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Langage et société

La didactique des langues à l'épreuve du sujet, Patrick Anderson


Irène Fenoglio

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Fenoglio Irène. La didactique des langues à l'épreuve du sujet, Patrick Anderson. In: Langage et société, n°88, 1999. pp. 101-
102;

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COMPTES RENDUS 101

La didactique des langues à l'épreuve du sujet


Patrick ANDERSON
Besançon, Presses universitaires Franc-Comtoises
[Annales littéraires 672, série Linguistique et sémiotique, vol. 33), 1999

Voici un ouvrage sur la didactique des langues, riche et original. Son foisonnement,
sa présentation extrêmement dense - qui aurait gagné à s'alléger du carcan
"universitaire" - ne parviennent pas à masquer l'intérêt évident du propos, exactement
désigné par le titre de l'ouvrage et explicité progressivement dans la troisième partie
intitulée « Du sujet ».
C'est sur cette dernière que je m'arrêterai, me contentant, pour les première et
deuxième partie (respectivement intitulées « L'inscription de la DLE * » et « Le défi de
la langue »), d'inciter les spécialistes de DLE à aller y voir de près. Elles rendent
compte, en effet, de l'ensemble de la littérature du domaine d'une manière critique,
et couvrent quasi exhaustivement, les questions de ce champ.

Qu'est-ce qu'apprendre une langue ? Dans un chapitre consacré à cette question,


Patrick Anderson répond : « Apprendre une langue mobilise non seulement un
rapport au savoir mais aussi un rapport à soi-même dans un retour sur sa langue
première. Il y a dans l'apprentissage tout le poids qu'entretient le sujet avec sa propre
langue » (p. 258); « Apprendre une langue [... d] est devenir autre » (p. 256).
Qui enseigne? Un enseignant, certes, mais dont l'auteur fait apparaître qu'il
« met en scène sa fonction maternelle dans l'espace transférentiel mais également sa
position de père en tant que représentant la Loi » (p. 258). Cette relation transféren-
tielle pose la question du "sujet apprenant". Patrick Anderson n'évite là aucune
difficulté et elles sont grandes : « Le sujet que la didactique des langues convoque est
écartelé entre les principes déterministes qui l'actualisent et le cadre de la
psychologie béhavioriste pour lequel il est impossible à concevoir. Il se trouve donc à la
croisée de visées antagonistes qui dans un même mouvement se proposent de le faire
naître mais finalement le font disparaître » (p. 239). L'auteur expose alors
l'acharnement de la DLE qui, tout en prenant appui sur une position fondamentale « qui ne
peut concevoir le sujet [...] tente désespérément d'en construire une sorte d'ersatz »,
ersatz qui trouve nom sous le terme de "parole" mais parole qui se réduit à une
substance de "communication" ou, pourrait-on dire, une substance communicante.

1. Didactique des Langues Etrangères.

© Langage et société n° 88- juin 1999


102 COMPTES RENDUS

L'auteur fait apparaître combien l'apprenant est actif puisqu'il « se trouve dans
l'obligation de construire et de se construire des repères stables et ceci grâce à la
demande inconsciente qu'il adresse à l'enseignant » (p. 260). Cependant cette «
institution d'une parole paternelle » se subvertit elle-même dans le désir de s'en
affranchir.
La conclusion de cette dernière partie de l'ouvrage s'ouvre de la façon suivante :
« La question qui surgit inévitablement devant le constat dressé est de se demander
pourquoi en découvrant l'intersubjectivité on fait et veut faire l'économie de la
totalité des conséquences de cette prise de position. » La conclusion générale de son
ouvrage répond à cela en ouvrant un débat d'ordre éthique : « si l'objet même de la
science est de rendre compte de la totalité de l'être de l'homme à partir de
connaissances positives, il faut bien admettre qu'elle bute à l'évidence sur le sujet. Pour la
pédagogie [...] c'est ce vide qui concerne l'évolution de l'acte d'apprendre comme s'il
n'était pas question à chaque fois d'êtres de chair » (p. 343).

Ces notes de lecture ne rendent pas complètement compte de l'intérêt qu'il y aurait
pour les didacticiens - mais aussi pour tous les « amoureux » de la langue - à ouvrir
cet ouvrage, placé sous les auspices du désir; désir précis, avoué d'aller vers une
"autre" langue, mais désir aussi non-dit, insu - inconscient - qui se blesse et s'use à
trop être ignoré, voire agressé, par le technicisme de l'apprentissage ou par les dérives
de la didactique cognitive qui oublie la "chair" et l'âme de l'apprenant.

Irène Fenoglio
CNRS, Paris

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