereur et le remplacèrent
par son fils, avec qui ils signèrent à Séoul, le 25 juillet 1907,
une convention établissant officiellement le protectorat
japonais sur la Corée.
La convention du 25 juillet 1907 stipulait que le
gouvernement coréen ne pourrait ni élaborer des lois ou décrets, ni
prendre des mesures administratives importantes sans
l'approbation préalable du résident-général japonais. La réforme de
l'administration coréenne serait accomplie selon les directives
du résident-général. Les nominations des hauts fonctionnaires
coréens seraient subordonnées à l'approbation du résident-
général. Le gouvernement coréen s'engageait à nommer comme
fonctionnaires les ressortissants japonais recommandés à cette
fin par leur gouvernement.
Cependant les réformes en Corée ne progressaient pas aussi
rapidement que le désiraient les Japonais. Le résident-général
Ito, découragé de ne pouvoir obtenir la collaboration des
Coréens, démissionna en juin 1909. Il fut assassiné quatre mois
plus tard par un fanatique coréen, à Kharbin, en Mandchourie.

13. Le traité d'annexion de 1910. L'assassinat d'Ito


impressionna profondément l'opinion publique japonaise et
détermina le gouvernement de Tokio à accomplir le dernier acte
pour assurer sa mainmise totale sur la Corée.
TRAITÉS DE TOKYO 377

Un traité d'annexion fut signé, le 22 août 1910, en vertu


duquel l'empereur de Corée cédait à l'empereur du Japon, à
titre intégral et définitif, tous ses droits souverains sur
l'ensemble de la Corée. En échange de cette cession, l'empereur
du Japon s'engageait à conférer à l'empereur de Corée et aux
membres de sa famille des titres, dignités et honneurs
appropriés à leurs rangs. Il devait également verser des allocations
suffisantes à l'ancien souverain et à son entourage.
La Corée devint un gouvernement général au sein de
l'Empire nippon. Le gouvernement de Tokio favorisa
l'établissement des colons japonais dans la péninsule et s'efforça de
nipponiser l'éducation et la culture du pays annexé. Jusqu'en
1919, le gouverneur général fut toujours un militaire.

14. Essais infructueux de résistance coréenne. Un


soulèvement national qui se produisit à Séoul, le 1er mars 1919, fut
rapidement réprimé par les Japonais. Mais, le 11 avril 1919,
un gouvernement provisoire coréen se constituait dans la
concession française de Changhaï, sous la présidence de
M. Syngman Rhee, venu d'Amérique. Il ne fut reconnu que
par l'Estonie, et, en 1944, par le gouvernement de la France
Libre. Les autres Etats ne l'ont jamais reconnu officiellement.
Une délégation coréenne qui s'était rendue à Paris, en mars
1919, pour assister à la Conférence de la Paix, ne fut admise
à exposer son point de vue ni devant le Conseil Suprême, ni
devant aucune de ses commissions. Le président Wilson ne
consentit pas non plus à la recevoir. Le problème coréen ne
fut jamais évoqué devant la S.d.N. (1).

15. La conférence du Caire (PT décembre 1943) et l'ultimatum


de Potsdam (26 juillet Î9b5). La chance parut enfin sourire au
fpeAiple coréen pendant la deuxième guerre mondiale. Le
1er décembre 1943, les chefs de gouvernement des Etats-Unis,
de Grande-Bretagne et de Chine, réunis en conférence au Caire,
publièrent une déclaration qui devait être la base de leur
politique en Extrême-Orient. Les passages suivants de cette
déclaration intéressaient particulièrement la Corée :

(1) V. Lee In-Sang, La Corée et la politique des puissances. Genève, Drot et Paris, Minard,
1959, pp. 45-50.
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« Le Japon sera également expulsé de tous les


» autres territoires, dont, poussé par sa cupidité, il
» s'est emparé par la violence. »
« Les trois Grandes Puissances... n'oublient pas
» l'asservissement dont a été victime le peuple de
» Corée et sont résolus à faire en sorte que cette
» nation recouvre en temps voulu sa liberté et son
» indépendance. »
Les objectifs politiques fixés par la déclaration du Caire
ont été réitérés dans l'ultimatum adressé au Japon, le
26 juillet 1945, par les chefs des gouvernements des Etats-
Unis, de la Grande-Bretagne et de la Chine. L'Union Soviétique
a signé cet ultimatum le 8 août 1945, au moment de son entrée
en guerre contre le Japon :
« 8. Les conditions fixées par la déclaration du
» Caire seront exécutées, et la souveraineté japo-
» naise sera limitée aux îles de Hondo, Hokkaido,
» Kiou-Siou, Sikok et à telles autres petites îles
» que nous déterminerons. »
L'ultimatum de Potsdam a servi de base à la capitulation
du Japon, signée le 2 septembre 1945.
16. L'occupation militaire bipartite de la Corée et la création
de deux Etats coréens. Le 10 août 1945, les troupes soviétiques
entrèrent en Corée par le Nord et le 7 septembre 1945, les
forces américaines débarquèrent dans le Sud de la péninsule.
L'occupation bipartite de la Corée avait été décidée par les
Alliés lors de la conférence de Yalta (4-11 février 1945). A
Potsdam, en juillet-août 1945, les chefs d'état-major choisirent
le 38e parallèle comme ligne de démarcation entre les deux
armées d'occupation. Il s'agissait d'une limite purement
militaire, sans aucune signification politique.
Sur le plan politique, la conférence des ministres des
Affaires étrangères, réunie à Moscou en décembre 1945, avait
décidé de mettre la Corée sous la tutelle quadripartite des
Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de l'Union Soviétique et
de la Chine. Une « commission mixte » russo-américaine devait
entrer en contact avec les partis politiques et les organisations
sociales de Corée, afin de faciliter la formation d'un
gouvernement provisoire coréen.
TRAITÉS DE TOKYO 379

Par suite de l'incompatibilité des points de vue entre le


gouvernement de la Corée du Sud et celui de la Corée du
Nord, la ligne de démarcation militaire devint une frontière
politique presque infranchissable.

17. La guerre de Corée (25 juin 1950-27 juillet 1953) ne sera


mentionnée ici que pour mémoire.

18. Le traité de paix de San-Francisco. Le 8 septembre 1951,


en pleine guerre de Corée, le Japon signa, à San Francisco, un
traité de paix avec quarante-huit de ses anciens ennemis. Ce
traité avait un but essentiellement stratégique. Il tendait à
intégrer le Japon dans le « périmètre défensif » américain.
Dans ces conditions, ni les Etats du groupe communiste, ni les
Etats non engagés d'Asie (Inde, Birmanie, Indonésie), n'ont
voulu s'associer au traité de San Francisco. Ces Etats se sont
efforcés de rétablir la paix avec le Japon au moyen de traités
ou d'accords bilatéraux de paix. De tels traités ou accords
ont été conclus par le Japon avec la Yougoslavie, la
République de Chine (Formose), l'Inde, la Birmanie, l'Union
Soviétique, la Pologne, la Tchécoslovaquie et l'Indonésie. A cette
liste il convient d'ajouter l'Italie (2). La République de Corée
n'a ni signé le traité de paix de San Francisco, ni négocié un
traité ou accord de paix séparé avec le Japon. Toutefois,
l'article 2 (a) du traité de San Francisco stipulait :

« Le Japon, reconnaissant l'indépendance de la


» Corée, renonce à tous droits, titres et revendi-
» cations sur celle-ci, y compris les îles Quelpaert,
» Port Hamilton et Dagelet. »

Par ailleurs, l'article 21 du même traité, prévoyait que la


Corée serait admise à bénéficier des articles 2, 4, 9 et 12 dudit
traité. Ces articles concernaient les cessions et renonciations
territoriales du Japon, le régime des biens japonais ainsi que
l'engagement du Japon à conclure des traités de pêche et des
traités de commerce et navigation avec les puissances alliées.

(2) V. Lazar Focsaneanu, Les traités de paix du Japon, Annuaire Français de Droit
International VI (1960), pp. 256-257.
380 LAZAR FOCSANEANU

II. — LA NEGOCIATION DES ACCORDS NIPPO-COREENS


DU 22 JUIN 1965

19. Objet de la négociation. Les problèmes en litige. Les


accords signés à Tokio, le 22 juin 1965, par les représentants
du Japon et de la République de Corée constituent
l'aboutissement de quatorze années de négociations. Celles-ci avaient
été précédées de conversations préliminaires qui se sont
déroulées à Tokio, en octobre 1951, grâce aux bons offices du
commandement suprême des puissances alliées au Japon (SCAP).
Les négociations proprement dites ont été ouvertes
officiellement en février 1952 pour être interrompues ou suspendues six
fois, ce qui permet de distinguer sept séries de négociations (3).
Dès le début des pourparlers, les négociateurs avaient défini
sept groupes de problèmes à résoudre, à savoir :
1 ° Le caractère des relations entre les deux Etats et la nature
des traités à conclure.
2° Le rôle dévolu au Gouvernement de Séoul par rapport à
l'ensemble de la Corée et du peuple coréen.
3° Les réparations et restitutions.
4° Le régime de la pêche dans les mers avoisinant la Corée
et la solution des différends nés de la « ligne Rhee ».
5° La souveraineté sur les îles Takéchima.
6° Le statut juridique des ressortissants coréens résidant au
Japon.
7° La restitution des biens culturels enlevés à la Corée et le
développement futur des relations culturelles entre les deux
pays.
Nous examinerons, pour chacun de ces groupes de problèmes,
les thèses qui se sont affrontées au cours de la négociation.

20. Le caractère des relations nippo-coréennes et la nature


des instruments diplomatiques à signer. Le gouvernement de
Séoul entendait conclure avec le Japon un véritable traité de

(3) Les sept phases de la négociation ont eu lieu aux époques suivantes : 1) janvier-avril
1952 ; 2) avril-juillet 1953 ; 3) octobre 1953 ; 4) avril 1958-avril 1960 ; 5) octobre 1960-mai 1961 ;
6) octobre 1961-avril 1964 ; 7) décembre 1964-22 juin 1965.
TRAITÉS DE TOKYO 381

paix et désirait notamment y voir inclure une clause constatant


de manière expresse la nullité rétroactive du traité d'annexion
du 22 août 1910.
Le gouvernement de Tokio fit observer que le Japon et la
Corée n'avaient pas été en guerre, ce qui rendait un traité de
paix difficilement concevable. Il proposait, à la place, la
publication d'une déclaration commune semblable à celle que le
Japon avait signée avec l'Union Soviétique le 19 octobre
1956 (4).
Au sujet de l'annulation du traité d'annexion, le
gouvernement japonais fit valoir que celui-ci avait déjà été invalidé
par l'effet de l'article 2 a du traité de paix de San Francisco. Il
était inutile et inopportun d'évoquer les relations passées entre
les deux pays, ces questions ayant déjà été tranchées dans un
instrument diplomatique antérieur.

21. Le rôle du gouvernement de Séoul par rapport à


l'ensemble de la Corée et du peuple coréen. Les négociateurs coréens
demandaient l'insertion dans le traité d'une clause
reconnaissant le gouvernement de Séoul comme seul gouvernement légal
de Corée, habilité, corne tel, pour parler au nom du peuple
coréen tout entier. Cette prétention trouvait un appui dans la
résolution 195 (III) adoptée le 12 décembre 1948 par
l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies. Dans le
paragraphe 2 de cette résolution, l'Assemblée générale,

« Déclare qu'il a été établi un gouvernement


» légitime (le gouvernement de la République de
» Corée) qui exerce effectivement son autorité et
» sa juridiction sur la partie de la Corée où la
» Commission temporaire a été en mesure de
» procéder à des observations et à des consulta-
» tions et dans laquelle réside la grande majorité
» de la population de l'ensemble de la Corée ; que
» ce Gouvernement est né d'élections qui ont été
» l'expression valable de la libre volonté du corps
» électoral de cette partie de la Corée et qui ont

(4) V. L. Focsaneanu, ibid. VI, 1960, p. 288.


382 LAZAR FOCSANEANU

» été observées par la Commission temporaire ;


» et que ledit gouvernement est le seul qui, en
» Corée, possède cette qualité. »
En conséquence, dans le paragraphe 9 de sa résolution,
l'Assemblée générale,
« Recommande aux Etats membres et autres
» nations de tenir compte des faits énoncés au
» paragraphe 2... dans l'établissement de relations
» avec le Gouvernement de la République de
» Corée. »

Malgré ces recommandations de FO.N.U., le Japon qui


entretenait des relations commerciales avec la Corée du Nord
hésitait à reconnaître au gouvernement de Séoul le droit de
revendiquer la souveraineté sur l'ensemble de la Corée et de
représenter le peuple coréen tout entier.

22. Les réparations et restitutions. Le gouvernement coréen


avait commencé par réclamer au Japon, au titre des
réparations et restitutions, une somme dépassant 800 millions de
dollars, que Tokio jugea exorbitante. La demande de
réparations faisait état de la valeur des biens coréens transportés au
Japon pendant les quarante ans de domination nippone : la
valeur de l'encaisse métallique de la Banque de Corée,
emportée par les Japonais en 1945, les salaires réclamés par les
ouvriers et les soldats coréens levés pendant la guerre, les
dettes de l'Etat japonais envers les citoyens coréens et les titres
d'emprunt japonais détenus par ces derniers.
De son côté le gouvernement nippon réclamait des
réparations pour les biens de ses ressortissants résidant ou ayant
résidé en Corée et qui avaient été confisqués après le mois
d'août 1945. La confiscation en avait été ordonnée, en 1945, par
le gouvernement militaire des Etats-Unis en Corée qui, en
septembre 1948, transféra ces biens au gouvernement de la
République de Corée.
Aux termes de l'article 4 b, du traité de paix de San
Francisco, le Japon avait reconnu la validité des dispositions prises
par le gouvernement militaire des Etats-Unis à l'égard des
biens japonais se trouvant en Corée ou dans d'autres territoires
qui avaient été sous domination nippone.
TRAITÉS DE TOKYO 383

Toutefois, les négociateurs japonais considéraient que


l'article 4 b, sus-visé, ne concernait que les rapports entre les Etats-
Unis et le Japon. Si ce dernier avait renoncé à présenter des
réclamations au gouvernement américain, il conservait
néanmoins le droit de faire valoir de telles réclamations à l'encontre
du gouvernement coréen. Les représentants de Séoul
soutenaient, par contre, que la reconnaissance de validité stipulée à
l'article 4 b, du traité de San Francisco, bénéficiait au
gouvernement de Corée, le Japon ayant définitivement perdu le droit
de présenter des revendications au sujet des biens japonais
confisqués.
Finalement, le Japon abandonna ses revendications en
octobre 1957, lors d'une réunion préparatoire de la quatrième
phase des négociations.
Par ailleurs, dès le commencement des pourparlers, il
apparut que le problème des réparations ne pouvait être résolu
qu'au moyen d'un règlement transactionnel et forfaitaire. Il
était, en effet, impossible d'apporter la preuve de chaque
spoliation et d'établir la valeur de chaque bien spolié.
Aussi, dès la fin de l'année 1962, M. Kim, envoyé
extraordinaire du Président Park de Corée, et M. Ohira, ministre des
affaires étrangères du Japon, se mirent-ils d'accord sur un tel
règlement transactionnel. Aux termes du mémorandum Kim-
Ohira, le Japon devait verser à la Corée une somme forfaitaire
de 300 millions de dollars et lui accorder des prêts d'un
montant total de 200 millions de dollars. En outre, des prêts
commerciaux privés d'un minimum de 100 millions de dollars
étaient prévus.
Le problème des bateaux constituait un cas particulier des
réclamations patrimoniales coréennes. Le gouvernement de
Séoul prétendait que le Japon devait lui remettre tous les
bateaux sous pavillon japonais qui, au moment de la
capitulation, étaient enregistrés au bureau du gouverneur général
japonais de Corée ou se trouvaient dans les eaux territoriales
coréennes. Or, un nombre important de ces bateaux ne se
trouvaient pas dans des ports coréens à la date de la capitulation
ou avaient quitté ces ports, après la capitulation, soit avec
l'autorisation du gouvernement militaire américain, soit sans
cette autorisation. Les négociateurs coréens réclamaient donc
384 LAZAR FOCSANEANU

la restitution de 47 bateaux, totalisant 76.638 tonnes, qui se


trouvaient dans les eaux territoriales coréennes et de
668 bateaux, totalisant 86.965 tonnes, qui se trouvaient
enregistrés au bureau du gouverneur général japonais en Corée.
De son côté, le gouvernement de Tokio demandait au
gouvernement coréen de restituer les cinq vaisseaux qu'il lui avait
prêtés après la fin de la guerre, ainsi que tous les bateaux de
pêche japonais saisis par les autorités coréennes pour
dépassement de la « ligne Rhee ». (V. No. 23 infra.)
Le gouvernement japonais proposa d'éteindre les
réclamations réciproques, par compensation. Le gouvernement coréen
estimait, par contre, que le Japon devait s'acquitter de son
obligation de restitution en lui fournissant des bateaux
marchands neufs, d'un tonnage total de 50.000 tonnes.

23. Le régime de la pêche dans les mers avoisinant la Corée


et les différends nés de la proclamation de la « ligne Rhee ».
Dans une proclamation, publiée le 18 janvier 1952, M. Syngman
Rhee, alors président de la République de Corée, revendiqua
pour son pays la souveraineté sur le plateau continental coréen
et déclara que la portion de la haute mer qui recouvrait ce
plateau était placée sous le contrôle de son gouvernement
pour être exploitée, à titre exclusif , par les ressortissants coréens.
La « ligne Rhee » ou « ligne de paix », délimitant cette portion
de la haute mer, s'éloignait à certains endroits de plus de
200 miles marins du littoral. Elle allait de 135°45'E et 42°15'N
à 132°50'E et 38°N, ensuite à 130°E et 35°N, puis à 129°10'E et
34°40'N, et finalement à 127°E et 32°N. La zone délimitée par
la « ligne Rhee » renfermait plusieurs des fonds de pêche les
plus riches de la Mer Jaune et de la Mer du Japon. Les
chalutiers japonais fréquentaient cette zone de manière
traditionnelle.
Il n'était donc pas surprenant de voir le gouvernement du
Japon réagir vivement contre l'initiative du président coréen.
Le 25 janvier 1952, Tokio publia une déclaration condamnant
la proclamation du président de la f^orée du Sud, qui était
dénoncée comme portant atteinte aa principe universellement
reconnu de la liberté de la haute mer.
Cependant, malgré les protestations nippones, le gouverne-
TRAITÉS DE TOKYO 385

ment de Séoul procéda à l'application immédiate et rigoureuse


de sa proclamation du 18 janvier 1952. Tous les chalutiers
japonais rencontrés à l'intérieur du périmètre délimité par la
« ligne Rhee » furent saisis par les patrouilleurs coréens et
confisqués. Leurs équipages furent traduits devant les
tribunaux coréens et condamnés en vertu des lois coréennes.

Comme la police maritime japonaise ne comprenait que des


unités non armées, le Japon n'était pas en mesure de protéger
ses pêcheurs. Il essaya d'entrer en négociations avec le
gouvernement coréen, mais le président Rhee se montra intransigeant.
A une mission japonaise qui s'était rendue à titre inofficiel à
Séoul, en janvier 1953, il déclara que les ressources naturelles
de la Corée, y compris les pêcheries, avaient été monopolisées
et appauvries par les exploiteurs japonais pendant les quarante
années du protectorat et de l'annexion. L'industrie coréenne
des pêcheries était restée très arriérée par rapport à celle du
Japon. Il était juste de lui accorder une protection suffisante
pour lui permettre de réaliser un développement accéléré. La
mission nippone répondit que les fonds de pêche en litige
avaient été découverts par les pêcheurs japonais et que, par
ailleurs, l'industrie coréenne de la pêche maritime avait réalisé
d'importants progrès techniques dans les années qui suivirent
l'annexion de 1910, grâce aux initiatives des Japonais et sous
leur direction.

Pour trouver une issue au conflit, la mission japonaise


proposa la conclusion, entre les deux pays, d'un accord tendant à
l'exploitation conjointe des pêcheries dans les mers avoisi-
nant la Corée et l'institution de mesures de sauvegarde contre
le danger d'épuisement des fonds de pêche. Le président Rhee
rejeta ces propositions en réitérant sa détermination d'exclure
les pêcheurs japonais de la zone qu'il revendiquait pour la
Corée.

Les incidents se multiplièrent après l'échec des discussions


avec la mission japonaise. En février 1953, des patrouilleurs
sud-coréens ouvrirent le feu sur des bateaux de pêche japonais
qui avaient dépassé la « ligne Rhee ».

Le gouvernement japonais adressa une note de protestation


à Séoul et annonça qu'il avait approché l'ambassade améri-
386 LAZAR FOCSANEANU

caine à Tokio pour demander l'intervention du gouvernement


de Washington afin d'empêcher la répétition des incidents.
Par ailleurs, pour des motifs d'ordre diplomatique et
militaire, le gouvernement nippon n'était pas en mesure de
répliquer à la force par la force. Il estimait cependant que, sans
aide étrangère, les Coréens n'étaient capables, ni de créer une
industrie moderne de la pêche, ni de mettre en valeur leurs
prises. La Corée avait besoin de l'aide technique japonaise et
avait surtout besoin du marché japonais pour la vente de son
poisson. C'est pour cette raison que Tokio adopta une attitude
patiente.
A la fin de l'été 1953, le gouvernement coréen publia un
nouvel avertissement faisant savoir aux pêcheurs nippons que
leurs bateaux seraient saisis et capturés s'ils franchissaient la
« ligne Rhee ». Mais, le 9 septembre 1953, le gouvernement
japonais réitéra, dans une note à Séoul, qu'il ne reconnaîtrait,
en aucune circonstance, la « ligne Rhee ». Il demanda, en
conséquence, la révocation de l'avertissement adressé aux
pêcheurs japonais.
Le 10 septembre 1953, le gouvernement sud-coréen annonça,
en effet, la suspension de l'ordre de saisie. Cette mesure
provisoire était un prélude à l'ouverture de la troisième série de
négociations entre les deux pays. Elle ne fut que très éphémère.
Les négociations ayant été de nouveau rompues, le 21 octobre
1953, le gouvernement coréen reprit la saisie des bateaux de
pêche japonais qui s'aventuraient à l'intérieur de la « ligne
Rhee ».
Le 3 novembre 1953, la diète japonaise adopta une
résolution condamnant la « ligne Rhee » et demandant au
gouvernement japonais de prendre les « mesures appropriées » pour
mettre fin au conflit.
Vers la mi-novembre 1953, M. Nixon, vice-président des
Etats-Unis, en visite à Tokio, adressa un appel au Japon et à la
Corée, en leur demandant d'arriver à un accord sur le
problème de la pêche.
C'est peut-être à la suite de cet appel que le gouvernement
coréen annonça, le 22 novembre 1953, qu'il procéderait au
rapatriement de plusieurs centaines de pêcheurs japonais
TRAITÉS DE TOKYO 387

arrêtés et condamnés par les tribunaux coréens depuis le mois


de septembre 1953. Un autre groupe de pêcheurs avait déjà
été libéré. Ces mesures étaient présentées comme un acte
de clémence du président Rhee et n'impliquaient pas la
restitution des bateaux de pêche saisis. Elles n'eurent pas pour
effet d'apaiser l'irritation du gouvernement japonais.
A partir du mois de mai 1955, les relations nippo-coréennes
subirent une détérioration à la suite de la conclusion d'un
accord commercial inofficiel entre le Japon et la République
populaire de Chine. La saisie des bateaux de pêche japonais fut
poursuivie avec une énergie accrue.
Le Cabinet japonais, réuni en décembre 1955, refusa
néanmoins d'accorder la protection armée aux bateaux de pêche,
pour ne pas aggraver la tension entre les deux pays.
En 1957, les relations nippo-coréennes connurent une
amélioration passagère et, le 31 décembre 1957, un accord a pu être
réalisé entre Tokio et Séoul, en vertu duquel le Japon
renonçait à expulser 460 Coréens ayant purgé des peines
d'emprisonnement et 1.100 Coréens convaincus d'immigration illégale,
tandis que la Corée s'engageait à élargir tous les pêcheurs
japonais détenus.
La saisie des bateaux de pêche japonais continua cependant.
Après la chute de Syngman Rhee, survenue en avril 1960, les
gouvernements des deux pays firent des efforts pour résoudre
les problèmes de pêche.
A la date du 6 juillet 1962, le nombre total des bateaux
japonais capturés par les Coréens, depuis 1952, s'élevait à 180, le
nombre des pêcheurs arrêtés, depuis la même date, étant de
2.276. Sur ce nombre, 2.260 pêcheurs avaient été libérés et
rapatriés au Japon, avant le 20 août 1961. A cette dernière date,
la Corée du Sud ne détenait plus que 11 pêcheurs japonais,
mais, par contre, elle détenait toujours 157 bateaux de pêche
japonais.

24. La souveraineté sur les îles Takéchima. Les îles Také-


chima, qui portent encore les noms de Rochers Liancourt ou
Rochers Hornet, sont situées dans la mer du Japon, au large
de la côte orientale de Corée, à 37°9'30' latitude Nord et 131 °55'
longitude Est. Il s'agit de deux îles inhabitées, dénommées
388 LAZAR FOCSANEANU

Higashijima (île de l'Est) et Nishijima (île de l'Ouest), dont


la surface totale n'est que de 0,23 kilomètres carrés.
Le différend au sujet de ces îles est né en juillet 1952, lors de
la proclamation de la « ligne Rhee », car les Takéchima
tombaient à l'intérieur de la zone maritime délimitée par ladite
ligne.
En même temps qu'il protesta contre l'établissement de la
« ligne Rhee », le gouvernement japonais fit savoir à Séoul
qu'il ne pouvait, en aucun cas, reconnaître le bien-fondé des
revendications coréennes sur les îles Takéchima.

Cependant, en juin 1953, des pêcheurs débarquèrent à


Takéchima sous la protection d'un patrouilleur. Lorsqu'une unité de
l'Agence japonaise de sécurité maritime essaya de s'approcher
des îles, elle fut accueillie à coups de feu par les Coréens. Le
13 juillet 1953, le gouvernement nippon adressa une nouvelle
note de protestation au gouvernement de Séoul.

En 1954, la Corée installa des gardes permanents dans les


îles, y fit hisser le drapeau coréen et entreprit la construction
d'un phare et de plusieurs autres bâtiments. Des timbres-poste
coréens furent émis, représentant des scènes de Takéchima.
Le Japon continua néanmoins d'envoyer à Takéchima ses
patrouilleurs qui, à plusieurs reprises, furent accueillis à coups
de feu.
Parallèlement aux incidents susmentionnés, les deux parties
échangèrent des notes tendant à justifier leurs revendications
au moyen d'arguments juridiques et historiques. Aux notes
japonaises de juillet 1953, février 1954, septembre 1956 et
juillet 1962, les Coréens répondirent par des notes de
septembre 1953, septembre 1954 et janvier 1959.

Dans une note verbale du 25 septembre 1954, adressée au


gouvernement de Séoul, par l'intermédiaire de la mission
coréenne à Tokio, le gouvernement japonais proposa de porter
l'affaire de Takéchima devant la cour internationale de
Justice. Dans sa réponse du 28 octobre 1954, le gouvernement sud-
coréen rejeta la proposition nippone.

Sur le fond de l'affaire, les thèses des deux parties au


différend peuvent être résumées comme suit.
TRAITÉS DE TOKYO 389

Le gouvernement japonais fit valoir qu'au début du XVIIe


siècle les îles Ta'kéchima servaient d'escale habituelle aux
pêcheurs nippons qui se rendaient à l'île d'Ulneung.
Pour mettre fin aux conflits survenus entre pêcheurs
japonais et coréens, le gouvernement chôgounal décida, en janvier
1696, d'abandonner l'île d'Ulneung aux Coréens. A partir de
1696 il fut donc interdit aux Japonais de se livrer à la pêche
dans les eaux d'Ulneung. Mais la prohibition n'a jamais frappé
la pêche à Takéchima, ces îles ayant été considérées comme
faisant partie intégrante du territoire japonais.

Aux termes d'une proclamation préfectorale, publiée en


vertu d'une décision prise par le Cabinet japonais en février
1905, les îles Takéchima furent placées sous la juridiction de
la préfecture de Chimané. La proclamation avait pour but
d'encadrer ces îles dans la structure administrative
modernisée du Japon. En mai 1905, les îles furent inscrites sur les
livres du gouvernement japonais comme propriété de l'Etat.
La chasse aux otaries dans les eaux de Takéchima a été
réglementée en avril 1905 et a fait l'objet de licences délivrées
par le gouvernement japonais, qui encaissait les redevances
payées par les licenciés.
Il apparaît donc, estime le gouvernement de Tokio, que
depuis plusieurs siècles, le Japon a toujours exercé la
souveraineté sur les îles Takéchima.
La thèse coréenne fait état de certaines sources littéraires
des XVe et XVIe siècles qui mentionnent les îles Ulneung et
Woosan, situées à l'Est des côtes du royaume de Corée, dont
elles faisaient partie. L'île de Woosan ne serait autre que
Takéchima.
Par ailleurs, il résulterait des documents de la dynastie
coréenne des Lee, qu'en 1696 un Coréen nommé Ahn Yong Bok
aurait chassé les habitants japonais des îles Ulneung et
Takéchima, avant de continuer son voyage au Japon, où il devait
entreprendre des négociations.
Quant à la proclamation préfectorale de 1905, qui avait
incorporé les îles litigieuses à la préfecture de Chimané, il
s'agirait là d'un acte administratif interne japonais, qui ne
pouvait changer le statut international des îles. De surcroît,
390 LAZAR FOCSANEANU

cet acte administratif accompli par une collectivité locale,


aurait été tenu secret, même au Japon.
Enfin, le simple fait d'avoir procédé, en 1905, à
l'incorporation des îles au territoire japonais, prouvait que celles-ci
n'étaient pas considérées comme faisant partie du Japon,
avant cette date.
Le gouvernement japonais contestait le bien fondé de
l'assimilation de Woosan à Takéchima ainsi que la crédibilité du
témoignage de Ahn Yong Bok. Il affirmait, en outre, que la
proclamation préfectorale de 1905 n'avait pas été gardée
secrète, car elle avait été publiée dans plusieurs journaux. Le
but de cette proclamation n'était pas celui d'annexer au Japon
un territoire étranger, mais seulement de réaffirmer la
souveraineté japonaise sur les îles et de les encadrer dans la
nouvelle structure administrative de l'empire nippon.
A l'appui de ses revendications, le gouvernement de Séoul
invoquait encore certains actes internationaux datant de la
deuxième guerre mondiale, tels que la Déclaration du Caire,
confirmée par l'Ultimatum de Potsdam. Aux termes de la
Déclaration du Caire, du 1OT décembre 1943, le Japon devait
être expulsé « de tous les territoires dont, poussé par sa
cupidité, il s'est emparé par la violence ». Or, l'incorporation des
îles Takéchima, en vertu de la proclamation préfectorale de
1905, constituait une annexion faite par la violence. Les
dispositions contenues dans la Déclaration du Caire avaient été
entérinées par l'ultimatum de Potsdam, du 26 juillet 1945, qui
a servi de base à la capitulation japonaise.
Après la capitulation, la directive du Commandement
Suprême des puissances alliées SCAPIN N° 677 du 29 janvier 1946,
avait ordonné au gouvernement japonais de suspendre
l'exercice de son autorité politique et administrative sur plusieurs
territoires périphériques, dont les îles Takéchima.
La directive SCAPIN N° 1033 du 22 juin 1946, établissant la
ligne dite Mac Arthur, interdisait aux bateaux japonais
l'accès des îles Takéchima
Le document intitulé « Basic post-surrender Policy for
Japan » (Fondements de la politique à suivre au Japon après
la capitulation) daté du 19 juin 1947, confirmait les droits de
la Corée sur Takéchima.
TRAITÉS DE TOKYO 391

Du côté japonais, on a fait remarquer que les trois


documents précités ne constituaient que des actes provisoires,
édictés pour la période de l'occupation militaire du Japon.
Ces actes sont devenus caducs au moment de l'entrée en
vigueur du traité de paix de San Franscisco, qui, de manière
très significative, reste muet sur la question des îles Také-
chima.

25. Le statut juridique des ressortissants coréens résidant


au Japon. En 1945, au moment de la capitulation du Japon,
il y avait eu dans ce pays environ deux millions de Coréens,
dont la moitié étaient des ouvriers réquisitionnés ou mobilisés
par le Japon, pendant la guerre, pour travailler comme
ouvriers dans les mines et les usines japonaises.
Vers 1949, les trois quarts de ces Coréens avaient quitté le
Japon, mais il y eut de nouveaux arrivés, dont la plupart
étaient entrés au pays de manière clandestine. En 1949, il y
avait environ 600.000 Coréens au Japon.
Les relations entre les deux peuples étaient mauvaises. Les
Japonais méprisaient les Coréens. Ceux-ci avaient peur des
Japonais et les haïssaient.
Après la capitulation nippone et aux débuts de
l'occupation américaine, les Coréens se comportèrent en ressortissants
d'une nation victorieuse ou, du moins, libérée. Les autorités
japonaises, ne connaissant pas l'attitude du Commandement
suprême des forces alliées (SCAP), se montrèrent très timides
à l'égard des Coréens. Ainsi s'explique le grand nombre de
crimes et délits contre les personnes et les biens commis par
ces derniers, auxquels l'on reprochait encore le fait de se
livrer à des opérations de marché noir.
Cependant, à partir de 1947, un changement d'orientation
se produisit dans la politique du SCAP. La nouvelle politique
américaine encourageait la reconstruction accélérée et le
raffermissement de l'économie japonaise dans le but de
soutenir les forces engagées dans la lutte contre l'expansion du
communisme. Le changement de politique se retourna contre
l'élément coréen.
Dans le nouveau climat, le gouvernement de Tokio n'eut
pas de peine à persuader les autorités d'occupation que
392 LAZAR FOCSANEANU

la population coréenne formait, au Japon, une collectivité à


tendances révolutionnaires, vivant en marge de la légalité et
manifestant des sympathies non dissimulées pour la Corée du
Nord. En fait, la plus agissante parmi les organisations de
résidents coréens, dénommée la « Ligue Coréenne » (Soryon),
avait ouvertement pris parti pour le régime de Pyongyang
dont elle arborait le drapeau en violation de la prohibition
édictée par le SCAP. Lorsque la police japonaise voulut
imposer le respect de la décision des autorités d'occupation, elle
se heurta à l'opposition de la Ligue. Enfin, des bagarres
éclataient souvent entre les membres de la Ligue et ceux de
l'organisation coréenne anticommuniste (Mindan).
En novembre 1946, une directive du SCAP avait précisé que
les Coréens ayant décidé de rester au Japon devaient se
soumettre aux lois japonaises. A la suite de cette directive,
l'administration nippone se sentit plus libre dans ses décisions.
En 1947, elle obligea les Coréens à se faire enregistrer
conformément aux prévisions de la nouvelle loi sur
l'enregistrement des étrangers. La mesure n'était qu'une conséquence
logique du fait incontesté que les Coréens avaient perdu la
nationalité japonaise. Elle n'en suscita pas moins les
véhémentes protestations et l'obstruction des membres de la Ligue.
En 1948, l'administration japonaise rencontra des difficultés
encore plus grandes lorsqu'elle voulut soumettre au contrôle du
ministère de l'Education Nationale les écoles créées par la
Ligue coréenne. De graves émeutes éclatèrent à Kobe et les
autorités militaires américaines durent intervenir.
En 1948 et 1949, la Ligue prit de plus en plus agressivement
parti pour le gouvernement de la Corée du Nord et participa à
des désordres provoqués par les communistes.
Cette attitude détermina le gouvernement japonais à
prononcer, le 8 septembre 1949, la dissolution de la Ligue coréenne
et celle de la Ligue démocrate de la jeunesse coréenne, qui
était affiliée à la première. Les deux organisations étaient
dénoncées commie anti-démocrate^ et terroristes. La Ligue
refusa de se soumettre à l'ordre de dissolution et en appela
au Commandement suprême des puissances alliées, mais sans
succès. Ses biens furent confisqués et ses dirigeants exclus
des fonctions publiques.
TRAITÉS DE TOKYO 393

Après l'entrée en vigueur du traité de paix de San Francisco


(28 avril 1952), lorsque le Japon eut recouvré l'exercice de sa
souveraineté, la condition juridique des Coréens résidant
dans l'Empire nippon devint précaire. Comme Tokio et Séoul
n'entretenaient pas de relations diplomatiques, ces Coréens
étaient devenus des étrangers qui ne bénéficiaient d'aucune
protection de droit international.

Les autorités du Japon désiraient se débarrasser de


l'ensemble des ressortissants coréens vivant dans ce pays. Mais la
République de Corée n'était pas en mesure de rapatrier ses
ressortissants, ni désireuse de le faire, car elle était déjà
surpeuplée à cause de l'afflux des réfugiés venus de la Corée du
Nord.

Les Japonais demandèrent alors que le gouvernement de


Séoul accepte, au moins, d'accueillir les Coréens expulsés pour
être entrés clandestinement en territoire nippon ou pour y
avoir subi des condamnations pénales. Même pour ces
catégories limitées de personnes qu'il avait accepté d'accueillir
pendant l'occupation militaire américaine du Japon, le
gouvernement coréen souleva des difficultés, après l'entrée en vigueur
du traité de San Francisco.

Comme indiqué ci-dessus (V. N° 23 supra), en vertu d'un


accord conclu le 31 décembre 1957, le gouvernement japonais
avait dû renoncer à mettre à exécution sa décision d'expulser
quelque 1.500 Coréens, en échange du rapatriement des
pêcheurs japonais condamnés pour avoir franchi la « ligne
Rhee ».

Au cours des négociations en vue de l'établissement de


relations normales, les représentants du gouvernement de Séoul
avaient soutenu que les Coréens établis au Japon, quoique
devenus étrangers, au sens strict du mot, devaient, néanmoins,
bénéficier d'un statut juridique privilégié, comportant
notamment le droit de résidence permanente et le droit d'exporter
leurs biens en cas de rapatriement volontaire. A l'appui de leur
thèse, ils faisaient valoir que la plupart des Coréens habitant
l'Empire nippon ne s'y étaient pas rendus de leur propre gré,
mais y avaient été amenés par les autorités japonaises, au
moyen d'ordres de réquisition ou de mobilisation pour tra-
394 LAZAR FOCSANEANU

vailler dans les mines et les usines. Par ailleurs, au moment


de leur immigration, ils étaient de nationalité japonaise.
Le gouvernement de Tokio n'était pas disposé à reconnaître
aux ressortissants coréens le droit de résidence permanente et
désirait surtout pouvoir expulser les indésirables (agitateurs
communistes, délinquants, etc.)
Les discussions au sujet des ressortissants coréens établis au
Japon aboutirent à une impasse lorsque l'on apprit, en août
1959, que Tokio avait signé, à Calcutta, un accord avec la
Société de la Croix Rouge de Corée du Nord pour le
rapatriement des Coréens désireux de rentrer dans ce pays. Le 6
octobre 1961, le Comité international de la Croix Rouge de Genève
annonça que 72.000 Coréens avaient effectivement quitté le
Japon pour ia Corée du Nord et que 20.000 autres personnes
attendaient leur tour pour être rapatriées.
Malgré cet incident défavorable, les représentants des deux
gouvernements purent se mettre d'accord, au cours de la
sixième phase des négociations (1961-1964), sur le principe de
la résidence permanente et sur la détermination des catégories
de personnes qui devaient y avoir droit.

26. La restitution des biens culturels et les relations


culturelles futures. Ces problèmes ne semblent pas avoir donné lieu
à difficultés particulières au cours des négociations.

III. LE TRAITE ET LES ACCORDS NIPPO-COREENS


DU 22 JUIN 1965

27. Généralités. Le traité et les accords signés le 22 juin 1965


par les représentants du Japon et de la République de Corée
constituent un ensemble de textes comprenant : a) un « traité
relatif aux relations fondamentales entre le Japon et la
République de Corée » (Treaty on basic relations between* Japan
and the Republic of Korea) ; b) un accord relatif à la pêche ;
c) un accord relatif à la solution des problèmes concernant les
biens et les droits de réclamation et la coopération économique
entre le Japon et la République de Corée ; d) un accord relatif
au statut juridique des ressortissants de la République de Corée
TRAITÉS DE TOKYO 395

résidant au Japon ; e) un accord relatif aux biens culturels


et à la coopération culturelle, ainsi que, /) des
procès-verbaux, protocoles, échanges de notes et lettres se rattachant
aux dits traité et accords.

a) Le traité sur les relations de base entre le Japon


et la République de Corée

28. Structure du traité. Ce traité comprend un préambule


et sept articles. Il a été rédigé en japonais, en coréen et en
anglais, les trois versions étant considérées comme également
authentiques. Toutefois, en cas de divergences d'interprétation,
le texte anglais doit prévaloir.
Le fait que l'accord fondamental sur les relations nippo-
coréennes ait pris la forme solennelle d'un traité, constitue
un succès pour la thèse coréenne. Ainsi qu'il vient d'être
indiqué (V. N° 20 supra), le Japon aurait voulu signer avec
la Corée une simple déclaration conjointe, tandis que le
gouvernement coréen insistait pour la signature d'un véritable
traité de paix. Finalement, les Parties se sont mises d'accord
pour conclure un traité en bonne et due forme. Cependant,
comme le Japon et la Corée n'avaient pas été en guerre, le
document n'a pas été intitulé « traité de paix », mais « Traité
sur les relations de base », ce qui est une désignation peu
habituelle dans la pratique diplomatique.

29. Le préambule. La partie significative du préambule


comprend trois alinéas.
Dans le premier, les deux Etats, considérant le fond
historique des relations entre leurs peuples, expriment le désir
d'entretenir des relations de bon voisinage et de rendre
normales leurs relations, sur la base du respect mutuel de leur
souveraineté.
Dans le deuxième alinéa, les Parties reconnaissent
l'importance de leur étroite coopération, en conformité avec les
principes de la Charte des Nations Unies, pour la promotion de
leur bien-être mutuel et pour le maintien de la paix et de la
sécurité internationale. Cet alinéa présente une importance
particulière du fait que la Corée du Sud n'est pas membre de
l'Organisation des Nations Unies. Il a la valeur d'une
réception conventionnelle des principes de la Charte de l'ONU
396 LAZAR FOCSANEANU

dans les rapports entre le Japon et la Corée du Sud. Le


principe énoncé dans le préambule est, d'ailleurs, repris à l'article
IV du traité.
Le troisième alinéa du préambule rappelle les clauses
pertinentes du traité de paix de San Fancisco, signé le 8 septembre
1951, et la résolution 195 (III) adoptée par l'Assemblée
générale des Nations Unies le 12 décembre 1948.
Rappelons que les dispositions du traité de San Francisco
concernant les relations nippo-coréennes ou ayant une
incidence spéciale sur ces relations, sont contenues aux articles 2 a,
4 b et 21. Ce dernier renvoie aux articles 2, 9 (pêcheries) et
12 (clause de la nation la plus favorisée).
Quant à la résolution 195 (III) de l'Assemblée générale de
PO.N.U., ses dispositions pertinentes ont été reproduites ci-
dessus (V. N° 21 supra.)

30. Les relations diplomatiques et consulaires. L'article 1er


du traité stipule que les Hautes Parties Contractantes
établiront entre elles des relations diplomatiques et consulaires.
A cet effet, le Japon et la République de Corée échangeront,
sans tarder, des agents diplomatiques ayant rang
d'ambassadeur.
Comme l'établissement des relations diplomatiques doit se
faire, « sans délai », l'échange des ambassadeurs devra avoir
lieu sans attendre la ratification du traité.
Les Hautes Parties Contractantes établiront également des
relations consulaires. La détermination des villes où seront
établis les consulats doit faire l'objet d'un accord ultérieur des
deux Gouvernements.

31. La nullité des traités antérieurs. Le texte de l'article II


du traité sur les relations de base constitue l'aboutissement
de négociations longues et laborieuses entre les deux parties.
Il conlirme que « tous les traités ou accords conclus entre
l'Empire du Japon et l'Empire de Corée à la date du 22 août
1910 ou antérieurement à cette date, sont déjà nuls et non
avenus ».
Ainsi qu'il vient d'être rappelé, (V. N° 20 supra), la Corée
avait insisté au cours des négociations pour obtenir du Japon
TRAITÉS DE TOKYO 397

une reconnaissance formelle de la nullité ab initio du traité


d'annexion signé le 22 août 1910. Le Japon, par contre,
soutenait qu'il était inutile et inopportun de formuler une clause
expresse annulant le traité d'annexion, car ce dernier était
déjà devenu caduc en vertu de l'article 2 a du traité de San
Francisco qui proclame :
« Le Japon reconnaissant l'indépendance de la
» Corée, renonce à tous droits, titres et revendi-
» cations sur celle-ci, y compris les îles Quelpaert,
» Port Hamilton et Dagelet ».

Finalement, c'est la thèse coréenne qui prévalut. L'article II


du traité signé le 22 juin 1965 confirme la nullité, non seulement
du traité d'annexion du 22 août 1910, mais encore de tous les
traités nippo-coréens conclus antérieurement à cette date. La
nullité frappera notamment les traités s'échelonnant entre 1904
et 1910, qui ont établi progressivement le protectorat du Japon
sur la Corée.
Du point de vue strictement juridique, l'interprétation de
l'article II n'est pas sans présenter certaines difficultés. En
effet, le texte ne précise pas les causes et le fondement de la
nullité des traités qu'il vise. N'oublions pas que l'établissement
du protectorat japonais ainsi que l'annexion de la Corée, ont
fait l'objet de traités signés par les représentants légalement
habilités des deux parties contractantes. Il y a donc eu
incontestablement accord de volontés entre les représentants des deux
Etats. Il est probable que l'assentiment de l'Empereur de Corée
n'a pas été donné de bon gré, mais qu'il a été l'aboutissement
de pressions politiques et militaires exercées par les Japonais
contre la personne du souverain de Corée ou contre son pays.
Cependant, la doctrine des vices du consentement est mal
établie en droit international. Prise au pied de la lettre, elle
pourrait notamment justifier l'annulation de tous les traités de paix
signés par un Etat à la suite d'une guerre malheureuse. Il ne
faut pas oublier, non plus, qu'au début du xxe siècle, aucune
règle de droit international n'était venue enlever aux Etats la
compétence de guerre. Nous estimons qu'au lieu de confirmer
une nullité dont on ne discerne pas très bien les fondements,
le traité aurait pu suivre une technique juridique plus sûre
en rescindant les traités antérieurs et en donnant convention-
398 LAZAR FOCSANEANU

nellement effet rétroactif à la rescision de ces traités. Le


résultat pratique aurait été le même, sans donner lieu aux
incertitudes d'interprétation ci-dessus indiquées.

32. Le Gouvernement de la République de Corée comme


seul gouvernement légitime en Corée. Aux termes de
l'article III, « il est confirmé que le Gouvernement de la
République de Corée est le seul Gouvernement légal en Corée, ainsi
que spécifié dans la résolution 195 (III) de l'Assemblée
générale des Nations-Unies ».
La rédaction de ce texte constitue un compromis nuancé
entre les thèses des deux parties. Le gouvernement de Séoul
aurait voulu se voir reconnaître l'autorité légitime sur
l'ensemble du territoire coréen, ce qui lui aurait donné le droit
de parler au nom du peuple coréen tout entier. Aux yeux de
Séoul, le gouvernement de la Corée du Nord ne constituait
qu'une autorité de fait, sans légitimité et sans caractère
représentatif, car il n'était pas issu d'élections libres. Le
gouvernement japonais, par contre, hésitait à reconnaître au
gouvernement de la République de Corée la juridiction sur
l'ensemble de la péninsule. Une telle reconnaissance aurait été
d'autant plus difficile que le gouvernement de Tokio entretenait
certaines relations économiques inofficielles avec la Corée du
Nord et qu'il y avait fait rapatrier plusieurs dizaines de
milliers de Coréens.
Finalement, les parties se sont mises d'accord sur un texte
plus anodin et nuancé, qui entérine, en substance les
dispositions de la résolution 195 (III) de l'Assemblée générale de
l'ONU.
Ce texte confirme la thèse que le gouvernement de la
République de Corée est le seul gouvernement légal dans la
péninsule, mais reste muet sur la prétention de ce gouvernement
de représenter l'ensemble du peuple coréen et d'étendre son
autorité à toute la péninsule.
La formule adoptée n'engage pas l'avenir. Si un
gouvernement sorti d'élections libres était établi en Corée du Nord, il
pourrait très bien prétendre à la légitimité et au caractère
représentatif pour la portion de territoire qui serait placée
sous sa juridiction.
TRAITÉS DE TOKYO 399

33. Réception des principes de la Charte des Nations-Unies.


L'article IV du traité développe l'idée, déjà énoncée au
deuxième alinéa du Préambule, concernant l'application des
principes de la Charte des Nations Unies aux relations réciproques
des Parties contractantes.
L'alinéa (a) de l'article IV stipule que « les Hautes Parties
Contractantes seront guidées par les principes de la Charte des
Nations Unies dans leurs relations réciproques ».
Aux termes de l'alinéa (b) du même article, les Hautes
Parties Contractantes coopéreront, en conformité avec les
principes définis par la Charte des Nations Unies, en vue de
favoriser leur bien-être mutuel et leurs intérêts communs.
Ainsi qu'il vient d'être précisé (V. N° 29 supra), les textes
sus-mentionnés présentent une grande importance juridique
car ils valent réception conventionnelle des principes de la
Charte des Nations Unies. Ces principes deviennent ainsi
applicables aux relations entre le Japon et la République de
Corée. Rappelons que sans une telle réception, les règles de
la Charte n'auraient pas régi les rapports des deux Etats, car
la République de Corée n'a pas signé la Charte des Nations
Unies, n'y a pas adhéré et n'est pas devenue membre de
l'Organisation des Nations Unies.

34. Négociations futures concernant les relations


commerciales maritimes et les échanges. Aux termes de l'article V, les
Hautes Parties Contractantes se sont engagées à ouvrir, le
plus tôt possible, des négociations, en vue de la conclusion
de traités ou accords tendant à établir sur des bases solides
et amicales leurs relations commerciales et maritimes et leurs
échanges.
Cet article constitue un pactum de contrahendo qui ne règle
pas directement les relations des deux Etats mais les oblige
seulement à entrer en négociations en vue de la conclusion
d'accords futurs. Des dispositions similaires se trouvent
inscrites à l'article 12 a du traité de San Francisco.

35. Négociations futures concernant la navigation aérienne.


L'article VI contient des dispositions analogues à celles de
l'article V. C'est également un pactum de contrahendo en vertu
duquel les parties s'engagent à ouvrir des négociations devant
400 LAZAR FOCSANEANU

aboutir à la conclusion d'un accord sur les transports aériens


civils. Une disposition similaire avait été inscrite à l'article
13 a du traité de paix de San Francisco.

36. Dispositions concernant la ratification du traité.


L'article VII prévoit que le traité devra être ratifié. Les
instruments de ratification devront être échangés à Séoul dans les
meilleurs délais possibles. Le traité entrera en vigueur le jour
de l'échange des instruments de ratification.

b) L'échange de notes relatives au règlement


pacifique des différends

37. Exclusion de la négociation du problème des îles Také-


chima. Dans la dernière phase des négociations, au fur et à
mesure que l'accord se réalisait entre les deux gouvernements
sur les problèmes en litige, il devenait clair qu'il n'était pas
possible de trouver rapidement une solution acceptable pour les
deux parties au sujet des îles Takéchima. L'impossibilité de
réaliser un accord immédiat sur cette question risquait de
compromettre les résultats déjà importants acquis sur les
autres points en litige. Comme il s'agissait d'un problème
d'ordre territorial, les opinions publiques des deux pays
étaient très sensibilisées à l'affaire qui avait été longuement
débattue. Pour sortir de l'impasse, les représentants de la
République de Corée proposèrent, au dernier moment,
d'exclure de la négociation le problème de la souveraineté sur les
îles Takéchima. Ce problème devait rester ouvert pour faire
l'objet de négociations ultérieures. Le Japon accepta la
proposition.

38. Règlement pacifique des différends. L'existence d'un


litige territorial non résolu a déterminé les Parties
Contractantes à joindre au traité un échange de notes concernant
le règlement pacifique des différends qui les opposaient.
Aux termes de cet échange de notes, les gouvernements du
Japon et de la République de Corée s'engageaient à régler
leurs différends par la voie diplomatique, toutes les fois qu'un
autre mode de règlement n'aurait pas été convenu.
Si le différend ne pouvait pas être résolu par la voie
diplomatique, les deux Parties s'engageaient à chercher un règle-
TRAITÉS DE TOKYO 401

ment par la voie de la médiation, selon la procédure convenue


entre les deux Etats.
Il convient de faire observer que l'échange de notes relatives
au règlement pacifique des différends ne faisait aucune
allusion aux Iles Takéchima. Il était cependant manifeste, et les
négociateurs ne l'ont pas nié, que cet échange de notes visait
en premier lieu et principalement le litige concernant ces îles.

c) L'accord relatif à la pêche

39. Généralités. C'est en matière de pêche que la République


de Corée a fait les concessions les plus importantes. Ces
concessions impliquent l'abandon de la « ligne Rhee », qui avait été
établie aux termes de la proclamation du 18 janvier 1952 de
l'ancien président. Ainsi qu'il vient d'être indiqué (V. N° 23
supra), la proclamation de 1952 revendiquait pour la
République de Corée l'exercice de la souveraineté nationale sur le
plateau continental et sur les mers adjacentes à ce plateau,
dans toute l'étendde déterminée par une ligne de démarcation
visée dans la proclamation et dans toute la mesure nécessaire
pour préserver, protéger, conserver et utiliser les ressources
et richesses naturelles se trouvant sur, dans, ou sous la mer.
La ligne de démarcation définie par la proclamation Rhee
s'éloignait, en certains points, jusqu'à 200 milles marins du
littoral. On a vu que la mise en application de la
proclamation avait donné lieu à de graves incidents entre le Japon
et la Corée du Sud.
L'accord sur la pêche, signé le 22 juin 1965, tend à mettre
fin aux innombrables difficultés qui avaient surgi entre les
deux pays. La solution transactionnelle qu'il consacre
implique, en fait, un abandon complet de la ligne Rhee. Celle-ci
est remplacée par une zone de pêche exclusive autour des
côtes de chacun des deux pays contractants et par une zone
de contrôle adjoint.

40. Le préambule de l'accord de pêche. Dans ce préambule,


les parties contractantes expriment leur désir d'assurer une
productivité maxima constante des pêcheries dans les eaux
d'intérêt commun. Les parties reconnaissent que la
conservation des ressources en poisson des dites eaux, ainsi que le
402 LAZAR FOCSANEANU

développement et l'expansion des ressources de la mer


favoriseront leurs intérêts.
Sauf dérogations expresses dans l'accord, les deux parties
respecteront le principe de la liberté de la haute mer.
Enfin, les parties contractantes expriment le désir de mettre
fin aux différends qui avaient surgi entre elles par suite de la
nature complexe des opérations de pêche et de la proximité
géographique des deux pays.

41. Les zones de pêche exclusive. Aux termes de l'article lw


de l'accord, les eaux jusqu'à une distance de douze milles
marins à compter des lignes de base du littoral constituent
la zone de pêche exclusive de chacun des Etats contractants.
Chaque Etat pourra, avec l'assentiment de l'autre, déterminer
par des lignes droites les limites de sa zone de pêche
exclusive, afin d'éviter des contours trop sinueux.
Chaque Etat contractant sera en droit d'interdire aux
pêcheurs de l'autre l'accès de sa zone de pêche exclusive.
En cas de chevauchement des zones de pêche exclusive,
celles-ci seront départagées par une ligne unissant les points
médians des lignes droites tracées à travers les points les plus
éloignés de la zone de chevauchement.

42. La zone de contrôle conjoint. Les deux Parties


Contractantes instituent une « zone de contrôle conjoint » définie par
une ligne tracée sur la carte annexée au traité (art. II). Cette
ligne se trouve en retrait de la « ligne Rhee ».
Les deux parties entreprendront ensemble l'étude
scientifique approfondie des mesures appropriées pour assurer la
productivité maxima constante des ressources de la mer dans
la zone de contrôle conjoint.
Jusqu'au moment où les conclusions de cette étude seront
connues, la pêche au chalut, la pêche au filet tournant et la
pêche au maquereau pratiquée par des bateaux d'un tonnage
supérieur à 60 tonnes seront régies par le règlement provisoire
annexé au traité (art. III).

43., Police de la pêche. En dehors des zones de pêche


exclusive, la police de la pêche sera exercée par chaque Etat à
l'égard des bateaux battant son pavillon. La compétence de
TRAITÉS DE TOKYO 403

police comprendra le droit d'arrêter et d'inspecter les bateaux


ainsi que la compétence juridictionnelle pour sanctionner les
infractions.
Chaque Etat prendra les mesures appropriées pour assurer
le respect par ses pêcheurs et ses bateaux du règlement
provisoire applicable à la pêche dans la zone conjointe (art. IV).

44. Etudes conjointes des ressources de la mer. Les deux


parties contractantes entreprendront conjointement des études
et recherches sur les ressources des pêcheries situées en dehors
de la zone de contrôle conjoint. Les régions à étudier et le
but des recherches feront l'objet de consultations entre les
/dieux gouvernements, les décisions de ces derniers devant
s'appuyer sur les recommandations faites par la Commission
mixte de la pêche (art. V.)

45. La Commission mixte de la pêche- L'article VI de


l'Accord constitue une Commission mixte de la pêche « qui sera
compétente pour :
a) Faire des recommandations concernant les recherches
scientifiques sur les ressources piscicoles de la zone de contrôle
conjoint et les mesures réglementaires à prendre sur la base
des dites recherches ;
b) Faire des recommandations sur les limites des zones
maritimes dont les ressources devront faire l'objet de l'étude
conjointe des deux parties ;
c) Délibérer sur toutes questions concernant le Règlement
provisoire de la pêche et faire des recommandations sur les
mesures à prendre en conformité avec les délibérations de la
Commission. Ces mesures peuvent tendre à la révision du
Règlement provisoire.
Les gouvernements des deux parties s'engagent à tenir
compte, dans toute la mesure du possible, des
recommandations de la Commission mixte de la pêche (art. VI et VII).

46. Les mesures d'ordre et de sécurité. Chaque partie


contractante s'engage à prendre les mesures appropriées pour
assurer le respect par les personnes et les bateaux sous sa
juridiction des règles et pratiques internationales concernant
la navigation en mer, la sécurité des opérations de pêche et
404 LAZAR FOCSANEANU

la solution rapide des incidents susceptibles de se produire


entre les équipages de ces bateaux de pêche (art. VIII).

47. Le règlement des différends. Les deux parties


contractantes s'efforceront de régler par la voie diplomatique les
différends relatifs à l'interprétation ou à l'exécution de
l'Accord.
Les litiges qui ne pourraient être résolus par la voie
diplomatique, seraient soumis à une commission de médiation de
trois membres. Chaque gouvernement intéressé en nommerait
un membre et les deux médiateurs ainsi désignés choisiraient
le troisième. Ce dernier ne devrait pas être de la nationalité
de l'une des Parties Contractantes.
A défaut par l'un des gouvernements intéressés de nommer
son médiateur ou à défaut d'accord entre les deux
médiateurs sur la désignation du troisième membre de la
Commission, celle-ci sera composée de trois membres nommés de la
manière suivante : chacune des deux parties intéressées
désignera un Etat dont le gouvernement nommera un membre.
Le troisième membre sera nommé par le gouvernement d'un
pays tiers choisi, d'un commun accord, par les deux
gouvernements sus-mentiônnés.
Les parties contractantes s'engagent à se soumettre à la
décision de la commission de médiation.

48. La réglementation provisoire de la pêche dans la zone


de contrôle conjoint. Les documents annexés à l'Accord fixent
à 150.000 tonnes par an le volume total des prises de
maquereaux qui pourront être effectuées dans la zone de contrôle
conjoint, au moyen de chaluts, filets tournants et par bateaux
de plus de 60 tonnes.
Chaque gouvernement désignera les ports dans lesquels les
bateaux de pêche de sa nationalité pourront décharger les
prises effectuées dans la zone de contrôle conjoint.

Les agents de chaque partie contractante seront en droit de


signaler à ceux de l'autre partie les violations des mesures de
réglementation commises par les ressortissants de cette
dernière.
TRAITÉS DE TOKYO 405

Chaque partie contractante accordera aux agents autorisés


de l'autre toutes facilités pour le contrôle du respect de la
réglementation provisoire.
Chaque partie contractante donnera accès aux agents de
l'autre partie contractante sur ses bateaux d'inspection de la
pêche, dans toute la mesure du possible.

d) L'accord relatif aux réparations japonaises


et à la coopération économique nippo-coréenne.

49. Le règlement forfaitaire des réclamations. Ainsi qu'il


vient d'être indiqué (v. N°. 22 supra), il est apparu, dès 1962,
que le problème des revendications concernant les biens, droits
et intérêts de la république de Corée et de ses ressortissants
ne pouvait être résolu qu'au moyen d'un règlement
transactionnel et forfaitaire. Les grandes lignes d'un tel règlement
avaient été établies dans le memorandum Kim-Ohira, dont les
principes ont été entérinés et précisés dans l'Accord sur les
biens, les réclamations et la coopération économique, signé le
22 juin 1965.

50. Le montant total des prestations japonaises. En vue du


règlement transactionnel de toutes les réclamations coréennes
concernant les biens, droits et intérêts de la République de
Corée et de ses ressortissants, le Japon s'est engagé à payer à
la République de Corée une somme forfaitaire de 300 millions
de dollars et à lui accorder des prêts à long terme d'un
montant total de 200 millions de dollars.

51. Le paiement forfaitaire de 300 millions dp dollars. Ce


paiement sera effectué, en dix annuités, par la fourniture de
biens et de services japonais, chaque annuité étant de 30
millions de dollars. Si les fournitures d'une année
n'atteignaient pas le montant de 30 millions de dollars, le solde serait
reporté sur l'année suivante.

52. Les prêts à long terme. Le Japon s'est engagé à accorder


à la République de Corée des prêts à long terme et à intérêt
réduit d'un; montant total de 200 millions de dollars. Ces
prêts seront étalés sur une période de dix ans à compter de
la date d'entrée en vigueur du traité, à raison de 20 millions
de dollars par an. Ils seront utilisés pour l'acquisition par la
406 LAZAR FOCSANEANU

Corée du Sud et par ses ressortissants de biens et de services


japonais en vue de la réalisation de projets qui seront définis
dans les accords à conclure par les parties contractantes. Les
prêts seront accordés par le Fonds japonais de coopération
économique avec l'Outre-Mer. Ils devront promouvoir le
développement économique de la Corée du Sud.

53. La Commission mixte. Les parties contractantes créeront


une commission mixte, composée de représentants de leurs
gouvernements. Cette commission fonctionnera comme organe
consultatif chargé de formuler des recommandations au sujet
de l'exécution de l'Accord.

54. L'extinction des réclamations réciproques. Les parties


contractantes déclarent qu'en échange des paiements et des
prêts susmentionnés du Japon, elles considèrent comme
définitivement éteintes toutes leurs réclamations et revendications
réciproques concernant les biens, droits et intérêts des deux
Etats contractants et de leurs ressortissants, y compris
l'obligation de restitution mise à la charge du Japon en vertu de
l'article 4 a, du traité de San Francisco.
Cependant, l'extinction forfaitaire des droits et
revendications ne s'applique pas aux droits et intérêts des ressortissants
de chacune des parties contractantes qui ont résidé dans le
territoire de l'autre partie contractante au 15 août 1947 et au
22 juin 1965, ni aux droits et intérêts acquis au moyen
d'opérations normales conclues après le 15 août 1945.

55. Le règlement des différends. L'article III de l'Accord


relatif aux biens, aux réclamations et à la coopération
économique stipule que les litiges nés de l'interprétation ou de
l'exécution de cet Accord seront résolus, en premier lieu, par la
voie diplomatique. Si le règlement diplomatique s'avérait
impossible, les litiges seraient tranchés par voie de médiation.
Les modalités de la procédure de médiation sont analogues à
celles qui sont stipulées dans l'Accord relatif à la pêche
(v. N° 47 supra). Les parties contractantes se sont engagées à se
soumettre à la décision de la commission de médiation.

56. Le remboursement des dettes arriérées coréennes. La


République de Corée s'est engagée à rembourser le montant
TRAITÉS DE TOKYO 407

de 45.529.398 dollars représentant le solde de ses dettes


arriérées à l'égard du Japon. Le remboursement se fera en dix
annuités égales, sans intérêts.

57. L'octroi de crédits commerciaux privés. Des notes


échangées au moment de la signature du traité précisent que les
parties contractantes s'attendent à ce quç les ressortissants
du Japon accordent à l'économie coréenne et à la République
de Corée des crédits commerciaux non gouvernementaux d'un
montant dépassant 300 millions de dollars.
Le gouvernement japonais s'engage à faciliter l'octroi de
ces crédits dans le cadre de la législation et de la
réglementation japonaises.

e) L'accord concernant le statut juridique d&s ressortissants


coréens résidant au Japon.

58. Généralités. Le préambule de l'Accord fait allusion aux


relations spéciales qui se sont développées au cours du séjour
prolongé au Japon de certaines catégories de ressortissants de
la République de Corée. Dans l'intérêt des relations amicales
entre les deux pays et les deux peuples, le Japon s'est déclaré
d'accord pour assurer aux dits ressortissants coréens des
conditions stables de vie dans l'ordre social japonais.
Les dispositions spéciales de faveur accordées, en vertu de
l'Accord, à certaines catégories de résidents coréens, peuvent
être groupées en quatre catégories, à savoir :

a) Le droit de résidence permanente ;


b) L'immunité d'expulsion ;
c) L'accès aux institutions d'enseignement, le bénéfice de la
sécurité sociale et la protection des moyens d'existence ;
d) L'exportation des biens et des sommes d'argent
appartenant aux Coréens désireux de se faire rapatrier.

59. Le droit de résidence permanente. En vertu de l'article


1er de l'Accord, le gouvernement japonais s'est engagé à
accorder le droit de résidence permanente aux ressortissants de la
République de Corée qui en auraient fait la demande dans un
délai de cinq ans à partir de l'entrée en vigueur de l'Accord
et qui rentreraient dans l'une des deux catégories suivantes :
408 LAZAR FOCSANEANU

a) Les Coréens ayant résidé au Japon dès avant le 15 août


1945 et jusqu'au moment de la revendication du droit de
résidence permanente et
b) Les descendants directs des ressortissants coréens visés
à l'alinéa a) ci-dessus qui sont nés après le 16 août 1945 ou
qui seront nés dans un délai de cinq ans à partir de l'entrée
en vigueur de l'Accord, à condition de résider au Japon
jusqu'à la date de la demande de résidence permanente.
Le gouvernement japonais accordera également le droit de
résidence permanente à tous les descendants des personnes
ci-dessus énumérées, après l'expiration du délai de cinq ans
à compter de l'entrée en vigueur de l'Accord, à condition que
ces descendants soient nés au Japon et que la demande de
résidence permanente soit faite dans un délai de soixante jours
à compter de la date de leur naissance.

60. L'immunité d' expulsion. Les ressortissants coréens


jouissant du droit de résidence permanente ne pourront faire
l'objet d'une expulsion du Japon, à moins d'avoir subi l'une
des condamnations pénales ci-après énumérées :
a) Toute condamnation d'emprisonnement pour
insurrection ou pour infraction contre la sûreté extérieure de l'Etat.
b) Toute condamnation d'emprisonnement ou de peines
plus sévères pour infractions contre les intérêts
diplomatiques du Japon ou pour infractions contre la personne ou les
biens des chefs d'Etat étrangers et du personnel diplomatique,
lorsque ces infractions portent préjudice aux intérêts
diplomatiques du Japon.
c) Toute condamnation à plus de trois ans
d'emprisonnement ou de réclusion, pour infractions aux lois et règlements
sur le contrôle des produits narcotiques.

d) Toute condamnation à l'emprisonnement ou à la


réclusion d'une durée supérieure à sept ans pour infractions à
toute autre loi japonaise.

61. Education, moyens d'existence et sécurité sociale. Le


gouvernement japonais s'engage à prendre dûment en
considération les intérêts des ressortissants coréens jouissant du
TRAITÉS DE TOKYO 409

droit de résidence permanente en matière d'éducation, de


sécurité sociale et de minimum vital.

62. L'exportation des biens appartenant aux ressortissants


coréens désirant émigrer. Le gouvernement japonais s'engage
à prendre les mesures appropriées pour permettre
l'exportation des biens et des sommes d'argent appartenant aux Coréens
qui désireraient changer de résidence pour s'établir
définitivement en Corée.

f) L'accord concernant les biens culturels


et la coopération culturelle.
63. La coopération culturelle. Les deux gouvernements se
sont engagés à promouvoir les relations culturelles entre leurs
peuples.

64. La restitution des biens culturels spoliés. Le


gouvernement japonais s'est engagé à transférer au gouvernement de
la République de Corée, dans un délai de six mois à compter
de l'entrée en vigueur de l'Accord, les biens culturels énumé-
rés dans une liste annexée au traité.

65. L'accès aux institutions de culture. Chacun des deux


Gouvernements Contractants s'est engagé à accorder aux
«ressortissants de l'autre, l'accès/ aux collections artistiques,
aux musées, aux bibliothèques et autres institutions
académiques et culturelles. (5).

Lazar FOCSANEANU

M. Lazar Focsaneanu, qui fut avocat à la Cour de Cassation


de Roumanie, est diplômé de l'Académie de Droit international
de La Haye. Jurisconsulte international, chargé de cours à
l'Institut des Hautes Etudes Internationales, il est actuellement
professeur à l'Institut d'Etudes Politiques de l'Université d'Aix-
Marseille.

(5) La ratification des traités du 22 juin 1965 a été approuvée par l'Assemblée Nationale de
Corée le 14 août 1965. Au moment de la rédaction de la présente étude (15 octobre 1965), la
ratification n'était pas encore approuvée par la Diète du Japon.
.L'auteur tient à exprimer ses vifs remerciements aux Ambassades du Japon et de la
République de Corée, à Paris, qui ont bien voulu transmettre une partie des textes, visés dans
l'étude. Ces textes ont été complétés par ceux publiés dans le Japan Times. Enfin, pour l'histoire
des négociations, l'auteur a eu largement recours aux « Surveys » annuels publiés par le Royal
Institute of International Affairs de Londres.

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