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LA DEPORTATION, L’INTERNEMENT
ET LA MORT DE ALINE SITOË DIATTA
EN 1944
A seulement 24 ans, le destin de Aline Sitoë Diatta s’est accompli tragiquement
à Tombouctou en 1944. Elle y avait été condamnée à purger une peine
d’internement de dix ans ; elle n’a pas tenu un an, victime du scorbut
On en sait beaucoup sur Gbéhanzin , Samori, Chérif Hamahoullah, tous capturés et brandis
comme des fauves de foire avant d’être déportés dans des territoires aux conditions
climatiques rudes ; en Martinique, en Guinée, en Côte d’Ivoire, en Mauritanie, au Gabon, à
Madagascar, au Soudan français,… S’y ajoute le flot d’assignation à l’intérieur de chacun des
territoires colonisés par la France, la « grande nation des droits de l’Homme ». C’était
l’époque des « camps d’internement », des « camps d’enfermement administratif » et même
des « camps de concentration » sous les tropiques, dans l’ombre de la deuxième guerre
mondiale !
Aline Sitoë Diatta, elle, a été « affectée » au Soudan français. D’armes, elle n’avait que son
intelligence ! De munitions, elle n’avait que son charisme, et son verbe ! Elle n’a pas été jugée
par un tribunal, car l’administration n’a jamais pu réunir contre elle des preuves. Elle a
cependant été condamnée à « internement administratif à titre préventif » parce que son
engagement en faveur de l’autonomie et de la renaissance de son peuple dérangeait. Mue par
une force intérieure propre à l’univers animiste des diolas de la Casamance, Aline était tout
simplement un leader. Elle avait des pouvoirs mystiques.
Captive désormais, elle prend la direction de Ziguinchor en même temps que certains de ses
proches, entre 20 et 23 personnes. Elle sera condamnée à la déportation. Dans un premier
temps, elle est à Kayes. Elle finira par Tombouctou. L’historien sénégalais Papis Comakha
Fall qui a travaillé sur les mêmes faits « Automne-hiver 2020 » (page 19, n° 9-10 ), insiste sur
le caractère pacifique de la lutte engagée par Aline Sitoë Diatta. Malgré tout, l’armée
française avait décidé de la réduire en silence avec la consigne suivante : « faire respecter les
ordres, arrêter les rebelles et mettre fin par la force, à toute tentative de rébellion jusqu’à la
soumission complète ». (Télégramme lettre n° 31 adressée au gouverneur général de l’AOF,
Saint Louis, 22 janvier 1943). Dès lors, les mobiles ne devaient plus être compliqués. Ils
seront condensés en trois points : « mensonges, escroquerie et rébellion ». Pour Roche, Aline
a été condamnée « administrativement », parce qu’elle tenait un « message religieux qui
préconisait un retour au riz rouge, au lieu du riz blanc recommandé par les Français, par sa
prédiction que les Blancs partiraient un jour… . ».
La France est divisée entre ceux qui pensaient qu’il fallait collaborer avec l’occupant nazi
(Vichy, Pétain et consorts) et ceux qui appelaient à la résistance ( De Gaulle et alliés). La
défaite de la France a eu un écho énorme dans les colonies. Mais la « puissance » ne voulait
pas montrer de faiblesse. Les administrateurs fidèles à Vichy vont s’évertuer à briser toute
forme de résistance locale. C’est dans ce contexte qu’il faut situer les évènements qui vont
placer au devant de la scène Aline Diatta et Chérif Hamaoullah, entre 1941 et 1943. Voilà,
pourquoi Aline a été mise aux arrêts et déportée à Tombouctou. La symbolique est forte.
Aline Sitoë provient d’un milieu fondamentalement animiste. La condamner et l’interner à
Tombouctou, une ville pieuse musulmane, était un autre supplice. Les colonisateurs ont
apparemment vite réussi leur besogne. La résistante vivra à peine un an.
LA POLEMIQUE ET LA RECUPERATION
Le rapatriement des restes de Aline Sitoë est toujours de haute importance politique et
stratégique au Sénégal. La question avait été soulevée depuis, sous le Président Senghor, dans
la ligne de mire de l’indépendance du pays en 1960. Sans succès. Le 15 décembre 2011, une
décision du Conseil des ministres du Sénégal s’est emparée du sujet. On y lit que : « Le Chef
de l'Etat a, …, tenu à faire une déclaration solennelle sur sa volonté de faire rapatrier les restes
de l'héroïne nationale Aline Sitoë DIATTA, très jeune résistante, enlevée puis déportée à
Tombouctou au Mali où elle est décédée et enterrée dans un petit cimetière ….. Il a déjà
obtenu l'autorisation du Président du Mali pour un éventuel rapatriement des restes d'Aline
Sitoë DIATTA.
A cet effet, le Chef de l'Etat a instruit le Conseil de mettre en place une Commission, présidée
par le Dr Christian Sina DIATTA et composée d'historiens, de chercheurs et de cadres
casamançais, qui devra, suivant ses instructions, se rapprocher des autorités coutumières et
religieuses de la Basse - Casamance, notamment, le Roi d'Oussouye et les autorités de
Cabrousse, afin de solliciter leur avis. En cas d'avis contraire, le Président de la République a
indiqué que le Sénégal demandera au Mali une concession pour y édifier un symbole digne du
rang de notre héroïne nationale. » (Communiqué du conseil des ministres du Sénégal, 15
décembre 2011). Depuis, plus rien, jusqu’en 2019. Cette année-là, le militant des droits de
l’homme, Alioune Tine a « reveillé » le dossier de Aline Sitoë. Il venait d’effectuer une
mission à Tombouctou ; mission au cours de laquelle il a pris certaines informations.
Tine a placé son plaidoyer au plus haut niveau politique en interpellant directement le
Président Macky Sall et Abdoulaye Baldé, le maire de Ziguinchor. Que dit Tine ? « Nous
demandons solennellement au Président de la République Macky Sall et le maire de
Ziguinchor Abdoulaye Balde de prendre toutes les initiatives diplomatiques opportunes
auprès de leurs homologues maliens pour que le corps de Aline Sitoë Diatta soit rapatrié à
Cabrousse auprès des siens », a-t-il lancé, sur sa page électronique. « Le Sénégal doit
absolument promouvoir la mémoire de cette héroïne qui a été déportée comme d'autres
résistants africains au colonialisme, comme Samory Touré, Serigne Cheikh Bamba Mbacké.
», a-t-il ajouté. Ses arguments, il les tire encore de l’histoire, car « ne pas honorer la mémoire
de Aline Sitoë, c'est comme la punir une deuxième fois après sa déportation, en confinant sa
tombe dans un anonymat infamant.'' !
Ainsi donc, Alioune Tine entendait réussir une grande « mobilisation de l'opinion pour
rapatrier au Sénégal la dépouille de l'héroïne Aline Sitoë Diatta enterrée de façon anonyme au
milieu de nulle part à Tombouctou » ! Alioune Tine donne des informations capitales de façon
pathétique. Il écrit : « Elle a été enterrée devant sa maison, juste devant le lit d'une rivière
asséchée, pratiquement seule au monde ». « Les inscriptions en arabe sur sa tombe ont été
effacées par les groupes armés djihadistes. La tombe est gardée par une famille musulmane
très pieuse…. ». Il affirme avoir pu se recueillir sur la tombe
Sur ce chapitre, il convient de relativiser le cri de coeur de Aliou Tine, car les faits se
présentent autrement à Tombouctou. Tine et les autres sources, dont certaines sont encore
vivantes, ne sont pas concordantes sur la matérialité des faits se rapportant à la mort de Aline
Sitoë Diatta. Tine s’est, peut-être recueilli sur une tombe qui n’était pas celle de la grande
dame de Casamance. Papis Fall reste toujours notre principale source d’information. Il est
d’une grande précision dans le déroulement des faits qu’il écrit, que Aline a été placée dans «
le camp des internés ». Aujourd’hui, cette place est occupée par l’école fondamentale qui
porte le nom de « Bahadou Boubacar ».
Aline, dit Sané, n’était même pas morte. Ses assurances, les voici : « Je peux vous confirmer
qu’elle est vivante quelque part puisque son mari qui est plus âgé qu’elle n’est disparu qu’aux
environs de 1998. La reine avait été arrêtée les 28-29 janvier 1943. Elle n’avait que 23 ans. En
plus, elle n’a jamais été déclarée morte par ceux qui l’ont arrêtée et l’ont incarcérée à
Tombouctou. C’està-dire l’autorité coloniale de l’époque. C’est cette même autorité coloniale
qui a produit le document que je mets à votre disposition. Lequel document me dit qu’elle a
été libérée vivante avec son mari et le reste des Casamançais qui étaient emprisonnés avec elle
à Saint-Louis, Matam, Podor et Kayes. C’est elle seule qui n’a pas pu regagner sa terre natale.
Par contre son mari est rentré. Vous verrez le décret colonial qui avait motivé son arrestation
et le second décret qui avait donné l’autorisation de la libération des détenus politiques
casamançais arrêtés pendant la période coloniale. » ( Wal fadjiri, 2007, repris sur le site du
Soleil, 26 décembre 2007). Sur la mort même de Aline Sitoë Diatta, Saloum Ould Elhadj est
catégorique. Il parle de la consignation de ce décès dans le registre de la mairie de
Tombouctou, document aujourd’hui malheureusement disparu depuis l’entrée barbare des
djihadistes dans la ville en 2012. Saloum Ould El Hadj et plusieurs autres sources qui ont
travaillé sur l’identification de la tombe de Aline Sitoë sont formels.
Aline repose, non pas au bord d’un quelconque ruisseau, mais bien au cimetière qui porte le
nom de Sidi El Ouaffi Araouani, sis à Sarey Keyna, à quelques pas seulement du dispensaire
où a été constaté le décès de la « dame de Kabrousse ». Du reste, se demande Saloum Ould
Elhadj : « pourquoi l’enterrer au bord d’un ruisseau alors qu’il y a un cimetiere à moins de
cent mètres ? » Saloum Ould Elhaj a les preuves de son affirmation en la personne de Gobi, à
l’époque, Maçon du cercle de Tombouctou. C’est à ce titre, qu’à l’aide de quelques
prisonniers, il a procédé à l’inhumation du corps. Cette version locale est crédible. Elle détruit
littéralement les assertions de Alioune Tine qui dans son plaidoyer, affirme que « Aline a été
enterrée devant sa maison, juste devant le lit d'une rivière asséchée, pratiquement seule au
monde.
Les inscriptions en arabe sur sa tombe ont été effacées par les groupes armés djihadistes.La
tombe est gardée par une famille musulmane tres pieuse qui nous a révélé que Aline Sitoé
Diatta est considérée comme une sainte dans la ville aux 333 saints qu'est Tombuctou ». Outre
Saloum Ould Elhadj, nous avons également pris contact avec Modibo Sidibé, un enseignant
natif de Tombouctou. Modibo Sidibé qui a effectué de solides études en histoire est diplômé
de l’Ecole Normale Supérieure de Bamako, promotion 1985. Il est très engagé dans la vie de
la communauté. Au cours d’une entretien téléphonique, il nous a donné une confirmation
irréfutable de l’existence d’une tombe au nom de Aline Sitoë Diatta à Sareykeyna. Au cours
d’une visite, il a été surpris de constater qu’une stèle avait été posée sur un emplacement qui
jouxtait une des tombes qu’il était venu visiter dans le cimetière cité.
La stèle était récente. Donc, Aline repose bien à Tombouctou et non « au mileu de nulle part
». L’épitaphe dit ceci : « Ici repose Ainsétou Assétou, Aline Sitoé Diatta, Décédée 29 Mai
1944 à Tombouctou ». Bien sûr que cette annotation induit de nouvelles interrogations. La
première est relative au nom « Ainsétou Assétou ». Est-ce le nom par lequel, la résistante a été
adoptée à Tombouctou ? Il y a une sorte d’homophonie qui peut soutenir cette hypothèse. La
deuxième porte sur la date du décès de la personne. L’épitaphe parle du 29 mai, alors que les
documents évoqués avant retiennent la date du 22 mai 1944. C’est dire que la confusion n’est
pas encore à son terme. Il reste que la jeunesse de Tombouctou ne sait quasiment pas qui a été
Aline Sitoë Diatta, qu’est ce qui l’a conduit ici et comment elle est passée dans la postérité
mémorielle de son pays.
Au Sénégal, plusieurs infrastructures porte son nom : des écoles, des stades, une résidence
universitaire, le ferry qui relie Dakar à Ziguinchor,….
Le sens de son combat doit être entretenu et évoqué dans la mémoire, car plus que la
Casamance et le Sénégal, Aline est une combattante de la liberté pour l’Afrique. Elle ne se
battait pas pour les femmes, mais pour son peuple. Il ne faut jamais perdre de vue qu’elle a été
une victime, elle aussi, des partisans de Vichy. Elle est une preuve de la négation des droits de
l’homme, tout court. La ville de Tombouctou pourrait ériger un monument en la mémoire de
cette héroïne. Ne s’agit- il pas ici aussi d’un autre bien culturel ? Cela, au nom de la
légendaire fraternité qui lie Tombouctou à la grande communauté sénégalaise, bien au-delà de
la colonisation française. En témoignent la broderie, la musique, les arts culinaires, les
échanges religieux…
DOCUMENTS CONSULTÉS