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ntroduction

Très rapidement, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l'alliance entre les


vainqueurs est rompue et les deux blocs militaires et idéologiques se constituent
autour d'une part des États-Unis et d'autre part de l'Union soviétique. Dorénavant,
les relations internationales vont se concevoir dans une logique bipolaire, les
autres pays devant choisir un camp. Paradoxalement, c'est quand les relations entre
les deux Grands évoluent vers moins de tensions que chaque Grand commence à être
contesté dans son camp ; mais dans quelle mesure ces contestations remettent-elles
en cause la logique bipolaire née au début de la guerre froide ? Passe-t-on alors à
une logique multipolaire ? Dans une première partie, nous analyserons la mise en
place du monde bipolaire de l'après-guerre, puis nous nous intéresserons à la
contestation de cette logique et, enfin, nous verrons comment le monde est passé de
la bipolarité à l'unipolarité.

I. La mise en place des blocs et de la logique bipolaire (1947-1953)


1. Aux sources de la bipolarisation : une incompréhension croissante
En février 1945, la grande alliance avait semblé sortir renforcée de la conférence
de Yalta. Américains et Britanniques avaient accepté les acquisitions territoriales
de l'Union soviétique même si ces acquisitions étaient en contradiction avec les
buts de guerre que s'étaient fixés de concert les Alliés. En échange, l'Union
soviétique s'était engagée à organiser des élections libres dans les pays libérés
par elle. Mais à la conférence de Potsdam qui se tient juste après la capitulation
allemande, la tension devient déjà plus perceptible en raison du refus de Staline
d'organiser des élections libres en Pologne. C'est le début d'une incompréhension
croissante qui éclate au grand jour en 1947.

2. 1947 : l'année charnière


En 1947, le président américain Truman annonce son intention d'endiguer l'expansion
soviétique en Europe. C'est la doctrine du « containment ». Concrètement, la
doctrine Truman se traduit par la proposition d'aide économique aux pays d'Europe
qui « veulent rester libres » : c'est le plan Marshall. L'objectif est clair :
aider l'Europe à se relever économiquement pour empêcher la progression de
l'influence communiste sur le terreau de la misère. Seize pays d'Europe occidentale
acceptent le plan Marshall, mais Staline le refuse pour l'Union soviétique et
contraint les démocraties populaires à faire de même.
Staline réagit par un renforcement de son contrôle sur les démocraties populaires
et constitue le Kominform, qui réunit l'ensemble des partis communistes des
démocraties populaires au pouvoir ou en passe de l'être, mais aussi les puissants
PC italien et français. À l'occasion de la conférence constitutive du Kominform,
qui se tient à Varsovie, le dirigeant soviétique Jdanov exprime la doctrine
soviétique de la guerre froide, réponse à la doctrine Truman : le monde est divisé
en deux camps, « un camp anti-impérialiste et démocratique », celui de l'Union
soviétique, et un « camp impérialiste et anti-démocratique », celui des États-Unis.

3. L'Europe divisée en deux


Le coup de Prague en février 1948, au cours duquel le Parti communiste tchèque
prend le pouvoir en éliminant ses adversaires politiques, est l'événement qui
décide les Occidentaux à faire de l'Allemagne un bastion de la lutte contre
l'expansion soviétique. En violation des accords de Yalta, les Occidentaux unifient
leurs zones d'occupation et y mettent en place une nouvelle monnaie. En juin 1948,
Staline réagit en décrétant le blocus des accès routiers et ferroviaires de
Berlin : il s'agit de contraindre les Occidentaux à quitter leurs secteurs
d'occupation. Les Américains réagissent en mettant en place un pont aérien pour
ravitailler la ville et menacent d'utiliser la force si les Soviétiques s'opposent
à la libre circulation dans les couloirs aériens. À ce moment-là, la menace est
efficace car les Soviétiques ne disposent pas encore de la bombe atomique. Et au
bout d'un an, en 1949, Staline recule et lève le blocus.
La conséquence de la crise de Berlin est l'accélération de la division de l'Europe,
division dont l'Allemagne devient le symbole puisqu'en 1949 les Occidentaux fondent
la RFA et les Soviétiques la RDA. Berlin conserve son statut de ville occupée.
Les Américains organisent politiquement leurs alliés européens en créant l'OTAN,
pacte militaire qui a pour but, en mettant toutes les armées européennes sous
commandement américain, de résister à une éventuelle attaque soviétique.

4. L'achèvement des blocs


En 1949, l'Asie devient un champ d'affrontement des deux Grands. En effet, les
communistes chinois prennent le pouvoir. Du coup, les États-Unis perdent un allié
de poids dans la région. Les Chinois rejoignent le bloc soviétique. Dans le même
temps, en Indochine, les communistes vietnamiens sont en guerre contre la présence
française. L'Asie est déstabilisée. La stratégie du containment connaît alors un
sérieux revers. C'est pourquoi, en 1950, les États-Unis n'hésitent pas à entrer en
guerre contre la Corée du Nord lorsque celle-ci, soutenue militairement par la
Chine, attaque la Corée du Sud. La guerre, très meurtrière, dure trois ans. En
1953, un armistice est signé, qui sanctionne un retour au statu quo ante. Cette
fois, la stratégie de containment a été un succès. La guerre de Corée pousse les
États-Unis à signer une série de pactes afin d'encercler la puissance soviétique.
En 1951, c'est le pacte de San Francisco entre les États-Unis et le Japon ; en
1954, l'OTASE avec les pays de l'Asie du Sud-Est, puis le Pacte de Bagdad avec les
pays du Proche-Orient.
La constitution des blocs s'accompagne d'une course aux armements entre les deux
Grands. Dès 1949, les Soviétiques possèdent l'arme nucléaire. Et en 1953, quelques
mois seulement après les États-Unis, ils possèdent la bombe à hydrogène. Les deux
superpuissances sont désormais dans une situation de parité nucléaire. D'autant que
toutes deux disposent également des vecteurs nécessaires (bombardiers lourds et, à
partir du milieu des années 1950, grâce à la conquête spatiale, fusées).
Transition
Ainsi, en quelques années, les deux Grands sont passés de la grande alliance à la «
grande méfiance ». Mais à partir de la mort de Staline, en 1953, les relations
entre les deux superpuissances vont commencer à évoluer, les tensions s'atténuer.
Dans la même période, la logique de bipolarisation est de plus en plus contestée.

II. La détente et la logique bipolaire


1. La détente armée : maintien du statu quo
Les premiers signes de détente apparaissent dès la mort de Staline en 1953. Le
nouveau dirigeant soviétique, Khrouchtchev, propose aux États-Unis la « coexistence
pacifique ». En 1956, les deux Grands interviennent, sans se concerter, pour mettre
fin à la crise de Suez, concrétisant ainsi la réalité du duopole qui gouverne alors
le monde. La crise de Cuba, en 1962, met toutefois le monde au bord de la guerre
nucléaire. Elle est l'occasion pour les dirigeants des deux Grands de se convaincre
d'organiser la détente, c'est-à-dire le maintien du statu quo qui fait qu'aucun des
deux Grands ne cherche à étendre son influence au-delà de sa sphère.
Mais dans ce contexte les deux Grands vont surtout devoir apprendre à vivre avec de
nouveaux acteurs sur la scène internationale : les pays du tiers-monde. Le tiers-
monde est né avec la conférence de Bandung en 1955. Les pays pauvres y ont affirmé
leur volonté de ne pas se ranger derrière l'un ou l'autre des deux Grands, adoptant
une position neutraliste. En fait, le mouvement des non-alignés ne remet pas en
cause la logique bipolaire : tout au plus arrive-t-il à utiliser les rivalités
entre les deux superpuissances. Ainsi Nasser, en 1956, nationalise le canal de Suez
et fait financer le barrage d'Assouan par les Soviétiques devant le refus des
Américains de le faire.

2. Les deux Grands face à la contestation de leur prééminence


C'est de l'intérieur de chaque bloc qu'apparaît véritablement une tentative de
remise en cause de la logique bipolaire. Ainsi, dès 1960, les Chinois remettent en
cause le leadership soviétique. Alors que l'aide soviétique aux Vietnamiens en
guerre contre les Américains est volontairement limitée, dans un souci de détente,
les Chinois n'hésitent pas à renchérir en soutenant le Nord Viêt Nam. Et d'une
façon générale, la République populaire de Chine va tenter de s'imposer comme pôle
fédérateur des mouvements de guérilla du tiers-monde, au détriment de l'Union
soviétique. La situation sino-américaine va rapidement changer sous
l'administration Nixon. En effet, les responsables américains vont profiter des
tensions sino-soviétiques en engageant une politique de rapprochement avec la Chine
populaire.
Dans le camp occidental, c'est de Gaulle qui, à partir de 1958, conteste la
prééminence américaine. Il fait sortir la France de l'OTAN, dénonçant ce qu'il
appelle le « protectorat américain ». Pour de Gaulle, la guerre entre les deux
superpuissances n'est plus à l'ordre du jour du fait de la détente. Pour lui, le
refus de la bipolarisation et l'affirmation de la France passent par la recherche
de nouvelles alliances. En 1964, la France reconnaît ainsi la Chine populaire,
s'opposant ainsi à la fois aux États-Unis (qui soutiennent la Chine nationaliste de
Taiwan) et à l'Union soviétique (qui avait rompu avec la Chine en 1960). Ce qui
n'empêche pourtant pas l'Union soviétique d'amorcer, à partir de 1966, une
politique de coopération économique avec la France. Là encore, la superpuissance
tente de profiter des tensions internes à l'autre bloc pour avancer ses pions, sans
pour autant aller à l'affrontement direct avec l'autre superpuissance.
La détente entre les deux Grands est donc l'occasion pour des puissances de second
rang de contester la prééminence des deux superpuissances. Pourtant, cette
contestation reste sans réelle répercussion sur les relations des deux Grands entre
eux. Certes, la crise de Cuba a pu apparaître à certains comme l'occasion pour
l'Union soviétique de montrer, au détriment de la Chine populaire, sa détermination
face aux États-Unis. Mais dans les faits, en acceptant de renoncer à son projet de
mise en place d'armes nucléaires à Cuba, l'Union soviétique choisit de privilégier
la détente plutôt que l'affrontement direct avec les États-Unis. La crise coûta
sans doute ses fonctions à Khrouchtchev, démontrant ainsi la pluralité des options
au sein des dirigeants soviétiques. Il est à noter que les États-Unis ne poussèrent
pas leur avantage à l'issue de la crise de Cuba, privilégiant eux aussi le climat
de détente.
Transition
La détente atteint son apogée au milieu des années 1970 avec la signature des
accords d'Helsinki, par lesquels l'ensemble des pays signataires s'engage à
respecter les frontières issues de la Seconde Guerre mondiale. Mais, malgré le
mouvement des non-alignés et les contestations internes à chaque bloc, la logique
bipolaire continue à fonctionner. Le statu quo sur lequel reposait la détente est
finalement remis en cause par l'Union soviétique. On revient à des rapports plus
conflictuels, les commentateurs parlent de « guerre fraîche ». Cette nouvelle
tension va être fatale à la logique bipolaire par la disparition d'un des
protagonistes.

III. De la « guerre fraîche » à un monde unipolaire


1. La guerre fraîche
En 1975, l'Union soviétique commence à marquer des points en Afrique où elle
intervient en Angola et au Mozambique par l'intermédiaire des Cubains. En Éthiopie,
un régime procommuniste s'empare du pouvoir. La même année, après le départ des
Américains, l'Asie du Sud-Est devient le champ clos des affrontements sino-
soviétiques. Les Vietnamiens sont soutenus par les Soviétiques et les Cambodgiens
par les Chinois. Ils s'affrontent dans l'un des conflits les plus meurtriers de la
seconde moitié du xxe siècle. En Amérique latine, les positions stratégiques
américaines sont mises à mal par la révolution sandiniste au Nicaragua. Au Moyen-
Orient, en 1979, la révolution islamique en Iran prive les États-Unis d'une
position stratégique. À la fin de la même année, les Soviétiques envahissent
l'Afghanistan. C'est le coup de Kaboul.
Après avoir hésité sur la politique à suivre face à ces remises en cause de la
détente, les États-Unis reprennent à leur tour l'offensive après l'arrivée de
Ronald Reagan au pouvoir. Il affirme sa volonté de contrer l'Union soviétique. Il
reprend la course aux armements stoppée pendant la détente et propose un projet
stratégique connu sous le nom de « guerre des étoiles », réseau de satellites
destinés à détruire les fusées nucléaires soviétiques. Les Soviétiques répliquent
en installant des fusées à portée intermédiaire dans les démocraties populaires.
Les Américains font de même en Europe occidentale. C'est la crise des euromissiles.
Par ailleurs, les États-Unis reprennent l'initiative en Amérique latine en
soutenant la Contra, guérilla antisandiniste, et en envahissant l'île de Grenade
pour en chasser le gouvernement promarxiste qui s'y était installé.

2. Un nouvel ordre mondial unipolaire

En 1985, Gorbatchev arrive au pouvoir en Union soviétique dans un contexte


politique très difficile. Après la mort de Brejnev, les luttes internes ont été
vives et ses deux successeurs, Andropov et Tchernenko, sont décédés dans un temps
très bref, ouvrant une crise de succession majeure à la tête de l'Union soviétique.
Gorbatchev est un réformateur. Il a conscience que l'Union soviétique n'a pas les
moyens économiques et technologiques de suivre les Américains dans la course aux
armements. À l'instar de Khrouchtchev trois décennies plus tôt, il considère que
seule une politique de pause dans la rivalité entre les deux Grands peut permettre
de sauver le système soviétique. C'est pourquoi il propose une réduction des
dépenses militaires et offre aux Américains de discuter du désarmement. Tout va
alors très vite. D'une certaine manière, la logique bipolaire continue à
fonctionner. Les Soviétiques usent ainsi de leur influence pour mener leurs alliés
vietnamiens à évacuer le Cambodge qu'ils occupaient. Les Soviétiques se retirent
eux-mêmes d'Afghanistan. Dans le même temps, ils cessent leur soutien aux guérillas
et régimes procommunistes africains. En l'espace de quelques mois, l'essentiel des
conquêtes de l'ère Brejnev est abandonné. Mais la tentative de Gorbatchev de
réformer le système échoue. L'Union soviétique perd le contrôle des démocraties
populaires, le mur de Berlin tombe, l'Allemagne se réunifie et, finalement, l'Union
soviétique elle-même implose. La Russie, qui succède à l'Union soviétique, est
amputée territorialement en raison de l'indépendance autoproclamée de plusieurs
anciennes républiques soviétiques. En décembre 1989, lors du sommet de Malte, les
leaders des deux superpuissances annoncent la fin de la guerre froide. La guerre du
Golfe, en 1991, voit la Russie s'associer à une guerre contre son ancien allié,
l'Irak. Les États-Unis sont désormais le seul Grand.

Conclusion
De 1947 à 1991, les relations internationales entre États-Unis et Union soviétique
ont été régies par une logique bipolaire. Tout problème international était
tributaire de la position des deux Grands, qui ont exercé alors leur duopole sur le
monde. Certes, des tentatives ont été faites pour contourner cette logique. Mais
aucun des deux Grands n'a véritablement favorisé des liens avec une puissance
moyenne du camp adverse, craignant sans doute de voir l'autre en faire autant. Mais
avec la fin de la guerre froide, la logique bipolaire a vécu et les États-Unis
deviennent le gendarme du monde. Sans toutefois que la paix du monde soit garantie.

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