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Aspermie ou quand la graine n'est plus indispensable ou devient indésirable !

Article · May 2013

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5 authors, including:

Patrice This Frédéric Bakry


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Luro Francois Patrick Ollitrault


French National Institute for Agriculture, Food, and Environment (INRAE) Cirad - La recherche agronomique pour le développement
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Aspermie ou quand la graine n'est plus indispensable ou est indésirable !

P. This1, F. Bakry1, Y. Froelicher2, F. Luro3, P. Ollitrault4

1: UMR AGAP, CIRAD – INRA - Montpellier Supagro, Montpellier, France


2: UMR AGAP, CIRAD, San Giuliano, France
3: UR GEQA, INRA, San Giuliano, France
4: UMR AGAP, CIRAD, IVIA Valencia, Espagne

Résumé
La graine, qui contient et protège l’embryon, est l’organe développé chez les plantes
séminifères pour être le support de la reproduction sexuée. Ce type de reproduction permet
également un brassage des gènes parentaux et est à ce titre un vecteur de l’évolution et de
l’adaptation des plantes à l’environnement. La graine est souvent contenue dans les fruits, qui
assurent sa dissémination. Son développement conditionne parfois le développement des
fruits, par les hormones végétales qu’elle sécrète.
Alors que pour la plupart des fruits, la présence d’un noyau n’est pas un frein à leur
consommation, les consommateurs sont, en revanche, avides de fruits sans pépins. On parle
alors d’aspermie ou d’apyrénie. Pour ces variétés, la reproduction est réalisée par
multiplication végétative, très répandue chez les espèces fruitières.
La présentation détaillera les principales causes de l’aspermie (freins à la fécondation, freins au
développement de l’embryons, …), fera le point sur les effets de l’absence de pépins sur le
développement des fruits (notamment sur leur taille, leur composition) et les effets de
l’environnement sur l’expression de l’aspermie, à partir d’illustrations tirées d’espèces
travaillées dans nos équipes : le bananier, les agrumes et la vigne.
Elle présentera également les moyens mis en œuvre par les sélectionneurs pour faciliter la
création de nouvelles variétés à fruit sans graines au service des professionnels.

Introduction

Même si botaniquement, tomates haricots et autres pois sont considérés comme des fruits,
nous ne nous intéresserons ici qu’aux espèces considérées comme des fruits dans le langage
courant, tels que pommes, bananes, oranges, raisins, ….

Les fruits, chez les plantes à fleurs, se développent à partir de certains tissus de la fleur, les
ovaires, et de certains tissus accessoires comme les pétales, sépales. Ils contiennent et
protègent les graines. Les graines se développent à partir des ovules fertilisés par les noyaux
polliniques. Elles constituent l’organe développé chez les plantes séminifères pour être le
support de la reproduction sexuée et à ce titre un vecteur de l’évolution et de l’adaptation des
plantes à l’environnement. Les graines se développent en même temps que les fruits et
contribuent chez certaines espèces comme la vigne par exemple à la croissance du fruit par
une synthèse d’hormones de croissance. La taille des fruits est souvent proportionnelle au
nombre d’ovules fécondés.

Les fruits sont des organes qui ont évolués pour permettre une conservation à court terme des
graines et surtout leur dissémination notamment après consommation par les oiseaux et les
mammifères. Ils représentent une part importante de l’alimentation humaine et à ce titre
constituent une fraction substantielle de la production agricole mondiale et française. En
France, la production de fruit (dont pomme, poires, abricots, cerises, pêches, Kiwi, fraises et
raisin de table) représentent 115 337 ha, soit 0.18 % de la SAU (données SCEES 2011). La
production cumulée des 10 principales cultures correspond à 2,544 millions de tonnes, dont
environ 1.9 M de tonnes pour la pomme (Données FranceAgrimer, 2009).

Il convient de différencier différents types de fruits : fruits simples secs ou charnus (raisin,
banane), fruits composés (Ananas) ou faux-fruits (framboise, fraise).

L’aspermie chez les plantes à fruit

Alors que pour la plupart des fruits, la présence d’ un noyau n’est pas un frein à leur
consommation, pour de nombreux fruits à pépins, notamment celles présentant des
baies vraies (banane, raisin) ou des baies fausses (agrumes) les consommateurs sont
avides de fruits sans graines. On parle alors d’aspermie (du latin sperma, semence) ou
d’apyrénie (du grec purên –ênos, noyau). Commercialement, les espèces fruitières à
multiplication végétative présentent plus souvent des variétés apyrènes, car la
multiplication végétative permet de multiplier ces variétés dépourvues de graines, mais Il
existe également des variétés apyrènes chez des espèces à reproduction par graine
comme la pastèque par exemple.

On parle d’aspermie en cas d’absence complète de graines mais également, dès lors que
le nombre ou le poids des pépins est plus faible et les pépins non sclérifiés. En plus d’une
meilleure qualité gustative, les fruits apyrènes peuvent avoir des durées de vies après
récolte plus longue (Varoquaux et al, 2000).

Dans la nature de multiples causes d’aspermie sont rencontrées. Nous présenterons ici
majoritairement le cas des 3 espèces ou groupes d’espèces horticoles pérennes sur
lesquels nos équipes ont travaillé : la banane, les agrumes et la vigne.

Dans la conscience collective, la banane est le fruit asperme par excellence avec une
absence complète de graines dans le fruit ! Très peu de consommateurs en sont
conscient, pourtant les collections de ressources génétiques de bananiers, regorgent de
variétés à graines !! Pour les agrumes et la vigne, l’apyrénie peut représenter une
absence totale de pépins (ex. la variété emblématique Sultanine, ou certaines variétés
d’orange Navel) ou alors des pépins non lignifiés et/ou à l’état de traces (Figure 1) ou
encore chez les agrumes un nombre réduit de pépins (0 à 6).

Les causes naturelles (ou un peu moins !) de l’aspermie

Trois grands mécanismes sont à l’origine de l’absence de graines: les mécanismes qui
empêchent la fertilisation des ovules, on parle alors de parthénocarpie, ceux inhibant la
production d’ ovules fertiles et enfin ceux inhibant ou avortant le développement des
ovules, appelés sténospermocarpie.

Fruits aspermes issus de parthénocarpie ou de problèmes de pollinisation


Certains fruits dits parthénocarpiques peuvent se développer sans fertilisation comme
par exemple les concombres ou le bananier. On parle alors de parthénocarpie végétative,
alors que d’autres fruits apyrènes comme les citrus nécessitent le stimulus de la
fécondation pour pouvoir se développer.

La fertilisation de l’embryon nécessite la germination des grains de pollen par le pistil, le


développement des tubes polliniques dans les canaux stylaires, depuis le grain de pollen
jusqu’au sac embryonnaire et la fécondation proprement dite. Tous mécanismes
empêchant soit la germination soit le développement des tubes polliniques peuvent
potentiellement conduire à des fruits aspermes.

Dans le cas de la vigne, des baies parthénocarpiques se développent lors d’accidents de


floraison (conditions climatiques défavorables) mais cela ne concerne pas l’ensemble des
baies d’une grappe. On parle alors de millerandage. Chez la variété, Corynthe noir qui
produit les raisins de Corinthe, raisins principalement consommés secs, ce phénomène
est systématique, toutes les baies étant apyrènes. L’absence de pépins est due à un
blocage de fertilisation dont on connait peu le déterminisme.

Ce mécanisme est également important chez le bananier. Même en présence d’ovules


conformes, potentiellement fécondable à la floraison, les variétés cultivées ne portent
pratiquement jamais de graines en conditions naturelles car les freins à la fertilisation
sont nombreux chez les bananiers cultivés. Chez le triploïde Gros Michel par exemple, il y
a suffisamment de sacs embryonnaires matures à la floraison pour produire normalement
100 fois plus de graines qu’il est obtenu en pratique. Dodds (1945) a observé chez P. Lilin
que, deux jours après la pollinisation, il n’y avait aucun tube dans les ovules et ce, en
dépit d’une progression normale de ces tubes polliniques dans les pistils. Chez les
bananiers à cuire, Shepherd mentionnait (Com. Pers.) que l’absence de fertilisation chez
les plantains était probablement dû à un bourrelet de tissu obstruant, de façon plus ou
moins étanche, le canal pistillaire à la jonction du pistil et l’ovaire, empêchant la
progression des tubes polliniques jusqu’aux sacs embryonnaires. L’observation d’une
germination des tubes polliniques dans les styles n’est donc pas garante d’une
fertilisation aboutie chez le bananier. Enfin, Shepherd (1999) a rapporté aussi que
l’immaturité morphologique ou physiologique des styles et des stigmates à la floraison
pouvaient entrainer l’inhibition de la croissance des tubes polliniques.

Chez les citrus, les fruits aspermes sont le résultat d’auto-incompatibilité. Chez les
Oranges de type navel, les clémentiniers ou les mandariniers, les fruits aspermes sont
observés chez les variétés auto-incompatibles lorsque celle-ci sont cultivées en
plantations monospécifiques. Chez les citrons ‘Xiangshui’, l’auto-incompatibilité
gamétophytique bloque ainsi la fertilisation à la base du stigmate (Zang et al, 2012).

L’application d’hormones (gibbéréline , auxine ou cytokinine) peut également provoquer


la parthénocarpie pour des variétés dépourvues de ce caractère.

Fruit aspermes issus d’absence de sacs embryonnaires

Un des moyens de développer des fruits sans pépins est d’empêcher la formation des
sacs embryonnaires dans les ovules. La méthode la plus courante consiste à à créer des
variétés triploïdes par croisement entre une variété diploïde et une variété tétraploïde.
Des problèmes d’appariement des chromosomes lors de la méiose des triploïdes vont
perturber le développement normal des gamètes. C’est le cas pour les pastèques
apyrènes issues de graines triploides donnant naissance à des individus à stérilité femelle.

La plupart des cultivars commerciaux de banane sont également triploïdes issus de Musa
acuminata (de structure AAA), et, pour certains, des hybrides interspécifiques issus du
croisement entre Musa acuminata and Musa balbisiana (de structure AAB ou ABB). Cette
nature triploïde ainsi que des anomalies structurelles au niveau de ses chromosomes sont
probablement responsables d’une grande partie de la stérilitédes cultivars tel que ceux
du sous-groupe Cavendish (AAA), qui sont les seuls clones utilisés pour le marché mondial
de la banane d’exportation.

De la même manière, beaucoup de variétés aspermes de citrus sont triploïdes. Les


hybrides triploïdes de citrus sont généralement stériles, bien qu’ils puissent produire
quelques fruits à graines rares, et induisent la formation de fruits d’autres cultivars par
pollinisation croisée.

Fruits apyrènes issus de stenospermocarpie :

Dans le cas de la stenospermocarpie, les embryons issus de la fécondation des ovules


commencent à se développer. Pour des raisons encore inconnues, l’embryon stoppe son
développement et il ne reste dans le fruit que quelques traces, souvent non sclérifiés
donc imperceptibles (Figure 1). Selon le degré de développement du pépin, ces ébauches
sont plus ou moins perceptibles par le consommateur.

C’est le cas de la vigne. Un mutant d’origine naturelle, la sultanine, a été découvert dans
l’est de sa zone de culture. Chez ce cépage, les ovules fécondés commencent leur
développement mais arrêtent leur croissance très rapidement donnant naissance à des
ébauches de pépins imperceptibles (Figure 1). Il a servi de géniteur pour la quasi-totalité
des variétés apyrènes disponibles actuellement. Ses descendants présentent des pépins
plus ou moins développés selon le stade d’avortement des ovules. Un des problèmes
majeurs dans ce cas est l’effet induit sur la taille de la baie de raisin. Comme précisé
précédemment, une baie apyrène est plus petite parce la graine synthétise les
gibbérellines nécessaires au grossissement de la baie. Dans de nombreux pays, hors la
France, les plantations commerciales sont traitées aux gibbérellines pour augmenter la
taille du fruit.

De la même façon, chez certains fruits de citrus, après auto-fertilisation, les ovules
avortent après 2 semaines, disparaissent après 5 mois pour produire des fruits aspermes.

Impact de l’environnement

Les différents facteurs favorisant la stérilité femelle et male peuvent être influencés par
l’environnement.

La fertilité femelle pourrait ainsi être impactée par les conditions environnementales.
Ortiz et Vuylsteke (1995) rapportent que la production de graines et de tétraploïdes de
banane suit une variation saisonnière, les pollinisations artificielles chez les plantains
étant plus efficaces durant les périodes de haute température, fort ensoleillement et
faible humidité relative. La qualité de la nutrition des plantes pourrait aussi influer sur
cette fertilité: la moindre turgescence des tissus en période sèche favoriserait peut-être
l’ouverture du canal pistillaire à la jonction du pistil et de l’ovaire.

En Guadeloupe, les variations en production de graines des clones diploïdes


parthénocarpiques sont fortes et peuvent être dues à des causes de natures très diverses.
Cependant, on constate aussi de fortes variations de résultats pour un même clone dont
les causes sont probablement à rechercher, outre le choix du pollinisateur, dans des
variations de la physiologie de la plante (facteurs humains mis à part).

De même, des températures bases affectent significativement le développement du pistil


et du gamétophyte male et de la fertilisation chez les citrus (Hedhly et al. 2009; Huang et
al. 2010). La température affecte également la germination du pollen et la croissance des
tubes polliniques dans le pistil.

Utilisation des différents systèmes pour la création de variétés sans pépins

Selon les espèces et le type d’apyrénie ou d’aspermie, la tâche des sélectionneurs est plus ou
moins ardue pour obtenir des variétés sans pépins.

Chez la vigne, seule l’apyrénie sténospermocarpique peut être utilisée. Les études sur la
génétique de ce caractère ont montré qu’il est dû à un gène majeur, correspondant le plus
probablement à un gène de type MADS-box (un gène régulateur du développement, Mejia et
al, 2012). Ce gène majeur est indispensable mais pas suffisant et des gènes mineurs
interviennent également. Pour obtenir des variétés apyrènes stables, il est préférable
d’accumuler plusieurs gènes mineurs. Le marquage moléculaire de ce caractère facilite le
travail du sélectionneur, dans la mesure où elle évite de passer par des croisements entre 2
variétés apyrènes nécessitant le sauvetage d’embryons (Lahogue et al, 1998). Un des
challenges chez la vigne est de pouvoir créer des variétés à fruits sans pépins qui aient une
croissance suffisante (Figure 1). La variété Danuta a réussi ce chalenge (Figure 2) ! Des
applications externes d’hormones végétales peuvent dans certains cas permettre le
grossissement du fruit sans modifier le développement du pépin.

Dans le cas des triploïdes, la difficulté réside dans l’obtention des génotypes triploïdes eux-
mêmes. Ils peuvent être obtenus à partir de croisements 2x par 2x comme dans le cas des
citrus, le gamète femelle n’ayant pas subit une réduction du nombre de chromosomes, produit
une plante 3x après fécondation par un pollen haploïde. Ils peuvent également être produits
en croisant des individus diploïdes par des individus tétraploïdes comme c’est le cas chez la
banane (Bakry et al., 2009) ou les citrus (Aleza et al, 2012).

En résumé, la graine, indispensable à la multiplication sexuée des plantes à fleurs, est


indispensable à l’évolution et à l’adaptation des plantes à l’environnement. Elle peut
cependant devenir un frein à la consommation des fruits à pépins. Les sélectionneurs ont
développé divers moyens de créer des variétés sans pépins, aspermes ou apyrènes.
Les fruits sans pépins sont le résultat de problèmes de fertilisation, de production ou de
développement des ovules. Des schémas de sélections plus ou moins compliqués permettent
d’obtenir des variétés sans pépins chez la vigne, les citrus et les bananes.
Figure 1: L’apyrénie sténospermocarpique : les embryons issus de la fécondation des ovules
commencent à se développer, stoppent leur développement et il ne reste dans le fruit que
quelques traces, souvent non sclérifiés donc imperceptibles ;

Figure de gauche, une variété en cours de sélection. Figure de droite, coupes longitudinales des
baies des 2 parents apyrènes (75 Pirovano et Sultanine) et de la variété en cours de sélection.
On observe la différence de taille de la baie de ces 3 variétés apyrènes. (Photographies: Alain
Bouquet)
Figure 2 : la variété Danuta, développée à l’INRA de Montpellier

© Photothèque INRA
Figure 3 : Domestication et stérilité chez les bananiers :

A gauche : deux fruits d’espèce sauvage fertile (Musa acuminata, AAs) comportant des graines
parfaitement conformées à maturité. Au centre : deux fruits de variétés comestibles diploïdes
asperme d’origine M. acuminata (AAcv). A droite : deux fruits de variétés comestibles
triploïdes asperme d’origine M. acuminata (AAAcv).

Biblio :

Bakry F., Carreel F., Jenny C., Horry J.P.. 2009. Genetic improvement of banana. In : Jain Shri Mohan
(ed.), Priyadarshan P.M. (ed.). Breeding plantation tree crops : tropical species. New York : Springer
[Etats-Unis], p. 3-50. [20090204]. http://dx.doi.org/10.1007/978-0-387-71201-7_1

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