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Une enquête montre que lors des pics de températures élevées, l’usage de la voiture est
davantage prisé. Un résultat qui interroge économistes et aménageurs.
Il fait trop chaud ? Tous en voiture ! Par températures élevées, l’automobile et sa climatisation
séduisent davantage que les autres modes de transport, révèle une enquête publiée, le 19
mars, par le cabinet de conseil 6t-Bureau de recherche, en partenariat avec l’Agence de la
transition écologique (Ademe). Ce travail compile 7 000 entretiens menés en ligne et par
téléphone.
Seul le vélo électrique soulage un peu les usagers soumis à une chaleur étouffante : 26 %
l’utilisent davantage, mais 40 % moins. « Températures en hausse, automobile en force : face
au réchauffement climatique, comment enrayer le cercle vicieux de l’automobilité ? »,
s’interroge le cabinet de conseil.
Le géographe Michel Lussault, directeur de l’Ecole urbaine de Lyon, n’est pas surpris par ces
résultats. « L’automobile s’est imposée comme un prolongement du domicile, une bulle de
confort et d’intégrité. Certaines enquêtes, aux Etats-Unis, montrent qu’en période de canicule
les gens dont le domicile n’est pas équipé de climatisation font un tour en voiture pour se
rafraîchir », affirme-t-il, précisant que les constructeurs automobiles ont aussi leur part de
responsabilité : « L’ergonomie de l’habitacle tâche de maximiser le confort et le plaisir. »
Lisser les heures de pointe signifie que l'on reporte les usagers en dehors de forts pics
d'affluence afin de leur apporter de meilleures conditions de transports plus agréable et plus
rapide. Ce lissage passe à la fois par le fait de décaler ses horaires, mais également par la
pratique du télétravail ou l'utilisation de modes alternatifs aux transports en commun ou à la
voiture individuelle.
Aujourd’hui, 71 % du trafic quotidien en semaine est effectué durant les heures de pointe, en
particulier le matin, où 90 % des déplacements opérés entre 7 h 30 et 9 h 30 sont liés au travail
ou aux études.
Pour Nicolas Louvet, fondateur de 6t, l’une des solutions consiste à prévoir « l’obligation de la
climatisation dans les transports en commun ». En outre, « il faudrait inventer une taxe sur la
climatisation automobile », avance-t-il. Mais le consultant préfère retenir de son enquête « un
aspect positif » : « Le lissage des heures de pointe est possible. »
En effet, les jours de canicule, 20 % des sondés avancent leurs activités plus tôt dans la
journée, et 12 % les reculent, soit, au total « un tiers des déplacements qui sont décalés dans
le temps, entraînant une diminution du trafic aux heures de pointe », peut-on lire dans
l’enquête. Ces décalages concernent surtout les loisirs, comme la balade, l’activité physique ou
les visites à des proches, des pratiques « non contraintes, mais qui contribuent à la vie sociale
et au bien-être des individus ».
L’aménagement des mobilités dans le temps, et pas seulement les jours de canicule, est,
depuis longtemps, vu comme une solution à l’engorgement des transports publics et des axes
routiers. « Cette enquête a le mérite de fournir des éléments quantitatifs pour comprendre les
comportements, et les traduire en termes économiques, se félicite l’économiste Carine
Staropoli, professeure à l’université de Rouen Normandie. Combien les automobilistes sont-ils
prêts à payer pour continuer de circuler à la même heure ? »
La réponse dépend aussi de l’aménagement des horaires de travail. Selon l’enquête de 6t,
l’impact du télétravail est double : 16 % des sondés restent à domicile pour travailler, mais, à
l’inverse, 14 % se rendent sur leur lieu de travail alors qu’ils pourraient télétravailler. La
climatisation du bureau est parfois plus facile à supporter que l’atmosphère lourde de la
chambre d’amis sous les toits.
« La RTT climatique » ( Sigle de réduction du temps de travail, après la loi sur les 35 heures
hebdomadaires, par semaine, congé obtenu à ce titre)
Nicolas Louvet relève, par ailleurs, que, lorsqu’il fait très chaud, « 2 % des salariés sont
autorisés à ne pas travailler ». Cette faible tendance ouvre la voie à une pratique selon lui
vertueuse, « la RTT climatique ». Lorsque l’intempérie n’est plus maîtrisable, les salariés
seraient d’office « mis en chômage partiel ».
L’environnement urbain lui-même peut s’adapter aux pics de chaleur. « La géographie urbaine
mérite d’être retravaillée, pour faire resurgir les écoulements pluviaux que l’on a enterrés, ou
faciliter la baignade », estime Michel Lussault. Les soirs de canicule, lorsque la température
redescend doucement et que les citadins osent enfin sortir de chez eux, ou de leur bureau, « il
est aberrant qu’on ne limite pas la circulation automobile pour piétonniser certaines rues »,
estime le géographe. Quitte à entraver les automobilistes qui auraient pris place au volant
pour profiter de la climatisation.
Olivier Razemon